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Histoire de France abrégée/20

La bibliothèque libre.
Dezobry & Magdeleine (p. 206-220).

CHAPITRE XX.


Abaissement de la royauté ; progrès du Tiers-État. La classe bourgeoise, quoique écartée des affaires pour faire place de nouveau à la noblesse, grandit peu-à-peu, soit par les fautes et les scandales qui déshonorent la royauté et la noblesse, soit par l’influence des idées nouvelles. L’opinion publique, qui a pour organes les journaux, devient une puissance ; elle engage et soutient, pour la défense des principes d’égalité et de liberté, cette grande lutte littéraire et philosophique qui aboutit à la Révolution de 1789.

Louis XV, 1715-1774. — Commencement du règne de Louis XVI, 1774-1789.

371. avénement de louis xv ; régence du duc d’orléans. — L’arrière-petit-fils du grand roi lui succéda sous le nom de Louis XV, à l’âge de cinq ans et demi. Par un triste retour des choses d’ici-bas, qui marque bien le néant de la puissance humaine, les dernières volontés du monarque absolu qui avait gouverné la France pendant 72 ans ne furent pas plus respectées que ne l’avaient été celles de ses deux prédécesseurs. Pendant que le corps de Louis XIV était conduit aux caveaux de Saint-Denis, le Parlement cassa son testament, sur la demande de Philippe duc d’Orléans, et investit ce prince de la régence. Après le long silence auquel l’avait condamnée le despotisme du feu roi, cette assemblée profitait d’une nouvelle minorité pour faire un nouvel acte de souveraineté politique.

372. Corruption des mœurs. — Le Régent était spirituel, généreux, d’une physionomie ouverte ; il avait, nous dit son confident et ami le duc de Saint-Simon, la faiblesse de croire qu’il ressemblait en tout à son bisaïeul Henri IV, et « de l’affecter dans ses façons, dans ses reparties, jusque dans sa taille et la forme de son visage. » Mais son cœur avait été corrompu dès l’enfance par son précepteur Dubois, l’un des hommes les plus pervers de l’époque, qui fit de son élève un incrédule et un débauché, et que le duc d’Orléans eut le tort de prendre pour premier ministre. Aussi la cour du Régent devint-elle, comme le fut plus tard la cour du roi lui-même, le rendez-vous de tous les vices et de tous les désordres. La noblesse, rappelée au pouvoir d’où l’avait exclue Louis XIV, n’en profita que pour se livrer effrontément au plaisir, sans souci de sa dignité ni de l’opinion publique, qui commençait a se former en France ; elle joua avec la honte, au point d’accepter, de rechercher même ce nom de roués, par lequel le Régent désignait ses compagnons de débauche, et qui est devenu depuis une note d’infamie. Cette époque est demeurée tellement scandaleuse entre toutes, qu’encore aujourd’hui, pour flétrir des habitudes d’inconduite poussées jusqu’au raffinement, on ne prend pas d’autre terme de comparaison que la régence.

373. système de law. — Louis XIV avait laissé les finances dans le plus grand désordre, avec une dette de près de trois milliards ; il était urgent de porter remède à un mal si profond. Ce fut dans ces circonstances qu’un Écossais nommé Jean Law[1] vint en France, après avoir vainement colporté dans toute l’Europe le projet d’une réforme financière ; il gagna la confiance, du Régent et lui fit adopter ses idées. Le système de Law consistait à substituer aux espèces monnayées un papier auquel la loi attribuerait la valeur de l’or et de l’argent. Ilfut autorisé à fonder une banque, qui joignit ensuite à ses opérations le commerce de la Louisiane et du Mississipi, celui da Canada et celui des Indes. L’affaire eut d’abord un grand succès : chacun voulut avoir des actions de la banque de Law ; mais bientôt le papier mis en circulation dépassa tellement la somme de tout le numéraire qui se trouvait alors en France, que les actions perdirent toute leur valeur, et que le système aboutit à une effroyable banqueroute.

L’établissement de la banque de Law eut lieu au mois de mai 1710. En août 1717 fat instituée la Compagnie des Indes-Occidentales, qui obtint le privilège exeiusif du commerce de la Louisiane et du Mississipi, l’exploitation de quelques branches du commerce du Canada, celle des mers du Sud depuis le cap de Bonnes Espérance, le bénéfice d’une refonte générale des monnaies et la ferme des tabacs. Pour suffire a frais de ces vastes entreprises ; on créa successivement trois séries d’actions qui furent promptement enlevées. Les souscriptions se délivraient à l’hôtel de Nevers, rue Richelieu, à Paris. Dès tes premiers jours, la foule fut telle, qu’il y eut bon nombre d’estropiés. Ceux qui ne pouvaient parvenir a l’hôtel de Nevers allaient rue Quincampois, où les actions se revendaient au-dessus de leur valeur. Cette rue qu’on appela alors le’’Mississipi, fut bientôt encombrée comme la rue Richelieu. Les actions, vendues 500 livres au mois d’août 1719. en valaient 10, 000 em octobre, 15, 000 en novembre, et il était impossible de prévoir le terme de cette hausse. Une joie folle commençait à s’emparer de tout les esprits ; la rue Quincampois offrait le plus bizarre spectacle : toutes les maisons, même les caves et les greniers, étaient loués à des prix exorbitants et transformés en bureau pour les marchands d’actions. Un savetier fit fortune à fournir dans son échoppe un tabouret, de l’encre et du papier aux spéculateurs ; un petit bossu et un soldat aux larges épaules louaient leur dos en guise de pupitre. Toute la journée, des personnes de toutes les classes de la société, des provinciaux, des étrangers, des femmes même se pressaient, s’étouffaient dans la rue, pour acheter ou pour vendre des actions, Law, devenu l’objet d’une idolâtrie universelle, était assiégé chez lui de suppliants ; il voyait forcer sa porte, entrée du jardin par les fenêtres, tomber dans son cabinet par la cheminée. La plus haute noblesse, les princes, les souverains étrangers eux-mêmes imploraient de lui quelques actions ; une grande dame fit verser sa voiture sous ses fenêtres, pour qu’il se montrât à elle et lui adressât quelques mots. Tout alla bien jusqu’en décembre 1749 ; mais à cette époque, beaucoup de spéculateurs ayant voulu réaliser leur fortune, on s’aperçut que le papier mis en circulation s’élevait à la somme énorme d’un milliard 600 millions, c’est-à-dire plus du double de tout le numéraire qui existait en France. Une baisse subite eut lieu dans les actions, et l’on vit commencer la contre-partie de tout ce qui s’était passé quelques mois auparavant. Le même empressement attira la foule des spéculateurs, mais pour échanger leur papier contre des espèces ; à cet effet des marchés s’établirent et des tentes se dressèrent sur la place Vendôme, qu’on appela le Mississipi renversé. On vit dans cette multitude aux regards avides, à la figure décomposée, plus d’un grand seigneur, plus d’un bourgeois, qui apportait des millions en papier, sans avoir un écu pour acheter du pain. La foule devint si grande, que plus d’une fois elle laissa après elle des cadavres d’hommes étouffés. Les vols et les assassinats se multiplièrent ; le délire du désespoir et de la faim avait succédé à la folie et aux rêves d’une fortune colossale. Law, poursuivi dans les rues à coups de pierres, fut obligé de quitter la France, ef il alla se cacher à Venise, où il mourut dans l’indigence. Il avait, le premier en Europe, bien-compris les précieuses ressources du crédit ; mais, l’agiotage étant venu se mêler aux calculs légitimes d’un gain modéré, le système avait mis en jeu toutes les passions mauvaises, et il ne resta de la tentative de Law qu’une horrible catastrophe et de nouveaux germes de corruption publique.

374. conspiration de cellamare. — la peste de marseille. — Pendant que Law ruinait ainsi la France, l’ambition du cardinal Albéroni, premier ministre du roi d’Espagne, la menaçait d’un autre danger, moins sérieux, il est vrai. Ce fils d’un jardinier, que ses talents avaient élevé aux premières dignités de l’Église et de l’Etat, avait conçu le projet de rendre à la monarchie espagnole ses anciennes possessions d’Italie, de rétablir sur le trône d’Angleterre le fils de Jacques II, qu’on appelait le Prétendant, et d’enlever la régence au duc d’Orléans pour la donner à son maître Philippe V, petit-fils de Louis XIV, au nom duquel il l’aurait exercée. C’était annuler le traité d’Utrecht et remettre en question l’équilibre européen. Tout lui manqua a la fois : l’aventureux Charles XII, roi de Suède, qu’il devait lancer sur l’Angleterre, fut tué au siège de Friedericshall, en Norvège ; le Prétendant fut vaincu en Écosse, et l’ambassadeur espagnol à Paris, Cellamare, convaincu de conspiration, fut arrêté et reconduit à la frontière. Pour se venger de cette tentative et pour arrêter les progrès des Espagnols en Italie, le Régent conclut le traité de la quadruple alliance avec l’Angleterre, l’empereur et la Hollande, et déclara la guerre à l’Espagne. Philippe V effrayé sacrifia son ministre, et accéda au traité (1720). La Toscane, Parme et Plaisance, furent reconnues comme possessions espagnoles ; le duc de Savoie reçut la Sardaigne avec le titre de roi en échange de la Sicile, qui fut donnée à l’empereur.

L’année 1720 fut marquée aussi par la peste de Marseille. L’évèque de cette ville, Belzunce, donna en cette occasion l’exemple du dévouement et de la charité, et soutint le courage des habitants au milieu des cruelles épreuves qu’il leur fallut traverser.

375. majorité du roi. — le cardinal de fleury. — Le traité de 1720 fut le dernier acte important de la régence. Le roi, étant entré dans sa quatorzième année le 15 février 1723, fut déclaré majeur au Parlement. Le 10 août suivant, mourut le cardinal Dubois, archevêque de Cambrai et premier ministre ; quatre mois après, le duc d’Orléans fut emporté lui-même par une attaque d’apoplexie. Le duc de Bourbon, qui remplaça Dubois, ne signala pour ainsi dire son court ministère qu’en faisant épouser à Louis XV la fille de Stanislas Leczinski, roi détrôné de Pologne. Il eut pour successeur le cardinal de Fleury, qu’une intrigue de cour porta au pouvoir. Le nouveau ministre avait été le précepteur du roi ; par goût, par caractère, par principes, il voulait la paix : il fut obligé de faire la guerre. Deux successions royales l’entraînèrent malgré lui dans des expéditions ruineuses, dont la France tira plus de gloire que de profit.

376. guerre de la succession de pologne, 1733. — Ce fut d’abord la succession au trône de Pologne, ouverte par la mort d’Auguste II, qui avait dépouillé Stanislas Leczinski. Le beau père de Louis XV disputa cette succession à l’électeur de Saxe Auguste III, fils de son ancien compétiteur ; il fut soutenu par la France et l’Espagne, combattu par l’Autriche et la Russie, qui défendaient la cause d’Auguste III. Les hostilités eurent lieu tout à la fois en Italie et sur les frontières de la France. La prise de Kehl et de Philipsbourg, sur le Rhin, celle de Pavie et de Milan, les victoires de Parme et de Guastalla, et la conquête des Deux-Siciles par les Espagnols déterminèrent l’empereur à traiter. La paix de Vienne (1735-1738) donna la Lorraine et le Barrois à Stanislas, qui renonça au trône de Pologne, mais conserva le titre de roi. L’archiduc François de Lorraine, gendre de l’empereur, reçut la Toscane en échange de son duché de Lorraine. Le royaume des Deux-Siciles fut assuré à l’infant d’Espagne don Carlos, second fils de Philippe V, qui devint ainsi la tige des Bourbons de Naples. La Lorraine et le Barrois devaient faire retour à la France après la mort de Stanislas Leczinski.

377. guerre de la succession d’autriche, 1711-1748. — Trois ans après éclata la guerre européenne de la succession d’Autriche. L’empereur Charles VI était mort (1740) en léguant ses États à sa fille Marie-Thérèse, reine de Hongrie. Mais sa succession fut réclamée par plusieurs prétendants. La France se déclara pour l’électeur de Bavière Charles-Albert, le principal d’entre eux ; la Suède, l’Espagne et la Prusse embrassèrent la même cause ; l’Angleterre, la Russie, la Hollande, la Sardaigne prirent parti pour Marie-Thérèse. Cette guerre, qui remua toute l’Europe, fut pour la France l’occasion de beaux faits d’armes et de glorieuses victoires. Dès fa première année, pendant que le roi de Prusse Frédéric II s’emparait de la Silésie, le maréchal de Saxe, qui commandait l’armée française, emportait d’assaut la ville de Prague, capitale de la Bohème. C’est à ce siège qu’eut lieu le dialogue suivant entre un grenadier du régiment de Beauce et son lieutenant-colonel Chevert : « Vois-tu cette sentinelle ? — Oui, mou colonel. — Elle va te dite : Qui va là ? Ne réponds rien, mais avance — Oui, mon colonel. — Elle tirera sur toi et te manquera. — Oui, mon colonel. — Va l’égorger, je suis là pour te défendre. » Le grenadier s’avance, est manqué par la sentinelle et la tue ; Chevert le suit avec son régiment, et la ville est prise. L’électeur de Bavière se fit couronner roi de Bohême à Prague, et deux ans après il reçut la couronne impériale à Francfort. Marie-Thérèse semblait perdue ; elle ne désespéra pas de sa cause. En cédant la Silésie à Frédéric II, elle le décida à poser les armes ; les généraux français Belle-Isle et Chevert, restés dans Pragne, furent alors contraints de battre en retraite. Une armée anglaise descendit sur le continent, et rejeta les Fiançais sur la rive gauche du Rhin. Le Bavarois sans appui et sans troupes, réduit à mendier une pension de la France pour ne pas mourir de faim, ne survécut que peu de temps aux revers dont la fortune l’accablait, et l’archiduc François de Lorraine, époux de Marie-Thérèse, fut proclamé empereur (1745). Le maréchal de Saxe reprit l’avantage dans les campagnes suivantes. Il gagna dans les Pays-Bas la mémorable bataille de Fontenoy (1745), à laquelle assista Louis XV. Le maréchal, épuisé par une maladie de langueur et presque mourant, n’avait pas voulu résigner le commandement ; il se faisait porter dans une litière, quand ses forces ne lui permettaient plus de rester à cheval. Ce fut le duc de Richelieu, aide de camp du roi, qui assura le succès de la journée, en faisant enfoncer par l’artillerie une colonne anglaise qui, marchant droit devant elle sans s’ébranler, avait pénétré au cœur même de l’armée française. Au début de l’action, les officiers des deux partis avaient lutté de courtoisie : « Messieurs des gardes françaises, tirez ! » avait dit un capitaine anglais en ôtant son chapeau « À vous, messieurs les Anglais, lui avait-on répondu ; la maison du roi ne tire jamais la première. » La victoire de Fontenoy[2] fut suivie de celles de Rocoux[3] (1746), et de Laufelt[4] (1747). Mais en Italie et sur mer, la France eut le dessous : les désastreux combats livrés à la hauteur du cap Finisterre et de Belle-Île-en-Mer épuisèrent la marine française déjà en décadence. La paix d’Aix-la-Chapelle termina la guerre de la succession d’Autriche, en 1748 ; elle consacra, les droits de Marie-Thérèse, confirma la cession de la Silésie à la Prusse, donna Parme et Plaisance à un infant d’Espagne, et garantit la succession de la maison de Hanovre au trône d’Angleterre. Le cardinal de Fleury n’avait pas vu la fin de cette guerre ; il était mort en 1713 et n’avait pas été remplacé, le roi ayant déclaré qu’il gouvernerait seul désormais.

378. Jansénistes et Convultionnaires. — Le ministère de Fleury fut troublé au dedans par la querelle du Jansénisme. qui avait agité déjà le règne de Louis XIV[5] Les Jansénistes, condamnés deux fois pae le Saint-Singe en 1§53 et 1656, avaient vu renouveler leur condamnation en 1713. par la bulle Unigenitus ; ils refusèrent de se soumettre, et il fallut les poursuivre. Des deux maisons religieuses qu’ils avaient fondées à Port-Royal-des-Champs, près de Versailles, et à Port-Royal de Paris, l’une avait été dispersée en 1656, l’autre ruinée complètement en 1710. On emprisonna ceux qui ne voulurent pas souscrire la bulle, Dans leur exaltalion, ils se regardèrent comme des martyrs ; ils prétendirent qu’un des leurs, le diacre Pâris, mort en odeur de sainteté, opérait des miracles ; ils accoururent en foule vers son tombeau, dans le cimetière de Saint-Médard à Paris. Là, quelques-uns d’entre eux faisaient mille contorsions ou se torturaient volontairement, disant et croyant qu’ils étaient visités par l’esprit divin ; on les appela convulsionnaires, à cause des convulsions qu’ils éprouvaient. Ces scènes scandaleuses, qui jetaient du ridicule sur les choses sacrées, et qui servaient la cause de l’incrédulité contre la religion, ne cessèrent que lorsqu’un ordre du gouvernement eut fait fermer le cimetière. La querelle du Jansénisme fut aussi pour le Parlement une occasion de lutte contre le clergé et la royauté, et cette lutte devait aboutir à la ruine du Parlement et à la suppression des Jésuites.

379. guerre de sept ans. — Les années qui suivirent la paix d’Aix-la-Chapelle procurèrent un court repos à la France et à l’Europe. Le commerce et les lettres profitèrent de ce calme inespéré. Mais l’Angleterre mit de nouveau aux prises toutes les puissances européennes par un acte de violence indigne d’une grande nation. Jalouse des progrès de la marine française, qui commençait à se relever, elle saisit en 1755, sans déclaration préalable de guerre, trois cents vaisseaux marchands qui naviguaient sur la foi des traités. Pour venger cette agression inouïe, la France attaqua les possessions anglaises de la Méditerranée, et le duc de Richelieu fit la conquête de Minorque, l’une des Baléares, et emporta d’assaut la citadelle de Port-Mahon. La guerre s’alluma en même temps dans l’Allemagne. Louis XV, abandonnant, par suite de basses intrigues de cour, la politique de ses prédécesseurs, fit cause commune avec l’Autriche ; l’Angleterre opposa à cette alliance celle de la Prusse. Cette guerre, nommée Guerre de Sept ans à cause de sa durée, fut généralement funeste à la France. Le roi de Prusse Frédéric II, plus connu sous le nom de Frédéric-le-Grand, contre lequel la France, l’Autriche, la Saxe et la Russie avaient réuni leurs efforts, sortit plus puissant d’une lutte qui avait paru devoir le ruiner. Les défaites que les généraux français éprouvèrent à Rosbach en Prusse (1757), à Crevelt et à Minden en Westphalie (1758 et 1759), ne furent pas compensées par les succès du duc de Richelieu ni par les victoires du maréchal de Broglie, et toutes les colonies françaises de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique tombèrent successivement au pouvoir des Anglais

380. Dévouement du chevalier d’Assas. — Mais au milieu de ses revers, la France eut la consolation de voir le courage et le dévouement des soldats et des officiers grandir avec les périls, et briller d’un éclat d’autant plus vif, que la fortune de nos armes était plus compromise par l’incapacité des généraux que la faveur avait placés à la téte des armées. Le combat de Clostercamp, en Westphalie, où le maréchal de Broglie fut vainqueur, est célèbre entre tous par l’héroïsme du chevalier d’Assas (1760). Les ennemis s’étaient avancés à marches forcées pour surprendre l’armée française, qui était campée prés d’un bois. Le maréchal, se doutant de leur dessein, fit coucher ses troupes sous les armes, et envoya à la découverte un détachement commandé par le chevalier d’Assas, capitaine au régiment d’Auvergne. À peine cet officier a-t-il fait quelques pas, qu’il tombe dans un parti de Hanovriens. Les ennemis, appuyant leurs baïonnettes contre sa poitrine, menacent de le tuer s’il fait le moindre bruit. D’Assas n’hésite pas : « À moi ! Auvergne ! s’écrie-t-il ce sont les ennemis. » Il tombe aussitôt percé de coups ; mais l’armée est sauvée.

381. paix de paris et d’hubertsbourg. — En vain le duc de Choiseul, devenu premier ministre par l’influence de la marquise de Pompadour, essaya de relever les affaires de la France, en unissant par le Pacte de famille (1761) les Bourbons de France, d’Espagne et d’Italie ; il fallut renoncer à poursuivre une guerre désastreuse. Par le traité de Paris (10 février 1763), Louis XV céda à l’Angleterre l’Acadie, le Canada, la Dominique, le Sénégal, et une partie des colonies françaises de l’Inde ; il lui rendit l’île de Minorque, et obtint la restitution de la Martinique, de la Guadeloupe et de l’île de Gorée. Cinq jours après, la paix signée au château d’Hubertsbourg, en Saxe, confirma la possession de la Silésie au roi de Prusse. Ainsi se termina cette guerre de Sept ans, dont l’issue assurait l’empire des mers aux Anglais.

382. Désordres intérieurs. — Aux désastre extérieurs de la France se joignaient alors la corruption et les désordres intérieurs. En 1757, Louis XV avait failli d’être assassiné par Damiens, et cette tentative avait fait éclater encore une fois les sentiments d’affection que la France tout entière lui avait témoignés quelques années auparavant en lui donnant le surnom de Bien-Aimé. Cependant le roi commençait à ne plus mériter cet amour, que ses débauches insensées allaient bientôt changer en mépris. Le gouvernement était abandonné aux mains des intrigants et des favorites. La volonté de Mme de Poiopadour ou de Mme Dubarry décidait de l’élévation ou de la disgrâce d’un ministre. Dans le reste de la société, le désordre était au comble : guerre entre le clergé et les philosophes, disciples de Voltaire et de J.-J. Rousseau, qui attaquaient non-seulement les préjugés de la foule, mais les croyances mêmes et jusqu’aux dogmes de la religion catholique ; guerre entre la cour et le Parlement, qui fut sacrifié aux rancunes du chancelier Maupeou et remplacé par une compagnie de créatures du chancelier, que l’opinion publique stigmatisa du nom de Parlement Maupeou (1771) ; guerre entre les philosophes et les Jésuite, qui furent bannis de France en 1764, et dont le pape Clément XIV prononça l’abolition en 1773 ; enfin et surtout, accroissement continuel de la dette publique et gaspillage des finances, qui ne pouvaient suffire aux prodigalités scandaleuses de la cour créant chaque année un déficit de 25 millions.

383. Ministère de Choiseul. — Cette triste phase du règne de Louis XV fut cependant marquée par d’utiles mesures, par des créations avantageuses au pays, et par des événements d’une grande importance. L’honneur de tout ce qui a été fait de bien alors revient au ministre que Mme de Pompadour avait donné à la France. Le duc de Choiseul releva la marine, prépara l’affranchissement des colonies anglaises de l’Amérique du Nord, réunit la Lorraine à la France après la mort de Stanislas (1766), et y ajouta la Corse, que les Génois nous cédèrent en 1766, mais qu’Il fallut conquérir sur ses habitants et qui ne se soumit qu’en avril 1769. Quatre mois après, Napoléon Bonaparte venait au monde ; la Providence avait voulu que le futur empereur des Français naquit citoyen du pays dont il devait porter si haut la gloire et la puissance. Choiseul protégea les lettres et les arts, ouvrit plusieurs grandes routes, encouragea l’agriculture, ordonna la libre circulation des grains, à laquelle Colbert avait cru devoir mettre des entraves. L’École-Militaire, l’École vétérinaire et celle de chirurgie, la Manufacture royale de porcelaines, établie à Sèvre en 1748, datent aussi de cette époque. Un mot de Louis XV complète l’éloge de Choiseul : lorsque, à la fin de son règne, le roi reçut la nouvelle du premier partage de la Pologne entre Catherine II, impératrice de Russie, Frédéric-le-Grand, roi de Prusse, et l’empereur d’Allemagne Joseph II, il ne put s’empêcher de dire : « Si Choiseul eût été ici, ce partage n’aurait pas eu lieu. »

384. Mouvement littéraire et philosophique. — Sous Louis XV le mouvement intellectuel fut marqué par un esprit d’innovation et de réaction contre les idées et les abus de l’ancienne monarchie. Alors furent proclamés solennellement les grands principes de l’égalité de tous devant la loi et de l’abolition de l’esclavage. Les noms célèbres de cette époque sont nombreux ; nous ne citerons que les principaux. En première ligne se placent deux hommes, dont la gloire serait grande, s’ils n’avaient souillé leurs écrits par d’indignes attaques contre la religion et la morale : Voltaire, génie universel, mort en 1778, à l’âge de 84 ans, qui fut tout à la fois philosophe, poète et historien ; et Jean-Jacques Rousseau, mort à 66 ans, la même année que Voltaire, musicien, publiciste et philosophe. Ils furent comme les chefs de cette école philosophique dont les doctrines anti-religieuses eurent pour principaux apôtres Diderot et d’Alembert. Viennent ensuite Montesquieu, auteur de l’Esprit des Lois et des Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains ; le sage et bon Rollin, le président Hénault, Mably, Condillac, Fontenelle, Buffon, Lesage, Beaumarchais, qui, dans des genres bien différents et à des titres divers, out mérité aussi que leur nom fut transmis à la postérité.

385. avénement de louis xvi. caractère de ce prince. — Louis XV, rongé d’ennuis, dégoûté de tout, et contemplant d’un œil indifférent la dissolution de la société et de la monarchie, qui s’opérait autour de lui, termina honteusement son règne en 1774. Il eut pour successeur son petit-fils Louis XVI, âgé de vingt ans. Le nouveau roi apportait sur le trône de bonnes intentions. Animé de l’esprit de foi et de charité, économe pour lui-même, bienfaisant pour les autres, « il avait l’esprit juste, le cœur droit et bon ; mais il était sans énergie de caractère et n’avait aucune persévérance dans sa conduite. » (Mignet.) Ce n’était pas le prince qu’il fallait à la France dans la situation critique où elle se trouvait placée. La cour connaissait à peine ce sérieux et austère jeune homme, qui jusque-là, dans la solitude qu’il s’était faite à Versailles, avait caché une incurable défiance de lui-même et une singulière timidité ; ses occupations chéries étaient de copier des cartes de géographie, ou de faire de la serrurerie, de l’horlogerie et de la menuiserie. On lui avait bien appris quelques éléments de l’histoire et des langues ; mais son éducation ne l’avait pas suffisamment préparé au rôle de roi, et il se trouva livré à ses seuls instincts d’honnêteté et de justice, avec une intelligence ordinaire, au milieu du déchaînement des passions les plus opposées.

386. réformes intérieures. — Les premiers actes de Louis XVI furent d’un heureux augure. Il remit à la nation le droit de joyeux avènement ; il affranchit tous les serfs qui restaient encore dans les domaines de la couronne ; il réduisit les impôts et les tailles, abolit la question judiciaire, fit raser les deux prisons détestées du Petit-Châtelet et du For-l’Évêque, et donna sur sa propre cassette deux cent mille francs aux pauvres. Les plus douces espérances saluaient le nouveau règne, et l’on trouva un matin, sur le piédestal de la statue de Henri IV, au pont Neuf, cette inscription : « Il est ressuscité. » L’entrée du sage Turgot et du vertueux Malesherbes au ministère parut destinée à compléter les réformes que le jeune roi voulait opérer. Turgot, nommé contrôleur général des finances, se proposa de remplacer les impôts existants par un impôt territorial qui pèserait sur la noblesse et le clergé aussi bien que sur la bourgeoisie ; de supprimer les corvées et les droits seigneuriaux ; d’établir la liberté de conscience, l’égalité des droits, l’unité de législation, etc. Il crut rendre ses réformes plus sûres et plus faciles en rappelant les magistrats exilés par Maupeou et en reconstituant le parlement de Paris. Il trouva dans ce corps une vive opposition à ses projets, et bientôt il fut sacrifié avec son ami Malesherbes aux intrigues de la cour et aux clameurs intéressées des classes privilégiées.

387. necker, 1776. — Le premier ministre, Maurepas, courtisan octogénaire, qui s’était séparé de ses deux collègues pour ne pas tomber avec eux, ne tarda pas à appeler au conseil un banquier protestant de Genève, Necker, qui joignait à une grande habileté financière une réputation incontestable de probité. Le nouveau contrôleur général prétendit ramener l’ordre dans les finances par de simples opérations de banque et surtout par des emprunts, au lieu de détruire, comme le voulait Turgot, les anciens privilèges. Un moment, il parvint à ranimer là confiance et le crédit ; mais le déficit ne se comblait pas, et, après avoir publié inutilement un fastueux compte-rendu de ses opérations, il fut obligé de se démettre de ses fonctions en 1781.

388. guerre de l’indépendance américaine, 1776-1783. — Necker avait du moins fourni à la France les moyens de prendre une part glorieuse à la guerre de l’indépendance américaine. Les colonies anglaises de l’Amérique ayant secoué le joug de la métropole en 1776, et s’etant formées en republique fédérative sous le nom d’États-Unis, avaient envoyé Benjamin Franklin à la cour de Versailles pour implorer les secours de la France. Les marquis de Rochambeau et de La Fayette, et une foule de jeunes officiers français allèrent mettre leur épée au service des insurgés, qui avaient pris pour général en chef Georges Washington. En même temps, les d’Orvilliers, les Lamothe-Piquet, les Duchaffaut, les d’Estaing, les Bouillé, les Suffren combattaient sur mer pour la même cause. Après une lutte de sept années, les Anglais furent obligés de reconnaître l’indépendance des États-Unis en 1783 ; par le même traité, la France, recouvra une partie de ses colonies en Amérique et en Asie.

389. assemblées de notables ; convocation des états-généraux, 1789. — Mais cette gloire extérieure coûtait cher à la France ; le trésor était épuisé. Le ministre de Calonne crut remédier au mal en convoquant une assemblée des Notables, à laquelle il soumit d’utiles règlements ; il ne fit que susciter contre lui une opposition formidable, et fut contraint de se retirer. L’archevêque de Toulouse, Loménie de Syrienne, qui l’avait renversé, ne fut pas plus heureux ; dans son impuissance, conseilla au roi le rappel de Necker, qui avait emporté dans sa retraite les regrets unanimes. Revenu au pouvoir avec le titre de surintendant des finances, Necker réunit une seconde fois les Notables en novembre 1788 ; mais les courtisans, opposés a toute réforme radicale, avaient fait choisir des députés hostiles aux plans du ministre, et il n’y avait plus d’autre ressource que de s’adresser aux trois ordres de la nation. Les États-Généraux n’avaient pas été assemblés depuis 1614 ; on résolut de faire un appel à leurs lumières et à leur patriotisme. La Révolution. allait commencer.


Synchronisme. — Prépondérance de la Russie dans le nord de l’Europe sous Pierre-le-Grand, 1709-1725, et sous Catherine II, 1762-1796. — La Prusse élevée au rang de puissance du premier ordre par Frédéric le Grand, 1749-1786. — Ministère de Pombal en Portugal, 1750-1777 ; tremblement de terre de Lisbonne, 1755. — Premier partage de la Pologne, 1772. — Invention du paratonnerre par Franklin, 1757.

  1. Ce nom doit être prononcé Lass.
  2. Village à 7 kil. de Tournai, sur la droite de l’Escaut.
  3. Entre Liège et Maastricht.
  4. Laufelt ou Lawfeld, près de Maestricht.
  5. Elle avait pour objet les rapports de la liberté de l’homme avec la grâce.