Histoire de l'expédition chrestienne/Livre I/chapitre III

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De quelles choses est fertile la terre de la Chine


CHAPITRE III.


DE ceste si ample estendue de cet Empire, non seulement de l’Orient à l’Occident (comme s’estend nostre Europe) mais encor du Midy au Septentrion, provient qu’en aucun autre lieu du monde il n’y a si grande diversité de fruicts, qu’il s’en produict icy soubs le ciel de ce de ce mesme Royaume. Car de là depend la diversité des climats, & d’icelle la fertilité de diverses choses, pour ce qu’une chose s’esleve plus heureusement en un air bruslant, une autre en un air glacé, & autres aussi sous un ciel tempéré.

Les Chinois mesmes aux livres de leur Chorographie descrivent au long ce que chasque Province porte : ce que poursuivre icy feroit s’esloigner de la briefveté proposée. Cela se peut dire en general avec verité, que tous les Auteurs asseurent, que tout ce qui sert à l’ornement, au vivre, & mesmes aux delices, ne s’y apporte pas d’autre part, mais croist abondamment sur le lieu : voire j’oserois asseurer que tout ce que nous voyons en Europe, se retrouve en ce Royaume. Et si quelque chose y defaut, qu’elle est amplement recompensée de beaucoup d’autres, dont l’Europe manque.

Premièrement donc il y a abondance de toute sorte de bleds, il fournit quantité de froment, d’orge, mil, paniz, seigle & autres de semblable espece ; & le riz, qui est presque leur provision ordinaire, y surpasse de beaucoup l’Europe. Les legumes, & principalement les phaseols, desquelz mesme les chevaux & bestes à corne & semblables se paissent, endurent tous les ans en diverses provinces la deuxiesme & troisiesme moisson. D’où l’on peut non moins juger de la bonté de l’air, & fertilité de la terre, que de l’industrie du peuple. Il n’y defaut aussi aucune espece des principaux fruicts ou pommes, si vous exceptez les olives, & les amandes. Les figues que les nostres y aportent, ne se laissent surmonter par celles d’Europe. Outre ceux-cy il y a des fruits tres-bons à manger incognus aux nostres, telz qu’on en void en la province de Canto & autres du Midy, que nous appellons d’un nom emprunré des Chinois, Licyes & Longanes, qui entre peu sont tres doux, & ne croissent en nulle autre part. On void aussi là mesme ces noix Indiennes provenantes du palmier, & autres fruicts d’Inde. Il y en a aussi une autre espece, que les Portugais appellent figue Chinoise, qui est un fruict tres-savoureux & ensemble tres-beau. Les Portugais l’appellent figue seulement, pour ce qu’on en peut manger de seches, vulgairement figues de cabats  : car autrement elle n’a rien de semblable, & approche plustost de la forme d’une grande peche, mais rouge, & sans bourre & noyau. Mais les oranges & citrons, & toute espece de fruicts de bois espineux, surpassent de beaucoup en ceste espece la diversité ou douceur de tout autre terroir.

Il me semble aussi que je puis bien asseurer le mesme des herbes potageres, & de tout apprest des plantes jardinieres, car l’usage d’icelles est plus frequent entre les Chinois, qu’entre les nostres, d’autant qu’il s’en trouve beaucoup parmy le vulgaire, qui soit par pauvreté, soit par devotion, durant toute leur vie ne mangent autre chose.

Il n’y manque aussi aucune diversité de fleurs, ains plustost on en void avec plaisir & louange du Créateur, beaucoup que les nostres ne cognoissent pas. Mais les Chinois font souvent plus d’estat de la beauté que de l’odeur ; & aussi ilz n’ont jamais ouy parler de l’artifice de tirer à petit feu des sucs odorans des fleurs & des herbes, si ce n’est depuis qu’ils negocient avec les Européens.

En quatre provinces vers le Midy se retrouve ceste fueille noble parmy les Indois, qu’ilz appellent Betre, & l’arbre nommé Arequeita. Ilz mangent quasi tous les jours avec grandes delices ceste fueille doucement piquante meslée avec de la chaux vive, & asseurent que l’estomach ne reçoit pas peu d’allegement par ceste chaleur. Ilz suppleent diversement au defaut de l’huile d’olive, soit pour le manger, soit pour les lampes ; mais le meilleur de tous est celuy qu’on tire du Sesame  : car il est de bonne odeur, & abonde quasi par tout. Leurs vins sont beaucoup inferieurs aux nostres, encor qu'ilz se persuadent le contraire. Car la vigne y estant rare, & non assez douce, par certain mespris, ilz n’en pressent pas de vins mais ilz en font du riz & d’autres choses. D’où arrive qu’il ne defaut jamais. Ilz font grand cas de ce vin, & certes il n’est pas desaggreable, & ne brusle pas comme celui d’Europe.

Ilz mangent communément de la chair de porc ; mais toutesfois il y a aussi abondance d’autres chairs, beaucoup de bœufs, de brebis, de chevres, par tout une infinité de poulles, canards, oyes, voire mesme ilz mangent les chevaux, mulets, asnes & chiens de mesme quasi que les autres chairs, & on les estalle ainsi à vendre aux boucheries. Toutesfois en quelques lieux la superstition ou l’agriculture espargné les bœufs, & bouvines. Il y a abondance de venaison, mais principalement de cerfz, lievres, & diverses oiseaux, & tout s’achete à bon marché.

Les chevaux, & autre semblable bestail, encor qu’en beauté ils n’esgalent ceux d'Europe, sont neantmoins plus estimez pour le nombre, prix & facilité de la voiture, lors qu’en quelque lieu on ne rencontre des rivieres. Car il y a partout le pays tant de fleuves, qu’on le peut quasi tout passer & traverser par eau, soit que la nature, ou l’art ait fait ces rivieres. D’où se void une multitude incroyable de toute sorte de bateaux naviger deçà & dela & icelle est si grande, qu’un Escrivain de nostre temps n’a pas fait difficulté d’asseurer, qu’il n’y a pas moins d’habitans sur les eaux, que sur terre ferme. Ce encor qu’il semble que ce soit une hyperbole excedant la verite, neantmoins elle ne semblera pas excessive à celui qui seulement navigera sur les rivieres de la Chine. Quant à moy j’oserois asseurer autre chose, peut estre avec plus de verité, qu’il ne semble pas incroyable, qu’on peut compter autant de vaisseaux en ce seule Royaume, qu’en tout le reste du monde ; si on parle seulement de ceux qui sont portez sur les eaux douces. Car ceux qui parmy les Chinois passent en la mer, sont en plus petit nombre ; & nullement esgaux aux nostres. Mais je reviens aux chevaux. Les Chinois ne les sçavent pas dompter. Tous ceux dont on se sert journellement s’apprivoisent estans chastrez. Quant aux chevaux de guerre, il y en a presque une infinité, mais iceux si lasches & couards, qu’ilz ne peuvent seulement pas supporter le hennissement d’un cheval Tartare sans s’enfuyr. Dont ilz sont quasi inutiles aux combats, outre ce que n’estans pas ferrez, la mollesse des ongles ne peut pas long temps resister aux rochers, & cailloux par les chemins difficiles, & rompus

Il y a en tant de rivieres grande diversité & abondance de poissons. Car outre la mer tres-fertile en poissons vers le Midy & l’Orient, & les fleuves susdits. il y a des tres grands lacz, qui pour leur largeur & profondeur semblent quasi petites mers, & outre cecy des viviers autour des villes aussi frequents qu’en noz quartiers, desquels on tire tous les jours du poisson, soit pour s'en servir, soit pour vendre, & qui ne defaut, ny deçoit jamais les pescheurs.

Les bois de la Chine ne nourrissent pas des Lyons, mais des Tigres, Ours, Loups, & Renards, en grand nombre. On ne nourrit des Elephans qu'en la Cour à Pequin, & iceux sont amenez de dehors, & ne s'en void en aucun lieu du Royaume.

Le lin est inconnu. il se fait communément des toiles de coton pour le vestement, duquel bien que la semence ait esté devant quatre cens ans apportée d'autre part, toutefois ce pays s'en est trouvé si fertile, qu’il semble maintenant qu’il en pourroit fournir à tout le reste du monde.

L'artifice des vers à soye y est si abondant, qu’il semble du tout (s'il ne surpasse) en pouvoir debattre le prix avec nostre Europe. D'iceux ilz font des crespes fins, des ouvrages damassez, & mesmes auiourd'huy, à l'imitation de l'Europe, des draps de soye pure, & autres ouvrages qui sont en usage chez nous ; qui toutefois sont debitez à moindre prix, au tiers, & souvent au quart.

Ilz font faire diverses toiles du chanvre, & quelques autres herbes, dont ilz se servent principalement l'Esté. Encor qu’ilz ne tirent des fromages du laict de brebis, & qu’ilz ne mangent gueres de laict (& encor seulement de celui que rendent les vaches pleines) ilz tondent neantmoins la laine, & en l'usage d'icelle les nostres les passent de beaucoup, car ilz ne font pas encor tramer des draps de laine d'icelle, qui toutefois apportez d'ailleurs sont en estime entre les Chinois. Ilz font des petits draps d'Esté de leur laine, desquelz le vulgaire se sert à faire des chapeaux & des tapis, sur lesquelz ou ilz couchent la nuict, ou ils font leurs complimens de civilité, desquels sera parlé cy apres. On se sert d'avantage d'iceux vers le Septentrion, qui bien qu’il soit plus esloigné du Pol Arctique que nostre Europe, le froid neantmoins y semble un peu plus piquant : car mesme les tres-grandes rivieres & lacs s'y glacent. La cause de cela ne nous est pas encor assez cognue, si ce n'est que nous la rejectons sur les montaignes neigneuses & assez proches de la Tartarie. Pour se garantir de ces froidures, ilz ont abondance de peaux de renards, & de marthes de Scitie qui ne sont pas de moindre prix.

On trouve en la Chine toute sorte de metaux, sans en excepter aucun. Outre l'airain, & le cuivre commun, ils en font d'une autre sorte blanc comme argent, qui n'est pas plus cher que le laton jaune ; mais du fer fondu ils font un peu plus d'ouvrages que les nostres ; comme des chauderons, marmites, cloches, sonnettes, mortiers, grilles, fournaises, canons, ou engins de guerre, & plusieurs autres de beaucoup moindre estimé que les nostres.

L'or n'y est pas mauvais, toutesfois de prix beaucoup inférieur au nostre. Ilz se servent d'argent pour monnoie, dont la valeur est reconnue au poidz, & non à la marque. Et ainsi en tout traffic on evalue l'argent à la balance, ce qui de soy est fort incommode, & encor plus si on a esgard à la bonté, ou bassesse de l'argent, qu’il faut adjouster ou oster à la valeur. Car la fausseté n'y est pas peu fréquente en plusieurs lieux. Toutesfois on se sert de liardz faictz de cuivre, qui se battent à la monnoie publique pour les moindres usages. Les plus riches aussi se servent de vases d'argent & d'or  : mais en cecy le luxe des Chinois est moindre que celui de l'Europe  : neantmoins les femmes Chinoises despensent beaucoup d'or & d'argent, principalement aux ornemens de teste. Mais le meuble commun pour le service de la table est de terre, que la plus-part des Européens (je ne sçay pourquoy) appellent Pourcelaine, à laquelle vous en trouverez peu de semblable entre la poterie, soit que vous ayez esgard à la delicatesse, soit que vous consideriez la netteté. Il s'en fait de tres-belle en un champ de la Province de Kiam, ou il y a une masse de terre dont on a accoustumé la former. De là en est emporté par tout le Royaume & Provinces voisines, & loingtaines, & jusques en Europe ; & par tout elle est fort prisée de ceux qui au manger ayment mieux la netteté, que la pompe. Elle endure aussi la force des viandes chaudes, & ne se fend jamais, voire, ce que vous admirerez, les morceaux mesme rompus liez ensemble avec un fil d'archal retiennent l'eau, & ne la laissent escouler.

Les Chinois font aussi des verres ; mais en cela noz Européens sont beaucoup plus excellens. Les bastimens communément sont de bois, mesme les Palais Royaux ; de sorte toutesfois que la pluspart des murailles sont esleveez de brique, qui seulement separent les chambres ; Car le toict le plus souvent est soustenu de piliers de bois. Par cecy, & le nombre des navires, on peut aisement comprendre quelle abondance d'arbres il y a par tout. & le rapport des forestz en plusieurs lieux. Entre les especes qu'on void en Europe, le chesne y est rare  : mais une eternelle & tres-dure espece de bois supplée à son defaut ; que pour cela les Portugais appellent fer. Car il luy ressemble de couleur, & est sans contredict plus estimé que le chesne mesme ; vou y voyez aussi le Cedre, arbre funeste aux Chinois. Ilz se servent principalement d'icelui au cercueilz des mortz, dont les Chinois font tant d'estat, qu’ilz croient plus de mille escus n'estre pas mal employez en un sac de dueil. Il y a aussi une espece de roseaux (les Portugais l’appellent Bambu) presque aussi durs que le fer, & iceux rods s’empoignent à peine des deux mains, s’ilz sont des plus grands ; & encor qu’ilz soyent creux & distincts de leurs nœudz, neantmoins pour leur fermeté ilz sont souvent designez pour servir de posteaux aux maisons moyennes. On fait aussi des bois de lances des plus petits, & s’employent en plusieurs autres usages qu’il seroit long de reciter. Ces roseaux ne se plantent qu’aux provinces du Midy, mais l’abondance en est si grande, qu’ilz suffisent à tout le Royaume, & à peine se trouve autre bois qui s’achete à si vil prix.

Ce Royaume fournit pour le feu non seulement du bois, des cannes & du chaume, mais il y a une sorte de beaume, tel que celui qu’on tire au Pays bas, principalement en l’Evesché de Liège (ilz l’appellent Mui) qui est fort commodement employé à tous telz usages, & dont la fumée n’est nullement fascheuse ; toutefois il est en plus grande abondance, & meilleur aux provinces Septentrionales, la nature aydant à la necessité. Il se retire des entrailles de la terre, qui espandus d'une longue traicte en fournissent continuellement, & par la modération du prix en monstrent l’abondance, & distribuent au plus pauvre de quoy brusler tant en la cuisine, qu’au poisle.

Il nourrit des herbes medicinales, que les autres provinces ne cognoissent qu’apportées d’ailleurs, pnncipalement le Rheubarbe & le Musc, que les Sarazins de l’Occident apportent en toute l’Asie, & puis en l’Europe avec un gain incroyable, veu qu’ilz se retirent d’icy a tres vil prix. Car vous vendrez la livre du Rheubarbe, achetée dix deniers, six ou sept escus en Europe. Icy aussi croist le fameux remède de plusieurs maladies ; les Portugais l’appellent Bou de Chine, les autres Bousainct pour la ressemblance en la medecine de celuy qu’on apporte des Terres neufves. Et croist de sorte, que sans estre cultivé d’aucun, on l’arrache sans qu’il couste rien que la peine, & s’emporte de là avec proufit & gain incroyable.

Ilz font du sel non seulement ez provinces maritimes, mais aussi en terre ferme vous trouverez des eaux, desquelles sans travail aucun il se condense. Parquoy il abonde par tout : & neantmoins d’autant que le sel sert quasi en tous usages de l’homme, il se fait que du trafic du sel un grand tribut est rapporte dans les thresors du Roy, sans ce que les marchans qui manient le débit du sel, avant toute choses s’enrichissent. Les Chinois se servent plus de succre que miel, encor que l’un & l’autre abonde esgalement. Il y a aussi de la cire, non seulement celle que font les abeilles, mais d’autre aussi, qui est non seulement plus blanche, mais encor meilleure. Car elle est moins gluante, & estant allumée, elle rend plus de clairté. Elle se fait de certains vermisseaux, que pour cet effect ils nourrissent dans des arbres. Ilz en font aussi d’autre du fruict de certain arbre, qui n’est pas moins blanche que la susdicte, mais toutefois en clairté beaucoup inferieur.

D’autant que le papier est en plus grand usage entre les Chinois qu’entre nous, pour cela on le fait de diverses façons, mais toutefois chasque espece est beaucoup moindre que le nostre. Car il n’y a aucun papier en la Chine qui puisse souffrir l’impression ou l’escriture des deux costez. Parquoy une feuille du nostre en vaut deux de la Chine. Il se deschire aussi aisement, & ne dure pas long temps.

Ilz font certaines fueilles carrées, qu’ilz allongent un ou deux pieds de longueur, ou largeur ; mais certes celui qui se fait de coton, est plus blanc que le nostre.

Je laisse necessairement beaucoup de choses, des marbres divers en couleur, des rubis & autres cailloux, & pierres precieuses, des couleurs assez propres à peindre, des bois odorants & betumes, & six cens autres  : mais toutefois je ne puis mettre en arriere trois ou quatre choses aux nostres incognues. La première est cet arbrisseau des fueilles duquel se fait ceste decoction fameuse des Chinois, Japons & peuples voisins, qu’ilz appellent Cian. L’usage d’icelle ne peut pas estre du tout ancien entre les Chinois, car on ne trouve en leurs vieux volumes aucun charactere hiéroglyphique pour la denoter (telz que sont quasi toutes les lettres Chinoises) d’où on pourroit aussi peut estre estimer que noz forestz ne manquent pas aussi de ceste fueille. Ilz cueillent ces fueilles au Printemps, les seichent à l’ombre, & les gardent pour leur decoction ordinaire, dont ilz se servent presque tousjours au boire, non seulement a table, mais toutes les fois qu’un hoste entre pour visiter son amy. Car en devisant il est convié avec cette potion, & encor pour la deuxieme, et troisiesme fois, s’il retarde tant soit peu. On la boit ou plustost on la hume tousjours chaude, & par son amertume tempérée, elle n’est pas desagreable à la bouche, & à la vérité saine, & sert à plusieurs choses, n’estant sa bonté utile à une seule, ains une commodité surpasse l’autre en plusieurs & diverses occasions  : & ainsi la livre se vend un sou, & souvent deux & trois, si elle est estimée de la meilleure. La plus excellente au Japon est vendue dix, & souvent douze escus d’or, ou l’on en use un peu autrement qu’en la Chine  : car les Japonois mestent ces fueilles pulverisees en un gobelet plein d’eau chaude, à la quantité de deux ou trois cueillerées, & boivent ceste potion ainsi meslée  : mais les Chinois jettent quelque quantité de ces fueilles en un petit vaisseau d’eau bouillante, & en apres quand elle a attiré la vertu & faculté des fueilles. Ils la boivent chaude, rejettans les fueilles.

La deuxiesme est un Espece de Betume semblable à du laict, qui est pressé de l’escorce de certain arbre gluant comme poix. D’iceluy ilz font une sorte de sandaraque. que les Portugais appellent Ciaro, les Chinois Cie. D’iceluy ilz vernissent les tables, lictieres, meubles, les maisons mesmes, & les navires, & leur donnent, selon qu’il leur plaist, diverses couleurs. Tout cela en apres reluit comme un miroir, & est aggreable à l’œil pour la netteté, & aux mains pour la legereté, avec une esgale majesté, & durent long temps. D’où provient que les maisons des Chinois & Japons reluisent ainsi, & plaisent aux regardants. Car avec ce fard ilz contrefont toute sorte de bois avec splendeur. Pour cete cause aussi les Chinois qui se servent de ce Betume, garnissent moins que tous les autres peuples leurs tables de nappes pour manger. Car s’il arrive que les tables reluisantes comme cristal perdent quelque chose de leur lustre par la graisse des viandes, elles sont nettoieez en les arrousant & frotant legerement avec un peu d’eau pure. Car ceste tendre & legere superficie n’admet pas le meslange d’aucune autre chose. Peut estre que le trafic de cest arbre seroit facile avec l’Europe, & sans doute avec grande utilité ; mais il ne s’est jusqu’à present trouvé personne qui ait entrepris ce negoce, digne véritablement de l’industrie de quelqu’un. Outre ce Betume que j’ay dit, je trouve qu’il y a de l’huile tirée du fruict d’un autre arbre non fort différent de celuy-cy. L’usage de sa decoction est semblable au susdit, toute fois inférieur en lustre, mais superieur en abondance.

Cete mesme Région ne manque pas d’aromats, ou qui y naissent, ou qui sont apportez de dehors. La canelle & gingembre y sont communs, & pource en plus grande abondance. Le dernier certes n’est en aucun lieu meilleur, ou plus fertile. Le poivre, noix muscade, aloéz, & plusieurs semblables apportez, ou des Isles Moluques non gueres esloigneez, ou des Royaumes voisins, decroissent de prix & d’estime, comme ilz croissent en grande abondance. Ilz ont aussi beaucoup de salpestre, dont ilz se servent moins pour la poudre à canon (car ilz usent peu souvent & mal habilement de semblables machines à feu) que pour les jeux & festes publiques, qu’ilz célèbrent en la Chine avec des feux artifîcielz, qui laissent les spectateurs en admiration. Car il n’y a rien qu’ilz ne contrefassent tres-subtilement avec ces feux d’artifice. Ilz representent des arbres, fruictz, combatz, & des boules de feu tournoiantes en l’air avec despense non petite. Il nous a semble, pendant que nous demeurions à Nanquin, que le premier jour de l’an (qu’ilz festoient sur tous autres) ilz consumoient autant de pouldre, qu’il en faudroir pour une guerre continuelle de deux ans.