Histoire de Versailles, année 1920

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BIBLIOGRAPHIE


Jamais Versailles n’a été mieux aimé. La France victorieuse se plaît à reconnaître son image immortelle dans ce Palais où elle voit comme le symbole de son unité et de sa force, en même temps qu’elle y constate la perfection même de son esthétique. De tous côtés, littérateurs, historiens cèdent à l’attrait de ces lieux pleins de gloire ; il a paru bon d’indiquer aux lecteurs de la Revue de l’Histoire de Versailles les travaux les plus récents que Versailles ait inspirés[1].

La maison Hachette publie, sur le plan des volumes de M. André Maurel, consacrés à Rome, Naples, Florence et Venise, une série de monographies copieusement illustrées, et qui se proposent de donner au public des notions claires sur les beautés naturelles de nos provinces ou les richesses de nos villes d’art. Un livre de M. Paul Gruyer[2], sur Versailles, inaugure cette nouvelle série. On en appréciera la présentation élégante, le choix heureux des photographies, l’effort de synthèse. Il n’était pas facile de donner en 250 pages de petit format tout l’essentiel des gros livres publiés sur un sujet inépuisable ; M. Gruyer s’y est essayé avec bonheur. Peut-être, cependant, regrettera-t-on une tendance un peu romantique à juger l’histoire de Versailles ; des annales de Louis xiv, l’auteur ne retient guère que la faveur de Mlle de Lavallière, de Mme de Montespan, que les revers militaires de la fin du règne ; sur Mme de Maintenon, dont l’influence sauva du déshonneur la vieillesse du grand roi, un mot seulement et malveillant ; sur les victoires dont le Château même n’est que l’expression triomphale, rien. C’est peu pour un livre destiné à être lu par beaucoup d’étrangers ou de Français mal informés de notre histoire nationale ; souhaitons que M. Gruyer, dans une seconde édition, supprimant ou retouchant ici une épithète, ajoutant là le développement qui s’impose, fasse de son livre ce qu’il doit être, le bréviaire des fervents de Versailles.

Le guide rédigé par M. Veslot, pour le Syndicat d’initiative de Versailles[3], en raison de ses dimensions et de son prix, s’adresse à un public beaucoup plus nombreux que le livre de M. Gruyer. Il faut louer M. Veslot d’avoir échappé aux défauts qui menacent des ouvrages de ce genre : trop d’érudition n’y serait pas de mise, le lecteur voulant être rapidement informé ; mais ne risque-t-on pas alors de tomber soit dans la sécheresse, soit dans la banalité ? M. Veslot a su se garder de l’une comme de l’autre ; fort au courant de l’histoire du Château et de Versailles, il a pu, sous une forme claire, donner dans son guide des informations exactes sans pédantisme, copieuses sans surabondance. Ajoutons que l’illustration est fort riche et presque entièrement inédite, les plans bien conçus et bien présentés, et que le touriste trouvera, à la fin de ce guide, un excellent choix de promenades autour de Versailles, à pied, à cheval, en bicyclette ou en automobile, dont les itinéraires, accompagnés de graphiques, sont remarquablement indiqués, l’auteur ayant eu la conscience de les parcourir lui-même. Le Guide du Syndicat d’initiative est, à cet égard, sans rival, les pages consacrées aux environs de Versailles par le Guide Joanne et autres similaires étant fort insuffisantes et, de plus, conçues de la façon la moins pratique pour le touriste.

Depuis la publication de l’œuvre magistrale de M. de Nolhac, des travaux récents ont permis de dégager, au rez-de-chaussée de l’aile du Nord du Château, des salles où, sous la décoration du temps de Louis-Philippe, on a pu retrouver des restes intéressants de l’état primitif, appartenant soit aux construction de Le Vau (1669), soit à une époque un peu postérieure (1674). M. Chaussemiche vient de publier une note sur cette curieuse restauration[4].

En dépit des repeints, des retouches fâcheuses, les plafonds des appartements royaux constituent un ensemble pictural de premier ordre. M. Paul Gruyer[5], revenant sur un sujet succinctement traité dans son manuel, décrit ces plafonds, en montre l’importance dans l’histoire de la peinture française[6] ; des rapprochements suggestifs auraient pu, à ce propos, être faits avec des œuvres décoratives analogues de l’École romaine ou de la bolonaise ; il importerait, pour la pleine compréhension de l’art de Versailles, d’établir en quoi Le Brun et ses émules s’apparentent aux grands maîtres italiens du xviie siècle, en quoi aussi ils en diffèrent ; souhaitons que M. Pératé nous donne un jour, sur ce beau sujet, l’étude que l’on peut attendre de sa délicate érudition.

Pendant la guerre, les conservateurs du Musée de Versailles ne se sont pas bornés à veiller avec un soin pieux sur les trésors dont ils avaient la garde ; même dans les moments de grande angoisse, ils n’ont rien négligé pour accroître leurs riches collections ; à quel point ces acquisitions ont été importantes et heureuses, on en jugera par un intéressant article de M. de Nolhac[7] ; contentons-nous d’y renvoyer le lecteur, sans le fatiguer par une sèche énumération : même éloigné de Versailles, il pourra, grâce à l’élégante documentation du texte, grâce aussi à la richesse et à la beauté des illustrations, apprécier toute la valeur des œuvres d’art dues aux démarches avisées de M. de Nolhac et de M. Pératé.

Les jardins de Versailles ne tiennent pas dans l’histoire de l’art français une place moindre que le Château ; M. Lucien Corpechot[8] le rappelle avec à-propos dans un article où il dénonce l’état d’abandon du parc de Versailles et surtout de celui de Saint-Cloud, et réclame des pouvoirs publics les sacrifices financiers qu’exige la conservation de ces ensembles sans rivaux dans le monde ; il est assez piquant, constate-t-il, qu’à une époque où « l’urbanisme » est tant à la mode, on semble négliger les leçons que nous en offrent, aux portes de Paris, les parcs des résidences royales.

Versailles n’est pas seulement un sanctuaire d’art ; il évoque, de l’histoire de France, les pages les plus brillantes comme les plus tragiques.

Deux recueils de documents ont récemment vu le jour, qui apportent une intéressante contribution aux annales de la cour de Louis xiv ; ce sont d’abord les lettres du maréchal de Tesse à son ami et protecteur, le prince de Monaco (1699-1725), publiées pendant la guerre par M. Le Glay[9] ; surtout, on trouvera dans la correspondance du grand Condé et du duc d’Enghies, avec la reine de Pologne, Marie-Louise de Gonzague, que vient de nous donner M. Em. Magne[10], une véritable gazette de la cour de Versailles pendant les premières années du règne personnel de Louis xiv.

Parmi les études récentes où l’historien de Versailles peut trouver à glaner, citons l’ouvrage de M. Collas sur la Belle-fille de Louis xiv[11], cette dauphine dont le rôle, à vrai dire, fut de second plan, et surtout le dernier tome paru de l’Histoire de la Marine française de M. Ch. de la Roncière[12] ; en particulier, dans le chapitre sur « Louis xiv et la Marine » [13], on trouvera de curieux détails sur la Petite-Venise et la flotte en miniature du Grand-Canal ; reprenant la question après M. Fennebresque, M. de la Roncière montre qu’il faut voir dans cet amusement un ingénieux moyen imaginé par Colbert pour intéresser le Roi à la marine.

Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas, à proprement parler, d’un ouvrage historique, comment ne pas citer ici les belles pages du dernier roman de M. Louis Bertrand, l’Infante[14] ? Cette description des fêtes de l’Île enchantée, scrupuleusement fidèle à la vérité de l’histoire, montre tout ce qu’un grand artiste peut ajouter de vie, de couleur, de beauté à la sécheresse des documents.

La ville de Versailles est née, s’est développée à l’ombre du Château ; aujourd’hui pourtant, elle vit d’une vie indépendante, tout en conservant un caractère très particulier. Mlle Myriem Foncin, qui prépare une thèse de doctorat sur le développement des agglomérations urbaines de la banlieue parisienne, a été très frappée par le cas spécial de Versailles, ville artificielle, sans industrie, éloignée des courants commerciaux, et pourtant, ville bien vivante et se développant avec régularité ; elle a résumé ses recherches dans un article plein de suggestions ingénieuses, élégamment présentées[15].

Parmi les études d’histoire ou d’archéologie locales, signalons un travail de M. A. Perrault-Dabot sur les Vitraux de la Chapelle de la Vierge à la Cathédrale de Versailles[16], œuvre de Dévéria, exécutée à la Manufacture de Sèvres, un excellent article de M. Léon Mirot sur les Monnaies de guerre de la région parisienne[17] et une note sur l’expression populaire « aller à Versailles », dans le sens de « faire la culbute » [18].

Diverses monographies sur des personnages nés à Versailles ou y ayant longtemps séjourné sont également à citer. Une place d’honneur est due au remarquable travail de M. Alfred Hachette sur l’Affaire Mique (1745-1794)[19] ; on sait que M. Hachette prépare sur l’architecte de Marie-Antoinette et son œuvre un livre sur l’intérêt duquel il est superflu d’insister ; de ce livre, il a détaché un important morceau : c’est l’histoire d’une sorte de « chantage » exercé sur Mique par un aventurier qui cherchait à se faire passer pour un sien frère porté comme disparu dans un combat naval ; à travers les pièces de procédure, M. Hachette suit toute l’intrigue jusqu’à son tragique dénouement, puisque l’architecte et son fils moururent sur l’échafaud, victimes des dénonciations de la famille de l’escroc qui avait en vain cherché à les déshonorer ; signalons, au cours de cette étude si minutieuse à la fois et si vivante, de curieuses pages sur la justice de la Prévôté de l’Hôtel à Versailles et sur la vieille geôle.

Les autres études ne méritent que des mentions ; c’est d’abord une note sur Sauveur Legros, curieux personnage né à Versailles en 1754, tour à tour comédien, secrétaire du prince de Ligne, et à qui l’on peut attribuer avec vraisemblance la rédaction du journal d’Hanet-Cléry sur la captivité de la famille royale au Temple[20] ; c’est ensuite la publication d’intéressantes lettres de Hoche, tirées des Archives de Coblence par M. de Font-Réaulx[21]. Nous ne citerons que pour mémoire l’article de M. Arth. Pougin sur la filiation d’Augusta Holmès[22], nous contenant de renvoyer le lecteur à l’étude très complète de M. Pichard du Page dans le présent fascicule de la Revue de l’Histoire de Versailles.

Ch. Hirschauer.
  1. Une prochaine chronique sera consacrée à la bibliographie des travaux relatifs à la Seine-et-Oise, à l’exclusion de Versailles.
  2. Huit jours à Versailles ; Paris, Hachette, 1920 ; in-18 ; ill. hors texte (15 fr.).
  3. Versailles, Cité de la Paix ; livret-guide officiel du Syndicat d’initiative de tourisme de Versailles et environs : La Ville, le Château, les Trianons, leurs parcs et les environs ; Versailles, au siège du Syndicat, 1920 ; in-8o  ; ill. dans le texte (4 fr.).
  4. Bulletin de la Commission des Antiquités et des Arts de Seine-et-Oise, t. xxxviii, 1919, pp. 51-54.
  5. Les Plafonds de Versailles, in : Renaissance de l’Art français et des Industries de luxe, 3e  ann., juin 1920, pp. 250-259 ; ill.
  6. Émettons à ce sujet un vœu de réalisation facile : l’étude des plafonds du Château est matériellement fort malaisée : ne pourrait-on, comme dans les palais italiens, à la chapelle Sixtine, etc., mettre des miroirs à la disposition des visiteurs ?
  7. Les récents accroissements du Musée de Versailles, in : les Arts, 1920, no 182.
  8. Les leçons de Versailles et de Saint-Cloud, in : Minerve française, t. iv, 1er  janvier 1920, pp. 5-17.
  9. Lettres du maréchal de Tessé au prince Antoine Ier de Monaco, publ. par A. Le Glay (introduction, tables et notes), in : Collection des Mémoires et documents inédits publiés par ordre de S. A. S. le prince Albert Ier de Monaco (Monaco, impr. de Monaco et Paris, Picard, 1917, in-8o ).
  10. Le Grand Condé et le duc d’Enghien. Lettres inédites à Marie-Louise de Gonsague, reine de Pologne, sur la cour de Louis xiv (1660-1687), publ. par Em. Magne (introduction, notes et index alphabétique) (Paris, Emile-Paul, 1920 ; pol. in-8o ).
  11. Paris. Emile-Paul, 1920, in-8o .
  12. Histoire de la Marine française. t. v : la Guerre de Trente Ans. Colbert (Paris, Plon-Nourrit, 1920 ; in-8o ). Rappelons que l’Académie française vient de décerner le grand prix Gobert à ce bel ouvrage qui avait déjà obtenu la même distinction à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
  13. Op. cit., pp. 324-340.
  14. Paris, A. Fayard, 1920 ; in-18. Ce roman avait d’abord été publié en feuilleton dans l’Écho de Paris.
  15. Versailles, étude de géographie historique, in : Annales de Géographie. t. xxxviii, no du 15 septembre 1919, pp. 321-341. Signalons que, dans un prochain fascicule de notre Revue, M. Cans se propose de traiter le même sujet en se plaçant à un point de vue différent.
  16. Bulletin de la Commission des Antiquités et des Arts de Seine-et-Oise. t. xxxviii, 1919, p. 71-74.
  17. Bulletin de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Île-de-France, 45e ann., 1918, p. 114-127 ; pl. h. t. Les monnaies de Versailles sont reproduites sur la pl. iii.
  18. Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux. t. lxxxi, numéro du 19 février, col. 98, et du 20-30 mars 1920, col. 268-269.
  19. Revue historique, t. cxxxiii ; fasc. de janv.-février 1920, pp. 1-34.
  20. Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, t. lxxx, no du 1er  juin 1920.
  21. Hoche et la politique rhénane, in : les Lettres, no du 1er  juin 1920.
  22. Intermédiaire des Chercheurs…, t. lxxxi, no des 10-20 mai 1920, col. 333-355. M. Pichard du Page y a d’ailleurs répondu dans la même Revue, no des 10-20-30 juin 1920, col. 450-451.