Hermine Gilquin/XXXIV

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E. Fasquelle (p. 175-180).
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XXXIV


M. le curé avait retiré sa chasuble et son aube lorsque Hermine entra. Il la reconnut après un instant d’hésitation.

— Tiens !… Madame Jarry !…

Mais l’autre, d’une voix ferme :

— Hermine Gilquin, oui… vous vous rappelez, monsieur le curé…

— Oui… oui… je crois bien… J’ai bien connu défunt votre père… défunte votre mère… et vous aussi, je vous ai connue… mais il y a longtemps que je ne vous avais vue… Avez-vous été souffrante ?

— Oui, assez souffrante, monsieur le curé… Je viens d’avoir des douleurs violentes, — elle appuya sa main sur sa poitrine, — et j’ai des douleurs de toutes sortes…

— Moi aussi, je suis perdu de rhumatismes… Le presbytère est humide… Et je prends de l’âge !… Mais il faut accepter ce que le bon Dieu nous envoie… Il y a du bon et du mauvais dans la vie !…

— J’ai eu, en effet, un peu de bon, — dit Hermine, — mais je n’ai plus que du mauvais…

Le curé eut la mine inquiète de ceux qui n’aiment pas la confidence des maux qu’ils ne peuvent ou ne veulent soulager.

— Quoi donc ? mon enfant…

— Ma mère m’a mal mariée, et vous aussi, monsieur le curé, — dit Hermine en souriant un peu.

— Comment cela ?

— Mon mari est un méchant, un mauvais homme, un impur, un débauché…

— Oh !… Oh !…

— Il boit, il me bat… Je dois, à tout instant, me sauver hors de chez moi… oui, de chez moi !… car vous savez que François Jarry n’avait rien lorsqu’il est venu chez ma mère.

— En effet… en effet… C’est bien fâcheux tout ce que vous me racontez là, mon enfant… bien fâcheux… bien fâcheux…

— Très fâcheux, en effet !… Que faut-il faire ?

— Heu !… Ce qu’il faut faire… Il ne faut pas faire de scandale, mon enfant… Vous savez que l’Église défend le divorce…

— Alors, l’Église rendra-t-elle mon mari meilleur ?

— Mais, mon enfant, avez-vous tout essayé ?… Il faut le prendre par la douceur, par la tendresse…

Hermine eut un frisson de dégoût que le prêtre ne vit pas. Il continua :

— C’est à vous, mon enfant, de remettre ce pécheur dans le bon chemin…

— Je vois que vous ne le connaissez pas, monsieur le curé… Il n’y a que la loi qui puisse me sauver.

— Vous sauver !… vous sauver !… Il faut sauver votre âme… Voulez-vous perdre votre âme en croyant vous sauver ?

Hermine ne put pas obtenir ce qu’elle attendait, la simple parole née d’une pitié humaine pour un être qui demandait naïvement secours à un autre être revêtu d’autorité. M. le curé promit d’aller voir Hermine dans la semaine…

— Je serai loin, — pensa Hermine.

— Oui, j’irai un de ces jours… si le temps le permet à mes vieilles jambes… je parlerai à votre mari.

— Je vous remercie bien, monsieur le curé.

— Mais il faut que je vous quitte, mon enfant… Je suis bien occupé aujourd’hui… C’est dimanche… Je vais avoir les vêpres… Et mon déjeuner va brûler… On va me gronder si je suis en retard.

— Allez-vous-en vite, monsieur le curé, je reviendrai.

— C’est cela… Revenez me voir, mon enfant… Vous me direz vos fautes… et vous pourrez communier dimanche… Vous reprendrez courage avec le bon Dieu pour supporter la vie.

— Merci, monsieur le curé, au revoir !…

— Au revoir, mon enfant.

Il fit un petit geste de bénédiction et s’en alla vers son déjeuner. Le presbytère, devant lequel passa Hermine, exhalait la bonne odeur du rôti des dimanches.

— Quelles fautes pourrai-je confesser ? — songeait Hermine. — Je n’ai pas commis de fautes. C’est François Jarry qui devrait venir se confesser… Il se confessera au notaire, je l’espère bien !…

Elle reprit sa route, suivie de Zélie. Auparavant, comme elle se l’était promis, elle regarda les maisonnettes autour de l’église, se réjouit de voir les fenêtres aux rideaux blancs, les quelques boutiques. Elle songea que, si elle pouvait revenir là, un jour, elle y reviendrait. Allons, en route, pour le grand voyage qui doit finir sur cette petite place !