Hermine Gilquin/XXIV

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E. Fasquelle (p. 111-116).
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XXIV


Il n’arriva pourtant rien à Hermine. La maison était déserte, les travailleurs tous aux champs. La jeune femme était partie avec crainte, impatience, et un vague espoir d’une éclaircie dans sa vie. Elle rentra navrée et désenchantée.

Elle avait fait ses réflexions en chemin, sur la route brûlante.

Ainsi, tout ce qu’elle essayait tournait contre elle. Elle ne pouvait même obtenir de la vie cette satisfaction posthume qu’elle avait essayé de trouver auprès de la vieille grand’mère. Si celle-ci avait été une charmante bonne femme, comme il y en a, dit-on, Hermine aurait pu reprendre courage auprès d’elle. Elle avait espéré voir, dans l’ombre de la chaumière, un doux visage fané, avec des yeux purs et tristes, et entendre une voix tranquille et résignée, qui l’aurait encouragée à supporter le sort. Quelle précieuse confidente cette vieille femme aurait pu être pour elle ! Chez les simples, chez les ignorants de la science du monde, il peut y avoir de grands cœurs savants de la vie. Puisque nul être ne peut échapper à la loi de la souffrance, au moins ceux qui ont fait leur temps et payé leur tribut peuvent-ils consoler ceux qui commencent seulement à apprendre le poids des peines et la cruauté des déceptions.

La jeune femme, qui était partie instinctivement vers la grand’mère de Jean, avec le désir anxieux de voir briller, dans la nuit du passé, quelques traces de la vie du disparu, s’avouait bien, au retour, qu’elle avait aussi voulu se créer un refuge hors de la maison des Gilquin, si aimée d’elle, qui était devenue la maison de Jarry.

Ce petit village de La Roche, d’où elle revenait déçue, c’était un autre pays que le sien, un aspect dont elle n’avait pas l’habitude, un asile possible pour les jours où la vie lui aurait été trop pesante chez elle. Puisque personne ne s’occupait d’elle, puisqu’elle était mise de côté, par l’insolence de Jarry, comme une chose inutile, elle aurait donc pu, aux heures où tous les gens de la ferme travaillaient dehors, faire la course qu’elle avait faite aujourd’hui, grimper la pente rocheuse, frapper à la porte de la petite maisonnette qui ressemblait à un logis des contes de fées. Et c’était une fée qui lui aurait ouvert la porte. Non pas la vieille Olympe qu’elle venait de voir, mais l’autre vieille Olympe qu’elle avait rêvée, qu’elle rêvait encore. Celle-ci l’aurait traitée en petite personne sacrée, parce qu’elle aurait honoré et choyé en elle le mystérieux souvenir de Jean. Entre elles deux, il y aurait eu l’invisible fantôme, elles auraient senti sa présence, elles auraient parlé avec l’idée qu’il pouvait les écouter, elles auraient gardé le silence avec le désir frémissant de sa voix de l’autre monde.

Hermine, tout en imaginant et pensant cela, faisait sur elle-même une découverte : c’est qu’elle était une espèce de possédée de l’illusion quand même. En revenant de chez la grand’mère, qu’elle avait vue telle qu’elle était, bornée et intéressée, elle recommençait à inventer la réalité qu’elle avait désirée, et qu’elle savait si bien fausse maintenant. Elle s’en voulut de sa faiblesse d’esprit et de son goût pour le chimérique.

Avant même d’embrasser sa mère, elle s’enfuit au grenier, s’y cacha dans le coin le plus obscur, versa des pleurs en évoquant tant de souvenirs doux et tristes. Fatiguée, elle s’endormit au creux du foin, rêva de la grand’mère qu’elle était allée chercher si loin, inutilement.

Elle se voyait, dans ce rêve, refaisant sa course du matin, mais cette fois elle apportait à la vieille Olympe de l’argent, beaucoup d’argent, de quoi remplir les poches de son tablier, et de belles étoffes pour se faire des robes, et des provisions de toutes sortes pour son petit ménage !… Et la vieille, alors, était heureuse, s’approchait de la visiteuse avec un visage ravi, des yeux hilares, l’embrassait, la choyait, la cajolait, et la fiançait à Jean, qui accourait, vêtu de son linceul, du petit cimetière brûlé de soleil.

— Hé !… Madame Hermine !… Madame Hermine !… Où êtes-vous ?…

On appelait en bas. La voix se fit plus pressante :

— Venez vite !… votre mère va passer !

Hermine, réveillée en sursaut, vint à l’appel de la servante, descendit l’échelle, se hâta vers la maison, vint auprès de sa mère.