Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/Note 1

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NOTES ADDITIONNELLES


N° 1 (Page 18)

Motifs de douter que les moines de Cessens dépendissent de l’abbaye d’Aulps.

Nous avons dit que l’opinion qui regarde la communauté de Cessens comme une filiation de celle d’Aulps laissait subsister des doutes. Voici, en effet, les principales objections que l’on peut adresser à cette thèse :

1° Les moines de Cessens sont appelés ermites dans l’ancien récit de leur établissement, consené à Turin, tandis que les moines d’Aulps ont toujours été désignés sous le nom de cénobites. L’auteur de ce document, probablement un moine, n’aurait pas dit hermetiticam quidam vitam hermetite ducere cupientes, si ces religieux eussent été bénédictins. Le bénédictin est essentiellement cénobite ; sa règle a pour éléments essentiels la vie en commun : repas, prière, coucher, travail habituel, tout a lieu en commun. Aussi saint Bernard, parlant des Synagogues de Satan existant dans la vallée de la Dranse, dit qu’elles étaient en dehors du cloître, maison commune et fondamentale de toute réunion d’hommes, suivant, au moins en principe, la règle de saint Benoit. Tandis qu’à Cessens, les moines non simul commorabantur ut cenobitæ sed domunculas sparsim per montes et saltus habehant, nous dit Delbene, confirmant l’ancien récit anonvme. Les deux plus anciens écrits relatifs aux moines de Cessens distinguent donc radicalement ces moines des cénobites d’Aulps et rejettent par conséquent l’idée de filiation entre Hautecombe et Aulps.

2° Delbene, abbé d’Hautecombe dans la seconde moitié du xvie siècle, très versé dans les sciences historiques, après avoir consulté, pour retracer les origines d’Hautecombe, bien es documents perdus depuis lors, affirme, dans sa lettre à Edmond de La Croix, que, d’après un ancien écrit, les moines de Cessons étaient des moines grecs de la règle de saint Basile, ou que tout au moins ils ne suivaient pas la règle de saint Benoit. Or, à Aulps, on observait, au moins en principe, cette dernière règle. L’une était la base de la vie érémitique, l’autre, de la vie cénobitique.

3° Des titres existant à Hautecombe en 1583, il résulte, ajoute le même auteur, qu’en 1135, Vivian, sixième abbé de l’ancienne Hautecombe, gouvernait ce monastère. Or, à cette date, Guérin était à la tête de l’abbaye d’Aulps et en était seulement le deuxième abbé. — L’on pourrait supposer que le monastère de Cessons eût ses abbés distincts de ceux d’Aulps, tout en étant sous leur suzeraineté, mais cette hypothèse n’est point établie.

4° Enfin, ni la date de la séparation des deux abbayes ni aucun document rappelant cette séparation ne peuvent être cités, malgré les nombreux actes résumés dans l’inventaire de l’abbaye d’Aulps, dressé en 1678, et ceux publiés phis récemment.

5° Reste la donation de 1121.

Cette donation ne détruit nullement notre thèse. Nous savons en effet que le troisième abbé de l’ancienne Hautecombe portait le nom de Varrinus ; et, d’autre part, I* lettres de saint Bernard nous démontrent que les moines de cette communauté étaient désignés sous le nom d’Alpenses. « Sint pietati vestræ commendati pauperes fratres notri qui circà vos sunt alpenses, illi de Bono-Monte et illi de Altaumba. » (Lettre 28e, que l’on croit écrite en 1135.) Cette donation d’une terre située à Cessens aurait donc été faite non pas à Guérin, abbé d’Aulps en Chablais, mais à Varrin, abbé de Sainte-Marie, dans les Alpes, soit du monastère de Cessens, comme l’explique Delbene. — Voir néanmoins, à ce sujet, la note additionnelle n° 2, ci-après.

Cette interprétation serait encore corroborée par la notice que nous publions au n° 2 de nos Documents, où il est dit que les familles d’Aix, de Savoie et de Faucigny approuvent la donation de divers biens que Gauterin d’Aix avait faite précédemment aux frères d’Hautecombe. Il n’est nullement question, dans ce titre, de l’abbaye ni de l’abbé d’Aulps.