Histoire de Jonvelle/Première époque/Chapitre IV

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CHAPITRE IV

MONUMENTS.

§. Ier

Damoncourt

Comme souvenirs des temps celtiques dans les environs de Jonvelle, signalons d’abord la pierre monumentale de Damoncourt. Cette localité, appelée aujourd’hui Grange-Rouge, est située sur le territoire de Polaincourt. Un petit oratoire y avait été érigé de temps immémorial, en l’honneur de sainte Félicie. Une grande dalle, vulgairement dite la Pierre percée, à cause de l’ouverture circulaire pratiquée au milieu, passait pour être le tombeau de cette vierge martyre, et attirait une foule de pèlerins, qui venaient lui demander la santé, surtout pour les yeux. Mais ce petit édifice ayant subi les ravages du temps et des révolutions qui signalèrent le onzième siècle, le bienheureux Lambert, premier abbé de Clairefontaine, dont la sollicitude s’étendait à tout, le fit relever de ses ruines, et il en confia la garde et le service à deux de ses religieux. Dès lors, le pèlerinage, interrompu pendant quelque temps, fut remis en honneur jusqu’à l’invasion des huguenots, qui renversèrent la chapelle. Restauré de nouveau, grâce aux soins de l’abbaye et à la piété des fidèles, l’antique sanctuaire disparut sans retour, à l’époque de la révolution française, avec la pierre merveilleuse qu’il renfermait[1].

Il n’est pas douteux que ce pèlerinage n’ait succédé, comme tant d’autres, à des superstitions païennes. Cette pierre percée n’était qu’un monument druidique ; et le nom de Damoncourt (Damonœ-curtis) peut bien rappeler celui de Damona, divinité celtique honorée à Bourbonne et figurant dans ses inscriptions.

Les autres pierres percées que l’on voit encore sur les territoires de Dampvalley, de Traves, d’Aroz et de Fouvent ; la Pierre qui vire, lieu dit de Bougey et de Melay ; les hachettes en jade trouvées dans ce dernier village et à Rosières-sur-Amance ; Bourbonne, dérive de Borvo, autre divinité celtique ; Baulay, nommé Baaler dans une charte de l’abbaye de Cherlieu (1209) ; Baslieres, près de Port-d’Atelier ; Baslenière, fontaine sur le territoire de Port-sur-Saône ; Belin, ancien moulin de Betaucourt ; quelques statues revêtues de la saie gauloise et trouvées près du bac de Miévillers ; enfin les monuments de Creuseil, dans les bois de Purgerot : tels sont les derniers vestiges qui rappellent des souvenirs celtiques autour de Jonvelle. Car les ravages du temps, les violences des hommes dévastateurs et surtout les conquêtes plus pacifiques de l’agriculture, ont peu respecté, dans nos pays, les monuments du premier âge.

§. II

Corre

Les antiquités de Corre ont été de bonne heure signalées à l’attention de la Société des Antiquaires de France[2]. Elles ont fourni à MM. Marc (1806), Pratbernon (1819), Humblot (1824), et Eusèbe Salverte (1829), la matière de plusieurs Mémoires remplis d’érudition. Mais il est nécessaire de les dégager de certaines erreurs, que les entraînements de l’imagination et du patriotisme y ont introduites, d’en classer les matériaux avec plus de méthode, et d’y ajouter le résultat de nouvelles découvertes.

Monuments religieux. Dans la plaine dite le Parge, situé entre le village et la jonction des deux rivières, sur la place Saint-Maurice et dans les ruines de l’église, on a découvert une quantité considérable de débris d’autels, de statues et d’architecture, provenant sans doute du temple de la petite cité. On peut juger de ses dimensions par un chapiteau d’ordre corinthien qu’on a conservé. Ce morceau précieux, qui orne le kiosque de M. Barbey, mesure 37 centimètres a la base, et suppose par conséquent un piédestal de 1 mètre 30 centimètre, un fût de 3 mètres 90 centimètres et un entablement de 90 centimètres. Quoique bien endommagé, il porte encore les feuilles d’acanthe et des vestiges de figure humaine entre les volutes. Quelques autres fragments de bas-reliefs et d’ornements de style incertain, un reste de corniche à feuillage vigoureusement fouillé, deux tronçons de colonnes de petites proportions, dont l’une, reposant sur une base attique, est enlacée dans une sculpture de vigne légère et élégante, nous révèlent le travail énergique, l’art sévère et même grandiose, qui ont présidé à la décoration de cet édifice religieux.

On voit encore dans le jardin de M. Villers une pierre de 44 centimètres de hauteur et de largeur, sur 76 de longueur, dont la base est ciselée, et la face supérieure creusée en bassin, avec une entaille en forme de rigole. Humblot et Eugène Salverte pensent que c’était un autel, ainsi disposé pour recueillir les libations et le sang des victimes. Une seconde pierre, qu’ils regardaient comme le complément de la première, ayant 1 mètre 50 centimètres de longueur sur 1 mètre de largeur, présentait une ouverture carrée de 40 à 50 centimètres et servait aux sacrifices. Chacun sait que l’autel païen était une sorte de piédestal, qui empruntait différentes formes, d’abord très simples et plus tard ornées de bas-reliefs et d’inscriptions. Chez les Romains, les autels consacrés aux dieux terrestres ou demi-dieux, étaient placés sur le sol et se nommaient ara. Les autels consacrés aux grands dieux étaient placés sur quelque construction élevée et s’appelaient altaria. Pour le culte des dieux infernaux, on faisait un trou en terre, appelé scrobiculus, sur lequel on égorgeait les victimes.

Plusieurs statues remarquables ont été trouvées à Corre. Chevalier, dans ses Mémoires sur Poligny, rapporte que, vers le milieu du siècle dernier, on déterra une belle statue de Vénus en marbre blanc, de grandeur colossale, bien conservée et absolument nue. Son indécence la fit mutiler, et l’abdomen servit à faire le bénitier que l’on voit à l’entrée de l’église actuelle.

Une autre statue non moins remarquable, quoique en grès rougeâtre du pays, a fourni le torse dont M. Barbey a enrichi le musée de Besançon. La grandeur et l’élégance des proportions, la bandelette qu’il porte en sautoir de droite à gauche, ses cheveux qui flottaient sur ses épaules, caractérisent la belle époque de l’art qui l’a produit.

Le P. Dunod, et après lui M. Marc, racontent qu’en 1702 un laboureur trouva une statue équestre mutilée, dont le piédestal, d’un mètre de large, portait cette inscription : PAV… A… INNAM. FIL., que le premier avait lue : PAN. L. I. AP.INNAM. FIL.A. [3]. M. Marc[4] en conclut que Corre était une colonie romaine, et que ce monument se rapportait à un certain Paulus Cinnamus, chevalier romain, qui vivait sous l’empereur Vespasien.

Des fouilles, pratiquées dans le même endroit, mirent à découvert une statue pédestre également endommagée, et un piédestal sur lequel on lisait : V SAMBATLOLE.

Cette légende a-t-elle été fidèlement reproduite ? Ou bien faut-il, avec M. Marc, admettre une inversion de lettres, si familière aux Romains, surtout à cette époque, et attribuer ce monument à Lollien, l’un des tyrans qui se partagèrent le gouvernement des Gaules ? La question est difficile à résoudre.

Monuments funèbres. Au commencement de la république, tous les Romains avaient leur sépulture dans l’intérieur des villes ; mais au nom de la salubrité publique, la loi des douze tables ordonna d’inhumer au dehors. A dater de cette époque, on vit les tombeaux s’élever au bord des grands chemins. C’était une leçon publique donnée à l’homme, pour lui rappeler qu’il est mortel, et pour le porter à l’imitation des grandes vertus célébrées par les monuments funèbres.

Selon cette coutume, le cimetière de Corre avait été placé le long de la route qui se dirigeait vers Châtel-sur-Moselle. On y a trouvé une grande quantité de médailles, d’urnes et de pierres tumulaires. Ces tombeaux, la plupart, endommagés, sont en pierre de grès, assez commune dans le pays. Ils mesurent 2 mètres de hauteur, sur une largeur de 70 centimètres à 1 mètre. Ils sont taillés en forme de niches, d’où ressortent, en demi-bosses plus ou moins détachées, une ou plusieurs figures d’hommes, et d’enfants dans des attitudes consacrées par les traditions religieuse. Ces monuments, d’un style rudimentaire, étaient debouts et ordinairement isolés. La plupart offrent trois faces, ornées de dessins variés, tels que guirlandes, palmettes, vases de fleurs et mêmes figures enfantines. Les personnages sont revêtus de la tunique, plus souvent de la toge romaine, dont les plis perpendiculaires descendent jusqu’aux chevilles. Un mantelet jeté sur la robe couvre le buste plus bas que le coude. Le cou est découvert et l’on ne voit paraître que les mains, qui portent les attributs symboliques. La robe de quelques-uns est étagée et frangée dans le bas, Le mantelet plus ample et, plus long. Les cheveux symétriquement boucles autour du front, une attitude simple et modeste, impriment à ces images un air de jouissance et de gravité, symbole de la paix du tombeau. S’il n’y a qu’une figure, elle élève de la main gauche, appuyée sur la poitrine, une coupe en forme de calice. A la main droite est suspendu par l’anse un panier ou coffre conique, la pointe en bas, ou bien une sorte de réchaud. Le vase de forme conique, au rapport de Servius, se nommait futita, et servait à contenir l’eau pour les sacrifices de Vesta. Comme c’était une irréligion de le déposer à terre, on lui avait donné cette forme, afin que le ministre pût le porter sans danger de renverser le contenu.

Quand il y a deux figures, la première unit la main droite à la main gauche de la seconde, pour soutenir ensemble la coupe, tandis qu’elles portent chacune, de la main restée libre, le vase conique ou le réchaud. Ceci est remplacé par une bourse dans un seul monument. Quels que soient l’âge et le sexe des personnes, toutes portent ces attributs.

Au fronton de l’édicule, ou dans la main des personnages, on aperçoit quelquefois des emblèmes, qui rappelaient sans doute la profession du défunt. Un peu plus bas se trouvent les sigles D. M., Diis Manibus, et enfin l’inscription qui fait connaître les noms du défunt et ceux des parents qui lui ont érigé le monument votif.

Dans l’une de ces niches funèbres, découvertes en 1820, on voit la figure d’un jeune homme tenant les vases symboliques ; à la partie supérieure sont les initiales D. M., et dans l’enfoncement l’inscription : LI… SOLINI CESTI, ou CISTI. Ne pourrait-on pas admettre que Solini est le nom de famille, et que Costi ou Cisti, qui vient de cista, urne, indique la fonction du jeune homme ? On sait que les Romains avaient deux sortes d’urnes pour les votes : l’une, appelée cista, présentait une large ouverture et contenait les bulletins offerts aux électeurs ; l’autre, nommée cistella, avait l’ouverture très étroite et servait a les recueillir. Peut-être ce jeune défunt était-il questeur au sénat.

Une seconde niche, qui appartient également à un adolescent, porte ces mots écrits autour de la tête : 0 RAMIOR. Une troisième représente une femme au cou allongé, à la chevelure tressée en limaçon, sans aucune légende ni attributs funèbres. Une quatrième, très grossière, porte l’inscription : D. M. MEMORIE CVCVMILE FILIE. Dans le tympan sont sculptées deux figurines d’un aussi mauvais style, séparées par un objet qu’elles semblent frapper. Une cinquième est un bas-relief, dont il ne reste que la tête en partie mutilée, autour de laquelle on peut encore distinguer ces mots : ADITIE DTOTIAN. C’était, suivant le docteur Humblot, de Jussey, une anagramme ou sont compris les mots Dittationi, Dittationoe et Didattitionoe, d’où il concluait, en s’étayant d’ailleurs sur d’autres conjectures moins hasardées, que le village de Corre est l’ancien Dittatium[5].

Comme type de ces monuments funéraires et d’une exécution toujours grossière et élémentaire, nous présentons une tombe[6] dont le dessus, excavé en forme de voussure, laisse ressortir trois têtes, a droite celle d’un homme barbu, au milieu une figure de femme avec une sorte de coiffure en diadème, posée sur ses cheveux roulés en bandeaux ; à gauche, la tête d’un jeune homme imberbe, avec des cheveux frisés. Cette disposition semble réunir le père, la mère, ou la fille et le fils. Au-dessous, sur la tablette, est une inscription votive, qui a été copiée avec les incorrections de l’ouvrier graveur. A la partie inférieure est sculpté un cippe funèbre entre deux patères.

Cette pierre tumulaire, presque exclusivement taillée à la pointe du marteau et incrustée dans le mur du jardin de M. Villers, est brisée par le pied et mesure encore 1 mètre 75 centimètres de hauteur sur 80 centimètres de largeur.

Tous ces monuments, d’un style peu caractéristique, ne sont que les essais d’un art encore peu avancé, ou déjà tombé en décadence. Cependant il en est deux, dans les bosquets de M. Barbey, qui paraissent offrir un modèle plus complet entre toutes ces ébauches. C’est d’abord une figure de jeune fille, dont le relief très saillant a été détaché de la niche à laquelle il était adossé. Cette image est assez gracieusement posée, et respire un sentiment de candeur heureusement exprimé, quoique par des moyens fort simples. Elle est enveloppée dans un manteau étroit, et tient dans sa main droite le vase symbolique. Bien que ce débris ne soit pas à beaucoup près un ouvrage fini, c’est cependant le morceau qui nous a paru le plus digne de fixer l’attention[7].

Le second est un bloc de grès, qui devait avoir de 1 mètre 50 à 1 mètre 80 de hauteur. Brisé par la base et réduit a 1 mètre 30 c. de hauteur avec 75 centimètres de largeur, il est creusé en forme de niche et couronné par une pyramide accostée de deux saillies curvilignes, ou cornes caractéristiques du monument. Dans l’enfoncement de la niche, un homme et une femme ressortent en relief : la femme est reconnaissable à sa coiffure, partagée sur le front et très relevée sur les tempes. La tête de l’homme accuse une certaine rondeur de formes qui lui donne de l’expression. Il est vêtu d’une tunique à larges manches montant jusqu’au cou, et par dessus d’un manteau drapé, qui est relevé sur le pli du bras. De la main gauche il porte par son anse une sorte de panier. La main droite est étendue pour saisir un vase de forme longue, poculum, que tient aussi la main droite de la femme. Celle-ci est vêtue elle-même d’une tunique et d’un manteau, dont les plis sont ramenés sur la poitrine de gauche à droite[8].

Ce monument a sans doute été élevé à la mémoire de deux époux, qui sont représentés dans la force de l’âge, se partageant la coupe de la vie. Il y a dans cette communauté d’action l’image d’une idée dont la moralité est frappante : cette coupe simultanément partagée et soutenue, ce panier symbolique, dont le mari seul est chargé, sont évidemment l’expression d’un beau trait de la religion antique, dont le côté philosophique est mis en relief d’une manière bien sentie.

Urnes funéraires. Urne, du latin urere, brûler, signifie récipient d’un corps réduit en cendres, et partant d’une dépouille mortelle. On en faisait en métal, en verre et en terre, de couleurs variées. Les urnes vulgaires étaient plus grandes, parce qu’on prenait moins de soins de la crémation pour les pauvres que pour les riches ; souvent on y mêlait les cendres de plusieurs personnes. Quelques-unes portaient les sigles D. M. et une inscription ; d’autres renfermaient des médailles, des ossements d’animaux, des défenses de sanglier, des bois de cerf et autres objets de prédilection du défunt.

Les urnes exhumées des sépultures de Corre et déposées au musée de Besançon, attestent l’antiquité de cette ville et l’usage de renfermer des vases cinéraires dans les tombeaux. Cette coutume, connue même des Gaulois, existait encore sous le Bas-Empire. Elle se conserva chez les païens et même chez les chrétiens, qui, malgré les lumières de la foi nouvelle, faisaient ce qu’ils avaient vu pratiquer par leurs pères. Il a fallu toute l’autorité des conciles pour combattre et détruire cet usage idolâtrique.

On voit qu’à cette époque, dans la vie publique comme dans la vie privée, les habitants de Corre sont tous romains. La langue latine est celle des inscriptions et de la haute société ; sur les tombeaux on reconnaît la religion, la coutume, la toge et jusqu’à la barbe des Romains. Les urnes et les sarcophages d’une seule pierre, trouvés à Corre et dans le voisinage, rappellent le double usage où ils étaient, tantôt de brûler les corps, tantôt de les ensevelir sans les brûler. Un fragment de poterie[9], dont le travail est embelli d’ornements et de bas-reliefs, atteste aussi dans les ustensiles une élégance inconnue de nos jours.

Bains et thermes. Chacun sait que les bains et les thermes ont excité au plus haut degré la sollicitude des Romains. Nous en avons pour preuve la magnificence que leur génie a déployée dans ceux de Bourbonne, de Bains, de Luxeuil et de Plombières. Portiques, galeries, statues, bassins de marbre, de granit et de porphyre, salles ornées de fleurs et d’animaux en mosaïque, vases précieux d’huiles et de parfums à l’usage des baignants, rien de ce qui peut nourrir le luxe et la volupté n’était épargné chez ce peuple, devenu tout sensuel. Mais à défaut de sources thermales, chaque cité, chaque villa même avait ses bains artificiels. Dans le siècle dernier, Corre offrait aux regards des curieux les vestiges de ses anciens bains, pareils à ceux de Jallerange, de Saint-Sulpice, de Coligny, d’Antre, d’Osselle, de Poligny, de Mandeure, de Baignes, etc. Le savant religieux couronné en 1777 par l’académie de Besançon, a décrit ces somptueux édifices avec le riche mobilier qu’ils renfermaient. Il est vraisemblable que les mosaïques de Membrey, de Port-sur-Saône, de Vitrey, de Voisey, de Blondefontaine, d’Aisey, de Charmes-Saint-Valbert, etc., sont des restes d’anciens établissements de ce genre.

Aqueducs. Les eaux étaient amenées et distribuées dans les villes par des canaux souterrains, pour l’usage des habitats, pour les bains et pour les temples des dieux. Tels étaient les aqueducs d’Arcier, de Luxeuil, de Port-sur-Saône, de Baignes, de Bourbonne. « Celui de Corre, dit M. Marc[10], situé du côté de Demangevelle, avait environ un mètre de hauteur dans œuvre, sur neuf décimètres d’ouverture. Il était revêtu, dans sa partie inférieure, d’un ciment de deux décimètres d’épaisseur. La voûte est composée de longues pierres plates rejointoyées avec un ciment de chaux, de sable et de briques pilées. L’intérieur est cimenté de même. L’enveloppe de l’aqueduc est un massif de pierres, qui font parement vers le centre concave de ce canal, dont l’ensemble présente la plus grande solidité. » Ce travail, dont on ne trouve plus aucune trace, avait beaucoup de ressemblance avec celui du canal d’Arcier. Il faudrait donc en faire remonter aussi la construction jusqu’au règne de Marc-Aurèle.

Une autre fontaine, qui prend sa source à la jonction des routes de Jussey et de Jonvelle, parait avoir été distribuée dans la ville par différents canaux. Les fondations du récipient sont encore visibles à un mètre au-dessous du sol actuel, et la tuile romaine a été trouvée en grande quantité dans le voisinage.

§. III

Bourbonne

Cette ville possède deux monuments gallo-romains, d’autant plus intéressants qu’on y trouve son nom. Le premier, exhumé des ruines du château et déjà connu au seizième siècle, est un bloc de marbre assez mutilé, reste d’un autel votif ; il porte l’inscription suivante, attestant la reconnaissance d’un père pour la guérison de sa fille :

…ORVONI. T (A) MONAE. C. IA TINIVS. RO MANUS. IN G. PRO. SALV (T) E. COCILE FIL. EX VOTO

Ce qui signifie : " A Borvo et à Damone, Caius Jatinius, Romain, venu dans les Gaules pour la guérison de sa fille Cocilla, ex voto. " M. Jolibois traduit : " (Carius, Jatinius, noble Romain Romanus ingenuus), s’est acquitté de son vœu envers Borvo et Damona, pour la santé de sa fille Cocilla[11]. " Cette inscription se trouve dans l’antichambre de l’établissement thermal.

Le second monument est une petite plaque de marbre blanc, trouvée en 1883 sous les décombres d’une maison incendiée. L’inscription, gravée en beaux caractères, porte :

DEO. APOL LINI. BORVONI ET. DAMONÆ C. DAMINIVS FEROX CIVIS LINGONV. EX VOTO

C’est-à-dire : " Caius Dominius Ferox, citoyen de Langres, au dieu Apollon, à Borvo et à Damone, pour l’accomplissement d’un vœu. "

Cette pièce remarquable appartient à M. le docteur Ath. Renard. Cette dernière découverte semblait destinée à jeter un grand jour sur la manière de compléter et d’interpréter l’inscription citée plus haut. Les savants ont donc pensé que le nom d’Apollon devait toujours être suppléé à celui de Borvo, qui n’en serait que l’épithète. Mais une étude plus attentive nous conduit à une conclusion tout opposée. Les deux inscriptions sont entières et complètes. La première n’exprime point le nom d’Apollon, le dieu de la médecine, mais seulement ceux de Boreo et de Damone, autres divinités protectrices des thermes. Ainsi Borvo n’est point une épithète, mais le véritable nom d’une divinité celtique, d’un génie bienfaiteur des eaux.

Sur la plaine, à l’extrémité de la colline qui s’avance au sud comme un promontoire, s’élevaient trois temples d’ordre corinthien, dont le plus important avait un portique en granit vosgien, tandis que les deux autres avaient des portiques en pierre du pays. C’est là qu’on invoquait Apollon, Boreo et Damone, divinités tutélaires des thermes.

Le sol antique de Bourbonne a rendu en tout temps un grand nombre de monuments et de débris romains ; mais rarement ils ont été recueillis par des mains conservatrices, et plus rarement décrits avec quelque certitude archéologique. Les ouvrages publiés sur les eaux de Bourbonne, depuis bientôt trois siècles, indiquent vaguement comme produits des fouilles successives, des pierres de taille quelquefois or nées, des briques et des tuiles romaines, des restes de pavés en mosaïque, des traces de chaussées, des médailles, des inscriptions, des bas-reliefs, des statues dont quelques-unes en marbre blanc, etc.

Quant aux constructions qui peuvent avoir fait partie des bains antiques, « ce qu’il y a de certain, dit M. Ath. Renard, c’est qu’à l’occasion des fouilles exécutées de 1732 à 1785, au voisinage de ces sources, on a trouvé certains vestiges de travaux, dont les plus anciens étaient situés à plus de quinze mètres au-dessous du sol actuel. Une si grande profondeur, qui ne peut être le résultat des atterrissements produits par une longue suite de siècles, autorise à penser que les eaux de Bourbonne étaient connues et employées, même longtemps avant l’invasion des Romains. C’est à ces derniers que l’on attribue la construction postérieure d’un aqueduc et de certains ouvrages en pierre et en briques, découverts à l’occasion des mêmes fouilles, et plus élevés de neuf mètres environ. Du reste, le nom du Bain Patrice, sous lequel on distingue encore aujourd’hui la source de l’hôpital militaire, et les débris d’un ancien pavé de marbre, que l’on a trouvés à deux mètres de profondeur, assis sur une couche épaisse de ciment, permettent de supposer que les Romains possédaient autrefois dans cet emplacement des bains dignes de leur magnificence. »

Pour compléter cette courte notice sur les antiquités de Bourbonne, signalons en dernier lieu deux autres petits monuments recueillis par le même savant. L’un, peu important, mais bien conservé, est un petit bouc en bronze, comme on en connaît beaucoup : l’autre est un débris mutilé d’un monument orné de sculptures, qui fut le tombeau d’un acteur nommé Maronus et surnommé Rocabaius, peut-être de l’un de ses rôles. C’est ce que nous apprend l’épitaphe inscrite dans le tympan d’un fronton de mauvais style. M. Berger de Xivrey la lit ainsi en suppléant quelques lettres :

MARONV | S HISTRIO RACABA IVS DIC | I VIXI | T ANN XXX

M. de Monbret, membre de l’Institut, a lu : Maronus, histrio, Racabajus dictus, vixit ann. xxx. Ce comédien était-il venu en ce lieu pour y rétablir sa santé, ou bien pour y donner des représentations théâtrales ? Ces deux hypothèses sont également vraisemblables. On sait, d’ailleurs, que les malades et les oisifs, réunis pendant la saison des eaux, ont toujours été fort avides de spectacles et de plaisirs.

  1. Mémoire de M. l’abbé Brultey sur Clairefontaine
  2. Tome III, pag. 20 et 21.
  3. Découverte de la ville d’Antre
  4. Mémoire sur les antiquités de la haute-Saône
  5. Les auteurs de la Nouvelle Diplomatique disent que cette manière d’intervertir les lettres a été en usage dans tous les temps. Selon saint Jérôme, le prophète Jérémie s’est servi quelquefois de ce genre d’écriture ; et Suétone nous apprend que Jules-César employait aussi ces caractères, qu’il appelait coecas litteras. Pratbernon et Humblot mentionnent encore dans leurs Mémoires un fragment d’inscription trouvé dans le cimetière gallo-romain. On y lit : D- M. TIBER. MASC. AVOANA
  6. Planche I
  7. Planche II
  8. Planche III
  9. Nous l’avons donné au musée de Besançon, avec trois urnes funéraires et deux clefs, dont l’une est en cuivre et l’autre en fer. A Biémont, territoire de Vitrey, on trouve une grande quantité de morceaux de poterie de couleurs variées, qui accusent des vases d’une grandeur considérable
  10. Dissertation sur les antiquités de la Haute-Saône, pag. 171
  11. La Haute-Marne ancienne et moderne