Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Moyen Âge/Livre 8/Chapitre 1

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Œuvres complètes de J. Michelet
(Histoire de Francep. 77-128).

LIVRE VIII


CHAPITRE PREMIER

Le duc d’Orléans, le duc de Bourgogne. — Meurtre du duc d’Orléans (1400-1407).


Il y a dans la personne humaine deux personnes, deux ennemis qui guerroient à nos dépens, jusqu’à ce que la mort y mette ordre. Ces deux ennemis, l’orgueil et le désir, nous les avons vus aux prises dans cette pauvre âme de roi. L’un a prévalu d’abord, puis l’autre ; puis, dans ce long combat, cette âme s’est éclipsée, et il n’y a plus eu où combattre. La guerre finie dans le roi, elle éclate dans le royaume ; les deux principes vont agir en deux hommes et deux factions, jusqu’à ce que cette guerre ait produit son acte frénétique, le meurtre ; jusqu’à ce que, les deux hommes ayant été tués l’un par l’autre, les deux factions, pour se tuer, s’accordent à tuer la France.

Cela dit, au fond tout est dit. Si pourtant on veut savoir le nom des deux hommes, nommons l’homme du plaisir, le duc d’Orléans, frère du roi ; l’homme de l’orgueil, du brutal et sanguinaire orgueil, Jean-sans-Peur, duc de Bourgogne.

Les deux hommes et les deux partis doivent se choquer dans Paris. Deux partis, deux paroisses ; nous les avons nommées déjà, celle de la cour, celle des bouchers, la folie de Saint-Paul, la brutalité de Saint-Jacques. La scène de l’histoire dit d’avance l’histoire même.


Louis d’Orléans, ce jeune homme qui mourut si jeune, qui fut tant aimé et regretté toujours, qu’avait-il fait pour mériter de tels regrets ? Il fut pleuré des femmes, et c’est tout simple, il était beau, avenant, gracieux[1] ; mais non moins regretté de l’Église, pleuré des saints… C’était pourtant un grand pécheur. Il avait, dans ses emportements de jeunesse, terriblement vexé le peuple ; il fut maudit du peuple, pleuré du peuple… Vivant, il coûta bien des larmes ; mais combien plus, mort !

Si vous eussiez demandé à la France si ce jeune homme était bien digne de tant d’amour, elle eût répondu : Je l’aimais[2]. Ce n’est pas seulement pour le bien qu’on aime ; qui aime, aime tout, les défauts aussi. Celui-ci plut comme il était, mêlé de bien et de mal. La France n’oublia jamais qu’en ses défauts mêmes elle avait vu poindre l’aimable et brillant esprit, l’esprit léger, peu sévère, mais gracieux et doux, de la Renaissance ; tel il se continua dans son fils, Charles d’Orléans, l’exilé, le poète[3], dans son bâtard Dunois, dans son petit-fils le bon et clément Louis XII.

Cet esprit, louez-le, blâmez-le, ce n’est pas celui d’un temps, d’un âge, c’est celui de la France même. Pour la première fois, au sortir du roide et gothique moyen âge, elle se vit ce qu’elle est, mobilité, élégance légère, fantaisie gracieuse. Elle se vit, elle s’adora. Celui-ci fut le dernier enfant, le plus jeune et le plus cher, celui à qui tout est permis, celui qui peut gâter, briser ; la mère gronde, mais elle sourit… Elle aimait cette jolie tête qui tournait celle des femmes ; elle aimait cet esprit hardi qui déconcertait les docteurs : c’était plaisir de voir les vieilles barbes de l’Université au milieu de leurs lourdes harangues, se troubler à ses vives saillies et balbutier[4]. Il n’en était pas moins bon pour les doctes, les clercs et les prêtres, pour les pauvres aumônier et charitable. L’Église était faible pour cet aimable prince ; elle lui passait bien des choses ; il n’y avait pas moyen d’être sévère avec cet enfant gâté de la nature et de la grâce.

De qui Louis tenait-il ces dons qu’il apporta en naissant ? De qui, sinon d’une femme ? De sa charmante mère apparemment, dont son mari même, le sage et froid Charles V, ne pouvait s’empêcher de dire : « C’est le soleil du royaume. » Une femme mit la grâce en lui, et les femmes la cultivèrent Et que serions-nous sans elles ? Elles nous donnent la vie (et cela, c’est peu), mais aussi la vie de l’âme. Que de choses nous apprenons près d’elles comme fils, comme amants ou amis… C’est par elles, pour elles, que l’esprit français est devenu le plus brillant, et, ce qui vaut mieux, le plus sensé de l’Europe. Ce peuple n’étudiait volontiers que dans les conversations des femmes ; en causant avec ces aimables docteurs qui ne savaient rien, il a tout appris[5].

Nous n’avons pas la galerie où le jeune Louis eut la dangereuse fatuité de faire peindre ses maîtresses. Nous connaissons assez mal les femmes de ce temps-là. J’en vois trois pourtant qui de près ou de loin tinrent au duc d’Orléans. Toutes trois, de père ou de mère, étaient Italiennes. De l’Italie partait déjà le premier souffle de la Renaissance ; le Nord, réchauffé de ce vent parfumé du Sud, crut sentir, comme dit le poète, « une odeur de Paradis[6] ».

De ces Italiennes, l’une fut la femme du duc d’Orléans, Valentina Visconti, sa femme, sa triste veuve, et elle mourut de sa mort. L’autre, Isabeau de Bavière (Visconti du côté maternel) fut sa belle-sœur, son amie, peut-être davantage. La troisième, dans un rang bien modeste, la chaste, la savante Christine[7], n’eut avec lui d’autre rapport que les encouragements qu’il donna à son aimable génie[8].

L’Italie, la Renaissance, l’art, l’irruption de la fantaisie, il y avait dans tout cela de quoi séduire et de quoi blesser. Ce jour du seizième siècle, qui éclatait brusquement dès la fin du quatorzième, dut effaroucher les ténèbres. L’art n’était-il pas une coupable contrefaçon de la nature ? Celle-ci n’a-t-elle pas assez de danger, assez de séduction, sans qu’une diabolique adresse la reproduise encore pour la perdition des âmes ? Cette perfide Italie, la terre des poisons et des maléfices, n’est-ce pas aussi le pays de ces miracles du Diable ?

C’étaient là les propos du peuple, ce qu’il disait tout haut. Joignez-y le silence haineux des scolastiques, qui voyaient bien que peu à peu il leur fallait céder la place. Derrière, appuyaient la foule des esprits secs et étroits, qui demandent toujours : À quoi bon ?… À quoi bon un tableau du Giotto, une miniature du beau Froissart, une ballade de Christine ?

De tels esprits sont toujours un grand peuple. Mais alors ils avaient pour eux un grave et puissant auxiliaire, la pauvreté publique, qui ne voyait dans les dépenses d’art et de luxe qu’une coupable prodigalité.

À ces mécontentements, à ces malveillances, à ces haines publiques ou secrètes, il fallait un envieux pour chef. La nature semblait avoir fait le duc de Bourgogne Jean-sans-Peur tout exprès pour haïr le duc d’Orléans. Il avait peu d’avantages physiques, peu d’apparence, peu de taille, peu de facilité[9]. Son silence habituel couvrait un caractère violent. Héritier d’une grande puissance, il tenta de grandes choses et échoua d’autant plus tristement. Sa captivité de Nicopolis coûta gros au royaume. Nourri d’amertume et d’envie, il souffrait cruellement de voir en face cette heureuse et brillante figure qui devait toujours l’éclipser. Avant que leur rivalité éclatât, avant que de secrets outrages eussent engendré en eux de nouvelles haines, il semblait être déjà le Caïn prédestiné de cet Abel.

L’équité nous oblige de faire remarquer avant tout que l’histoire de ce temps n’a guère été écrite que par les ennemis du duc d’Orléans. Cela doit nous mettre en défiance. Ceux qui le tuèrent en sa personne, ont dû faire ce qu’il fallait pour le tuer aussi dans l’histoire.

Monstrelet est sujet et serviteur de la maison de Bourgogne[10]. Le Bourgeois de Paris est un bourguignon furieux. Paris était généralement hostile au duc d’Orléans, et cela pour un motif facile à comprendre : le duc d’Orléans demandait sans cesse de l’argent ; le duc de Bourgogne défendait de payer.

Cette rancune de Paris n’a pas été sans influence sur le plus impartial des historiens de ce temps, sur le Religieux de Saint-Denis. Il n’a pu se défendre de reproduire la clameur de cette grande ville voisine. Le moine a pu céder aussi à celle du clergé, que le duc d’Orléans essayait indirectement de soumettre à l’impôt[11].

Il ne faut pas oublier que le duc d’Orléans, ne possédant rien, ou presque rien, hors du royaume, tirait toutes ses ressources de la France, de Paris surtout. Le duc de Bourgogne au contraire était, tout à la fois, un prince français et étranger ; il avait des possessions et dans le royaume et dans l’Empire ; il recevait beaucoup d’argent de la Flandre, et demandait plutôt des gens d’armes à la Bourgogne[12].

Remontons à la fondation de cette maison de Bourgogne. Nos rois ayant presque détruit le seul pouvoir militaire qui se trouvât en France, la féodalité, essayèrent, au treizième et au quatorzième siècle, d’une féodalité artificielle ; ils placèrent les grands fiefs dans la main des princes leurs parents. Charles V fit un grand établissement féodal. Tandis que son frère aîné, gouverneur du Languedoc, regardait vers la Provence et l’Italie, il donna la Bourgogne en apanage à son plus jeune frère, de manière à agir vers l’Empire et les Pays-Bas. Il fit pour ce dernier l’immense sacrifice de rendre aux Flamands Lille et Douai, la Flandre française[13], la barrière du royaume au nord, pour que ce frère épousât leur future souveraine, l’héritière des comtés de Flandre, d’Artois, de Rethel, de Nevers et de la Franche-Comté. Il espérait que dans cette alliance la France absorberait la Flandre, que les peuples étant réunis sous une même domination, les intérêts se confondraient peu à peu. Il n’en fut pas ainsi. La distinction resta profonde, les mœurs différentes, la barrière des langues immuable ; la langue française et wallone ne gagna pas un pouce de terrain sur le flamand[14]. La riche Flandre ne devint pas un accessoire de la pauvre Bourgogne[15]. Ce fut tout le contraire : l’intérêt flamand emporta la balance. Quel intérêt ? un intérêt hostile à la France, l’alliance commerciale de l’Angleterre, commerciale d’abord, puis politique.

Nous avons dit ailleurs comment la Flandre et l’Angleterre étaient liées depuis longtemps. S’il y avait mariage politique entre les princes de la France et de la Flandre, il y avait toujours eu mariage commercial entre les peuples de la Flandre et de l’Angleterre. Édouard III ne put faire son fils comte de Flandre ; Charles V fut plus heureux pour son frère. Mais ce frère, tout Français qu’il était, ne se fit accepter des Flamands qu’en se résignant aux relations indispensables de la Flandre et de l’Angleterre. Ces relations faisaient la richesse du pays, celle du prince. Toutefois, les Anglais qui depuis Édouard III avaient attiré beaucoup de drapiers de la Flandre[16], n’avaient plus tant de ménagements à garder avec les Flamands ; ils pillaient souvent leurs marchands, et secondaient les bannis de Flandre dans leurs pirateries. Le fameux Pierre Dubois, l’un des chefs de la révolution de Flandre en 1382, se fit pirate, et fut la terreur du détroit. En 1387, il enleva la flotte flamande qui chaque année allait à La Rochelle acheter nos vins du Midi[17]. La Flandre et le comte de Flandre étaient ruinés par ces pirateries, si ce comte ne devenait ou le maître ou l’allié de l’Angleterre. Ayant essayé en vain de s’en rendre maître (1386), il fallait qu’il en fût l’allié, qu’il y fit, s’il pouvait, un roi qui garantît cette alliance. Il y parvint en 1399, contre l’intérêt de la France.

Cette puissance de Bourgogne, ainsi partagée entre l’intérêt français et étranger, n’allait pas moins s’étendant et s’agrandissant. Philippe-le-Hardi compléta ses Bourgognes en achetant le Charolais (1390), ses Pays-Bas en faisant épouser à son fils l’héritière de Hainaut et de Hollande (1385). Le souverain de la Flandre, jusque-là serré entre la Hollande et le Hainaut, allait saisir ainsi deux grands postes, par la Hollande des ports sur l’Océan, c’était comme des fenêtres ouvertes sur l’Angleterre ; par le Hainaut des places fortes, Mons et Valenciennes, les portes de la France.

Voilà une grande et formidable puissance, formidable par son étendue et par la richesse de ses possessions, mais bien plus encore par sa position, par ses relations, touchant à tout, ayant prise sur tout. Il n’y avait rien en France à opposer à une telle force. La maison d’Anjou avait fondu en quelque sorte, dans ses vaines tentatives sur l’Italie. Le duc de Berri, lors même qu’il était gouverneur du Languedoc, n’y était pas sérieusement établi ; il n’était que le roi de Bourges. Le duc d’Orléans, frère du roi, s’était fait donner successivement l’apanage d’Orléans, puis une bonne part du Périgord et de l’Angoumois, puis les comtés de Valois, Blois et Beaumont, puis encore celui de Dreux. Il avait, par sa femme, une position dans les Alpes, Asti. C’étaient certes de grands établissements, mais dispersés ; ce n’était pas une grande puissance. Tout cela ne faisait point masse en présence de cette masse énorme et toujours grossissante des possessions du duc de Bourgogne.

Philippe-le-Hardi avait eu, à son grand profit, la part principale à l’administration du royaume sous la minorité de Charles VI, et bien au delà, jusqu’à ce qu’il eut vingt et un ans. Il l’avait perdue quelque temps, pendant le gouvernement des Marmousets, La Rivière, Clisson, Montaigu. La folie de Charles VI fut comme une nouvelle minorité ; cependant il devenait impossible de ne pas donner part, dans le gouvernement, au duc d’Orléans, frère du roi, qui en 1401 avait trente ans. Ce prince, héritier probable du roi malade et de ses enfants maladifs, avait apparemment autant d’intérêt au bien du royaume que le duc de Bourgogne, qui, s’étendant toujours vers l’Empire et les Pays-Bas, devenait de plus en plus un prince étranger. Toutefois, les légèretés du duc d’Orléans, ses passions, ses imprudences, lui faisaient tort ; la vivacité même de son esprit, ses qualités brillantes, mettaient en défiance. Son oncle, déjà âgé, solide sans éclat (comme il faut pour fonder), rassurait davantage. D’ailleurs, il était riche hors du royaume ; on pensait que le maître de la riche Flandre prendrait moins d’argent en France.

Ce fut un moment décisif, entre l’oncle et le neveu, que celui de la révolution d’Angleterre, en 1399. Tous deux avaient caressé le dangereux Lancastre, pendant son séjour au château de Bicêtre. Le duc d’Orléans en fit son frère d’armes, et se crut sûr de lui. Mais Lancastre, avec beaucoup de sens, préféra l’alliance du duc de Bourgogne, comte de Flandre. Celui-ci montra dans cette circonstance une extrême prudence. Il en avait besoin. Richard avait épousé sa petite-nièce, il était gendre du roi de France, et notre allié. Le duc de Bourgogne se serait perdu dans le royaume, s’il avait ostensiblement concouru à une révolution qui nous était si préjudiciable. Il ne laissa pas passer Lancastre par ses états ; il donna même ordre de l’arrêter à Boulogne, où il ne devait point aller. Lancastre fit le tour par la Bretagne, dont le duc était ami et allié du duc de Bourgogne ; ils lui donnèrent pour l’accompagner quelques gens d’armes, et leur homme, Pierre de Craon[18], l’assassin de Clisson, l’ennemi mortel du duc d’Orléans. C’étaient de faibles moyens, mais ce qu’ils y joignirent d’argent, on ne peut le deviner. Or, c’était surtout d’argent que Lancastre avait besoin ; les hommes ne manquaient pas en Angleterre pour en recevoir.

Ce ne fut pas tout. Le duc de Bretagne étant mort peu après, sa veuve, qui avait vu Lancastre à son passage, déclara qu’elle voulait l’épouser. Cette veuve était la fille du terrible ennemi de nos rois, de Charles-le-Mauvais. Rien n’était plus dangereux que ce mariage. Le duc de Bourgogne en détourna la veuve, comme il devait ; mais il eut le bonheur de ne pas être écouté ; le mariage se fit au grand profit du duc de Bourgogne, qui, malgré le duc d’Orléans, malgré le vieux Clisson, vint prendre la garde du jeune duc de Bretagne et de la Bretagne, et bâtit à Nantes même sa tour de Bourgogne[19].

Ainsi se formait autour du royaume un vaste cercle d’alliances suspectes. Le maître de la Franche-Comté, de la Bourgogne et des Pays-Bas se trouvait aussi maître de la Bretagne, ami du nouveau roi d’Angleterre et du roi de Navarre. La maison de Lancastre s’était alliée, en Castille, à la maison bâtarde de Transtamare, comme celle de Bourgogne s’unit plus tard à la maison non moins bâtarde de Portugal. Bourgogne, Bretagne, Navarre, Lancastre, toutes les branches cadettes se trouvaient ainsi liées entre elles, et avec les branches bâtardes du Portugal et de la Castille.

Contre cette conjuration de la politique, le duc d’Orléans se porta pour champion du vieux droit. Il prit cette cause en main dans toute la chrétienté, se déclarant pour Wenceslas contre Robert, pour le pape contre l’Université, pour la jeune veuve de Richard contre Henri IV. Après avoir provoqué un duel de sept Français contre sept Anglais, il jeta le gant à son ancien frère d’armes, pour venger la mort de Richard II[20]. Il lui reprochait de plus d’avoir manqué, dans la personne de la veuve, Isabelle de France, à tout ce qu’un homme noble devait « aux dames veuves et pucelles[21] ». Il lui demandait un rendez-vous aux frontières, où ils pourraient combattre chacun à la tête de cent chevaliers.

Lancastre répondit, avec la morgue anglaise, qu’il n’avait vu nulle part que ses prédécesseurs eussent été ainsi défiés par gens de moindre état ; ajoutant, dans le langage hypocrite du parti ecclésiastique qui l’avait mis sur le trône, que ce qu’un prince fait, « il le doit faire à l’honneur de Dieu, et comme profit de toute chrestienté ou de son royaume, et non pas pour vaine gloire ni pour nulle convoitise temporelle[22] ».

Henri IV avait de bonnes raisons pour refuser le combat ; il avait bien autre chose à faire chez lui ; il ne voyait qu’ennemis autour de lui ; ce trône tout nouveau branlait. Le duc de Bourgogne lui rendit le service de faire continuer la trêve avec la France.

Ces affaires d’Angleterre et de Bretagne sont déjà une guerre indirecte entre les ducs d’Orléans et de Bourgogne. La guerre va devenir directe, acharnée. Le neveu essaye d’attaquer l’oncle dans les Pays-Bas ; l’oncle attaque et ruine le neveu en France, à Paris.

Le duc d’Orléans, battu par son habile rival dans l’affaire de Bretagne, fit une chose grave contre lui ; si grave que la maison de Bourgogne dut vouloir dès lors sa ruine. Il se fit un établissement au milieu des possessions de cette maison, parmi les petits états qu’elle avait ou qu’elle convoitait ; il acheta le Luxembourg, se logeant comme une épine au cœur du Bourguignon, entre lui et l’Empire, à la porte de Liège, de manière à donner courage aux petits princes du pays, par exemple au duc de Gueldre. Le duc d’Orléans paya ce duc pour faire ce qu’il avait toujours fait, pour piller les Pays-Bas.

Louis d’Orléans ayant engagé ce condottiere au service du roi, il l’amène à Paris avec ses bandes ; et, d’autre part, il fait venir des Gallois des garnisons de Guyenne. Le duc de Bourgogne y accourt ; l’évêque de Liège lui amène du renfort ; une foule d’aventuriers du Hainaut, de Brabant, de l’Allemagne, arrivent à la file. Le duc d’Orléans, de son côté, se fortifie des Bretons de Clisson, d’Écossais, de Normands. Paris se mourait de peur. Mais il n’y eut rien encore ; les deux rivaux se mesurèrent, se virent en force, et se laissèrent réconcilier.

Le duc de Bourgogne n’avait pas besoin d’une bataille pour perdre son neveu ; il n’y avait qu’à le laisser faire : il avait pris un rôle impopulaire qui le menait à sa ruine. Le duc d’Orléans voulait la guerre, demandait de l’argent au peuple, au clergé même. Le duc de Bourgogne voulait la paix (le commerce flamand y avait intérêt) ; riche d’ailleurs, il se popularisait ici par un moyen facile, il défendait de payer les taxes. Si l’on en croyait une tradition conservée par Meyer, historien flamand, ordinairement très partial pour la maison de Bourgogne, les princes de cette maison, ulcérés par les tentatives galantes du duc d’Orléans sur la femme du jeune duc de Bourgogne, auraient organisé contre leur ennemi un vaste système d’attaques souterraines, le représentant partout au peuple comme l’unique auteur des taxes sous le poids desquelles il gémissait, le désignant à la haine publique, préparant longuement, patiemment l’assassinat par la calomnie[23].

Il n’y aurait eu pour le duc d’Orléans qu’un moyen de sortir de cette impopularité, une guerre glorieuse contre l’Anglais. Mais pour cela il fallait de l’argent. L’Église en avait. Le duc d’Orléans fit ordonner un emprunt général, dont les gens d’Église ne seraient point exempts. Mais le duc de Bourgogne se mit du côté du clergé, et l’encouragea à refuser l’emprunt. Une ordonnance de taxe générale fut de même inutile. Le duc de Bourgogne déclara que l’ordonnance mentait, en se disant consentie par les princes, que ni lui ni le duc de Berri n’y avaient consenti ; que si les coffres du roi étaient vides, ce n’était pas du sang des peuples qu’il fallait les remplir ; qu’il fallait faire regorger les sangsues ; que pour lui, il voulait bien qu’on sût que s’il eût autorisé cette nouvelle exaction, il aurait emboursé deux cent mille écus pour sa part.

Qu’on juge si de telles paroles étaient bien reçues du peuple. Le duc de Bourgogne eut tout le monde pour lui. On l’appela, on le mit à l’œuvre, et alors il ne fut pas médiocrement embarrassé. Après avoir tant déclamé contre les taxes, il n’en pouvait guère lever lui-même. Il lui fallut avoir recours à un étrange expédient. Il envoya dans toutes les villes du royaume des commissaires du parlement pour examiner les contrats entre particuliers et frapper d’amendes arbitraires ceux qu’ils trouveraient usuraires ou frauduleux[24]. Tous ceux « qui auraient vendu trop cher de moitié » devaient être punis. Cette absurde et impraticable inquisition ne produisit pas grand’chose.

Le duc d’Orléans reprit son influence. Il s’était étroitement lié avec le pape Benoît XIII ; ce pape ayant enfin échappé aux troupes qui l’assiégeaient dans Avignon, le duc surprit au roi une ordonnance qui restituait au pape l’obédience du royaume ; l’Université en rugit. D’autre part, le duc, s’étant lié étroitement avec sa belle-sœur Isabeau, la fit entrer dans le conseil, et s’y trouva prépondérant. Il parut ainsi maître et de l’Église et de l’État, c’est-à-dire que dès lors tout ce qui se fit d’impopulaire retomba sur lui.

Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que le parti d’Orléans ne fût le seul qui agît pour la France et contre l’Anglais, qui sentît qu’on devait profiter de l’agitation de ce pays[25], qui tentât des expéditions. Je vois en 1403 les Bretons de ce parti mettre une flotte en mer et battre les Anglais[26]. Plus tard des secours sont envoyés aux chefs gallois, avec lesquels le roi fait alliance[27]. Je vois l’homme du duc d’Orléans, le connétable d’Albret, faire une guerre heureuse en Guyenne[28]. On envoie en Castille pour demander les secours d’une flotte contre les Anglais. Une transaction utile leur ferme la Normandie ; on tire Cherbourg et Évreux des mains suspectes du roi de Navarre, en le dédommageant ailleurs.

En 1404, tout le royaume souffrant des courses des Anglais, un grand armement fut ordonné, une lourde taxe. Tout l’argent fut placé dans une tour du palais, pour n’en sortir que du consentement des princes. Le duc d’Orléans n’attendit pas ce consentement ; il vint la nuit forcer la tour et en tira l’argent[29]. C’était un acte violent, injustifiable, une sorte de vol. Toutefois, quand on songe que le duc de Bourgogne venait d’abandonner le comte de Saint-Pol aux vengeances de l’Anglais[30], quand on songe que le duc de Berri avait fait manquer l’invasion de 1386, et qu’il empêcha encore le roi de combattre en 1415, on comprend que jamais ces princes n’auraient employé cet argent contre les ennemis du royaume.

L’armement se fit à Brest, une flotte fut préparée. Elle devait être conduite dans le pays de Galles par le comte de La Marche, prince de la maison de Bourbon, qui était agréable aux deux partis. Mais ce prince fit ce que le duc de Berri avait fait autrefois. Il s’obstina à ne bouger de Paris ; il y resta d’août en novembre pour les fêtes d’un double mariage entre les princes de la maison de Bourgogne et les enfants du roi. On allégua que le vent était contraire. Et en effet, on voit bien qu’il soufflait d’Angleterre ; les Anglais étaient instruits de tout par des traîtres ; ils avaient ici des agents à qui ils payaient pension ; ils pensionnaient entre autres le capitaine de Paris[31]. Le nouveau duc de Bourgogne, Jean-sans-Peur, avait d’ailleurs intérêt à ne pas commencer par déplaire aux Flamands en leur fermant l’Angleterre. Il conclut au contraire une trêve marchande avec les Anglais[32].

L’habile et heureux fondateur de la maison de Bourgogne était mort au milieu de la crise (1404), au moment où il venait encore de mettre un de ses fils en possession du Brabant. Il avait recueilli tous les fruits de sa politique égoïste[33] ; il s’était constamment servi des ressources de la France, de ses armées, de son argent, et avec cela il mourut populaire, laissant à son fils, Jean-sans-Peur, un grand parti dans le royaume.

Philippe-le-Hardi était, dans son intérieur, un homme rangé et régulier ; il n’eut d’autre femme que sa femme, la riche et puissante héritière des Flandres et de tant de provinces, et qui lui aidait à les maintenir. Il fut toujours bien avec le clergé ; il le défendait volontiers au conseil du roi ; du reste, donnant peu aux églises.

On ne lui reproche aucun acte violent. Eut-il connaissance de l’assassinat de Clisson et de l’empoisonnement de l’évêque de Laon ? La chose est possible, mais encore moins prouvée.

Ce politique mettait dans toute chose un faste royal, qu’on pouvait prendre pour de la prodigalité, et qui sans doute était un moyen. Le culte était célébré dans sa maison avec plus de pompe que chez aucun roi ; la musique surtout nombreuse, excellente. Dans les occasions publiques, dans les fêtes, il tenait à éblouir et jetait l’argent. Lorsqu’il alla recevoir, à Lélinghen, Isabelle de France, veuve de Richard II, qu’Henri IV renvoyait, il déploya un luxe incroyable, inconvenant dans une si triste circonstance ; mais il voulait sans doute imposer à ses amis les Anglais. Au reste, il ne lui en coûta rien, il profita de cette dépense pour se donner, au nom du roi de France, une énorme pension de trente-six mille livres. Il en fut de même au mariage de son second fils ; il donna à tous les seigneurs des Pays-Bas qui y assistaient, des robes de velours vert et de satin blanc, et leur distribua pour dix mille écus de pierreries ; il avait pourvu d’avance à ces dépenses en se faisant assigner, sur le trésor de France, une somme de cent quarante mille francs.

La rançon de son fils, loin de lui coûter, fut pour lui une occasion de lever des sommes énormes. Indépendamment de tout ce qu’il tira de la Bourgogne, de la Flandre, etc., il s’assigna, au nom du roi, quatre-vingt mille livres. Nous voyons le même fils, à peine de retour, tirer encore, l’année suivante, douze mille livres de Charles VI[34]. Cette maison si riche ne méprisait pas les plus petits gains.

Le duc de Bourgogne n’aimait pas à payer. Ses trésoriers n’acquittaient rien, pas même les dépenses journalières de sa maison[35]. Quoiqu’il laissât à sa mort une masse énorme, inestimable, de meubles, de joyaux, d’objets précieux, il y avait lieu de craindre qu’ils ne suffissent point à payer tant de créanciers. Plutôt que de toucher aux immeubles, la veuve se décida à renoncer à la succession des biens mobiliers.

Ce n’était pas chose simple, au moyen âge, que cession et renonciation. Le débiteur insolvable faisait triste figure ; il devait se dégrader lui-même de chevalerie en s’ôtant le ceinturon. Dans certaines villes, il fallait que, par-devant le juge et sous les huées de la foule, « il frappât du cul sur la pierre[36] ». La cession du débiteur était honteuse. La renonciation de la veuve était odieuse et cruelle. Elle venait déposer les clefs sur le corps du défunt, comme pour lui dire qu’elle lui rendait sa maison, renonçant à la communauté, et n’ayant plus rien à voir avec lui ; elle reniait son mariage[37]. Il n’y avait guère de pauvre femme qui se décidât à boire une telle honte, à briser ainsi son cœur… Elles donnaient plutôt leur dernière chemise.

La duchesse de Bourgogne ne recula pas. Cette femme d’une audace virile accomplit bravement la cérémonie[38]. Elle descendait, comme Charles-le-Mauvais, de cette violente Espagnole Jeanne de Navarre et de Philippe-le-Bel[39]. La petite-fille de Jeanne, Marguerite, avait fondé avec non moins de violence la maison de Bourgogne. On dit que, voyant son fils le comte de Flandre hésiter à accepter pour gendre Philippe-le-Hardi, elle lui montra sa mamelle, et lui dit que, s’il ne consentait, elle trancherait le sein qui l’avait nourri. Ce mariage, comme nous l’avons vu, mit tout un empire dans les mains de la maison de Bourgogne. La seconde Marguerite, petite-fille de l’autre, femme de Philippe-le-Hardi, digne mère de Jean-sans-Peur, aima mieux faire cette banqueroute solennelle que de diminuer d’un pouce de terre les possessions de sa maison. Elle connaissait son temps, cet âge de fer et de plomb. Ses fils n’y perdirent rien, ils n’en furent pas moins honorés ni moins populaires. Une telle audace fit peur ; on sut ce qu’on avait à craindre de ces princes.

La mort de Philippe-le-Hardi semblait laisser le duc d’Orléans maître du conseil. Il en profita pour se faire donner des places qui couvraient Paris au nord, Couci, Ham, Soissons. Avec la Fère, Châlons, Château-Thierry, Orléans et Dreux, il possédait ainsi une ceinture de places autour de Paris. Le duc de Bourgogne avait pris, il est vrai, au Midi le poste important d’Étampes[40].

Le duc d’Orléans obtint de son pape une défense au nouveau duc de Bourgogne de se mêler des affaires du royaume[41]. Pour que cette défense signifiât quelque chose, il fallait être le plus fort. Il ne put empêcher Jean-sans-Peur d’entrer au conseil, et non seulement lui, mais trois autres qui n’étaient qu’un avec lui, ses frères, les ducs de Limbourg et de Nevers, et son cousin le duc de Bretagne. Jean-sans-Peur, suivant la politique de son père, commença par se déclarer contre la taille que faisait ordonner le duc d’Orléans pour la continuation de la guerre, déclarant qu’il empêcherait ses sujets de la payer. Paris, encouragé, n’avait pas envie de payer non plus. En vain, les crieurs qui proclamaient la taxe annonçaient en même temps que celle de l’année dernière avait été bien employée, qu’on avait repris plusieurs places du Limousin. Le peuple de Paris ne se souciait du Limousin ni du royaume ; il ne paya point. Les prisons se remplirent, les places se couvrirent de meubles à l’encan. L’exaspération était telle qu’il fallut défendre, à son de trompe, de porter ni épée ni couteau[42].

Tout porte à croire que les impôts n’étaient pas excessifs, quoi qu’en disent les contemporains. La France était redevenue riche par la paix ; la main-d’œuvre était à haut prix dans les villes. Le fisc levait plus facilement six francs par feu qu’il n’aurait levé un franc cinquante ans auparavant[43]. Mais cet argent était levé avec une violence, une précipitation, une inégalité capricieuses, plus funestes que l’impôt même.

Que le peuple eût ou n’eût pas d’argent, il n’en voulait pas donner. On lui disait que la reine faisait passer en Allemagne tout ce que le duc d’Orléans ne gaspillait pas. On avait, disait-on, arrêté à Metz six charges d’or que la Bavaroise envoyait chez elle[44]. Les esprits les plus sages accueillaient ces bruits ; le grave historien du temps croit que la taxe précédente avait fourni la somme monstrueuse de huit cent mille écus d’or[45], et que le duc et la reine avaient tout mangé. Pour juger ces assertions, pour apprécier l’ignorance et la malveillance avec laquelle on raisonnait des ressources du royaume, il faut voir le beau plan que le parti du duc de Bourgogne proposait pour la réforme des finances. « Il y a, disait-on, dans le royaume dix-sept cent mille villes, bourgs et villages ; ôtons-en sept cent mille qui sont ruinés ; qu’on impose les autres à vingt écus seulement par an, cela fera vingt millions d’écus ; en payant bien les troupes, la maison du roi, les collecteurs et receveurs, en réservant même quelque chose pour réparer les forteresses, il restera trois millions dans les coffres du roi[46]. » Ce calcul de dix-sept cent mille clochers est justement celui sur lequel s’appuie le facétieux recteur de la Satire Ménippée.

Rien ne servit mieux le parti bourguignon que le sermon d’un moine augustin contre la reine et le duc. La reine pourtant était présente. Le saint homme ne parla qu’avec plus de violence, et probablement sans bien savoir qui il servait par cette violence. Il n’y a pas de meilleur instrument pour les factions que ces fanatiques qui frappent en conscience. Dans sa harangue, il attaquait pêle-mêle les prodigalités de la cour, les abus, les nouveautés en général, la danse, les modes, les franges, les grandes manches[47]. Il dit, en face de la reine, que sa cour était le domicile de dame Vénus, etc.[48].

On en parla au roi, qui, loin de se fâcher, voulut aussi l’entendre. Devant le roi, il en dit encore plus : que les tailles n’avaient servi à rien ; que le roi même était vêtu du sang et des larmes du peuple ; que le duc (il ne le désignait pas autrement) était maudit, et que, sans doute, Dieu ferait passer le royaume dans une main étrangère[49].

Le duc d’Orléans, si violemment attaqué, n’essayait point de regagner les esprits. On l’accusait de prodigalité ; il n’en fut que plus prodigue ; il y avait trop peu d’argent pour la guerre, il y en avait assez pour les fêtes, les amusements. Éloigné si longtemps du gouvernement par ses oncles, sous prétexte de jeunesse, il restait jeune en effet ; il avait passé la trentaine, et n’en était que plus ardent dans ses folles passions. À cet âge d’action, l’homme que les circonstances empêchent d’agir, se retourne avec violence vers la jeunesse qui s’en va, vers les caprices d’un autre âge ; mais il y porte une fantaisie tout autrement difficile, insatiable ; tout y passe, rien n’y suffit ; le plaisir d’abord, mais c’est bientôt fini ; puis, dans le plaisir, l’aigre saveur du péché secret ; puis le secret dédaigné, les jouissances insolentes du bruit, du scandale.

La petite reine de Charles VI n’était pas ce qu’il lui fallait ; il n’aimait que les grandes dames, c’est-à-dire les aventures, les enlèvements, les folles tragédies de l’amour. Il prit ainsi chez lui la dame de Canny, et il la garda, au vu et au su de tout le monde, jusqu’à ce qu’il en eut un fils. Ce fut le fameux Dunois.

Fut-il l’amant des deux Bavaroises, de Marguerite, femme de Jean-sans-Peur, et de la reine Isabeau, propre femme de son frère, la chose n’est pas improbable. Ce qui est sûr, c’est qu’il semblait fort uni avec Isabeau au conseil et dans les affaires ; une si étroite alliance d’un jeune homme trop galant avec une jeune femme qui se trouvait comme veuve du vivant de son mari, n’était rien moins qu’édifiante.

Maître de la reine, il semblait vouloir l’être du royaume. Il profita d’une rechute de son frère pour se faire donner par lui le gouvernement de la Normandie. Cette province, la plus riche de toutes, avait été convoitée par le feu duc de Bourgogne. Le duc d’Orléans, qui ne pouvait plus tirer d’argent de Paris, eût trouvé là d’autres ressources. C’était aussi des ports de Normandie qu’il eût pu le mieux diriger contre l’Angleterre, les capitaines de son parti. L’expédition du comte de La Marche, préparée à Brest, n’avait abouti à rien ; elle eût peut-être réussi en partant d’Honfleur ou de Dieppe. Les Normands, sans doute encouragés sous main par le parti de Bourgogne, reçurent fort mal leur nouveau gouverneur ; il essaya en vain de désarmer Rouen[50]. Il y avait une grande imprudence à irriter ainsi cette puissante commune. Les capitaines des villes et forteresses gardèrent leurs places, contre lui, jusqu’à nouvel ordre du roi.

Cette tentative du duc d’Orléans sur la Normandie excita de grandes défiances contre lui dans l’esprit de Charles VI, lorsqu’il eut une lueur de bon sens. On s’adressa aussi à son orgueil. On lui apprit dans quel honteux abandon sa femme et son frère le laissaient[51] ; on lui dit que ses serviteurs n’étaient plus payés, que ses enfants étaient négligés, qu’il n’y avait plus moyen de faire face aux dépenses de sa maison. Il demanda au dauphin ce qui en était, l’enfant dit oui, et que depuis trois mois la reine le caressait et le baisait pour qu’il ne dît rien[52].

On obtint ainsi de Charles VI qu’il appelât le duc de Bourgogne ; celui-ci, sous prétexte de faire hommage de la Flandre, vint avec un cortège qui était plutôt une armée. Il amenait avec lui la foule de ses vassaux et six mille hommes d’armes. La reine et le duc d’Orléans se sauvèrent à Melun. Les enfants de France devaient les suivre le lendemain ; mais le duc de Bourgogne arriva à temps pour les arrêter[53].

Il avait besoin du jeune dauphin[54]. En l’absence du roi, il lui fit présider un conseil, composé des princes, des conseillers ordinaires, où, de plus, on avait appelé, chose nouvelle, le recteur et force docteurs de l’Université[55]. Là, maître Jean de Nyelle, un docteur de l’Artois, serviteur du duc de Bourgogne, prononça une longue harangue sur les abus dont son maître demandait la réforme. Il termina en accusant le duc d’Orléans de négliger la guerre des Anglais, montrant comment cette guerre était juste, prétendant qu’avec les subsides annuels, les tailles générales et l’emprunt fait récemment aux riches et aux prélats, on pouvait bien la soutenir.

On ne peut que s’étonner d’un tel discours, lorsqu’on voit qu’alors même le duc de Bourgogne, comme comte de Flandre, venait de traiter avec les Anglais, et que, de plus, il avait donné l’exemple de ne rien payer pour la guerre. Le parti d’Orléans, à ce moment même, reprenait dix-huit petites places, puis soixante dans la Guyenne. Le comte d’Armagnac leur offrait la bataille sous les murs de Bordeaux[56]. Le sire de Savoisy fit une course heureuse contre les Anglais. Des secours furent envoyés aux Gallois. Les chefs de ces expéditions, Albret, Armagnac, Savoisy, Rieux, Duchâtel, étaient tous du parti d’Orléans.

L’exaspération de Paris contre les taxes, la jalousie des princes contre le duc d’Orléans, rendirent un moment Jean-sans-Peur maître de tout. Le roi de Navarre, le roi de Sicile, le duc de Berri, déclarèrent que tout ce que le duc de Bourgogne avait fait était bien fait. Le clergé et l’Université prêchèrent en ce sens. Puis, les princes allèrent un à un à Melun prier le duc d’Orléans de ne plus assembler de troupes, et de laisser la reine revenir dans sa bonne ville. Le vieux duc de Berri s’emporta jusqu’à dire à son neveu qu’il n’y avait aucun des princes qui ne le tînt pour ennemi public ; à quoi le duc d’Orléans répliqua seulement : « Qui a bon droit, le garde[57] ! »

Il répondit aussi à l’ambassade de l’Université, au recteur, aux docteurs, qui venaient le sermonner sur les biens de la paix. Il les harangua à son tour en langue vulgaire, mais dans leur style, opposant syllogisme à syllogisme, citation à citation. Il concluait par les paroles suivantes, auxquelles il n’y avait, ce semble, rien à répondre : « L’Université ne sait pas que le roi étant malade et le dauphin mineur, c’est au frère du roi qu’il appartient de gouverner le royaume. Et comment le saurait-elle ? L’Université n’est pas française ; c’est un mélange d’hommes de toute nation[58] ; ces étrangers n’ont rien à voir dans nos affaires… Docteurs, retournez à vos écoles. Chacun son métier. Vous n’appelleriez pas apparemment des gens d’armes à opiner sur la foi[59]. » Et il ajouta d’un ton plus léger : « Qui vous a chargés de négocier la paix entre moi et mon cousin de Bourgogne ? Il n’y a entre nous ni haine ni discorde[60]. »

Le duc de Bourgogne comptait sur Paris. Il avait achevé de gagner les Parisiens par la bonne discipline de ses troupes, qui ne prenaient rien sans payer. Les bourgeois avaient été autorisés à se mettre en défense, à refaire les chaînes de fer qui barraient les rues ; on en forgea plus de six cents en huit jours. Mais quand il voulut mener plus loin les Parisiens, et les décider à le suivre contre le duc d’Orléans, ils refusèrent nettement. Ce refus rendit la réconciliation plus facile. Les princes consentirent à un rapprochement. Les deux partis avaient à craindre la disette. Le duc d’Orléans rentra dans Paris, toucha dans la main du duc de Bourgogne[61], et consentit aux réformes qu’il avait proposées. Quelques suppressions d’officiers, quelques réductions de gages, ce fut toute la réforme. Mais la discorde restait la même entre les princes. Le duc d’Orléans, doux et insinuant, avait trouvé moyen de regagner son oncle de Berri et presque tout le conseil ; il reprenait peu à peu le pouvoir. On essaya bientôt d’un nouvel accord aussi inutile que le premier.

Il n’y avait qu’une chance de paix ; c’était le cas où les Anglais, par leurs pirateries, par leurs ravages autour de Calais, décideraient le duc de Bourgogne, comte de Flandre, à agir sérieusement contre eux, et à s’arranger avec le duc d’Orléans. On put croire un moment que les ennemis de la France lui rendraient ce service. En 1405, les Anglais, voyant que Philippe-le-Hardi était mort, crurent avoir meilleur marché de la veuve et du jeune duc ; ils tentèrent de s’emparer du port de l’Écluse. Et ceci ne fut pas une tentative individuelle, un coup de piraterie, mais bien une expédition autorisée, par une flotte royale, et sous la conduite du duc de Clarence, le propre fils d’Henri IV. C’était justement le moment où le nouveau comte de Flandre venait de renouveler les trêves marchandes avec les Anglais[62].

Voilà les princes d’accord pour agir contre l’ennemi. Le duc de Bourgogne se charge d’assiéger Calais, tandis que le duc d’Orléans fera la guerre en Guyenne. Calais et Bordeaux étaient bien les deux points à attaquer, mais ce n’était pas trop des forces réunies du royaume pour une seule des deux entreprises ; les tenter toutes deux à la fois, c’était tout manquer.

Calais ne pouvait guère se prendre que l’hiver et par un coup de main ; c’est ce que vit plus tard le grand Guise[63]. Le duc de Bourgogne avertit longuement l’ennemi par d’interminables préparatifs ; il rassembla des troupes considérables, des munitions infinies, douze cents canons[64], petits il est vrai. Il prit le temps de bâtir une ville de bois pour enfermer la ville. Pendant qu’il travaille et charpente, les Anglais ravitaillent la place, l’arment, la rendent imprenable.

Le duc d’Orléans ne réussit pas mieux. Il commença la campagne trop tard, comme à l’ordinaire, se mettant en route lorsqu’il eût fallu revenir. On lui disait bien pourtant qu’il ne trouverait plus rien dans la campagne, ni vivres ni fourrages, que l’hiver approchait ; il répondait avec légèreté que la gloire en serait plus grande d’avoir à vaincre l’Anglais et l’hiver.

Les Gascons qui l’avaient appelé, se ravisèrent et ne l’aidèrent point[65]. N’ayant qu’une petite armée de cinq mille hommes, il ne pouvait se hasarder d’attaquer Bordeaux ; il aurait voulu du moins en saisir les approches ; il tâta Blaye, puis Bourg. Le siège traîna dans la mauvaise saison ; les vivres manquèrent, une flotte qui en apportait de La Rochelle fut prise en mer par les Anglais. Les troupes affamées se débandèrent. Le duc d’Orléans s’obstinait à ce malheureux siège, sans espoir, mais s’étourdissant, jouant la solde des troupes, n’osant revenir.

Il savait bien ce qui l’attendait à Paris. Le duc de Bourgogne y était déjà, il ameutait le peuple contre lui, le désignait comme l’ami des Anglais, l’accusait d’avoir détourné pour sa belle expédition de Guyenne l’argent avec lequel on eût pris Calais[66]. Paris était fort ému, l’Université, le clergé même. Le duc d’Orléans avait récemment irrité l’évêque et l’Église de Paris ; à son départ pour la Guyenne, il avait été à Saint-Denis baiser les os du patron de la France ; ceux de Paris qui prétendaient avoir les vraies reliques du saint, ne pardonnèrent pas au duc de décider ainsi contre eux.

Peu à peu, Paris devenait unanime contre le duc d’Orléans. Les gens de l’Université de Paris couvaient contre lui une haine profonde, haine de docteurs, haine de prêtres. D’abord, il était l’ami du pape leur ennemi, il faisait donner les bénéfices à d’autres qu’aux universitaires, il les affamait. Autre crime : à l’Université de Paris il opposait les universités d’Orléans, d’Angers, de Montpellier et de Toulouse, toutes favorables au pape d’Avignon[67]. Il soutenait, comme on l’a vu, que l’Université de Paris n’était pas française, que, composée en grande partie d’étrangers, elle ne pouvait s’immiscer dans les affaires du royaume. C’étaient là de terribles griefs auprès de nos docteurs. Peut-être cependant lui auraient-ils à la rigueur pardonné tout cela ; mais, ce qui était bien autrement grave pour des lettrés, décidément irrémissible et inexpiable, il se moquait d’eux.

Déjà surannée, pour la science et l’enseignement, l’Université de Paris avait atteint l’apogée de sa puissance. Elle était devenue, pour ainsi dire, l’autorité. Depuis plus d’un siècle, cette vieille aînée des rois avait parlé haut dans la maison de son père, fille équivoque[68] en soutane de prêtre, et, comme les vieilles filles, aigre et colérique. Le roi aussi l’avait gâtée, ayant besoin d’elle contre les Templiers, contre les papes. Dans le grand schisme, elle se chargea de choisir pour la chrétienté, et choisit Clément VII ; puis elle humilia son pape.

C’était pour le roi un instrument peu sûr, et qui souvent le blessait lui-même. Au moindre mécontentement l’Université venait lui déclarer que la Fille des rois, lésée dans ses privilèges, irait, brebis errante[69], chercher un autre asile. Elle fermait ses classes, les écoliers se dispersaient, au grand dommage de Paris. Alors on se hâtait de courir après eux, de finir la secessio, de rappeler la gens togata du mont Aventin.

L’Université ne s’en tint pas à ces moyens négatifs. Bientôt, associée au petit peuple, elle donna ses ordres à l’hôtel Saint-Paul, et traita le roi presque aussi mal qu’elle avait traité le pape. Dans cette éclipse misérable de la papauté, de l’empire, de la royauté, l’Université de Paris trônait, férule en main, et se croyait reine du monde.

Et il y avait bien quelque raison dans cette absurdité. Avant l’imprimerie, avant la domination de la presse, sous laquelle nous vivons, toute publicité était dans l’enseignement oral, que dispensaient les universités ; or, la première et la plus influente de toutes était celle de Paris.

Puissance immense, à peu près sans contrôle. Et dans quelles mains se trouvait-elle ? Aux mains d’un peuple de docteurs, aigris par la misère, en qui d’ailleurs la haine, l’envie, les mauvaises passions avaient été soigneusement cultivées par une éducation de polémique et de dispute. Ces gens arrivaient à la puissance, ils devaient montrer bientôt combien l’éristique sèche et durcit la fibre morale, comment, portée du raisonnement dans la réalité, elle continue d’abstraire, abstrait la vie et raisonne le meurtre, comme toute autre négation.

De bonne heure, l’Université avait commencé la guerre contre le duc d’Orléans. Dès 1402, elle déclara les ennemis de la soustraction d’obédience, les amis du pape, pécheurs et fauteurs du schisme. Le prince si clairement désigné demanda réparation ; mais le même soir, l’un des plus célèbres docteurs et prédicateurs, Courtecuisse, renouvela l’invective.

Deux ans après, l’Université saisit une occasion de frapper un des principaux serviteurs du duc d’Orléans et de la reine, le sire de Savoisy. Ce seigneur, qui avait fait des expéditions heureuses contre les Anglais, avait autour de lui une maison toute militaire, des serviteurs insolents, des pages fort mal disciplinés ; un de ceux-ci donna des éperons à son cheval tout au travers d’une procession de l’Université ; les écoliers le souffletèrent, les gens de Savoisy prirent parti, poursuivirent les écoliers, qui se jetèrent dans Sainte-Catherine ; des portes, ils tirèrent au hasard dans l’église, au grand effroi du prêtre qui disait la messe en ce moment. Plusieurs écoliers furent blessés. Savoisy eut beau demander pardon à l’Université, et offrir de livrer les coupables[70]. Il fallut qu’il perpétuât le souvenir de son humiliation, en fondant une chapelle de cent livres de rentes ; que son propre hôtel, l’un des plus beaux d’alors, fût démoli de fond en comble. Les peintures admirables dont il était décoré, ne purent toucher les scolastiques[71]. La démolition se fit à grand bruit, au son des trompettes qui proclamaient la victoire de l’Université[72].

Elle avait suspendu ses leçons, et défendu les prédications, jusqu’à ce qu’elle eût obtenu cette réparation éclatante. Elle usa du même moyen lorsque Benoît XIII s’étant échappé d’Avignon, le duc d’Orléans fit révoquer par le roi la soustraction d’obédience, et que le pape ordonna la levée d’une décime sur le clergé, dont le duc aurait profité sans doute. Un concile assemblé à Paris n’osait rien décider. L’Université, par l’organe d’un de ses docteurs, Jean Petit, éclata avec violence contre le pape, contre les fauteurs du pape, contre l’université de Toulouse qui le soutenait ; celle de Paris exigea du roi un ordre au Parlement de faire brûler la lettre qu’avaient écrite ceux de Toulouse à cette occasion. La terreur était si grande que le même Savoisy, récemment maltraité par l’Université, se chargea de porter au Parlement l’ordre du roi. Cet homme, intrépide devant les Anglais, rampait devant la puissance populaire, dont il avait vu de si près la force et la rage.

On peut juger de l’insolence des écoliers après de telles victoires, ils se croyaient décidément les maîtres sur le pavé de Paris. Deux d’entre eux, un Breton et un Normand, firent je ne sais quel vol. Le prévôt, messire de Tignonville, ami du duc d’Orléans, jugeant bien que, s’il les renvoyait à leurs juges ecclésiastiques, ils se trouveraient les plus innocentes personnes du monde, les traita comme déchus du privilège de cléricature, les mit à la torture, les fit avouer, puis les envoya au gibet. Là-dessus, grande clameur de l’Université et des clercs en général.

Les princes, ne pouvant abandonner le prévôt, répondaient aux universitaires qu’ils pouvaient aller dépendre et inhumer les corps, et qu’il n’en fût plus parlé. Mais ce n’était pas leur compte ; ils voulaient que le prévôt fondât deux chapelles, qu’il fût déclaré inhabile à tout emploi, qu’il allât dépendre lui-même les deux clercs et les inhumât de ses mains, après les avoir baisés, ces cadavres déjà pourris et infects, à la bouche[73].

Tout le clergé soutint l’Université. Non seulement les classes furent fermées, mais les prédications suspendues, et cela dans le saint temps de Noël, pendant tout l’Avent, tout le carême, à la fête même de Pâques. Déjà, l’année précédente, les prédications et l’enseignement avaient été suspendus aux mêmes époques, pour ne pas payer la décime. Ainsi le clergé se vengeait aux dépens des âmes qui lui étaient confiées, il refusait au peuple le pain de la parole, dans le temps des plus saintes fêtes, parmi les misères de l’hiver, lorsque les âmes ont tant besoin d’être soutenues. La foule allait aux églises, et n’y trouvait plus de consolation[74]. L’hiver, le printemps, passèrent ainsi silencieux et funèbres.

Le duc d’Orléans avait beaucoup à craindre ; le peuple s’en prenait de tout à lui. Son parti s’affaiblissait. Il reçut un nouveau coup par la mort de son ami Clisson. Tant qu’il vivait, tout vieux qu’il était, Clisson faisait peur au duc de Bretagne.

Quelque temps auparavant, le duc et la reine se promenant ensemble du côté de Saint-Germain, un effroyable orage fondit sur eux ; le duc se réfugia dans la litière de la reine ; mais les chevaux effrayés faillirent les jeter dans la rivière. La reine eut peur, le duc fut touché ; il déclara vouloir payer ses créanciers, ne sachant pas sans doute lui-même combien il était endetté. Mais il en vint plus de huit cents ; les gens du duc ne payèrent rien et les renvoyèrent.

Dans ce triste hiver de 1407 le duc et la reine crurent ramener les esprits en ordonnant, au nom du roi, la suspension du droit de prise, celui de tous les abus qui faisait le plus crier. Les maîtres d’hôtel du roi, des princes, des grands, prenaient sur les marchés, dans les maisons, tout ce qui pouvait servir à la table de leurs maîtres, ce qui les tentait eux-mêmes, ce qu’ils pouvaient emporter ; meubles, linges, tout leur était bon. Les gens du duc et de la reine avaient rudement pillé ; ils eurent beau suspendre l’exercice de ce droit odieux[75] : le peuple leur en voulait trop, il ne leur en sut aucun gré.

Tout tournait contre eux. La reine, depuis longtemps éloignée de son mari, n’en était pas moins enceinte ; elle attendait, souhaitait un enfant. Elle accoucha en effet d’un fils, mais qui mourut en naissant. Il fut pleuré de sa mère, plus qu’on ne pleure un enfant de cet âge quand on en a déjà plusieurs autres, pleuré comme un gage d’amour.

Le duc d’Orléans, lui-même, était malade, il se tenait à son château de Beauté. Ce replis onduleux de la Marne et ses îles boisées[76], qui d’un côté regardent l’aimable coteau de Nogent, de l’autre l’ombre monacale de Saint-Maur[77], a toujours eu un inexplicable attrait de grâce mélancolique. Dans ces îles, sur la belle et dangereuse rivière, s’éleva jadis une villa mérovingienne, un palais de Frédégonde[78] ; là, plus tard, fut la chère retraite où Charles VII crut vraiment mettre en sûreté son trésor, la bonne et belle Agnès[79]. Ce château d’Agnès Sorel était celui même de Louis d’Orléans ; il s’y tenait malade au mois de novembre 1407, c’était la fin de l’automne, les premiers froids, les feuilles tombaient.

Chaque vie a son automne, sa saison jaunissante, où toute chose se fane et pâlit ; plût au ciel que ce fut la maturité ; mais ordinairement c’est plus tôt, bien avant l’âge mûr. C’est ce point, souvent peu avancé de l’âge, où l’homme voit les obstacles se multiplier tout autour, où les efforts deviennent inutiles, où s’abrège l’espoir, où, le jour diminuant, grandissent peu à peu les ombres de l’avenir… On entrevoit alors, pour la première fois, que la mort est un remède, qu’elle vient au secours des destinées qui ont peine à s’accomplir.

Louis d’Orléans avait trente-six ans ; mais déjà, depuis plusieurs années, parmi ses passions même et ses folles amours, il avait eu des moments sérieux[80]. Il avait fait, écrit de sa main, un testament fort chrétien, fort pieux, plein de charité et de pénitence. Il y ordonnait d’abord le payement de ses créanciers, puis des legs aux églises, aux collèges, aux hôpitaux, d’abondantes aumônes. Il y recommandait ses enfants à son ennemi même, au duc de Bourgogne ; il éprouvait le besoin d’expier ; il demandait à être porté au tombeau sur une claie couverte de cendres[81].

Au temps où nous sommes parvenus, il n’eut un pressentiment que trop vrai de sa fin prochaine. Il allait souvent aux Célestins ; il aimait ce couvent ; dans son enfance, sa bonne dame de gouvernante l’y menait tout petit entendre les offices. Plus tard, il y visitait fréquemment le sage Philippe de Maizières, vieux conseiller de Charles V, qui s’y était retiré[82]. Il séjournait même quelquefois au couvent, vivant avec les moines, comme eux, et prenant part aux offices de jour et de nuit. Une nuit donc qu’il allait aux matines, et qu’il traversait le dortoir, il vit, ou crut voir la Mort[83]. Cette vision fut confirmée par une autre ; il se croyait devant Dieu et prêt à subir son jugement. C’était un signe solennel qu’au lieu même où avait commencé son enfance, il fût ainsi averti de sa fin. Le prieur du couvent auquel il se confia, crut aussi qu’en effet il lui fallait songer à son âme et se préparer à bien mourir.

Ce ne fut pas une apparition moins sinistre qu’il eut bientôt au château de Beauté. Il y reçut une étrange visite, celle de Jean-sans-Peur. Il devait peu s’y attendre, un nouveau motif avait encore aigri leur haine. Les Liégeois ayant chassé leur évêque, jeune homme de vingt ans, qui voulait être évêque sans se faire prêtre[84], ils en avaient élu un autre, avec l’appui du duc d’Orléans et du pape d’Avignon. L’évêque chassé était justement le beau-frère du duc de Bourgogne. Si le duc d’Orléans, maître du Luxembourg, étendait encore son influence sur Liège, son rival allait avoir une guerre permanente chez lui, en Brabant, en Flandre ; la France lui échappait. Ce danger devait porter son exaspération au comble[85].

Dès longtemps, il avait annoncé des résolutions violentes. En 1405, lorsque les deux rivaux étaient en présence, sous les murs de Paris, Louis d’Orléans ayant pris pour emblème un bâton noueux, Jean-sans-Peur prit pour le sien un rabot. Comment le bâton devait-il être raboté[86] ? on pouvait tout craindre.

Le duc de Berri, plein d’inquiétude, crut gagner beaucoup sur son neveu en le décidant à aller voir le malade. Soit pour tromper son oncle, soit par un sentiment de haineuse curiosité, il se contraignit jusque-là. Le duc d’Orléans allait mieux ; le vieil oncle prit ses deux neveux, les mena entendre la messe, et les fit communier de la même hostie ; il leur donna un grand repas de réconciliation, et il fallut qu’ils s’embrassassent. Louis d’Orléans le fit de bon cœur, tout porte à le croire ; la veille il s’était confessé et avait témoigné amendement et repentance. Il invita son cousin à dîner avec lui le dimanche suivant ; il ne savait point qu’il n’y aurait pas de dimanche pour lui.


On voit encore aujourd’hui, au coin de la Vieille rue du Temple et de la rue des Francs-Bourgeois, une tourelle du quinzième siècle, légère, élégante, et qui contraste fort avec la laide maison, qui de côté et d’autre s’y est gauchement accrochée. Cette tourelle fermait, de ce côté, le grand enclos de l’hôtel Barbette, occupé en 1407 par la reine Isabeau, en 1550 par Diane de Poitiers.

L’hôtel Barbette, placé hors de l’enceinte de Philippe-Auguste, entre les deux juridictions de la ville et du Temple, libre également de l’une et de l’autre, avait été longtemps soustrait, par sa position, aux gênes de la ville, couvre-feu, fermeture des portes, etc. Enfermé plus tard dans l’enceinte de Charles V, il n’en était pas moins, dans ce quartier peu fréquenté, hors de la surveillance des honnêtes et médisants bourgeois de Paris[87].

Cet hôtel, bâti par le financier Étienne Barbette, maître de la monnaie sous Philippe-le-Bel, fut pillé dans la grande sédition où le peuple enragé poursuivit le roi jusqu’au Temple (1306). Le même hôtel, quatre-vingts ans après, appartenait à un autre parvenu, au grand maître Montaigu, l’un des Marmousets qui gouvernaient le royaume. Ils y firent coucher Charles VI, la veille de son départ pour la Bretagne, lorsque, malgré ses oncles, ils parvinrent à le tirer de Paris pour lui faire poursuivre la vengeance de l’assassinat de Clisson. Montaigu, ami, comme Clisson, du duc d’Orléans, fit sa cour à la reine, en lui cédant cette maison commode ; elle n’aimait pas l’hôtel Saint-Paul, où vivait son mari ; ce mari la gênait quand il était fou, bien plus encore quand il ne l’était pas.

Elle avait embelli à plaisir ce séjour de prédilection, l’avait agrandi, étendu jusqu’à la rue de la Perle. Les jardins étaient d’autant mieux fermés et solitaires, que le long de la Vieille rue du Temple ils se trouvaient masqués d’une ligne de maisons qui regardaient la rue, et ne voyaient rien derrière, tout au plus le mur du mystérieux hôtel.

La reine y accoucha le 10 novembre. Les deux princes communièrent ensemble le 20 ; le 22, ils mangèrent chez le duc de Berri, s’embrassèrent et se jurèrent une amitié de frères. Cependant, depuis le 17, le duc de Bourgogne avait tout préparé pour tuer ce frère ; il lui avait dressé embuscade près de l’hôtel Barbette, les assassins attendaient.

Dès la Saint-Jean, c’est-à-dire depuis plus de quatre mois, Jean-sans-Peur cherchait une maison pour ce guet-apens. Un clerc de l’Université, qui était son homme, avait chargé un couratier public de maisons de lui en louer une, où il voulait, disait-il, mettre du vin, du blé et autres denrées que les écoliers et les clercs recevaient de leur pays, et qu’ils avaient le privilège universitaire de vendre sans droit. Le courtier lui trouva et lui fit livrer, le 17 novembre, la maison de l’image Notre-Dame, Vieille rue du Temple, en face de l’hôtel de Rieux et de la Bretonnerie. Le duc de Bourgogne y fit entrer de nuit des gens à lui, entre autres un ennemi mortel du duc d’Orléans, un Normand, Raoul d’Auquetonville, ancien général des finances, que le duc avait chassé pour malversation. Raoul répondait de tuer ; un valet de chambre du roi promit, pour argent, de livrer et de trahir.

Le lendemain du repas de réconciliation, le mercredi 23 novembre 1407, Louis d’Orléans avait été, comme à l’ordinaire, chez la reine ; il y avait soupé, et gaiement, pour essayer de consoler la pauvre mère[88]. Le valet de chambre du roi arrive en hâte, et dit que le roi demande son frère, qu’il veut lui parler[89]. Le duc, qui avait dans Paris six cents chevaliers ou écuyers, n’avait pourtant pas amené grand monde avec lui, aimant mieux sans doute faire à petit bruit ces visites dont on ne médisait que trop. Il laissa même à l’hôtel Barbette une partie de ceux qui l’avaient suivi, comptant peut-être y retourner quand il serait quitte du roi. Il n’était que huit heures ; c’était de bonne heure pour les gens de cour, mais tard pour ce quartier retiré, en novembre surtout. Il n’avait avec lui que deux écuyers montés sur un même cheval, un page et quelques valets pour éclairer. Il s’en allait, vêtu d’une simple robe de damas noir, par la Vieille rue du Temple, en arrière de ses gens, chantant à demi voix, et jouant avec son gant, comme un homme qui veut être gai. Nous savons ces détails par deux témoins oculaires : un valet de l’hôtel de Rieux, et une pauvre femme qui logeait dans une chambre dépendante du même hôtel. Jaquette, femme de Jacques Griffart, cordonnier, déposa qu’étant à sa fenêtre haute sur la rue, pour voir si son mari ne revenait pas, et y prenant un lange qui séchait, elle vit passer un seigneur à cheval, et un moment après, comme elle couchait son enfant, elle entendit crier : « À mort ! à mort ! » Elle courut à la fenêtre, son enfant dans les bras, et elle vit le même seigneur à genoux, dans la rue, sans chaperon ; autour de lui, sept ou huit hommes, le visage masqué, qui frappaient dessus, de haches et d’épées ; lui, il mettait son bras devant, en disant quelques mots, comme : « Qu’est ceci ? D’où vient ceci ? » Il tomba, mais ils ne continuaient pas moins à frapper d’estoc et de taille. La femme, qui voyait tout, criait au meurtre tant qu’elle pouvait. Un homme qui l’aperçut à la fenêtre, lui dit : « Taisez-vous, mauvaise femme. » Alors, à la lueur des torches, elle vit sortir de la maison de l’image Notre-Dame un grand homme, avec un chaperon rouge descendant sur les yeux ; il dit aux autres : « Éteignez tout, allons-nous-en, il est bien mort ! » Quelqu’un lui donna encore un coup de massue, mais il ne remuait plus. Près de lui gisait un jeune homme, qui, tout mourant qu’il était, se souleva en criant : « Ah ! monseigneur mon maître[90]. » C’était le page, qui ne l’avait pas quitté et s’était jeté au-devant des coups. Ce page était Allemand ; il avait peut-être été donné à Louis d’Orléans par Isabeau de Bavière.

Depuis l’assassinat manqué de Clisson, on savait qu’il ne fallait pas croire à la légère qu’un homme était tué ; aussi, selon un autre récit, le grand homme au chaperon rouge vint, avec un falot de paille, regarder à terre si la besogne avait été faite consciencieusement[91]. Il n’y avait rien à dire ; le mort était taillé en pièces, le bras droit était tranché à deux places, au coude, au poignet ; le poing gauche était détaché, jeté au loin par la violence du coup ; la tête était ouverte de l’œil à l’oreille, d’une oreille à l’autre ; le crâne était ouvert, la cervelle épandue sur le pavé[92].

Ces pauvres restes furent portés le lendemain matin, parmi la consternation et la terreur générale[93], à l’église voisine des Blancs-Manteaux. Ce fut au jour seulement qu’on ramassa, dans la boue, la main mutilée et la cervelle. Les princes vinrent lui donner l’eau bénite. Le vendredi, il fut enseveli à l’église des Célestins, dans la chapelle qu’il avait bâtie lui-même[94]. Les coins du drap mortuaire étaient portés par son oncle, le vieux duc de Berri, par ses cousins, le roi de Sicile, le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon ; puis, venaient les seigneurs, les chevaliers, une foule innombrable de peuple. Tout le monde pleurait, les ennemis comme les amis[95]. Il n’y a plus d’ennemis alors ; chacun, dans ces moments, devient partial pour le mort. Quoi ! si jeune, si vivant naguère, et déjà passé ! Beauté, grâce chevaleresque, lumière de science, parole vive et douce ; hier tout cela, aujourd’hui plus rien[96]

Rien ?… davantage peut-être. Celui qui semblait hier un simple individu, on voit qu’il avait en lui plus d’une existence, que c’était en effet un être multiple, infiniment varié[97] !… Admirable vertu de la mort ! Seule elle révèle la vie. L’homme vivant n’est vu de chacun que par un côté, selon qu’il le sert ou le gêne. Meurt-il ? on le voit alors sous mille aspects nouveaux, on distingue tous les liens divers par lesquels il tenait au monde. Ainsi, quand vous arrachez le lierre du chêne qui le soutenait, vous apercevez dessous d’innombrables fils vivaces, que jamais vous ne pourrez déprendre de l’écorce où ils ont vécu ; ils resteront brisés, mais ils resteront[98].

Chaque homme est une humanité, une histoire universelle… Et pourtant cet être, en qui tenait une généralité infinie, c’était en même temps un individu spécial, une personne, un être unique, irréparable, que rien ne remplacera. Rien de tel avant, rien après ; Dieu ne recommencera point. Il en viendra d’autres, sans doute ; le monde, qui ne se lasse pas, amènera à la vie d’autres personnes, meilleures peut-être, mais semblables, jamais, jamais…

Celui-ci sans doute eut ses vices ; mais c’est en partie pour cela que nous le pleurons ; il n’en appartint que davantage à la pauvre humanité ; il nous ressembla d’autant plus ; c’était lui, et c’était nous. Nous nous pleurons en lui nous-mêmes, et le mal profond de notre nature.

On dit que la mort embellit ceux qu’elle frappe, et exagère leurs vertus ; mais c’est bien plutôt en général la vie qui leur faisait tort. La mort, ce pieux et irréprochable témoin, nous apprend, selon la vérité, selon la charité, qu’en chaque homme il y a ordinairement plus de bien que de mal. On connaissait les prodigalités du duc d’Orléans, on connut ses aumônes. On avait parlé de ses galanteries ; on ne savait pas assez que cette heureuse nature avait toujours conservé, au milieu même des vaines amours, l’amour divin et l’élan vers Dieu. On trouva aux Célestins la cellule où il aimait à se retirer[99]. Lorsqu’on ouvrit son testament, on vit qu’au plus fort de ses querelles cette âme sans fiel était toujours confiante, aimante pour ses plus grands ennemis.

Tout cela demande grâce… Eh ! qui ne pardonnerait, quand cet homme, dépouillé de tous les biens de la vie, redevenu nu et pauvre, est apporté dans l’église, et attend son jugement ? Tous prient pour lui, tous l’excusent, expliquant ses fautes par les leurs, et se condamnant eux-mêmes… Pardonnez-lui, Seigneur, frappez-nous plutôt.

Personne n’avait plus à se plaindre du duc d’Orléans que sa femme Valentine ; elle l’avait toujours aimé, et toujours il en aima d’autres. Elle ne l’excusa pas moins autant qu’il était en elle ; elle prit comme sien avec elle le bâtard de son mari, et l’éleva parmi ses enfants. Elle l’aimait autant qu’eux, davantage. Souvent, lui voyant tant d’esprit et d’ardeur, l’Italienne le serrait, lui disait : « Ah ! tu m’as été dérobé ! c’est toi qui vengeras ton père[100]. »

La justice ne vint jamais pour la veuve, elle n’eut pas cette consolation. Elle n’eut pas celle d’élever au mort l’humble tombe « de trois doigts au-dessus de terre » qu’il demandait dans son testament[101] ; elle ne put même lui mettre sous la tête « la rude pierre, la roche » qu’il voulait pour oreiller. Louis d’Orléans, proscrit dans la mort, attendit cent ans un tombeau.

Aux premiers âges chrétiens, dans les temps de vive foi, les douleurs étaient patientes ; la mort semblait un court divorce ; elle séparait, mais pour réunir. Un signe de cette foi dans l’âme, dans la réunion des âmes, c’est que, jusqu’au douzième siècle, le corps, la dépouille mortelle, semble avoir moins d’importance ; elle ne demande pas encore de magnifiques tombeaux ; cachée dans un coin de l’église, une simple dalle la couvre ; c’est assez pour la désigner au jour de la résurrection : Hinc surrectura[102].

Au temps dont nous écrivons l’histoire, il y avait déjà un changement, peu avoué, d’autant plus profond. Même dévotion extérieure, mais la foi était moins vive ; au plus profond des cœurs, à leur insu, l’espoir faiblissait. La douleur ne se laissait plus aisément charmer aux promesses de l’avenir ; aux pieuses consolations, elle opposait le mot de Valentine : « Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien[103]. »

S’il lui restait quelque chose, c’était de parer la triste dépouille, de glorifier les restes, de faire de la tombe une chapelle, une église, dont ce mort serait le dieu.

Vains amusements de la douleur, qui ne l’arrêtent pas longtemps. Quelque profond que soit le sépulcre, elle n’en ressent pas moins à travers les puissantes attractions de la mort ; elle les suit… La veuve du duc d’Orléans vécut ce que dura sa robe de deuil.

C’est que les mots de l’union : Vous devenez même chair, ils ne sont pas un vain son ; ils durent pour celui qui survit. Qu’ils aient donc leur effet suprême !… Jusque-là, il va chaque jour heurter cette tombe à l’aveugle, l’interroger, lui demander compte… Elle ne sait que répondre ; il aurait beau la briser, qu’elle n’en dirait pas davantage… En vain, s’obstinant à douter, s’irritant, niant la mort, il arrache l’odieuse pierre ; en vain, parmi les défaillances de la douleur et de la nature, il ose soulever le linceul, et montrant à la lumière ce qu’elle ne voudrait pas voir, il dispute aux vers le je ne sais quoi, informe et terrible, qui fut Inès de Castro[104].

  1. App. 55.
  2. « Si on me presse de dire pourquoy je l’aymois, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en respondant : Parceque c’estoit luy, parceque c’estoit moy. » (Montaigne.)
  3. Louis d’Orléans était poète aussi, s’il est vrai qu’il avait célébré dans des vers les secrètes beautés de la duchesse de Bourgogne. (Barante.)
  4. App. 56.
  5. L’éducation d’un jeune chevalier par les femmes est l’invariable sujet des romans ou histoires romanesques du quinzième siècle. App. 57.
  6. Quan la doss aura venta
    Deves vostre pais,
    M’es veiaire que senta
    Odor de Paradis.

    « Quand le doux zéphyr souffle de votre pays, ô ma Dame, il me semble que je sens une odeur de Paradis. » (Bernard de Ventadour.)

  7. Christine de Pisan semble avoir commencé la suite des femmes de lettres, pauvres et laborieuses, qui ont nourri leur famille du produit de leur plume. App. 58.
  8. App. 59.
  9. Le Religieux de Saint-Denis ajoute toutefois que, quoiqu’il parlât peu, il avait de l’esprit ; ses yeux étaient intelligents. Il en existe un portrait fort ancien au musée de Versailles et au château d’Eu. Il est en prières, déjà vieux, les chaires molles, l’air bonasse et vulgaire. Christine l’appelle en 1404 : « Prince de toute bonté, salvable, juste, saige, benigne, douls et de toute bonne meurs. »
  10. App. 60.
  11. Voy. 1402 et les projets du parti d’Orléans, 1411.
  12. Au témoignage de Charles-le-Téméraire. (Gachard.)
  13. App. 61.
  14. App. 62.
  15. « Mon pays de Bourgoigne n’a point d’argent ; il sent la France. » Mot de Charles-le-Téméraire. (Gachard.)
  16. Voy. au tome III, livre VI, chap. i, les étranges promesses par lesquelles les Anglais s’efforçaient de les attirer…
  17. App. 63.
  18. La misère força peut-être Craon à cet acte monstrueux d’ingratitude. Il avait dû la grâce de son premier crime aux prières de la jeune Isabelle de France, épouse de Richard II. Voy. App. 34.
  19. De plus, il emmena avec lui le duc et ses deux frères. — Lorsque le jeune duc de Bretagne retourna chez lui, on lui donna, non seulement le comté d’Évreux, mais la ville royale de Saint-Malo, l’un des plus précieux fleurons de la couronne de France. Il n’en resta pas moins à moitié Anglais ; son frère Arthur tenait le comté de Richemont du roi d’Angleterre.
  20. App. 64.
  21. Monstrelet.
  22. Monstrelet. — Quant à Isabelle de France, il récriminait d’une manière toute satirique : « Plût à Dieu que vous n’eussiez fait rigueur, cruauté ni vilenie envers nulle dame ni damoiselle, non plus qu’avons fait envers elle ; nous croyons que vous en vaudriez mieux. »
  23. App. 65.
  24. App. 66.
  25. C’était le temps de la révolte des Percy.
  26. C’étaient les Bretons de Clisson, conduits par Guillaume Duchâtel.
  27. Rymer.
  28. Le comte de Clermont, très jeune encore, était le chef nominal de cette armée.
  29. Le Religieux dit qu’il s’était muni d’un ordre du roi.
  30. Le comte de Saint-Pol avait pris les armes pour les intérêts de sa fille, belle-fille du duc de Bourgogne.
  31. App. 67.
  32. App. 68.
  33. App. 69.
  34. D. Plancher.
  35. Le Religieux.
  36. App. 70.
  37. La renonciation de la veuve n’est pas en effet sans analogie avec le reniement du mariage, par lequel la loi de Castille permettait à la femme noble qui avait épousé un roturier de reprendre sa noblesse à la mort de son mari. Il fallait qu’elle allât à l’église avec une hallebarde sur l’épaule ; là elle touchait de la pointe la fosse du défunt et elle lui disait : « Vilain, garde ta vilainie, que je puisse reprendre ma noblesse. » (Note communiquée par M. Rossew-Saint-Hilaire.) App. 71.
  38. « Et de ce demanda instrument à un notaire public, qui estoit là présent. » (Monstrelet.) App. 72.
  39. Voy. tome III.
  40. Il se l’était fait céder en 1400 par le duc de Berri.
  41. Meyer.
  42. Le Religieux.
  43. App. 73.
  44. App. 74.
  45. App. 75.
  46. Le Religieux.
  47. « Loricatis, fimbriatis et manicatis vestibus. » (Religieux.)
  48. « Domina Venus. » (Idem.) — Cet Augustin, qui prêcha contre le duc d’Orléans, lui avait dédié un livre qui, peut-être, n’avait pas été assez payé.
  49. « Te induere de substantia, lacrimis et gemitibus miserrimæ plebis. » (Idem.)
  50. Ceux de Rouen répondirent avec dérision : « Nous porterons nos armes au château, c’est-à-dire que nous irons armés, armés aussi nous reviendrons. »
  51. « C’estoit grande pitié de la maladie du roy, laquelle luy tenoit longuement. Et quand il mangeoit, c’estoit bien gloutement et louvissement. Et ne le pouvoit-on faire despoüiller, et estoit tout plein de poux, vermine et ordure. Et avoit un petit lopin de fer, lequel il mit secrettement au plus près de sa chair. De laquelle chose on ne sçavoit rien, et luy avoit tout pourry la pauvre chair, et n’y avoit personne qui ozast approcher de luy pour y remedier. Toutefois il avoit un physicien qui dit qu’il estoit necessité d’y remedier, ou qu’il estoit en danger, et que de la garison de la maladie il n’y avoit remede, comme il luy sembloit. Et advisa qu’on ordonnast quelque dix ou douze compagnons desguisez, qui fussent noircis, et aucunement garnis dessous, pour doute qu’il ne les blessast. Et ainsi fut fait, et entrerent les compagnons, qui estoient bien terribles à voir, en sa chambre. Quand il les vid, il fut bien esbahi, et vinrent de faict à luy : et avoit-on fait faire tous habillements nouveaux, chemise, gippon, robbe, chausses, bottes, qu’un portoit. Ils le prirent, luy cependant disoit plusieurs paroles, puis le dépouillerent, et luy vestirent lesdites choses qu’ils avoient apportées. C’estoit grande pitié de le voir, car son corps estoit tout mangé de poux et d’ordure. Et si trouverent ladite pièce de fer : toutes les fois qu’on le vouloit nettoyer, falloit que ce fust par ladite maniere. » (Juvénal des Ursins.)
  52. Il témoigna beaucoup de reconnaissance à une dame qui avait soin du dauphin et suppléait à la négligence de sa mère. Il lui donna le gobelet d’or dans lequel il venait de boire. (Religieux.)
  53. App. 76.
  54. Il logea avec le dauphin pour être plus sûr de lui.
  55. Le Religieux.
  56. App. 77.
  57. « Sur les pennonceaux de leurs lances les Bourguignons portaient : ich houd, je tiens, à l’encontre des Orléanois, qui avoient : je l’envie ». (Monstrelet.)
  58. Bulæus.
  59. « In casu fidei ad consilium milites non evocaretis. » (Religieux.)
  60. Monstrelet prétend que le duc d’Orléans avait pris l’Université pour juge et arbitre. — Ce qui est plus sûr, c’est qu’il s’adressa au parlement : « Si requeroit la cour qu’elle ne souffrist ledict dauphin estre transporté… » (Archives, Reg. du Parlera. Cons., vol. XII, fo 222.)
  61. Si l’on en croyait la chronique suivie par M. de Barante, ils auraient couché dans le même lit.
  62. App. 78.
  63. L’hiver, au contraire, découragea le duc de Bourgogne. (Juvénal des Ursins.)
  64. App. 79.
  65. App. 80.
  66. App. 81.
  67. Bulæus.
  68. On a débattu pendant cinq cents ans cette question insoluble si l’Université était un corps ecclésiastique ou laïque.
  69. « Quasi ovem errabundam. » (Religieux.)
  70. Il déclara même qu’il était prêt à pendre le coupable de sa propre main. (Religieux.)
  71. Le roi ne put sauver qu’une galerie peinte à fresque, qui était bâtie sur les murs de la ville, et on lui en fit payer la valeur.
  72. « Cum lituis et instrumentis musicis. » (Religieux.)
  73. « Post oris osculum. » (Religieux.)
  74. En récompense, les ménétriers semblent s’être multipliés. Leur corporation devient importante. Elle fait confirmer ses statuts. (Portef. Fontanieu, 24 avril 1407.)
  75. Ils le suspendirent pour quatre ans (7 septembre 1407).
  76. Marne l’enceint……
    Et belle tour qui garde les détrois.
    Où l’en se puet retraire à sauveté ;
    Pour tous ces poins li doulz prince courtois
    Donna ce nom à ce lieu de Beauté.

    Eustache Deschamps.
  77. Saint-Maur était alors une grande abbaye fortifiée.
  78. C’est de la Marne qu’un pêcheur retire le corps du jeune fils de Chilpéric, noyé par sa marâtre.
  79. Elle mourut jeune, et l’on crut qu’elle était empoisonnée. Ce château d’Agnès dans une île fait penser au labyrinthe de la belle Rosamonde. Voy. la jolie ballade.
  80. « Ad multa vitia præceps fuit, quæ tamen horruit cum ad virilem ætatem pervenisset. » (Religieux.)
  81. Son testament fut trouvé écrit tout entier de sa main, quatre ans avant sa mort. La bonté de son âme confiante et sans fiel se manifestait dans la recommandation qu’il faisait de ses enfants aux soins de son oncle le duc Philippe, tandis qu’ils étaient déjà au plus fort de leurs querelles. App. 82.
  82. Jean Petit prétend qu’ils conspiraient ensemble. (Monstrelet.)
  83. Telle était la tradition du couvent. Les moines avaient fait peindre cette vision dans leur chapelle à côté de l’autel ; on y voyait la Mort tenant une faux à la main, et montrant au duc d’Orléans cette légende : « Juvenes ac senes rapio. » (Millin.)
  84. App. 83.
  85. Dans l’attente d’une guerre prochaine, il s’était assuré de l’alliance du duc de Lorraine (6 avril 1407), et il avait pris à son service le maréchal de Boucicaut. Boucicaut promet de le servir envers et contre tous, sauf le roi et ses enfants, « en mémoire de ce que le duc de Bourgogne lui a sauvé la vie, estant pris des Turcs ». (Fonds Baluze, 18 juillet 1407.)
  86. On disait après la mort du duc d’Orléans : « Baculum nodosum factum esse planum. » (Meyer.) — Devises : Mgr d’Orléans, Je suis mareschal de grant renommée, Il en appert bien, j'ay forge levée. Mgr de Bourgogne, Je suis charbonnier d’étrange contrée, J’ay assez charbon pour faire fumée. (Mss. Colbert, Regius.)
  87. Les maisons placées ainsi n’avaient pas bon renom. On le voit par les plaintes que faisaient les chanoines de Saint-Méry contre les mauvais lieux qui se trouvaient le long de la vieille enceinte de Philippe-Auguste. Ils obtinrent une ordonnance d’Henri VI, roi de France et d’Angleterre, pour en purger ce quartier.
  88. « Dolorem… studuit mitigare… cœna jocunda peracta. » (Religieux.)
  89. Monstrelet.
  90. App. 84.
  91. App. 85.
  92. « Lesquelles playes estoient telles et si énormes que le test estoit fendu, et que toute la cervelle en sailloit… Item que son bras destre estoit rompu tant que le maistre os sailloit dehors au droit du coude… » (Information du sire de Tignonville, prévôt de Paris.)
  93. App. 86.
  94. App. 87.
  95. App. 88.
  96. App. 89.
  97. Henri III s’écria en voyant le corps du duc de Guise : « Mon Dieu, qu’il est grand ! Il paroît encore plus grand mort que vivant. » Il disait mieux qu’il ne croyait ; cela est vrai dans un bien autre sens.
  98. Je faisais l’autre jour cette observation dans la forêt de Saint-Germain (12 septembre 1839).
  99. App. 90.
  100. « Qu’il lui avoit été emblé, et qu’il n’y avoit à peine des enfants qui fust si bien taillé de venger la mort de son père qu’il estoit. » (Juvénal.)
  101. App. 91.
  102. App. 92.
  103. La devise de Valentine se lisait dans sa chapelle aux Cordeliers de Blois.
  104. « Le roi se rendit à l’église de Santa-Clara, où il fit exhumer le corps de la femme qu’il chérissait. Il ordonna que son Inès fut revêtue des ornements royaux, et qu’on la plaçât sur un trône où ses sujets vinrent baiser les ossements qui avaient été une si belle main. » (Faria y Souza.) App. 93.