Histoire de la littérature grecque (Croiset)/Tome 5/Période de l’Empire/Chapitre 7

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CHAPITRE VII
DE DIOCLÉTIEN À LA MORT DE THÉODOSE
L’ORIENT GREC AU IVe SIÈCLE

bibliographie

Les sophistes païens. — Himérios. Sur les mss., voir la préface de F. Duebner, dans son édition. Éditions de Wernsdorf, avec une traduction latine et un commentaire perpétuel, Gœttingue, 1790 ; de F. Duebner, dans le volume de la bibliot. Didot, qui contient les Philostrate, Paris, 1849. — Thémistios. Nous indiquons, en étudiant Thémistios, comment le recueil de ses discours s’est constitué et grossi peu à peu. Les très anciennes éditions sont devenues très incomplètes. La meilleure, aujourd’hui encore, est celle de G. (Wilhelm) Dindorf, Leipzig, 1832, d’après le ms. de Milan mis en lumière par Ang. Mai. Pour les Paraphrases d’Aristote, édition de L. Spengel, Leipzig, 1866, dans la Bibliot. Teubner ; voir, en tête du t. I, les indications relatives aux mss.Libanios. Au sujet des mss., consulter R. Foerster, De Libanii libris manuscriptis Upsaliensibus et Lincopiensibus, diss., Rostock, 1877. Première édition, Ferrare, 1517. Éd. de Fréd. Morel, avec trad. lat. et notes. Paris, 1606-1627 ; de Reiske, avec des notes, 4 vol. in-8o, Altenburg, 1791-97, la meilleure jusqu’ici, bien que laissant encore beaucoup à désirer. La correction du texte a été avancée en ce siècle par de nombreux travaux critiques, et surtout, depuis une trentaine d’années, par ceux de R. Foerster, publiés dans l’Hermes, le Philologus, le Rhein. Museum et les Jahrb. für class. Philol. Une édition critique est fort à souhaiter. Les Lettres de Libanios ont été publiées par Wolf, Leipzig, 1711, et complétées par le même, Amsterdam, 1738.

Philosophes, Savants, Historiens. — Pour les Vies des philosophes d’Eunape, l’édition savante est celle de Boissonade, 2 vol. in-8°, Amsterdam, 1822, avec des notes ; seconde édition du même, jointe aux Philostrate de la Bibl. Didot, Paris, 1849. Pour les fragments historiques d’Eunape et des autres historiens, ainsi que pour les œuvres de philosophie, de médecine, de science, voir les notes au bas des pages.

Julien. Manuscrits. Voir la préface de l’édit. de Hertlein, t. I et II. — Éditions. Première édition, P. Martin, Paris, 1583. Éditions de Petau, Paris, 1630 ; de Spanheim, Leipzig, 1696. Édition critique de C. Hertlein, 2 vol., Leipzig, 1875-76, Bibl. Teubner. Pour l’écrit contre les chrétiens, qui ne figure pas dans l’éd. Hertlein, Jul. imperat. librorum contra Christianos quæ supersunt, éd. C. J. Neumann, Lipsiæ, 1880.

Quintus de Smyrne. Sur l’établissement du texte, voir la préface de l’édition de Koechly et de celle de Zimmermann. Première édition : Alde, Venise, 1504. Éditions de Tychsen, Deux-Ponts, 1807 (incomplète, le t. I seul a paru) ; de F. J.· Lehrs, dans l’Hésiode de la Bibl. Didot, Paris, 1839 ; de A. Koechly, avec des prolégomènes et des notes critiques, Leipzig, 1850 ; de Zimmermann, dans la Bibl. Teubner.

Eusèbe. Sur la tradition des œuvres d’Eusèbe, Harnack, Gesch. d. Altchr. Litteratur, I, p. 551. — Édition d’ensemble, Migne, Patrol. grecque, t. XIX-XXIV. Éditions partielles : Chronique, éd. A. Schœne, 2 vol. in-4°, Berlin, 1866-1875 ; Histoire de l’Église, éd. de Henri de Valois, Paris, 1659-1673 ; avec les deux écrits sur Constantin ; de Heinichen, 1868-70 ; de Dindorf, Leipzig, 1871, Bibl. Teubner ; Préparation évangélique et Démonstration évangélique, éd. de Dindorf, Leipzig, 1867-1871, Bibl. Teubner. — Athanase. Éditions d’ensemble des Bénédictins (J. Lopin et B. de Montfaucon), Paris, 1698 ; de Migne, Patrol. gr. XXV-XXVIII, Paris, 1857. — Écrivains secondaires. Indications bibliographiques au bas des pages. — Basile. Édition des Bénédictins (J. Garnier et Pr. Maran), 3 vol. in-fol., Paris, 1721-1730 ; Migne, Patrol. gr., t. XXIX-XXXII, Paris, 1857. — Grégoire de Nazianze. Édition des Bénédictins (Ph. Clemencet et A. B. Caillau), Paris, 1778-1840 ; Migne, Patrol. gr., t. XXXV-XXXVIII. Quelques·unes des poésies figurent dans l’Anthologia græca carminum christianorum de W. Christ et M. Paranikas, Leipzig, 1871. — Grégoire de Nysse ; Migne, Patrol. gr., t. XLIV·XLVI, Paris, 1858. — Jean Chrysostome. Éditions complètes du P. Fronton du Duc, avec trad. lat., 12 vol. in-fol., Paris, 1609-1633 ; de Montfaucon, avec trad. lat., 13 vol. in-fol., Paris. 1718-38 ; de Migne, Patrol. gr., XLVII-LXIV. Fr. Duebner avait commencé à publier dans la Bibl. Didot des Opera selecta ; le t. I a seul paru, Paris, 1861 ; il contient Adv. oppugnat. vitz monasticæ, De virginitate, Adversus eos qui apud se habent virgin es subintroductas, Quod regulares feminæ viris cohabitare non debeant, Ad viduam juniorem, De non iterando conjugio, De sancto Babyla, De sacerdotio, Homiliæ de statuis, Cathecheses.



sommaire

I. Caractères généraux du ive siècle. Dernier éclat de la sophistique païenne. Avènement de l’éloquence chrétienne. — II. Les écoles. Sophistes en renom. Himérios, Thémistios, Libanios. — III. L’histoire profane. Eunape et Olympiodore. — IV. La philosophie. Jamblique et ses successeurs. Les sciences : Oribase, Diophante. — V. Julien. Ses écrits. L’historien, le moraliste, le mystique, le pamphlétaire. Sa correspondance. — VI. La poésie profane au ive siècle. Quintus de Smyrne. Les Argonautiques orphiques. VII. Littérature chrétienne. Transition entre le ive siècle et le ve : Eusèbe de Césarée. — VIII. L’Arianisme. Arius et les écrivains ariens. Athanase, sa vie et ses écrits ; son génie et son éloquence. — IX. Écrivains secondaires. Apollinaire de Laodicée, Macédonios, Didyme l’Aveugle, Cyrille de Jérusalem, Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste, Épiphane. — X. Les Cappadociens. Basile ; sa vie et ses écrits ; caractères de son éloquence. — XI. Grégoire de Nazianze. Sa vie et ses écrits. Le poète, le théologien et l’orateur. Grégoire de Nysse. XII. Jean Chrysostome. Sa vie. — XIII. Classement de ses écrits. — XIV. Le moraliste et l’orateur.


I

Après la sombre période que nous venons de traverser, le ive siècle apparaît tout à coup, dans l’histoire de la littérature grecque, comme une seconde renaissance. De nouveau, nous rencontrons dans la société païenne des orateurs en renom, un Himérios, un Thémistios, un Libanios. Sur le trône, voici des princes remarquables, un Constantin, un Julien, un Théodose, qui ne sont pas seulement des hommes de guerre, mais aussi des politiques, et qui exercent sur le monde entier une influence profonde. D’ailleurs, à côté de l’éloquence païenne, et bien au dessus d’elle, se produit alors une puissante éloquence chrétienne, celle des Athanase, des Basile, des Grégoire de Nazianze, des Chrysostome. Et, si nous regardons auteur d’eux, l’aspect de l’Orient grec est tout autre qu’au siècle précédent. Tandis qu’alors le mouvement des idées semblait nul en dehors des écoles, à présent au contraire l’agitation est partout. De grands débats excitent et passionnent les esprits ; de grands courants d’opinion se forment, puis se heurtent bruyamment. La parole et la pensée redeviennent ce qu’elles avaient cessé d’être depuis bien des siècles, des instruments d’action. Fait capital, qu’il faut expliquer dans ses origines et montrer dans son développement.

La monarchie administrative substituée par Dioclétien à la monarchie militaire rend la paix à l’empire. Les conflits entre prétendants deviennent rares et de peu de durée. On voit de nouveau des règnes qui durent, ceux de Constantin (323-337), de Constance (337-361), de Valens (364-378), de Théodose (379-395). Ceci déjà est favorable aux lettres, qui n’aiment pas le bruit des armes. En outre, l’institution d’une capitale romaine à Byzance, si elle ne change pas la condition sociale et politique des provinces hellénisées, donne du moins à l’ambition des Grecs un objet plus prochain. Dans l’administration reconstituée, des emplois de toute sorte s’offrent à eux. L’école des rhéteurs a une porte ouverte sur la hiérarchie des fonctions officielles ; il y a là de quoi stimuler ceux que le prestige des charges publiques séduit, c’est-à-dire toute la classe supérieure de la société, et une bonne partie de la classe moyenne[1].

Mais la vraie cause du réveil inattendu des esprits, c’est le conflit des opinions religieuses, et, par conséquent, c’est le développement du christianisme.

Au second siècle, le christianisme n’avait guère fait que se défendre contre les persécutions et les calomnies par la bouche de ses apologistes ; au iiie siècle, il avait constitué les fondements de sa philosophie ; au ive, reconnu officiellement par Constantin, il vise à expulser le paganisme. Et celui-ci, qui se sent alors en grand danger, s’inquiète, se défend, réclame tout au moins la liberté. On sent l’influence vive de cet état de choses chez des esprits modérés tels que Thémistios et Libanios, qui ont des amis dans les deux partis ; on la sent très forte chez les natures passionnées, telles que Julien et presque tous les grands évêques du temps. Cette inquiétude, cette lutte pour la domination, ces grandes questions qui touchent aux droits de la conscience et aux croyances les plus chères, voilà ce qui fait que la parole retrouve alors une sincérité qu’elle avait trop oubliée.

D’ailleurs la lutte n’est pas seulement entre païens et chrétiens ; elle s’élève, plus ardente encore, parmi les chrétiens eux-mêmes, entre orthodoxes et hérétiques. Aux hérésies multiples des siècles précédents, hérésies d’écoles ou de petites sectes, succèdent maintenant des combats d’opinions qui touchent au fond même de la croyance. C’est le cas de l’Arianisme. Toute la société chrétienne se passionne pour ou contre le dogme de la consubstantialité. Et cette passion suscite dans les deux partis des champions ardents, qui mettent au service de leur cause toute leur science, toute leur dialectique, tout leur zèle, et dont la parole retentit au loin. En même temps, l’enseignement de la morale chrétienne prend une extension nouvelle. Comme il s’adresse à de grands auditoires, dans des villes populeuses où le riche et le pauvre se coudoient, il acquiert une portée sociale qu’il n’avait pas eue jusque-là. Le moraliste chrétien ne parle plus seulement pour quelques fidèles, animés du même esprit que lui, mais aussi pour des grands, pour de hauts fonctionnaires, quelquefois pour des personnages de la cour, en tout cas pour des gens du monde. Il faut leur faire l’application d’une doctrine qui les étonne, qui trouble leurs habitudes et leurs conventions ; et c’est une tâche difficile, où les plus grands talents trouvent un emploi digne de leurs facultés.

Or, justement en ce même temps, ces talents abondent dans l’église chrétienne. À présent qu’elle attire à elle les classes supérieures, elle compte en grand nombre, parmi ses diacres ou ses prêtres, des hommes qui ont reçu l’éducation hellénique ; les élèves des sophistes lui apportent l’art qu’ils tiennent de leurs maîtres ; cet art, ils le mettent au service des idées et des sentiments que le christianisme leur fournit. Leur éloquence séduit des auditoires, qui, eux aussi, comptent désormais bien des lettrés. Leur succès, leur culture supérieure, leur intelligence plus ouverte les désignent pour les dignités ecclésiastiques. Ainsi ce sont les leçons de Prohœrésios, d’Himérios, de Libanios, jointes à l’esprit de l’évangile, qui font les grands évêques du ive siècle. L’hellénisme s’unit en eux à la tradition chrétienne. Et il résulte de là un essor littéraire vraiment remarquable, bien que l’influence du goût sophistique s’y fasse trop sentir.

Toutefois, dès le siècle suivant, cet essor prendra fin, et le byzantinisme va commencer d’apparaître. En y regardant de près, on en découvre déjà les germes dans la littérature du ive siècle.

D’abord le régime politique auquel l’empire est alors soumis est essentiellement contraire au libre mouvement des esprits. Ce régime est un despotisme administratif qui fait tout aboutir au maître. La liberté religieuse ou la persécution, la prédominance de telle ou telle doctrine sont choses qui dépendent en grande partie de sa volonté. Comment, dans ces conditions, l’esprit d’intrigue ne l’emporterait-il pas sur le goût de la libre discussion ? Les païens ne comptent que sur l’empereur pour les défendre, s’il est païen lui-même comme Julien, ou pour les ménager, s’il est chrétien, mais politique. Les évêques, de leur côté, agissent à la cour, cherchent à s’y faire des appuis, trop souvent à y former des cabales. Théophile d’Alexandrie, plus habile que Chrysostome, est plus puissant que lui à Constantinople et réussit à l’expulser. Toute l’éloquence du monde est plus faible que l’influence d’une femme qui gouverne la volonté d’Arcadius. Cette soumission nécessaire de tous à un homme, qui est lui-même bien souvent le jouet des intrigues ou l’instrument des factions, c’est déjà un des traits caractéristiques du byzantinisme.

En voici un second, non moins frappant. Si l’on excepte les quelques années du règne de Julien, le christianisme devient tellement le maître dans cette société qu’il y absorbe tout. Sous les empereurs chrétiens, les orateurs païens sont réduits au silence ; tout au plus peuvent-ils plaider indirectement pour la liberté de conscience, à condition que le plaidoyer se dissimule sous l’éloge. Et non seulement il n’y a bientôt plus de résistance ouverte, mais, peu à peu, toute activité indépendante d’esprit disparaît. La philosophie n’a plus le droit d’attirer l’attention. Seules, la théologie et la morale religieuse peuvent paraître au grand jour. Il semble que ce soit pour le christianisme un succès définitif, et c’est en réalité la cause la plus puissante de la diminution intellectuelle et morale qu’il va subir dans les siècles byzantins. Lorsque le monde grec tout entier ne se passionnera plus que pour les disputes d’une orthodoxie subtile, on ne verra plus surgir ni d’Athanase, ni de Chrysostôme. La pensée captive tournera sur elle-même, enfermée dans des discussions stériles, et la morale, privée du contact d’une vie sociale active et intelligente, s’enfermera dans un mysticisme monacal qui ôtera aux consciences leur ressort. Tout cela encore, c’est le byzantinisme, et tout cela est visible déjà sous les belles apparences du ive siècle.

Ainsi, à plusieurs signes, le déclin prochain se laisse deviner. Mais, pendant tout un siècle encore, les forces bienfaisantes l’emportent sur ces causes d’affaiblissement et de décadence. Elles produisent même de grandes choses qu’il faut essayer de mettre ici dans leur jour.

II

La sophistique s’était prolongée et soutenue à travers tout le iiie siècle, sans produire ni professeurs ni orateurs comparables en renommée à ceux de l’âge précédent. Dès le commencement du ive siècle, elle semble se ranimer, et de nouveau s’élèvent de grandes réputations d’école, au moins égales à celles qui avaient brillé au siècle des Antonins.

Toutes les villes de l’Orient grec ont alors leurs maîtres d’éloquence, dont les noms, oubliés aujourd’hui, sont fréquemment cités dans la littérature du temps. Quelques grandes villes possèdent même des groupes d’écoles, et jouent le rôle de véritables métropoles intellectuelles. Les plus célèbres en ce genre sont Athènes, Constantinople, Nicomédie, Pergame, Antioche, Alexandrie. Vers le milieu du siècle, la plupart d’entre elles sont dans tout leur éclat[2]. Les étudiants y affluent. Groupés dans chacun de ces centres auteur des divers maîtres en renom, ils forment de véritables factions, rivales et turbulentes, qui se disputent les nouveaux venus par la ruse, et au besoin par la force. Ainsi enrôlées, les recrues prêtent serment au professeur qui a su se les approprier ; dès lors, elles lui doivent leurs applaudissements. L’admiration devient affaire de parti, et elle n’en est que plus passionnée. Toute cette jeunesse a réellement foi en la rhétorique, elle croit au génie de ses maîtres, elle s’attache avec passion à ces hommes dont l’enseignement et les exemples semblent ouvrir le chemin de la fortune. Il en est ainsi du moins jusqu’au règne de Julien. Après lui, dans le dernier tiers du siècle, un déclin assez rapide paraît se faire sentir[3].

Les noms des grands rhéteurs de ce temps se lisent dans les Vies des Sophistes d’Eunape, avec un certain nombre de détails sur leur personne et leur talent. Mais, à vrai dire, ni un Julien de Cappadoce, ni un Apsinès, ni un Prohærésios, ni un Épiphanios, ni un Diophante, ni un Akakios[4], ni d’autres illustrations de même ordre, ne semblent mériter autre chose qu’une simple mention. Nous n’avons rien d’eux, et sans doute il n’y a guère lieu de le regretter. Les seuls, entre les maîtres du ive siècle, qui doivent nous arrêter quelques instants, sont ceux dont les œuvres ont été conservées, en partie au moins. Ils sont au nombre de trois seulement : Himérios, Thémistios et Libanios.


Le moins intéressant des trois est Himérios, qui ne fut qu’un homme d’école, entièrement étranger à la vie politique de son temps[5]. Né à Pruse en Bithynie vers 315, fils du rhéteur Aminias, il fut élevé pour la rhétorique, qui devait être l’occupation de toute sa vie. Après avoir fréquenté les écoles d’Athènes, il s’établit comme maître dans cette ville. Il ne la quitta qu’un instant sous le règne de Julien, appelé par ce prince à Constantinople. Dès la mort de son protecteur, il y revint et y reprit son enseignement, qu’il semble avoir continué avec le même succès sous les règnes de Valens et de Théodose, jusqu’à sa mort, en 386. Pendant une quarantaine d’années par conséquent (de 350 environ à 386), l’école d’Himérios à Athènes fut, selon sa propre expression, comme un « théâtre », où il donna aux curieux le spectacle de son éloquence. Parmi ses auditeurs, vinrent s’y asseoir, entre 354 et 359, Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze : les chrétiens lettrés faisaient presque autant de cas de son talent que les païens.

Ses Discours sont en grande partie perdus. Photius en lisait encore 71, dont il nous a laissé des analyses ou des extraits (Ἐϰλογαί (Eklogai)) ; nous n’en possédons plus que trente-quatre dans le texte original, soit en entier, soit incomplets. Les uns sont de simples amplifications d’école sur des sujets fictifs[6] ; les autres, des œuvres de circonstance[7]. À quelque classe d’ailleurs qu’ils appartiennent, ce qui y manque le plus, ce sont les idées. Personne n’a moins pensé qu’Himérios. L’éloquence, telle qu’il la comprend, tient à la fois de la poésie et de la musique ; poésie toute superficielle, sans force de sentiment ; musique caressante et monotone, qui se contente de charmer l’oreille. En un autre temps, Himérios eût sans doute été poète plutôt qu’orateur, mais il eût été surtout poète de tradition et de métier, combinant habilement des réminiscences en des formes conventionnelles. Nulle trace en lui de dialectique ni de véhémence. Son discours est fait de mythes, d’images, de comparaisons, de descriptions, qu’il emprunte surtout aux poètes lyriques, dont sa mémoire était pleine. Nous lui devons ainsi quelques paraphrases de pièces perdues d’Alcée, de Sapho, d’Anacréon ; et, probablement, nous reconnaîtrions que nous lui en devons plus encore, s’il était toujours possible de distinguer dans ses développements ce qui est emprunt. Par son élégance, par sa mélodie, par les souvenirs classiques dont elle était imbue, cette prose sonore et vide a charme les contemporains. De vrais orateurs, comme S. Basile et S. Grégoire de Nazianze, ont même profité de son influence : ils ont senti, en l’écoutant, la valeur du rythme, du tour aise, de l’expression choisie ; ils ont reçu d’elle, en un mot, cette tradition du style qui avait manqué aux docteurs chrétiens du iiie siècle. Que ce soit donc là, faute de mieux, la louange durable d’Himérios.

Un intérêt plus sérieux s’attache à Thémistios, grand personnage, mêlé aux événements politiques de son temps, et digne de respect, autant par la noblesse de son caractère que par son talent.

Thémistios[8] naquit entre 310 et 320, probablement en Paphlagonie, ou son père Eugénios possédait un domaine. Cet Eugénios, riche et intelligent, s’adonnait à la philosophie et aux lettres : il semble avoir professé avec un certain éclat, pendant une partie au moins de sa vie[9]. Thémistios fut élevé d’abord auprès de lui, et sans doute par lui. Il lui dut le goût de la philosophie et des lettres, un attachement éclairé à l’hellénisme, la modération et la dignité du caractère, enfin le germe de cette éloquence douce, claire, brillante, qui allait faire sa fortune. Parvenu à l’âge d’homme, il voyagea[10]. En 347, il était présenté à l’empereur Constance, auquel il avait l’honneur d’adresser une harangue officielle[11]. Ce fut sans doute vers ce temps qu’il ouvrit école à Constantinople, et des lors la capitale de l’Orient devint son domicile. Son enseignement semble y avoir obtenu un grand succès. Lui-même nous apprend qu’on venait en foule, de Grèce et d’Ionie, pour l’entendre. Un philosophe de Sicyone, nommé Celse, amena un jour à Constantinople un certain nombre de ses disciples, aussi désireux que lui de jouir de son éloquence[12]. Thémistios commentait dans son école les œuvres de divers philosophes ; mais, orateur par tempérament, il prononçait de plus, en mainte occasion, des discours de morale[13]. En 355, lorsque Constance le fit entrer dans le sénat de Byzance, sa réputation était déjà éclatante[14]. Deux ans plus tard, il fut député par ce même sénat pour aller saluer à Rome le même empereur, à l’occasion de son triomphe. À l’en croire, de grands efforts furent faits pour l’y retenir. Il refusa toutes les offres, ne voulant pas quitter sa chère Constantinople. Sa carrière n’en fut pas moins brillante. Il était devenu, peu à peu, un des grands personnages de l’empire. Julien, en 362, lui offrit de hautes dignités, qu’il n’accepta pas[15]. Sous son successeur, Jovien, ce fut Thémistios qui, au nom du sénat, harangua l’empereur à propos de son consulat de 364[16]. Ces faveurs impériales se continuèrent sous Valens et sous Théodose. Ce dernier lui conféra, en 384, le titre de préfet de la ville[17], et lui confia l’éducation de son fils Arcadius. Thémistios dut mourir avant l’avénement de son élève en 395, car il ne nous reste rien de lui qui se rapporte à ce nouveau règne.

Ces indications définissent le rôle de Thémistios[18]. Maître renommé, il fut, en outre, l’orateur officiel de Constantinople, et par conséquent de l’Orient grec. Ce rôle, il le dut à son talent ; mais son caractère lui permit de le remplir avec honneur. En un temps d’adulation, il sut parler aux empereurs avec dignité et leur donner parfois, sous forme d’éloges, d’utiles conseils[19]. Chose plus difficile encore, dans une société déchirée par les discordes religieuses, il se fit estimer de tous, païens et chrétiens. Sincèrement attaché à l’hellénisme, il réclama la liberté religieuse, avec une véritable élévation de pensée.

Il nous reste de lui, d’une part, un recueil de paraphrases sur un certain nombre de traités d’Aristote, d’autre part, des discours.

Les Paraphrases (Παραφράσεις τοῦ Ἀριστοτέλους (Paraphraseis toû Aristotelous)) sont le débris d’un de ses premiers ouvrages. Il nous apprend (23e Disc., p. 355, Dind.) qu’il les avait composées pour lui-même dans sa jeunesse et qu’elles furent publiées sans son consentement. Elles embrassaient probablement toute l’œuvre d’Aristote. Celles qui nous restent se rapportent aux Analytiques, à la Physique, aux traités De l’âme, De la mémoire, Du sommeil, Des songes, De la divination[20]. Un tel ouvrage ne pouvait viser à l’originalité. Il est aisé d’en critiquer la méthode même en alléguant que l’auteur ne fait que délayer ce qu’Aristote avait dit plus fortement. Mais la concision d’Aristote est souvent obscure, tandis que l’interprétation un peu molle de Thémistios est beaucoup plus claire. C’est encore un mérite que de nous aider souvent à comprendre une pensée qui se dérobe ; et le livre, tel qu’il est, dénote à coup sûr un esprit souple, pénétrant et lucide.

Mais, si l’on veut connaître Thémistios, c’est dans ses discours qu’il faut le chercher. Photius en lisait trente-six[21]. Nous n’en possédons plus que trente-cinq, qui ont été retrouvés et rassemblés peu à peu[22]. Vingt de ces discours sont des harangues officielles ; les autres se rapportent ou à des circonstances particulières ou à des sujets de morale. Tous sont utiles à lire pour connaître soit les événements du temps, soit les hommes et les mœurs, soit l’orateur lui-même. Parmi les plus intéressants, il faut citer le 23e (Σοφιστής), où Thémistios, répondant à des critiques vraies ou supposées, présente, sous forme d’apologie personnelle, une sorte de tableau d’ensemble de sa vie ; le 24e (Περὶ τῆς ἀρχῆσς), où il explique comment il a pu accepter de Théodose la charge de préfet de la ville sans démentir les principes de sa philosophie ; et, dans un autre genre, le 5e, à Jovien, sur la tolérance religieuse, dont une partie se retrouve dans le 12°, à Valens ; enfin le 19e, à Théodose, sur l’humanité (Ἐπὶ τῇ φιλανθρωπίᾳ τοῦ αὐτοϰράτορος).

L’éloquence de Thémistios est généralement molle et ornée, officielle et académique ; mais elle a de la grâce, de la noblesse, de l’éclat, et elle s’inspire de sentiments élevés, qui lui communiquent par moments une certaine force. Son chef-d’œuvre est le discours à Jovien, plein de saines et généreuses pensées. La liberté de croyance et de culte est pour l’orateur un don de Dieu : « Celui qui use de violence en matière religieuse, dit-il, supprime la liberté que Dieu même a concédée. » Et en fait, ajoute-t-il, la violence est stérile, car l’âme s’y dérobe : « Cette loi de liberté, ni les confiscations, ni les croix, ni les bûchers ne peuvent la détruire ; tu peux emprisonner le corps, le livrer même à la mort ; l’âme s’en ira, emportant avec elle sa loi et la liberté de sa pensée, alors même que la langue aura subi la contrainte[23]. » De telles paroles font grand honneur à celui qui les a prononcées. Et elles ne sont pas exceptionnelles chez lui. Toute son éloquence a visé à recommander l’humanité, la justice et la haute culture de l’esprit. Etant lui-même sans passions, il a pu garder, en ce siècle de discordes et de mutuelles dénonciations, une sereine impartialité, un peu froide sans doute et tout trop amie des discours, mais qui donne a son personnage quelque chose de sympathique.

Cette sagesse, grave et douce, nous sommes loin de la trouver également chez son contemporain, Libanios d’Antioche : véritable nature d’homme de lettres, sujette à s’engouer et à s’irriter, intelligence vive et brillante, sans grande étendue ni force de réflexion, bel esprit, mais en fin de compte honnête, éloquent, applaudi, et offrant, par ses qualités comme par ses défauts, une image assez fidèle de la société païenne du temps.

Né à Antioche, en 314, Libanios était issu d’une famille riche et considérée[24]. Ayant perdu de bonne heure son père, il fut élevé par les soins de sa mère et de ses oncles. Quand il eut achevé ses premières études dans sa ville natale, saisi d’un vif amour pour l’éloquence, il se rendit à Athènes, en 336, pour s’y perfectionner dans la rhétorique. Là, au lieu de s’attacher aux maîtres les plus renommés, Épiphanios ou Prohærésios, il suivit les leçons de l’obscur et médiocre Diophantos qui l’avait circonvenu habilement. Au reste, il semble avoir fait son éducation oratoire surtout en lisant et en relisant les anciens orateurs attiques. Bientôt, il fut en état d’aider son maître dans son enseignement, et il professa ainsi à Athènes, en qualité d’adjoint, mais pendant peu de temps. Après un court voyage, nous le voyons en 342 établi à Constantinople, à la tête d’une école prospère. Ses succès lui attirent des envieux : leurs intrigues et leurs calomnies l’obligent à s’éloigner. À l’âge de trente-deux ans, en 346, chassé de Constantinople, il va professer à Nicée, puis à Nicomédie, où il semble avoir retrouvé le même succès. Les cinq années qu’il y passa (346-351) lui laissèrent un souvenir plein de charme ; il les appelait plus tard « le printemps et la floraison de sa vie[25]. » Toutefois, il revint encore à Constantinople, puis à Athènes, comme professeur public ; mais en 354, à l’âge de quarante ans, étant rentré dans sa ville natale, il se décida à s’y fixer. C’est à Antioche qu’il vécut des lors, sous les règnes de Constance, de Julien, de Jovien, de Valens et de Théodose ; il y mourut, dans un âge avancé, à une date incertaine, mais en tout cas après 391[26].

La situation qu’il s’y était faite par son talent était de nature à contenter son ambition. Il était reconnu comme le premier des maîtres d’éloquence dans la Syrie grecque ; il séduisait tous ceux qui l’approchaient par une souplesse caressante[27]. Les chrétiens même subissaient son influence littéraire ; parmi ses disciples il put compter le jeune Jean, qui allait devenir, sous le surnom de Chrysostome, le plus grand orateur de l’Orient grec. D’ailleurs, loin de s’enfermer dans son école, il se mêlait à tout. Il adressait des discours aux grands personnages, aux empereurs ; il traitait les affaires de la ville, se faisait, selon les circonstances, son patron, son panégyriste, son conseiller, son défenseur ; il écrivait sans cesse et à tout le monde, pour demander, recommander, remercier, complimenter. Tout ce que les institutions de ce temps comportaient d’activité politique, il le déployait. Son crédit, encore naissant sous Constance, devint très grand pendant le court règne de Julien, qui professait pour lui des sentiments de véritable amitié[28]. Si Julien avait vécu, il eût été presque impossible que Libanios ne prît pas une autorité durable. Leurs idées et leurs sentiments s’accordaient en tout. Aussi la mort imprévue du jeune empereur fut-elle pour lui un coup des plus cruels ; il le pleura comme ami et comme défenseur de l’hellénisme[29] ; ses plus chères espérances disparaissaient avec lui. Toutefois, il ne cessa pas d’être en haute considération auprès de la cour. Il avait reçu de Julien la dignité honorifique de questeur ; suivant Eunape, un de ses successeurs lui offrit le titre de préfet du palais, qu’il refusa. Son influence et son renom lui suffisaient. D’ailleurs sa santé était médiocre ; des chagrins privés attristaient sa vieillesse, et peut-être aussi un certain découragement, dû au sentiment du déclin de ce qu’il aimait, le détournait-il de la vie active. Mais, de même qu’il avait patronné Antioche auprès de Julien irrité, il intervint encore, en 387, dans la crise terrible qui faillit attirer sur elle la vengeance de Théodose.

Libanios avait beaucoup écrit[30] ; sa réputation se perpétua chez les Grecs de Byzance et empêcha que ses œuvres ne disparussent comme tant d’autres. Nous en possédons encore une très grande partie.

Celles qui sont purement scolaires ne peuvent être que signalées ici[31]. Ce sont des Déclamations (Μελέται) ; des Modèles d’exercices préparatoires (Προγυμνασμάτων παραγγέλματα, fables, récits, chries, sentences expliquées, éloges, blâmes, comparaisons) ; des Éthopées (Ἠθοποιΐαι ou discours de personnages dans certaines situations dramatiques) ; des Descriptions (Ἐϰφράσεις). Rien de tout cela n’atteste une originalité quelconque. Au même groupe, on peut rattacher ses travaux critiques sur Démosthène, consistant en une Vie de l’orateur et en arguments (Ὑποθέσεις) qui indiquent l’occasion et le sujet de chaque discours ; écrits sans prétention, mais fort utiles, dont le mérite est surtout de donner, sous une forme un peu sèche, des renseignements précis[32].

L’œuvre oratoire de Libanios comprend soixante-cinq discours, parmi lesquels un très petit nombre seulement roulent sur des sujets fictifs, quelques-uns sur des lieux communs de morale, tandis que tous les autres se rapportent à des événements contemporains. Entre les premiers, citons sans nous y arrêter l’Apologie de Socrate (Disc. 52) et le Discours contre Eschine pylagore (Disc. 64), compositions qui rappellent la manière d’Ælius Aristide ; puis les discours généraux Contre le bavardage, Sur l’avidité, Sur la richesse, etc., simples amplifications d’école. Ce qui est vraiment digne d’intérêt, dans cette collection, ce sont les discours relatifs aux choses du jour. Les uns nous font connaitre les mœurs des écoles, les rivalités des maîtres, les passions des disciples ; d’autres nous donnent le spectacle de la vie ; ils nous représentent quelques-unes des grandes villes grecques d’Orient, leur aspect, leur population, leurs agitations ; presque tous nous permettent de voir à l’œuvre l’administration impériale, et plusieurs éclairent assez vivement la physionomie de quelques-uns des empereurs de ce temps. Mentionnons surtout : l’Éloge d’Antioche (11e discours), pour la curieuse description qui en forme la dernière partie ; le 16° discours, sur l’offense faite à l’empereur Julien ; le 17e et le 18e, relatifs à sa mort (Ἐπὶ Ἰουλιανῷ μονῳδία, Ἐπιτάφιος ἐπὶ Ἰουλιανῷ) ; le 2e et le 65e, où il répond à des critiques personnelles (Πρὸς τοὺς βαρὺν αὐτὸν ϰαλέσαντας, Πρὸς τοὺς εἰς παιδείαν αὐτὸν ἀποσϰώπτοντας) ; les 19e et 20e adressés à Théodose, à propos des désordres d’Antioche ; enfin le 28e (Περὶ τῶν ἱερῶν), dans lequel il proteste auprès du même empereur contre les destructions de sanctuaires païens, qu’il impute au fanatisme des moines. Toutes ces harangues sont de première importance pour l’histoire du ive siècle ; mais, parmi celles que nous ne pouvons même nommer, il n’en est pas une qui, à cet égard, n’ait sa valeur.

À cette série de discours, il faut joindre une ample correspondance, non moins curieuse[33]. Elle se compose de plus de seize cents lettres[34], adressées à des personnages de toute sorte, païens ou chrétiens, empereurs, préfets, rhéteurs, philosophes, évêques, et touchant toute sorte de sujets. On y voit Libanios s’occupant des intérêts de ses amis ou de ses concitoyens, exposant leurs demandes, s’entremettant pour eux, donnant des avis, distribuant des éloges ou des remerciements. Et au spectacle de cette activité intéressante par elle-même, s’ajoute celui de la société contemporaine, qui revit là sous nos yeux.

Soit dans ses discours, soit dans ses lettres, Libanios se révèle comme un homme droit, obligeant, actif, qui aurait pu, dans un autre milieu, jouer un très grand rôle. Son malheur fut d’être en opposition avec le mouvement de son siècle. Celui-ci se détachait de plus en plus du paganisme, et, par une conséquence naturelle, le goût des études profanes y perdait de sa ferveur. Lui, au contraire, profondément imbu d’hellénisme dès son enfance, et tout adonné à l’admiration des grands écrivains grecs, ne pouvait comprendre qu’on ne trouvât pas en eux le meilleur idéal[35]. S’il n’avait pas d’animosité contre les chrétiens eux-mêmes, dont beaucoup étaient ses amis, le christianisme, comme doctrine, lui semblait une impiété, et, comme forme de société, une demi-barbarie. Non seulement il le voyait avec douleur renier les dieux que la plus noble portion de l’humanité avait adorés pendant tant de siècles, mais il s’inquiétait et s’affligeait de cet ascétisme qui tendait à déprécier tout ce qui embellit la vie, l’art, la poésie, l’éloquence, et par conséquent les plus brillantes facultés de l’esprit humain. Les moines, dont le nombre grossissait sous ses yeux, lui étaient en horreur, comme des ennemis de la civilisation. D’ailleurs, son intelligence n’était pas assez étendue pour qu’il pût saisir ni les causes profondes ni la force du mouvement dont il était témoin. Comme Julien, il l’attribuait à des circonstances secondaires, il croyait à l’efficacité des petits moyens pour le combattre, et il était d’autant plus attristé de voir les empereurs le favoriser. Le déclin des études le peinait tout particulièrement[36]. Mais il se sentait impuissant ; et son talent qui, en d’autres temps, se fût employé utilement à agir, se dépensait assez vainement à signaler le mal et à le déplorer. Du moins, il sut, même dans ces circonstances, se faire un noble rôle comme défenseur d’Antioche auprès des empereurs, comme patron des faibles, comme dénonciateur des abus[37]. En un temps où ceux qui savaient parler n’usaient guère de la parole que pour se faire applaudir, cette activité sérieuse lui fait grand honneur. Il eut le mérite, lui, païen et sophiste de profession, de remplir ainsi l’office que ses collègues laissaient trop volontiers aux évêques ; et l’autorité que ceux-ci devaient en partie à leur caractère ecclésiastique, il la revendiqua pour l’éloquence, au nom du droit et de l’humanité.

S’il faut maintenant apprécier chez Libanios le talent littéraire, nous devons reconnaître d’abord que les vraies qualités de l’orateur sont médiocres en lui. Il ne sait pas dégager les grandes idées d’un sujet, il n’a ni dialectique vigoureuse ni passion soutenue, il n’est ni entraînant ni émouvant. Élevé dans l’école, il demeure sophiste dans les causes les plus sérieuses[38]. Il s’attache aux détails, se plaît aux menues inventions, et fait valoir ses grâces avec une coquetterie fastidieuse, beaucoup moins sans doute que tel de ses contemporains, mais beaucoup trop encore pour notre goût. Ce sont là, chez lui, les défauts du temps. Il en a d’autres plus personnels : sa phrase, trop chargée, capricieuse, devient parfois embarrassée ; ses expressions, prétentieuses et d’une composition affectée, sont loin d’être toujours claires ; ses périphrases, ses allusions, ses prétendues élégances, qui consistent à éviter le mot propre ou à orner des choses qu’il juge trop simples, augmentent l’obscurité de sa pensée[39]. Mais, en faisant la part très large à la critique, on ne peut nier qu’il n’ait de l’esprit, de l’imagination, des idées fines, des inventions ingénieuses, et même, en beaucoup de passages, une incontestable sincérité d’accent. Dans la satire, il ne manque ni de franchise, ni de trait ; dans l’éloge, lorsqu’il est inspiré par le patriotisme ou par l’amitié, il sort parfois de la banalité. Sa grande connaissance des auteurs classiques lui donnait en outre une réelle autorité d’écrivain[40]. Nul ne connaissait mieux que lui Démosthène et les orateurs attiques. Il avait étudié, avec un goût presque aussi vif, les poètes, les historiens, les moralistes[41], et, grâce à cela, sa langue paraissait à ses contemporains offrir le spectacle d’une richesse, d’une variété de nuances, et en même temps d’une pureté qu’ils admiraient.

Cette admiration a subsisté à travers toute la période byzantine. Libanios demeura pour les Grecs du moyen-âge un des représentants de l’éloquence classique. Personne, à coup sûr, ne pourrait songer aujourd’hui à le maintenir en ce rang. Mais, parmi les païens de ce temps, c’est encore un de ceux dont l’étude offre le plus d’intérêt[42].

III

Cette éloquence, médiocre en somme, est encore supérieure à l’historiographie du même siècle. Car celle-ci a les mêmes défauts, qui sont plus contraires à sa vraie nature qu’à celle de l’éloquence, et elle n’a pas les mêmes qualités.

Les grandes actions de Constantin semblent avoir été un des sujets préférés des historiens rhéteurs. Praxagoras, d’Athènes, Bémarchios, de Césarée en Cappadoce, avaient raconté sa vie[43] ; un autre Cappadocien, Eustochios, raconta celle de son fils aîné Constant[44]. Après Constantin et ses fils, Julien eut aussi ses panégyristes, tels que Magnus de Carrhes, Eutychianos de Cappadoce[45], et enfin Eunape de Sardes, le seul d’entre eux qui mérite d’être distingué ici[46].

Né vers 346[47], Eunape fut en Asie, dans sa jeunesse, le disciple du philosophe néoplatonicien Chrysanthios, que Julien fit grand pontife de Lydie en 362. Sous son influence sans doute, se développa l’attachement passionné qu’il ne cessa de professer pour le polythéisme, et aussi sa dévotion étroite et superstitieuse. De 362 à 366, il étudia la rhétorique à Athènes dans l’école de Prohærésios. Puis, en 366, il revint l’enseigner à son tour dans sa ville natale. Le reste de sa vie nous est inconnu, mais nous savons qu’elle se prolongea jusqu’au delà de 414.

Son principal ouvrage était une histoire contemporaine, destinée à faire suite à celle de Dexippos[48]. Elle commençait à la mort de Claude II en 270, et l’auteur put la continuer jusqu’à l’année 404. Cette période de cent trente-quatre ans était répartie en quatorze livres. Mais le premier embrassait à lui seul quatre-vingt-cinq ans, jusqu’à l’avènement de Julien : ce n’était donc en réalité qu’une introduction ; le récit détaillé commençait avec le règne de ce prince, auquel cinq livres entiers étaient consacrés. Écrire l’éloge de Julien, voilà ce qu’Eunape s’était proposé surtout[49]. Les fragments qui restent de son œuvre n’en donnent qu’une idée très incomplète[50]. Mais on ne peut douter qu’elle ne manifestât une tendance de parti très prononcée. Païen militant, Eunape jugeait les hommes et les choses au point de vue d’une croyance passionnée[51]. Sa rhétorique ampoulée faisait ressortir la médiocrité naturelle de son esprit. La substance de ses récits a passé dans ceux de Zosime, qui n’a fait souvent que les abréger[52].

Outre cette grande histoire perdue, Eunape écrivit, au commencement du ve siècle, sous le titre de Vies de Philosophes et de Sophistes, vingt-trois biographies que nous possédons encore. Ce sont celles des principaux représentants de l’école néoplatonicienne, ses maîtres ou ses amis, et d’un certain nombre de rhéteurs du temps : Plotin, Porphyre, Jamblique, Ædésios, Maxime, Priscus, Julien de Cappadoce, Prohærésios, Epiphanios, Himérios, Libanios, Oribase, Chrysanthios, etc. Bien que nous devions à ce livre quelques informations qui ont leur valeur, il faut dire nettement qu’il n’y a là ni critique, ni composition, ni style. Des commérages confus, une crédulité superstitieuse poussée jusqu’à l’absurde, un jargon de rhétorique insipide, des hyperboles puériles, des partis pris évidents, des digressions incessantes : véritable collection des défauts de l’esprit du temps, qu’on ne saurait imaginer plus complète. Comparé à Eunape, Philostrate l’Athénien paraît un écrivain de valeur. L’auteur se révèle là, plus encore que dans son histoire, avec sa ferveur de néoplatonicien béat et ses affectations insupportables de sophiste.

Le dernier écrivain de ce groupe, Olympiodore, de Thèbes en Égypte, appartient plus au ve siècle qu’au ive[53]. Mais il est difficile de le séparer d’Eunape, dont il a continué l’œuvre historique. Tout ce que nous savons de lui, c’est qu’il exerça des charges sous Arcadius et Théodose II. Son histoire, dédiée à ce dernier empereur, faisait immédiatement suite à celle d’Eunape et s’étendait jusqu’à l’année 425. Elle ne comprenait donc que vingt ans. C’était en réalité une série de notes : Zosime l’utilisa comme il avait utilisé celle d’Eunape pour la période antérieure.

IV

Tandis que la sophistique faisait l’éducation de la jeunesse et occupait les loisirs de la société, la philosophie continuait à exercer une action profonde sur la plupart de ceux qui résistaient encore au christianisme.

L’école néoplatonicienne, après Porphyre et les autres disciples immédiats de Plotin, s’était adonnée de plus en plus aux fantaisies d’une théologie toute mystique[54]. Elle est surtout représentée, dans la première moitié du ive siècle, par un homme étrange et mal connu, le « divin » Jamblique, de Chalcis en Syrie, rêveur enthousiaste et métaphysicien subtil, adoré de ses disciples comme un être surnaturel, opérant des prodiges, commandant aux démons et conversant avec les dieux[55]. Né dans la fin du iiie siècle, vers 280, Jamblique suivit dans sa jeunesse les leçons d’Anatolios, puis celles de Porphyre, probablement à Athènes. Il revint ensuite en Asie ; et sa vie, dont nous ignorons les détails, paraît s’être passée en grande partie dans son pays, à Chalcis, ville de la Syrie supérieure, au S. E. d’Antioche. C’est là du moins qu’Eunape, son biographe, nous le représente, entouré de ses fidèles, et dogmatisant, au milieu d’eux, comme un hiérophante. Si l’on acceptait entièrement son témoignage, Jamblique serait mort un peu avant Constantin, vers 335 environ[56]. Mais il semble qu’il y ait là une erreur du biographe. Car nous avons des lettres de Julien à Jamblique, qui présentent tous les caractères de l’authenticité, et Julien, comme on le sait, naquit seulement en 331[57]. Il est donc probable que la vie de Jamblique s’est prolongée jusque vers le milieu du siècle. Mais son école paraît s’être dispersée vers la fin du règne de Constantin ; et le maître lui-même, devenu sans doute suspect au christianisme intolérant de Constance, se tint dès lors dans la retraite et dans le silence.

Tout absorbé par ses spéculations, Jamblique ne se piquait pas d’être écrivain. Il jetait ses idées sans souci d’élégance, ni même de correction. Ce n’était d’ailleurs rien moins qu’un penseur original, sa principale préoccupation étant d’adapter les doctrines de ses devanciers aux besoins de sa dévotion. Une série d’écrits, assemblés en sept livres, se rapportaient à la philosophie de Pythagore (Συναγωγὴ τῶν Πυθαγορείων δογμάτων) ; nous en possédons encore cinq livres. Ce sont : le Traité de la vie pythagorique (Περὶ τοῦ Πυθαγοριϰοῦ βίου)[58] ; l’Exhortation de la philosophie (Προτρεπτιϰὸς εἰς φιλοσοφίαν)[59] ; le Traité sur la science mathématique en général (Περὶ τῆς ϰοινῆς μαθηματιϰῆς ἐπιστήμης)[60] ; l’Introduction arithmétique (Ἀριθμητιϰὴ εἰσαγωγή, ou mieux Περὶ τῆς Νιϰομάχου ἀριθμητιϰῆς εἰσαγωγῆς)[61] ; la Théologie de l’Arithmétique (Τὰ θεολογούμενα τῆς ἀριθμητιϰῆς)[62]. Un autre grand ouvrage, qui paraît avoir formé une trentaine de livres, avait pour objet la Théologie chaldaïque (Χαλδαϊϰὴ θεολογία), dont Jamblique prétendait faire une des sources principales de sa doctrine : il ne nous en reste rien. — De son écrit, très important, Sur l’âme (Περὶ ψυχῆς), subsistent seulement les fragments assez étendus qui figurent dans les recueils de Stobée et de Jean de Damas. Nous savons en outre qu’il avait composé des Commentaires sur Platon et sur Aristote, entièrement perdus, et plusieurs autres ouvrages encore, parmi lesquels les plus notables étaient, d’une part, un écrit Sur les dieux, probablement celui dont Julien s’est inspiré dans son discours au Soleil-Roi, de l’autre, une Apologie des idoles (Περὶ ἀλγαμάτων), dont Photius analyse le contenu (cod. 215), et qui fut réfutée au vie siècle par l’évêque d’Alexandrie, Jean Philoponos.

Plusieurs des ouvrages conservés présentent, comme on le voit, un caractère singulièrement technique ; ils sont faits de considérations mystiques sur la science des nombres. D’autres, comme l’Exhortation, n’offrent guère qu’un assemblage de morceaux empruntés à divers écrivains et paraphrasés dans des vues d’édification. Ceux qui appartiennent le plus à leur auteur, comme la Vie pythagorique, sont sans mérite littéraire : la forme en est banale, le style diffus, la composition molle et fastidieuse ; nulle critique ; un ton de panégyrique, une crédulité superstitieuse et puérile. Si Jamblique intéresse néanmoins l’histoire littéraire, c’est uniquement parce qu’il représente, mieux que personne, l’état d’âme d’une partie de ses contemporains. Nous voyons en lui l’hellénisme devenu une religion exaltée, dont les fidèles, de plus en plus détachés des intérêts terrestres, vivent en plein surnaturel. La foi l’emporte en eux sur la raison ; ils demandent à la révélation divine ce qu’ils n’attendent plus de la recherche ; ils s’adonnent avec une ferveur étrange à la divination et à la théurgie ; ils sont en commerce avec les bons démons et en guerre avec les mauvais. De plus en plus, leur esprit perd le contact de la réalité, pour se laisser aller à des spéculations extravagantes. Jamblique réalise l’idée de dieu en une série infinie d’êtres imaginaires, de triades superposées et emmêlées, et ses disciples acceptent tout cela sur la foi du maître. On ne sait plus et on ne se soucie plus de savoir quelles sont les conditions de la démonstration et les caractères de la vérité ; la raison a perdu sa force. En revanche, l’imagination et la sensibilité sont excitées d’une manière maladive. Tout atteste un dérangement intime de l’équilibre mental, qui est surtout manifeste chez les mieux doués.

Nulle part cela n’apparaît plus clairement que dans un opuscule longtemps attribué à Jamblique, l’écrit Sur les mystères, qui ne semble pas être réellement de lui, mais qui provient certainement de son école[63]. L’objet de cet écrit est de répondre aux doutes que Porphyre, dans sa Lettre à Anébon, avait autrefois exprimés au sujet de la théurgie. Pour l’auteur, non seulement les communications avec le monde surnaturel qui nous enveloppe sont possibles et certaines, mais elles doivent être la grande affaire des âmes religieuses. Aussi, après avoir fait connaitre ce monde invisible, tout peuplé de dieux, de héros, de démons, d’anges et d’archanges, il enseigne par quels moyens on peut entrer en relations avec tous ces êtres, quels signes mystérieux ou quelles opérations ont pouvoir sur eux, quelle est la valeur spécifique des formules, des noms, des rites de purification et d’expiation. Tout cela en soi est aussi étranger que possible à la littérature, mais rien n’éclaire mieux le fond de sentiments et de croyances dont toutes les œuvres littéraires du temps portent la trace.

Inutile maintenant d’énumérer les principaux successeurs de Jamblique à travers le ive siècle. Aucun d’eux ne semble s’être signalé par une tentative vraiment personnelle. Laissons à l’histoire de la philosophie les noms de Théodore d’Asiné, d'Ædésios, d’Eusèbe et d’Eustathe, de Maxime et de Salluste, de Chrysanthios et de Priscos[64]. Chez tous, la philosophie religieuse prédomine sur l’esprit de recherche, mais rien de ce qui subsiste de leurs œuvres ne mérite d’être cité[65].

Un temps où la raison se montrait si altérée ne pouvait être très favorable aux sciences. Compilations et commentaires, voilà, à peu près, toute la littérature scientifique du ive siècle.

Dans les sciences naturelles, le seul nom à citer est celui du médecin Oribase de Pergame, qui fut un des amis particuliers de l’empereur Julien[66]. Son Encyclopédie médicale comprenait, sous sa première forme, 70 livres (Ἰατριϰῶν συναγωγῶν Ἑϐδομηϰοντάϐιϐλος) ; il la réduisit plus tard à 9 livres. De cette immense compilation, une partie seulement est venue jusqu’à nous. C’est le plus ample recueil de documents sur la médecine grecque ; ce n’est pas une œuvre qui révèle un esprit original[67]. — Des écrits d’Apsyrtos de Pruse sur l’art vétérinaire et de Vindonios Anatolios de Bérytos sur l’agronomie, il ne nous reste que des extraits ou même de simples traces[68]. C’est assez d’en faire mention.

Dans les mathématiques, il y eut alors quelques maîtres estimés, surtout à Alexandrie. Le seul qui ait encore une certaine notoriété est Diophante, dont l’Arithmétique nous a été en partie conservée[69]. Paulos, Pappos et Théon ne sont plus connus que des spécialistes[70].

V

Au milieu de ces pâles figures, celle de l’empereur Julien se détache avec un tout autre relief. Par son éducation et par ses goûts, il tient à la fois à la sophistique oratoire et à la philosophie de son temps. Et pourtant, il n’est, à proprement parler, ni un sophiste ni un philosophe. D’une part, sa haute situation l’élève au dessus de l’école et l’oblige à voir les choses d’un point de vue plus pratique. De l’autre, la lutte où il est engagé avec les tendances de son temps met en jeu tout son caractère et révèle l’homme dans l’écrivain. On peut l’aimer ou le haïr, mais il est difficile de le considérer avec indifférence. Et ce qu’il y a d’ailleurs en lui d’obscur, d’énigmatique, ou même de mystérieux, contribue encore à augmenter cet intérêt[71].

Né à Constantinople en 331, Flavius Claudius Julianus était fils de Julius Constantius, un des frères de l’empereur Constantin. À la mort de celui-ci, en 337, Julien, âgé de six ans, faillit être massacré avec les autres membres de sa famille par les soldats de Constance, qui croyaient ainsi, à tort ou à raison, obéir aux intentions de leur maître. Il échappa pourtant avec son frère Gallus, mais demeura toujours plus ou moins suspect à son cousin, l’empereur Constance. Par ses ordres, le jeune prince fut élevé à l’écart en Cappadoce ; il resta là, de 337 à 343, dans une sorte de captivité, sans amis, sans compagnons de son âge, et loin des écoles[72]. Il n’est pas douteux que cette enfance, sombre et inquiète, n’ait aigri pour jamais l’âme impressionnable du futur César. Quand cette dure surveillance se relâcha, il fut appelé à Constantinople, et là, d’abord, puis à Nicomédie, put enfin fréquenter les écoles. Bien que confié à des maîtres chrétiens et nourri dans le christianisme, ce fut alors qu’il subit l’influence de Libanios, qui enseignait en ce temps à Nicomédie, ainsi que celle de Maxime et des néoplatoniciens qui se groupaient autour de l’école de Pergame et d’Ædésios. Les rapports qu’il eut avec eux étaient nécessairement secrets ; mais leur influence sur lui n’en fut que plus profonde. Il haïssait déjà le christianisme au fond du cœur, soit parce qu’il lui était imposé, soit parce qu’il n’y trouvait pas cette haute culture de l’esprit qu’il admirait passionnément dans l’antiquité classique. L’éloquence profane le charmait, et, plus encore sans doute, la théologie mystique des néoplatoniciens, qui convenait à son esprit avide de l’inconnu. La subtilité hardie de leur exégèse l’enivrait, en même temps que leur théurgie exaltait son âme. Il avait vingt-trois ans, lorsque son frère aîné Gallus, que Constance avait fait César, fut rappelé brusquement à Constantinople, dépouillé de ses honneurs et mis à mort (354). Pendant six mois, le jeune Julien se trouva lui-même en grand danger ; Constance le traînait à sa suite, sans daigner l’admettre en sa présence. L’intercession de l’impératrice Eusébie le sauva. Il obtint alors de venir à Athènes, et enfin il espérait pouvoir se livrer en paix à ses chères études[73], lorsque, soudainement appelé à Milan, il y reçut le titre de César avec le gouvernement des Gaules (355).

Là commence sa vie publique, qu’il suffira de rappeler brièvement. De 355 à 360, Julien, en Gaule, se révèle à la fois homme de guerre et homme d’État. Il repousse les Alamans au delà du Rhin, donne à la province la paix et la prospérité. Ses succès inquiètent Constance. Celui-ci veut l’affaiblir ; il lui demande une partie de ses légions pour aller combattre en Orient. Les légions se révoltent et décernent au jeune César le titre d’Auguste. Une guerre civile semble inévitable : Julien marche sur Constantinople avec ses troupes. Mais Constance meurt avant la rencontre, et Julien lui succède comme seul empereur, en 361. Son règne fut court. Les attaques des Perses menaçaient l’empire. Julien dut se préparer à les combattre. On sait comment, après avoir pénétré en vainqueur jusqu’à Ctésiphon, il fut contraint à se retirer et trouva la mort dans cette retraite, en 363.

Pendant ces deux années de règne, son activité, qu’attestent encore ses lettres et ses édits, avait été dirigée par une idée dominante. Il avait entrepris d’arrêter le christianisme dans sa marche et de restaurer l’hellénisme, comme religion publique et comme croyance. C’était une lutte qu’il engageait : il la mena sans déroger ouvertement à ses principes de tolérance, mais avec passion et âpreté, s’irritant des difficultés qu’il aurait dû prévoir, et se donnant le tort de traiter la majorité de ses sujets en adversaires, dont il n’essayait pas de prendre les sentiments. Avec des intentions droites et une nature généreuse, il fut ainsi amené à user envers eux de taquineries mesquines, quelquefois même cruelles, et à leur faire une guerre sourde, où il compromit plus d’une fois sa dignité d’homme et d’empereur.

Nous n’avons pas à étudier ici la politique de Julien, ni même sa philosophie, qui d’ailleurs ne différait pas de celle de ses maîtres[74]. Ce qu’il importe de remarquer toutefois, c’est que la lutte de Julien contre le christianisme n’était aucunement, comme on pourrait être tenté de le croire, celle de la raison contre la foi, de la libre pensée contre l’autorité dogmatique, de la conscience individuelle contre le sacerdoce. En fait, la théologie néoplatonicienne de Julien était tout aussi pénétrée de mysticisme que la théologie chrétienne, et la part qu’elle faisait à la révélation et à l’inspiration divine n’était guère moindre. Quant à l’influence sacerdotale, il n’avait rien plus à cœur que de la développer. La grande différence, au point de vue pratique, était que Julien prétendait se rattacher à toute la tradition grecque, tandis que les chrétiens ou la rejetaient expressément ou regardaient ailleurs. Cela explique comment la victoire du christianisme dut entraîner à bref délai la répudiation presque absolue du legs de l’antiquité.

Julien trouva le temps dans sa courte vie d’écrire beaucoup. Mais il s’en faut que tous ses écrits soient venus jusqu’à nous ; et, parmi ceux qui ont disparu, se trouvaient justement quelques-uns de ceux qu’il eût été le plus désirable de connaître.

Trois discours officiels, qui occupent une assez grande place dans ses œuvres, n’ont pour nous qu’un très médiocre intérêt. Ce sont deux Panégyriques de l’empereur Constance (Disc. I et II), composés par Julien lorsqu’il n’était encore que César, et un Éloge de l’impératrice Eusébie, sa bienfaitrice, qui est du même temps. Le dernier exprime des sentiments sincères ; les deux premiers sont un tissu de mensonges brillants imposés par les convenances officielles ; et il est fort curieux de les mettre en opposition avec la vraie pensée de l’auteur sur Constance, telle que l’exprime sans ambages la lettre aux Athéniens dont nous allons parler. Dans ces trois discours, il se montre seulement l’élève ingénieux des sophistes contemporains.

Le vrai Julien n’est pas là. Nous l’aurions sans doute trouvé, au contraire, très vivant et très naturel, dans les Commentaires qu’il avait écrits sur ses campagnes de Gaule, s’ils nous étaient parvenus[75]. Il voyait bien et racontait avec agrément. Nous en pouvons juger encore par la peinture qu’il fait de son séjour à Lutèce, dans le Misopogon, par celle de sa villa de Bithynie dans sa quarante-sixième lettre, et surtout par les exposés de faits, aussi substantiels que dramatiques, qui remplissent sa Lettre au sénat et au peuple d’Athènes. Ces quelques pages, Julien les écrit à ses chers Athéniens, en 361, au moment où il marche contre Constance : il veut les faire juges de ses raisons ; et, dans cette vue, tantôt il raconte les principaux événements de sa vie, tantôt il plaide. C’est donc une apologie narrative, plutôt qu’une œuvre d’historien à proprement parler ; mais l’historien, habile à caractériser les hommes et à donner aux choses leur vraie couleur, s’y laisse voir à chaque ligne.

Une tendance profonde le portait vers les idées morales et religieuses. Un de ses discours, le VIIIe, écrit en Gaule, est une Consolation qu’il s’adresse à lui-même, au moment d’être séparé du plus cher de ses amis, Salluste, que la jalousie de Constance éloignait de lui. Malgré quelque rhétorique, ces pages sont vraiment belles par la sincérité du sentiment, par la gravité et l’élévation des idées. Il y a beaucoup des mêmes qualités dans la Lettre à Thémistios, sorte d’examen de conscience, dans lequel le jeune empereur se demande à lui-même comment il pourra justifier les espérances dont l’éloquent philosophe s’était fait l’interprète. — Un des premiers éditeurs de Julien, le P. Petau, a séparé de cette lettre avec raison un long fragment que l’erreur d’un copiste y avait mêlé. Ce morceau a dû être extrait d’une sorte d’Instruction, adressée par l’empereur à un grand prêtre au sujet de la religion et du sacerdoce. Julien y expose avec une éloquence simple les vertus qu’il attend d’un prêtre des dieux : la sainteté des mœurs, la vraie piété, l’amour des hommes.

C’est le mystique, le spéculatif, le rêveur aussi, qui apparaît dans les Discours IVe et Ve. Le Discours IVe, adressé Au Soleil Roi (Εἰς τὸν βασιλέα Ἥλιον), est une sorte de méditation, écrite en trois nuits, pendant les saturnales, probablement en 361 ; les idées, comme Julien le déclare lui-même, sont celles de Jamblique ; mais on sent assez avec quel goût personnel il les développe, et quelle satisfaction intime y trouve sa piété. Le Discours V, À la mère des dieux (Εἰς τὴν μητέρα τῶν θεῶν), écrit en une seule nuit et tout d’un jet, probablement en 363, à la veille de l’expédition contre les Perses, manifeste la même dévotion ardente et subtile. Dans l’un comme dans l’autre, règne une sorte d’exégèse passionnée, qui, s’attachant aux anciens mythes comme à une révélation divine, les interprète par la philosophie, par les oracles, par la sagesse chaldéenne, à la lumière de la raison qui est Dieu. Docile comme un croyant sincère, Julien est en même temps un inspiré. Il a l’âme dévote et chimérique d’un Jamblique ou d’un Ædésios, avec autant de force d’illusion.

Entre ses diverses œuvres, toutefois, celles qui représentent le mieux le fond de sa nature, ce sont celles où sa philosophie se fait agressive et satirique. Une certaine âpreté de raillerie, qui n’a pu se donner carrière que là, est en effet un des traits essentiels de son esprit.

La principale de ces œuvres satiriques était l’ouvrage aujourd’hui perdu Contre les Chrétiens, en trois livres[76]. Nous l’ignorerions entièrement, sans la réfutation que Cyrille d’Alexandrie en fit au siècle suivant. De cette réfutation, en trente livres, dix livres seulement ont subsisté : ce sont ceux qui se rapportent au premier livre de Julien : nous ne connaissons donc que le tiers de son ouvrage, et encore indirectement. Il l’avait écrit à Antioche, de 362 à 363, immédiatement avant sa campagne de Perse[77]. Il régnait alors depuis deux ans ; et depuis deux ans, comme empereur, il avait pu mesurer la force d’expansion du christianisme. Malgré cela, il paraît avoir cru qu’on pouvait encore lui opposer avec succès des raisonnements. Son plan embrassait la critique des antécédents du christianisme, c’est-à-dire de la tradition biblique et des prophètes, puis celle des évangiles, et peut-être enfin un examen historique de son développement. La première partie est la seule dont nous puissions juger. L’ouvrage avait été écrit vite, dans une sorte d’improvisation. Le ton était celui d’un pamphlet amer, moqueur et dédaigneux. Mais Julien connaissait bien l’ancien et le nouveau Testament, et il se servait de ses connaissances en dialecticien. Autant qu’on peut en juger, il essayait surtout de démontrer qu’il y a autant de mythes dans la Bible que chez les poètes grecs ; que les prophéties ne visaient pas les événements racontés par l’Évangile, ou qu’elles ne peuvent s’y rapporter ; que la législation si vantée de Moïse est pleine de traits de barbarie ; que le Dieu de la Bible est injuste, jaloux, violent, inconstant : en un mot, que les idées morales et religieuses du judaïsme, dont le christianisme se donne pour l’héritier, ne sauraient être comparées à celles de l’hellénisme. L’admiration et l’amour de l’hellénisme, conçu comme l’expression la plus pure de la religion et de l’humanité, voilà en effet ce qui formait comme la doctrine fondamentale du livre, et ce qui mêlait à cette satire virulente un élément de beauté.

Nous retrouvons encore le satirique et le polémiste dans plusieurs autres ouvrages. — Deux de ses Discours (VI et VII) sont une vive attaque contre certains Cyniques contemporains, auquel il reproche de déshonorer la vraie philosophie. La critique y est âpre jusqu’à l’excès, mais animée d’un sentiment élevé, qui l’ennoblit. — En ce genre, le chef-d’œuvre de Julien est son Misopogon, composé à Antioche en 363. Aujourd’hui que l’ouvrage contre les chrétiens est perdu, aucun de ses écrits ne le fait mieux connaître. Antioche était à la fois une des métropoles du christianisme et la ville la plus luxueuse de l’Orient. Julien, avec de bonnes intentions, l’avait irritée par un édit de maximum, qui avait eu pour effet de rendre les approvisionnements difficiles. Le peuple, fâché contre lui, l’avait chansonné ; les moines s’en étaient mêlés : il en était résulté une hostilité profonde, formée de sentiments complexes. À ces chansons, Julien voulut répondre en homme d’esprit, en se moquant des railleurs. « L’ennemi de la barbe » (Μισοπώγων), c’est l’habitant d’Antioche, délicat, épris de luxe, de plaisir, de mollesse, adversaire des philosophes, oublieux de l’hellénisme ; et Julien, en faisant sembler de vanter ses qualités, le persifle en réalité amèrement, pour ses mœurs efféminées, ses engouements puérils, sa facilité aux nouveautés trompeuses. Il y a beaucoup d’esprit dans ce persiflage, mais un esprit un peu dur, qui manque parfois de bon goût, et qui n’est pas exempt d’une sorte de pédantisme hautain. Entre les meilleurs passages, il faut citer celui où Julien oppose à l’Orient amolli la rudesse naïve des Celtes, au milieu desquels il venait de passer six ans, et rappelle, non sans charme, le souvenir de Lutèce. L’ouvrage, dans son ensemble, est d’ailleurs fort curieux par les détails piquants qu’il nous donne sur la population d’Antioche.

La courte composition, à demi-dramatique, intitulée Le Banquet, les Saturnales, ou les Césars (Συμπόσιον ἢ Κρόνια ἢ Καίσαρες), est loin d’avoir la même valeur. C’est un jeu d’esprit, artificiel comme un exercice scolaire. Dans un banquet imaginaire donné aux Olympiens par Cronos, les Césars divinisés viennent s’attabler ; Alexandre se joint à eux ; Silène, qui est le comique de l’Olympe, juge chacun des convives en quelques mots. À la fin, un concours de mérite est ouvert entre les meilleurs : César, Alexandre, Auguste, Trajan, Marc Aurèle et Constantin y prennent part. C’est Marc Aurèle qui obtient le plus de suffrages. Aucun, sauf lui, n’échappe aux épigrammes de Silène ; mais le plus maltraité est Constantin, moins encore pour ses crimes et sa mollesse que pour avoir protégé le christianisme. La satire a donc une tendance à la fois morale, politique et religieuse ; mais elle n’est ni assez approfondie ni assez piquante.

Cet ensemble d’écrits est complété par une correspondance étendue. Nous possédons soixante-dix-huit lettres attribuées à Julien, parmi lesquelles figurent, il est vrai, plusieurs fragments d’édits[78]. La plupart semblent authentiques. Elles sont adressées à des amis, tels que Salluste, à des orateurs ou à des philosophes, tels que Libanios, Eugénios, Thémistios, Maxime, Jamblique, quelques-unes à des agents impériaux, à des évêques. Réunies, elles laissent voir les inégalités du caractère et de l’esprit de leur auteur : sa simplicité et son affection envers ses amis, ses intentions droites, son esprit de justice ; mais aussi ses rancunes, ses partis pris, et certaines habiletés douteuses, dans lesquelles on regrette de lui voir compromettre sa droiture naturelle.

Julien, mort à trente-trois ans, ne semble pas avoir donné toute sa mesure comme écrivain. Il y avait certainement en lui un penseur, un historien, un moraliste et un satirique ; il y avait surtout un homme, dont la vraie nature perçait à chaque instant sous les formes convenues de la littérature du temps ; ses préjugés même et ses passions auraient pu contribuer à lui faire une originalité plus accusée. Le temps lui a manqué pour se dégager de l’influence de ses maîtres et devenir tout à fait lui-même.

VI

La demi-renaissance de la sophistique que nous venons de signaler devait avoir son contre-coup sur la poésie, puisque, dans toute cette période de l’empire, poésie et sophistique ne se séparent point.

Si nous connaissions mieux la poésie officielle du ive siècle, peut-être pourrions-nous y montrer l’influence des études à la mode. Les discours d’Himérios ne permettent guère de douter qu’il ne se soit développé alors dans les écoles un goût d’imitation poétique qui a dû se faire sentir chez les versificateurs contemporains. Mais s’il y eut, au temps de Constantin et de Constance, des auteurs d’épopées ou de panégyriques en vers à la gloire des empereurs, ce qui est fort probable, nous les ignorons. Un témoignage isolé, celui de l’historien Socrate, reproduit par Nicéphore, nous fait connaître seulement un certain Callistos, qui célébra en hexamètres la gloire de l’empereur Julien[79]. Cela suffit à établir historiquement la persistance du genre, sans nous permettre de le juger.

C’est dans l’épopée mythologique uniquement que se manifeste alors pour nous une tendance sensible à relever la notion de l’art. Elle a pour principal représentant le poète Quintus de Smyrne[80]. Tout ce que nous savons de lui, c’est ce qu’il nous en apprend lui-même sous une forme allégorique (XII, 308-313), à savoir qu’il gardait ses troupeaux près de Smyrne, non loin du temple d’Artémis, lorsque les Muses l’inspirèrent, et qu’il était de condition libre[81]. La facture de ses vers permet d’affirmer qu’il a dû être antérieur à Nonnos, mais il est difficile de dire de combien il a pu le précéder ; et ce n’est qu’une vraisemblance assez vague qui semble autoriser à le placer vers la fin du ive siècle. Quoi qu’il en soit, Quintus fut certainement un élève de la sophistique, mais assez vivement touché des beautés originales d’Homère pour s’affranchir en partie du gout prédominant. Bien doué pour la versification, il n’avait du reste ni force d’invention, ni sensibilité profonde : c’était par nature un imitateur, qui a dû vivre uniquement dans les livres, étranger ou indifférent à son temps. Sans autre dessein que de trouver un emploi à son talent, il entreprit de condenser en un récit épique les principaux événements de la guerre de Troie après la mort d’Hector.

Son poème en quatorze chants, intitulé la Suite d’Homère (Τὰ μεθ’ Ὅμηρον)[82], commence où finit l’Iliade ; il raconte la mort de de Penthésilée, celle de Memnon, celle d’Achille et ses funérailles (l. {{rom-maj|I-III), les jeux funèbres célébrés en son honneur, la querelle des armes et la mort d’Ajax (l. IV et V), les exploits d’Eurypylos et ceux de Néoptolème, la mort d’Eurypylos (l. VI-VIII), la bataille sous les murs et la venue de Philoctète (l. IX), la mort de Paris, l’assaut repoussé, la construction du cheval de bois, la ruse de Sinon, la mort de Laocoon, les prédictions vaines de Cassandre, la prise de la ville (l. X-XIII), le départ des Grecs, la tempête et la mort d’Ajax le Locrien (l. XIV). C’est, comme on le voit, une série continue de récits sans unité intime. Le poète en a pris les éléments dans les vieilles épopées cycliques, ou plutôt dans les mythographes qui en avaient déjà condensé la substance ; il a pu s’inspirer aussi de quelques autres poètes, peut-être même de Virgile ; mais il semble n’avoir presque rien demande à la tragédie. Pour le détail des pensées et du style, il suit d’aussi près que possible Homère, Hésiode, Apollonios de Rhodes ; toutes ses expressions, tous ses tours de phrase viennent de ses modèles. Sa versification se rapproche surtout de celle des Alexandrins ; il multiplie les dactyles ; il recherche la césure trochaïque du troisième pied, sans toutefois s’assujettir encore à la rigueur des lois métriques de Nonnos, notamment en ce qui concerne l’élision et l’hiatus. Cette préoccupation de bien versifier dénote un certain goût de la perfection. Tout chez lui est bien fait : ce qui manque à son œuvre, c’est le génie.

Le poème est sagement ordonné dans ses diverses scènes, sans surcharge, sans digression ; tout y est clair, simple, proportionné ; le goût des développements sophistiques s’y fait assez peu sentir, soit dans les descriptions, soit dans les discours. Mais il n’y a rien qui attache. Les personnages se succèdent comme des ombres ; aucun n’a de relief ni même de substance dramatique. Au lieu de peintures morales, des comparaisons trop nombreuses et des sentences à profusion. Les situations sont plutôt indiquées que vraiment décrites, avec une pauvreté de couleurs qui dégénère en sécheresse. Le poète n’a rien de ce qui fait la force et la vie. On est étonné surtout qu’il ait pu mettre si peu de lui-même dans son œuvre. Véritable poésie d’école, sans contact avec la réalité.


Quelque chose des préoccupations d’art de Quintus se manifeste aussi dans les fragments de deux épopées contemporaines, qui ne nous sont pas parvenues en entier. — L’une est une Gigantomachie du poète Claudien, dont il nous reste soixante-dix-sept vers[83]. C’est encore une question non résolue que de savoir si ce Claudien est le même que le poète latin, contemporain d’Honorius et auteur de l’Éloge de Stilicon, des invectives Contre Rufin et contre Eutrope, de l’Enlèvement de Proserpine et de diverses poésies, parmi lesquelles figure une autre Gigantomachie en latin[84]. Quoi qu’il en soit, les quelques fragments de la Gigantomachie grecque dénotent une imagination éprise des hyperboles jusqu’à la puérilité et docile au mauvais goût du temps[85]. — L’autre épopée, dont quelques fragments ont été découverts en 1880 sur un papyrus égyptien, était une Guerre contre les Blémyes (Βλεμυομαχία)[86]. Il nous en reste un peu moins de quatre-vingts vers mutilés, qui ne permettent même pas de décider avec certitude si la guerre racontée était, ainsi qu’on l’admet en général, une expédition des Romains contre la peuplade éthiopienne des Blémyes, ou une guerre mythologique. La facture semble indiquer que l’auteur doit être placé entre Quintus de Smyrne et Nonnos, c’est-à-dire, sans doute, comme Claudien, tout à la fin du ive siècle[87].

À cette épopée du ive siècle, se rattachent probablement par la date quelques-unes des poésies conservées dans le recueil orphique[88]. Deux méritent une courte mention, en raison de leur notoriété : le Lapidaire et les Argonautiques.

Le Lapidaire (τὰ Λιθιϰά) est un poème didactique d’environ huit cents hexamètres, dans lequel Orphée est censé enseigner à Théodamas, fils de Priam, les vertus des pierres précieuses[89]. Ces pierres sont très puissantes sur l’esprit des dieux, qu’elles rendent favorables, et en outre elles guérissent beaucoup de maux. Dans le préambule (v. 61 et suivants), l’auteur se plaint amèrement de ce que la sagesse est persécutée. On a pensé, non sans vraisemblance, que ces plaintes ont pu être motivées par les rigueurs dont les magiciens furent l’objet à plusieurs reprises sous les empereurs chrétiens, notamment en 357 et en 371. En tout cas, le poème est un curieux document pour la connaissance des doctrines et des pratiques de la magie ; mais il n’a réellement que ce mérite.

Les Argonautiques n’ont rien de ce caractère spécial, et le mérite poétique en est un peu plus grand[90]. La date approximative en a été fixée par Hermann au ive siècle, d’après l’étude de la langue et de la versification. Orphée est censé y raconter, en un peu moins de quatorze cents vers, l’expédition de Jason et son aventure avec Médée. La matière du poème et ses limites sont celles des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes ; et, sauf quelques divergences dans la façon de retracer le voyage du retour, l’auteur orphique n’a innové en rien. Dans ce cadre étroit, l’élément dramatique et moral s’est réduit à fort peu de chose, de même que l’élément descriptif. Nulle étude de caractère ou de sentiment, nulle scène pathétique, nulle peinture poétique de la nature ou des hommes. L’intention du poète paraît avoir été simplement de rattacher la légende des Argonautes au cycle orphique, en constituent un récit où Orphée jouerait le rôle principal[91]. Mais ce rôle même n’a rien de vraiment intéressant ; car l’invention a manqué en cela comme en tout le reste : toute l’action d’Orphée consiste en chants, en prières, en cérémonies rituelles. Les aventures proprement dites sont fort écourtées, surtout dans la fin : pour l’auteur, l’intérêt n’était pas là.

Nous ignorons par qui ces poèmes ont été composés. Mais il est certain qu’ils n’ont pu naître et se faire apprécier que dans un cercle fort restreint. Ce sont des œuvres d’école et de secte ; elles s’adressent à des lettrés qui sont en même temps des initiés. Jamais le grand public n’a pu y chercher le genre de satisfaction qu’on demande en général à la poésie.

Si celle-ci a eu vraiment quelque succès au ive siècle, c’est plutôt, en dehors de l’épopée, sous la forme d’épigrammes, de chants anacréontiques, de courtes et légères compositions, poèmes de société et de circonstances. Mais comme il est impossible, en ce genre, de distinguer ce qui est propre à chaque siècle, nous embrasserons toute cette poésie dans son ensemble, au chapitre suivant, à propos de sa dernière floraison dans l’entourage de Justinien.

VII

D’une manière générale, l’infériorité littéraire du polythéisme, relativement au christianisme, est frappante au ive siècle. Il y a dans l’église chrétienne, en ce temps, un élan, une jeunesse, un éclat d’imagination, qui font défaut dans les écoles purement grecques ; et si l’on rencontre encore chez les païens du talent et de la raison, ce n’est que chez les chrétiens qu’on trouve du génie et de l’éloquence. Venons maintenant à l’étude rapide de cette floraison de la littérature grecque chrétienne.


La littérature chrétienne du iiie siècle avait été plutôt savante qu’éloquente, plus préoccupée des idées que de l’art d’écrire. C’est du même esprit, légèrement modifié, que procède encore l’écrivain qui ouvre le ive siècle, Eusèbe de Césarée : son œuvre forme comme une transition naturelle entre le temps d’Origène et celui des Basile et des Chrysostome.

Né en Palestine vers 265, disciple dévoué du savant Pamphile, dont il prit le nom (Εὐσέϐιος Παμφίλου, fils spirituel de Pamphile), Eusèbe, échappé à la persécution de Maximin, fut évêque de Césarée de Palestine, depuis 313 jusqu’à sa mort en 340. Justement renommé pour sa science et ses immenses travaux, il ne cessa de jouir d’un grand crédit auprès de Constantin. Cette situation ne lui permettait pas de rester étranger aux luttes de l’orthodoxie et de l’arianisme. Il y prit part sans passion. Inclinant peut-être au fond vers la doctrine arienne, mais condamnant les solutions tranchées, qui répugnaient à la nature de son esprit comme à son caractère, il cherchait la conciliation dans des compromis que l’orthodoxie lui a reprochés. Après avoir échoué dans ses tentatives au concile de Nicée en 325, il souscrivit, d’assez mauvaise grâce, à la formule de foi adoptée par la majorité. Cela ne l’empêcha pas de se montrer hostile au chef des orthodoxes intransigeants, Athanase, dans les synodes d’Antioche (330) et de Tyr (335). Curieuse nature en somme, à la fois sincère et habile, plutôt faite pour l’étude que pour l’action, plutôt pour la diplomatie que pour la lutte, Eusèbe, jeté par une mauvaise chance au milieu du combat des passions et des idées, se trouva éclipsé par des esprits plus décidés, dont il ne pouvait ni approuver ni même comprendre la logique à outrance.

Pamphile, en lui ouvrant sa bibliothèque, l’avait préparé dès sa jeunesse à l’érudition. C’est grâce à cette préparation qu’Eusèbe à vraiment fondé l’historiographie ecclésiastique. Déjà, comme on l’a vu, Julius Africanus, au siècle précédent, avait ébauché la chronologie comparée de l’histoire juive et de l’histoire profane. Il y avait là une idée féconde, dont Eusèbe eut le mérite de comprendre l’importance. Cette idée était proprement chrétienne, et elle explique la supériorité des historiens chrétiens. Tandis que les écrivains païens se contentaient, pour l’histoire du passé, de reproduire les récits classiques, ils étaient forcés, eux, pour faire entrer les origines bibliques du christianisme dans l’histoire générale, de se livrer à des recherches vraiment neuves. Eusèbe s’y dévoua avec un zèle infatigable. Son Histoire universelle (Παντοδαπὴ ἱστορία) se divisait en deux parties. Dans la première, qui était une Chronographie générale (Χρονογραφία), — Eusèbe s’efforçait d’établir, pour chaque peuple, la succession chronologique des grands événements de son histoire jusqu’à l’année 325 ; dans la seconde, intitulée Règle du calcul des temps (Κανὼν χρονικός), il dégageait de ces diverses séries de faits le synchronisme qui était l’objet dernier de son travail. Quelques fragments seulement de ce grand ouvrage sont venus jusqu’à nous dans l’original grec. En outre, la première partie nous est connue par une traduction arménienne, la seconde par la traduction latine de S. Jérôme, qui l’a continuée jusqu’à l’avénement de Théodose en 329. Il n’y a pas eu de plus grand travail chronologique dans toute l’antiquité, et ce livre est l’un des fondements sur lesquels repose encore notre connaissance des dates pour une notable partie de l’histoire grecque et romaine.

La Chronique toutefois n’appartient qu’indirectement à la littérature. L’Histoire de l’Église, (Ἐϰϰλησιασστιϰὴ ἱστορία) présente davantage les caractères d’une œuvre littéraire. Elle embrasse en dix livres l’histoire du christianisme depuis sa naissance jusqu’en 323, date de la victoire de Constantin sur Licinius, que l’auteur considère comme celle du triomphe définitif de la vraie religion[92]. À coup sûr, si nous appliquions à cet ouvrage nos exigences modernes, nous serions singulièrement déçus. Outre que l’auteur est un médiocre écrivain, nous ne trouvons dans son récit ni représentation dramatique des évènements, ni étude du mouvement des idées, ni peinture vivante des personnages. Son objet, comme il l’indique dans sa préface, a été simplement de noter les phases de l’extension du christianisme, la suite des périodes de persécution et d’apaisement, d’établir pour chaque siège apostolique la succession des évêques, de faire connaître les grands martyrs et les grands docteurs, leurs actions et leurs écrits, de noter l’apparition des hérésies, la tenue des synodes, la fondation des églises. Il n’a voulu que cela, et il n’a pas fait autre chose ; mais il est le premier qui ait eu la pensée de le faire ou qui en ait été capable. Son récit est peu cohérent, souvent sec, sans mérite d’art ; mais, outre que les faits dont il est plein lui donnent, malgré les légendes qui s’y mêlent, une valeur documentaire de premier ordre, l’idée seule de choisir ce sujet et de le faire entrer dans l’histoire était en elle-même neuve et féconde.

À l’œuvre historique d’Eusèbe on peut rattacher trois écrits secondaires : un Panégyrique de Constantin, composé en 335, une Histoire de sa propre vie en quatre livres, écrite entre 337 et 340, enfin un opuscule Sur les martyrs de Césarée mis à mort de 303 à 310 ; éloges ou œuvres d’édification, auxquels il ne faut demander ni la critique ni l’indépendance de jugement qui sont les mérites nécessaires de l’historien.

L’érudition, le goût des immenses et patientes recherches, qui avaient rendu possible l’entreprise historique d’Eusèbe, détermineront aussi son œuvre d’enseignement et d’apologie. Nous pouvons passer ici sous silence ses nombreux écrits d’exégèse relatifs à diverses parties de l’Ancien et du Nouveau Testament, l’Harmonie des quatre évangiles, les Questions et Réponses au sujet des évangiles, la Topographie de l’Écriture sainte, le Traité sur la fête de Pâques, ouvrages dont il ne nous reste que des fragments et qui sont d’ailleurs d’une nature trop spéciale[93]. Nous ne parlerons pas non plus de ses traités dogmatiques sur les questions soulevées par l’Arianisme, ni de ses lettres, ni des homélies, d’authenticité douteuse, qui lui sont attribuées[94]. Allons tout droit à ce qui est vraiment intéressant pour nous, c’est-à-dire à ses deux grands ouvrages apologétiques.

Le christianisme, dont le succès n’était plus contestable, avait-il décidément sa justification aux yeux de la raison ? Cette question, Eusèbe a eu le mérite de la dégager mieux que personne ; et, en la discutant avec l’autorité de ses immenses connaissances, il a élevé l’apologie chrétienne à la considération d’un des grands mouvements intellectuels et moraux de l’humanité.

Son entreprise apologétique commence par la Préparation à l’Évangile (Εὐαγγελιϰὴ προπαρασϰευή), en quinze livres. Eusèbe se propose d’y établir que la raison commandait impérieusement aux hommes de se détacher du paganisme : et, pour cela, il le passe en revue tout entier ; théologie phénicienne, égyptienne, hellénique, oracles, philosophie. Ses témoins sont les païens eux-mêmes, historiens, philosophes, moralistes, théologiens ; quant à lui, il ne fait guère qu’assembler les morceaux qu’il extrait de leurs ouvrages ; mais, tout en s’effaçant derrière eux, il poursuit sa démonstration, qui tend à prouver qu'ils n’ont pas vu la vérité ou qu’ils l’ont empruntée aux sources juives. Cette démonstration faite, la seconde partie de sa tâche commençait. Il l’avait accomplie dans la Démonstration de l’Évangile (Εὐαγγελιϰὴ ἀπόδειξις), en vingt livres, dont les dix derniers sont perdus. L’objet propre de l’ouvrage était de montrer l’accord des faits évangéliques avec les prophéties. Procédant toujours par extraits, il y groupait les textes prophétiques de l’Ancien Testament autour des grands faits de l’Évangile, avec lesquels il les croyait en relation. Et il résultait de la pour lui une évidence qui lui paraissait de nature à convaincre tous les hommes de bonne foi.

Si le dessein d’Eusèbe a en lui-même quelque chose d’imposant, et s’il atteste une véritable largeur de vues, il faut bien reconnaître qu’il pèche étrangement dans l’exécution, tant au point de vue littéraire qu’au point de vue critique. Ces immenses assemblages d’extraits tiennent plus de la compilation que de la démonstration. Ce qui est de l’auteur lui-même est écrit sans soin, avec un laisser aller qui sent l’improvisation. Puis, son érudition même est plus spécieuse que solide ; il prend de toutes mains, naïvement, les textes qui servent son dessein ; il n’a ni méthode, ni doutes, ni intuition. Si nous sommes heureux de rencontrer dans son livre quantité de pages qui auraient péri sans lui, nous sommes, en revanche, confondus de voir avec quelle confiance il accepte les témoignages les plus suspects. Une œuvre ainsi faite ne peut pas être appelée une grande œuvre. Par ses défauts évidents, elle se rattache encore à la tradition confuse des apologistes antérieurs ; mais elle les dépasse par l’ampleur des vues et par une certaine compréhension des choses, plus large et plus sereine, qui n’était possible qu’une fois la victoire assurée, quand l’hellénisme commençait à descendre dans le passé.

VIII

Avec Eusèbe, nous ne sommes encore qu’au seuil du ive siècle chrétien, et les traits qui vont caractériser la littérature chrétienne de ce temps n’apparaissent en lui qu’obscurément. Ce furent les grands débats relatifs à l’arianisme qui commencèrent à les dégager autour de lui, chez des écrivains ou des orateurs plus ardemment mêlés qu’il ne l’était aux luttes quotidiennes[95].

Aucune des hérésies antérieures ne saurait être comparée à l’Arianisme pour l’importance historique : aucune n’avait ébranlé le monde chrétien comme il l’ébranla. Cela tint en partie à des causes politiques, telle que l’organisation de la société ecclésiastique en ce temps, le rôle grandissant des évêques et des conciles, l’extension de la vie monastique, surtout l’intervention des empereurs, qui, devenus chrétiens, prétendaient gouverner le christianisme. Mais cela tint aussi à la nature même de la question soulevée. Le gnosticisme du iie et du iiie siècle, sous ses diverses formes, s’était complu dans une métaphysique abstraite, médiocrement intelligible à la masse. Mais, peu à peu, sous l’influence de la théologie savante du iiie siècle, on en était venu à sentir le besoin de définir avec précision les notions essentielles de la foi. C’était maintenant de la nature même du Christ qu’il s’agissait. L’Arianisme, poussant jusqu’au bout les doctrines que Lucien d’Antioche avait ébauchées au siècle précédent, faisait du fils de Dieu une créature, et par conséquent tendait à restreindre la part du mystère dans la croyance fondamentale. Par suite, l’opinion d’Arius devait plaire à beaucoup d’esprits tempérés, qui, volontiers, auraient « rationalisé » la foi le plus possible. L’orthodoxie s’y opposa résolument : elle jugea qu’en interprétant mal la tradition, l’arianisme faisait déchoir le Christ du rang ou la révélation évangélique l’avait placé. La question ainsi posée ne pouvait manquer de remuer l’âme de tous les croyants. Pour les orthodoxes, c’était l’objet le plus cher de leur adoration qui était en péril, c’était le Dieu même de l’évangile qu’il fallait défendre contre des blasphémateurs. Mais pour les Ariens, c’était la raison qu’ils sentaient compromise par des affirmations téméraires ; et, avec la raison, c’était la notion même de Dieu, le monothéisme, pour tout dire, qui semblait compromis. En fait, il y avait là quelque chose de plus qu’un débat de théologiens : deux tendances d’esprit contraires étaient en présence, et le sujet qui les mettait en lutte était de nature à exciter des sentiments ardents. Comment une telle lutte n’aurait-elle pas exercé son influence sur la littérature ? De part et d’autre, il n’était plus possible de s’enfermer dans l’école. Il fallait agir, combattre, persuader tantôt les peuples, tantôt les évêques, tantôt les empereurs, solliciter, accuser, se défendre. En un mot, l’éloquence était appelée à renaitre, parce que les causes qui la rendent nécessaire venaient de se reproduire dans une société ou depuis longtemps elles avaient cessé d’agir.

Il est bien regrettable que les œuvres d’Arius aient disparu[96]. Cet homme qui agita tout l’Orient ne pouvait être un esprit vulgaire. Né en Libye vers 260, ce fut dans les premières années du ive siècle qu’au sortir de l’école de Lucien d’Antioche, il devint prêtre d’Alexandrie. Vers 315, et jusqu’en 318, il y prêche avec éclat, et ses doctrines se précisent dans son esprit. Alors commencent pour lui les luttes et les misères. Alexandre, son évêque, et le diacre Athanase s’élèvent contre l’hérétique. Il est chassé d’Alexandrie, condamné en 325 par le concile de Nicée et par Constantin, malgré l’appui d’un certain nombre d’évêques d’Orient ; il vit pendant onze ans dans l’exil, en Illyrie ; puis Constantin change de dispositions à son égard ; Arius est rappelé et va rentrer dans son église, lorsqu’il meurt en 336. Nous ne possédons plus de lui que deux lettres[97]. Son principal ouvrage, intitulé le Banquet (Θάλεια), a entièrement disparu[98] ; c`était, à ce qu’il semble, un exposé de dogme plus populaire que savant[99] : Arius aimait en effet à s’adresser au peuple, dans la pensée sans doute que la simplicité même de sa doctrine lui plairait, et il avait composé des chants populaires, où il énonçait ses opinions[100].

Mais si Arius, et en général la littérature de l’arianisme, nous sont fort mal connus[101], leur principal adversaire, Athanase, est, au contraire, une des figures les plus en lumière du ive siècle[102].

Né vers 295, à Alexandrie, il y reçut, sous l’influence de son père, l’évêque Pétros, à la fois le zélé ardent de l’orthodoxie et l’éducation classique. Tout jeune encore, il se donna au service de l’Église. L’évêque Alexandros l’ayant ordonné diacre avant l’âge ordinaire, il devint bientôt l’adversaire décidé d’Arius. Au concile de Nicée, en 325, où il avait accompagné son évêque, nul ne contribua plus que lui à formuler le dogme de la « consubstantialité » (ὁμοουσία), dont il peut être regardé comme le représentant et le défenseur par excellence[103]. Élu évêque d’Alexandrie le 8 juin 328, il commença presque aussitôt cette vie de luttes incessantes, qui devait se prolonger pendant quarante-cinq ans. Constantin, qui l’avait d’abord protégé, l’exile à Trèves en 335, après la condamnation prononcée contre lui par le concile de Tyr. Il rentre dans Alexandrie en 337. Mais Constance, favorable aux Ariens, se montre son ennemi : peut-être redoutait-il aussi l’ascendant dont Athanase, grâce au peuple et aux moines, jouissait en Égypte ; il l’exile de nouveau en 339. Athanase, chassé d’Orient, trouve faveur en Illyrie à la cour de Constant II ; il affermit la doctrine nicéenne en Occident, prend part, en 343, au concile tenu à Sardique, en Thrace ; enfin, grâce à l’appui énergique de Constant II, il obtient de rentrer à Alexandrie en 346. Il y reste, cette fois, dix ans. Mais, en 356, se sentant menacé par la haine de l’empereur, il est obligé de fuir, se cache au désert, où il vit en proscrit pendant cinq ans. Le décret de Julien qui faisait cesser toute persécution pour cause d’opinions religieuses le ramène dans sa ville épiscopale en 361. À peine y est-il de retour que l’empereur, alarmé de sa puissance, écrit, en 362, une lettre pleine de colère pour ordonner de le chasser d’Égypte (Lettre 6 ; cf. Lettre 51). Jovien le rétablit dans ses honneurs en 364. Mais, quelques mois plus tard, l’avènement de Valens, arien décidé, l’oblige à fuir de nouveau. Toutefois une réconciliation se fait bientôt entre eux, et désormais (de 365, jusqu’à sa mort, en 373) Athanase peut demeurer paisiblement dans Alexandrie. Les lettres que S. Basile lui adressait vers ce temps montrent de quelle autorité il jouissait alors dans l’Église. C’était une sorte de patriarche et d’arbitre, dont l’opinion faisait loi[104].

L’activité littéraire de cet homme ardent ne fut guère moindre que son activité politique[105]. Beaucoup de ses écrits sont perdus ; beaucoup de ceux qui lui sont attribués sont d’origine incertaine. Ses ouvrages d’exégèse sur la Bible et le Nouveau Testament, dont il ne reste que des fragments, peuvent être négligés ici, ainsi que plusieurs traites dogmatiques. Pour nous, Athanase est tout entier dans quelques écrits caractéristiques : son Discours contre les Hellènes (Λόγος ϰατὰ Ἑλλήων) complété par un Discours sur l’Incarnation (Λόγος περὶ τῆς ἐνανθρωπήσεως τοῦ Λόγου), en tout deux livres, écrits avant 318, que S. Jerôme appelle, d’un titre commun, Adversum gentes libri duo ; son Apologie contre les Ariens, (Ἀπολογητιϰός ϰατὰ Ἀρειανῶν) écrit en 350 ; ses quatre Discours sur les Ariens (Κατὰ Ἀρειανῶν λόγοι τέτταρες), composés dans le désert, de 356 à 361, pendant la proscription de l’auteur ; son Apologie à l’empereur Constance (de 357), où il se défend contre diverses imputations politiques et religieuses ; sa Biographie de S. Antoine, du même temps, panégyrique qui n’a pas eu peu d’influence sur la vie ascétique en Orient ; sa Justification de sa fuite, probablement de 358 ; l’Histoire des Ariens, lettre secrète adressée la même année aux moines d’Égypte, où est retracé le développement de l’arianisme depuis 335 (le début, relatif aux années antérieures, manque) ; la Lettre sur les Synodes (de Rimini et de Séleucie), écrite en 349 ; enfin un recueil de Lettres pastorales, dont nous ne possédons plus qu’une traduction syrienne, découverte en 1847.

Dévoué à une idée, qu’il a, plus que personne, discutée, définie, élucidée, Athanase doit être considéré d’abord comme penseur. Toutefois, dès qu’on veut lui attribuer ce titre, on sent le besoin de l’expliquer. La pensée, chez lui, n’est plus, comme chez un Plotin ou un Porphyre, curieuse, ouverte et accueillante, empressée d’aller librement à la recherche de toutes les opinions et de toutes les connaissances, pour en tirer quelques parcelles de vérité et les unir ensuite dans un ample système. Cette largeur d’esprit, cette sympathie, vraiment hellénique et humaine, pour toutes les tentatives de la raison et toutes les inspirations du cœur, cette disposition, foncièrement libérale, qui fait la grandeur du néoplatonisme et atteste si heureusement chez ses représentants la perpétuité de la belle tradition grecque, tout cela est en dehors de sa nature. Par sa tendance dominante, il procède plutôt du judaïsme orthodoxe. Au lieu d’étendre la croyance, de l’assouplir et de la varier, il la resserre et la raidit. Son effort tend à constituer une formule si arrêtée, si précise, qu’elle exclura désormais tout jeu de la pensée. La philosophie proprement dite ouvre des voies, lance le plus qu’elle peut l’intelligence vers l’inconnu ; Athanase, lui, vise à la captiver pour jamais, en fermant d’avance devant elle toutes les routes de la recherche. Ce n’est pas simplement un orthodoxe, c’est l’orthodoxe par excellence ; il a pour génie l’esprit même de l’orthodoxie.

Seulement, son orthodoxie n’est pas celle qui se borne à accepter le dogme, c’est celle qui le crée ; et voilà où se révèle sa puissance. Dès sa jeunesse, quand il écrit contre les Hellènes, la vigueur de sa pensée éclate. Il ne s’attarde pas, comme trop souvent les apologistes antérieurs, à des vues populaires et superficielles ; il va au fond des choses. Très au courant de la philosophie contemporaine, il sait fort bien que les Hellènes éclairés mettent sous les noms des dieux tout autre chose qu‘un polythéisme grossier, il ne méconnait pas qu’ils dégagent du monde visible une hiérarchie de forces divines, descendant par émanation de l’être absolu. Mais c’est justement ce qu’il leur reproche. Nourri de la Bible et de l’Évangile, épris au fond de simplicité, il ne veut pas de ces intermédiaires inutiles entre Dieu et l’homme ; sa logique et sa foi écartent ces chimères, qui d’ailleurs retiennent encore l’âme humaine dans le monde des sens ; il exige qu’elle aille droit au Dieu unique, de qui tout procède. Chose remarquable, ce logicien a un sens très fort de la réalité. Quand il en vient, après avoir écarté les dieux de l’hellénisme, à étudier le dogme fondamental de sa foi, l’incarnation du Verbe, il ne lui suffit pas de démontrer en métaphysicien qu’elle était possible, ni en théologien qu’elle était nécessaire. S’il s’en tenait là, il ne serait en somme que le disciple éloquent des docteurs chrétiens antérieurs, qui avaient élaboré peu à peu la notion du Verbe, le disciple même de ces néoplatoniciens qu’il combat et qui avaient développé à leur manière des idées analogues. Mais il a de plus qu’eux cette vue claire des choses réelles, qui dénote le politique et l’homme d’action. Ce Verbe auquel il croit, ce n’est pas pour lui une abstraction, un objet de méditation et d’adoration mystique, c’est Dieu lui-même agissant dans le monde par des faits dont il est le témoin, qui lui semblent sans précédents, et qu’aucune puissance humaine n’a pu produire[106].

Une fois engagé dans la lutte avec les Ariens, cette double idée de l’unité de Dieu et de la divinité du Verbe, Athanase l’a méditée, étudiée et défendue, avec une ténacité que nulle difficulté métaphysique n’a jamais fait hésiter un seul instant. On peut lire d’un bout à l’autre les quatre livres du Discours contre les Ariens : impossible de surprendre dans le développement de sa pensée, non seulement une trace de doute, mais une déviation quelconque. Plus on le presse, plus il précise ses définitions. S’il est subtil, ce n’est pas pour se dérober, c’est au contraire pour ne pas se laisser écarter de son idée. Et sans doute, il n’est pas de ceux qui contentent la raison, puisqu’il aboutit au mystère ; mais il est de ceux qui l’étonnent et qui peuvent la dompter, à force de netteté impérieuse.

Ces traits caractéristiques du penseur, nous les retrouvons naturellement dans l’orateur. Athanase est un homme à la parole habile et forte, qui tend toujours à son but. Sans avoir la précision élégante des orateurs attiques, il les rappelle par sa préoccupation du fait à éclaircir ou de l’idée à démontrer. Sa langue est simple, saine, un peu monotone et médiocrement colorée, mais claire et apte à l’action. Par une discrétion louable, elle attire peu l’attention sur elle-même ; elle s’efface, elle est toute au service de la pensée.

Allons plus au fond : ce qui fait surtout la valeur des discours d’Athanase, c’est l’invention dialectique. L’Apologie à Constance, la Justification de sa fuite, le Discours apologétique contre les Ariens, révèlent un don remarquable de construire une démonstration ; l’art hellénique reparaît là tout entier, appliqué à des choses nouvelles. Si nous lisons ces discours en historiens, nous hésitons, comme d’ailleurs en écoutant les orateurs attiques ; nous avons le sentiment secret que tout s’arrange trop bien pour la thèse soutenue, qu’il a dû y avoir en réalité des choses embarrassantes qu’on ne nous dit pas, d’autres qu’on atténue ou qu’on exagère, que tout cela n’a pas été si simple, si droit, si dénué de violences et de politique. Mais cet art de raisonner avec les faits qu’on raconte, de les mettre en arguments sans qu’il y paraisse, de les assembler et de les colorer, de les expliquer et de les faire parler, surtout de les conduire méthodiquement à une conclusion qu’ils semblent imposer, n’est-ce pas justement ce qui constitue l’orateur ? Et puis, si cette éloquence est habile, cela ne veut pas dire qu’elle ne soit pas sincère. Sans doute, Athanase est loin de tenir le même langage sur Constance, lorsqu’il s’adresse à lui ou lorsqu’il parle de lui à ses amis. Dans un cas, il loue sa justice et sa pieté[107] ; dans l’autre, il le traite d’antechrist[108]. Qu’il y ait donc en lui un politique, cela est incontestable ; et, comme tout homme d’action jeté dans une société mélangée, il a su se plier aux circonstances et parler le langage officiel. Mais cela n’empêche pas qu’il ne croie faire son devoir, lorsqu’il agit et lorsqu’il parle, lorsqu’il accuse et lorsqu’il se défend. Et si sa conviction lui fait souvent voir les choses à un point de vue personnel et contestable, en revanche elle prête à ce qu’il dit un accent qu’on ne trouvait plus depuis bien longtemps dans l’éloquence païenne.

Étant ainsi orateur par tempérament, il l’est toujours, et même lorsqu’il ne faudrait point l’être. Son Histoire des Ariens, sa Vie de saint Antoine, semblent se présenter comme des récits historiques. Ce sont en réalité des œuvres oratoires, passionnées, qui tiennent l’une du pamphlet, l’autre du panégyrique[109]. Ce qu’on admire dans le premier, c’est la vivacité satirique des peintures, l’imagination indignée qui met tout en scène, anime et fait parler les personnages, c’est la subtilité vigoureuse qui découvre et explique les intrigues, vraies ou supposées, c’est aussi, il faut bien le dire, le ton de colère qui échauffe beaucoup de ces pages. On comprend, en les lisant, quelle influence un tel homme pouvait exercer sur le peuple mouvant d’Alexandrie, sur ces moines du désert dont l’âme exaltée vibrait à sa voix. Et on ne s’explique pas moins, en face de la variété d’invectives et d’imputations injurieuses qu’il lance contre l’empereur Constance, combien le pouvoir impérial avait de raisons de se défier d’un évêque qui mettait secrètement son éloquence et son autorité personnelle au service de telles passions.

Athanase, en somme, quelque grande place qu’il tienne dans l’histoire littéraire du ive siècle, est plus intéressant encore par son rôle actif que par son talent d’orateur ou d’écrivain. Il incarne mieux que personne les idées et les passions de son temps. Et ce qu’il faudrait chercher surtout dans ses œuvres pour leur conserver tout leur intérêt, ce serait l’image des luttes et des intrigues au milieu desquelles il a vécu. À le considérer exclusivement au point de vue de la critique littéraire, on se condamne à le diminuer, même en l’admirant.

IX

À côté d’Athanase et de ses adversaires, le grand mouvement de controverses dogmatiques du ive siècle a suscité bien d’autres écrivains, qui ne peuvent figurer ici qu’incidemment.

Apollinaire, évêque de Laodicée en Syrie[110], mort vers 390, un des écrivains ecclésiastiques les plus influents et les plus féconds de ce siècle, et lui aussi un des adversaires de l’arianisme, est surtout célèbre comme le chef de l’hérésie apollinariste, qui fut condamnée par le Concile de Constantinople en 381. Plusieurs écrits théologiques, longtemps dissimulés sous de faux noms, lui ont été de nos jours restitués[111]. Son plus important ouvrage de polémique était une Réfutation de Porphyre en trente livres, aujourd’hui perdus. En outre, il fut, avec son père, Apollinaire l’ancien, l’auteur d’une bien curieuse tentative de poésie chrétienne. Ce fut peut-être l’édit de Julien interdisant en 362 aux maitres chrétiens d’expliquer les auteurs profanes qui en fut l’occasion[112]. En tout cas, elle se prolongea bien après la mort de Julien et la disparition de son édit ; et, en fait, il paraît plus naturel d’y voir un essai qui avait pour but de soustraire la jeunesse chrétienne à l’influence des auteurs païens. Apollinaire le père, ancien grammairien d’Alexandrie, devenu prêtre à Laodicée, avait versifié, dans la forme classique, de prétendus poèmes chrétiens, dont il ne subsiste rien. Son fils, non moins zélé, mit en vers l’histoire sainte jusqu’à Saül (xxiv chants), composa selon la formule d’Euripide et de Ménandre des comédies et des tragédies, et ne craignit même pas d’imiter Pindare. Nous possédons de lui une Paraphrase des psaumes, en hexamètres, où le caractère propre de la poésie biblique s’efface sous les réminiscences de l’ancienne épopée[113].

Makédonios, père du macédonianisme, et Marcellus d’Ancyre, représentant et réformateur du sabellianisme au ive siècle, n’intéressent que l’histoire du dogme chrétien. — Il en est à peu près de même de Didyme l’aveugle (de 310 à 395 environ), malgré l’influence qu’il exerça comme chef de l’école d’Alexandrie au ive siècle, et malgré le mérite de ses écrits. Adversaire de l’arianisme dans son traité Sur la Trinité (Περὶ Τριάδος), il s’était montré le disciple d’Origène dans ses nombreux ouvrages exégétiques, et il fut condamné plus tard comme origéniste[114]. Mais s’il importe de le signaler ici, c’est surtout parce que nous voyons, grâce à lui, se perpétuer à travers tout le ive siècle la méthode alexandrine de l’interprétation allégorique, si curieuse par la liberté qu’elle donnait à toutes les fantaisies de l’exégèse individuelle.

Cyrille[115], né vers 315, évêque de Jérusalem de 350 environ à 386, n’est aussi qu’un théologien ; mais il a su mettre dans ses célèbres Catéchèses en vingt-quatre livres (Κατηχήσεις, leçons faites à des catéchumènes avant et après le baptême) quelque chose de plus personnel. Ce livre d’enseignement élémentaire, purement dogmatique, est justement renommé pour sa simplicité et pour un certain charme de gravité douce et tendre, qui s’y mêle à une vivacité agréable.

En face de l’école allégorique d’Alexandrie, dont nous venons de signaler la persistance, continuait à se développer la tendance contraire, celle de l’exégèse littérale et historique qui avait Antioche pour principal foyer.

Le premier de ses grands représentants est Diodore de Tarse[116]. Né vers le commencement du ive siècle, il fréquenta les écoles d’Athènes et d’Antioche, puis fonda dans cette dernière ville un institut monastique, centre à la fois de vie ascétique et d’étude, où se passèrent ses meilleures années ; il subit plus tard l’exil sous Valens, devint évêque de Tarse en Cilicie en 378 et y mourut en 394. Son œuvre, dont il ne subsiste que des fragments, était presque entièrement exégétique. Diodore doit être regardé comme le fondateur de la « nouvelle école » d’Antioche. Maître de Théodore de Mopsueste et de Jean Chrysostôme, il a exercé en Orient une autorité des plus grandes, grâce surtout à la solidité de son esprit, toujours attaché aux notions positives et à la raison. Il ne reste malheureusement rien de l’ouvrage mentionné par Suidas sous ce titre : Différence de l’interprétation spirituelle et de l’allégorie (Τίς διαφορὰ θεωρίας ϰαὶ ἀλληγορίας) ; on ne peut guère douter que Diodore n’y eût exposé les principes de sa méthode. La tendance rationaliste, qui en faisait le fond, l’amena à formuler, sur la distinction de la divinité et de l’humanité en Jésus-Christ, des idées qui furent plus tard développées dans le Nestorianisme et condamnées par les conciles.

Apres Diodore, le grand nom de l’école d’Antioche est celui de Théodore de Mopsueste[117]. Né à Antioche vers 350, il y suivit d’abord, dans sa jeunesse, les leçons de Libanios, avec des vues toutes profanes. Puis, son condisciple, Jean Chrysostome, l’ayant attiré vers la vie ascétique, il se retira à vingt ans dans le cloître qu’avait institué Diodore et y étudia sous sa direction. Rentré quelque temps dans le monde, il en fut arraché de nouveau par son ami. En 333, il était ordonné prêtre ; en cette qualité, il enseigna lui-même à Antioche pendant dix ans. En 392, il est appelé à l’évêché de Mopsuestia, en Cilicie, où il réside désormais, pendant trente-six ans, jusqu'à sa mort en 428.

Écrivain fécond, comme son maître Diodore, Théodore avait composé, comme lui, une série de commentaires sur l’Écriture, et, de plus, divers ouvrages de controverse théologique, dont un grand traité en quinze livres Sur l’Incarnation. Il ne nous reste de tout cela, outre les titres, que des fragments en grec, et un certain nombre de traductions latines ou syriaques. Le rôle propre de Théodore, celui qui lui mérite une place, non seulement dans l’histoire des dogmes, mais dans celle de la littérature, c’est d’avoir développé, avec logique et hardiesse, les principes d’exégèse et la tendance critique de son maître. Dans un écrit perdu, dont le titre même n’est pas sûr, il avait traité de l’opposition entre l’interprétation allégorique et l’interprétation historique (De allegoria et historia contra Origenem, dans Facundus, Patrol. lat., LXVII, 602). Nul n’a été plus résolument opposé que lui aux chimères de l’exégèse par allégories. Mais son rationalisme ne s’en tenait pas là. Il eut le jugement assez hardi pour nier qu’une grande partie des psaumes eussent en vue le Messie ; il discuta l’inspiration de certaines parties des Écritures ; il voulut même distinguer en Jésus-Christ deux personnes, pour éviter d’avoir à admettre qu’une personne divine eût pu souffrir et mourir. Il fut ainsi l’initiateur direct du Nestorianisme, et les conciles qui condamnèrent Nestorios le frappèrent en même temps d’anathème après sa mort. Pour les Nestoriens d'Orient, Théodore de Mopsueste est resté « l’exégète » par excellence ; et, pour la critique moderne, sa hardiesse fait de lui un des personnages les plus intéressants de ce temps.

Inférieur certainement en originalité et en étendue d’esprit aux deux docteurs d'Antioche, Épiphane est peut-être plus connu, grâce à ses ouvrages subsistants[118]. Né en Judée vers 315, il se rendit savant dans les langues de l’Orient. Après un séjour en Égypte, il dirigea à Éleuthéropolis, non loin de Jérusalem, de 325 environ à 367, un cloître dont il fit un foyer d’études. Appelé en 367 à l’évêché de Constantia (l’ancienne Salamine) dans l’île de Cypre, il y résida jusqu’à sa mort en 403. L’Origénisme n’eut pas, au ive siècle, d’adversaire plus acharné que lui. Ardent à en poursuivre la trace, il fut en lutte avec Chrysostôme lui-même, dont la doctrine ne lui semblait pas assez pure. Il ne combattait pas moins vivement l’Arianisme et l’Apollinarisme. Pendant sa longue vie, toute son activité et son érudition se dépensèrent à la défense passionnée de l’orthodoxie. En 374, il composa un traité dont le titre bizarre (Ἀγϰυρωτός, proprement Solidement ancré) équivaut à peu près à celui-ci, l’Orthodoxie assurée : nous le possédons encore. Mais son principal ouvrage, c’est celui qu’on appelle ordinairement la Réfutation des hérésies (Contra haereses ; en grec, Πανάριοιν ou Πανάρια, proprement la Huche), composé de 374 à 377. L’auteur, dans un exposé complet et facile, mais mal écrit, y passe en revue quatre-vingts hérésies, dont vingt antérieures à J.-C. : sous ce nom, il comprend les diverses philosophies de la Grèce ainsi que les sectes juives, ce qui donne à son livre un sérieux intérêt historique[119]. D’ailleurs, s’il a beaucoup lu et beaucoup extrait, il ne faut lui demander ni critique, ni étude approfondie et personnelle. Il y avait en lui plus de zèle que de véritable intelligence et que de talent.

Ces divers docteurs ont détourné un instant notre attention de l’éloquence, que nous avions vue apparaître dans le christianisme grec avec Athanase. Nous allons la retrouver, plus brillante et plus achevée, chez les grands hommes de parole et de pensée dont nous avons maintenant à nous occuper.

X

C’est à la province de Cappadoce, longtemps considérée comme une région presque barbare, qu’échut, dans la seconde moitié du ive siècle, la primauté du génie et de l’action religieuse. Elle s’était hellénisée lentement, mais profondément. Sa métropole, Césarée, autrefois simple bourgade sous le nom de Mazaca, était devenue une des grandes villes de l’empire, remarquable par ses écoles. À la longue, sa population, un peu lourde, mais vigoureuse, s’était affinée, sans perdre ses qualités natives. Et elle gardait, sous les formes de la civilisation vieillie qui régnait dans tout l’empire, une sève de jeunesse, plus saine et plus féconde. L’Arianisme fut là, comme dans le reste de l’Orient, un ferment actif, qui, vers le milieu du siècle, y mit en mouvement les pensées et les passions. Pour la défense de l’orthodoxie, trois hommes remarquables s’y distinguèrent entre tous : au premier rang, Basile le Grand et son ami Grégoire de Nazianze ; au second rang, le frère de Basile, Grégoire de Nysse.


Né à Césarée, probablement en 331, Basile était issu d’une riche et ancienne famille chrétienne[120]. Dans son enfance, il subit l’influence profonde de sa grand’mère, Macrina, et, par elle, reçut la tradition des enseignements religieux de Grégoire le Thaumaturge. Un peu plus tard, il se rendit auprès de son père, qui tenait alors l’école de rhétorique à Néocésarée, dans le Pont ; c’est là que se fit sa première éducation intellectuelle. Jeune homme, il revint, pour se perfectionner, à Césarée. Puis, comme il visait à devenir lui-même professeur d’éloquence, il se rendit d’abord à Constantinople, et bientôt à Athènes, où il semble avoir fait un assez long séjour, de 354 à 359 environ. Il put y entrevoir Julien ; et il s’y lia d’une amitié étroite avec Grégoire de Nazianze, un peu plus âgé que lui, qu’il avait déjà connu à Césarée. Fréquentant les mêmes écoles, ils entendirent Himérios, dont la gloire commençait, et Libanios, avec lequel Basile resta lié dans la suite, comme l’atteste leur correspondance. De retour en son pays, il semble y avoir débuté en qualité de professeur d’éloquence. Mais, presque aussitôt, et malgré ses succès, il se dégouta de cette science apparente qui lui semblait folie : son âme, ardente et sérieuse, avait besoin de se donner à Dieu.

Pour s’y mieux préparer, à peine baptisé par l’évêque Dianos de Césarée, il va visiter la Syrie et l’Égypte, où florissait la vie monastique sous ses diverses formes. Mais, en homme d’initiative et d’autorité, non content de regarder, il se fait un plan à lui, qu’il va mettre aussitôt en application. Dès son retour, il commence à organiser, dans le Pont, des communautés religieuses, auxquelles il donne l’exemple et la règle. Ce sera l’une des œuvres principales de sa vie. La vie monastique répondait à un des besoins du temps : elle allait prospérer, grâce à son impulsion, en Asie Mineure, comme elle avait fait déjà en Égypte et en Syrie, mais sous une autre forme. Ordonné prêtre en 364 par Eusèbe, évêque de Césarée, il s’établit auprès de lui, et malgré les dissentiments violents qui les séparent un instant, Basile lui impose l’influence de sa supériorité. Pendant six ans, il est son conseiller, et gouverne sous son nom[121]. D’une part, il continue l’œuvre qu’il avait entreprise, fonde des hospices, des maisons de refuge, des monastères dont il entretient et dirige l’activité, pratique et organise la charité, remédie même aux maux de la famine en 368 ; de l’autre, il combat, par ses écrits et ses missions, les tentatives de l’Arianisme, appuyé par Valens.

En 370, Eusèbe meurt. Basile, par son caractère décidé et autoritaire, par son activité incessante, s’était fait des ennemis en même temps que des partisans. Apres une élection difficile, il est nommé à la place d’Eusèbe, grâce surtout au vieux Grégoire, évêque de Nazianze, et père de son ami. Des lors, métropolitain de Cappadoce, exarque du Pont, il exerce, pendant huit ans, une souveraineté ardue, au milieu des luttes et des dangers. Tantôt énergique, tantôt habile, il défend sa juridiction contre l’évêque de Tyane, Anthime, après le partage de la Cappadoce en deux provinces. Il se sert de l’évêque de Sébaste, Eustathe, pour combattre les Ariens, sauf à le ménager dans sa tendance au Macédonisme. Souple et caressant, quand il le faut, il est inflexible en face de l’empereur Valens et du préfet Modestus, auxquels il tient tête, au péril même de sa vie. C’est lui qui, après la mort d’Athanase, en 373, devient vraiment en Orient le soutien de l’orthodoxie. Malgré sa faible santé, il s’épuise à lui chercher des défenseurs, correspond avec les évêques d’Orient et d’Occident, excite les tièdes, organise la résistance, prépare l’action des conciles. Quand il meurt à quarante-neuf ans, le 1er janvier 379, il a pu accomplir l’œuvre d’une longue vie.

La collection subsistante des écrits de Basile comprend : — 1° Deux ouvrages dogmatiques : le traité Contre Eunomios (Ἀνατρεπτιϰὸς τοῦ Ἀπολογητιϰοῦ τοῦ δυσσεβοῦς Εὐνομίου), en trois livres, auxquels sont ajoutés deux livres complémentaires, qui ne semblent pas être de lui ; le traité Sur le Saint-Esprit (Περὶ τοῦ ἁγίου Πνεύματος) ; — 2° Une série d’Homélies, parmi lesquelles les plus remarquables sont l’Hexahéméron (neuf discours sur l’œuvre des six jours), quinze Sur les Psaumes, les discours Contre les usuriers (Κατὰ τοκιζόντων) et Aux jeunes gens sur la manière de tirer profit des auteurs profanes (Κατὰ τοὺς νέους ὅπως ἂν ἐξ ἑλληενικῶν ὠφελοϊντο λόγων), le Panégyrique de sainte Julitte, et un certain nombre d’autres homélies sur des sujets de morale ; — 3° Les écrits dits ascétiques (Ἀσκητικά), entre lesquels on distingue, sous le nom de Règles développées (ὅροι κατὰ πλάτος) et de Règles abrégées (ὅροι κατ’ ἐπιτομήν), deux recueils d’instructions pratiques adressées aux moines ; — 4° Enfin un recueil de Lettres, au nombre de trois cent soixante-cinq, écrites la plupart pendant son épiscopat, de 370 à 379, qui constituent un des documents les plus intéressants pour l’histoire du ive siècle. — Basile avait publié, en outre, bon nombre d’autres ouvrages qui sont perdus, notamment un Traité contre les Manichéens, et des homélies, qui embrassaient presque toutes les parties des Écritures. Un certain nombre d’écrits qui lui sont attribués, en dehors de ceux que nous avons nommés, sont suspects ou apocryphes[122].

De même qu’Athanase, mais à un degré supérieur, Basile est, par tempérament, un orateur ; et, comme la nature chez lui était plus riche et plus souple, comme, en outre, l’éducation profane avait été bien plus prolongée, il l’est avec une tout autre variété. Mais, si diverses que soient les formes de sa parole, on y retrouve toujours, comme caractère distinctif, avec l’érudition facile et pourtant choisie, un don propre de persuasion et de séduction, fait de clarté, d’invention ingénieuse et charmante, d’intelligence nette, d’imagination vive, de chaleur d’âme et d’autorité naturelle.

Résolument attaché, de cœur et de raison, à une orthodoxie déjà très arrêtée, il n’a pas eu l’occasion de montrer, en matière de philosophie, une grande puissance de recherche ou de combinaison. Toutefois, dans les problèmes toujours discutés de la théologie contemporaine, son esprit est singulièrement habile à discerner les nuances, à maintenir contre de subtiles tentatives les positions prises, à éclaircir les formules ou subsistait encore quelque équivoque, à préparer même les définitions nouvelles. Nourri de philosophie grecque, en particulier des doctrines de Platon et de celles de Plotin, il s’en sert sans s’y laisser assujettir, en leur imposant la forme chrétienne, avec une dextérité et une fermeté de sens remarquables[123]. Il a donc tout ce qui fait le théologien ; et il y joint, dans les matières les plus abstraites, un talent d’expression vraiment hellénique.

Mais c’est surtout dans la prédication que se révèlent toutes ses qualités[124]. Son Hexahéméron a été justement considéré comme un chef-d’œuvre en son genre ; et il est certain qu’aujourd’hui encore, si étranges qu’en soient pour nous les explications physiques, ces discours ont un charme intime qui ne s’est point dissipé. Basile s’y adresse à un auditoire dans lequel se trouvaient beaucoup de gens simples, artisans ou petits marchands, curieux d’apprendre, mais peu cultivés : il leur explique la Genèse. Son dessein est avant tout de les instruire. Il cause avec eux, familièrement, mais non sans autorité. Il va au devant de leurs étonnements, provoque au besoin leur curiosité, leur signale lui-même les difficultés, leur fait prévoir les objections que les païens pourront leur proposer à propos de ces textes ; et, se mettant à leur portée, il leur rend raison de tout. Point d’allégorie : tout, dans le récit biblique, doit être pris à la lettre, tout y est réel. Sa science naïve méprise les recherches des savants et ignore leurs doutes : elle a, sur des points difficiles, des explications d’enfant ; mais elle est charmante par sa sincérité, par ses ressources d’invention, par la manière ingénieuse dont elle arrange tout, par le sentiment qui l’anime. Le spectacle de l’univers émerveille l’orateur, soit par sa beauté, qu’il décrit en poète, soit par l’adaptation des moyens à certaines fins dont il croit découvrir le secret. Il y a en lui du Fénelon et du Bernardin de S. Pierre, en bien comme en mal : une éloquence naturelle, douce, chaude, colorée, parfois élevée, et, avec cela, une ingéniosité confiante, qui fait sourire. Les plus petites choses lui sont sujet d’admiration ; il y voit des intentions qu’il note avec bonheur. Si la tige du blé est géniculée, c’est qu’elle doit supporter le poids de l’épi ; si celle de l’avoine ne l’est pas, c’est qu’elle ne risque point de plier sous sa panicule légère. Les barbes de l’épi ont leur raison d’étre, elles servent à tenir à distance les insectes nuisibles[125]. « Tout, s’écrie l’orateur, contient une sagesse cachée », πάντα ἐχει τινα σοφίαν ἀπόρρητον. Mais ces petites choses ne l’empêchent pas de voir les grandes ; et il y a du ravissement dans la peinture qu’il fait du monde sortant des mains de Dieu et tout couvert d’une végétation luxuriante. L’inspiration venue de la Bible s’unit tout naturellement, dans ses développements lyriques, à la grâce délicate et spirituelle de la Grèce ancienne.

Ce maître fin, aimable, tout préoccupé des besoins de son auditoire, se retrouve dans le discours sur la manière de profiter des auteurs profanes. Et nous voyons là, de plus, certains traits qui caractérisent sa manière propre dans la direction morale. L’étude de la question à discuter y est, à vrai dire, très superficielle. Sur le fond des choses, rien ou presque rien. On voudrait entendre dire à l’orateur que, seule en ce temps, la littérature grecque profane était capable de former l’esprit au raisonnement, de lui donner le goût du vrai et du beau, le sens de l’ordre, de la mesure et de la liberté, qu’enfin elle était indispensable pour le meubler d’idées et de connaissances, pour le mettre en contact avec l’humanité ; toutes choses que ni la Bible ni l’Évangile ne pouvaient faire. Basile était trop intelligent, il avait trop réfléchi, pour ne pas sentir au fond l’évidence de ces vérités. Mais il ne veut ni les faire voir, ni les voir lui-même. Avec une habileté, à demi inconsciente, qui se fait illusion à elle-même, il détourne ailleurs son attention et celle des jeunes gens qu’il veut instruire. Selon lui, les enseignements de l’Ancien et du Nouveau Testament sont trop éblouissants et trop profonds pour qu’on puisse les regarder d’abord. La littérature profane a pour office d’accoutumer les jeunes intelligences à la vérité, de leur donner une première teinture de la morale ; et voilà tout. On s’en sert ainsi, sans la glorifier. Quant à la manière même de s’en servir, Basile n’est guère plus précis en l’expliquant : il faut laisser le mal et prendre le bien ; mais qui fera ce choix ? comment ? Il ne le dit pas. Donc, la théorie fondamentale du discours est insuffisante, étroite, ou vague ; et, si on la scrute rigoureusement, on croit y sentir un esprit qui n’a pas toute sa liberté, ou qui manque de hardiesse. Mais il faut songer qu’un grand nombre de chrétiens zélés voulaient alors rejeter toute littérature profane[126]. Or Basile, sans les combattre en face, travaille à ruiner leur influence. Comme ces ennemis de l’antiquité se plaçaient surtout au point de vue moral, il fait de même. Et il montre comment cette littérature profane, qu’on décrie, est pleine d’exemples, de préceptes, de faits historiques ou d’anecdotes, qui sont propres à élever l’âme, à l’instruire de ce qui est bien et beau, à la libérer de ses servitudes naturelles, en un mot à préparer l’Évangile. Cette démonstration, il la fait d’un ton affectueux et familier, comme un père qui parle à ses enfants, sans pédantisme, avec une abondance agréable de souvenirs, de citations et d’exemples, laissant aller sa pensée en une sorte de causerie caressante, où la gravité du prêtre se mêle à la bonne grâce de l’homme d’esprit.

Il a le même art de plaire et d’animer toute chose, mais avec plus de liberté, plus de force et de véritable éloquence, lorsqu’il traite des sujets moraux. Là encore, on peut être tenté souvent de trouver qu’il ne va pas assez au fond des choses, qu’il ne cherche pas assez à découvrir la racine secrète des vices qu’il censure, qu’il n’éclaire pas d’une lumière aussi vive qu’un Bossuet ou qu’un Bourdaloue les replis cachés du cœur. Son intuition est plus rapide que profonde. Mais, si l’on fait de telles réflexions, c’est après coup. En le lisant, on est charmé par la vivacité de son imagination, qui met en scène les hommes avec leurs vices, qui décrit, en satires spirituelles et graves, les mœurs du temps, qui multiplie les peintures frappantes et vivantes, sans grossir les choses outre mesure. Il ne semble pas se complaire aux exagérations faciles. Plus simple que Grégoire de Nazianze, plus modéré que Chrysostôme, il ne parle que pour instruire, sans désir secret de se faire valoir, sans entraînement d’orateur enivré par sa propre éloquence. Mais, dans ce qu’il dit, il met toute son âme, sincère, ardente, généreuse, et, au fond, douce et indulgente dans sa véhémence même. « Quand je lis ses discours sur les mœurs et la manière de bien vivre, disait Grégoire de Nazianze, mon âme et mon corps se purifient ; je deviens comme un instrument harmonieux, qui, frappé par l’esprit, célèbre la gloire et la puissance de Dieu[127]. » Avec un peu trop de rhétorique, l’éloquent ami de Basile exprimait heureusement en : ces termes l’effet de sa parole. Elle est pleine d’une sorte d’inspiration qui se communique, elle tend à élever et à purifier, elle monte à Dieu comme par un mouvement naturel.

La collection des Lettres de Basile, dont nous avons déjà signalé l’importance historique, n’a pas une moindre valeur littéraire[128]. L’homme, dont nous venons de donner quelque idée, s’y retrouve tout entier, sous ses divers aspects. Tantôt il y fait de la théologie, tantôt il agit en faveur des causes qui lui tiennent au cœur ; il négocie, il flatte, il réprimande, il excite ; parfois aussi il se fait enjoué ou gracieux, pour une recommandation ou un compliment ; il sait prendre tous les tons, tout en dédaignant le bel esprit. Sa gravité naturelle a son charme en elle-même et n’a pas besoin de s’orner pour être agréable.

Le style de Basile, tout en portant la marque de son temps, est d’un écrivain de race et d’un maître. Il a les bonnes traditions classiques, mais il n’en est pas gêné. L’imitation, chez lui, est devenue naturelle ; elle n’arrête pas l’originalité du génie. Également plein des réminiscences de la littérature classique et de celles des Écritures, il mêle ces deux éléments avec une grâce et une aisance remarquables. Par l’allure de sa phrase et le choix ordinaire des expressions, par la clarté, le bon goût, le tour dégagé du raisonnement, il procède, comme Plutarque, des divers prosateurs attiques, dont il mélange les tons ; mais il se garde mieux que Plutarque du jargon des écoles philosophiques ; et il a, en outre, un instinct poétique, nourri par la Bible, qui donne à sa langue une couleur neuve. Ses formes de développement lui viennent des écoles de rhétorique du temps ; elles rappellent, à deux siècles de distance, celles de Dion de Pruse : il aime, comme lui, les comparaisons fréquentes, les images, les exemples, les traits descriptifs. Mais tout cela, chez Basile, n’est point artificiel ni frivole. Ce sont des moyens dont il se sert pour faire valoir des pensées sérieuses ; bien loin d’étaler son esprit, il s’oublie naturellement lui-même ; jamais on ne le voit jouer avec les idées. Toute vaine virtuosité lui est étrangère. S’il est séduisant, il est en même temps grave, et sincère. Entre les écrivains chrétiens du temps, c’est le plus simple, et le plus noble pourtant dans sa simplicité.

XI

Grégoire de Nazianze est inséparable de Basile, auquel il fut uni d’une tendre et inaltérable amitié. Rapprochés, en outre, par la communauté des idées et par la parenté du génie, associés constamment dans les mêmes efforts, engagés dans les mêmes luttes, ils diffèrent pourtant l’un de l’autre très notablement par le caractère et par le tour d’esprit. Basile était un homme d’action, que la solitude charmait quelque fois, mais qu’elle ne retenait pas ; Grégoire était un méditatif, un ami de la retraite et du silence, qui s’est donné par moment à l’action malgré lui et pour obéir à sa conscience, mais que l’action ne tardait pas à lasser.

Né d’une famille chrétienne, dans le domaine patrimonial d’Arianze, tout près de la ville de Nazianze, en Cappadoce, probablement en 330, il était, de quelques mois seulement, plus âgé que Basile. Lui aussi, il subit, dans son enfance, une influence féminine douce et profonde, celle de sa mère Nonna, qui prit une autorité durable sur sa nature tendre et docile. Au sortir de la maison paternelle, il fréquenta les écoles de Césarée, où il fit déjà connaissance avec Basile. Il y apprit, comme lui, à aimer les auteurs classiques, poètes et prosateurs. Bientôt il voyagea, allant étendre son instruction auprès des maîtres en renom, à Césarée de Palestine, à Alexandrie, et enfin à Athènes, où il dut séjourner de 350 à 360 environ. C’est là qu’il vécut dans l’intimité de Basile, et que se conclut définitivement entre eux le pacte d’amitié autrefois ébauché à Césarée.

De retour en Cappadoce, malgré le talent d’orateur qui s’était développé en lui par ses études, Grégoire, âgé d’environ trente ans, ne songeait qu’à vivre dans la retraite ; et il se partageait entre son domaine d’Arianze et la solitude du Pont, où son ami Basile se trouvait alors. Son père, Grégoire, évêque de Nazianze, qui voulait avoir en lui un auxiliaire, le décida à recevoir la prêtrise en 361 ; mais il fallut quelque temps pour lui faire accepter les obligations actives du ministère qu’on lui imposait. Pour s’y soustraire, il avait fui d’abord dans le Pont, auprès de Basile ; et ce fut seulement en 362 qu’il consentit à revenir à Nazianze. Pendant neuf ans, il y vécut auprès de son père, qu’il aidait. Mais, en 371, Basile, qui était archevêque de Césarée depuis un an, eut besoin de lui dans sa lutte de juridiction avec l’évêque Anthime de Tyane. Pour défendre sa frontière, il érigeait en évêché la bourgade de Sasima, objet de litige, et exigeait de son ami qu’il se laissât nommer évêque et qu’il en prît possession. Grégoire céda, comme il cédait toujours à ceux qu’il aimait. Mais ce qu’on attendait de lui répugnait trop à sa nature. Sasima, bourg bruyant et grossier, où avait lieu la perception des impôts, où retentissaient sans cesse les cris et les disputes, lui faisait horreur. Il s’enfuit de nouveau dans la solitude. Et quand, une seconde fois, les prières instantes de son père eurent réussi à l’en tirer, l’année suivante, ce fut à Nazianze qu’il revint, pour lui servir encore de coadjuteur. Il lui succéda sur son siège épiscopal en 374. Mais, au bout d’un an, Nazianze même lui devint insupportable ; et, abandonnant l’administration de son évêché, il alla vivre en solitaire à Séleucie d’Isaurie.

Ce fut là qu’il apprit en 379 la mort de Basile. À peine avait-il prononcé son éloge funèbre qu’une nouvelle et bien lourde charge lui était imposée. Les orthodoxes de Constantinople, longtemps opprimés par les Ariens, avaient repris courage, à la suite de l’avènement de Théodose (19 janvier 379), et ils l’appelaient à eux pour leur servir de chef. Grégoire vint, et, pendant deux ans, se dévoua à la tache pénible et dangereuse qu’il avait acceptée. Il avait à lutter chaque jour contre ses adversaires, au péril même de sa vie, à encourager les siens, à maintenir parmi eux la concorde, malgré les germes de divisions, à négocier avec l’autorité impériale. Grâce à son caractère et surtout à son éloquence, il y réussit en partie. En 381, le second concile œcuménique se réunit à Constantinople. Les premiers évêques arrivés désignèrent Grégoire pour occuper le siège épiscopal de la métropole, et il en prit possession ; mais bientôt il vit la régularité de son élection contestée par les nouveaux arrivants. Alors, découragé de la lutte, il se démit de sa récente dignité, en juin 381, et quitta Constantinople pour retourner a Nazianze. Il y venait résolu à se donner au soin de la communauté chrétienne, qui était restée longtemps sans chef, et il le fit en effet. Puis, en 383, ayant fait nommer enfin un autre évêque, il se retira définitivement de la vie active, à cinquante-trois ans. Ses dernières années se passèrent dans son domaine d’Arianze, ou il mourut vers 390.

L’œuvre de Grégoire se compose de discours, de lettres et de poésies.

Ses Discours subsistants sont au nombre de quarante-cinq qui se répartissent entre les diverses périodes de sa vie. Mentionnons seulement les plus importants : — L’Apologie pour sa fuite (Disc. no  2), Ἀπολογητικὸς τῆς εἰς τὸν Πόντον φυγῆς ἕνεκεν, dut être composée en 362, lorsque, récemment ordonné prêtre, Grégoire se décida, après s’être enfui dans le Pont, à revenir à Nazianze ; mais il l’augmenta plus tard, au point d’en faire une sorte de traité sur le sacerdoce, dont Chrysostome s’est inspiré dans son ouvrage sur le même sujet. — Les deux Discours de flétrissure (Στηλευτικοὶ) contre Julien, pleins d’emportement et de haine, ont été écrits peu après la mort de l’empereur, à la fin de 363 probablement ; il est douteux qu’ils aient été prononcés. — Devenu évêque, Grégoire composa, vers la fin de 373 sans doute, l’Éloge funèbre d’Athanase, mort cette année-là[129]. Six ans plus tard, il écrivait et prononçait l’Éloge funèbre de saint Basile, mort en 379. Au temps de son séjour à Constantinople appartiennent cinq discours célèbres, ceux qu’il appelle lui-même ses Discours de théologie (Οἱ τῆς θεολογίας λόγοι, Disc. nos 27-31), écrits qui l’ont fait surnommer « le théologien » par excellence. Ce sont des exposés de la doctrine orthodoxe, qui avait triomphé au premier concile œcuménique de 325 et qui allait s’achever dans le second, de 381. — Ses autres discours sont relatifs soit à des fêtes religieuses, soit à des points de croyance ou de morale chrétienne.

Les Lettres, au nombre de 243, appartiennent presque toutes à la période de retraite (383 à 390), par laquelle se termine la vie de Grégoire. Élégantes et courtes, elles se rapportent en général à des incidents privés ; et par là même, si elles ne nous apprennent que peu de chose sur l’histoire du temps, elles sont du moins de grand intérêt pour la connaissance de l’homme.

C’est aussi dans ses dernières années que Grégoire composa la plupart des Poésies qui forment environ la moitié de son œuvre. Dans une pièce Sur ses propres vers (Livre II, sect. i, 39), il nous apprend qu’en les écrivant, il s’était proposé d’offrir aux jeunes gens des poèmes moraux et religieux, afin que les chrétiens n’eussent rien à envier aux païens. Sans nier cette intention, puisqu’il l’affirme, il paraît difficile de croire qu’il n’ait pas eu pour but, avant tout, de se satisfaire lui-même, ayant le goût de méditer et la démangeaison d’écrire en vers. Les poèmes proprement dits, au nombre de cent quatre-vingt-cinq, ont été divisés par les éditeurs modernes en deux livres, Poèmes théologiques et Poèmes historiques, auxquels s’ajoutent cent vingt-neuf Épitaphes (Ἐπιτάφια) et quatre-vingt-quatorze petits morceaux gnomiques ou Épigrammes (Ἐπιγράμματα). Les plus intéressantes de ces compositions sont les poèmes historiques, c’est-à-dire ceux où Grégoire parle de lui-même, notamment le poème Sur sa propre vie, sorte de biographie, précieuse par les faits qu’elle note, et quelquefois attachante par les sentiments qu’elle exprime. Humaniste exercé, Grégoire a employé dans ses vers la plupart des mètres classiques, hexamètres, distiques, iambes, ioniques majeurs et brisés, etc. Dans deux morceaux seulement, rompant avec la tradition, il s’est essayé à la versification dite « rythmique », qui est fondée, non sur la quantité des syllabes, mais sur leur nombre et sur la place des accents (Ὕμνος ἑσπερινός, Poèmes, l. 1, sect. 1, 321 et Πρὸς παρθένον παραινετικός, l. I, sect. 2, 3.

Pour apprécier le génie de Grégoire de Nazianze, nous devons, tout de suite et résolument, faire bon marché de cette prétendue poésie[130]. Non qu’il n’y eût en lui un réel instinct de poète. Son âme, pensive et recueillie, aimante et mystique, sa sensibilité vive, son imagination brillante, auraient pu, si elles eussent pris de bonne heure cette direction, s’exhaler en méditations harmonieuses. Mais les habitudes de sa pensée et de son style, formées par l’art oratoire et la théologie, résistaient à l’inspiration. Sa phrase, nette, précise, antithétique, n’avait ni l’élan, ni la mollesse, ni la liberté qui conviennent au rêve. Quand le sujet demandait le laisser-aller, l’abandon de la pensée entraînée par les images, l’indécision charmante et fugitive des impressions, l’orateur qui était en lui tendait aux formules impérieuses, le moraliste aux instructions circonstanciées, le théologien aux distinctions abstraites et subtiles. Dans les passages où sa poésie est religieuse, elle a le tort de rappeler de trop près les canons des conciles ; dans ceux où elle est personnelle, elle hésite entre la chronique sèche et le sermon.

C’est donc à ses discours, uniquement, qu’il y a lieu de s’arrêter. Et sur ce sujet même, disons d’abord que, malgré son titre de « théologien », Grégoire, fût-ce dans ses exposés de théologie, ne montre pas plus que Basile, cette originalité forte du penseur qui crée des idées neuves ou transforme les anciennes par des aperçus propres. Comme philosophe, il n’a été qu’un disciple et un défenseur de la tradition. En lui, l’orateur seul a son originalité incontestable.

Son éloquence est moins simple que celle de Basile ; mais elle a plus d’ampleur et plus d’éclat. Basile s’oublie lui-même, il ne songe qu’à son sujet et au bien de ses auditeurs. Grégoire, chrétien tout aussi convaincu et prêtre aussi zélé, était pourtant par nature bien plus un « homme de lettres », et il n’a jamais cessé complètement de l’être. On sent, en l’écoutant, qu’il cherche à plaire, quelle que soit d’ailleurs l’élévation et la sincérité de son intention générale. Qu’il en ait conscience ou non, il y a toujours quelque coquetterie dans son art. Il aime l’antithèse ingénieuse et brillante, il se sert volontiers des figures qui font de l’effet, il conduit et organise sa phrase en artiste, pour l’oreille en même temps que pour l’intelligence. Le développement facile ne lui déplaît pas, alors même qu’il a plus d’agrément que de solidité. Trop charmé par l’élégance superficielle, il combine adroitement ses mots, comme il versifiait, par un goût naturel pour la symétrie ingénieuse. Volontiers aussi, il orne son expression ; il la veut poétique, sonore ; il est amoureux des images, des belles comparaisons, qu’il demande, s’il le faut, à la mythologie. Ce sont là des petitesses qui laissent trop voir en lui le disciple d’Himérios ; mais s’il importe de les signaler, il serait fort injuste de méconnaître ce qu’il y a de puissance naturelle et de génie sous cette forme un peu apprêtée.

Grégoire était une âme sincère, éclairée par une belle et lucide intelligence. Comme il a les défauts de son tempérament, il en a aussi les grandes qualités. Son Éloge funèbre de saint Basile, qui est peut-être son chef-d’œuvre, est vraiment un discours admirable. C’est un panégyrique, et pourtant l’orateur y parle avec son cœur. S’il ne craint pas de rappeler les quelques griefs qu’il a contre son ami, s’il ne peut lui pardonner complètement, même après la mort, de l’avoir nommé évêque de Sasima, comme il l’aime et comme il l’admire néanmoins ! Avec quel charme il rappelle leurs communs souvenirs d’Athènes ! Et s’il parle volontiers de lui-même, quel hommage il rend cependant à la supériorité de caractère qu’il sentait chez Basile ! Les détails familiers et précis abondent, mais les grands traits sont en pleine lumière. Il raconte avec grâce, avec sentiment ; et, quand il a fini de raconter, il juge de haut, il dégage les qualités maitresses avec la sureté d’un historien et l’émotion d’un ami. Ses dernières paroles ont été imitées par Bossuet dans son Oraison funèbre du prince de Condé, et elles méritaient de l’être. L’appel adressé à tous ceux auxquels Basile avait fait du bien est d’une ampleur et d’une plénitude remarquables ; et il y a quelque chose de singulièrement touchant dans la façon dont l’orateur éteint ensuite volontairement l’éclat de sa parole, pour finir sur une prière attendrie. Citons ces quelques lignes qui donnent assez bien l’idée de l’éloquence de Grégoire :

« Réunissez-vous tous ici, compagnons de Basile, ministres des autels, serviteurs du temple, et les citoyens et les étrangers ; secourez-nous pour achever son éloge, chacun de vous racontant une de ses vertus, s’attachant à un trait de sa vie. Regrettez tous, les grands un législateur, le peuple un guide, les savants un maitre, les épouses l’appui de leur vertu, les simples un conducteur, les esprits curieux une lumière, les heureux un censeur, les infortunés un consolateur, la vieillesse un soutien, la jeunesse une règle, la pauvreté un bienfaiteur, la richesse un dispensateur des aumônes. Il me semble que les veuves doivent célébrer leur protecteur, les pauvres l’ami des pauvres, tous, enfin, celui qui se faisait tout à tous, afin de gagner toutes les âmes.

Reçois cet hommage d’une voix qui te fut chère, d’un homme ton égal en âge et en dignité. Si mes paroles approchent de ce qui t’est dû, c’est grâce à toi : c’est par confiance en ton secours que j’ai entrepris cet éloge. Si je suis resté beaucoup au-dessous, pouvait-il m’arriver autre chose dans l’abattement où m’ont mis la vieillesse, les maladies et le regret de ta perte ? Mais le Seigneur agrée ce que nous faisons selon notre pouvoir. Pour toi, regarde-nous du haut des cieux, âme heureuse et sainte[131] ! »


Ces mêmes qualités se retrouvent, à des degrés divers, dans tous les discours de Grégoire. Son éloquence est personnelle et pourtant très religieuse. Nul ne mêle plus volontiers ses souvenirs et ses impressions à tous les sujets qu’il traite ; et alors même qu’il ne parle pas directement de ce qui le touche, il ne s’en abstrait jamais d’une manière complète. Le méditatif qui était en lui avait pris l’habitude de la vie intérieure, de l’entretien avec soi-même, et les idées qu’il avait à exprimer sortaient de son âme toutes pleines de tout ce qui faisait sa personnalité. Mais, comme, en se repliant sur lui-même, il y cherchait Dieu et l’y trouvait, c’étaient des impressions toutes religieuses qu’il en rapportait[132]. Voilà pourquoi les choses du dehors l’attirent médiocrement. Il est peu observateur des hommes en société, il ne peint guère leurs manières d’être, il ne fait pas de la satire morale ; on chercherait en vain, dans ses discours, ces tableaux de genre qui ont fait le succès d’autres prédicateurs. Sa psychologie est tirée de son expérience personnelle ; elle est simple et juste, plutôt solide que fine ou variée. En général, elle s’attache peu aux détails. L’esprit de Grégoire se concentre sur quelques pensées qui lui suffisent et qu’il développe avec une abondance de textes, de raisonnements et d’images. La dialectique se mêle en lui au lyrisme. Il se complaît dans le dogme, qu’il sait traduire en formules simples et neuves, ou ordonner en déductions bien liées ; mais il y met, en outre, de l’amour, de l’imagination, quelquefois de la grâce et de la grandeur. Dans l’exhortation chrétienne, il a une chaleur, mêlée d’onction, qui lui donne une force singulière. Son imagination lui représente les choses dont il parle, surtout celles de la foi, de telle façon qu’elles deviennent comme présentes. Mais il excelle particulièrement dans le développement très large des thèmes les plus simples, où, sur un fond de pensées essentielles, surgissent des sentiments dont il varie les nuances à profusion sans se lasser. La péroraison de son Discours d’adieu, prononcé quand il quitta Constantinople, a été citée avec raison par Villemain comme pleine « d’une émotion et d’une grâce infinie[133] ». C’est un des plus beaux exemples de ces épanchements à la fois lyriques et oratoires, où l’âme de celui qui parle semble vouloir se donner tout entière.

Par le style, Grégoire diffère aussi de Basile, tout en lui ressemblant. Ses expressions sont plus poétiques, sa phrase est plus ample et plus balancée. Il donne plus à l’imagination, il a plus de souci de la sonorité et de l’éclat. Les éléments essentiels sont pourtant les mêmes de part et d’autre, mais chez Grégoire les couleurs sont plus vives.


Au-dessous de ces deux grands noms, se place celui d’un des frères de Basile, Grégoire de Nysse. Théologien plus qu’orateur ou écrivain, s’il a une importance notable dans l’histoire ecclésiastique, il n’en a qu’une beaucoup moindre dans l’histoire littéraire. Nous pouvons nous contenter, en ce qui le concerne, de quelques indications sommaires[134].

Plus jeune que Basile d’une dizaine d‘années environ, il fut en partie élevé par lui. Après avoir hésité longtemps entre l’état ecclésiastique et la vie séculière, il devint prêtre et fut nommé par son frère, en 371, évêque de la petite ville de Nyssa, en Cappadoce. Il dut, sous le règne de Valens, y lutter énergiquement contre les Ariens. Dépouillé par eux de ses fonctions épiscopales, il n’en reprit possession qu’après la mort de l’empereur qui les protégeait, en 378. Son rôle grandit dans les années suivantes. Au concile de Constantinople, en 381, il paraît comme un des théologiens les plus écoutés de l’Orient, et il demeure, sous le règne de Théodose, une autorité en matière d’orthodoxie. Il disparaît ensuite, sans qu’on sache rien de ses dernières années, dans la fin du ive siècle.

Ses écrits, très nombreux, se rapportent surtout à l’exégèse, dans laquelle il se montre, bien plus que Basile et Grégoire de Nazianze, animé de l’esprit d’Origène, c’est-à-dire chercheur infatigable du sens spirituel et figuré. Polémiste et défenseur des dogmes, il a été un des soutiens de l’orthodoxie contre les diverses hérésies de son temps, en particulier contre l’Arianisme (Grande catéchèse, Λόγος κατηχητικὸς ὁ μέγας ; Discours contre Eunomios, en treize livres, Πρὸς Εὐνόμιον ἀντιῤῥητικοὶ λόγοι ; deux Discours contre Apollinaire ; etc.). Son Dialogue sur l’âme et la résurrection, entre sa sœur Macrina et lui-même (Περὶ ψυχῆς καὶ ἀναστάσεω ; ou τὰ Μακρίνια), écrit peu après la mort de Basile, nous montre en lui un philosophe en même temps qu’un croyant. On a aussi de lui plusieurs traités sur diverses questions relatives à la vie chrétienne (Sur la perfection, Περὶ τελειότητος ; Sur les fins conformes aux volontés de Dieu, Περὶ τοῦ κατὰ θεὸν σκοποῦ ; Sur la vie selon la vertu, Περὶ τῆς κατ’ ἀρετὴν ζωῆς ; etc.) ; et, en outre, une cinquantaine environ de Discours, dont quelques-uns, il est vrai, se rapportent encore au dogme, mais dont la plupart traitent de morale ; les autres sont des panégyriques, entre lesquels il faut mentionner l’Éloge de Basile, œuvre d’affection fraternelle en même temps que de piété, et l’Éloge de Macrina, sa sœur. Enfin la collection de ses écrits se complète par vingt-six Lettres.

La réputation de Grégoire de Nysse repose surtout sur son œuvre dogmatique. Il est probablement, entre les théologiens de ce temps, le plus philosophe, au sens propre du mot, c’est-à-dire celui qui a eu le plus le goût de la recherche, celui qui pense avec le plus de suite et d’ampleur et qui construit les plus larges théories. Homme simple et bon, de peu de sens pratique[135], tout adonné aux constructions idéales de l’esprit, il se plaît aux abstractions, au milieu desquelles il se joue avec une dialectique subtile. Sans s’écarter du dogme, qui est pour lui la vérité même, il aime à donner carrière à la raison, à multiplier les explications, à spéculer sur l’inconnu. De là, une variété d’aperçus, plus ou moins hasardés, mais personnels et intéressants, qui donnent à sa théologie une physionomie très particulière. Comme orateur, Grégoire de Nysse a, bien plus que Basile et même que Grégoire de Nazianze, les défauts de son temps, sans doute parce que l’éloquence, chez lui, est bien plus affaire d’artifice. Dépourvu par nature du don d’émouvoir, ainsi que de celui de peindre et d’animer, il y supplée trop souvent par l’enflure et par les procédés de la rhétorique.

XII

Ces trois hommes, remarquables à divers titres, ont fait le plus grand honneur à la province de Cappadoce, leur commune patrie. Mais ils n’ont pu enlever à Antioche sa supériorité littéraire au milieu de l’Orient grec. Et de même qu’elle tient le premier rang dans l’exégèse avec Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste, elle se l’assure également dans l’éloquence religieuse, pendant la seconde moitié du siècle, avec Jean surnommé Chrysostôme (Bouche d’or). Celui-ci est la plus grande figure d’orateur apostolique que le christianisme grec ait produite, et, à ce titre, il mérite d’être étudié ici un peu moins sommairement[136].

Né à Antioche entre 344 et 347, Jean était issu d’une famille riche et considérée[137]. Il perdit de bonne heure son père, Secundus, et fut élevé par sa mère, Anthousa. Un peu plus tard, il suivit, dans sa ville natale, les leçons de philosophie d’Andragathios et les leçons d’éloquence de Libanios[138]. Sous l’influence de ce dernier, sans doute, les remarquables aptitudes oratoires du jeune homme se développèrent rapidement. Bientôt il en fit l’essai au barreau, où le succès ne put lui échapper. Spirituel et brillant, il fréquentait alors le monde et se plaisait même au théâtre[139]. Mais cette période profane fut de courte durée. Ses réflexions personnelles et les conseils d’un ami intime, nommé Basile, dont il nous parle avec beaucoup de charme, le tournèrent très jeune encore vers l’ascétisme[140]. Il semble l’avoir pratiqué d’abord sans quitter Antioche, vivant chez lui d’une vie austère, s’adonnant à l’étude et à la méditation des Écritures, et suivant les leçons de Diodore et de Cartérios, en compagnie de Théodore, le futur évêque de Mopsueste. Sa haute réputation, la situation de sa famille, l’influence de ses amis le désignaient dès lors pour l’épiscopat[141] ; mais il sut se dérober à cet honneur, tout en le faisant conférer à son ami Basile. Lui-même, quittant la ville vers 375, se retirait dans les montagnes qui l’avoisinaient, et il y passait d’abord quatre ans sous la direction d’un vieux moine, puis deux ans, seul, dans une grotte[142]. C’est à cette première période de sa vie religieuse, entre 370 et 381 environ, période de retraite et d’ascétisme, qu’appartiennent plusieurs traités dont nous parlerons plus loin. On y sent, sous la beauté de la forme, un manque de mesure, une certaine exagération de doctrine, qui trahissent, en dehors d’une tendance naturelle, l’intransigeance et la logique outrée d’un esprit que la vie n’a pas encore mûri.

En 381, Jean, revenu à Antioche et âgé d’environ trente-cinq ans, est ordonné diacre par l’évêque Mélèce : cinq ans plus tard, l’évêque Flavien fait de lui un prêtre. Pendant plus de dix ans, jusqu’en 397, il vit à côté de lui, exerçant sous sa conduite le ministère de la parole. Ce temps passé à Antioche, soit comme diacre, soit comme prêtre, est celui de sa plus féconde activité. De trente-cinq à cinquante ans environ, il se donne à l’instruction morale et religieuse des fidèles. La plupart de ses Homélies datent de ces quinze ou seize années, et c’est alors que ce genre prend dans sa bouche toute sa valeur. L’autorité de sa parole sur le peuple d’Antioche était immense. On le vit particulièrement en 387, lors de la sédition qui exposa la métropole de l’Orient à la colère de Théodose. Tandis que l’évêque Flavien allait trouver l’empereur pour l’apaiser, ce fut Jean qui, pendant plusieurs semaines d’angoisses cruelles, soutint les courages, modéra ces âmes mobiles et agitées, et leur permit d’attendre avec quelque calme un pardon longtemps inespéré. Mais, en dehors même de cette crise, son influence moralisatrice s’exerçait constamment. Une expérience croissante, sans supprimer en lui tous les excès d’un zèle ardent et d’une doctrine absolue, les atténuait cependant et rendait sa parole de plus en plus appropriée à sa destination. Devenu le premier orateur de l’Orient, et ayant conscience de sa force, il dépensait toute son éloquence en une prédication pratique, qui visait à l’amélioration des mœurs ; et dans cette grande ville, voluptueuse, frivole, pleine d’agitations, de jalousies, de convoitises de toute sorte, il représentait, avec une autorité incomparable, l’idéal de l’Évangile.

Il eût été à souhaiter pour lui qu’il y restât. Mais, à la fin de 397, le siège métropolitain de Constantinople étant devenu vacant par la mort du patriarche Nectarios, l’empereur Arcadius, sous l’influence de l’eunuque Eutrope, fit élire, pour le remplacer, Jean d’Antioche, dont la renommée était venue jusqu’à lui. C’était un choix malheureux. Il fallait à Constantinople un homme d’un tout autre caractère. Des difficultés de toute sorte y entouraient le patriarche : un empereur faible, une impératrice mobile et vindicative, mille intrigues de cour, un clergé divisé, des jalousies ardentes et cachées, un peuple toujours prêt à s’agiter. Dans ce milieu, un évêque, quelque décidé qu’il fût à faire son devoir, devait cependant user de prudence, procéder lentement et avec méthode, fermer les yeux sur les petites choses, tenir compte des impossibilités, se montrer patient autant que résolu, et surtout éviter de se poser en face de la cour, ou même de se laisser représenter par la malveillance, comme une sorte de tribun. Or Jean était un apôtre, imprudent à force de zèle, incapable des concessions les plus nécessaires, habitué à tout dire, étranger aux difficultés du gouvernement des hommes. Avec son admirable éloquence, qui l’enivrait lui-même, avec sa foi ardente et sa doctrine inflexible, il avait tout ce qu’il fallait pour échouer là d’une manière tragique, et il échoue en effet.

Intronisé le 26 février 398, il entrait en conflit presque aussitôt avec le tout-puissant Eutrope, qui l’avait choisi. D’ailleurs, dès l’année suivante, lorsqu’une brusque disgrâce eut renversé le favori et faillit le livrer à la fureur du peuple, Jean, aussi généreux qu’il avait été hardi, le défendait, en revendiquant pour son église le droit d’asile. Mais la chute d’Eutrope livrait l’empereur à l’influence de sa femme Eudoxie ; et, comme Jean ne pouvait pas ne pas être en opposition avec la puissance du jour, c’était désormais entre l’impératrice et lui que la lutte s’engageait, tantôt sourde, tantôt violente.

La hardiesse de ses prédications, presque révolutionnaires, contre le luxe, les mauvaises mœurs, la dureté des riches, lui gagnaient le peuple, qui d’ailleurs admirait la simplicité de sa vie, son éloquence et son courage ; mais elle lui créait en même temps des ennemis nombreux, qui épiaient les occasions de le perdre. Déjà, il avait eu des contestations avec l’impératrice sur des questions de propriété. On n’eut pas de peine à persuader à Eudoxie que les censures de Jean s’adressaient à elle, car elles s’appliquaient certainement à son entourage. Dès lors, elle prêta la main à toutes les intrigues ourdies contre lui. Le patriarche d’Alexandrie, Théophile, homme autoritaire, en voulait depuis longtemps à Jean, pour avoir accueilli avec faveur des moines origénistes qu’il avait chassés d’Égypte. À l’instigation d’Eudoxie, ces griefs furent réveillés ; d’autres, ramassés çà et là dans le clergé, s’y ajoutèrent. L’archevêque fut cité, en août 403, devant un synode de trente-six évêques, choisis entre ses ennemis, et réunis à Chalcédoine dans un domaine appelé le Chêne (conciliabule du chêne, σύνοδος ἐπὶ δρῦν)[143]. Jean refusa de comparaître, à moins qu’on n’écartât du synode quatre de ses ennemis notoires. Le prétendu tribunal passa outre ; il déposa l’archevêque, en l’accusant, par surcroit, de lèse-majesté, pour avoir appliqué à l’impératrice, sous forme d’allusion injurieuse, le nom de Jézabel. Arcadius confirma la sentence de déposition et y ajouta la peine de l’exil.

À celle nouvelle, une vive émotion s’empare du peuple, qui commence à s’agiter. Jean, très noblement, s’emploie à le calmer, et, de lui-même, se met en route pour l’exil. Mais le peuple ne s’apaisait pas, et la cour inquiète sentait se préparer une sédition, lorsqu’un tremblement de terre eut lieu pendant la nuit. La superstitieuse Eudoxie en fut épouvantée ; saisissant ce prétexte qui permettait de donner satisfaction au peuple tout en ne paraissant céder qu’à Dieu, elle fit rappeler l’archevêque et lui écrivit elle-même une lettre de soumission. Jean, qui était déjà en Bithynie, revint triomphalement[144].

Ce triomphe même présageait sa perte. En vain, une réconciliation eut lieu ; en vain, on échangea les meilleures assurances. Sa popularité le rendait redoutable. D’ailleurs, il n’était pas homme à user désormais de plus de prudence. Quelques mois après, vers la fin de 403, à l’occasion de l’érection d’une statue de l’impératrice sur une place publique qui touchait à l’église principale, des réjouissances eurent lieu, dont le caractère païen lui parut offensant pour la religion. Il somma le préfet de les faire cesser. Le conflit recommençait ainsi sous une forme plus personnelle. L’impératrice, blessée au vif, voulut cette fois aller jusqu’au bout. Il n’est pas sûr que Jean ait réellement prononcé les paroles célèbres qu’on lit aujourd’hui en tête d’une homélie qui porte son nom : « De nouveau, voici Hérodiade en délire, de nouveau elle se met en fureur, de nouveau elle danse, de nouveau elle veut qu’on lui apporte la tête de Jean sur un plat[145]. » Mais, à défaut de ces paroles, il y en avait assez d’autres dans ses discours, qu’on pouvait interpréter comme autant d’allusions. Eudoxie fit soulever, par les évêques qui lui obéissaient, une protestation contre le rétablissement du patriarche ; et, comme il refusait de cesser ses fonctions, il fut d’abord gardé à vue chez lui, puis, vers le milieu de 404, enlevé violemment de son église et conduit en exil.

Des scènes violentes eurent lieu à Constantinople. Un incendie, qu’on imputa aux partisans de l’exilé, dévora les bâtiments attenant à la cathédrale et l’église elle-même. En tout cas, ses amis, parmi lesquels il y avait certainement des exaltés, continuèrent à former une faction inquiétante qu’on appelait les Johannites, et qui se refusait à reconnaître un autre chef ecclésiastique que lui. Mais leurs efforts ne parvinrent pas à le faire rappeler. Relégué sur les confins de l’Arménie, à Cucusse, après un voyage qui fut un long supplice, Jean vécut là trois ans encore, toujours énergique malgré ses misères, s’occupant de diriger des missions en Phénicie et en Cilicie, et correspondant avec ses amis d’Antioche et de Constantinople. Arraché de ce lieu d’exil en 407 pour ètre transporté ailleurs, il mourut d’épuisement sur la route, à Comana, en Cappadoce. Ses restes ne furent rapportés à Constantinople que vingt-et-un ans plus tard, par Théodose II, fils d’Eudoxie.

XIII

La collection extrêmement considérable des œuvres de Chrysostome comprend trois sortes d’écrits : les traités, les discours, les lettres. Donnons d’abord un aperçu des sujets auxquels ils se rapportent et de leur ordre chronologique.

Les traités sont, à proprement parler, des instructions ou consultations de morale religieuse, à propos de circonstances diverses. Les plus anciens semblent être les deux Discours à Théodore après sa chute (Εἰς Θεόδωρον ἐκπεσόντα), qu’on suppose sans preuve décisive avoir été adressés, entre 370 et 375, à Théodore de Mopsueste, lorsqu’il eut la velléité de renoncer à la vie ascétique. On rapporte au même temps les deux livres Sur la Pénitence (Περὶ κατανύξεως), animés du même esprit. Vers 375 ou 376, les tentatives de Valens contre l’institution monastique et l’agitation d’opinion qu’elles soulevaient parmi les chrétiens et les païens semblent avoir donné lieu aux trois livres si passionnés Contre les adversaires de la vie monastique (Πρὸς τοὺς πολεμοῦντας τοῖς ἐπὶ τὸ μονάζειν ἐνάγουσιν). Un peu plus tard, mais probablement encore avant de quitter la solitude, Jean composa ses trois discours de consolation À Stagire, destinés à calmer le trouble maladif d’un esprit qui avait cru trouver la paix au sein de la retraite et qui s’y consumait dans l’inquiétude (Πρὸς Σταγείριον ἀσκητὴν διαμονῶντα). — Devenu diacre, puis prêtre, il continue à écrire comme il l’avait fait étant moine. Les six livres Sur le sacerdoce (Περὶ ἱερωσύνης), qui sont considérés à bon droit comme une de ses plus belles œuvres, furent publiés, selon Socrate (Hist. ecclés., VI, 3), en 381. Du même temps sont les deux traités À une jeune veuve (Εἰς νεωτέραν χηρεύσασαν) et Contre les seconds mariages (Περὶ μονανδρίας). Le livre plus développé Sur Le célibat (Περὶ παρθενίας) semble avoir été composé un peu plus tard. À cette période encore appartiennent deux ouvrages de polémique : le Discours sur Saint Babylas, de 382, adressé aux païens, en vue de leur démontrer la puissance divine du christianisme par l’humiliante défaite que Saint Babylas avait infligée à Julien, lorsque celui-ci voulut déplacer ses restes ; et la Démonstration de la divinité du Christ à l’adresse des Juifs et des Hellènes (Πρὸς τε Ἰουδαίους καὶ Ἕλληνας ἀπόδειξις ὅτι ἐστὶ θεὸς ὁ Χριστός) probablement publiée vers 387. Malgré le nombre de ces traités, il est manifeste que, dans cette seconde période, Jean écrit moins, parce qu’il s’adonne surtout à la prédication. — Comme patriarche de Constantinople, c’est aussi par la parole surtout qu’il agit. Toutefois, il compose alors ses curieux opuscules À ceux qui entretiennent chez eux des vierges (Πρὸς τοὺς ἔχοντας παρθένους συνεισάκτους) et Sur l’inconvénient pour les femmes consacrées à Dieu d’habiter avec des hommes (Περὶ τοῦ τὰς κανονικὰς μὴ συνοικεῖν ἀνδράσι), où se manifeste si vivement le zèle de réforme qu’il déployait dans la direction de son église. — Enfin, relégué en Arménie, âgé et souffrant, il écrit encore deux traités : Que personne ne peut nuire à qui ne se fait pas tort à lui-même ('Ότι τὸν ἑαυτὸν μὴ ἀδικοῦντα οὐδεὶς παραβλάψαι δύναται) et À ceux qui se scandalisent des épreuves qui sont survenues (Πρὸς τοὺς σκανδαλισθέντας ἐπὶ ταῖς δυσημερίαις ταῖς γενομέναις).

Les discours proprement dits, comprenant toute la série des Homélies, forment un ensemble bien plus étendu que ces traités. Malheureusement, on ne peut guère douter que cet ample recueil ne contienne un trop grand nombre de morceaux faussement attribués à Chrysostome, et la critique n’a pas encore distingué avec assez de méthode ce qui doit être accepté comme authentique de ce qui doit être rejeté comme apocryphe. Ces homélies embrassent toute l’admirable suite des prédications de Jean, soit à Antioche, soit à Constantinople. Les unes sont plus spécialement exégétiques, les autres plus inspirées par les circonstances. Mais il est difficile de fonder sur cette distinction un classement rigoureux ; car lorsque Jean explique les Écritures, il a toujours en vue le profit moral de ses auditeurs ; et, d’autre part, lorsqu’il parle des choses du jour, c’est presque sans exception en s’appuyant sur des textes qu’il commente. Les plus renommés de ces discours sont les Homélies Sur les Psaumes, Sur l’Épître aux Romains, le sermon Contre les jeux du cirque et les théâtres, sept homélies Sur les louanges de l’apôtre saint Paul, les deux Catéchèses avant le baptême, vingt-et-une homélies Sur les statues, adressées en 387 au peuple d’Antioche après la sédition et en attendant la décision de l’empereur, deux Sur Eutrope, prononcées à Constantinople en 398 après la chute du favori, enfin les deux discours Avant son départ pour l’exil, de 403, et Après son retour de l’exil, de la même année.

Les Lettres, au nombre de 238, appartiennent presque toutes à la période de l’exil. Écrites, pour la plupart, de Cucusse, elles s’adressent aux amis nombreux que l’évêque avait laissés derrière lui, soit à Antioche, soit à Constantinople, en particulier à la diaconesse Olympia, et elles ont pour objet de soutenir leur courage par des considérations de piété. Si elles nous apprennent peu de chose sur les événements du temps, elles montrent sous le plus noble aspect le caractère de l’exilé, aussi incapable de faiblesse que de haine. Quelques autres ont trait aux missions qu’il encourageait ou projetait ; malgré la vieillesse et la proscription, son zèle s’y laisse voir aussi ardent que jamais.

XIV

Dans cette œuvre immense, Chrysostome a fait peu de théologie, mais beaucoup de morale. C’est comme moraliste et comme orateur qu’il appartient à l’histoire littéraire.

Ce qui frappe d’abord dans son éloquence, c’est la vive représentation des mœurs et des choses du temps[146]. Nullement rêveur ni contemplatif, toujours préoccupé du bien à faire, et, avec cela, doué d’un regard prompt et clairvoyant, il a dû, dès sa jeunesse, jeter les yeux autour de lui ; et à mesure qu’il s’est montré plus attaché par profession à l’amélioration de ses frères, il a été amené à noter avec plus de précision les défauts, les vices, les habitudes mauvaises, les préjugés sociaux, les excuses communes, et, d’une manière générale, la contradiction secrète, mais incessante, que le monde opposait au christianisme tel qu’il l’avait conçu. C’est là le point de vue spécial d’où il regarde les choses. De curiosité morale, à proprement parler, il n’y en a pas en lui ; il n’observe pas les hommes pour le plaisir de les connaître ou de les décrire ; seul, le désir de les corriger le possède et l’absorbe. Et si, par suite, l’observation est chez lui moins variée, moins complexe, moins riche en aperçus que chez les moralistes plus libres qui la cultivent pour elle-même, elle est en revanche plus méthodique et plus forte. À Antioche comme à Constantinople, il n’a pas cessé un seul jour de chercher, d’un regard obstiné, tout ce qui pouvait faire obstacle à la sanctification soit dans l’individu, soit dans la famille, soit dans la société. Et comme sa franchise égalait sa clairvoyance, il a dit avec la liberté d’un apôtre ce qu’il avait découvert avec le zèle d’un censeur. Il en résulte que presque toute la société du temps revit dans ses peintures. Nous y voyons ses vices généraux sous la forme qu’ils prenaient en Orient, le goût des plaisirs, l’immoralité, la passion des jeux et des spectacles, l’amour du luxe, l’égoïsme de la richesse ; nous y relevons aussi avec intérêt des traits plus particuliers, la frivolité des auditoires religieux, le laisser-aller de certains membres du clergé, les sollicitations et les intrigues des femmes qui les assiégeaient, les propos malveillants qui circulaient jusque dans la communauté chrétienne. Aucun prédicateur, en aucun temps, n’a saisi aussi vivement que lui la réalité contemporaine, et, par conséquent, aucun ne la fait mieux connaître.

Hardies et variées, ces peintures semblent d’ailleurs des peintures fidèles. L’orateur, qui est enclin à l’exagération dans la doctrine, ne paraît pas l’être dans ses descriptions. Visant, comme il le fait, à corriger, il manquerait à son dessein, s’il exagérait. D’ailleurs, il n’y a chez lui ni goût sensible de l’hyperbole dans l’expression, ni recherche de l’esprit. Tout ce qu’il dit est précis ; il prend à témoin ses auditeurs ; il leur met sous les yeux des choses qu’ils doivent reconnaître. L’abondance des détails n’est pas destinée à augmenter l’effet du tableau, mais bien à serrer de plus près la ressemblance. S’ils eussent été groupés autrement, ils auraient constitué des portraits ; mais alors l’instruction eût fait place à la satire. L’orateur chrétien se garde de créer ainsi des personnages sur lesquels on mettrait des noms ; il étudie les vices séparément, à l’aide d’observations dont il a pris partout la matière ; tous les vicieux y contribuent, chacun pour sa part ; et ainsi le profit peut être pour tous, sans qu’il y ait de flétrissure pour personne.

Mais le moraliste qui est en lui ne se contente pas de décrire, il raisonne ; et cela avec une clairvoyance logique, qui ne se laisse ni embarrasser ni tromper. Ses discussions sont aussi serrées que ses descriptions sont précises et frappantes. Il sait très bien qu’il ne suffit pas de signaler le vice, et qu’on n’a rien fait, si on ne lui enlève les excuses qu’il ne manque pas de se donner à lui-même. La censure de Chrysostome est donc une censure active, qui combat, qui ne se laisse pas détourner ni repousser, qui veut se faire accepter tout entière, quoi qu’on fasse pour l’éluder. Dans cette sorte de lutte, ses ressources sont merveilleuses. Il devine les prétextes, il les dégage, il leur donne toute leur force, en beau joueur qui ne veut pas vaincre par la maladresse de son adversaire, ou plutôt en champion dévoué de la vérité, qui n’estime que les victoires complètes et définitives. Cette chasse aux mauvaises raisons est pour lui une occasion de découvrir à chaque instant des aspects nouveaux du sujet. Quand il prend corps à corps une habitude enracinée, il ne la quitte pas qu’il n’en ait montré toutes les faces et signalé toutes les conséquences. Un simple opuscule, tel que le traité Contre ceux qui entretiennent chez eux des vierges, le révèle tout entier. Il discute là, non pas avec des gens qui font le mal, mais avec des gens qui aiment la tentation. Et il s’agit de leur faire voir ce qu’ils ne veulent pas voir, de leur faire avouer ce qu’ils ne s’avouent pas à eux-mêmes. Tout ce qu’il dit est si simple qu’il semble n’avoir besoin, pour le dire, que de bon sens et de bonne foi. Qu’on y regarde pourtant de près : on verra ce qu’il y a, dans ce bon sens et cette bonne foi, d’expérience fine, de clairvoyance, de prudence avisée, et combien ces aperçus sont liés entre eux.

Ces qualités de premier ordre feraient de Chrysostome un moraliste tout à fait supérieur, si sa morale elle-même était d’ailleurs plus large. Ce qui lui fait tort, c’est que la tendance profonde de son esprit et de son caractère, au lieu de le porter à développer dans le christianisme ce qui est vraiment universel, l’a conduit au contraire à s’enfermer dans un ascétisme dont l’autorité ne pouvait être que locale et temporaire. On est peiné de voir cette nature généreuse et ce puissant esprit s’attacher à démontrer avec passion que la vie du moine est l’idéal même de la vie chrétienne, qu’en dehors d’elle le salut est à peine possible, que le mariage est un état inférieur, un préservatif contre le péché, indigne des natures vraiment fortes, que d’ailleurs les vertus des hérétiques et des infidèles non seulement ne sont pas des vertus, mais qu’elles doivent être jugées pires que les vices eux-mêmes[147]. De tels démentis donnés à la raison, à l’humanité, à l’instinct social, ont quelque chose d’attristant. Sans doute, ils appartiennent surtout aux ouvrages de jeunesse de Chrysostome ; sans doute aussi, ils peuvent être en partie expliqués par l’histoire du temps ; mais cela n’empêche pas qu’ils ne subsistent avec ses écrits, qu’on ne les retrouve à peine atténués dans toute son œuvre et qu’ils ne la compromettent tout entière. Ce qu’il faut dire, du moins, c’est que cette œuvre, avec ses exagérations, représente fortement un idéal apostolique qui a exercé une profonde influence en son temps et au delà, et qu’en somme, dans sa chimère d’intransigeance, elle procède d’une âme peu commune.

Par son éloquence, en tout cas, elle s’impose à l’admiration. Chez bien peu d’hommes, la faculté oratoire s’est montrée aussi spontanée et aussi puissante que chez Chrysostome ; et, chez peu d’hommes aussi, elle a été cultivée avec plus de succès. Une nature riche, douée de tout ce qui fait le grand orateur, raison vigoureuse et subtile, imagination, sentiment ; et, avec cela, une éducation achevée, qui a fait passer en lui toute la tradition classique ; l’art des Démosthène et des Isocrate, surajouté à un génie heureux et abondant, de manière à lui faire développer toutes ses ressources en les réglant et en les coordonnant dans une pleine harmonie. De là est sortie une éloquence qui sans doute est loin d’être exempte de défauts, mais qui a passionné ceux qui l’entendirent, et qui nous captive encore, même refroidie.

Si l’on essaye d’en dégager d’abord l’élément essentiel, c’est l’argumentation qu’il faut signaler. Comme tous les grands orateurs, Chrysostome est un homme qui a le besoin et la passion de prouver. La dialectique est en quelque sorte l’exercice naturel de son esprit : toute démonstration à faire devient un objet prochain qui l’attire, qui s’empare de lui, le passionne, met toutes ses facultés en mouvement. L’invention est vraiment étonnante dans son discours, et, comme nous avons vu qu’elle s’appuyait sur l’observation, sur la connaissance précise des choses de la vie, elle est en général aussi solide que variée. Quelquefois, il est vrai, cette faculté, chez lui, touche à l’excès. Ses preuves seraient plus fortes, semble-t-il, s’il y en avait moins. Certaines démonstrations auraient même dû être complètement éliminées : il a l’air, en plusieurs occasions, de faire la partie trop belle à ses adversaires pour se donner à lui-même le plaisir de la difficulté, tant il est sûr d’en sortir à son honneur ; curieux indice d’un goût d’ostentation inconsciente, où se trahit l’influence de la sophistique[148]. Mais ce ne sont là que des défauts passagers. Ordinairement, les arguments sont de bon aloi, vraiment tirés du sujet, fondés sur la vérité ou tout au moins sur les convictions de l’orateur, et ils surgissent avec une abondance extraordinaire. Ceux qui viennent de la vie et ceux qui viennent des textes de l’Écriture se mêlent, se confirment, se font valoir mutuellement. Sous ce tissu varié court une pensée active, pressante, infatigable, mais méthodique et maîtresse d’elle-même, qui n’a point de caprices ni d’écarts, qui sait son but et ne le perd jamais de vue. Chaque point important est touché : tout se développe avec aisance, ampleur, sans digressions, et la démonstration marche d’une belle allure par des routes simples et droites.

Chemin faisant, elle fait apparaître d’ailleurs bien des qualités vives et originales. Chrysostome est celui des docteurs chrétiens qui a le plus complètement libéré l’homélie des habitudes didactiques. Chez lui, elle est devenue une simple allocution, tantôt grave, élevée, vraiment éloquente, tantôt familière et spirituelle. Avec une liberté charmante, elle passe du ton du lyrisme à celui de la causerie. Ici, prenant la forme d’une satire, elle abonde en traits piquants et malicieux, même en moqueries ; là, elle ressemble presque à un entretien tout intime : l’orateur pose des questions, s’adresse à chacun en particulier, répond pour ceux qu’il interroge, presse les hésitants, arrache des aveux. Son discours est plein de vie, tout en mouvement, parce que sa parole suit avec docilité les impulsions de son âme et parce que l’homme s’y laisse voir à découvert.

Cette trame de démonstration, l’imagination et le sentiment la pénètrent et la colorent. Il voit ce qu’il décrit et il le fait voir ; mais surtout, il s’y intéresse, il le prend à cœur. Un amour vraiment chrétien échauffe sa dialectique, un amour qui revêt mille formes selon les occasions : appel à la charité, pitié, inquiétude, zèle à consoler, à corriger, à éveiller les craintes efficaces, comme aussi à susciter les espérances, à ramener la paix dans les âmes troublées. Quand les circonstances y sont propices, cette parole toute vivante a des accents magnifiques : elle atteint la grandeur sans effort, parce qu’elle y monte sans calcul. Il est impossible de n’être pas touché, lorsqu’en présence d’Eutrope, son ennemi de la veille, maintenant humilié et proscrit, maintenant abattu au pied de l’autel qui protège seul sa vie, il médite, avec une gravité simple, sur la parole de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, et tout n’est que vanité ». Mais il est impossible aussi de n’être pas exalté, lorsque, composant le discours de l’évêque Flavien devant Théodose offensé, il commente, en interprète d’une puissance supérieure à celle des rois, cet avertissement tendre et sublime du maître : « Si vous êtes indulgents pour les autres, le Père qui est dans les cieux vous sera indulgent à vous-mêmes ». L’abondance naturelle de son discours enveloppe ces grandes pensées dans une draperie ample et magnifique, toute faite de sentiments vrais, sans vaine déclamation, sans pompe déplacée, sans emphase. La simplicité qui fait ressortir les grandes choses se retrouve là, presque au même degré que dans les œuvres classiques.

Toutefois, l’impression dernière que laisse l’éloquence de Chrysostome est plutôt, il faut bien le dire, celle d’une admirable improvisation que d’un art achevé. Son style, clair, animé, fin et coloré, élégant, riche en images et en traits, a une tendance à la diffusion. Chaque idée y est presque toujours présentée sous plusieurs formes. La facilité de l’invention verbale rend l’orateur trop peu exigeant pour lui-même : en variant l’expression, il croit varier la pensée, et en réalité il se borne à la répéter. Il est vrai qu’il le fait en termes excellents, usant tantôt du mot propre, tantôt de vives métaphores, tantôt d’ingénieux synonymes : toutes les ressources de la langue sont à sa disposition, mais il les prodigue, et cette abondance n’est pas sans monotonie. Sa composition ressemble à son style. Il est rare qu’on sente sous ses développements un plan étudié. Il évite la confusion parce que son esprit est naturellement clair et ordonné. Mais l’ordre dont il se contente n’est que superficiel et comporte une extrême liberté dans le détail. Il traite souvent dans le même discours plusieurs idées qui n’ont aucun rapport sensible les unes avec les autres, et, s’il ne les mêle pas, il ne cherche pas non plus à les lier ensemble. Ce laisser-aller, qui sent la causerie, n’est pas dénué de charme ; c’est un aimable défaut chez un homme qui a toujours quelque chose d’intéressant à dire, mais c’est pourtant un défaut. Le discours y perd en force ; car il ne tend pas à un but unique, et, au lieu de progresser régulièrement, il recommence à plusieurs reprises, au risque de lasser l’attention.

Ces défauts d’ailleurs ne doivent pas être trop regrettés. Si Chrysostome avait eu un souci plus scrupuleux de l’art, il aurait eu sans doute, étant donné le goût du temps, moins de naturel et de sincérité. Tel qu’il est, il fait sentir, autant que personne, la vertu persuasive dont la parole humaine est capable, quand elle vient d’une âme ardente, quand elle est au service d’un noble idéal, quand elle est soutenue par la raison et embellie par l’imagination. Chrysostome, comme l’a dit Villemain, est « le plus beau génie de la société nouvelle entée sur l’ancien monde. Il est, par excellence, le Grec devenu chrétien[149]. »


  1. Chrysostome (Disc. contre les advers. de la vie monastique, p. 42, Didot) représente un père qui tient à son fils ce langage : Ὁ δεῖνα ταπεῖνὸς ϰαὶ ἐϰ ταπεινῶν, τῆν ἀπὸ τῶν λόγων ϰτησάμενος δύναμιν, ἦρξε μεγίστας ἀρχας, πλοῦτον ἐϰτήσατο πολὺν, γυναῖϰα ἔλαϐεν εὔπορον, οἰϰίαν ᾠϰοδόμησε λαμπὰν, φοϐερός ἐστιν ἅπασι ϰαὶ ἐπιδοξος.
  2. Sur cette vie scolaire du ive siècle, on lira avec profit l’étude de M. Petit de Julleville, L’École d’Athènes au ive siècle, Paris, 1868. Les principaux témoignages se trouvent dans plusieurs discours de Libanios, notamment le premier, Sur sa fortune, dans sa correspondance et dans celle de Julien, dans les discours d’Himérios et de Thémistios.
  3. Voir les plaintes répétées de Libanios dans ses discours.
  4. Akakios est probablement l’auteur du Pied léger (Ὀκύπους), parodie tragique en vers, qui figure dans les œuvres de Lucien (Liban., Lettres, 1380). Voir, sur lui, Pauly-Wissowa, art.  Akakios, 3.
  5. Eunape, Vie des Soph., Suidas, Ἱμέριος ; Photius, cod. 165 et 263. Voir surtout ses Discours. Étude sur Himérios par Wernsdorf, en tête de son édition.
  6. Ἐϰλ. (Ekl.) I, Discours d’Hypéride pour Démosthène ; II, Disc. de Démosthène pour le retour d’Eschine ; III, Pour accuser Épicure d’impiété ; V, Disc. de Thémistocle pour refuser la paix offerte par le grand roi ; Disc. II (Πολεμαρχιϰός (Polemarchikos)), Éloge funèbre des Athéniens morts pour la patrie ; etc.
  7. Compliments à des personnages officiels (Ἐϰλ. (Ekl.) XXI, XXVIII b, XXXII, Disc. V, XIV, etc.), Discours d’adieu (Προπεμπτιϰοί (Propemptikoi)) ou de bienvenue, Épithalames, Lamentations funèbres, sujets d’occasion (Disc. III, à Basile, pour les Panathénées, au commencement du printemps ; Disc. IV, à Athènes, dans un concours de rhéteurs, sur un sujet proposé par le proconsul ; Disc. VI et VII, Éloges de Thessalonique et de Constantinople ; Disc. X, XI, XII, XIII, XV, XVII, XVIII, XIX, XX, XXI, XXII, relatifs à divers incidents de la vie scolaire, ouverture de cours, arrivée d’auditeurs nouveaux, conflits, méthodes d’études, etc,).
  8. Suidas, art. Θεμίστιος (Thémistios) ; Photius, cod. 74. Sa vie nous est surtout connue par ses Discours, auxquels il faut joindre quelques témoignages tirés des lettres de Libanios, de Julien, de Grégoire de Nazianze (Ép. 140), et des historiens ecclésiastiques. Voir, dans l’édition Dindorf, p. 478, la Biographie composée par le P. Petau, et aussi, dans la Biogr. univers. de Michaud, l’intéressant article de V. Leclerc.
  9. Thémistios, 20e Disc., p. 291, Dindorf. Ce discours de Thémistios est l’éloge funèbre de son père. Voir aussi le Disc. de Constance sur Thémistios, p. 24 de l’édition Dindorf. On a cru, sans preuve bien solide, qu’il était l’Eugénios auquel est adressée la 18e lettre de Julien.
  10. 23e Disc., p. 359, Dind. : Ἐγὼ τοίνυν πολλαῖς μὲν ὡμίλησα πόλεσι ϰαὶ ξυνεγενόμηνον. Nous savons qu’il avait vu Nicomédie, Antioche.
  11. Voir la Chronologie de ses panégyriques par Hardouin, reproduite dans l’édit. Dindorf, p. 491. Selon l’argument anonyme du discours en question (1er Disc. Περὶ φιλανθρωπίας (Peri philanthrôpias)), il était encore jeune, νέος ὢν ἔτι (neos ôn eti). En supposant qu’il fut né vers 315, il n’avait alors en effet que trente-deux ans.
  12. 23e Disc., p. 355, Dind.
  13. Voir l’Avant-propos (Θεωρία (theôria)) du 20e Disc., où il se donne pour philosophe, non pour orateur. Cela implique qu’en effet son enseignement proprement dit devait être surtout exégétique. Mais ce qui nous reste de lui montre bien que l’exégèse ne lui suffisait pas.
  14. Voir le 2e Disc. et le discours de Constance, qui y est joint.
  15. 34e Disc., Περὶ ἀρχῆς (Peri archês), p. 457, Dind.
  16. 5e Disc., Ὑπατιϰός (Hupatikos).
  17. 34e Disc., Περὶ ἀρχῆς (Peri archês).
  18. E. Barat, De Themistio sophista et apud imperatores oratore, Paris, 1853.
  19. Socrate, Hist. eccl., IV, 32, attribue à son influence l’atténuation des rigueurs dont Valens avait d’abord usée envers les catholiques orthodoxes.
  20. Les Paraphrases ont été éditées en dernier lieu par L. Spengel, dans la Biblioth. Teubner, 2 vol., 1866. Spengel a corrigé l’édition de Petrus Victorius.
  21. Photius, cod. 71.
  22. Dans la première moitié du xvie siècle, on n’en connaissait que huit, ceux qui figurent dans l’édition de Trincavelli. 1531. H. Estienne en publia six autres, en 1562. L’édition de Petan, 1618, en contient dix-neuf ; celle de Hardouin, 1684, trente-deux. Ang. Mai y a joint, en 1816, le Περὶ τῆς ἀρχῆς et le Disc. sur Eugénios. Un trente-cinquième discours (à Valens) ne nous a été conservé que dans une traduction latine.
  23. 5e Disc., p. 81, Dind. : Ὁ δὲ προσάγων ἀνάγϰην ἀφαιρεῖται τὴν ἐξουσίαν ἣν ὁ θεὸς συνεχώρησε. — Καὶ τοῦτον οὐ χρημάτων ἀφαίρεσις, οὐ σϰόλοπες, οὐ πυρϰαϊὰ τὸν νόμον πώποτε ἐβιάσατο, ἀλλὰ τὸ μὲν σῶμα ἄξεις ϰαὶ ἀποϰτενεῖς, ἂν οὔτω τύχῃ, ψυχὴ δὲ οἰχήσεται ἐλευθέραν μετὰ τοῦ νόμου συμπεριφέρουσα τὴν γνώμην, εἰ ϰαὶ τὴν γλῶτταν ἐϰϐιασθείη.
  24. La principale source, pour sa biographie, est le 1er Discours (Βίος ἢ περὶ τῆς ἑαυτοῦ τύχης), qui semble avoir été composé en 374 et complété plus tard. Il y a en outre beaucoup de renseignements à tirer de ses autres discours et de sa correspondance. Nous avons aussi une notice assez détaillée dans les Vies des Soph. d’Eunape, son contemporain, et une autre peu étendue dans Suidas (Λιϐάνιος ; cf. Ἀϰάϰιος). La vie de Libanios a été étudiée de près par Sievert, Das Leben des Libanius, Berlin, 1868. Voir L. Petit, Essai sur la vie et la correspondance du sophiste Libanius, Paris, 1866 : la vie de Libanius y est résumée commodément en un tableau chronologique, p. 15-18.
  25. 1er Disc. : τοῦ παντὸς ὃν βεϐίωϰα χρόνου ἕαρ ἢ ἄνθος.
  26. Lettre 941, adressée à Titianos, consul de cette année.
  27. Eunape, Libanios, p. 495, Didot : Οὐδεῖς τῶν συλλεγέντων Λιϐανίῳ ϰαὶ συνουσίας ἀξιωθέντων ἀπῆλθεν ἄδηϰτος, et tout ce qui suit.
  28. Voir, dans la corresp. de Julien, les lettres 3, 14, 27, 44, 72, 74.
  29. Disc. 17, p. 520 R. : Ὦ διπλοῦ πένθους ἐμοῦ, τοῦτο μὲν τὸν βασιλέα μετὰ των ἄλλων θρηνοῦντος, τοῦτο δὲ τὸν ἑταῖρόν τε ϰαὶ φίλον.
  30. Disc. 11, p. 275, Reiske : Πλεῖστα δὴ τῶν νῦν ὄντων συγγράμματα πεποιηϰώς.
  31. Elles ferment tout le quatrième volume de l’édition de Reiske.
  32. Ces écrits sur Démosthène ne se trouvent pas dans l’édition citée de Reiske. Ils nous ont été conservés par les mss. de Démosthène et figurent dans presque toutes les éditions de l’orateur. La Vie de Démosthène et les Arguments formaient un tout, qui fut composé sur la demande d’un certain Montius, proconsul, et lui fut dédié (voir le début de la Vie : Westermann, Βιογράφοι, p. 293).
  33. Spécialement étudiée par L. Petit dans l’ouvrage cité plus haut.
  34. Exactement 1607. On y joignait autrefois 400 lettres en latin, censées traduites du grec, qui ont été reconnues pour une invention de l’humaniste Fr. Zambeccari (R. Fœrster, Franc. Zambeccari und die Briefe der Libanius, Stuttgard, 1876).
  35. Pour les idées religieuses de Libanios, consulter surtout Disc. 12 (Εἰς Ἰουλιανὸν αὐτοϰράτορα ὕπατον), 13 (Προσφωνητιϰὸς Ἰουλιανῷ), 17 (Ἐπὶ Ἰουλιανῷ μονῳδία), et 28 (Ὑπὲρ τῶν ἱερῶν).
  36. Disc. 3, Πρὸς τοὺς νέους περὶ τοῦ λόγου. 29, (Ὑπὲρ τῶν ῥητόρων. 32, (Πρὸς τὰς τοῦ παιδαγωγοῦ βλασφημίας. 43, (Περὶ τῶν συνθηϰῶν. 59, (Πρὸς τοὺς νέους περὶ τοῦ τάπητος.
  37. Disc. 15, Πρεσϐευτιϰὸς πρὸς Ἰουλιανόν ; 16, Πρὸς Ἀντιοχέας περὶ τῆς τοῦ βασιλέως ὀργῆς 19. Πρὸς Θεοδόσιον βασιλέα περὶ τῆς στάσεως, etc., et encore : 45, Περὶ τῶν δεσμωτῶν ; 47, Περὶ τῶν προστατσιῶν ; 49, Περὶ τῶν ἀγγαρειῶν ; 51, Κατὰ τῶν προσεδρευόντων τοῖς ἀρχουσι ; 53, Κατὰ τῶν εἰσιόντων ; 55, Περὶ τῶν ἀρχῶν.
  38. Il avait une admiration particulière pour Ælius Aristide, qui fut toujours un de ses modèles préférés. Voy. Disc. 63.
  39. Photius, cod. 90 : Πολλὰ μὲν ἐπισϰοτίζων παρενθήϰαις, ἔνια δ’ ἀφαιρέσει ϰαὶ τοῦ ἀναγϰαίου.
  40. Photius, ibid. : Τὰ δ’ ἄλλα ἐν τούτοις ϰανών ἐστι ϰαὶ στάθμη, λόγου ἀττιϰοῦ.
  41. Eunape (Libanios) note des emprunts à l’ancienne comédie.
  42. Il nous manque encore une édition critique de Libanios, qui, une fois publiée, pourra donner lieu à diverses sortes de travaux.
  43. Photius, cod. 62 ; C. Müller, Fragm. Hist. Gr., IV, 2. — Suidas, Βημάρχιος.
  44. Suidas, Εὐστόχιος.
  45. C. Müller, Fragm. Hist. gr., IV, 4.
  46. Mentionnons également Aristodème, d’époque inconnue, dont on a retrouvé quelques pages. il y a une trentaine d’années (C. Müller, Fr. H. gr., t. V, p. XXII et l’art. Aristodemos dans Pauly-Wissowa). Ces pages sont un résumé de l’histoire de la Grèce au ve siècle avant J.-C. C’était probablement un livre de classe, où les étudiants en rhétorique apprenaient ce qu’ils devaient savoir.
  47. C’est à Eunape lui-même nous devons ce que nous savons de sa vie. Il parle fréquemment de lui dans ses Vies des Sophistes. Voir la notice de C. Müller, Fragm. Hist. Gr., IV, 7.
  48. Photius, cod. 77. Fragments dans C. Müller, Fragm. Hist. gr., IV, et dans Dindorf, Hist. Gr. min., I, p. 205.
  49. Photius, pass. cité : Τὸ τῆς ἱστορίας αὐτῷ εἰς τὸ ἐϰείνου ἐγϰώμιον συντεθὲν ἐξεπονήθη. Quand Eunape arrivait au récit de ses actions (Début du liv. II), il disait : φέρεται δὲ ἐντεῦθεν ὁ λόγος ἐφ’ ὅνπερ ἐφέρετο ἐξ ἀρχῆς, ϰαὶ ἀναγϰάζει γε ἐν τοῖς ἕργοις ἐνδιατρίϐειν ὡσπερ τι πρὸς αὐτὸν ἐρωτιϰὸν πεπονθότας.
  50. C. Müller, Fragm. Hist. gr., IV, p. 11-56. Dindorf, Hist. Gr. min., t. I.
  51. Sur beaucoup de points, Eunape avait pu d’ailleurs être bien informé ; il avait mis à profit les commentaires de Julien lui-même et les notes d’Oribasios, le médecin et ami de l’empereur (fr. 8 et 9) ; il avait souvent le mérite de dire ce que les historiens chrétiens ont omis par un esprit de parti contraire au sien.
  52. L’histoire d’Eunape paraît avoir été soumise plus tard à une révision qui eut pour but d’en faire disparaître les passages les plus offensants pour le christianisme. On s’explique ainsi que Photius parle de deux éditions, dont une montrait une hostilité plus accusée.
  53. Phot., cod. 80. C. Müller, Fragm. Hist. gr., t. IV, p. 57 ; Dindorf, Hist. Gr. min., I, p. 450.
  54. Pour l’étude de ce mouvement d’idées, consulter les histoires de l’École d’Alexandrie citées plus haut, et Zeller, Ph. d. Griechen, t. V.
  55. Sur Jamblique, notice d’Eunape dans les Vies des Sophistes, une des plus vides et incohérentes du recueil ; quelques lignes de Suidas, Ἰάμϐλιχος ἕτερος.
  56. Eunape, Vies des Philos., Ædésios, p. 461-62, Didot.
  57. On admet communément que ces lettres sont adressées à un autre Jamblique, neveu du premier : voir, pour la bibliographie de la question, E. Zeller, cité, p. 679, note 2. Mais Zeller a très justement fait observer que cela est impossible et que le personnage désigné dans ces lettres ne peut être que l’oncle ; il a conclu de là que les lettres n’étaient pas authentiques. Elles ne me paraissent pas se prêter à cette opinion. J’aime mieux croire qu’Eunape, fort indifférent à la chronologie, s’est trompé sur la date de la mort de Jamblique. Celui-ci d’ailleurs, après la disgrâce et le supplice de son disciple Sopater, dut se faire oublier le plus possible.
  58. Publié par Kiessling, Leipzig, 1816, et par Westermann à la suite du Diog. Laërce de la Bibl. Didot, Paris, 1850.
  59. Jamblichi Protrepticus, ad fidem codic. Florentini edid. H. Pistelli, Bibl. Teubner, Lipsiæ, 1893.
  60. Jamblichi de communi mathematica liber, ad fidem cod. edid. Festa, même collection, Lipsiæ, 1891.
  61. Jamblichi in Nicomachi arithmeticam introductionem liber, ed. H. Pistelli, même collection, Lipsiæ, 1892.
  62. Theologumena arithmeticae, edid. Ast, Lipsiæ, 1817.
  63. Le vrai titre de cet écrit est Réponse du maître Abammon à la lettre de Porphyre à Anébon et solution des doutes qui y sont proposés (Ἀϐάμμωνος διδασϰάλου πρὸς τὴν Πορφυρίου πρὸς Ἀνεϐὼ ἐπιστολὴν ἀπόϰρισις ϰαὶ τῶν ἐν αὐτῇ ἀπορημάτων λύσεις). Zeller, Phil. d. Griechen, t. V, p. 715. Éditions ; voir Gale, De mysteriis Ægyptiorum, 1678 ; Partey, Jamblichi de mysteriis liber, Berlin, 1857.
  64. Voir Zeller, Phil. d. Gr., t. V.
  65. Mentionnons pourtant l’opuscule de Salluste, Sallustii libellus de diis et mundo, gr. et lat., ed. J. C. Orelli, Zurich. 1821. Ce Salluste est probablement l’ami de Julien, consul en 363. Voir Zeller, Phil. d. Griech., t. V, p. 734, note 2.
  66. Suidas, Ὀρειϐάσιος ; Eunape, V. des Soph. Cette dernière notice est une des plus intéressantes du recueil. Oribase, exilé sous Valens, vécut quelque temps chez les barbares.
  67. Une partie de l’Ἑϐδομηϰοντάϐιϐλος nous a été transmise par le moyen âge ; d’autres parties ont été retrouvées et publiées de notre temps. Œuvres d’Oribase, avec traduction, par Bussemaker et Daremberg. 6 vol., Paris, 1851-76.
  68. Suidas, Ἄψυρτος ; E. Sprengel, De Apsyrto Bithynio, Halle, 1832. Cf. Ihm, Prolegom. in novam Pelagonii artis veterinariæ editionem, Halle, 1832. — Sur Vindonios, Photius, cod. 163 ; art. de Wellmann dans Pauly-Wissowa, Anatolius. Fragments dans les Geoponica de Nicolas, Leipzig, 1781.
  69. Diophanti opera omnia, ed. P. Tannery, 2 vol., Leipzig, 1895.
  70. Paulos, Εἰσαγωγὴ εἰς τὴν ἀποτελεσματιϰήν, éd. de Schato, Wittenberg, 1586. — Pappos, Συναγωγὴ μαθηματιιϰή, Pappi Alexandrini quæ supersunt, éd. F. Hultzsch, 3 vol., Berlin, 1875-78. — Théon d’Alexandrie, Comment. sur Ptolémée, éd. Halma, 3 vol., Paris, 1821-23 ; Scholia in Aratum, dans l’Aratus de Buhle.
  71. Julien, comme empereur, appartient à l’histoire générale. Les renseignements sur sa vie et sa personne doivent donc être cherchés d’abord dans les historiens, tels qu’Ammien Marcellin, Eunape, Eutrope, Zosime, auxquels il faut joindre les œuvres de Thémistios et de Libanios, celles d’Athanase, de Basile, de Grégoire de Nazianze, et surtout celles de Julien lui-même ; enfin Suidas, Ἰουλιανὸς ὁ παραϐάτης. Parmi les nombreux ouvrages modernes qui traitent de Julien, citons : celui du P. de la Bletterie, Vie de l’empereur Julien. Paris, 1735 et 1746 ; celui du duc de Broglie, L’Église et l’empire romain au ive siècle, 2e partie, Constance et Julien, Paris, 1859 ; les diverses études de W. Teuffel, publiées de 1845 à 1847 et réunies dans ses Studien und Charact. zur Griech. und rem. Literatur ; enfin celles de Kellerbauer, Kaiser Julians Leben, Jahrb. für Phil., Suppl. IX, 183-221, et de Mücke, Flavius Claudius Julianus, Gotha, 1866-68.
  72. Ἀποϰεϰλεισμένοι παντὸς μὲν μαθήματος σπουδαίου, πάσης δὲ ἐλευθέρας ἐντεύξεως ; Lettre aux Athén., p. 349, 350, Hertlein.
  73. C’est pendant ce court séjour à Athènes que Basile et Grégoire de Nazianze purent, sinon le fréquenter, du moins l’apercevoir. Voyez le portrait, d’ailleurs malveillant, que Grégoire a tracé de lui dans son second Discours de flétrissure, Éd. Morel, t. I, p. 121 D.
  74. H. Naville, Julien l’Apostat et sa philosophie du polythéisme, Neufchatel, 1877.
  75. Eunape, fr. 9 (C. Müller) ; Libanios, Or. 13, t. I, p. 412, Reiske.
  76. Juliani imperatoris librorum contra Christianos quæ supersunt ; avec des Prolégomènes, par Neumann, Leipzig, 1880.
  77. Libanios, Monodie sur Julien, Reiske, I, p. 513 ; Disc. funèbre, I, p. 581. Jérôme, lettre 70, témoignage qui semble indiquer, pour la composition de l’ouvrage, une date un peu plus tardive, mais qui a été bien expliqué par Neumann, ouv. cité, Prolég., p. 7.
  78. Westermann, De Juliani epistolis, dans ses Comment. de epistol. scriptoribus græcis, Lipsiæ, 1854 ; C. Sintenis, Bemerkungen zu den Briefen Julians, Hermes, I, p. 69-76 (1866) ; Bidez et Cumont, Recherches sur la tradition manuscrite des lettres de l’empereur Julien, Bruxelles, 1898.
  79. Socrate, Hist. ecclés., III, 21. Cf. Nicéph., VI, 34.
  80. Quintus de Smyrne est aussi appelé quelquefois Quintus de Calabre, parce que le premier ms. de son poème fut découvert en Calabre par le cardinal Bessarion en 1450.
  81. Cf. Tzetzès, Schol. in Posthom., 282.
  82. C’est le titre du principal manuscrit, confirmé par le scol. de l’Iliade, II, 220. Le titre Τὰ παραλειπόμενα Ὁμήρου paraît plus récent et moins autorisé. — Sur ce poème, consulter les Prolégomènes d’A. Kœchly dans son édition de 1850. (Voir la Bibliogr. en tête de ce chapitre.)
  83. Eudociæ Augustæ, Procli Lycii, Claudiani carminum græcorum reliquiæ, rec. A. Ludwich, Lipsiæ, 1891 (Bibl. Teubner).
  84. Voir la notice de A. Ludwich, dans l’édit. citée, p. 161. Suidas (Κλαυδιανός) place Claudien sous Arcadius et Honorius, ce qui s’accorde bien avec les dates de la vie du poète latin. Mais Évagrios, I, 19, le met sous Théodose II. Il me paraît plus probable que le poète grec est à distinguer du poète latin.
  85. Neuf épigrammes de l’anthol. palatine portent aussi le nom de Claudien. Une scolie qui y est jointe dans le manuscrit du Vatican nous apprend qu’il avait composé en outre des poèmes sur l’histoire de plusieurs villes : Tarse, Anarzabe, Bérytos, Nicée.
  86. Éditée par Ludwich dans le même volume que la Gigantomachie de Claudien, p. 183. Voir les Prolégomènes, pour l’histoire du texte et sa date. L’auteur renvoie à une dissertation publiée par lui (Index lect. hibern. Academ. Albertinæ Regimont. 1892, p. 26-31).
  87. Pour cette raison, il paraît impossible d’attribuer ce poème, comme on a voulu le faire, à Kyros de Panopolis, dont nous parlerons au chapitre suivant. Bücheler, Rhein. Museum, 39, 277.
  88. D’autres poésies orphiques dont nous n’avons rien dit ont pu naître dans les premiers siècles de l’empire, par exemple la Théogonie que citent les néoplatoniciens et qui est distincte de l’ancienne Théogonie orphique. Mais tout cela est fort incertain et intéresse peu la littérature. On trouvera quelques indications à ce sujet dans les Orphica d’Abel.
  89. Abel, Orphica (Biblioth. Schenkl), Leipzig, 1885.
  90. Même recueil.
  91. Voir le préambule.
  92. Le principal ms. est un Parisinus du xve siècle, conservé à la Bibl. Mazarine ; voir la préf. de l’éd. de Dindorf. Outre le texte grec, nous possédons une traduction latine de l’Hist. ecclésiastique, composée par Rufin au ve siècle, et une traduction arménienne, du même temps. L’édition usuelle est celle de Dindorf, qui forme le t. IV des Eusebii Cæsariensis opera, Lipsiæ, 1871 (Bibl. Teubner).
  93. Bardenhewer, § 44, 3.
  94. Bardenhewer, § 44, 5.
  95. Rappelons ici l’ouvrage connu de Villemain (Tableau de l’Éloq. chrétienne au ive siècle, Paris, 1850), exposé brillant, mais superficiel, qui ne peut donner qu’une vue très incomplète du sujet traité.
  96. Biographie d’Arius, voir l’art. Arius, 11, dans Pauly-Wissowa. Arius nous est connu par les œuvres d’Athanase et par les écrivains ecclésiastiques, notamment Sozomène, Socrate et Philostorge.
  97. Lettre à Eusèbe de Nicomédie (Épiph. Hér., 69, 6 ; Théodoret, I, 5) ; Lettre à Alexandre, évêque d’Alexandrie (Épiph., 69. 7).
  98. Socrate, I, 9, 16 ; Sozomène, I, 21. Voir Harnack, Gesch. d. Altchr. Lit., p. 531-2.
  99. Certaines parties en étaient chantées. Selon Athanase, Arius y avait imité, quant au rythme, le poète Sotadès.
  100. Chants de meuniers, de bateliers, de voyageurs (Philostorge, Hist. eccl., II, 2).
  101. Aétios, représentant de l’arianisme extrême ; fragments de son Συνταγμάτιον dans Épiph., Hérés., 76, 10. Asterios, Athan. Disc. c. les Ariens, I, 30. — Akakios le Borgne, successeur d’Eusèbe comme évêque de Césarée de Palestine ; fragments dans Épiph. Hérés., 72, 6, 11. — Eunomios, disciple d’Akakios ; fragments dans les écrits contradictoires de S. Basile, de S. Grégoire de Nysse.
  102. Les sources biographiques, pour Athanase, sont d’abord ses propres écrits et son panégyrique par Grégoire de Nazianze ; puis la traduction latine d’un fragment d’une histoire de sa vie, composée peu après 385, dite Historia acephala (Sieverts, Zeitschrift für die histor. Theologie, 1868, p. 148) ; la traduction syrienne d’un Avertissement qui a été composé pour la collection des Lettres pastorales d’Athanase (A. Mai, Nova Patrum bibliotheca, t. VI, 1re part. ) ; les extraits d’une Vie du grand Athanase, dans Photius, cod. 258 ; enfin une courte et insignifiante notice dans S. Jérôme, De viris illustribus, 87. — Étude d’ensemble : E. Fialon, Saint Athanase, Paris, 1877.
  103. Sozom., I, 16 Πλεῖστον εἶναι ἔδοξε μέρος τῆς περὶ ταῦτα βουλῆς.
  104. S. Basile, Lettres 47-52.
  105. Pour l’ensemble des œuvres d’Athanase et les questions de chronologie et d’authenticité, consulter Bardenhewer, § 45, 2-1, et Batiffol, Littér. gr. chrét., p. 265 et suivantes. Pour l’appréciation historique, morale et littéraire, on peut recommander l’ouvrage cité de Fialon.
  106. Disc. sur l’Incarnat. du Verbe, 50, p. 73.
  107. Apologie à Constance, 32, p. 250 et 251.
  108. Hist. des Ariens, 74, p. 307.
  109. Voyez, sur ces deux œuvres, les chap. viii et ix de Fialon, ouv. cité.
  110. S. Jérôme, De viris illustr., 104, Bardenhewer, § 43. art. Apollinarios, dans Pauly-Vissowa.
  111. Apollinarii Laodiceni quæ supersunt dogmatica (dans les Texte und Untersuch. de O. v. Gebhart et A. Hurnack, t. VII, 3, 4, 1892).
  112. Sozomène, Hist. eccl., V, 18.
  113. Patrol. grecque, de Migne, t.  XXXIII, p. 1313.
  114. Sur Macedonius et Marcellus, voir Bardenhewer, § 222 et 223. Sur Didyme, même ouvr., § 53.
  115. Bardenhewer, § 48 ; Batiffol, p. 236. Ph. Gonnet, De S. Cyrilli Hierosolymitani archiepiscopi catechesibus, Paris, 1816 ; G. Delacroix, S. Cyrille de Jérusalem, sa vie et ses œuvres, Paris, 1865 ; J. Mader, Der heilige Cyrillus, Bischof von Jerusalem, Einsiedeln, 1891.
  116. Suidas, Διόδωρος, notice ou l’on trouvera l’énumération complète de ses écrits. Socrate (H. eccl., VI, 3), Sozomène (Hist. eccl. VIII, 2). Bardenhewer, § 55 ; Batiffol, p. 293.
  117. Suidas, Θεόδωρος ; Photius, cod. 4, 5, 6, 38, 81, 77, etc. ; Chrysost.|, Ad Theodorum lapsum, et, en outre, lettre 112. — O. Fr. Fritzsche, De Theodori Mopsuesteni vita et scriptis commentatio, Halæ, 1836 ; Bardenhewer, § 56 ; Batitfol, p. 296-300.
  118. S. Jérôme, De vir. ill., 114 ; Suidas, Ἐπιφάνιος ; Photius, cod. 122 et 123. Bardenhewer, § 54 ; Batiffol, p. 301. Voir aussi Aug. Thierry, S. Jean Chrysostôme.
  119. La partie du Panarium relative aux philosophes grecs a été extraite et publiée à part par Diels dans ses Doxographi græci, Berlin, 1879.
  120. Sur S. Basile, courtes notices de Jérôme (De vir. illustr., 116) et de Suidas, Βασίλειος. Divers renseignements dans Photius, cod. 146, 113, 191 et passim. Les principales sources biographiques sont les Éloges funèbres dus à Grégoire de Nazianze et à Grégoire de Nysse ; quelques passages des historiens ecclésiastiques, enfin la correspondance de Basile lui-même. — Études modernes : Fialon, Étude historique et littéraire sur S. Basile, 2e édit., Paris, 1869 ; Bardenhewer, § 49 ; Batiffol, p. 284.
  121. Grég. de Naz., Éloge fun. de S. Basile : « Il était tout pour lui, un bon conseiller, un auxiliaire habile, un exégète des saintes Écritures, l’interprète de ses devoirs, le bâton de sa vieillesse, l’appui de sa foi, plus sûr que tous les clercs, plus entendu en affaires que tous les laïques. »
  122. On ne peut compter parmi ses ouvrages la Philocalia, simple recueil d’extraits d’Origène, que Basile forma avec son ami Grégoire de Nazianze.
  123. A. Iahn, Basilius Plotinizans, Berne, 1839.
  124. L. Roux, Étude sur la prédication de Basile le Grand, Strasbourg, 1867.
  125. Hexahéméron, V, 3.
  126. Grég. de Naz., (Éloge fun. de S. Basile, p. 323, c Morell) dit, en parlant de l’instruction profane : Ἣν οἱ πολλοὶ Χριστιανῶν διαπτύουσιν, ὡς ἐπίβουλον καὶ σφαλερὰν καὶ Θεοῦ πόρρω βάλλουσαν, κακῶς εἰδότες.
  127. Éloge fun. de S. Basile, p. 362, Morell. J’emprunte la traduction de Fialon, ouv. cité, p. 221.
  128. V. Martin, Essai sur les lettres de S. Basile le Grand, Nantes, 1865.
  129. Socr., Hist. eccl., IV, 20.
  130. Villemain l’a singulièrement surfaite dans l’ouvrage déjà cité.
  131. Grég. de Naz., t. I, p. 372-73, Morel. Traduction de Fialon, Saint Basile, p. 283.
  132. Disc. 29, Sur l’institution des évêques, t. I, p. 486, Morel : Οὐδὲν γάρ μοι δοκεῖ τοιοῦτο οἶον μύσαντα τὰς αἰσθήσεις, ἔξω σαρκὸς καὶ κόσμου γενόμενον, μηδενὸς τῶν ἀνθρωπίνων προσαπτόμενον ὅ τι μὴ πᾶσα ἀνάγκη, ἑαυτῷ προσλαλοῦντα καὶ τῷ θεῷ, ζῆν ὑπὲρ τὰ ὁρώμενα, etc.
  133. Villemain, Élog. chrét., p. 131.
  134. Nous avons peu de renseignements sur lui. Ils proviennent surtout de ses propres œuvres et de sa correspondance. Voir en particulier le prologue de son homélie De hominis opificio, celui de son commentaire sur l’Hexahéméron, ses lettres 11, 81, etc. Voir aussi Basile, lettres 53, 60, 100. Consulter sur sa personne et ses œuvres, Bardenhewer, Patrol., 51.
  135. Basile, lettre 58 : Παντελῶς ἄπειρον τῶν κατὰ τὰς ἐκκλησίας.
  136. Palladius, Dialogus de Vita S. Joannis Chrysostomi (Migne, Patrol. Gr., t. XLVII, 5-82) ; Jérôme, De v. ill., 129, et Gennadius, ch.  xxx (notices insignifiantes) ; Suidas, Ἰωάννης Ἀντιοχεύς, d’après Cédrénus. La vie et le rôle de Chrysostôme ne peuvent être étudiés complétement que dans ses œuvres, en tenant compte des témoignages des historiens ecclésiastiques, de Socrate en particulier. — Ouvrages à consulter : A. Neander, Der heilige Joh. Chrysostomus und die Kirche, etc., Berlin, 1821 ; 3e éd., 1858 ; A. Thierry, S. Jean Chryostôme et l’impératrice Eudoxie, Paris, 2e éd., 1874 ; A. Puech, S. Jean Chryostôme et les mœurs de son temps, Paris, 1891 ; Bardenhewer, § 57 ; Batiffol, p. 240.
  137. Sacerdoce, I, 2 et II, 8.
  138. Socr., VI, 3 ; Sozom., III, 2.
  139. Sacerdoce, I, 2-4.
  140. Même ouvr., 1, 3-4. Ce Basile ne doit pas être confondu, bien entendu, avec le grand Basile, plus âgé d’une quinzaine d’années environ.
  141. Même ouvrage, II, 8.
  142. Pallad., Dial., ch. v.
  143. Palladius, Dialogue, ch. viii. — Voir dans Photius, cod. 59, la liste des accusations qui y furent portées contre Chrysostome.
  144. Voir l’Homélie après son retour.
  145. Hom. sur la décoll. de S. Jean-Baptiste, exorde.
  146. Voir spécialement sur ce sujet l’ouvrage cité de A. Puech.
  147. Voir tout le traité du Sacerdoce et la discussion Contre les adversaires de la vie monastique.
  148. Voyez, par exemple : Sacerdoce, I, 8 ; Contre Les adversaires de la vie monastique, toute la mise en scène du livre II, et particulièrement ch. 2 et 3.
  149. Éloq. chrét., p. 207.