Histoire de la Commune de 1871 (Lepelletier)/Volume 1/9

La bibliothèque libre.

LIVRE IX

L’INTERNATIONALE

L’INTERNATIONALE N’A PAS FAIT LE DIX-HUIT MARS

Ni la presse, ni des chefs politiques, ni des conspirateurs, ni enfin le Comité Central ne peuvent être considérés comme ayant décidé l’insurrection du Dix-Huit mars, ni même comme l’ayant dirigée. Aucun de ces éléments ne se retrouve à l’analyse ; aucun de ces facteurs ne se manifesta même quand Paris fut visiblement en révolution. La matinée s’écoula sans qu’il y eût aucune direction révolutionnaire. Nul chef populaire n’apparut prenant le commandement, donnant des ordres, organisant un gouvernement insurrectionnel. Personne ne se présenta dans l’après-midi, à l’Hôtel-de-Ville, pour en prendre possession, personne avant minuit n’osa décréter, au nom des insurgés, ni décider des premières mesures de défense et d’organisation.

Un seul groupe politique aurait pu, dès la débandade à Montmartre, s’emparer du pouvoir : le groupe blanquiste ; mais ses membres étaient dispersés, mal prêts pour une action quelconque ; c’étaient des corps sans âme : Blanqui n’était pas là ! Condamné à mort pour les événements du 31 octobre, il venait d’être arrêté dans l’asile où il s’était réfugié, au fond d’un village du Midi.

Restait l’Internationale. Ses principaux chefs étaient présents ; ils siégeaient à la Corderie du Temple, avec les délégués des associations ouvrières et avec le Comité Central, mais ils ne se montrèrent pas. Ce fut un préjugé, une erreur historique accréditée, qu’il faut réfuter, que d’attribuer aux membres de l’Internationale un rôle actif et prépondérant dans les événements du Dix-Huit mars.

L’Internationale ne fut pour rien, en tant que société organisée, dans la nomination du Comité Central, comme dans la formation du gouvernement élu de la Commune.

Plusieurs des membres du Comité Central et de la Commune avaient fait partie de l’Internationale, mais ce n’est pas pour obéir au conseil général de cette association, ni pour faire triompher ses principes, qu’ils se joignirent, dans la matinée et dans l’après-midi du Dix-Huit mars, à la foule insurgée, dont le soulèvement n’avait ni chefs, ni mot d’ordre, ni but défini.

L’Internationale n’a participé qu’indirectement au Dix-Huit mars. Elle n’a fait que fournir des combattants, des électeurs et des chefs à l’insurrection, puis à la Commune.

ORIGINES DE L’INTERNATIONALE

Pour se rendre compte de l’influence et du rôle de l’Internationale dans la journée du Dix-Huit mars et dans les événements qui suivirent, il faut se reporter à ses origines. L’organisation de l’Internationale est due à la réunion à Londres, à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1862, d’une délégation d’ouvriers français. Cette délégation était composée d’hommes intelligents et entreprenants, pour la plupart ayant puisé dans la lecture des ouvrages de Proudhon les idées socialistes. Ils étaient également imbus, d’après les écrivains de 1848, des principes de l’association, et se montraient persuadés de son efficacité pour arriver, par des grèves bien conduites, à résister aux exigences patronales et à maintenir le taux des salaires. Ces délégués avaient été envoyés par leurs camarades, avec la mission d’étudier les conditions du travail et des salaires de l’Angleterre, de comparer la situation des ouvriers anglais avec la leur. Le gouvernement avait favorisé cette enquête. Il avait supporté les frais d’envoi des délégués. Les représentants du travail français fraternisèrent avec leurs camarades anglais et étudièrent le fonctionnement des sociétés de défense ouvrière, existant déjà en Angleterre sous le nom de Trade’s Unions. Il sortit de ces conférences amicales et privées le projet d’une association des travailleurs de tous les pays, en vue d’empêcher la concurrence en cas de grèves, et d’établir une solidarité entre les travailleurs, en quelque pays que la grève éclatât.

C’était là l’embryon d’une fédération universelle des travailleurs, le germe initial de la conception d’un grand parti ouvrier, devant vivre et grandir en face du patronat et du capitalisme, sans distinction de nationalités, sans préoccupation de frontières.

Les délégués français quittèrent l’Angleterre, non sans avoir pris rendez-vous pour un grand meeting ouvrier, où l’on fixerait les termes de l’association projetée, où l’on fonderait l’organisation de résistance de la classe ouvrière.

Au meeting de Saint-Martin’s hall, où, parmi les délégués français, figurait Tolain, par la suite député et sénateur, on établit des statuts provisoires. Le principe de l’émancipation des travailleurs et la solidarité des travailleurs de toutes les nations formaient la base de ces statuts. Ils affirmaient, en même temps, l’antagonisme du travail et du capital, et, par conséquent, dépassaient les vœux timides des promoteurs du meeting initial des délégués à l’exposition de 1862. Ces statuts, c’était une déclaration de guerre, de la guerre des classes.

L’Association Internationale comprenait des sections. Chaque groupe, formé dans une localité, devenait une section indépendante, mais tenue de correspondre avec le pouvoir central. Ce comité central gouvernait donc cette sorte de franc-maçonnerie ouvrière : il en était la grande loge, le conseil de l’ordre.

Il se composait de membres de toutes les nations. Karl Marx, que les polices d’Allemagne et de France pourchassaient, avait été l’âme de cette organisation nouvelle des travailleurs de tous les pays.

KARL MARX

Karl Marx est l’initiateur du mouvement qui devait aboutir à la fondation de l’Association internationale des Travailleurs. C’est une des plus importantes personnalités du xixe siècle. Il était né à Trèves, en 1818. Etudiant à Bonn et à Berlin, il vint à Paris, et entra en relations avec les philosophes et les principaux socialistes de 1848. Retourné en Allemagne, il écrivit plusieurs livres et brochures qui l’exposèrent à des poursuites. Il publia en 1867, à Londres, où il avait cherché asile, son grand ouvrage le Capital, qui devait devenir la Bible du socialisme contemporain.

La doctrine du célèbre théoricien, qui a donné naissance et nom à une des grandes écoles du socialisme, le Marxisme, dont Jules Guesde est le représentant contemporain le plus influent, a été ainsi résumée par Gabriel Deville, qui a publié en 1877 une traduction française du Capital.

« En menant à bien l’étude de la société, Karl Marx n’a pas prétendu être le créateur d’une science inconnue avant lui. Il a, le premier, préconisé l’étude des phénomènes sociaux, basée sur la seule conception réelle, sur la conception matérialiste.

« L’histoire, a-t-il exposé, n’est que l’histoire de la guerre des classes. Ce sont les intérêts matériels qui ont toujours motivé la lutte incessante des classes privilégiées, soit entre elles, soit contre les classes inférieures aux dépens de qui elles vivent. Ce sont les conditions de la vie matérielle qui dominent l’homme, ce sont ces conditions, et par suite le mode de production, qui ont déterminé et détermineront les mœurs et les institutions sociales, économiques, politiques, juridiques ; dès qu’une partie de la société a accaparé les moyens de production, l’autre partie, à qui incombe le fardeau du travail, est obligée d’ajouter au temps de travail commandé pour son propre entretien, un surplus pour lequel elle ne reçoit aucun équivalent, destiné à entretenir et à enrichir les possesseurs des moyens de production.

« La mission historique de la classe actuellement exploitée, du prolétariat, est d’activer l’œuvre de destruction commencée par le développement des antagonismes sociaux. Il lui faut tout d’abord, révolutionnairement, arracher à ses adversaires de classe le pouvoir politique, la force par eux consacrée à conserver intacts leurs monopoles économiques.

« Maître du pouvoir politique, le prolétariat pourra, en procédant à la socialisation des moyens de production, réaliser le travail universel et l’abolition des classes. »

Pour réaliser ce programme collectiviste Karl Marx comptait beaucoup sur le mouvement communaliste de 1871, aussi la défaite de Paris socialiste fut-elle, pour ses idées, pour ses espérances, pour son œuvre aussi, l’Association internationale, un coup terrible. Sa lutte avec Bakounine, et la scission qui en fut la conséquence, marquèrent ses dernières années.

Il est mort à Londres en 1883.

LA SECTION FRANÇAISE

S’inspirant d’une partie de ce programme et des idées d’organisation proclamées par Karl Marx, les délégués français, Tolain, Limousin et Perrachon, fondèrent la section française de l’Internationale. Elle eut son siège rue des Gravilliers. Les premiers adhérents qui se joignirent à eux, Camélinat, Fribourg, Héligon, Murat, Varlin, Benoit Malon, avaient soutenu, en février 1864, le principe de la candidature exclusivement ouvrière. C’était la mise en pratique des théories agitées à Londres, et dont les statuts de l’Internationale allaient préciser les formules.

Il s’agissait alors de nommer deux députés à Paris en remplacement de Jules Favre, élu dans la Seine et dans le Rhône, et de Léonor Havin, directeur du Siècle, une puissance inintelligente et plutôt grotesque, mais redoutable par le nombre des lecteurs de son journal, élu dans la Seine et dans la Manche. Les compétitions que soulevèrent ces deux vacances eurent pour conséquence, d’abord une rupture entre les députés de Paris, dont les uns, comme Jules Favre, soutinrent la candidature de Garnier Pagès, que d’autres repoussaient, et ensuite l’adoption d’une candidature ouvrière. Carnot et Garnier Pagès passèrent (21 mars 1864).

L’élection de Garnier Pagès était déplorable, dit Émile Ollivier. Je ne sais qui l’emportait en lui de l’imbécillité ou de l’effronterie (Empire libéral).

La candidature ouvrière, celle d’un typographe, nommé Blanc, ne réunit qu’un petit nombre de voix, mais elle avait affirmé, devant tous les partis politiques, devant le public aussi, la candidature de classe.

Un manifeste, portant soixante signatures ouvrières, avait accompagné la présentation du candidat, c’était comme la déclaration des Droits de l’Ouvrier. Ce programme réfutait d’abord la formule courante : il n’y a plus de classes depuis 1789. Il protestait ensuite contre le sophisme de l’égalité des citoyens. Cette prétendue égalité, cette égalité théorique, faisait partie du verbiage électoral. On use encore de ce terme fallacieux. Comme si le capital n’établissait pas une évidente distinction, ne mettait pas une séparation infranchissable entre les citoyens, comme si le pauvre était dans la société l’égal du riche, comme si l’homme qui n’a comme moyen d’action que ses bras, peut être considéré comme libre ! Ces soixante prolétaires hardiment repoussaient ces mensonges politiques, répétés et soutenus par les députés et les journalistes de l’opposition, d’avec lesquels ils se séparaient audacieusement.

Les soixante affirmaient, en outre, qu’ils n’étaient pas représentés, et que des députés issus de la classe bourgeoise ne pouvaient ni obtenir ni même réclamer les réformes, d’où devait sortir l’affranchissement des travailleurs.

Nous ne sommes pas représentés, disaient-ils, car, dans une séance récente du Corps Législatif, aucune voix ne s’éleva pour formuler, comme nous les entendons, nos aspirations, nos désirs et nos droits. Nous ne sommes pas représentés, nous qui refusons de croire que la misère soit d’institution divine. Nous ne sommes pas représentés, car personne n’a dit que l’esprit d’antagonisme s’affaiblissait tous les jours dans les classes ouvrières. Nous maintenons qu’après douze ans de patience le moment opportun est venu. En 1848, l’élection d’ouvriers consacra un fait, l’égalité politique ; en 1864, cette élection, consacrerait l’égalité sociale.

Ce manifeste, d’une forme modérée, — Tolain en avait été le rédacteur — souleva la fureur des députés, déchaîna les colères de la presse, et excita contre les novateurs toute l’arrière-garde de l’opposition. On reprocha à ces néo-opposants, avant-garde compromettante, de faire avec la question sociale, inopportunément agitée, une diversion favorable aux candidats officiels, nuisible aux candidats d’opposition, hostile aux chefs de la gauche. On les considéra presque comme des traîtres et des mouchards. Mais ils eurent l’approbation de Proudhon, dont malheureusement la fin était prochaine. Le puissant philosophe publia alors son ouvrage remarquable Sur la Capacité des classes ouvrières.

La déclaration ouvrière eut une sanction pratique : la loi dite des coalitions]fut votée, après un brillant effort oratoire d’Émile Ollivier. C’était l’abrogation des dispositions du code pénal, punissant l’entente des ouvriers en vue d’une grève à déclarer. Émile Ollivier proposa, et fit voter, la liberté pour Îles travailleurs de se concerter, avec cette restriction que la liberté de celui qui ne voudrait, ni se coaliser, ni cesser le travail, serait respectée. Un article amena une discussion assez vive. Jules Favre et Jules Simon combattirent le texte visant les atteintes à la liberté du travail. Émile Ollivier répondit :

S’interdire à soi-même le travail est un acte de liberté, l’interdire aux autres est un acte de tyrannie : la loi permet l’acte de liberté et réprime l’acte de tyrannie.

Cette loi autorisait les grèves, mais comme elle continuait à défendre les réunions et les associations, elle ne donna qu’une incomplète satisfaction à la classe ouvrière.

CONGRÈS INTERNATIONAUX

Un second congrès de travailleurs eut lieu à Genève, en 1866. Les discussions y furent économiques seulement. On y vota les statuts. Karl Marx, dont l’autorité s’affirmait de plus en plus, établit fortement la prépondérance, sur chaque conseil fédéral, du conseil général siégeant à Londres. À Lausanne, le congrès, qui fut tenu en septembre 1867, déclara que l’émancipation sociale était inséparable de l’émancipation politique. Un ouvrier suisse, à la première séance, fit une motion qui amena de la part de la grande majorité une déclaration anti-religieuse inattendue. On était implicitement d’accord, avant la réunion du congrès, pour écarter toute discussion sur les croyances, la croyance étant du domaine du sentiment individuel, une affaire privée. Ce congressiste eut la singularité de proposer que, suivant l’usage de son pays, on invoquât, avant de commencer toute discussion, la bénédiction de Dieu sur les travaux de l’assemblée. Cette motion dangereuse, conforme à l’esprit calviniste, suscita d’évidentes protestations et amena de très fermes déclarations de matérialisme scientifique.

Le Congrès ayant décidé, à l’unanimité, que l’émancipation morale des travailleurs devait être accompagnée de leur émancipation politique, vota ensuite le principe que : les sociétés coopératives ne devaient pas réaliser de bénéfices, car alors elles deviendraient une nouvelle caste capitaliste, mais qu’elles devaient se diriger par les principes de la mutualité et du fédéralisme. On repoussa, sur la proposition des délégués français, des motions qualifiées de communistes, comme la propriété collective du sol et l’abolition de l’héritage. Les Suisses et les Italiens votèrent avec les Français pour le maintien de la propriété individuelle. Les Belges, les Anglais et les Allemands votèrent la propriété collective.

Le Congrès de Bruxelles, en 1868, fut une revanche de l’esprit communiste. Il adopta le principe collectiviste, malgré l’opposition des Français. Une question, à laquelle de terribles événements, bien proches, allaient donner une réponse brutale, qui n’était point celle qu’avaient supposée les congressistes illusionnés, fut posée sur l’attitude des travailleurs en cas de conflit guerrier. Les congressistes votèrent une motion de Charles Longuet, Richard, Fontaine et Tolain, délégués français, déclarant que les ouvriers devraient s’opposer à la guerre, et menacer les gouvernements d’une grève générale « dans tous les pays où éclaterait la guerre ». Deux ans après, les Prussiens bombardaient Paris, et les ouvriers allemands marchaient sans hésiter contre les ouvriers parisiens, qui, eux-mêmes d’ailleurs, à la déclaration de guerre, pas plus que leurs confrères allemands, n’avaient eu la pensée d’une déclaration de grève générale. Des deux côtés de la frontière, on avait patriotiquement empoigné le fusil, et combattu chacun pour son pays, sans se préoccuper des principes et des statuts de l’Internationale.

BAKOUNINE

À Bale, le 6 septembre 1869 s’ouvrit un congrès animé de l’esprit le plus révolutionnaire. Des délégués espagnols y assistaient, et aussi un délégué des mécaniciens de Naples, le russe Bakounine. Ce célèbre révolutionnaire avait été élevé à l’école des Cadets, et en était sorti officier dans l’artillerie de la garde. Il appartenait à une famille riche. Il put s’affranchir bientôt de la servitude militaire. Il voyagea, vint à Paris, y connut Proudhon, collabora à la Réforme, et, lié avec les patriotes polonais, il s’efforça de provoquer un soulèvement simultané en Pologne et en Russie. Il fut expulsé de France sur les instances de l’ambassadeur russe, et se réfugia en Belgique. Il parcourut ensuite l’Allemagne et l’Autriche, participa aux troubles de Prague, de Dresde, de Berlin, qui éclatèrent à la suite des événements de 1848. Il fut arrêté à Chemnitz et condamné à mort, une première fois. Sa peine fut commuée. Il fut une seconde fois condamné à mort, et enfin livré à la Russie, par l’Autriche. Détenu pendant huit ans à la forteresse de Petropawlosk, sa peine fut commuée en exil perpétuel, en Sibérie. Il s’évada des mines, gagna le Japon, se réfugia en Angleterre, puis en Suisse. Il entra dans l’Association internationale en 1867. Il avait fondé un groupement rival : la Démocratie Socialiste. Il sollicita son admission à l’Association internationale, et l’obtint. Avec lui, le communisme libertaire pénétra dans l’Internationale, et y produisit une scission. Bakounine, représentant l’élément anarchiste, lutta contre Karl Marx, autoritaire, partisan de l’intervention politique, enseignant que le prolétariat doit s’emparer du pouvoir et le conserver. Bakounine avait l’esprit de lutte, de démolition, de suppression de tout système gouvernemental. Karl Marx était centralisateur et organisateur. L’Allemand, penseur puissant, à l’agitateur russe, utopiste niveleur, qui ne rêvait que destruction de toute organisation, qui craignait même que le triomphe du socialisme n’amenât la formation d’un état nouveau, la domination d’une classe surgissant des rangs populaires, opposait un système d’état social, dont le principe serait l’organisation du prolétariat en parti de classe. Ayant conquis le pouvoir politique, maître de tous les rouages de l’État, le prolétariat enlèverait le capital à la bourgeoisie, centraliserait les moyens de production de la richesse entre les mains de l’État. Cet État ne devrait disparaître que lorsque le prolétariat aurait définitivement vaincu toutes les résistances des classes privilégiées. Karl Marx était donc un socialiste gouvernemental, comme tel admettant la République, à condition de s’en emparer. Bakounine, négateur complet, nihiliste intransigeant, voulait l’abolition de tout pouvoir politique, en qui il voyait toujours un despotisme. « L’État républicain, disait-il, est aussi despotique que l’État gouverné par un empereur ou un roi. » Cette dualité de systèmes et de tendances s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Elle s’affirma par une lutte, un vote, et un schisme, après la lutte de la Commune, au congrès de la Haye et au congrès de Saint-Imier (septembre 1872). Bakounine et les autres anarchistes furent exclus de l’Association Internationale, et Karl Marx, avec les partisans d’une centralisation autoritaire de l’Association, triompha. Le conseil général de l’Internationale fut transféré de Londres à New-York, et comme protestation la Fédération Jurassienne fut fondée. Ces débats, étant postérieurs à la Commune, ne peuvent être qu’indiqués ici. L’un des juraissens, disciple de Bakounine, a formulé ainsi l’antagonisme des deux camps de l’Internationale :

Les uns veulent s’emparer de l’état actuel et le modifier graduellement jusqu’à ce qu’il soit la fidèle expression des besoins des travailleurs ; les autres suppriment d’abord l’organisation politique et juridique, de manière à enlever toutes garanties aux privilèges de la bourgeoisie, et à désorganiser l’ordre social pour reconstituer les communes et la fédération internationale.

Adhémar Schwitz, en donnant cette formule, semblait accorder à Bakounine et à ses partisans le privilège de l’action révolutionnaire. C’est inexact. Les membres français de l’internationale, tout en se soumettant à la direction du conseil général marxiste, firent plus que de proclamer des théories, ils agirent. La plupart, en effet, sans avoir été les promoteurs de la Révolution du 18 mars, mouvement spontané, riposte à une provocation gouvernementale, propagèrent l’esprit révolutionnaire, fournirent des chefs au Comité Central, des membres et des fonctionnaires au gouvernement de la Commune. Les autres internationaux, en Allemagne, en Angleterre, se contentèrent de disputailler sur leurs théories, en s’inclinant respectueusement devant le casque couronné du Kaiser et le diadème de la Queen.

L’INTERNATIONALE SOUS NAPOLÉON III

Les premiers membres français de l’Internationale, les délégués à l’exposition de Londres, avaient paru inoffensifs au gouvernement impérial. Loin de se montrer effrayé par la création de cette organisation ouvrière, ayant des ramifications dans tous les pays d’Europe, l’empereur, qui faisait montre alors de libéralisme, non seulement toléra ce mouvement inattendu, mais l’encouragea. Napoléon III avait toujours eu une tendance à admettre, à soutenir même les idées socialistes, à condition qu’elles demeurassent sans danger pour le pouvoir absolu dont il était nanti.

Durant sa détention à Ham, dans son cerveau nuageux, des aspirations philanthropiques et des rêveries humanitaires s’étaient condensées. Il avait rédigé un mémoire sur l’Extinction du Paupérisme. Son socialisme théorique s’accommodait parfaitement avec la pratique de la dictature. Il éprouvait, pour la multitude, qu’il se gardait bien de qualifier de « vile », des sentiments de bienveillance césarienne. Il était reconnaissant, envers ceux qu’il considérait comme étant de la plèbe, de leur inaction lors du Deux Décembre, de leur soumission au fait accompli, de leur inertie consentante, depuis la proclamation de l’empire, et aussi des six millions de suffrages amnistieurs dont ils avaient largement grossi le total. Il ne lui déplaisait pas de flatter, de soigner cette plèbe, pour mieux opprimer le peuple. Et puis, en sa tête farcie des préceptes de Machiavel, travaillait l’arrière-pensée d’un dérivatif adroit. Il envisageait comme un excellent moyen de gouvernement cette inclinaison vers les horizons socialistes qu’on lui reconnaissait ; il voyait une force dans cette attention donnée aux projets des meneurs de la classe ouvrière. C’était une diversion vis-à-vis de l’opposition bourgeoise, une surenchère mise sur le programme des Cinq, une atténuation de l’influence que Jules Favre, et les autres avocats qualifiés de républicains prenaient sur l’opinion. Donner de la force, de la publicité, et accorder un protectorat moral à un parti nouveau qui se séparait des groupes anciens, qui méconnaissait et combattait les chefs jusque-là autorisés, et pour ainsi dire officiels, de l’opposition, c’était habile ; favoriser en même temps un programme, qui, écartant les questions politiques, déclarait s’en tenir à des réformes économiques, à des questions de bien-être matériel et à l’amélioration des conditions du travail, à l’augmentation des salaires, c’était très fort ; c’était assurer, s’imaginait l’empereur utopiste, la consolidation du trône impérial. Les politiciens traditionnalistes, les orléanistes, les libéraux et les républicains de gauche, s’appuyant sur la bourgeoisie frondeuse, dont la clientèle dans quelques grandes villes se plaisait à critiquer le pouvoir, et à voter pour des candidats plus ou moins irréconciliables, deviendraient des adversaires négligeables, lorsqu’on aurait réussi à détacher d’eux les masses ouvrières. Les jours de scrutin, comme autrefois en temps de révolution, ces contingents populaires décidaient de la victoire. Il n’était pas désagréable à l’empereur, qui se sentait déjà ébranlé sur son trône autoriaire, par les secousses continues de l’opposition, de paraître soutenu par les ouvriers. Il résisterait à la poussée bourgeoise, en déclarant faire aux éléments plébéiens une place dans l’État.

Émile Ollivier, qui, avec Morny, préparait déjà sa fameuse loi des coalitions, observait avec intérêt cette évolution du régime absolu vers le socialisme césarien et vers l’empire libéral, a apprécié ainsi l’initiative de l’empereur, dont il attribue une part à son cousin :

En 1862, lors de l’exposition de Londres, l’empereur, sur le conseil du prioce Napoléon, prenant une initiative hardie de confiance, avait autorisé chaque corps de métier à se réunir et à nommer des délégués proportionnellement à son importance. Cent mille ouvriers furent mis ainsi en mouvement, sans que le public s’en doutât, et trois cents délégués nommés avaient reçu quarante mille francs pour leurs frais de voyage. Ces délégués revinrent pénétrés de l’idée que, pour être résolue à leur profit, la question sociale devait être séparée des questions politiques, et qu’au lieu de se mettre à la queue d’un parti, les ouvriers devaient se déclarer neutres, laisser les bourgeois se disputer sur la forme du gouvernement et s’occuper exclusivement d’améliorer leur condition.

(Émile Ollivier, l’Empire libéral.)

Les événements ne répondirent pas à l’attente de Napoléon III, et ses calculs se trouvèrent faussés par les circonstances. Bien vite, les préoccupations dynastiques et le sentiment autoritaire reprirent le dessus dans ses conseils. Ces organisations ouvrières, d’abord jugées inoffensives, supposées même susceptibles d’être des auxiliaires, apparurent, ce qu’elles étaient réellement, des organes de révolution redoutables pour un gouvernement à peu près absolu, avant tout défenseur des privilèges de la bourgeoisie, et gardien vigilant de cet ordre social établi, dont les congrès de Bruxelles, de Lausanne et de Bâle préconisaient le bouleversement, le préparaient visiblement. On décida d’arrêter ces colonnes d’assaut, lancées des congrès tenus à l’étranger contre les institutions et les principes de l’empire, remparts de la société propriétaire, capitaliste et bourgeoise.

Les internationaux furent considérés comme des conspirateurs. Des ordres furent donnés au parquet, qui obéit sur l’heure. L’Internationale fut poursuivie comme société secrète. C’était absurde. Il n’y avait rien de secret dans les réunions, comme dans le but de ces ouvriers groupés, non seulement au grand jour, mais originairement avec l’assentiment et la subvention du gouvernement.

La loi des coalitions n’autorisait pas l’association. Le 26 mars 1868, les membres du bureau de la section française de l’internationale comparurent donc devant la 6e chambre, tribunal correctionnel de Paris. Les accusés étaient : Tolain, Camélinat, Héligon, Chemalé, Murat, Perrachon, Fournaise, Dantier, Bellamy, Gérardin, Gautier, Bastien, Guvard, Delahaye, Delorme. Ils étaient inculpés d’avoir fait partie d’une société non autorisée de plus de vingt personnes. L’audience était présidée par le fameux Delesvaux. Ce magistrat à tout faire, brutal, partial, très peu distingué, physiquement et intellectuellement, s’était acquis une peu enviable célébrité, durant les dernières années de l’empire. Il fut le valet judiciaire du gouvernement impérial aux abois. Ce fut lui qui subit les cinglantes apostrophes de Gambetta, plaidant l’affaire de la manifestation Baudin. Il siégea dans presque tous les procès politiques de 1868 à 1870. Avec son digne collègue, le vice-président Loriot de Rouvray, chargé de la 7e chambre, il s’était attiré l’animosité de tous les républicains. On le trouva mort subitement, dans son appartement de la rue d’Amsterdam, au matin du 4 Septembre. On prétendit qu’il avait été surpris et exécuté par une de ses anciennes victimes. Il n’y eut ni instruction judiciaire, ni même enquête sommaire, sur les circonstances de sa mort. Il est fort probable qu’en apprenant la chute du régime qu’il avait servi avec un zèle excessif, et en voyant ceux qu’il avait non seulement condamnés, mais insultés du haut de son tribunal, arriver au pouvoir, il prit peur, et, comme les vizirs odieux, à la mort d’un sultan, il ne voulut pas survivre au gouvernement qui le protégeait, et se tua. Suicide ou vengeance politique, la disparition ne fit aucun bruit : la bête malfaisante avait expiré dans sa tanière, et nul ne s’en occupa. On avait alors d’autres passionnantes préoccupations.

LES PROCÈS DE L’INTERNATIONALE

Ce premier procès ne parvint ni à émouvoir ni à effrayer la bourgeoisie. Elle assista d’ailleurs avec une suffisante indifférence aux diverses poursuites intentées aux membres de l’Internationale. La plupart des accusés étaient pour elle des inconnus, et l’on considérait leurs théories comme chimériques, leur but comme invraisemblable, leur influence politique comme nulle.

Le ministère public contribua à entretenir cette apathie bourgeoise. Nul ne semblait pressentir l’importance du mouvement, nul ne devinait dans ces ouvriers obscurs, déférés à la justice comme de hardis mais infimes ennemis de l’ordre social, les futurs dirigeants d’un formidable mouvement. On était alors tout à la joie. La fête impériale battait son plein. On se trouvait à la veille de la grande kermesse internationale du Champ de Mars, et l’Exposition Universelle accaparait l’attention, dérivait les énergies, masquait tous les points noirs, extérieurs et intérieurs, que quelques clairvoyants signalaient à l’horizon. On remuait, on récoltait de l’argent. Quand on gagne de l’argent, c’est l’opinion commune de la classe moyenne et de la classe ouvrière aussi, tout semble parfait, le ciel est clair, la route est belle et tout paraît marcher à souhait. L’optimisme s’insinue dans l’organisme social, la confiance dans la solidité du régime, la foi dans la force des gouvernants, avec le dédain pour les mécontents et les pessimistes. La sécurité, une certaine indulgence béate, et le mépris pour les sourds grondements extérieurs et intérieurs du volcan européen dominaient dans les esprits, qui se qualifiaient de raisonnables et de pondérés. La France cuvait alors un lourd bien-être. Elle n’entendait pas que sa digestion fût troublée. Elle disait volontiers, comme le tyran antique qui fut assassiné après souper : à demain les affaires sérieuses ! Et puis étaient-elles vraiment sérieuses, ces affaires de l’Internationale, dont les journaux, considérés déjà comme « à court de copie », selon le cliché stupide, grossissaient assurément l’importance. On voulait taquiner le pays tranquille, en lui faisant peur, comme aux enfants que l’on menace de croquemitaines imaginaires. C’était tout bonnement ridicule ! Les avocats impériaux, à la barre de leurs tribunaux, n’étaient même pas parvenus à établir une vraie culpabilité contre ces internationaux désignés comme si dangereux. Aussi, malgré toute la bonne volonté des juges, n’avaient-ils pu obtenir qu’une condamnation dérisoire. Cent francs d’amende, pour frapper des révolutionnaires qu’on déclarait dangereux, c’était une plaisanterie. On en concluait que le parquet, n’ayant rien à faire, à court de réquisitions, sans doute, comme les journaux étaient dénués de nouvelles, avait voulu s’amuser et paraître un vigilant gardien de l’ordre public. En poursuivant de pauvres diables, sans consistance, sans moyens d’action, et dont les efforts pour s’associer ne faisaient que mettre en plus vive lumière leur isolement et leur impuissance, la magistrature avait démontré la solidité de l’édifice impérial et le peu d’importance de ceux qui prétendaient l’ébranler !

Dans leur défense, les accusés de l’Internationale s’étaient présentés, non comme des factieux prêts à s’armer, mais comme des citoyens un peu plus remuants que d’autres, voulant profiter des lois libérales de l’empire, pour discuter, à leur façon, et en se groupant, leurs intérêts professionnels. Celui qui avait porté la parole au nom de tous, l’accusé Tolain, ouvrier ciseleur, individualité alors sans notoriété, avait répliqué au ministère public, avec modération, et non sans apparence de raison :

Le réquisitoire que vous venez d’entendre est la preuve la plus grande du danger que courent les travailleurs, quand ils cherchent à étudier les questions qui embrassent leurs plus chers intérêts, quand ils veulent s’éclairer mutuellement, et s’efforcent de reconnaître les voies dans lesquels ils marchent en aveugles. Quoi qu’ils fassent, de quelque précaution qu’ils s’entourent, quelles que soient leur prudence et leur bonne foi, ils sont toujours menacés, poursuivis et tombent sous l’application de la loi.

Comme l’avocat impérial protestait, l’orateur ayant parlé d’arbitraire, Tolain ajouta :

Le mot d’arbitraire vous blesse ? Eh ! bien, pourtant, que nous est-il arrivé ? Un jour, un fonctionnaire s’est levé avec l’esprit morose, un incident a rappelé à sa mémoire l’association internationale, et, ce jour-là, il voyait tout en noir, d’innocents que nous étions la veille, nous sommes devenus coupables sans le savoir ; alors, au milieu de la nuit, on a envahi le domicile de ceux qu’on supposait être les chefs, comme si nous conduisions nos adhérents, tandis qu’au contraire tous nos efforts tendent à nous inspirer de leur esprit, et à exécuter leurs décisions, on a tout fouillé, saisi ce qui pouvait être suspecté ; on n’a rien trouvé qui pût servir à une accusation quelconque. On ne trouve sur le compte de l’Internationale que ce qui été jeté aux quatre vents de la publicité. Avouez donc qu’en ce moment on nous fait un procès de tendance, non pour les délits que nous avons commis, mais pour ceux qu’on croit que nous pouvons commettre…

Malgré la justesse de ces observations, et la mesure avec laquelle elles étaient présentées, le tribunal condamna. Pouvait-il faire autrement ? L’acquittement eût semblé la condamnation du gouvernement qui avait ordonné les poursuites. La pénalité fut légère : cent francs d’amende. On ne vit dans cette condamnation qu’une satisfaction morale donnée au parquet, qu’il était impossible de désavouer. Elle passa à peu près inaperçue. On avait autre chose en tête. On n’avait pas le temps de s’effrayer. Le spectre rouge, c’était un épouvantail à moineaux bien démodé.

Celui qui l’avait inventé, c’était un farceur célèbre, Romieu, mort, oublié. Il était puéril de faire survivre l’invention, un mot. Et puis, ces ouvriers phraseurs, entendus à la correctionnelle, étaient fort insignifiants, sans auditoire. On n’avait qu’à les laisser pérorer dans leurs groupes sans importance. Ces moustiques ne méritaient même pas un froncement de sourcils de la part du lion impérial, qu’ils picotaient follement, disaient les sages, les habiles.

Ces révolutionnaires pour rire ne semblaient pas même des trouble-fête. La magistrature impériale agissait sagement en les laissant librement circuler, avec une amende à payer, pour le principe, pensait la bourgeoisie.

En prison, ils se seraient aigris et concertés. Peut-être même, n’aurait-on pas fait attention à eux dans la rue. Ils n’avaient pas gêné le défilé des rois, qui, gaiement, s’avançaient, comme dans la Belle-Hélène, vers l’étourdissante foire de l’exposition ; ils ne sauraient davantage entraver par leur présence, dans leurs parcours, la ronde folâtre. Elle reprenait, plus endiablée, sous le bâton d’orchestre du joyeux allemand Offenbach, cette joyeuse ronde de l’or, de l’amour, des plaisirs et de l’insouciance, que devait seulement interrompre, bientôt, l’avant-garde des uhlans et le peuple entrant aux Tuileries, comme le flot dans les maisons quand la digue est rompue.

La condamnation à cent francs d’amende n’avait ni abattu les énergies ni épuisé les ressources des internationaux. Le groupe français continua ses réunions, et nomma un nouveau bureau.

Comme le précédent, celui-ci fut poursuivi et condamné. Cette fois, la magistrature eut la main plus lourde. Elle ajouta aux cent francs d’amende, l’emprisonnement. Les citoyens Varlin, Malon, Humbert, Granjon, Bourdon, Charbonneau, Combault, Langevin, Moilin furent condamnés chacun à trois mois. L’association internationale fut déclarée dissoute, pour la seconde fois.

La grande majorité du public demeura indifférente, et comme étrangère, à ce duel qui s’entamait entre la magistrature et les ouvriers militants. Les députés de l’opposition dédaignaient ces résistances qu’ils ne dirigeaient point, et les journaux qui combattaient l’empire, avec prudence et réserves, le Siècle, l’Opinion Nationale, le Courrier du Dimanche, se contentèrent d’enregistrer les condamnations, faisant le silence sur les doctrines et sur les personnalités de ces auxiliaires irréguliers, estimés plutôt compromettants.

Le champ de combat n’allait pas tarder à s’agrandir. De nouveaux lutteurs descendaient dans l’arène, et grâce à une presse nouvelle, spirituelle et agressive, à qui Rochefort et sa Lanterne donnaient l’éclat, de constitutionnelle et dynastique, l’opposition allait devenir républicaine et révolutionnaire. Le public, alors, serait bien forcé d’entendre ce concert d’hostilités s’élevant contre l’empire des rangs d’une minorité active et hardie.

Un congrès d’étudiants et de jeunes gens, écrivant et pérorant d’ordinaire au quartier latin, s’était tenu à Bruxelles. Germain Casse, Renard, Jaclard, Raoul Rigault y avaient pris la parole. C’était une juvénile avant-garde, dont la plupart des militants devaient, par la suite, se retrouver à la tribune, dans les journaux et dans tous les mouvements qui précédèrent et accompagnèrent la chute de l’empire. Les étudiants qui avaient participé au congrès de Bruxelles furent exclus de l’Université, et perdirent le bénéfice de leurs inscriptions. Ils semblaient se soucier fort peu de passer les examens auxquels ils se préparaient vaguement, en faisant de la propagande républicaine et socialiste, dans les brasseries et les groupes du quartier des écoles.

LES RÉUNIONS PUBLIQUES

Une loi nouvelle, excellente en son principe, dangereuse par son application, la loi de 1868 sur les réunions, avait brusquement animé les salles où l’on pouvait se rassembler, et du même coup avait peuplé la maison de Sainte-Pélagie. Cette loi n’était, en réalité, qu’un piège, mais c’est l’empire qui y fut pris.

Cette loi donnait la liberté de réunion et la retirait. L’art. Ier était ainsi conçu : « Les réunions publiques peuvent avoir lieu sans autorisation préalable, sous les conditions prescrites par les articles suivants. Toutefois les réunions publiques ayant pour objet de traiter de matières politiques ou religieuses continuent à être soumises à cette autorisation. »

C’était la formule de Figaro, mise en texte législatif : il était permis de parler de tout, sauf de ceci, de cela, et l’énumération prohibitive équivalait à l’interdiction complète de parler. Il est évident que si l’on permettait aux gens de se réunir pour discuter, pour entendre des discours, c’était bien pour qu’ils pussent traiter les brûlantes questions politiques et sociales, qui les intéressaient par-dessus tout. Rouvrir les clubs, et défendre d’y parler de politique, c’était aussi absurde et aussi perfide que la tentation de la légende adamique. Si le Tout-puissant n’avait pas voulu qu’Ève croquât la pomme, il n’avait qu’à ne pas la laisser entrer dans le jardin où il y avait des pommiers. Le fruit défendu fait venir l’eau à la bouche, les paroles aussi. Il était plus que probable que les orateurs populaires, à qui le bon dieu des Tuileries ouvrait les salles publiques, jusque-là cadenassées, en leur permettant, une fois rassemblés et entraînés par la présence d’auditeurs passionnés, de toucher à tous les sujets, excepté à la politique et à la religion, s’empresseraient de toucher à ces deux matières interdites. Il autorisait la réunion et interdisait ce qui devait déterminer les hommes à se réunir. Il était facile de prévoir que les orateurs ne résisteraient pas à la tentation, et qu’abordant les sujets défendus ils tomberaient sous le coup de la loi : ils deviendraient inévitablement des délinquants. Cette loi n’était donc qu’une embûche. Elle était ainsi dolosive et mensongère. Si, en effet, l’article Ier, sous les conditions sus-indiquées, permettait de se réunir sans autorisation, l’article 13 et dernier donnait le droit au préfet d’ajourner, au ministre de l’Intérieur d’interdire toute réunion. C’était la négation même de la réunion. Le droit était nié après avoir été affirmé, la possibilité de se réunir retirée aussitôt après avoir été accordée, puisque la loi ôtait, à la fin de son texte, ce qu’elle concédait au commencement. C’était la restriction mentale des jésuites, transformée en précepte écrit, mise en action. « Je te permets de parler librement, mais avec cette réserve que tu ne parleras que de ce qui te sera permis, et que je pourrai te clore la bouche quand cela me conviendra. »

Malgré ces périls et ses imperfections, la loi de 1868 eut deux résultats, que n’avait pas prévus l’empire : le piège, il est vrai, fonctionna dans le sens que les policiers désiraient. Des personnalités remuantes se produisirent, des « blanquistes », de ceux que l’on classait, dans les archives de la sûreté générale, parmi les hommes dangereux, se dénoncèrent à la tribune populaire. Ils furent momentanément mis hors d’état, croyait-on, de combattre le régime impérial. C’était là une illusion que les événements n’allaient pas tarder à dissiper. La loi physique de la compression et de la dilatation des corps se manifesta. Les préoccupations politiques et sociales, comprimées depuis décembre 1851, subirent une expansion soudaine. Des orateurs nouveaux surgirent. Des jeunes hommes ignorés prirent la parole avec une verve insoupçonnée. Des préceptes, des programmes, des tendances, dont la fermentation latente, sans la loi déliant les langues, fût demeurée enclose dans des écrits inédits, dans des journaux sans lecteurs, dans des parlottes sans publie, et dans le secret des consciences, éclatèrent au grand jour. Ces pétarades, pouvant faire pressentir de formidables explosions prochaines, éveillèrent. Elles firent sursauter les populations endormies. Elles mirent debout des énergies engourdies depuis dix-huit ans. Ce fut un grand réveil. L’empire, pour sa propre perdition, avait sonné lui-même la diane de la Révolution.

Ainsi, double conséquence de la loi de 1868, le régime impérial donnait la parole à ses adversaires, avec l’intention perfide de mieux les surprendre et les abattre, mais en même temps il façonnait des orateurs, il créait des auditoires. Selon l’apologue du fabuliste en « cuidant engeigner autrui, il s’engeignait lui-même ». Tout concourait donc à la fois à grouper et à armer les adversaires de l’empire, tout préparait la résistance et stimulait l’opinion. Sur les murs des Tuileries dorées une main invisible semblait tracer la fatidique devise flamboyant aux voûtes du palais de Balthazar. Les jours de l’empire napoléonien étaient comptés, et l’arrivée terrible des soldats de Sennachérib était proche. L’empereur allait lui-même les appeler, et, se prenant au trébuchet de Bismarck, provoquer follement l’ennemi extérieur. Le régime était miné à l’intérieur ; le Prussien vainqueur ne ferait que donner la poussée finale.

La chute sans violences, sans cris, sans coups de feu, sans une goutte de sang, de cet empire solide d’apparence, serait inexplicable sans le travail de sape auquel il avait été soumis, depuis la fondation à Londres de l’Association internationale, depuis la loi des coalitions favorisant les grèves, et la loi des réunions, permettant aux réquisitoires contre le régime de se produire, accoutumant le pays à les entendre, et peu à peu à les approuver. Sans la défaite, sans l’Allemand victorieux, l’empire eut peut-être prolongé de quelques années son agonie, mais c’était un moribond dont la succession était déjà ouverte, avant la brutalité du coup mortel porté par l’étranger.

La loi sur les réunions était à peine promulguée que des séances publiques s’ouvrirent partout. À la Redoute, rue Jean-Jacques Rousseau, siège des loges maçonniques du rite écossais ancien et accepté, au Pré-aux-Clercs rue du Bac, dans diverses salles de bals populaires, à Montparnasse rue de la Gaîté, salle Lévis aux Batignolles, à la Reine-Blanche à Montmartre, des discussions furent organisées et suivies assidûment. L’un des présidents de ces réunions des plus en vue fut un hongrois naturalisé, Horn, qui, depuis, disparut. Il avait présidé la première réunion au Waux-Hall. Deux ou trois orateurs principaux furent rapidement mis en vedette, par leur facilité d’élocution, plutôt que par la hardiesse de leurs attaques. On s’en tenait, en apparence, aux matières dites économiques, pour déférer aux exigences de la loi, mais bien vite les orateurs détournaient la discussion, et l’on abordait, du consentement de l’auditoire, les questions sociales et surtout politiques. Un commissaire de police assistait aux séances, sur l’estrade, muni de son écharpe. Il prenait des notes, intervenait d’abord, pour protester et comme pour rappeler à l’ordre. Ensuite il prononçait la dissolution de l’assemblée. Très souvent des bagarres succédaient à cette clôture administrative, et la discussion reprenait après le départ en musique du représentant du gouvernement. Les orateurs et les membres du bureau, qui avaient continué à tenir séance, après que la réunion avait été dissoute, étaient traduits à bref délai devant les tribunaux.

L’orateur le plus écouté, le plus applaudi, était alors Briosne. Il était doué d’un organe sonore, parfaitement timbré, et s’exprimait avec des gestes sobres, et dans une phraséologie un peu creuse, mais claire et persuasive. Il traitait généralement de la « liquidation sociale ». À côté de lui on écoutait volontiers : Le français, comptable ayant des statistiques et des chiffres à citer à l’appui de ses revendications et de ses critiques. Abel Peyrouton, avocat Derveux, qui avait surtout de révolutionnaire le masque irrité et le geste coupant, le maigre Charles Longuet, l’un des chefs du petit groupe de jeunes proudhoniens se réunissant à la brasserie Serpente, Caulet de Tayac, grand, pâle, blond, l’air distingué, ayant un peu l’allure d’un diplomate, discoureur méthodique, faisant la critique des institutions philanthropiques, des groupes d’assistance, des œuvres charitables visant la classe ouvrière : il considérait ces organisations comme impuissantes et démoralisatrices ; Ducasse, un bizarre personnage, roux, sec, raide, étudiant en théologie protestante ; on prétendait même qu’il avait été pasteur quelque part, en Suisse. Ducasse sermonnait la classe ouvrière, s’efforçant de lui inculquer les principes du socialisme, et quand il avait suffisamment catéchisé son auditoire tout disposé à être converti, il changeait de ton, quittait la phraséologie chantante et pleurarde dont il usait pour développer son sermon sur les mystères de l’évolution sociale, alors il grondait, il tonnait, il se dressait vis-à-vis de la classe capitaliste évoquée, que vaguement, dans l’espace, d’un doigt vengeur, il semblait montrer visible à l’assistance frémissante de colère et d’envie. Il apparaissait alors dans l’attitude révoltée d’un nabi farouche d’Israël, prophétisant la destruction des temples oppresseurs et des palais orgueilleux. Quand ce singulier prédicant abordait la tribune, il avait coutume de tirer avec lenteur, de dessous la pèlerine de son mac-farlane, une vaste serviette noire bourrée de papiers, et quand il la déployait avec la solennité d’un officiant ouvrant l’Évangile, les fidèles recueillis devant lui considéraient avec respect et espoir ce portefeuille imposant dont les vastes poches paraissaient contenir la solution de tous les problèmes sociaux, le secret de la félicité des générations futures.

Les physionomies de ces éducateurs de l’opinion, préparateurs de la Commune, sont demeurées en partie effacées. Beaucoup ont disparu sans laisser de traces. Plusieurs au contraire, parmi ces précurseurs, ont joué un rôle dans les événements qui précédèrent et suivirent le 18 mars, et nous les retrouverons, mêlés à l’action et victimes de la répression, mais leurs commencements sont demeurés enveloppés de brumes et d’oubli. Il n’existe guère de documents, de volumes, de mémoires sur ces dernières années de l’empire. La catastrophe belliqueuse où l’empire sombra, où la France faillit périr, les péripéties de la lutte entre Versailles et Paris, les hommes et les circonstances des deux sièges ont accaparé l’attention, et les historiens, comme les mémorialistes et les anecdotiers, ont généralement négligé de renseigner sur les origines du grand mouvement révolutionnaire de 1862 à 1870 ; ils sont restés à peu près muets sur les débuts des hommes, voués à une impressionnante notoriété, ou destinés à passer comme des ombres sur un mur, qui, dans les trois dernières années impériales, préparèrent et rendirent possible l’avènement de la forme républicaine au 4 septembre, et Le sursaut vigoureux au 18 mars du prolétariat enchaîné.

Ce grand mouvement de propagande, cette éducation socialiste, cette préparation à la Révolution, qui se manifestaient par les réunions publiques, en dehors de la gauche et des opposants parlementaires, même contre eux, n’étaient pas l’œuvre de l’Internationale. Les orateurs des salles populaires n’appartenaient pas en majorité à l’association. Parmi ces militants de la première heure, il convient de citer : Germain Casse, l’un des délégués au congrès des étudiants, dont quelques-uns seulement faisaient partie de l’Internationale. D’une ardeur plus que méridionale, il était originaire de la Guadeloupe ; Casse avait une grande action au quartier latin. Avec sa face léonine, sa carrure d’athlète, sa gesticulation étourdissante et ses allures rudes, on le vit à la tête de toutes les manifestations qui se produisirent à partir de l’affaire Baudin. Germain Casse était né à la Pointe-à-Pitre en 1837, qu’il représenta, en 1833, à l’Assemblée Nationale. Il fut ensuite député de Paris (14 arrondissement) plusieurs fois réélu. Il siégeait à l’extrême gauche. Il est mort trésorier payeur-général, il y a une douzaine d’années. Il ne fit pas partie de la Commune, se tint à l’écart, plutôt hostile.

DÉCLARATIONS AU NOM DE L’INTERNATIONALE

Ce fut Germain Casse qui, dans le grand procès fait à l’Internationale, dit le procès des Trente, formula la pensée générale de ses co-accusés, bravant le ministère public et renonçant à discuter juridiquement :

Nous ne cherchons pas, dit-il, à échapper à quelques mois de prison : la loi n’est plus qu’une arme mise au service de la vengeance et de la passion ; elle n’a pas droit au respect. Nous la voulons soumise à la justice et à l’égalité.

Combault, prenant la parole après lui, exposa les idées égalitaires et réformatrices de l’Internationale dans une forme hardie, mais où, par moments, le ton moralisateur devient prétentieux et où la préoccupation vertueuse s’affirme dans un langage désuet :

Chacun de nous est libre et agit librement. Il n’y a aucune pression de pensée parmi nous. J’ai d’autant plus de peine à comprendre la persistance du ministère public à nous accuser de ce que nous n’avons pas fait qu’il pourrait largement nous accuser de Ce que nous reconnaissons avoir fait… Vous poursuivez les ouvriers parce qu’ils sont socialistes, parce que, hommes de labeur, ils veulent une société relevant du contrat juridique librement consenti par tous les intéressés, et appuyée sur la liberté, l’égalité, la solidarité, la réciprocité et le respect de la dignité humaine dans toutes les individualités. Ils veulent une société où le travail soit la seule source de la richesse… Ils flétrissent donc les loteries dont la Bourse et le turf sont l’ordinaire et immoral théâtre. Tandis que les fils de la classe, qui se prétend notre supérieure salissent leurs noms avec les Phrynés les plus éhontées qu’ils vont en voilettes aux champs de courses, que leur décrépitude précoce atteste la dégénérescence de toute une classe de la nation, au point qu’il y aura bientôt putréfaction, si toutes ces décadences ne viennent puiser une vie régénératrice dans l’énergie populaire ; des ouvriers qui, depuis l’âge de huit ans, travaillent pour donner des loisirs et de l’instruction à cette jeunesse qui en a fait un si noble usage, ont voulu tenter l’instauration de l’équité dans les rapports sociaux par la science, la libre étude des questions économiques, et l’association indépendante.

Ce programme, en dépit des déclamations rappelant les formules emphatiques et moralisantes de Chaumette, à la Commune de 93, était précis. Il posait le principe de l’antagonisme des classes, et Combault le résuma ainsi, en terminant :

C’est contre l’ordre juridique, économique et religieux que doivent tendre tous mes efforts. Nous voulons la révolution sociale et toutes ses conséquences !

Quand l’avocat impérial Aulois eut donné ses réquisitions, et après les plaidoiries pour les accusés qui avaient fait choix d’un avocat, les défenseurs étaient Mes Lachaud, Bigot, Rousselle, Lenté, Laurier, l’un des prévenus, Chalain, au nom de tous, eut la parole et prononça la déclaration suivante, véritable déclaration de guerre sociale :

Il y a en ce moment une sainte-alliance des gouvernements et des réactionnaires contre l’Internationale. Que les monarchistes et les conservateurs le sachent bien, elle est l’expression d’une revendication sociale trop juste et trop conforme aux aspirations contemporaines pour tomber avant d’avoir atteint son but. Les prolétaires sont las de la résignation ; ils sont las de voir leurs tentatives d’émancipation toujours repoussées, toujours suivies de répressions ; ils sont las d’être les victimes du capital, las de se voir condamner au travail sans espoir, voués à une subalternisation sans limites, las de voir toute leur vie dévorée par la fatigue, par les privations, las de ramasser quelques miettes d’un banquet dont ils font tous les frais. Ce que veut le peuple, c’est d’abord se gouverner lui-même sans intermédiaire et surtout sans sauveur, c’est la liberté complète. Quel que soit votre verdict, nous continuerons, comme par le passé, à conformer ouvertement nos actes et nos convictions. Vous pouvez frapper les hommes, vous n’atteindrez pas l’idée, parce que l’idée survit à toute espèce de persécution.

À cette ferme déclaration, le tribunal répondit en prononçant les condamnations suivantes : Combault, Benoît Malon, Varlin, Pindy, Heligon, Murat, Johannard, à un an de prison et 100 francs d’amende ; Avrial, Sabourdy, Franquin, Passedouet, Rocher, Langevin, Pagnerie, Robin, Leblanc, Carle, Allard, Theisz, Collot, Germain Casse, Chalain, Mengold, Ansel, Bertin, Royer, Girode, Delacour, Durand, Duval, Fournaïse, Giot, Malézieux à 2 mois de prison et 25 francs d’amende.

Flabaut et Landeck furent acquittés, comme n’ayant pas donné leur adhésion à l’Association internationale des travailleurs, avant les poursuites. Les condamnés furent en outre privés de leurs droits civils.

SCISSION AVEC LA GAUCHE PARLEMENTAIRE

Cette condamnation creusait un fossé, un abîme plutôt, entre la gauche, ses orateurs et le nouveau parti, encore non organisé, invertébré pour ainsi dire, mais dont les membres paraissaient doués d’une vitalité surprenante. Rochefort excepté, mais le célèbre pamphlétaire, toujours en prison, en exil ou démissionnaire, comptait à peine dans ce parti essentiellent bourgeois et adversaire du socialisme, les chefs renommés de l’opposition parlementaire, étaient dédaignés, attaqués, conspués par le public des réunions publiques. On ne leur ménageait ni les reproches ni les dédains, on les accablait de méfiance et de suspicions. On les chansonnait aussi, sur l’air alors populaire de la Femme à Barbe, que dégoisait à l’Alcazar Thérésa, la divette populaire. Raoul Rigault colportait dans les brasseries du Quartier latin des couplets où chacun des anciens Cinq venait se présenter au pilori : « C’est moi qui fais les boniments sur l’avant-scène de la baraque ! » faisait-on dire à Jules Favre, et Pelletan, Jules Simon, chacun à son tour, faisaient amende honorable devant l’auditoire en déclarant au refrain : « Et ça ne coûte qu’un petit parjure ! » La chansonnette s’appelait : la Bande à Judas. Elle eut un vif succès. Ainsi, bien avant le 4 Septembre, où ils prirent le pouvoir, en véritables insurgés, vainqueurs sans avoir combattu, il est vrai, et à la faveur de l’immense désarroi et de la stupeur produite par les désastres, ces hommes qui formèrent le gouvernement de la Défense, et qui aidèrent Thiers et Mac-Mahon à exterminer les républicains parisiens, étaient déjà désavoués, démonétisés et honnis. L’épithète de Judas était sans doute excessive, et surtout prématurée, mais elle témoignait de l’hostilité à leur égard des groupes avancés. Ils avaient été au-devant de l’impopularité. Ils avaient repoussé avec hauteur l’offre d’une discussion publique et contradictoire avec les orateurs populaires. Ils partageaient les sentiments du parquet à l’égard des membres de l’Internationale.

RÔLE DE L’INTERNATIONALE

C’était visiblement alors à une révolution que la France courait, et non à une réforme, comme l’espérait Émile Ollivier, grisé par ses formules et aveuglé par ses illusions. Nul n’en doutait, et l’empereur moins que personne. On voyait aux Tuileries, dans la presse, à la préfecture de police, dans les milieux politiques bien informés, s’accumuler les nuages ; d’abord simples points noirs, ils épaississaient, et l’électricité s’y emmagasinait. L’orage ne pouvait tarder à éclater. On s’abusait seulement sur l’époque où la nue se déchirerait. On ignorait aussi les éléments de ces nuages orageux.

De nos jours même, longtemps après les événements accomplis, après les désastres subis, et en partie réparés, des esprits fort clairvoyants n’ont pas discerné nettement les causes de la tourmente. On a attribué à l’Internationale un rôle énergique, et une influence perturbatrice qu’elle n’eut jamais, qu’elle ne pouvait posséder, qu’elle ne recherchait même pas. Faire de cette association le pivot de la Révolution de 1870-71, le levier qui a jeté bas le régime impérial et soulevé le monde démocratique, c’est une aberration historique, aussi forte que celle dont certains écrivains ont fait montre lorsqu’ils ont accordé aux loges franc-maçonniques du xviiie siècle, tout imprégnés de l’esprit an-glais, esprit conservateur, aristocratique et religieux, une action décisive et un rôle prépondérant dans la Révolution française. La franc-maçonnerie qui eut, en France, pour premier grand maître un grand seigneur anglais, lord Derwentwater, ne pouvait concevoir, et ne visait qu’une réforme dans les lois, et une révolution parlementaire, avec ou sans régicide, devant amener un ordre social et politique semblable au régime fonctionnant encore dans le royaume uni.

L’Association internationale, dont le pouvoir central siégeait à Londres, dont les fondateurs étaient des théoriciens, et non des émeutiers, ne pouvait aucunement diriger un mouvement révolutionnaire actif, s’accommodant au tempérament français. Les internationaux sont demeurés comme une académie de philosophes socialistes, jusqu’à notre époque. Ils pouvaient bien, dans leurs congrès, et encore au milieu de vives résistances, proclamer la révolution sociale universelle, abolir la propriété individuelle, supprimer l’héritage, décréter la production en commun, l’abolition du salariat, et la cessation des guerres, ils étaient impuissants à faire admettre leurs conceptions par l’ensemble des peuples, encore moins à faire passer le moindre article de leur programme minimum de la théorie à la pratique. L’Association internationale devait effrayer, à distance et par out dire, les gouvernants ; elle n’en attaqua sérieusement aucun. Lorsque le conflit terrible de 70 s’éleva entre Allemands et Français, elle comptait des adhérents nombreux dans les deux camps. Elle n’en désarma pas un. Les internationaux, et c’est à leur honneur des deux côtés des Vosges, firent le coup de feu avec une passive énergie. Sauf quelques phraseurs, qui, du fond de leur cabinet, lancèrent des appels creux et vains, au nom de l’humanité et de la fraternité philosophique et ouvrière, nul ne parut se souvenir des belles maximes anti-guerrières de l’association. Pour la guerre civile, en France, l’élément dit international ne fut qu’un appoint plutôt doctrinal, une adhésion bavarde, et encore rencontra-t-on surtout des internationaux dans les conseils élus, dans les grandes fonctions, dans les services administratifs, dans les journaux et dans les clubs. Les vaillants qui furent mitraillés dans les plaines de Nanterre le 2 avril les combattants d’Issy, de Vanves, du Moulin-Saquet, les intrépides défenseurs des suprêmes barricades de mai avaient-ils adhéré aux statuts de l’Association internationale ? les connaissaient-ils même ? C’est fort possible, mais ils n’en parurent guère préoccupés avant et pendant la bataille. Ce n’était pas l’internationale qui les avait armés, ce n’était pas elle qu’ils défendaient. La Commune a eu dans son sein des hommes qui avaient fait partie de l’Internationale, qui pouvaient être pénétrés de ses principes, mais elle ne fut pas l’œuvre de cette association, et le Comité Central, qui surgit au lendemain du 18 mars, qui fut le premier gouvernement révolutionnaire fonctionnant après la guerre, et qui précéda l’élection communale, se constitua en dehors, et pour ainsi dire à l’insu du conseil général de l’Internationale. Le grand chef, Karl Marx, ne quitta, ni avant, ni pendant la Commune, son tranquille cottage près de Londres, où il attendait les événements et jugeait les hommes.

Dans le public, et parmi beaucoup d’hommes politiques, à la lecture de la première affiche apposée dans Paris, après la fuite de Thiers, le dimanche matin 19 mars, on chercha à démêler une personnalité connue, parmi les noms nouveaux et obscurs des membres du Comité Central mis au bas du placard d’aspect officiel. Où trouver une indication sur le gouvernement improvisé qui recueillait la vacance du pouvoir ? On crut la découvrir, cette indication, dans un nom, celui du mécanicien Assi. Il servit à qualifier l’origine et les tendances de cette autorité nouvelle, et l’on s’écria : c’est l’Internationale ! C’était une grossière erreur, puisque les noms qui figuraient sur l’affiche étaient ceux des délégués des bataillons élus dans une réunion au Waux-Hall, qu’on avait déjà pu lire au bas de précédentes affiches. Mais le nom d’Assi se trouvait en tête des signataires et Assi était le seul d’entre tous ces prolétaires ignorés dont le nom fût répandu dans le public, à raison des grèves du Creusot et de ses comparutions en justice, et l’on savait qu’Assi faisait partie de l’Internationale.

Il n’était pourtant pas l’un des chefs de cette association, il ne siégeait point au conseil général, il était même un membre tout récent. Compris dans l’une des dernières poursuites, par erreur, il déclara au tribunal : « Je ne suis pas de l’Internationale, mais j’espère bien en faire partie un jour ! » il fut admis séance tenante par ses co-accusés, mais le tribunal l’acquitta comme n’étant pas poursuivable du chef de société secrète, puisqu’il n’en était pas membre lors de la poursuite.

Ce néophyte de l’Internationale se trouva donc, au lendemain du 18 mars, par sa notoriété seule, considéré comme représentant cette association mystérieuse et supposée puissante. L’interprétation erronée s’est propagée, et dans l’esprit de la plupart des gens, non initiés aux mouvements populaires de cette époque, Assi et l’Internationale continuèrent d’être considérés comme les auteurs principaux de l’insurrection du 18 mars.

Les comités de vigilance, qui fonctionnèrent durant les journées de février et de mars 1871, après l’armistice, au moment des préliminaires de paix et dont l’action fut considérable lors de l’affaire des canons, furent sans doute organisés par des sections de l’association, mais ses membres se trouvèrent confondus avec les autres militants, et le Comité Central de la garde nationale eut une existence autonome, en dehors de l’Internationale, et indépendante du conseil général de Londres.

L’Internationale n’était pas une force insurrectionnelle active. Elle prépara, elle endoctrina les futurs insurgés ; elle ne pouvait ni les armer ni les lancer dans les mêlées. À l’époque du 26 octobre, il lui était impossible d’intervenir utilement. Si les députés de la gauche avaient pris la direction du mouvement, comme ils s’y étaient engagés, les adhérents de l’Internationale eussent certainement suivi et agi, mais elle ne possédait ni l’influence ni l’organisation pour une prise d’armes. C’était une armée où il n’y avait que des colonels.

Les membres de l’Internationale, dont plusieurs firent par la suite partie du Comité Central et de l’assemblée communale, préparèrent les esprits à une révolution, posèrent le grand principe séparatif des classes : « l’émancipation des travailleurs devant être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » ; ils propagèrent l’éducation socialiste, recrutèrent des adhérents à la transformation sociale, mais ne contribuèrent qu’individuellement, ou incorporés à des groupes différents, aux diverses manifestations de la rue, qui marquèrent les années finales de l’empire, et les journées qui suivirent la capitulation de Paris.

Ce fut à tout autre titre que celui d’adhérents à J’association que les militants du parti avancé participèrent aux émeutes du 31 octobre et du 22 janvier 1871, à l’enlèvement des canons, la veille de l’entrée des Prussiens, comme à la reprise, dans la matinée du 18 mars, des pièces d’artillerie dont Thiers et Vinoy avaient voulu s’emparer.

LES GRÈVES

L’Internationale eut toutefois une part active dans les grèves qui se produisirent avant la guerre. Son intervention dans le conflit qui agitait l’industrie parisienne du bronze fut décisive. Une question de salaires divisait les patrons, ayant à leur tête M. Barbedienne, et les ouvriers que représentait M. Camélinat. Le bureau de la section internationale de Paris réclama l’appui du conseil général à Londres. Il fit appel à la solidarité des membres de l’Association, et demanda que le pouvoir central portât à la connaissance de tous ses adhérents de France, d’Allemagne, de Suisse, d’Italie, d’Amérique et d’Angleterre, les conditions de la lutte engagée, pour un rehaussement des salaires, entre les ouvriers bronziers parisiens et leurs patrons. Ils sollicitaient en conséquence « l’appui moral et matériel promis par le pacte constitutif à tous ceux qui reconnaissaient comme devant être la base de leur conduite la vérité, la justice et la morale ». Trois délégués furent envoyés de Paris à Londres, auprès du conseil général : Fribourg, Tolain, Varlin. Ils réussirent dans leur mission. Des subsides furent expédiés aux grévistes, et les ouvriers anglais déclarèrent qu’ils soutiendraient énergiquement leurs camarades de France. Les patrons prirent peur ; l’élévation de salaire réclamée fut accordée, et la grève de l’industrie du bronze se termina rapidement, dans le calme, sans la moindre violence, au grand étonnement de tous. Ce fut une victoire importante pour l’Internationale.

Elle eut, par la suite, des interventions moins pacifiques. Les désordres qui se produisirent à Aubin et à la Riccamarie eurent pour origine l’agitation gréviste, commencée dans ces bassins houillers par des agents de l’Internationale. Mais les fusillades qui ensanglantèrent ces deux régions ne furent pas la conséquence de voies de fait, d’excès et de rébellion, dirigés par cette association, en exécution d’un plan concerté ; il y eut explosion spontanée de colères ouvrières, collision accidentelle avec la troupe, et l’officier qui commanda le feu à la Riccamarie perdit sans doute le sang-froid. Cette répression de la Riccamarie fut une faute politique, dont l’empire supporta le poids. Le gouvernement impérial fit tout d’ailleurs pour exagérer la portée de cette bagarre regrettable, et il choqua l’opinion quand il décora l’officier qui avait fait tirer sur les grévistes.

INTERNATIONAUX ALLEMANDS ET FRANÇAIS

Au moment de la déclaration de guerre, la section parisienne de l’Internationale, peut-être naïvement, peut-être aussi avec l’amertume au cœur de la réalité, mais obéissant au sentiment idéal de la fraternité des peuples et de l’horreur pour la guerre, qui devait être commune aux prolétaires des deux pays en conflit, adressa aux Internationaux d’Allemagne et d’Espagne l’appel suivant :

Frères d’Allemagne,

Au nom de la paix, n’écoutez pas les voix stipendiées et serviles qui chercheraient à vous tromper sur le véritable esprit de la France.

Restez sourds à des provocations insensées, car la guerre entre nous serait une guerre fratricide.

Restez calmes, comme peut le faire, sans compromettre sa dignité, un grand peuple courageux. Nos divisions n’amèneraient, des deux côtés du Rhin, que le triomphe complet du despotisme.

Frères d’Espagne,

Nous aussi, il y a vingt ans, nous crûmes voir poindre J’aube de la liberté ; que l’histoire de nos fautes vous serve au moins d’exemple. Maîtres aujourd’hui de vos destinées, ne vous courbez pas comme nous sous une nouvelle tutelle.

L’indépendance que vous avez conquise, déjà souillée de votre sang, est le souverain bien ; sa perte, croyez-nous, est pour les peuples majeurs la cause des regrets les plus poignants.

Travailleurs de tous pays,

Quoi qu’il arrive de nos efforts communs, nous, membres de l’Internationale des travailleurs, qui ne connaissent plus de frontières, nous vous adressons, comme un gage de solidarité indissoluble, les vœux et les saluts des travailleurs de France.

Les Allemands répondirent par le manifeste suivant, signé Gustave Kwasniewski, au nom des membres de l’Association internationale des travailleurs, à Berlin :

Frères de France,

Nous aussi, nous voulons la paix, le travail et la liberté ; c’est pourquoi nous nous associons de tout notre cœur à votre protestation, inspirée d’un ardent enthousiasme contre tous les obstacles mis à votre développement pacifique, principalement par les sauvages guerres. Animés de sentiments fraternels, nous unissons nos mains aux vôtres, et nous vous affirmons comme des hommes l’honneur et qui ne savent pas mentir, qu’il ne se trouve pas dans nos cœurs la moindre haine nationale, que nous subissons la force, et n’entrons que contraints et forcés dans les bandes guerrières qui vont répandre la misère et la haine dans les champs paisibles de votre pays.

Nous aussi nous sommes hommes de combat, mais nous voulons combattre en travaillant pacifiquement et de toutes nos forces pour le bien des nôtres et de l’humanité ; nous voulons combattre pour la liberté, l’égalité et la fraternité, combattre contre le despotisme des tyrans qui oppriment la sainte liberté, contre le mensonge et la perfidie, de quelque part qu’ils viennent.

Solennellement, nous vous promettons que, ni le bruit des tambours, ni le tonnerre des canons, ni victoire, ni défaite, ne nous détourneront de notre travail pour l’union des prolétaires de tous les pays.

Nous aussi nous ne connaissons plus de frontières, parce que nous savons que des deux côtés du Rhin, que dans la vieille Europe comme dans la jeune Amérique, vivent nos frères, avec lesquels nous sommes prêts à aller à la mort, pour le but de nos efforts : la république sociale. Vivent la paix, le travail, la liberté !

On ne peut relire sans un hochement de tête mélancolique, accompagné d’un sourire glacé d’ironie, cette double phraséologie, sincère d’intention assurément, mais pompeuse et vaine. On doit admettre que les frères allemands étaient aussi véridiques que nos internationaux, quand ils exprimaient le désir commun de rester chacun chez soi, et de ne point courir les aventures de guerre. Les Allemands ajoutaient que rien ne les détournerait de travailler à l’union des prolétaires. Ces belles déclarations avaient toute l’importance des protestations de dévouement, de considération et d’offres de service, qu’on a l’habitude de déposer au bas des lettres. Elles ne sauraient engager celui qui les adresse, et celui qui les reçoit serait un niais s’il les prenait au sérieux. Français et Allemands, démocrates et pacifiques, appartenant à la même association de travailleurs, échangeaient, avant les balles et les obus, des politesses et des souhaits d’entente, ceci est tout à leur honneur, comme d’ailleurs leur ferme résolution de les oublier, quand le drapeau, sur les deux lignes, serait déployé. L’enseignement à tirer de ces inutiles appels à une paix qui n’était déjà plus possible, c’est qu’à Paris comme à Berlin les pacifistes n’étaient qu’une minorité impuissante, non écoutée, sans mandat ni autorité. L’Association internationale, malgré sa réputation, et l’influence considérable qu’on lui prêtait, ne disposait nullement d’une force mystérieuse pouvant déchaîner ou contenir les masses populaires. Elle n’était qu’un groupement propageant d’intéressantes conceptions théoriques susceptibles, sur des points isolés et désignés, de soulever et d’entretenir une agitation gréviste, mais incapable d’arrêter une guerre extérieure prête à éclater, comme il n’était pas dans ses moyens d’action d’organiser et de décréter la guerre civile.

L’Internationale n’eut même pas la puissance d’atténuer les horreurs irréparables de la guerre de 1870-71, ni de modérer la brutalité des vainqueurs sur le sol français. Il devait pourtant se trouver des adhérents à l’Internationale dans les rangs des troupes saxonnes, bavaroises, prussiennes. Ils auraient pu, tout en se soumettant à la discipline, et en obéissant à leurs généraux, se montrer plus fraternels pour des populations vaincues, recommander à leurs camarades la modération et la pitié. Nulle part on ne mentionne une intervention, même subalterne, de quelque membre allemand de l’Internationale, pour adoucir « la misère et la ruine que répandaient les bandes guerrières de Bismarck dans les champs paisibles de nos pays », comme s’expliquait le manifeste des internationaux d’Allemagne.

La vérité est que, pas plus pour armer les Parisiens en 1871 que pour désarmer les Prussiens en 1870, l’Internationale n’avait la puissance et le nombre. L’intention, dans des conjonctures aussi formidables, ne suffit pas.

Bien loin d’avoir fait la Commune, on pourrait dire que c’est le mouvement communaliste de 1871, et l’éphémère victoire prolétarienne du 18 mars, qui donnèrent à l’Association internationale, existant de fait déjà depuis plusieurs années, une importance politique, en France et à l’étranger, qu’elle n’avait pas avant, qu’elle ne put conserver après. Le retentissement dans le monde entier du soulèvement parisien, où l’on voulait voir la main, le levier de l’Internationale, profita à cette association. Son nom fut répandu dans des milieux jusque-là fermés à toute pénétration socialiste. Elle devint synonyme de Révolution sociale universelle. Tous les États se crurent, ou se dirent, menacés par elle. La réaction, dans toute l’Europe, usa de cet épouvantail. On fit peur aux civilisations aristocratiques et bourgeoises, aux organisations capitalistes et guerrières, de l’approche de ces Barbares qui se vantaient de donner l’assaut à toutes les forteresses de la société. On se servit longtemps de ce spectre effarouchant pour achever l’écrasement du prolétariat vaincu à Paris, partout où il tentait de se montrer, non plus audacieux et combatif, mais seulement respirant encore, désarmé, se faisant inoffensif et doctrinaire. Les Internationaux, après 1871, ne furent plus que des professeurs du socialisme, des casuistes plutôt, renonçant aux actes, mais se chamaillant sur des théories, disputant à propos de systèmes, dévorés par des rivalités d’écoles, et ressuscitant les controverses haineuses de la scolastique. Ils parurent renoncer à toute action. Bakounine se dresse contre Karl Marx, les congrès se battent à coups de résolutions ; ils excommunient réciproquement leurs délégués à la Haye et à Saint-Imier ; les jurassiens affirment l’autonomie et l’indépendance des sections contre la centralisation fédérale ; le principe, vivifiant pour un parti et redoutable pour la société bourgeoise, de la conquête du pouvoir politique ; afin d’arriver à la transformation sociale, est battu en brèche, et considéré comme un compromis honteux, comme une tromperie nuisible. Les dissidents voient dans l’avènement au pouvoir des travailleurs, c’est-à-dire de leurs chefs, de leurs avocats, la substitution d’un État à un autre, une pratique aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existants. Ces divers ferments de dissolution, de faiblesse et d’impuissance, réduisent alors à néant, ou à peu près, les efforts et la capacité révolutionnaire de l’Association internationale. Les royaumes, comme les républiques, dénoncent, traquent, emprisonnent ses membres disjoints et désarmés. Ces craintes et ces poursuites ont gardé toutefois un certain prestige à ce nom d’internationale. La peur exagérée, et calculée souvent, que l’on montrait du nom seul, a conservé jusqu’à nous une apparence de vie, de force et de mystère à une organisation, qui, en réalité, a disparu. Le goût du merveilleux, la tendance à supposer une puissance secrète, et comme une providence, matérialiste celle-là, intervenant dans les affaires des hommes et en disposant, ont ainsi maintenu une croyance vague à l’existence et à la force de cette Internationale, qui, en réalité, s’est tellement transformée avec l’industrialisme, les syndicats et les facilités des communications modernes, par la presse, les moyens de transport, les congrès, que Bakounine et Karl Marx, revenus parmi nous, se réconcilieraient, et, se reconnaissant isolés et impuissants dans un monde ouvrier nouveau, déclareraient que l’internationale n’appartient plus qu’au passé.

M. THIERS ET L’INTERNATIONALE

Ce qu’il convient de retenir pour l’époque qui va de 1868, date de la loi des coalitions, à mai 1871, époque de la répression, c’est que le rôle et l’importance de l’Association Internationale, école d’application socialiste, mais non pas école pratique révolutionnaire, a été exagéré et faussé, à la fois par les amis et les ennemis, par les adversaires de l’empire comme par ceux de la République démocratique et sociale.

Il convient donc, pour la recherche des origines et des causes de la Révolution communaliste de 1871, de tenir pour suspecte l’opinion de son vainqueur, M. Thiers, et de n’accepter que sous les plus expresses réserves les termes de la déclaration que le chef du pouvoir exécutif fit devant la Commission d’Enquête parlementaire sur le 18 mars, dans la séance du 24 août 1871. Voici le texte, d’après le compte-rendu sténographié in-extenso de cette fameuse déclaration, qui a été reproduite et acceptée partout comme étant l’expression de la vérité.

Le président de la commission d’enquête, le comte Daru, au chef du pouvoir exécutif, introduit devant les commissaires, adressa une allocution préliminaire, disant :

Monsieur le chef du pouvoir exécutif. La commission a désiré ne pas achever ses travaux sans entendre ce que vous pourriez avoir à lui dire sur l’insurrection du 18 mars et ses causes. Il lui a semblé que son enquête ne serait pas complète, si elle n’avait pas, en quelque sorte, pour couronnement, voire témoignage… Il est évident que nous n’avons pas encore pu réunir tous les matériaux de cette grande enquête. Nous n’avons pas les éléments nécessaires pour établir les ramifications de l’Internationale pour toute la France. Nous avons dû faire faire par les premiers présidents de Cour d’Appel et par les chefs des administrations publiques, des enquêtes portant sur des point éloignés, et nous n’avons pas encore tous les rapports qui nous sont annoncés. Nous avons nommé notre rapporteur, et nous sommes obligés de le prier de se hâter, parce que l’assemblée saisie de diverses propositions, et notamment de votre loi sur l’Internationale, nous presse, et nous demande, avec raison, de la renseigner sur la puissance et les manœuvres de l’Internationale, comme sur l’état des esprits dans les provinces.

M. Thiers répondit en ces termes :

Avant d’entrer dans le récit des faits, permettez-moi sur l’Internationale quelques notes qui serviront de courte préface à ce que je dois vous dire.

Je crois que l’action de l’Internationale est très réelle, qu’elle est continue, et cela depuis bien des années, mais en même temps que cette action est très occulte, Bien que cette société ait la prétention de ne s’occuper que de ce qu’elle regarde comme étant de son domaine et de son intérêt, c’est-à-dire de violenter la liberté des transactions, d’altérer le prix de la main d’œuvre, bien qu’elle affecte de dire qu’elle ne se mêle pas de politique, au fond, partout où se produit un trouble social, l’Internationale intervient pour l’aggraver. Partout, elle se fait l’inévitable auxiliaire du désordre. Je sais bien que les branches étrangères de l’Internationale blâment la branche française de son immixtion dans les affaires politiques. « Cela, disent-elles, ne regarde pas la société. Elle n’a pour but que d’assurer le bien-être du peuple. » Mais ce que ces gens-là appellent assurer le bien-être du peuple, consiste à changer le prix naturel de la main-d’œuvre, par des émeutes, par des coalitions de bras et d’argent, et ils ne s’aperçoivent pas qu’en agissant de la sorte ils ruinent les ouvriers en même temps que les entrepreneurs, et qu’ils créent la misère universelle. Le caractère vrai de cette société, c’est donc, tout en affectant de ne pas se mêler de politique, là où il y a un peu de désordre, de s’y jeter avec empressement, Nous l’avons vue figurer dans les événements de France, et surtout dans ceux de Paris, sans qu’on puisse dire qu’elle en est la cause directe, qu’elle les a encouragés, qu’elle les a fait naître, sans qu’on puisse dire le jour précis où elle s’en est mêlée ; mais on n’en doit pas moins la regarder comme l’auxiliaire, et souvent comme l’exécuteur du désordre.

C’est sous ce rapport que la situation actuelle est grave. Il est incontestable, quoi qu’on en dise, que les esprits demandent à se calmer. Le temps, messieurs, est à mes yeux le plus grand auxiliaire des gouvernements modérés, des gouvernements sensés qui savent manier le pouvoir. Le temps calme les esprits. Mais l’Internationale est un agent continu, universel, et à ce double titre, infiniment redoutable, elle rayonne sur toute l’Europe entière.

Nous avons pris l’initiative de l’action en proposant la loi que vous connaissez. C’est moi qui ai imaginé de considérer le seul fait de l’affiliation à l’Internationale comme un délit. C’est, suivant moi, le moyen le plus certain de combattre l’Internationale sur son terrain. Car la prendre la main dans un délit bien précis, bien caractérisé, dans un délit de grève qu’elle fomente, qu’elle excite, qu’elle soudoie, c’est chose bien difficile.

Ce qui est moins difficile, ce qui peut souvent se rencontrer, c’est de saisir une partie de l’association, c’est de pouvoir constater quels sont ses membres, et alors de les punir très sévèrement. Si l’on se bornait à l’ancienne législation qui les punissait comme association non autorisée, de quelques jours de prison ou d’une amende, on ne ferait rien. Il faut considérer l’affiliation à l’Internationale comme un délit grave. Il faut considérer comme un délit nouveau, à ajouter à tous ceux que la législation criminelle a pour but de réprimer, cette participation à une société dont l’existence même est un délit, puisqu’elle a pour bat d’associer des malfaiteurs étrangers aux efforts des malfaiteurs français, puisque ses membres n’ont pas de patrie. Nous avons songé d’abord à leur ôter la qualité de Français, mais cette mesure nous a paru excessive, et nous nous sommes bornés à décider qu’ils seraient punis de la prison, et qu’à l’expiration de leur peine ils seraient placés sous la surveillance de la haute police pendant le reste de leur vie.

Je ne crois pas à ce que vous disiez tout à l’heure, que les esprits s’exaltent tous les jours davantage. Je le répète, je crois au contraire qu’ils tendent à se calmer. Je suis persuadé que, dans six mois, dans un an, s’il n’y a pas d’événements extraordinaires qui viennent tout bouleverser de nouveau, la société se trouvera dans un meilleur état qu’aujourd’hui. Mais je reconnais que le mal, et un mal incontestable, résulte de l’existence même de l’Internationale, qu’il est vrai que sa sphère d’action s’étend, et qu’elle sort même des classes industrielles pour entrer dans les classes agricoles. Oui, il y a un mal des plus graves, c’est pour cela que nous vous avons proposé la loi, et nous l’avons faite avec la ferme intention de l’appliquer.

Le gouvernement possède actuellement une force matérielle assez grande pour vaincre toutes les résistances. Je ne crains nulle part des désordres matériels, et je ne crois pas que les partis songent à tenter quelque chose, et s’ils l’essayaient, je réponds qu’ils seraient écrasés à l’instant même.

Mais la lutte contre l’Internationale sera certainement une entreprise longue, difficile. Je considère comme un devoir de conscience pour tous les amis de l’ordre social en Europe de tenter cette lutte. Nous commençons pour notre part, en proposant la loi qui vous est soumise. Nous verrons si l’application donnera les résultats que nous espérons. Cette loi n’est d’ailleurs que le point de départ d’une série de mesures que nous vous demanderons de nous autoriser à prendre si la nécessité l’exige.

Cette déposition haineuse et comminatoire, où Thiers affirmait surtout le désir d’obtenir des moyens de répression exceptionnels contre les républicains socialistes, sous le prétexte d’affiliation à l’Internationale, prouve, non pas que les tronçons de cette association fussent redoutables, mais qu’il était de bonne guerre de paraître les redouter. C’était une parodie du spectre rouge de décembre 51, que Thiers, et les ruraux de Versailles à sa dévotion tentaient là. En s’efforçant de constituer une Sainte-Alliance des états monarchiques contre l’Internationale, bien tranquille, bien inoffensive dans les pays étrangers, où elle s’accommodait parfaitement avec les régimes militaires et aristocrates, avec le pouvoir royal héréditaire, Thiers et la réaction versaillaise se proposaient seulement d’armer contre les républicains français toutes les fractions de l’opinion cléricale, royaliste et autoritaire, en leur signalant des périls imaginaires, en leur garantissant l’appui et la sympathie de tous les gouvernements monarchiques.

L’INTERNATIONALE ET LE DIX-HUIT MARS. OPINIONS DIVERSES

Des opinions diverses et contradictoires ont été émises sur la participation de l’Internationale aux événements du Dix-Huit Mars. Il est intéressant de les connaître. Voici les principales :

M. Jules Favre, le personnage le plus considérable de l’époque après M. Thiers, interrogé par le président de la Commission d’Enquête, répondit :

Quelle a été la part de l’Internationale dans le mouvement du 18 mars ? Franchement, je serais bien embarrassé de le dire. Je crois que cette part a été beaucoup plus grande que ne le pouvaient prévoir ceux qui gouvernent cette société.

L’Internationale, tout le monde l’a vue naître, et, quand elle s’est formée, elle paraissait avoir un but utile.

Quand j’ai vu les ouvriers chercher à s’unir pour comprendre leurs intérêts, régler ou empêcher les luttes violentes, j’ai trouvé qu’il y avait à une bonne pensée. Elle s’est surtout formée après les expositions de 1863 et de 1867.

C’est à l’Exposition de Londres qu’elle s’est constituée ; elle a pris pour marque l’idée dont je viens de parler : cette idée ne me paraissait pas inquiétante ; puis sont arrivés les congrès, dans lesquels tout a changé de face. On y a prêché le communisme, l’athéisme ; j’ai toujours considéré ces choses comme étant matière à déclamation, mais comme n’étant pas socialement dangereuses : je me trompais, Pendant le siège et après le siège, entre l’armistice et le 18 mars, l’Internationale a préparé ce mouvement, c’est incontestable, mais je croyais qu’elle n’avait pas une très grande action sur la population, ce ne sont pas les membres de l’Internationale qui ont été les instigateurs du mouvement ; il est venu de Delescluze, de tout ce résidu de Jacobins, d’hommes qui ont peut-être une certaine bonne foi, mais qui croient qu’il faut étouffer une classe par l’autre. Ils ont employé la garde nationale pour réaliser certaines idées politiques, l’élection à tous les degrés, l’obéissance passive, le mot d’ordre, tout ce qui constitue le jacobinisme ; mais c’est la Révolution politique qui a commencé le 18 mars ; ceux qui ont enlevé Les canons les ont défendus, et ont cherché à grouper des éléments de résistance devant lesquels le Gouvernement a cru prudent de se retirer à Versailles, c’étaient des hommes politiques, sans instruction, qui ne paraissaient pas fort dangereux, mais je crois que l’Internationale n’est entrée en scène que plus tard, quand elle sut qu’il n’y avait plus rien devant elle, que les maires de Paris qui ont lutté. Je crois qu’il faut être très réservé, quand on blâme même ceux qui ont paru pactiser avec l’émeute.

Je crois que l’Internationale a été pour beaucoup dans le 18 mars, qu’elle l’a discipliné, et lai a donné une forme autoritaire, mais que ce n’est pas elle qui a organisé le 18 mars, qui a été la première sur la brèche ; elle n’a qu’organisé la victoire.

Voilà, Messieurs, tout ce que j’avais à vous dire, je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez m’adresser.

Le président, le comte Daru, malgré cette réponse très catégorique d’un des principaux membres du gouvernement, qui devait être bien renseigné, et n’était pas suspect de vouloir défendre l’Internationale, persista à maintenir l’opinion erronée que partageaient beaucoup de ses collègues, disant :

Il nous est difficile de croire que l’Internationale n’ait pas été, dès le premier jour, à la tête du mouvement du 18 mars, nous voyons sa main dans l’insurrection, dès le début, nous la voyons à la fin, allumant les incendies.

Cette obstination à soutenir une opinion que les faits et les témoignages compétents venaient démentir était telle, que le même Daru, insistant, crut devoir produire cette allégation du reste oiseuse :

On a trouvé des pièces importantes chez la maîtresse de Paschal Grousset !

À cette affirmation en l’air, Jules Favre opposa un nouveau démenti net et précis :

On m’a apporté des papiers saisis chez cette fille, qui avaient été pris au ministère des Affaires étrangères. Je ne sais pas en quoi cela pouvait m’intéresser. Je n’ai rien trouvé sur l’Internationale.

(Déposition de Jules Favre dans l’Enquête, t. II, p. 47.)

M. Ernest Picard, ministre de l’Intérieur, s’attire, au milieu de sa déposition dans l’Enquête, cette interruption de l’un des commissaires, M. de Massy :

— Vous ne paraissez pas donner une large part à l’Internationale ?

Il répond tranquillement :

— Je crois que sa puissance est un peu gonflée.

Jules Ferry, le maire énergique de Paris, qui avait tenu tête aux insurgés du 31 octobre et du 22 janvier, déclare nettement à la commission :

Je voudrais réagir dans une certaine mesure contre l’opinion, qui me paraît très répandue aujourd’hui, que l’insurrection du 18 mars serait le résultat d’une conspiration très anciennement organisée, et organisée par une société dont le nom est aujourd’hui célèbre, l’Internationale…

M. Edmond Adam, ancien préfet de police, ayant cessé ses fonctions au 31 octobre, dit :

L’Internationale est indifférente à la question politique ; le saint-simonisme, le fouriérisme, deux grandes écoles de socialisme, qui ont beaucoup contribué à la naissance de l’Internationale, professaient l’indifférence en matière politique. L’Internationale paraît avoir hérité d’eux sous ce rapport, elle a des préoccupations exclusivement sociales.

Une déposition fort significative est celle d’un bonapartiste, M. Ansart, resté fidèle au gouvernement qui l’avait nommé, servant cependant le gouvernement du 4 septembre avec un grand zèle professionnel. M. Ansart chef de la police municipale, et qui, en cette qualité, a surveillé tous les groupements politiques et les personnages obscurs ou notoires qui se sont trouvés mêlés aux événements depuis la chute de l’empire, est questionné par le président sur l’Internationale. Il répond que c’est une société très habile et très prudente, dont le point de départ, l’amélioration du sort de la classe ouvrière, était parfaitement honorable. On lui demande si on trouve parmi les membres de l’Internationale les chefs de l’insurrection du 18 mars. Et M. Ansart de répondre avec une sincérité évidente :

Ce ne sont plus les mêmes hommes du tout. Quelque temps avant le 48 mars, surgirent une foule d’individus qui étaient auparavant inconnus. Ceux d’autrefois, nous ne les retrouvons pas dans l’affaire du Dix-Huit mars.

M. François Favre, maire du XVIIe arrondissement (Batignolles), ayant eu pour adjoint Benoît Malon, l’un des principaux membres de l’Internationale, répond clairement à la question réitérée :

À mon avis, le rôle de l’Internationale a été secondaire dans l’insurrection :

Et il ajoute, quand on lui demande si c’est sous l’influence de l’Internationale que le Comité Central a été organisé :

Je ne le crois pas ; le Comité Central s’est formé, à mon avis, sous une influence plus spécialement blanquiste que sous l’influence de l’Internationale…

Cette réponse, qui ne correspond nullement aux idées de la commission, fait poser cette question par un membre : N’y a-t-il pas eu fusion entre le groupe blanquiste et l’Internationale ?

M. François Favre répond simplement :

Je pense qu’on a pris quelques membres de l’Internationale.

M. Desmarest, bâtonnier de l’ordre des avocats et maire du 9e arrondissement, après une longue et intéressante déposition sur les pourparlers avec les maires qui précédèrent l’élection des membres de la Commune, est interpellé par le président, en ces termes :

Je vous demande la permission de vous faire une dernière question : Quel rôle l’Internationale a-t-elle joué dans les élections du 8 février ?

On était loin des précédentes interrogations, et l’enquête sur le Dix-Huit mars semblait perdue de vue. L’honorable bâtonnier répondit : « Je n’en sais rien ! »

Ainsi non seulement les déposants ne purent préciser l’intervention de l’Internationale dans les événements du Dix-Huit mars, mais on n’établit même pas qu’elle se fût mêlée activement aux élections à l’Assemblée Nationale.

Le président Daru, qui devait représenter et interpréter les sentiments de la commission, était si imbu de la prétendue participation de l’Internationale à l’insurrection qu’obligé de répondre à un policier ignorant complètement les hommes et les événements, le nommé Ossude, qui émettait cette sottise : « Je crois que Blanqui est de l’Internationale : Non ! Blanqui n’en faisait pas partie », ce qui était su de tout le monde, s’empressa d’ajouter cette contradiction : « Blanqui et l’Internationale ont fait ensemble la Commune ! »

Cet Ossude avait été chargé de l’armement et de l’habillement de la garde nationale au 4 septembre. Il joua ensuite le rôle d’agent secret au 31 octobre, et à la rentrée des troupes de Versailles devint prévôt, c’est-à-dire chargé de procéder aux arrestations et aux exécutions sommaires dans le VIIe arrondissement. C’est le seul déposant qui signale la participation de l’Internationale au Dix-Huit mars. Il est vrai qu’il lui adjoint le Comité Central, qui, de l’aveu unanime, fut pris au dépourvu par l’attaque de Montmartre, et ne parut à l’Hôtel-de-Ville que dans la soirée.

Le Comité Central a pris naissance vers la fin de février, dit ce policier, le Comité Central et l’Internationale pour moi c’est tout un.

(Enquête parlementaire. Séance du 18 août 1871, t. II, p. 475.)

Ainsi le témoignage d’un espion, d’un homme de sang, comme le prévôt Ossude, est le seul, dans le gros volume de l’Enquête parlementaire, qui dénonce l’Internationale comme ayant joué un rôle dans l’insurrection du 18 mars. On pèsera la valeur de cette allégation, avec les déclarations négatives de témoins, adversaires aussi de la Commune, mais honorables, tels que MM. Jules Ferry, Jules Favre, Ernest Picard, Edmond Adam, Desmarest, etc.

PROCÈS-VERBAUX DE L’INTERNATIONALE

Mais il est un témoignage autrement convaincant de la non-participation de l’Internationale au Dix-Huit mars. Il ne s’agit plus de dépositions, assurément loyales et sincères, de personnages considérables, ayant été à même de voir de près les événements. Ces témoins peuvent avoir été influencés, comme les membres de la Commission, mais dans un sens différent, par des renseignements inexacts, par des lectures, par des récits, et avoir rapporté des impressions et des opinions erronées. On a heureusement un document incontestable : ce sont des procès-verbaux des séances du Conseil fédéral de l’Association Internationale, qui ont été saisis, et publiés dans le tome III de l’Enquête parlementaire sur le Dix-Huit mars.

Il résulte de ces procès-verbaux, de la section française de l’internationale, siégeant au No 6, place de la Corderie du Temple (où le Comité Central et les Associations ouvrières tinrent également séance) que non seulement l’Internationale ne prépara nullement la révolution du Dix-Huit mars, et par la suite la Commune, mais qu’elle témoigna pour cette insurrection, qu’elle n’avait ni concertée ni prévue, une indifférence méfiante qui confinait à l’hostilité.

Les séances du mois de janvier 1871 sont peu intéressantes et même languissantes. Il convient de remarquer que, depuis le mois de septembre, la section française est privée de communications avec Londres, c’est-à-dire que le conseil général de l’association ne peut ni donner ses instructions au Conseil fédéral, ni recevoir des demandes de secours en hommes et en argent de la section parisienne isolée. Ceci suffit déjà pour réfuter certaines suppositions absurdes sur l’intervention de l’étranger, et un mot d’ordre venu de Londres, pour les émeutes du 31 octobre et du 22 janvier.

Les premières séances de janvier du Comité fédéral sont consacrées à l’étude d’un journal à lancer qui serait l’organe de l’association. Une commission est nommée pour s’entendre avec deux organes déjà existants, mais peu répandus : la Lutte à outrance, et la Section des Batignolles. Les citoyens Franckel, Varlin, Noro, Boudet et Goullé sont nommés membres de cette commission (séance du 5 janvier 71).

La commission fait son rapport à la séance suivante. La Lutte à outrance est acceptée par 14 voix (sections) avec 1 voix nulle, de la section des Ternes. Le citoyen Varlin parle des difficultés que présenterait la publication d’un journal quotidien. Les ressources font défaut. « Il nous faut un organe qui explique clairement nos idées, dit Frankel, comment voulez-vous que l’ouvrier qui ne sait rien apprenne ? On lui parle aujourd’hui de Commune, ce mot l’effraie, il ne sait ce que c’est. Depuis la République nous n’avons rien fait. » Il est décidé que la Lutte à outrance aura un sous-titre indiquant que ce journal sera l’organe des travailleurs, de l’Internationale. Le citoyen Lucas dit : « Nous ne voulons pas suivre la ligne de la Patrie en danger (journal très énergique et très patriote rédigé par Blanqui, pendant le siège). Le président Bachruch dit : « Blanqui a souvent des idées justes, mais c’est un journal socialiste que nous faisons, et quoi que je pense de Blanqui, je ne veux pas m’écarter de cette ligne » (Séance du 12 janvier).

Voilà une réfutation de l’opinion, produite devant la commission d’enquête, que Blanqui avait fait alliance avec l’Internationale. C’eût été possible en vue d’un de ces coups de mains que Blanqui préconisait, seul moyen, selon lui, de faire la révolution. Il aurait pu, pour la tentative du 22 janvier, se concerter avec les internationalistes. On voit qu’il n’en fut pas question au Conseil fédéral et qu’au contraire il y avait froideur et défiance entre les membres de l’Internationale, révolutionnaires sociaux et les blanquistes, considérés comme des révolutionnaires politiques. Nous retrouverons, quand la Commune aura le pouvoir et sera installée comme un gouvernement voulant être régulier, cet antagonisme entre les blanquistes et les internationaux.

Dans la séance du 19 janvier, le Conseil fédéral s’occupe du travail de nuit des boulangers. Les boulangers dent l’appui de l’Internationale. Le concours de l’assemblée est acquis à ces travailleurs.

Dans In même séance, on discute le manifeste que doit publier la Lutte à outrance, le nouvel organe de l’association. « Le manifeste de la Société internationale des travailleurs, déclare solennellement le citoyen Chalain, devra soutenir nettement la liquidation sociale ». Lacord propose que les séances deviennent quotidiennes. « L’Internationale, dit-il, ignore sa force réelle, elle est considérable ; le public la croit riche et unie. » Le citoyen Rouveyrol conteste et dit que les sections sont ruinées et que les membres en sont dispersés. Il ajoute : « Si le public savait tout cela, il jugerait combien nous sommes faibles, et l’association sombrerait du coup. » Cet aveu pessimiste ne soulève aucune protestation. On réclame seulement la lecture du manifeste qui a été rédigé. Le citoyen Armand Lévy, rédacteur de la Lutte à outrance, trouve le manifeste bon comme idées, mais pas assez dans le sens actuel. « Ce qui a fait la force de l’Internationale, ajoute-t-il, ça a été de ne pas se limiter à combattre pour les travailleurs français, mais de s’étendre au prolétariat de l’univers. » Le Conseil décide qu’il y aura désormais séance les mardi, jeudi et samedi, à huit heures du soir.

On remarquera que ce jour-là, 19 janvier 1871, se livrait la bataille de Buzenval, suprême effort et première action de la garde nationale parisienne, point de départ de l’exaspération qui devait aboutir à l’insurrection et à la Commune, et qu’il ne fut pas question un seul instant de ce grand et tragique événement, au cours de la longue délibération du Conseil fédéral de l’Internationale. Les Prussiens, la grande sortie, la garde nationale vaincue, la capitulation dès lors justifiée et certaine, les internationaux n’en avaient cure. Ils pensaient uniquement à leur journal, et à la lutte sociale contre la bourgeoisie. On conçoit leur dédain pour Blanqui, pour sa préoccupation de la Patrie en danger. L’Internationale, en France, vivait donc dans un isolement, et au milieu d’abstractions socialistes, qui l’empêchaient de s’intéresser aux faits qui se passaient sous ses yeux. Elle élargissait tellement son horizon, au delà des frontières qui étaient alors le Bois de Boulogne et le Bois de Vincennes, qu’elle perdait de vue Paris.

Le Conseil se réunit le 22 janvier. Non seulement l’Internationale n’est pour rien dans l’insurrection, mais elle ne veut pas qu’on parle de cette échauffourée sans importance pour elle. Sur une allusion de Goullé disant que la population est pourrie, Frankel dit : « Occupons-nous moins du 22 janvier, et plus de l’avenir. » Le Conseil est tout entier à l’affaire du journal qui n’a pas pu continuer sa publication faute de fonds. Varlin dit : « La République des Travailleurs et la Lutte à outrance ne reparaîtront probablement plus. Cherchons donc les moyens de faire un nouveau journal. »

À la séance du 15 février, c’est l’époque si décisive des réunions au XVe arrondissement et au Waux-Hall, où la fédération de la garde nationale s’organise, où le Comité Central est en gestation, véritable conception de la Commune et genèse de la Révolution parisienne, le Conseil général écoute les déclarations vagues et générales de Theisz :

L’Internationale doit devenir le gouvernement social lui même, dans l’avenir, les sociétés ouvrières se groupant difficilement aujourd’hui. Les sections ouvrières sont vouées fatalement à la lutte quotidienne du salariat. Nous savons combien cette tâche est rude, embarrassée de mille détails absorbants. Les sections, avec un bon esprit politique et social, sont appelées à exercer une grande domination sur l’opinion publique. Je demande donc au Conseil fédéral de marcher résolument vers l’avenir, et, pour ouvrir la voie, je propose la nomination d’une commission spécialement consacrée à faire une enquête, au sein même de chaque section, et à adresser un rapport qui vous sera soumis.

Une commission, une enquête, un rapport, voilà toute la besogne révolutionnaire que se donne cette Internationale, en qui l’on a voulu voir la génératrice de la grande révolution parisienne.

Un membre qui fit partie du Comité central, Serailler, émet cette observation : « À Londres, l’Internationale est une puissance politique de premier ordre ; qu’un mouvement socialiste éclate, l’Internationale est prête, en Angleterre. En France, en est-il de même ? » On ne lui répond que par un silence qui est une négation.

On a vu l’importance que prirent les manifestations à la Bastille, à l’occasion de l’anniversaire du 24 février. Ce fut là que la garde nationale eut une cohésion, et que le Comité Central acquit et manifesta sa puissance. L’Internationale se désintéressa de ces démonstrations patriotiques et républicaines. Un membre du Conseil propose de s’y associer. Frankel répond : « Il est urgent de s’occuper d’études et d’organisations. Nous devons approfondir les questions spéciales, celles des loyers et du chômage général. Je demande qu’on repousse toute discussion sur la manifestation du 24 février, par l’ordre du jour. » L’ordre du jour est voté, et, sans plus s’occuper de l’agitation populaire et de la garde nationale se fédérant, des Prussiens dont l’entrée à Paris est imminente, sans penser un seul instant aux canons abandonnés dans le périmètre d’occupation, on écoute Frankel disant : « Je ne me lasserai pas de demander au Conseil fédéral la création d’un organe de l’association. » (Séance du 22 février.)

Mais on est au premier mars. Le jour de deuil est arrivé. L’armée prussienne entre dans Paris. La ville est comme figée dans sa douleur et son humiliation. La vie ordinaire est suspendue. Toute réunion, toute discussion sont ajournées. La cité est plongée dans l’obscurité, et le silence domine. L’Internationale tient cependant séance ce soir-là. Elle discute une communication du Comité Central de la garde nationale. Le Comité demande que les internationaux, fassent leur possible pour se faire nommer délégués dans leurs compagnies, afin de siéger au Comité Central.

Cette avance est accueillie froidement. Varlin dit : « Allons à cette chambre fédérale, non pas comme internationaux, mais comme gardes nationaux, et travaillons à nous emparer de cette assemblée. Frankel résiste : « Ceci ressemble à un compromis avec la Bourgeoisie, je n’en veux pas ! » Lacord fait remarquer que ces gardes nationaux viennent à eux par suite de l’influence morale qu’a conquise l’Internationale, pourquoi les repousser ? Frankel continue à montrer de la méfiance, et dit qu’on ne peut engager l’Internationale avant que chacun ait consulté sa section. La discussion se poursuit. Elle est intéressante :

Goullé. — Il n’y a pas à engager l’Internationale. Il s’agit d’avoir des Internationaux dans les délégués des compagnies, puis quatre membres dans le Comité Central, pour y agir en leur nom individuellement, et venir donner des renseignements au Conseil fédéral.

Clamens. — Ce sont des socialistes qui sont à la tête de l’affaire.

Vaniun. — Les hommes du comité qui nous étaient suspects ont été écartés et remplacés par des socialistes qui désirent avoir parmi eux quatre délégués, servant de lien entre eux et l’Internationale. Si nous restons seuls en face d’une telle force, notre influence disparaîtra ; si nous sommes unis avec le Comité, nous faisons un grand pas vers l’avenir social.

Babick. — Acceptons le concours qu’on nous offre et usons-en avec la réserve commandée par la prudence. Je veux que, dans tout ceci, l’internationale soit à l’abri.

Bidet. — Il n’y a pas d’inconvénient à nommer quatre délégués avec le mandat qui vient d’être fixé, et il y en aurait à ne point le faire, car Si les socialistes de ce Comité ont à marcher en avant, ce serait une folie que l’Internationale leur refusät son concours réservé.

Charbonneau. — Vous dites que le Comité est devenu socialiste. À son début, il était réactionnaire. Je reste défiant. En conséquence, j’appuie la nomination de quatre membres, mais avec un mandat déterminé ; ils ne se mêleront à l’action que pour une lutte sociale.

En conséquence on vota la nomination d’une commission de quatre membres, déléguée auprès du Comité Central de la garde nationale, avec cette condition que l’action de cette délégation serait individuelle et expressément réservée, en ce qui concernait l’Association internationale des travailleurs. (Séance du Ier mars 1871.)

Il résulte de cette délibération que l’Internationale consentait bien à envoyer quatre délégués au Comité Central, mais qu’elle n’entendait nullement adhérer à un comité politique, et que les délégués ne devraient se mêler à l’action de ce comité que pour une lutte sociale. Ceci fournit la démonstration que l’Internationale demeura étrangère à toute l’action politique du Comité Central, et ne participa nullement à l’affaire des canons de Montmartre.

La séance du 15 mars ne contient aucune allusion à un mouvement éventuel quelconque, pour le cas où le gouvernement voudrait prendre de vive force les canons. On y discute l’envoi d’une rectification au Paris-Journal à propos d’une lettre de Karl Marx, dont on suspecte l’authenticité, et l’on y décide d’adresser les communications à plusieurs journaux en attendant que l’Internationale ait un journal lui appartenant entièrement.

Le 18 mars est passé. Paris est en pleine révolution. Le Comité Central, dès le 19 mars, s’est manifesté comme seule autorité révolutionnaire. C’est le gouvernement provisoire de l’insurrection. Le Conseil fédéral se réunit le 22 mars.

Que décident alors les internationaux ? Rien. On émet des doutes sur le résultat d’une conciliation entre les municipalités et le Comité Central. Goullé fait observer que l’Internationale n’a qu’un membre dans ce Comité. Varlin ajoute : « Donc, elle est dégagée de toute responsabilité. » Un membre renchérit sur la défiance exprimée et dit : « Il faut savoir si le Comité ne compromet pas la République. »

Dans la séance du 23 mars, Frankel propose un manifeste dans lequel on invitera à voter pour la Commune. Dans ce manifeste on ne s’occupera que des élections à la Commune. Un membre dit : « Si nous nous occupions du Comité Central, dans notre manifeste, nous aurions à endosser la responsabilité que la réaction mettrait sur nous, si nous avions un échec. » Aubry s’étonne de ne pas trouver une liaison intime entre la Fédération ouvrière et le Comité Central. « Cependant, dit-il, la Révolution du 18 mars est toute sociale, et les journaux dans toute la France citent l’Internationale comme ayant pris le pouvoir. Nous savons qu’il en est différemment. Je crois que l’on coordonnerait le mouvement en invitant le Comité Central à adhérer à l’Internationale. »

Enfin, dans la séance du 29 mars, la Commune installée comme gouvernement à l’Hôtel-de-Ville, à la veille du jour où le canon va tonner, où le sang va couler, la discussion suivante s’engage :

Bertin. — Une des plus grandes questions qui doivent nous préoccuper, c’est celle relative à l’ordre social ; notre révolution est accomplie. Laissons le fusil et reprenons l’outil.

Goulle. — Il faut se tenir sur ses gardes.

Hamet. — La garde est facile à établir, le travail l’est moins ; prenons nos outils, au premier coup de tambour nous saurons reprendre nos fusils.

Frankel. — J’appuie cette idée. Nous voulons fonder le droit des travailleurs, et ce droit ne s’établit que par la force morale et la persuasion ; laissons les despotes faire respecter le droit qu’ils entendent à leur façon, par la mitraille.

C’était l’abstention, c’était la dispute théorique, et l’élaboration d’utopies et de formules sociales, sans sanction, que l’Internationale adoptait en approuvant l’orateur. Nous verrons par la suite qu’elle s’y montra fidèle, et que, si plusieurs membres de l’Internationale, en même temps membres du Comité Central et de la Commune, votèrent des mesures énergiques, soutinrent la lutte, les armes à la main, c’étaient individuellement qu’ils agissaient. L’Internationale, en tout état de cause, a toujours suivi une ligne parallèle à celle de la Commune. Elle fut entrainée dans une chute commune, mais elle ne fit rien pour l’empêcher.

Au Dix-Huit mars, il est bien démontré que la section française de l’Association internationale, représentée par son Conseil fédéral, demeura dans l’inaction, et même dans une indifférence touchant à l’hostilité. Le mouvement qui éclata, après l’attaque de Montmartre, fut à la Fois patriote et politique, — ce fut l’esprit même de la Commune, — et l’Internationale, fidèle à ses principes, à son nom, ne S’intéressait guère qu’aux réformes sociales, aux conditions du travail et sa sollicitude s’étendait aux étrangers, en négligeant les intérêts nationaux.

RÉSUMÉ DE LA SITUATION AU DIX-HUIT MARS

Il résulte de ce qui précède que :

1o Le Comité Central et l’Internationale n’ont été pour rien dans le Dix-Huit mars, ni dans l’insurrection qui en fut la conséquence immédiate ;

2o Que l’insurrection n’a été nullement préparée par le peuple, par la garde nationale, ou par des conspirateurs ; qu’elle fut une surprise et une riposte, et que M. Thiers est seul responsable des événements ;

3o Que la Commune, qui en fut le résultat logique, eut donc pour unique auteur M. Thiers :

4o Que les canons auraient pu être, sans danger, laissés à Montmartre, et dans les autres parcs, d’où ils eussent été ensuite facilement retirés, soit par un accord avec ceux qui les gardaient, soit à la suite d’un abandon volontaire, par lassitude, par découragement d’une faction sans nécessité ;

5o Que, la question des canons supprimée, l’insurrection n’avait plus de raison d’être, et la conciliation aurait pu se faire, sur la question principale des garanties pour la République, et sur les points secondaires des franchises municipales de Paris, des adoucissements aux lois rigoureuses sur les échéances et les loyers, de la réorganisation de la garde nationale, etc., etc ;

6o Que le plan de Thiers, qui n’a échoué que par une circonstance indépendante de sa volonté, la débandade des troupes, a valu à notre malheureux pays deux mois de guerre civile, Paris mis à sac avec une tuerie sans exemple dans les temps modernes, et a creusé un fossé de haine et de vengeances, à peine comblé après quarante ans, entre les vainqueurs et les vaincus ;

7o Enfin, que le Dix-Huit mars est un crime, aussi odieux, aussi indigne d’amnistie que le Deux-Décembre, et que le seul criminel, car les complices ne vinrent qu’après pour approuver et exécuter, est Thiers, donnant froidement, dans la nuit du 17 au 18 mars, l’ordre de marcher sur les parcs d’artillerie de Montmartre et de Belleville, c’est-à-dire d’attaquer Paris.