Histoire d’un archipel brumeux

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Histoire d’un archipel brumeux
Revue du Pays de Caux1 et 3 (p. 29-39).

HISTOIRE D’UN ARCHIPEL BRUMEUX

(Souvenirs d’Écosse)




Sur la côte occidentale de l’Écosse, la nature a formé un étrange archipel aux contours déchiquetés, aux sommets brumeux, à l’aspect triste et solitaire. En naviguant sur les eaux froides et ternes qui baignent les îles Hébrides, on voit leurs profils incertains se dessiner tour à tour dans le brouillard. Elles sont si nombreuses qu’elles semblent se multiplier toujours sous le regard. Les unes dressent fièrement leurs abruptes falaises contre lesquelles les grandes tempêtes qui se précipitent sur l’Europe livrent leurs premiers assauts ; les autres émergeant à peine de la surface des flots présentent le contraste d’un sable blafard et d’une roche noirâtre ; mais partout la même désolation, la même nudité, le même gazon maigre et ras. « Rien que d’innombrables péninsules terminées par des caps effilés ou par des cimes toujours couronnées de nuages, s’écrie M. de Montalembert en décrivant les désillusions que lui fit éprouver la première vue de ces parages — rien que des isthmes rétrécis au point de laisser voir la mer des deux côtés à la fois ; rien que des pertuis si resserrés entre deux murailles de rocher que l’œil hésite à s’y engager. »

Elles ont pourtant leurs fidèles, ces terres Hébridiennes. Qui se laisse prendre à leurs charmes y rêve toujours et ce n’est pas sans raison qu’un célèbre romancier voulait placer là le séjour des êtres surnaturels de la mythologie Scandinave, de ce poétique Olympe où doivent s’asseoir Ossian et Fingal. Mais pour saisir les beautés de leurs rudes paysages, il faut la tempête ou, tout au moins, l’atmosphère chargée de vapeurs à travers lesquelles filtre un rayon de ce pâle soleil du nord qui semble le reflet neigeux des régions arctiques. Là s’élève cette fameuse grotte de Fingal qui excite si justement l’enthousiasme des touristes. Ses colonnes régulièrement taillées, ses saillies, ses nervures gothiques qui lui donnent l’aspect d’une cathédrale ne sont pas l’œuvre d’un architecte humain et on a peine à n’y voir qu’un coup de hasard des forces naturelles. En fait c’est la matière en fusion, qui aux premiers refroidissements du globe, s’est ainsi cristallisée en prismes de basalte. Voilà pour la science ; il faudrait maintenant emprunter à la poésie son divin langage pour en achever la description ; c’est par là que je terminerai en vous racontant la manière originale et toute Anglaise dont les voyageurs pressés parcourent en douze heures l’archipel des Hébrides, sur un petit steamer très confortable où l’on fait un excellent déjeuner aux refrains de la Mascotte ou des Cloches de Corneville.

Le bateau à vapeur sera notre dernière étape car il est actuellement la dernière expression de la civilisation ; mais pour en arriver là, il faut parcourir bien des âges que remplissent successiment la conquête chrétienne, la domination étrangère, la puissance seigneuriale. Cette histoire, que nul écrivain n’a rédigée, nous la déchiffrerons dans les ruines qui parsèment les îles ; monuments druidiques, forteresses Danoises, monastères chrétiens, manoirs féodaux : ces annales de pierre embrassent dans le passé une période de quinze siècles.


i


L’obscurité la plus profonde enveloppe les Hébrides aux premiers âges historiques. Les Romains les connaissaient-ils ?… Lorsqu’en l’an 120 après J.-C., Agricola repoussé par les Calédoniens se retira au sud de l’Angleterre, il envoya des vaisseaux avec mission de reconnaître si l’Angleterre était une île. « Les marins revinrent, dit M. Guizot, annonçant qu’aucune langue de terre ne rattachait la Bretagne au continent, qu’ils avaient aperçu dans le lointain Thulé enveloppée dans une région de nuages et de neiges éternelles et que les mers qu’ils avaient traversées étaient stagnantes, pesantes sous la rame, sans être agitées par le vent et la tempête. » Si cette Thulé que les anciens regardaient comme l’extrémité du monde n’est autre que l’Islande, on se demande comment des hommes si peu préparés à une pareille expédition ont pu l’accomplir ? Mais le récit des marins d’Agricola semble détruire cette hypothèse. L’océan Atlantique est sans cesse bouleversé par l’ouragan tandis que les flots gris d’acier de la mer du Nord demeurent souvent immobiles pendant de longs jours. Donc Thulé n’était probablement que l’une des Shetland et les Romains ne firent pas le tour complet de l’île.

Vers cette époque vivait le héros légendaire dont nous irons visiter le palais, Fingal, père d’Ossian. Fingal était roi de Morvern ; on nomme ainsi une haute montagne du Caithness, le comté le plus septentrional de l’Écosse. Certains en ont fait une sorte de Vercingetorix qui, plus heureux que le nôtre, aurait repoussé l’invasion de l’empereur Caracalla ; les amateurs de mythologie veulent voir en lui un personnage un peu surnaturel, un demi-dieu étrange et charmant. Si vous désirez mon humble avis, c’était bonnement un chasseur intrépide vêtu de peaux de bêtes, la poitrine ornée de tatouages ; d’ailleurs un hercule qui n’eut pas déparé la foire de Saint-Cloud. Son fils nous a laissé le récit des exploits paternels dans ses poésies que la traduction a dénaturées et qui, sous leur vraie forme, sont empreintes d’une hardiesse farouche bien plus que de mélancolie.

À travers des renseignements incertains et sans suite on entrevoit l’ombre d’Ossian errant dans les Hébrides ; il allait, accompagné de la fiancée de son fils, Malvina, seul en face de cette grandiose nature dont il cherchait à rendre les beautés ; et, sans doute, il chanta ses strophes dans la grotte de Fingal ; de là vient, au dire des poétiques Écossaises, la douce harmonie qui ne cessa jamais d’y vibrer depuis lors. Mais abandonnons des souvenirs trop lointains et passons au second chapitre de la longue histoire des Hébrides. Une colonie, venue d’Irlande, a peuplé les îles et des moines s’établissent sur leurs rives inhospitalières pour y prêcher l’évangile. En face de l’ouverture béante de la grotte de Fingal, se trouve une terre plate et nue qui porte un surnom glorieux ; c’est l’île d’Iona ; on l’appelle le Saint-Denis des Hébrides. C’est là que dorment les souverains d’Écosse, d’Irlande et de Norwège, à l’ombre des ruines d’une abbaye fondée il y a 1300 ans par saint Colomban.

Saint Colomban est le premier et le plus grand de ces apôtres d’Occident dont M. de Montalembert a conté les hauts faits. Son caractère passionné, ses hardiesses, sa vie pleine de contrastes, sa lutte contre lui-même et la victoire complète qui la termine en font l’une des figures les plus originales des annales monastiques. À vingt-cinq ans, c’était un homme violent, prompt à la vengeance, impérieux et dominant. Il appartenait à la race guerrière qui régnait sur l’Irlande et lui-même avait souvent tenu le glaive, car le moine et le soldat se confondaient en lui. Mais il fallait un tel homme pour une telle mission. Là où les autres auraient échoué, lui pouvait réussir. Jeter sur un îlot désert les fondements d’un établissement religieux, fertiliser un sol ingrat, répandre dans tout l’archipel la lumière de l’évangile ; puis étendant le cercle de ses pieuses conquêtes, parcourir le nord de l’Écosse habité par des peuples sauvages, s’exposer à tous les dangers pour gagner à Dieu de nouvelles âmes, telle fut l’œuvre de Colomban. Mais en même temps qu’il remportait d’éclatantes victoires sur le culte idolâtre, il se domptait lui-même avec une semblable énergie. La liste des supplices qu’il s’infligeait est étrange autant que terrible. Au plus fort de l’hiver, il entrait dans l’eau glacée pour réciter l’office ; il s’agenouillait la nuit dans la neige pour prier ; il se fouettait d’orties et se nourrissait d’une soupe faite avec des chardons. Un si grand luxe d’austérités ne paraît pas cependant avoir autant frappé ses contemporains que sa douceur et son humilité, vertus presque inconnues parmi eux et dont il était lui-même si éloigné qu’il lui fallut une lutte constante de trente années pour les acquérir.

Le monastère d’Iona ne fut d’abord qu’un amas de masures faites de claies d’osier ou de roseaux soutenues par des pieux. C’était tout un village, car aux compagnons que saint Colomban avait amenés d’Irlande, se joignaient sans cesse de nouveaux convertis. Puis on éleva des constructions plus solides, en bois. Iona n’offrait que de bien faibles ressources ; çà et là quelques taillis dont l’écume de mer rongeait le sommet et dont on ne put même pas tirer le bois nécessaire aux charpentes ; il fallut le faire venir. Au centre était l’église dominée par une sorte de campanile abritant la cloche, une belle cloche en métal dont les premiers tintements causèrent sans doute bien des distractions aux insulaires pendant le service divin. Plus loin, il y avait des étables pour les bestiaux, des hangars pour les instruments de travail ; sur la grève étaient rangées les barques qui composaint la flotille. Faites d’osier recouvert de peaux de bêtes, elles étaient très longues et très minces ; les unes ressemblaient à ces légères périssoires dont les Norwégiens se servent avec une audace sans pareille ; les autres plus grandes, pouvaient contenir un certain nombre de personnes. On les utilisait pour la pêche et pour les longues expéditions dans lesquelles les moines cherchaient de nouvelles terres à évangéliser. C’est ainsi qu’ils découvrirent l’îlot de Saint-Kilda et les dernières des Shetlands. Une autre fois le vent du nord les porta pendant 14 jours dans les profondeurs de l’océan. Des communautés vassales s’établissaient aux environs. On rapporte à saint Colomban la fondation de trois cents églises dont les deux tiers dans les Highlands. Les relations de l’abbé avec le continent Écossais si l’on peut employer cette expression devenaient chaque jour plus fructueuses et plus étendues.

Les effets d’une telle puissance ne tardèrent pas à se manifester. Colomban présida des conciles et prit en mains la direction des affaires religieuses ; on venait de loin pour le consulter et solliciter ses prières ; on apportait aussi des présents ; mais l’abbé, soucieux de préserver son monastère de la corruption, refusait tous autres dons que ceux pouvant se tourner en aumônes ; sa dévotion d’ailleurs était quelque peu teintée de puritanisme ; il n’aimait point les pompes exagérées, les décorations trop coûteuses. Il était poète pourtant, mais sa poésie était celle des Bardes, c’est-à-dire éminemment patriotique et un peu guerrière. Les moines de ce temps ne renonçaient pas facilement au contact des armes. Recrutés parmi les premières familles, ils avaient pour frères et cousins des princes et des rois dont les querelles ne les laissaient point insensibles. Aussi prenaient-ils quelquefois une part active aux combats. La métamorphose lente de Colomban, la mansuétude succédant en lui à l’emportement, l’esprit de pardon à l’esprit de vengeance, devaient donc lui attirer plus de réputation que toutes ses conquêtes spirituelles. On le vit bien lorsque après sa mort, son tombeau fut devenu un centre de pèlerinage.

Il mourut au mois de juin 597. « Colomban, dit son successeur l’abbé Adamnan, savait que son départ était proche. Sur une colline d’Iona, des troupes d’anges le visitaient souvent et quand venait la nuit, une lueur étincelante l’environnait ». L’abbé quittait sa cellule et les moines réveillés par cette lumière miraculeuse le suivaient en silence. Puis prosternés autour de lui dans le sanctuaire, ils joignaient leurs accents aux siens. Et de loin les habitants des îles voyaient resplendir dans les ténèbres les fenêtres de la cathédrale au pied de laquelle mugissait l’océan. Colomban avait 76 ans ; ses austérités l’avaient affaibli et il pouvait à peine marcher. Il ordonna donc d’atteler des bœufs à une des charrettes qui servaient à la moisson et ce rustique équipage lui fit faire une dernière fois le tour de l’île. À l’occident, sur un plateau plus fertile que le reste du sol, les moines labouraient. Quand ils virent arriver leur abbé, ils abandonnèrent leurs travaux et se groupèrent autour de lui. Il leur parla pour la dernière fois, leur donnant de tendres conseils, les remerciant de leur zèle à le seconder et les exhortant à persévérer dans les voies du salut. Puis il se leva et regarda longuement son archipel ; les îles environnantes lui apparurent une dernière fois et sa bénédiction tomba sur ses disciples agenouillés autour de lui et sur les terres lointaines qu’il avait évangélisés. L’attelage de l’abbé reprit le chemin du monastère et dans la nuit Colomban s’éteignit paisiblement sur les marches de l’autel. La nouvelle de sa mort attira aussitôt une longue file de pélerins. Sans doute nulle fleur ne para la tombe de l’apôtre en ce pays où les fleurs semblent n’avoir jamais été connues ; mais des lumières innombrables brûlèrent alentour et l’affluence des visiteurs témoigna d’une vénération constante.


ii


Pendant deux siècles, le monastère d’Iona ne cessa de s’accroître. Des souverains quittaient leurs armures pour revêtir la coule des moines. À tout instant la cloche d’appel retentissait ; des barques traversaient le chenal qui sépare Iona de l’île de Mull pour venir chercher les voyageurs qu’attirait la réputation sainte du lieu ; une longue suite de piliers granitiques guidait ceux-ci au travers de Mull jusqu’au lieu d’embarquement. Les vastes souterrains se peuplaient de cercueils illustres ; dans le cimetière, les pierres sculptées s’allongeaient côte à côte et trois monuments de marbre s’élevaient portant ces inscriptions éloquentes en leur simplicité : tumulus regum Scotiaetumulus regum Hiberniaetumulus regum Norwegiae. Soixante dix rois y étaient ensevelis. L’abbé d’Iona exerçait sa suprématie non seulement sur les monastères des Hébrides mais encore sur les églises d’Écosse et d’une moitié de l’Irlande. Iona était devenue la métropole monastique du nord ; les évêques venaient s’y faire sacrer et les princes, recevoir leurs couronnes. Tantôt vers le sud, apparaissaient les navires Irlandais chargés de pèlerins ; tantôt vers le nord, les barques des guerriers Pictes à demi sauvages mais témoignant à la mémoire de saint Colomban une dévotion naïve ; tantôt c’était la cloche de l’île de Mull annonçant l’arrivée d’une caravane. Le clergé se rendait sur la plage pour recevoir les visiteurs et les conduire solennellement à la cathédrale. Dans les îles environnantes, les monastères avaient prospéré aussi ; le zèle des religieux était grand. Colomban les avait conduits aux Orcades, aux Shetlands ; ils atteignirent l’Islande et en 700 les îles Feroe où les Norwegiens devaient retrouver plus tard leurs livres celtiques, des croix et des cloches.

Cependant le trésor d’Iona devint considérable ; les offrandes avaient afflué de toutes parts et peut-être aussi la renommée en exagérait la richesse. Sa réputation excita les convoitises des pirates Danois qui apparurent devant Iona en 801. Ces parages avaient déjà été visités par eux. Dès 617 un massacre eut lieu dans la petite communauté d’Eigg saint Donan s’était installé avec 52 religieux. C’était le jour de Pâques ; Donan disait la messe ; il pria les barbares d’attendre la fin de l’office ; ceux-ci y consentirent et froidement, quand ce fut fini, ils égorgèrent tous les moines.

Les Danois ou « rois de la mer » comme ils se nommaient eux-mêmes, venaient du Jutland et de la Scandinavie ; l’océan était leur élément. Ils couraient perpétuellement sur les flots et ne faisaient à terre que de rares et brefs séjours. Leurs flottes comptaient parfois jusqu’à 300 navires, sortes de barques larges et effilées qu’ils appelaient amoureusement les « serpents des eaux ». Leur étendard portait l’image du corbeau, confident d’Odin, lequel traitait avec somptuosité, dans son paradis, les braves guerriers morts au champ d’honneur. Pleins d’adresse et d’audace, les Danois, descendus de leurs barques, s’emparaient de tous les chevaux qu’ils rencontraient et sautant dessus, se lançaient au grand galop. Leur œuvre de dévastation accomplie, ils reprenaient aussitôt la mer emportant avec eux tout le butin possible. Telle fut aussi leur tactique à Iona ; le trésor fut pillé et la flamme dévora une partie des constructions. Dès lors l’abbaye commença à se dépeupler ; en 805, quatre ans plus tard, les Danois apparaissant de nouveau n’y trouvèrent plus que 64 religieux. Ceux-ci, voulant soustraire aux insultes des pirates les reliques de leur fondateur, emportèrent le cercueil de saint Colomban et l’ensevelirent de nouveau à Dunkeld en Écosse où quelques années plus tard le roi Kenneth éleva une grandiose cathédrale à la mémoire de l’illustre moine. Une autre tradition veut que les restes de saint Colomban aient été transportés à Down en Irlande où ils auraient été déposés à côté des corps de saint Patrick et de sainte Brigitte. Enfin, en 877, pour la troisième fois, les Danois débarquèrent à Iona. Tout fut détruit. Tout l’archipel, dit un vieux chroniqueur, fut éclairé par la lueur des incendies ; le centre des communautés fut transféré à Kells en Irlande où le supérieur, abbé titulaire d’Iona, résida pendant trois siècles.


iii


La domination Norwégienne approchait. Déjà le souverain Scandinave possédait les îles Shetland et les Orcades ; il avait des visées sur le trône d’Écosse, occupé alors par le fameux usurpateur qu’illustra Shakespeare, Macbeth. Macbeth fut tué par le fils aîné de sa victime, Malcolm époux de Marguerite de Hongrie, la pieuse princesse dont on a souvent redit les vertus et qui, devenue reine d’Écosse, tenta de relever de ses ruines le monastère d’Iona et y installa des religieuses dont la communauté vécut jusqu’à la Réforme. Lorsque Malcolm fut mort, son frère Donald voulut s’emparer du trône au détriment de ses neveux et, profitant des troubles que suscitait cette tentative d’usurpation, le roi de Norwège, Magnus aux pieds nus, acheva sa conquête. En 1093 il se fit céder les Hébrides. Le traité stipulait la cession de toutes les terres dont le roi pourrait faire le tour avec ses vaisseaux et les Écossais pensaient s’être ainsi réservé la fertile presqu’île de Cantyre. Magnus attela huit chevaux à un navire qu’il plaça sur un char et, s’installant lui-même au gouvernail, il traversa triomphalement l’isthme de Cantyre pendant que ses matelots faisaient le simulacre de ramer. En 1097 Magnus visitant en détail sa nouvelle conquête débarqua à Iona qu’il réunit à l’évêché de Drontheim ; il salua les tombes de ses prédécesseurs et laissa subsister la pieuse fondation de la reine Marguerite.

Les Norwégiens établirent dans l’île d’Islay le centre de leur domination. Ils parsemèrent les Hébrides de forteresses dont les ruines, encore nombreuses au siècle dernier, sont maintenant presque disparues : sortes de tours sans ornements percées d’étroites meurtrières, toutes élevées sur le même modèle et faites de blocs irréguliers. D’autres monuments datent de la même époque. Ce sont des cairns, sépultures formées de pierres amoncelées. Ceux qui voulaient honorer la mémoire du mort jetaient une pierre sur sa tombe en passant auprès. Les montagnards conservèrent longtemps une façon de parler qui évoquait cet antique usage. Lorsqu’ils voulaient obtenir quelque concession d’un seigneur, ils lui disaient : « Curri mi doch er do charne. J’ajouterai une pierre à votre Cairn ».

Cependant Magnus avait porté plus loin ses vues ambitieuses. Après les Hébrides, il voulait l’Irlande. Il fut tué devant Dublin en 1103. Ses successeurs, retenus chez eux par des guerres civiles, se contentèrent d’un hommage platonique rendu par leurs vassaux Écossais ou de quelques tributs qu’ils en recevaient. Conserver et exercer le pouvoir suprême en ces parages n’était pas aisé. La féodalité s’organisait en Écosse et dans les archipels voisins : les clans y devenaient prépondérants. Les rivages désertés depuis le départ des moines se couvraient de châteaux forts ordinairement placés dans des positions inexpugnables et habités par les Macdonald, les Maclean, les Macleod et autres chefs de clan dont la puissance montait avec la fortune. Il restait pourtant quelque trace de hiérarchie monarchique ; l’un des seigneurs recevait du roi de Norwège le titre de Lord des Îles, titre qui figure parmi ceux que porte aujourd’hui le prince de Galles, héritier de la couronne d’Angleterre ; c’était une sorte de vice-roi dont le pouvoir, bien entendu, demeurait nominal et qui n’avait pas les moyens de se faire obéir par ses pairs.


iv


Nous voici arrivés à l’époque chevaleresque : les Hébrides passèrent alors aux mains des Highlanders d’Écosse, et il nous faut dire quelques mots de cette race intéressante. Les Français savent très bien ce que c’est qu’un Highlander. C’est un monsieur qui porte une petite jupe à carreaux rouges et verts, des bas bariolés, une toque à aigrette, un grand plaid rattaché sur l’épaule et qu’on ne prend jamais par le fond de sa culotte attendu qu’il n’en possède pas.

Ce « monsieur » est en train de disparaître. Walter Scott n’a pu que retarder son trépas en le popularisant : il n’y a pas bien des années, les petits parisiens de 5 à 8 ans portaient plus ou moins crânement le costume des Highlanders, souvent réduit, d’ailleurs, à la jupe plissée surmontée d’une veste à boutons d’argent. Et les commis, dans les magasins de nouveautés, déployant devant les jeunes mères ces étoiles dites Écossaises répétaient avec aménité : « Voici le clan Mac Farlane. Préférez-vous le Mac Intosch ? il est moins salissant. » L’enfant devenait ainsi un Mac quelque chose pour la plus grande satisfaction de ses parents qui raffolaient de l’Écosse et des Écossais. Cet engouement n’existe plus. Il faut passer le détroit pour voir un Highlander. Plusieurs régiments de l’armée Anglaise sont revêtus de cet uniforme pittoresque. Les pairs qui représentent à la chambre haute la noblesse d’Écosse tiennent encore à honneur de se parer, dans les cérémonies, du costume de leurs ancêtres. Enfin il est de bon ton d’en revêtir l’homme qui veille à la grille du château seigneurial. Il y a bien aussi quelques enragés qui savent par cœur toutes les légendes Calédoniennes et s’imaginent qu’elles demeurent nichées dans les plis de leurs robes et quelques jeunes chasseurs aimant à se trouver à l’aise pour grimper dans les rochers ; mais ceux-là portent généralement un chapeau mou et un veston avec la jupe, ce qui compose un ensemble confortable, dit-on, mais dénué d’esthétisme.

Dans ses mémoires sur la Grande Bretagne, Dalrymple trace un portrait des Highlanders. « Ils étaient, dit-il, toujours armés complètement, ce qui, en les familiarisant avec les instruments de la mort, les empêchaient de la craindre. Ils regardaient comme leurs plus grandes perfections d’être aussi modestes que braves, de se contenter du peu que la nature exige, d’agir et de souffrir sans se plaindre, d’être aussi honteux de faire une injure ou un outrage aux autres que de l’endurer de leur part, de mourir avec plaisir et de venger les affronts de leur tribu ou de leur pays ». Ils étaient organisés en clans dont chacun portait un nom différent et vivait sur les terres du chef. Ce genre d’organisation n’abonde pas dans l’histoire comme on se le figure. En étudiant le clan Écossais, on voit qu’il diffère également des tribus patriarcales des Hébreux, des associations guerrières des anciens Germains, des hordes errantes Scythes ou Tartares et même du clan électif d’Irlande. Ses membres étaient vassaux ou tenanciers de leur chef héréditaire ; en même temps, ils descendaient de sa famille et pouvaient dire exactement quel était leur degré de parenté avec lui. C’était l’union féodale et patriarcale transmise d’un chef à l’autre par le droit d’aînesse.

Les Lords étaient donc en guerre incessante ; quand le suzerain ne réclamait pas leur concours contre l’ennemi du dehors, ils se dévoraient entre eux. Les cavernes servaient d’asiles aux habitants. Il n’est pas rare de découvrir des cachettes pratiquées dans un roc et habilement dissimulées ; on s’y réfugiait pendant les incursions.

La suzeraineté avait repassé à l’Écosse. Sentant l’archipel lui échapper, Haquin v roi de Norvège avait fait une tentative pour réduire ses vassaux ; la tentative échoua. Son fils Magnus vii céda en 1260 les Hébrides à Alexandre iii ; mais jamais cession ne fut plus fictive. Les seigneurs étaient en mesure de résister à leur souverain et ils le firent souvent. L’Île d’Islay contient un petit lac du nom de Finlagan, et dans ce lac, sur un îlot, se voient les ruines du palais d’un Mac Donald, célèbre dans l’histoire des Hébrides. On y montre la pierre sur laquelle il était assis quand il fut couronné roi des Îles. Cette manière de couronner le roi était celle de presque tous les peuples du Nord. Il assemblait ses parents, ses vassaux, ses guerriers, s’armait de pied en cape, tirait son épée et jurait de gouverner ses sujets comme un père ses enfants à l’imitation des ancêtres. Tous les assistants lui promettaient alors de lui obéir comme à un père. À peu de distance est une autre île où le roi tenait conseil. Il y avait treize sièges pour autant de juges qui prononçaient sur les différends des sujets et recevaient pour leur salaire la onzième partie de la valeur de la chose contestée.

Peu à peu les mœurs s’adoucirent ; sans cesser d’exercer leur souveraineté, les seigneurs se montraient moins farouches et commençaient à donner à leur vie un caractère plus civilisé. L’aspect des Hébrides avait bien changé depuis le temps où Colomban les parcourait. Sur les promontoires escarpés les manoirs dressaient leurs tourelles. Des villages s’étaient créés ; le sol défriché révélait une étonnante fertilité. Les troupeaux couvraient les îles et, la nuit, les bergers allumaient des feux sur les falaises.

Walter Scott, dans un poème célèbre dont la scène est au château d’Artdornish sur le détroit de Mull, nous met au courant des coutumes d’alors en nous faisant assister à une fête seigneuriale. Les barques apparaissent à l’horizon ; au sommet des mats flottent les étendards armoriés. De son observatoire, le guetteur annonce leur approche en sonnant du cor. Et tandis que le château prend un air joyeux, le seigneur descend sur la plage pour recevoir ses hôtes. Dans le Hall aux sombres boiseries, un somptueux festin réunit les convives ; sur les murailles, les trophées de chasse alternent avec les panoplies où sont accrochées parfois des armes orientales rapportées de la croisade. Pendant le repas, le joueur de cornemuse fait entendre ses modulations et si chacun a amené le sien, c’est entre eux un véritable concours harmonique. Parfois un harpiste Gallois en tournée accompagne les chansons. Ensuite le conteur entame un récit à l’honneur de la famille à laquelle il est attaché, rappelant les exploits d’un ancêtre ou quelque brillant fait d’armes. Ces conteurs étaient des Bardes, c’est-à-dire des descendants des Druides et de leurs disciples. Au temps de Fingal et d’Ossian, ils accompagnaient déjà les chefs, recueillant pour les transmettre à la postérité, les traits d’héroïsme et de bravoure. Ils enflammaient les courages en excitant une noble émulation et la promesse d’une longue renommée était leur meilleur argument. Chaque génération ajoutait un chant à l’épopée ; à mesure que s’éloignait le point de départ l’admiration amplifiait le récit et la fable venait s’y mêler. Les Bardes finirent par devenir de très importants personnages élevés dans des collèges où on les « initiait ». Leurs poésies étaient scandées avec une extrême régularité ; il fallait non seulement que les mots eussent le même nombre de syllabes, mais la même euphonie et la même prononciation.

Après que le Barde avait terminé son récit, le maître de la maison, élevant en l’air une coupe de métal, portait la santé de ses hôtes. Le temps se passait ainsi à se visiter les uns les autres. Oncques ne vit jamais une société plus hospitalière. Les étrangers étaient accueillis avec le plus gracieux empressement ; on les mettait à réquisition de récits et d’histoire ; on leur offrait en échange des chasses dans les bruyères rouges où se cachaient les jeunes daims. Au milieu de cette civilisation, l’abbaye d’Iona demeurait un sanctuaire vénéré où les principales familles avaient leurs tombes : le couvent de Sainte-Marguerite subsistait ; une Mac-Donald, dont la pierre funéraire se voit encore parmi les ruines, en était supérieure lorsqu’un coup soudain bouleversa l’archipel. Le synode calviniste du comté d’Argyll livra à une bande de pillards les églises des îles. « N’en laissez pas pierre sur pierre, détruisez jusqu’aux derniers vestiges d’un culte maudit » ; tels étaient les recommandations des farouches réformateurs. Une déroute générale s’opéra. Le pillage ne s’arrêta pas au seuil des demeures seigneuriales ; elles brûlèrent comme les églises ; le zèle des puritains s’alarmait du luxe qui y régnait ; ils voulaient niveler, égaliser. Bientôt ce ne furent partout que ruines et désolations ; le sol redevint inculte, la misère fut extrême et la population tomba dans l’apathie la plus profonde. Il fallut, deux cents ans plus tard, qu’un célèbre voyageur Anglais découvrit et fit connaître à ses concitoyens la grotte de Fingal et les ruines d’Iona.


v


Le docteur Johnson quitta Édimbourg le 18 août 1763. Après avoir gagné Aberdeen il visita les comtés du nord et passa dans l’île de Skye où, quelques années avant, le prince Charles-Édouard avait cherché un refuge après la bataille de Culloden dans laquelle les Stuart perdirent leur dernier atout. Cette île, l’une des plus grandes et des plus fertiles de tout l’archipel avait échappé au désastre. Elle appartenait aux Macdonald qui l’habitaient. Sir Alexandre Macdonald en était le laird. « La première dignité après le laird est le Tacksman ou grand fermier, écrit Johnson dans ses mémoires ; il garde une partie du domaine qu’il travaille lui-même et loue le reste à des fermiers en sous-ordre. Il faut que le Tacksman soit un homme capable d’assurer au seigneur la rente entière de ses fermes et d’en répondre ; c’est ordinairement un de ses collatéraux. Les Tacks ou sous-fermes sont héréditaires ou au moins regardées comme telles. L’occupant est désigné par le nom de l’endroit où il réside ».

Quelques îles aux environs de Skye, bien que déchues, conservaient une prospérité relative. En descendant vers le sud, Johnson ne rencontra plus qu’une population misérable, en haillons ; quand il atteignit Iona il trouva la chapelle de Sainte Marguerite transformée en étable. Tous les autres bâtiments manquaient de fenêtres et de toitures ; les habitants les dégradaient eux-mêmes pour en utiliser les matériaux. Dans toute l’île, une seule maison possédait une cheminée. Deux habitants, dit il, parlaient l’Anglais, mais pas un seul ne savait lire et écrire ; ils étaient tous de la tribu de Mac-Lean, au nombre de 150 seulement et les plus stupides et les plus paresseux des insulaires ».

La religion catholique comptait encore quelques communautés ; d’ailleurs la tolérance régnait partout. Dans l’île de Caunay, par exemple, les habitants assistaient indifféremment aux instructions du pasteur ou du prêtre romain qui tous deux résidaient hors de l’île ; ils se contentaient du sermon de celui des deux qui avait pu arriver. La véritable religion des Hébridiens c’était surtout la routine. En parcourant l’île d’Arran que sa proximité de Glasgow aurait dû soustraire à la décadence, M. Pennant, compagnon du Dr Johnson découvre cet étrange usage de se faire saigner deux fois l’an, au printemps et à l’automne, usage qui du reste rend les habitants très sujets aux pleurésies. « Le duc de Hamilton propriétaire d’Arran, raconte le voyageur, tient pour cet effet un chirurgien à gages qui fait deux fois par an le tour de l’île. Dès qu’il arrive, les habitants s’assemblent autour d’un creux fait pour recevoir leur sang et tendent leurs bras. Ils parlent la langue erse mais ils ont quitté l’habit montagnard. Ils se nourrissent principalement de pommes de terre et de gruau d’avoine. Ils y ajoutent en hiver un peu de mouton ou de chevreau salé. Ils sont obligés de travailler sans relâche pour avoir de quoi payer les loyers de leurs fermes et se procurer leur nourriture et un chétif habillement. Ils ne songent point à bonifier leurs fermes dans la crainte qu’on n’en hausse le prix ou qu’on ne les donne à des étrangers. »

Aujourd’hui les îles Hébrides sont définitivement classées dans la catégorie des vieilles reliques. Dépeuplées depuis cent ans par la pauvreté et l’émigration, elles sont devenues des curiosités nationales. Elles sont fermées l’hiver. L’été une escadre de petits bateaux de plaisance se répand dans l’archipel ; quelques stations balnéaires se sont établies et forment des centres d’excursions : Stornoway, dans l’île de Lewis, Portree dans l’île de Skye, Tobermory dans l’île de Mull. Les ruines des monastères et des châteaux sont nombreuses ; les forteresses danoises ont presque disparu ; seuls les monuments druidiques sont demeurés intacts ; on y retrouve les dolmens, les allées, les alignements de la Bretagne et en face de ces énigmes de granit, on se demande pour la centième fois quelle était cette force inconnue qui transportait de pareilles masses et les posait en équilibre sur une pointe au sommet de laquelle elles oscillent depuis 1500 ans.

Maintenant que dans cette revue historique nous voici arrivés au vingtième siècle, allons terminer notre entretien sur le paquebot qui va nous conduire à la grotte de Fingal.


vi


Il y a de tout sur le paquebot : un orchestre, un restaurant, des boutiques ; les passagers se composent principalement d’Anglaises recouvertes de caoutchouc (car le temps est menaçant) et d’Anglais enfouis dans d’énormes capuchons d’où l’on voit sortir toutes les vingt secondes la fumée d’une pipe. Dans la salle à manger, il y a de grandes pièces de viandes et un régiment de sauces pimentées au vinaigre, à la moutarde et au poivre rouge. À l’étalage des boutiques un choix de photographies et d’images coloriées. Sur les pupitres des musiciens, le beau Danube bleu, une charmante valse composée récemment par un jeune Viennois de beaucoup d’avenir. Les gens pratiques vont déjeuner ; les gens poétiques écoutent la musique ; les nigauds achètent. Mais tout à l’heure il n’y aura plus que deux catégories : ceux qui regardent le paysage et ceux qui… regardent par dessus le bord. Il fait grand vent et la mer est démontée. Les îles sont splendides à travers la tempête. Des tourbillons d’écume indiquent çà et là les écueils ; tout à coup apparaît une masse sombre aux arêtes vives qui grandit peu à peu ; c’est Staffa.

Le steamer s’arrête ; l’île le protège. Mais le remous est si fort que les canots de débarquement montent et descendent sur ses flancs de la façon la plus incommode. Dix minutes après nous prenions pied sur des fûts de basalte symétriques comme les marches d’un escalier. Une promenade d’un mille nous conduira de l’autre côté de l’îlot à l’orifice de la grotte. Le plateau tacheté de trèfles incarnat sert de pâture à une vingtaine de moutons ; pas une butte, pas une broussaille. Dans le cercle d’horizon, une ceinture de roches noires. On dirait les sommets d’une chaîne de montagnes englouties dans la mer. Il a déjà été observé d’ailleurs que les rocs basaltiques se reproduisaient régulièrement dans ces parages dans la direction du Sud au Nord et à peu près sous le même méridien. La chaussée des géants (Irlande) se présente la première. Staffa lui succède ; puis vingt lieues plus loin le rocher d’Humbla et finalement les colonnes de Bris-Marwl dans l’île de Skye. Il est probable que la profondeur de l’océan recèle les chainons invisibles qui réunissent ces quatre points.

La grotte n’est pas immense ; elle mesuse 70 mètres de profondeur, mais on y sent l’abîme. L’œil ne pénètre pas dans les recoins obscurs des colonnades, et quand le flot qui vient d’entrer se retire, tout au fond, contre la sombre paroi qui la termine, il se produit un vide qui donne le vertige. Les eaux sont d’un vert d’émeraude, tacheté par les noirs piliers qui s’y enfoncent. Quant à ce mystérieux concert que Mendelsohn a cherché à rendre, c’est un murmure confus, sonore, produit par le chant régulier de la vague et accompagné par les trilles de l’eau sur le roc. Des cris indistincts sortis on ne sait d’où, des clameurs surhumaines en rompent l’harmonie monotone. Puis tous ces instruments semblent s’attendre pour frapper ensemble le dernier accord ; accord parfait qui vibre longtemps à l’oreille de celui qui l’a entendu, et marque dans la grotte de Fingal, les diverses phases d’une symphonie sans fin.

Les Anglais ne sont pas ultra-sentimentaux, mais ils sentent fort bien ce qui est grand. Dans la grotte de Fingal, le silence avait d’abord régné, un silence plein de respect, puis les voix avaient éveillé les échos séculaires ; enfin une chanson Écossaise avait retenti, vigoureusement attaquée par quatre jeunes gens. Le moment de s’en aller était venu. Les artistes improvisés ôtèrent leurs chapeaux, et entonnèrent d’une voix grave, aussi sérieux que s’ils chantaient un psaume — l’hymne national du Royaume-Uni, le God save the Queen.

Une heure plus tard, le steamer s’arrêtait de nouveau en face des ruines d’Iona. Nous avons assez parlé de cette île célèbre pour n’avoir rien à ajouter. Son cachet actuel est dans le pittoresque abandon où elle se trouve. Le duc d’Argyll à qui elle appartient, a fait ranger sur l’herbe côte à côte, les tombes qui subsistent. Il n’y a pas d’écriteaux, rien qui sente le musée ; les ruines s’élèvent dans une prairie qu’aucun chemin frayé ne traverse. Comme d’ailleurs on n’aperçoit à l’entour que de pauvres cabanes et des troupes d’enfants déguenillés qui vendent des coquillages, l’on échappe ainsi à cet étiquetage, à ce classement méthodique qui empoisonnent la visite des plus curieuses antiquités.

À quatre heures, le signal du départ est donné ; les touristes regagnent le quai en pataugeant ; car la pluie s’est mise de la partie, et bientôt Iona s’efface sous ses hachures pressées. Pour éviter le spectacle lamentable que présente le salon, demeurons sur la passerelle avec les jeunes misses vaillantes… Le spectacle y est curieux. Les musiciens qui se sont attachés par la taille recommencent le concert. De temps en temps, un paquet de mer qui les secoue rudement, met une mesure d’intervalle entre chaque violon ; alors il y a un petit chaos euphonique ; après quoi on se retrouve d’accord.


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