LA LIBERTÉ ILLIMITÉE DE LA PRESSE, DE 1789 AU 10 AOÛT 1792
TENTATIVES DE RÉSISTANCE À SES EXCÈS ET PREMIERS ESSAIS DE LÉGISLATION
Diversité infinie des journaux de toutes couleurs et de toutes nuances. — Division générale en deux camps : parti avancé, parti rétrograde. — De 1789 à 1792, le parti intermédiaire. — Le Mercure de France : Mallet du Pan et sa conception du rôle du journaliste. — La Gazette universelle : l’avocat-député Cerisier. — Le Modérateur : M. de Pontanes. — Le Journal de la Société de 1789 : André Chénier et les Jacobins. — Journal général de la cour et de la ville ou Petit Gautier, feuille ultra-royaliste ; Régénération de la France dans un bain de sang. — L’Ami du Roi : l’abbé Royou ; appela la contre-révolution. — Autres feuilles royalistes : la Gazette de Paris, le Fouet national, le Journal de Louis XVI et de son peuple ou le Défenseur de l’autel, du trône et de la patrie, la Chronique du Manège, le Défenseur des opprimés, le Journal de la noblesse, la Feuille du jour, l’Indicateur ou Journal des causes et des effets, le Journal-Pie, la Rocambole des journaux ou histoire aristo-capucino-comique de la Révolution, le Petit Page, les Folies d’un mois à deux liards par jour. — Les Actes des Apôtres : Peltier et Suleau ; la Canaillarchie de l’Assemblée Nationale, la Clique purulente des avocats, etc. — Journaux révolutionnaires : le Patriote Français, de Brissot : la Chronique de Paris, prototype des Journaux d’Annonces : le Républicain, ou le Défenseur du Gouvernement représentatif, d’après les souvenirs de Mme Roland ; la Chronique du mois ou les Cahiers patriotiques ; la Bouche de fer et ses utopies évangéliques ; le Défenseur de la Constitution monarchique, par Maximilien Robespierre. — Journaux jacobins : Journal des Amis de la Constitution : Journal des Débats et de la Correspondance de la Société des Jacobins : la Feuille villageoise et ses 16 500 abonnés le Journal des Laboureurs. Journaux extrêmes : les Révolutions de France et de Brabant et la Tribune des Patriotes (Camille Desmoulins), l’Ami du peuple (Marat), l’Orateur du peuple (Fréron), le Père Duchesne (Hébert). — Lutte aiguë entre les Presses royaliste et révolutionnaire. — Rôle important des almanachs : almanachs du Père Gérard, des émigrants, des Muses. — Les quartiers des Agences des Journaux. — Premières mesures prises par la Municipalité de Paris contre la licence des libelle et des caricatures. — Poursuites contre Marat. — Essais de législation sur la Presse par la Commune de Paris ; opinions de Rabaud Saint-Etienne, Barère de Vieuzac, Robespierre et Mirabeau. — Dénonciations du royaliste Malouet. — Rapport de l’abbé Sieyès sur un projet de loi contre les délits de presse qu’il propose de déférer au Jury. — Décret de l’Assemblée en date du 18 juillet 1791, punissant la provocation au meurtre, à l’incendie, au pillage. — Principes généraux en matière de liberté de la Presse proclamés dans la Constitution du 14 septembre 1791. — Discussions de Robespierre, de Pétion. La Rochefoucauld et Du Port sur la répression des calomnies lancées contre les fonctionnaires publics. — Licence effrénée de la Presse ; ses conséquences. — Origines du parti républicain.
La presse, subissant l’impulsion des mouvements et « les soubresauts de la Révolution, grandit au fur et à mesure des événements :
crescit eundo.
Mais en même temps elle se divise et se subdivise à l’infini, se
diversifie en journaux de toutes couleurs et de toutes nuances,
suivant l’exemple des représentants du peuple à la Constituante, à
la Législative, à la Convention, qui se partagent en groupes et en
factions, forment plusieurs partis, se disputent le pouvoir, se combattent avec acharnement, se déchirent avec fureur.
Sans classer tous les journaux éclos pendant la période révolutionnaire, suivant les doctrines qu’ils propageaient ou les partis
qu’ils servaient, travail d’ailleurs aussi inutile que fastidieux[1], on
peut les ranger dans les deux grands partis alors en présence : d’un
coté, les journaux du mouvement en avant, de l’action révolutionnaire : de l’autre côté, les journaux de la monarchie, de la résistance, de la contre-révolution.
Cependant, de 1789 à 1792, il a existé un parti intermédiaire,
représenté dans la presse par des organes, qui n’ont été ni sans
éclat ni sans célébrité ; c’est le parti constitutionnel monarchique des
Mounier, des Bergasse, des Clermont-Tonnerre, des Lally-Tollendal,
des Yirieu, des Malouet, qui voulaient introduire en France le régime parlementaire des deux chambres imité de l’Angleterre. Le
Mercure de France, la Gazette universelle, le Modérateur et le
Journal de la société de 1789 furent ses principaux organes.
Le Mercure, cette vieille feuille privilégiée, ayant été gravement
atteint dans sa prospérité par le développement inattendu de la
presse au lendemain du 14 juillet, son propriétaire, Panckoucke, prit
le parti de le transformer. Dans le numéro du 5 novembre 1789,
il annonça à ses lecteurs qu’a partir du 1er janvier suivant, Marmontel, la Harpe et Chamfort seraient chargés de la rédaction du
Mercure, de concert avec Mallet du Pan, qui exposa, dans le même
numéro, le plan d’un grand journal politique tel qu’il le comprenait. Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/79Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/80
Dessiné par Tony Johannot.
Gravé par Baudrau.
André CHÉNIER (1762-1794) Poète et publiciste.
Incarcéré le 17 nivôse (7 janvier) de l’an II de la République. Exécuté le 7 thermidor (25 juillet) de la même année.
peuvent examiner enfin si, pour être libres, ils ont besoin de se
donner un roi. » Et il réfute, une à une. les objections classiques
contre la République. L’étendue de la France ? Elle est plus favorable que contraire à l’établissement d’un gouvernement républicain,
puisqu’elle « ne permet pas de craindre que l’idole de la capitale
paisse jamais devenir le tyran de la nation. » Un tyran ? Cornaient
pourrait-il s’en établir un avec la division des pouvoirs telle qu’elle
existe et surtout avec la liberté de la presse ? Qu’une seule gazette
soit libre et l’usurpation d’un Cromwell est impossible. On dit qu’un
roi empêchera les usurpations du pouvoir législatif. Mais comment
ce pouvoir pourrait-il usurper, s’il est fréquemment renouvelé, si les
bornes de ses fonctions sont fixées, si des Conventions nationales
révisent la Constitution à des époques réglées ? Il vaut mieux, dit-on,
avoir un maître que plusieurs. Mais pourquoi faudrait-il avoir des
maîtres ? Aux « oppressions particulières ». il faut opposer, non un
roi, mais des lois et des juges.
Néanmoins, la majorité de l’Assemblée législative élu
octobre 1791 fut loin d’être républicaine. Les jacobins étaient alors
monarchistes et les rares républicains qui furent élus à l’Assemblée
cachèrent leur drapeau, ou même, comme Condorcet, renoncèrent
provisoirement à établir la République en France. En dehors de
l’Assemblée, presque personne ne se disait républicain. Presque
aucun journal ne demandait nettement la République. Les Révolutions de Paris étaient presque seules à afficher encore des tendances
républicaines.
Chose singulière, ce fut cette Assemblée monarchique qui, sous le
coup des nécessités de la défense nationale, après le fameux manifeste
de Brunswick, proclame la patrie en danger et résolut de la
sauvée sans le roi et. an besoin, contre lui. Les journaux s’accordent
alors avec les fédérés des communes de France, avec les sections de
Paris, avec l’opinion publique, pour précipiter Louis XVI du trône.
Le républicanisme, on l’a dit avec raison, naquit de l’exaspération
du patriotisme
La journée fameuse du 10 août proclama la vacance de la royauté.
Il y eut jusqu’au 22 septembre une sorte d’intérim innommé. Le nom
du roi fut effacé de tous les titres, de tous les actes, de tous les
emblèmes officiels ; le pouvoir fut exercé par an comité exécutif au nom de la nation française.
Dès lors, le mouvement fut irrésistible. Le peuple de Paris se prononça pour la République et les jacobins, par la propagande de leurs
clubs, ne tardèrent pas à déroyaliser la France. On sait d’ailleurs que
la Convention, en se réunissant, proclama la République en France
(22 septembre 1792).
↑Les lecteurs curieux de longs détails, les trouveront dans la Bibliographie de Hatin et dans son Histoire de la Presse. Ils consulteront surtout avec fruit la
Bibliographie de l’Histoire de Paris par Maurice Tourneux, t. II. ch. viii.