Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/IV-CHAPITRE II

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CHAPITRE II


Dernière invasion française. — Mise en vigueur des lois révolutionnaires en Savoie. — Faïencerie d’Hautecombe. — Ruines de l’abbaye.

Le samedi 22 septembre 1792, avant le point du jour, les troupes françaises entraient en Savoie en remontant la vallée de l’Isère. Le lendemain, le général Montesquiou campait aux Marches et, le 24, il occupait Chambéry. Une ère nouvelle avait commencé pour notre province.

La Convention nationale envoya bientôt des commissaires pour organiser cette nouvelle conquête. Le 6 octobre, une proclamation, signée par Dubois - Crancé, Gasparin, Lacombe-Saint-Michel et Philibert Simon, déclare au peuple savoisien qu’il est libre de se donner un gouvernement de son choix et invite toutes les communes à nommer un député chargé d’exprimer les vœux des populations dans une assemblée générale convoquée à Chambéry pour le 22 du même mois.

Cette réunion, préparée sous l’influence des clubs de Jacobins, eut lieu dans la cathédrale de Chambéry. Du dépouillement des votes, il résulta que, sur les 655 communes de la Savoie, plus de 600 avaient déclaré leur intention de faire partie intégrante de la nation française. Le 23, l’assemblée décida qu’elle prendrait le nom d'Assemblée nationale des Allobroges. Empressée d’appliquer à la Savoie les décisions prises par la Constituante le 17 novembre 1789, elle rendit, dès le 26 octobre, un décret où l’on remarquait les articles suivants :

« Tous les biens du clergé tant séculier que régulier, passent en propriété à la nation qui leur en continue la jouissance provisoire jusqu’à ce qu’elle ait déterminé le meilleur mode pour leur assurer un traitement honorable. » (Art. Ier.)

« Il sera procédé, par-devant les officiers municipaux et secrétaires des communes, à un inventaire de tous les biens ecclésiastiques, tant mobiliers qu’immobiliers, avant lequel les administrateurs, receveurs, prieurs, procureurs et tous préposés quelconques seront assermentés et sommés de dire la vérité. » (Art. V.)

« L’assemblée nationale confie tous les biens ecclésiastiques à la surveillance paternelle des communes. » (Art. IX.)

« L’assemblée nationale défend à toute communauté religieuse de l’un et de l’autre sexe d’augmenter le nombre de ses individus en recevant des novices et suspend l’émission des vœux pour ceux qu’elle aurait déjà dans son sein : les communautés religieuses donneront à la municipalité la désignation des membres qui les composent, de leur âge, du lieu de leur naissance et de celui de leur profession (s’ils ont émis des vœux), et la date de leur domicile dans ce pays. » (Art. X.)

« Tous les biens et capitaux, sous quelque dénomination qu’ils soient, donnés au clergé à titre de fondation, appartiennent à la nation qui en fera acquitter les charges. » (Art. XVI.)

« Les nominations aux bénéfices, qui appartenaient au ci-devant duc de Savoie, aux ci-devants seigneurs, patrons laïques ou autres que l’évêque diocésain, sont dévolues à la nation. » (Art. XVII.)

« La commission provisoire d’administration en reste seule chargée et ne pourra y procéder qu’en cas d’urgence[1]. »(Art. XVIII.)

Le 29 octobre, après avoir nommé une délégation chargée de porter à la Convention le vœu des communes de la Savoie et une commission de 21 membres pour administrer provisoirement la chose publique sous sa propre responsabilité, l’assemblée nationale des Allobroges se déclara dissoute. Elle avait tenu quatorze séances depuis le 21 octobre.

Le gouvernement de notre province passa donc entre les mains de la Commission provisoire d’administration des Allobroges, qui entra en fonctions le même jour.

Dès le lendemain, elle s’occupa de l’exécution du décret du 26 octobre. Le 31, elle arrête que, pour prévenir la dilapidation des biens nationaux, chaque citoyen donnera connaissance au bureau des maisons religieuses et corporations qui exigent des précautions plus urgentes ; elle nomme ensuite des commissaires chargés d’exécuter ce qui leur serait prescrit pour la conservation des biens des religieux et procéder à leur inventaire. Pour la maison des « Bernardins d’Hautecombe, » furent désignés les citoyens Belisle et Chamoux, hommes de loi.

Le 4 novembre, ils se rendent à l’abbaye d’Hautecombe et en prennent possession au nom de la nation.

Ainsi fut déchirée, pour ta première fois, la charte d’Amédée III. Le trésor de l’église abbatiale était encore considérable. Les commissaires demandèrent à la commission d’administration de le faire transporter dans le « trésor national, » ce qui leur fut accordé dans la séance du 11. Quatre jours après (15 nov.), ils font leur rapport sur l’exécution de leur commission et offrent de remettre l’inventaire auquel ils ont fait procéder. — La commission arrête « que les pétitionnaires feront extrait par partie de l’inventaire par eux fait des effets dépendants de ladite maison, situés sur différentes communes, par commune réparée…, et que l’inventaire général sera remis sur le bureau. »

Ils offrent, en outre, de déposer entre les mains du trésorier national Trépier les effets, or et argent qui constituaient le trésor d’Hautecombe. La commission nomme le citoyen Roch, un de ses membres, et le citoyen Curtelin, l’un de ses secrétaires, pour les vérification et description de tous les effets, en faire la rémission au trésorier et l’en faire charger.

Le lendemain, 16 novembre, rapport est fait sur le trésor mis sous la garde du trésorier Trépier, déposé dans un coffre de noyer dont la clef sera consignée aux archives nationales[2].

Les événements marchaient rapidement. Le 27 novembre, la Convention avait agréé le vœu des Allobroges et proclamé la réunion de la Savoie à la République française. Le lendemain, elle nommait quatre de ses membres, Simond, Grégoire, Hérault et Jagot, pour organiser le 84e département de la République française, sous le nom de département du Mont-Blanc[3].

Au mois de février suivant, fut publiée en Savoie la constitution civile du clergé.

Ce fut le signal d’une persécution générale. Les religieux n’ayant pas charge d’âmes, étant moins retenus à leurs résidences que les membres du clergé séculier, se dispersèrent bientôt.

La communauté d’Hautecombe se composait alors d’une huitaine de religieux[4]. Ils quittèrent cette demeure sans attendre qu’on les expulsa par force, emportant avec eux, si l’on en croit la tradition, tout ce qu’ils pouvaient soustraire aux agents du gouvernement et à la rapacité des habitants du voisinage. Ces derniers épiaient leurs démarches et venaient pendant la nuit enlever les objets cachés dans les alentours du monastère. Bientôt même ils ne prirent plus ces précautions, ils entraient dans le monastère et arrachaient, sous les yeux des religieux atterrés, les meubles, livres, papiers, etc., etc.

Un religieux, dom Garbillon, fit alors défection. Il reçut de la nation la garde d’Hautecombe, où il demeura deux

« L’Administration centrale » parait avoir remplacé l’administration dite du Mont-Blanc, sur la fin de prairial an III (mai 1794). (Registres de la préfecture.) ans après le départ de ses confrères ; puis il obtint une place du gouvernement à Chambéry où il mourut misérablement.

Le 6 juillet 1793, en exécution de l’arrêté du représentant Albitte, le citoyen Domenget, commis à cette besogne, procéda à la descente des cloches. L’une d’elles fut donnée à la paroisse de Saint-Innocent, en échange de deux plus petites, après approbation de l’administration départementale[5].

Après avoir fait tomber la tête du « dernier des rois, » la Convention décréta[6] qu’avant le 10 du mois d’août 1793, leurs tombeaux seraient renversés dans toute l’étendue du territoire de la République. Hautecombe éprouva le contrecoup de ce décret dirigé spécialement contre la nécropole de Saint-Denis. Un émissaire sans honte vint ouvrir les monuments funèbres et fouiller dans les cercueils pour en extraire les objets précieux. Mais comme la cupidité était son seul mobile, il laissa en place les ossements des princes[7].

La vente des biens ecclésiastiques devait suivre leur confiscation. Dès que les inventaires, les actes d’État, les renseignements nécessaires furent recueillis[8], et que les circonstances parurent favorables, l’administration du département s’en préoccupa.

Tous les bâtiments de l’ancienne abbaye, avec 512 journaux attenants, d’un seul tènement, et 31 journaux du domaine de Porthoud, furent vendus, le 25 thermidor an iv (13 août 1796), aux citoyens Léger Henry, Louis et Joseph Landoz frères, pour le prix de 50,942 livres[9]. Divers particuliers achetèrent le reste des terres, à l’exception du domaine de Saint-Gilles et d’une partie de la forêt.

Dans le courant de l’année 1799, les acquéreurs cherchèrent à utiliser pour une faïencerie les vastes édifices qui, sans une destination spéciale, « auraient bientôt subi le sort des autres bâtiments placés ainsi dans des déserts

inhabités, et ne présenteraieiitque des ruines[10]. » Un four fut installé sous la coupole de l’église ; la famille du principal exploitant se logea dans quelques chambres du monastère.

Cet établissement n’est point mentionné dans les livres sur la céramique ; il n’est pas cependant indigne de souvenir. Son importance industrielle a été signalée dans la statistique du Mont-Blanc[11] : « On y a fait avec succès, est-il dit, quelques essais d’une faïence imitant celle d’Angleterre. Les artifices pour broyer les matières sont mus par les eaux d’une fontaine intermittente, recueillies dans un assez grand réservoir qui se trouve situé entre la fontaine et l’établissement. On mêle en diverses proportions, suivant les objets que l’on veut fabriquer, les argiles qu’on tire des communes voisines, telles que celles de Tresserve, de Méry et de Vivier. Il n’y a qu’un fourneau. On y fait ordinairement quatre cuites par mois. La fabrication peut s’élever à une cinquantaine de mille francs. Les ateliers occupent douze ouvriers à l’année, on en emploie au moins dix-huit au dehors, ce qui fait en tout trente ouvriers. »

L’établissement d’Hautecombe représentait, lui seul, le tiers des affaires des huit fabriques de poterie ou de faïence du département du Mont-Blanc. Il avait des dépôts à Lyon, à Grenoble, à Chambéry, ce qui a sans doute fait mentionner par quelques auteurs l’existence d’une faïencerie dans cette dernière ville. Indépendamment des localités voisines, Moûtiers, l’Hôpital-sous-Conflans, Aiguebelle, Saint-Jean de Haurienne, s’approvisionnaient habituellement à cette faïencerie, et l’on expédiait à Vienne, à Saint-Étienne et à Turin[12].

Néanmoins, cette industrie fut de courte durée et cessa vers 1804. Son abandon ne servit qu’à accélérer la destruction de l’édifice qui l’abritait ; les vastes toitures N’étant point entretenues s’écroulèrent, la voûte de l’église s’effondra, couvrant à la fois les fourneaux éteints et les tombeaux profanés ; l’on ne vit plus, dès lors, que des débris de monuments et de sculptures gothiques, des fragments d’antiques vitraux entassés pêle-mêle sur le sol, cachés sous les ronces et les arbustes sauvages et près d’être ensevelis sous d’autres ruines. Les restes de la chapelle de Romont servaient de cellier, et la chapelle de Saint-André était transformée en une forge.

Cependant, au milieu de cette dévastation, Hautecombe n’avait pas perdu toute sa beauté. Sans dire, avec l’auteur de Raphaël, qu’il y avait plus de charmes, « plus de saintes psalmodies des vents, des eaux, des oiseaux, des échos sonores du lac et des forêts sous les piliers croulants, dans les nefs démantelées et sous les voûtes déchirées de la vieille église vide de l’abbaye, qu’il n’y en avait autrefois dans les lueurs de cierges, les vapeurs d’encens, les chants monotones et les cérémonies qui les remplissaient jour et nuit, » cette solitude, par sa position unique, par la merveilleuse fontaine intermittente qui l’avoisine, avait conservé sa célébrité. Les hommes de goût et les artistes allaient toujours la visiter pendant les jours brillants de l’été.

Mais rien n’égalait sa mélancolique grandeur pendant l’arrière-saison ; l’on n’aperçoit alors que des nuages reposant sur les flots, se confondant avec la couleur sombre du ciel et laissant voir un horizon indéfini. Hautecombe, dans cette saison de l’année, était totalement abandonnée ; seulement, on y voyait quelquefois errer autour des décombres quelques Savoisiens fidèles, qui pleuraient sur leurs rois et leur patrie. Ils venaient apporter le tribut de leur profonde douleur aux cendres révérées que recelaient les souterrains d’Hautecombe et graver sur ces monuments renversés leurs noms alors oubliés ou proscrits[13].

Depuis 1804, Hautecombe ne fut que le centre d’une exploitation agricole. M. Landoz, devenu principal propriétaire, y avait consacré toute son activité. Il avait été surpris de trouver dans les vignobles renommés d’Hautecombe le pineau de Bourgogne, importé par les religieux, et communiquant aux vins du pays cette rare finesse et cette saveur framboisée que M. Francis Wey a remarquées dans les vins de Talloires, où cet heureux mélange de cépages de Bourgogne et de Savoie avait également été fait par les moines. Il s’attacha à cette propriété, en reboisa les sommets, et, le 30 Janvier 1824, il obtenait de Charles-Félix la faveur spéciale de pouvoir nommer un garde-bois.

Malgré l’affection qu’il portait à son domaine et aux utiles travaux qu’il y avait opérés, il s’empressa de le céder quand Charles-Félix lui témoigna le désir de le racheter. Voici en quels termes le roi lui faisait écrire, le 6 mars 1825, par le marquis d’Oncieu, son intermédiaire pour l’acquisition :

« J’ai retardé de répondre à votre gracieuse lettre du 22 février parce que je voulais prendre les ordres du roi et vous en rendre compte. Sa Majesté a agréé avec une sensible reconnaissance l’hommage que vous lui faites de la Trompette de Saint-Hubert, qui a appartenu à Philibert Ier dit le Chasseur, l’un de ses ancêtres, et du groupe sculpté représentant la Naissance de notre Sauveur[14]. Ce don est d’autant plus précieux et fait d’autant plus plaisir à Sa Majesté, qu’elle regarde tout ce qui a appartenu à cette abbaye comme des reliques qui lui rappellent de glorieux souvenirs.

« Sa Majesté me charge, Monsieur, de vous témoigner toute sa gratitude, de même que sa pleine satisfaction pour la manière désintéressée que vous avez gardée constamment dans les traité et conclusion de son acquisition de l’abbaye et domaine d’Hautecombe.

« Je vous en félicite et vous remercie, pour la part qui me revient, des facilités et de la manière gracieuse avec laquelle vous avez fini cette affaire avec moi[15]. »

  1. Dessaix, Histoire de la réunion de la Savoie à la France, p. 256 et suiv.
  2. Procès-verhaux de la Commission provisoire des Allobroges, Archives de la préfecture de Chambéry. Nous n’avons pu retrouver l’inventaire d’Hautecombe ni le rapport sur son trésor, qui nous auraient donné de précieux renseignements.
    On trouvera plus loin le résumé d’un inventaire dressé, trois ans et demi plus tard, par la régie du département du Mont-Blanc.
  3. Ainsi la Savoie fut gouvernée, du 22 septembre au 21 octobre 1792, par le général Montesquiou et par les commissaires de la Convention ; du 21 au 29 octobre, par l’Assemblée nationale des Allobroges ; du 29 octobre au 15 décembre, par la Commission provisoire ; du 15 décembre 1792 au mois d’avril 1793, par les quatre nouveaux commissaires de la Convention, chargés d’organiser le département du Mont-Blanc.
  4. Nous avons les noms suivants : Dom Dégaillon, dom Mollot, dom Chorot de Maisonneuve, dom Garbillon, dom Dupuy et dom Michaud,
  5. Registre des délibérations de la commune de Bellevue (Saint-Innocent), Ier vol. (Archives de la mairie de Brison-Saint-Innocent.)
  6. Le ler août 1793.
  7. Sommaire-apprise du 26 mai 1825. (Registres de l’archevêché, p. 19 et suiv. — Jacquemoud, Hautecombe, p. 120.)
  8. M. Édouard Guillermin a communiqué, en 1874, à la Société savoisienne d’hist. et d’archéol., un « inventaire des meubles, denrées, bestiaux, immeubles et autres effets dépendant de « la cy-devant abbaye d’Hautecombe, » dressé, le 16 germinal an iv (6 avril 1796) et jours suivants, par Pierre Vibert, receveur de la régie nationale au bureau d’Yenne, assisté de deux agents municipaux et du citoyen Garbillon, rêgisseur provisoire des biens d’Hautecombe, ensuite de l’ordre qu’il en avait reçu du citoyen Girard, directeur de la régie nationale du département. Les 268 numéros de cet inventaire, fait trois ans après le départ de la communauté, ne révèlent aucun point de vue nouveau. Quelques détails relatifs à l’exploitation agricole des religieux méritent seuls d’être relatés. Ainsi, il y avait alors 50 journaux (14 hectares 74 centiares) de vignes dans la propriété d’Hautecombe ; 34 cuves, 3 grands pressoirs à perches et 1 à vis ; 71 fûts de diverses contenances, dont les plus grands pouvaient recevoir jusqu’à 2,300 litres. Le domaine d’Hautecombe, proprement dit, comprenait, outre ces 50 journaux de vignes, environ 900 journaux de bois et rocs, plus les jardins, prés, cours, pâturages et tous les bâtiments de l’abbaye, tenus en régie par l’ex-moine Garbillon. Il ne faut en distraire que la « maison de la Porte d’Hautecombe, » comprenant un petit jardin et trois moulins affermés au nommé Glaret. La ferme de Saint-Gilles, composée d’une maison d’habitation, avec grange et écurie, et de 32 journaux, était exploitée par Antoine Rubelin ; celle de Grenne, comprenant maison et 28 journaux, était affermée à Alphonse Durutty. Le « cy-devant château de Pomboz, » avec 13 journaux environ, était tenu en ascensement par les héritiers Roux.
  9. Archives de la préfecture de Chambéry, n° 862.
  10. Ce désir de préservation et la date de cette création ressortent des considérants d’un arrêté du conseil de préfecture, du 6 prairial an [[sc|viii}}, qui maintient les acquéreurs dans la jouissance de « certaines broussailles en voie de reboisement et dans le bénéfice de leur contrat, la législation ayant eu pour but principal de favoriser le commerce et les établissements utiles. » (Arch. de la préf. de Chambéry, c. 17e rayon.)
  11. Description topographique et statistique du département du Mont-Blanc, par M. Verneilh, préfet de ce département ; Paris, 1806. p. 484.
  12. La raison commerciale était : Dimier, Henry et Landoz.
    Quant au mérite artistique des faïences d’Hautecombe, elles étaient considérées par les contemporains comme imitant heureusement le genre anglais. On peut en juger d’après les échantillons déposés au musée de Chambéry par l’auteur de ce travail et par M. le docteur Guilland, arrière-neveu de M. Landoz.
    Presque toutes les formes usuelles que la faïence peut revêtir, ont été exécutées à Hautecombe, depuis les poêles et les vases décoratifs pour terrasses et jardins, jusqu’aux encriers et aux pots à fleurs destinés à plaquer contre les murs et sur les corniches des boiseries. La poterie de table et les plus humbles ustensiles ne manquent pas de caractère et offrent constamment une remarquable appropriation à leur but.
    L’émail est brillant et généralement stannifère, soit blanc opaque, « plein de corps et sur terre brune. » Toutefois, on y faisait aussi la Mence jaune commune, que l’on obtient, comme l’on sait, en recouvrant la terre brune d’oxyde de plomb, sans addition de colorant. On employait le plomb et l’étain anglais, et leurs saumons venaient de Lausanne, de Marseille et de Nancy. La teinte du vernis varie du blanc pur au blanc rosé et au blanc bleuâtre. L’ornement est sobre, à une, deux ou plusieurs teintes douces : ce sont des points, des filets, des semis de petites fleurs, rarement des fruits, pas d’animaux, ni de paysages, ni de personnages. Les ouvriers peintres venaient d’Italie.
    Quant aux formes, elles appartenaient presque toujours au style Louis XV, sauf quelques bocaux étrusques et quelques rares fantaisies.
    Les faïences d’Hautecombe sont moins pesantes, moins épaisses que ne l’étaient celles de Saint-Jean de Maurienne et d’Italie ; leur légèreté rappelait celles d’Angleterre et de Moustiers-Sainte-Marie (Basses-Alpes). Certains genres de tasses ressemblaient, par leur peinture et leur légèreté, à celles que l’on façonne avec du figuier.
    La marque de fabrique n’était point usitée. (Notes communiquées à l’ Académie de Savoie par M. le Dr  Guilland, médecin à Aix-les-Bains.)
  13. Lettres sur la royale abbaye d’ Hautecombe ; Gênes, 1827.
  14. Le groupe de la Nativité est au Musée royal à Turin. Son pendant, une Présentation, ne fut pas jugé digne d’être envoyé au roi, à cause de quelques mutilations. Retrouvé au fond d’un garde-meuble dans la maison de M. Landoz, transmis par héritage au docteur Guilland, ce dernier l’a fait figurer à l’exposition artistique organisée à Chambéry en 1863, et les amateurs ont pu y retrouver l’empreinte naïve et sobre des œuvres du xiiie siècle.
  15. Lettre communiquée par M. le docteur Guilland.
    Le roi, comme nous le verrons au chapitre suivant, n’avait eu à traiter qu’avec M. Landoz, car celui-ci avait acquis le quart appartenant à M. Léger et le quart appartenant à M. François, par divers actes passés entre l’an vi et l’an xiii. Le quart de M. Fleury était parvenu, en 1821, aux demoiselles Marie-Anne et Jeanne-Françoise Landor, sœurs de Louis Landoz, dont il fut le mandataire pour la vente de 1824. — En outre, M. Landoz avait acheté de l’Économat royal, le 10 septembre 1821, 1,026 journaux de bois et forêts, situés sur la commune de Saint-Pierre de Curtille, moyennant 430 fr. de rente foncière annuelle, rachetable à 8,600 fr. (Greffe du tribunal de Chambéry. — Tabellion.) — Voy. aux Errata les corrections des pages 461 et 462.