Histoire des églises du désert/tome 1/Texte entier

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Texte établi par Librairie Ab. Cherbuliez et Cie (1p. cov-564).



HISTOIRE

DES

ÉGLISES DU DÉSERT












HISTOIRE
DES
ÉGLISES DU DÉSERT
CHEZ LES PROTESTANTS DE FRANCE
depuis la fin du règne de louis xiv
jusqu’à la révolution française.
par charles coquerel.

« Plus à me frapper on s’amuse,
« Tant plus de marteaux on y use. »
« Tant plus (Théodore de Bèze)


tome premier


PARIS
librairie ab. cherbuliez et Cie
rue de tournon, 17.
genève, même maison.
1841


j’ai dédié cet ouvrage
à la mémoire
des pasteurs français du désert,
qui au milieu des proscriptions et des martyres,
soutenus par la main de dieu,
ont défendu la liberté religieuse
et restauré
le culte évangélique
au dix-huitième siècle,
dans les églises réformées de notre patrie.


C. C.


PRÉFACE.

Séparateur


Cette histoire est rédigée en grande partie d’après des pièces manuscrites et inédites. En la publiant, j’accomplis un dessein conçu depuis plusieurs années, et que des occupations d’un autre genre m’avaient obligé de remettre. Je n’aurais jamais songé à l’entreprendre, si je n’eusse été favorisé dans mes recherches par une circonstance que je ne puis appeler fortuite, puisqu’elle est le résultat d’une longue amitié. Mme Rabaut-Pomier, veuve du second fils de l’illustre pasteur du désert Paul Rabaut, et belle-sœur de Rabaut Saint-Étienne, voulut bien me confier tous les manuscrits et les lettres de sa famille. On sait combien le nom de Rabaut est resté cher à tous les amis de la liberté, comme à tous les fidèles des églises réformées françaises. C’est en quelque sorte le dépouillement de cette volumineuse collection de manuscrits que j’offre aujourd’hui au public.

Dès que je me vis en possession de ces richesses historiques, je songeai à les augmenter. Je fis des démarches auprès de plusieurs de mes amis qui voulurent bien s’y porter efficacement, tant pour la cause de l’histoire en général, que pour l’intérêt spécial des églises où ils déploient leur zèle évangélique. Je dois citer spécialement M. Soulier, ancien pasteur ; MM. les pasteurs Durand, Massé, Lanthois, Lombard, Vors, E. Frossard ; tous m’ont procuré beaucoup de pièces intéressantes. J’éprouve le regret de ne parler ici que du souvenir de ma reconnaissance envers plusieurs amis que nous avons perdus assez récemment, qui m’avaient aussi remis des porte-feuilles de pièces ou de lettres ; je songe, sous ce rapport, à mes anciens amis les pasteurs P.-H. Marron, A. Sabonadière ; et aussi à M. de Végobre, juge au tribunal de Genève.

Les pièces historiques et personnelles de Paul Rabaut, surtout sa vaste et précieuse correspondance avec les pasteurs du désert, sont très abondantes, spécialement de 1750 à 1775. Ce sont des actes de synodes provinciaux ou nationaux ; des requêtes au roi, aux ministres, aux intendants ; des brouillons de lettres adressées aux diverses autorités administratives et ecclésiastiques ; des mémoires apologétiques en faveur des églises du désert ; des listes de condamnés pour la foi ; des carnets ou journaux de notes concernant ses démarches privées ou les dangers de son ministère ; des récits plus ou moins développés sur les événements religieux les plus marquants du Languedoc. La correspondance de Paul Rabaut se compose de toutes les lettres que ses collègues du désert lui adressaient journellement, dès qu’ils se trouvaient dans une position difficile, ce qui formait leur vie de tous les jours. On voit bien vite en la lisant que pendant de très-longues années Paul Rabaut fut le centre et l’âme des affaires des églises du désert, non seulement pour le midi de la France, mais aussi pour les autres portions du pays.

Dès que Mme Rabaut-Pomier m’eut remis ces pièces et dès que j’eus terminé le travail assez considérable de leur classement, nous convînmes, mon ancienne amie et moi, que la destinée naturelle de ces documents était d’appartenir un jour au public des églises réformées. C’est une volonté commune que j’accomplirai, en ayant soin que les manuscrits de la collection Paul Rabaut, grossis des autres pièces que j’ai reçues de mes amis, soient placés dans un établissement national et public de nos églises françaises, pour y être conservé à toujours. Je saisirai même cette occasion pour rappeler à toutes les personnes que l’histoire du désert intéresse, nos obligations envers une période si mémorable et si inconnue des annales des protestants français ; toute lettre, tout acte, toute pièce historique quelconque a de l’importance et doit être placée dans un dépôt public. Cette précaution est d’autant plus un véritable devoir, qu’il existe, comme tout le monde sait, très-peu de mémoires ou de livres imprimés sur l’histoire des églises françaises du désert pendant tout le dix-huitième siècle. On trouvera à la fin de ce volume une description sommaire de la série des manuscrits dont j’ai profité pour cette première partie de mon travail. Je ferai connaître ensuite le reste de mes ressources manuscrites, tant celles de ma collection que celles des autres collections où j’aurai pu puiser.

On voit en conséquence que tout l’intérêt de ce livre réside dans les citations de nos pièces manuscrites. J’en ai fait le plus que j’ai pu, par devoir et aussi par inclination. Il me semble que l’histoire existe avant tout dans les faits, dans les actes officiels et dans les impressions des contemporains.

Je dois dire un mot sur le genre et l’esprit de ce travail historique touchant une période si intéressante et encore si peu connue. On ne trouvera point ici de traces des théories dites philosophiques, que tant d’écrivains appliquent aujourd’hui si facilement à l’histoire. J’ai voulu raconter les faits, et je n’ai point toujours réussi à me les expliquer à moi-même. J’envie beaucoup la bonne fortune de ceux qui connaissent les lois de l’humanité en général. En particulier, j’admire plus encore la position de ceux, qui ont découvert ce qu’on appelle de nos jours la mission providentielle, fatale et européenne de la France. J’ignore tout cela. Mais je vois très-clairement, en me bornant à l’histoire restreinte que j’ai étudiée, qu’une foule de choses auraient pu être faites autrement et bien mieux ; je vois qu’une foule de choses très-mauvaises et continuées très-longtemps auraient pu être évitées ; je vois surtout que la véritable et saine opinion publique ne fut presque jamais consultée dans notre patrie, et que dans les deux derniers siècles, très-souvent, la France a laissé aller les choses et s’est peu mêlée de ses propres affaires ; de sorte que des mesures très-considérables ont été prises sans son aveu ; ce dont les siècles de Louis XIV et de Napoléon offrent des exemples trop évidents. Cependant, ce côté indubitable des choses que l’on expliquera bien ou mal, n’est pas uniquement triste. On voit, par ces derniers temps, comme par l’étude des précédents siècles, que toutes les fois que la France, en la personne de représentants librement choisis et délibérants, a été consultée, alors son avis a été sage, humain et avancé parmi les autres nations. En France, la voix du peuple aurait pu être la leçon et le salut des rois, et si on l’eût écoutée régulièrement et fréquemment, elle eût réformé les abus sans convulsions et sans catastrophes sanglantes.

Ces considérations ne sont point déplacées dans notre préface. En contemplant, dans les annales des églises du désert, l’un des plus inconcevables abus de l’ancien régime, les citoyens seront portés à apprécier plus encore le régime constitutionnel et parlementaire, qui fait désormais partie de notre droit public, et dont les principes étaient dans les vœux de la France depuis quatre cents ans au moins.

La tolérance absolue, la liberté de conscience, l’égalité des cultes devant la loi, sont des maximes, il faut l’espérer, définitivement conquises et assurées aujourd’hui. Aussi les Français catholiques de nos provinces méridionales qui virent tant de persécutions autrefois, les catholiques du Languedoc, ne songent plus qu’à rivaliser de patriotisme et de lumières avec leurs frères de la religion protestante. Les deux clergés unissent leurs efforts pour le progrès des populations. Ainsi les souvenirs que notre ouvrage réveille et qu’on ne saurait supprimer qu’en supprimant l’histoire, feront mieux ressortir les bienfaits et les avantages immenses de cet amour des concitoyens d’une même patrie, et de cette charité mutuelle, sans laquelle il n’y a de christianisme dans aucune secte ni dans aucune église. Quant à ce qui touche aux églises réformées de France, quant à ces églises, dont la marche dans le désert fut si longue et si orageuse avant d’aboutir à la liberté, il est inutile que nous disions dans quel but spécial nous avons écrit. Il est bien inutile que nous disions quelles idées fortifiantes pour la foi, pour le patriotisme, pour le souvenir des aïeux, les protestants de France pourront puiser dans les manuscrits de Paul Rabaut et dans tout ce tableau des malheurs de leurs pères, malheurs qui sont si complètement réparés aujourd’hui et dont il ne reste que la gloire.



HISTOIRE
DES
ÉGLISES DU DÉSERT

LIVRE PREMIER.


CHAPITRE I.


Plan de l’ouvrage. — Mort et dernières mesures de Louis XIV. — Première renaissance du culte réformé après la guerre des Cévennes, — Premières lois disciplinaires et premiers synodes.


Nous nous proposons de raconter, dans cet ouvrage, un épisode remarquable et peu connu de l’histoire générale de la France. Il n’entre point dans notre plan d’indiquer les caractères de la monarchie de Louis XIV, et moins encore de rapporter les événements politiques et philosophiques du xviiie siècle, qui commença par la guerre des Camisards des Cévennes et qui se termina par les luttes bien autrement fondamentales de la démocratie de 1789. Le jour viendra sans doute où des historiens consciencieux et doués de beaucoup de patience auront le courage de surmonter le dégoût des frivolités de cour et du règne des maîtresses, depuis la régence jusqu’à Louis XVI, afin de découvrir sous tant d’abus et tant de dissipations guerrières ou voluptueuses, les véritables sentiments des peuples et cet instinct profond d’améliorations et de réformes qui s’était emparé des esprits éclairés dans presque toutes les classes sociales. Ils auront à dépeindre une position peut-être sans précédent dans l’histoire, celle d’une nation où les idées et les mœurs avaient tellement dépassé les lois civiles et politiques, que dès que les états-généraux, si longtemps oubliés, proclamèrent le vœu national, toute l’ancienne organisation s’écroula en un jour. On avait vu les peuples de l’antiquité et les nations chrétiennes améliorer avec plus ou moins d’impatience leurs coutumes et leurs lois ; il était réservé à l’impétuosité française de raser les fondements mêmes d’une société. Nous n’avons point le dessein d’entrer dans ces questions ; c’est seulement un côté du tableau qui sera traité dans ces pages. Parmi les points divers, touchant lesquels il y avait divorce entre les idées d’une part, les lois judiciaires et les édits d’administration d’autre part, au sein de la France du xviiie siècle, ceux de la tolérance et de l’égalité religieuse figuraient au premier rang. Il s’agit de savoir quel était, après la révocation de l’édit de Nantes, après ses lois barbares, et ses nombreuses émigrations, l’état des églises qui n’avaient pu se résoudre à l’exil. Il s’agit de savoir ce que firent les calvinistes dans les derniers jours du grand roi et sous la monarchie dissipée, mais presque philosophique, de Louis XV. C’est le sort d’une portion très-notable des habitants du royaume à cette époque, c’est, en un mot, le sort des citoyens protestants français au xviiie siècle de notre monarchie que nous venons expliquer.

Nous serons bien obligés d’écrire d’après des manuscrits et sur des pièces inédites et secrètes ; car toute cette portion de la société française était alors proscrite. Son existence même était déniée par la loi. Elle n’avait ni ministres protégés, ni écoles, ni temples, ni établissements, ni littérature nationale d’aucun genre. La terre d’exil avait reçu ses savants, ses théologiens, ses orateurs, ses philosophes. Tout un code d’édits, qui nous paraissent maintenant sauvages, pesait sur elle. Ses réclamations perpétuelles ne pouvaient se faire jour qu’en dehors de la légalité. Ses nombreux rapports et correspondances avec le gouvernement ne pouvaient être qu’indirects et mystérieux. Cependant elle ne cessa de durer et de fleurir. Un sentiment où la piété donnait toute sa ferveur au bon droit, qui fut tantôt alimenté et tantôt contenu par une foule d’hommes courageux et vraiment évangéliques, sauva ces troupeaux des ravages d’une persécution constante de plus de cent ans de durée. Après de longues années d’une lutte plus ou moins vive et cruelle, les églises réussirent à gagner les années heureuses de Louis XVI, où enfin, l’administration et les parlements, malgré les instances du clergé, reculèrent devant l’application des édits de Louis XIV et finirent tardivement par s’en dépouiller tout à fait.

Jusque-là, c’est-à-dire aussi tard que la fin de l’an 1787, toute qualité de protestant français, ministre ou laïc, et tout exercice de culte, était nul ou était sévèrement prohibé par la législation, au milieu de laquelle, toutefois, ces églises existaient en nombre considérable. C’est cette situation qu’on a autant de peine aujourd’hui à comprendre qu’à définir ; c’est ce code d’antithèses et de contradictions ; c’est cette existence de communautés illégales et vivantes, souterraines et victorieuses, que nous entreprenons de raconter. Nous tâcherons d’écrire fidèlement, sans amertume, mais sans indifférence. Nous ne serons froids ni devant le mal, ni devant le bien. Surtout nous bannirons de notre étude historique une pensée fausse et souvent invoquée du poète Lucrèce ; nous reportant aux malheurs d’un siècle passé, parvenus à un tranquille rivage, nous ne pourrons nous résoudre, même par le souvenir, à contempler sans émoi ceux qui furent si longtemps battus par la tempête.

D’ailleurs, les caractères généraux de la position de ces églises peuvent être indiqués en peu de mots. Trois époques principales divisent l’histoire des protestants de France. La première fut celle qui commença sous François Ier et Henri II, lorsque ces souverains, sans véritables vues politiques, laissèrent échapper l’occasion si bien avouée plus tard par le cardinal de Sainte-Croix, de faire de la France une nation protestante ; ce qui eût donné au système parlementaire et représentatif parmi nous une antiquité de près de trois siècles et eût amené des conséquences immenses pour la liberté, l’industrie, la puissance et pour toutes les véritables lumières[1].

Au lieu de ce changement fécond, il y eut une lutte sanglante de plus d’un demi-siècle, où la nationalité faillit périr sous une ligue que Rome et les étrangers soudoyaient ; l’héroïsme des martyrs et la bravoure de la noblesse huguenote sauvèrent notre patrie de l’inquisition espagnole et des procédés d’une politique italienne dont la Saint-Barthélemy fut l’application. Ce fut la première époque, époque de lutte et de combats acharnés, où le seul principe de la réformation triompha en France. Ce principe reçut bientôt une déplorable atteinte par l’abjuration de Henri IV, abjuration qui ajourna de deux cents ans nos réformes politiques.

Dans le cours de la seconde époque, tandis que le protestantisme des communes d’Angleterre produisait des fruits si réels pour le progrès et pour la liberté britanniques, Richelieu et Mazarin détruisirent l’aristocratie française. Ils ruinèrent l’organisation évidemment imprudente et prématurée de la fédération calviniste, démocratique et représentative. Sous les remparts de La Rochelle furent ensevelies les espérances de nos libertés. Alors, et plus tard, le protestantisme fleurit par sa littérature, par sa science, par ses académies ; mais toute son importance politique avait été anéantie. Ce fut la seconde époque de l’histoire des protestants de France. Elle se prolongea jusqu’au moment où Louis XIV, voulant établir le plus profond et le plus brillant despotisme qui eût jamais asservi un peuple éclairé, dut naturellement commencer par proscrire tous les calvinistes, c’est-à-dire tous ceux qui croyaient, avoir quelques droits ou quelques opinions en dehors de la volonté absolue du prince. Les religionnaires furent poursuivis en même temps que la piété politiquement libérale des écrivains de Port-Royal. Tout progrès politique fut rendu impossible en France. La grande aristocratie territoriale disparut. Il n’y eut bientôt plus que des nobles aux livrées de la cour. Les Châtillon et les Guise furent les premiers hauts valets de Louis XIV. La féodalité, cet élément germain de toute la liberté moderne, fut étouffée, et ses vertus se réfugièrent dans le tiers-état. Mais la conséquence déplorable de toutes ces mesures, c’est que la plus ancienne monarchie de l’Europe fut précipitée un siècle plus tard dans le volcan révolutionnaire, que de Sages réformes et une indépendance protestante eussent immanquablement conjuré.

La troisième époque est celle que nous entreprenons de peindre. Elle comprend les années où cette portion des calvinistes, qui avaient résisté à la grande émigration de la révocation de l’édit de Nantes, en persistant à demeurer dans la patrie, lutta pour ses droits religieux et pour ses libertés de conscience, avec une fermeté et une suite dont l’histoire offre bien peu d’exemples. En lisant les pièces du temps, on voit évidemment que si les états provinciaux du Languedoc avaient pu se garnir de leur tiers-état protestant, sans doute alors de solides libertés politiques se seraient élevées sur la base des libertés religieuses. Déjà le midi de notre patrie avait autrefois donné un semblable exemple. Sans les guerres d’extermination que les papes dirigèrent contre les Albigeois, il est probable que la renaissance des lettres eût éclaté deux siècles plus tôt. Alors sans doute le bienfait d’une indépendance de ce despotisme romain, allié fidèle des rois absolus, se fût consolidé par l’exemple du royaume de Provence, et eût assuré à l’Europe l’influence d’établissements politiques équitables. Une cour brillante et polie eût remplacé la rudesse du moyen âge. La Provence eût transformé l’Europe par l’ascendant d’une langue élégante, d’un ensemble d’arts et d’une littérature supérieurs à tout ce que possédaient les contemporains, et bien antérieurs aux vers de Pétrarque et de Dante comme aux madones de Cimabue de Florence, et aux sculptures des artistes de Pise. Moins heureux que les calvinistes français du xviiie siècle et victimes d’une affreuse croisade, les Provençaux réformés ne purent conserver, même secrètement, leurs arts chevaleresques, leur religion épurée et leur poésie délicieuse. Tout périt sans retour au xiiie siècle par les massacres d’une armée de dévots atroces ; mais les disciples français de la réforme du xvie siècle, habitant presque les mêmes montagnes et des plaines non moins fertiles que l’Albigeois, purent sauver leurs principes et leur existence, grâce aux progrès de la civilisation, à l’influence d’un temps plus éclairé, et à un affranchissement plus complet de la barbarie de l’époque des croisades. Leur victoire, fruit d’une si longue persistance, forme l’objet de cet ouvrage.

Nous allons nous hâter d’arriver plus spécialement à notre sujet, en nous bornant, pour préliminaires, aux généralités historiques, très-superficielles mais très-incontestables, que nous venons de poser. Nous devons maintenant, par une transition rapide, parler des temps immédiatement antérieurs à l’histoire des églises du désert. Plus tard, nous donnerons l’esquisse de la législation des conseils de Louis XIV touchant les affaires religieuses et civiles de ses sujets protestants ; nous dirons ensuite quel fut le premier réveil et la première réorganisation de leur foi courageuse. Seulement, afin de pouvoir démêler le fil de ces événements compliqués, il convient de signaler d’abord quelles furent les influences puissantes qui présidèrent en France à leurs destinées et à de si longs malheurs.

La première de ces influences fut domestique, et fut un résultat des mœurs de la cour ; la seconde, d’un caractère plus noble, fut une conséquence du plan politique et des idées de suprématie de Louis XIV.

En considérant toute l’époque de la fin du xviie siècle, où le pouvoir en France recula jusqu’au fanatisme des Valois, on est forcé de reconnaître que l’impulsion toute dévote que reçut alors la cour de Versailles dut être attribuée surtout à l’influence qu’une nouvelle maîtresse exerça sur le monarque. Moins séduisante que ses devancières, mais beaucoup plus habile, la veuve de Scarron fut la seule de toutes les maîtresses de rois de France, qui réussit à confondre la religion et la galanterie, au point de faire changer en un nœud légitime des liaisons d’un caractère équivoque ; ce seul fait donne la mesure de l’esprit d’une femme, dont la fortune fut si prodigieuse, et dont la dévotion, partant d’un cœur où se mêlaient la pruderie, l’intrigue et l’ambition, causa des maux inouïs aux réformés du royaume. Le brave et savant Agrippa d’Aubigné, austère ami de Henri IV, avait été l’un des derniers caractères où se montra la grandeur de la réforme des premiers temps. Il avait épousé la dame de Lezay, de la maison des Lusignan, et comme lui, zélée calviniste. M. d’Aubigné, issu de ce mariage, homme d’assez mauvaises mœurs, épousa Jeanne de Cardillac, laquelle accoucha dans la prison de Niort d’un enfant, Françoise d’Aubigné ; ce fut cette petite fille du grand d’Aubigné, qui devint la duchesse de Maintenon et l’épouse de Louis XIV. Son père mourut en laissant après lui de mauvaises affaires ; les autres filles d’Agrippa d’Aubigné avaient recueilli la jeune huguenote, leur nièce, lorsqu’un ordre d’Anne d’Autriche vint la retirer d’entre leurs mains. Elle fut mise dans un couvent à Paris, où elle ne se convertit qu’après une longue résistance, vers l’âge de quatorze ans ; encore Françoise d’Aubigné ne voulut abandonner sa foi qu’à condition qu’on ne l’obligeât point de croire que sa tante, Catherine d’Aubigné, marquise de Villette, qu’elle avait vue vivre comme une sainte, serait damnée.[2] Ce point fut bientôt réglé, et Françoise abandonna la religion de ses pères.

Lorsque la jeune d’Aubigné fut devenue la femme, puis la veuve de Scarron, un esprit de dévotion profonde ne l’empêcha pas de songer à son avenir temporel. Soit par goût de piété, soit à cause de sa liaison avec le maréchal d’Albret, parent de Mme de Montespan, et qui présenta la veuve de Scarron à la favorite du jour, elle s’occupa sans relâche à convertir sa famille à la foi catholique. Elle jeta d’abord les yeux sur le marquis de Villette, son cousin ; mais celui-ci, parce qu’il résistait aux obsessions, fut éloigné de Versailles, et reçut l’ordre de faire un voyage de long cours. La veuve de Scarron ayant fait éloigner le père, put tout à l’aise séduire ses enfants. Elle emmena à Saint-Germain l’une des filles, sa petite cousine, Mme de Caylus, qui nous raconte ainsi sa conversion. « Je pleurai d’abord beaucoup : mais je trouvai le lendemain la messe du roi si belle, que je consentis à me faire catholique, à condition que je l’entendrais tous les jours et qu’on me garantirait du fouet. C’est là toute la controverse qu’on employa et la seule abjuration que je fis[3]. » Bientôt les deux frères de Mme de Caylus, petits-fils par leur mère du grand d’Aubigné, furent acquis à la foi dominante, l’un par une charge de cornette aux chevau-légers, et l’autre par le commandement du régiment de la reine-dragons ; leur père suivit cet exemple, et, à ce qu’il paraît, avec plus de conviction. Tels furent les premiers succès qui, réunis à un esprit agréable et à une figure distinguée, recommandèrent la veuve de Scarron à l’amitié de Louis XIV.

Mais le grand roi eut bientôt l’occasion de mieux profiter de son zèle. Il commençait à vieillir. Ses amours, d’abord inspirés par la volupté, tendaient à se purifier par des attachements dévots. Ce fut alors que la veuve de Scarron, nommée dame d’atours de la dauphine de Bavière, ensuite dame du palais de la 1674-1675.reine, prit le titre de Maintenon, à cause d’une terre que le roi lui avait achetée en récompense de son zèle pour la conversion des huguenots. Les premiers services qu’elle rendit au roi très-chrétien consistèrent d’abord à élever avec soin et même avec tendresse, les nombreux enfants adultérins que Mme de Montespan, aussi belle qu’ambitieuse, lui avait donnés. En quelque sorte et à la fois nourrice, sage-femme, confidente et gouvernante, Mme de Maintenon prouva que l’ambition fait supporter tous les genres de services. Ainsi l’empire de Mme de Montespan fut dès lors ébranlé. À mesure que l’âge calmait les passions de Louis XIV, en laissant croître sa dévotion, il dut se ranger de plus en plus sous la direction d’une femme qui joignait à un esprit solide une pruderie d’égoïsme, entièrement analogue au caractère du monarque. Il en résulta bientôt que l’altière Mme de Montespan, cette favorite qui avait vu sans émotion son carrosse passer sur le corps d’un pauvre homme au pont de Saint-Germain, cette femme qui avait désigné Bossuet pour gouverneur de monseigneur, et qui avait protégé Racine et Boileau, cette femme qui avait su anéantir le crédit de Louvois, ne put triompher de l’habileté d’une dévote sèche et précieuse.

Enfin, Mme de Montespan se retira de la cour, avertie par Bossuet, dont on regrette de rencontrer la grande figure au milieu de cette affaire, et le règne de Mme de Maintenon commence. Il suffit de ces traits de l’élévation d’une telle reine dévote pour expliquer quel rôle funeste elle a pu jouer au milieu des délibérations qui amenèrent tant d’édits vexatoires ou cruels. Ce fut la première influence, secrète et incessante, qui agit sans cesse contre les droits et contre le repos des protestants.

Il faut maintenant déterminer aussi fort brièvement l’influence politique qui les accabla. Elle se dessina surtout dans les dernières années d’un règne si brillant aux yeux de la foule. Louis XIV eut un seul but politique, bien appréciable et bien constant, la prédominance sans partage de l’influence française, c’est-à-dire de sa couronne, sur toute l’Europe. De cette idée ambitieuse et déraisonnable, mais grande, découlait aussi l’établissement de la religion du prince.

Vers le commencement du xviiie siècle, l’étoile victorieuse de Louis XIV pâlit tout à coup. En acceptant la couronne d’Espagne, héritage du faible et irrésolu Charles II, au profit de son petit-fils Philippe, duc d’Anjou, le monarque français avait déchiré le traité de Ryswick, trois ans après sa signature ; il avait prononcé ce grand mot politique : « Il n’y a plus de Pyrénées. » Et ces paroles superbes armèrent, 1700. toute l’Europe. Cependant le roi n’avait point formé de dessein plus vaste et d’une politique plus hardie. Il eut l’idée de contenir la maison de Savoie, prétendant à la succession d’Espagne ; d’abaisser la maison d’Autriche, en excluant du trône espagnol l’archiduc Charles, héritier des droits de la maison d’Habsbourg ; de détruire la révolution religieuse et politique de l’Angleterre en proclamant roi d’Angleterre et d’Irlande le prétendant, fils de ce Jacques II, qui venait de mourir à Saint-Germain entre les bras des jésuites, dont les conseils l’avaient détrôné. Ainsi la France attaquait à la fois la prééminence de l’empire catholique autrichien et les intérêts de la ligue protestante. Suprématie politique absolue, avec l’unité religieuse générale, tel fut le projet gigantesque d’un monarque que tant de victoires avaient enivré. Louis ne put résister aux puissants intérêts que son ambition devait soulever. La funeste journée de Bleinheim, où Eugène et Marlborough obligèrent les Français à évacuer la 1704.
13 août.
Bavière, fut suivie, coup sur coup, des désastres sanglants de Ramillies, d’Oudenarde et de Malplaquet. Alors on vit Toulon investi ; Lille, Tournai, Douai et Bouchain occupés ; les finances épuisées ; les troupes sans paye et souvent sans vivres ; les peuples écrasés d’impôts ; le commerce anéanti ; au milieu de tant de causes de décadence une cour assidue à toutes les minuties de l’étiquette et de la dévotion, essayant de déguiser sous le faste une misère qui peuplait de mendiants jusqu’aux cours de Versailles : toutes ces causes diverses parurent plonger le roi et la nation dans le désespoir. La tristesse du vieux monarque augmentait toujours, bien qu’il eût essayé d’aller « courir le cerf, » sans montrer nul changement sur son visage, et repoussant les consolations du père La Chaise[4]. Mais Dangeau lui-même, ce modèle des courtisans égoïstes, ne put s’empêcher de manifester « sa surprise et sa douleur » lorsqu’il vit M. de Biron arriver à Versailles parce que « les ennemis lui avaient donné congé pour un mois, » et lorsqu’il apprit que les alliés tenaient enfermés dans Oudenarde seule quatre mille prisonniers français et sept cents1708. officiers. Louis XIV lui-même laissait échapper l’expression de sa douleur, quand il s’écriait amèrement, après la prise facile d’Exilles, « qu’il avait peine à comprendre les Français, » Cependant le roi de France mérita vraiment le nom de grand dans ses malheurs. Il était déjà question de diviser la France ; on exigeait qu’il détrônât lui-même son petit-fils Philippe V. Alors le roi répondit en publiant ces propositions déshonorantes et déclara qu’il périrait plutôt à la tête de la noblesse, qu’il avait tant humiliée dans les antichambres de Versailles. Bientôt le maréchal de Villars, commandant des troupes électrisées par un tel 1712.
24 juillet.
exemple, força les lignes de Denain, que l’intrigue d’ailleurs lui avait ouvertes, et rétablit la fortune chancelante de la France. La lassitude générale, secondée par la futile disgrâce de Marlborough, amena 1714.des négociations, qui se terminèrent par les traités d’Utrecht, de Rastadt et de Bâle. L’unité politique, rêvée par Louis XIV, disparut. L’Angleterre acquit la reconnaissance de sa dynastie nouvelle, avec Dunkerque, qu’elle céda plus tard, et Gibraltar, qu’elle ne céda plus : ainsi s’évanouit également le projet de ruiner la confédération protestante. Seulement Philippe V, d’Espagne, se donna la vaine consolation de stipuler, en cédant la clé de la Méditerranée aux Anglais, que tout juif ou Maure serait banni de Gibraltar, et que la forteresse ne communiquerait avec l’Andalousie que pour les denrées nécessaires à la vie, de peur que ce voisinage d’hérésie n’infectât le royaume catholique. Des publications diplomatiques importantes, qui ont eu lieu récemment, ont dévoilé les petites causes de ce grand avortement, en même temps qu’elles ont établi la portée des projets de la France. Mais ce fut grâce aux victoires de cette ligue vengeresse, qui comptait tant d’officiers et tant de soldats levés dans les rangs des réfugiés, que la monarchie de Louis XIV et de ses successeurs dut renoncer sans retour à rétablir en Europe l’unité de religion. Cette salutaire nécessité politique eût peut-être empêché la révocation de l’édit de Nantes si elle eût été plus tôt imposée par les éventualités ; la cour ne s’exposa plus dès lors aux émigrations en masse. Louis XIV fut vaincu par la coalition de l’Europe. Nous verrons que ces édits le furent aussi par la résistance intérieure d’une faible minorité de ses sujets.

Cette nouvelle situation, dont le trait le plus saillant, en ce qui touche l’histoire religieuse protestante, fut l’admission définitive de la nouvelle dynastie anglaise anti-catholique dans le droit national européen, en la personne de George 1er, dut exercer une grande influence sur la situation des protestants et sur la conduite de la cour de France à leur égard. Si, d’un côté, la paix permettait à Louis XIV de couvrir le midi du royaume de troupes aguerries et fort nombreuses, de l’autre, la coalition avait ruiné tout projet sérieux d’unité religieuse en Europe, et avait confirmé à jamais les transactions tolérantes du traité de Westphalie. Les rigueurs de Louis XIV ne pouvaient donc plus avoir d’autre objet que celui de faire régner une unité intérieure et de plier tout sujet à la religion du prince. La dévotion restait tout entière ; mais elle n’avait plus de but politique. Aussi, après tous ces événements, qui coïncidèrent avec la fin de la guerre des Cévennes, les persécutions contre les protestants du midi du royaume diminuèrent d’intensité et de suite. Quelques hommes, distingués au plus haut degré par le courage et le zèle, unis à une foi sans fanatisme, purent se livrer à l’espoir de faire renaître le culte protestant et son organisation régulière, dans des contrées, qui n’avaient pas cessé d’en être le foyer, malgré tant de combats, de désordres et de supplices. À peine le traité d’Utrecht eut-il été signé et à peine la guerre des camisards fut-elle arrivée à son terme, autant par les négociations que par les défaites, que la foi tranquille et patiente des anciens réformés se retrouva tout entière, et qu’on tenta, non sans succès, de réunir encore une fois dans un lien vraiment national et évangélique, les débris de ces églises si longtemps désolées.

Chose bien digne de remarque, ces tentatives heureuses coïncidèrent à peu près avec la mort de Louis XIV. 1715.
septemb.
Jetons un regard sur ses derniers moments. Par une destinée singulière, ou pour mieux dire, providentielle, ce monarque mourant, tellement craint encore dans son agonie que le duc d’Orléans en suivait les progrès absolument seul dans son palais de Marly, subit deux témoins froids et inflexibles, qui tinrent un journal exact des faits et paroles de ses dernières années et de ses heures dernières. Sous leur plume amère, l’étiquette fit place à la sévère histoire. Ces témoins furent Dangeau et Saint-Simon. Suivant Dangeau, le monarque expira, non sans avoir appris quatre mois avant sa mort, par Torcy, que les paris s’ouvraient publiquement en Angleterre sur le peu de temps qu’il avait à vivre ; il mourut après avoir, en quelque sorte, chargé les cardinaux de Rohan et de Bussy de répondre devant Dieu de ce qu’en matière religieuse « il aurait porté son autorité trop loin[5] ; » il mourut, affilié probablement par des vœux laïcs à la société des Jésuites, et couvert de reliques de la vraie croix, que Mme de Maintenon lui avait cédées ; il mourut abandonné par cette femme même qu’il avait trop écoutée, et qui, nous dit Dangeau avec un prodigieux sang-froid : « malgré sa douleur de l’état où elle voyait le roi, n’a été occupée que de sa conscience » ; il mourut, sans toutefois que le sérieux de ce moment solennel l’empêchât de tromper, même dans son agonie, le duc d’Orléans, à qui il garantit sept jours avant sa mort « qu’il n’y avait rien dans son testament dont il ne dût être content ; » il mourut, et son testament fut déchiré le lendemain même, et son corps fut transféré à Saint-Denis au milieu des coups de pierre et des huées du peuple. Lorsque son cœur fut porté aux Jésuites de la rue Saint-Antoine, « pas six personnes de la cour, » hormis celles dont les fonctions obligeaient la présence, assistèrent à cette lugubre cérémonie.

Suivant Saint-Simon[6], le 26 août 1716, Louis XIV mourant dit au petit nombre de personnes qui étaient restées dans son cabinet, et notamment aux cardinaux de Bussy, de Rohan, et au père Tellier, qu’il mourait dans la foi et la soumission à l’Église ; puis il ajouta, « en arrêtant ses yeux sur eux, qu’il était fâché de laisser les affaires de l’Église en l’état où elles étaient, qu’il y était parfaitement ignorant, qu’ils savaient et qu’il les en attestait qu’il n’y avait rien fait que ce qu’ils avaient voulu ; qu’il y avait fait tout ce qu’ils avaient voulu ; que c’était donc à eux à répondre devant Dieu pour lui de tout ce qui s’y était fait, et du trop ou du trop peu ; qu’il protestait de nouveau qu’il les en chargeait devant Dieu, et qu’il en avait la conscience nette, comme un ignorant qui s’était abandonné à eux dans toute la suite de l’affaire, » paroles solennelles et vraies, qui résument la conduite et les longues erreurs d’un souverain, dont l’esprit, naturellement juste et grand, ne devint persécuteur que par les suggestions de dévots intéressés.

Telle fut la fin de ce monarque, souverainement despote par goût, par politique et par égoïsme, dont les armes avaient fait trembler les nations, dont tous les prodiges de l’art, de l’esprit et de la beauté, avaient orné la cour. Il fut ennemi de la liberté de conscience par dévotion autant que par tyrannie. Mais toutes les mesures d’une intolérance si constante, si ingénieuse et si cruelle ne purent jamais réussir à ramener les peuples protestants, ni à déraciner les réformés du milieu du sol de son royaume. Une grande leçon que légua sa politique, c’est qu’il ne fut pas donné au règne le plus absolu et le plus brillant peut-être qui fut jamais, d’arriver à la consommation définitive d’une grande injustice.

En effet, nous allons voir les églises du midi de la France sortir glorieusement de leurs ruines. Les difficultés étaient immenses. D’un côté, dans la province de Languedoc, dans le Vivarais, et dans tout le district des hautes et basses Cévennes, le zèle s’était, il est vrai, conservé. La foi si longtemps proscrite était encore vivante dans les cœurs d’une forte partie des habitants ; mais, de l’autre côté, c’était aussi dans ces contrées que les désordres avaient régné le plus longtemps, que les plus grands excès avaient été commis, et que la guerre la plus sanglante avait confondu ses ravages avec ceux d’un fanatisme porté jusqu’au désespoir. Cet état de choses avait amené la clôture de toutes les écoles, la destruction de toutes les églises, et la suppression des synodes. Plus d’académies d’où il pût sortir de nouveaux ministres. Ceux qui avaient fui le sol natal n’étaient guère disposés à revenir dans cette partie de la France à peine pacifiée, où leurs travaux eussent été interrompus par un martyre presque inévitable, après les premières années qui suivirent la guerre des camisards.

Cependant, même en l’absence de tous conducteurs, les troupeaux fidèles, éclaircis par les combats et les persécutions, continuèrent à célébrer, quoique d’une manière fort irrégulière, ce culte que tant de malheurs semblaient leur faire chérir davantage. Jamais les habitants des plaines brûlantes du Languedoc méridional, ni les montagnards des Cévennes, du Vivarais et du Gévaudan, ne se résignèrent à abandonner sans retour la foi de leur conscience, et la religion de leurs martyrs. Ces paysans, débris de tant d’églises florissantes, ne professèrent point une obéissance passive aux ordres rigoureux de la cour. Il semblait que leur imagination, excitée encore par les souvenirs d’une guerre qui ne fut point sans gloire et où ils apprirent à sentir leurs forces, leur fit éprouver le plus impérieux besoin de s’assembler de nouveau, et de se réunir pour célébrer leur culte au milieu de dangers de toute espèce, et sous les yeux des garnisons nombreuses qui occupaient leurs montagnes. Ces tendances se manifestèrent dès l’époque de la paix d’Utrecht. Les réformés commencèrent alors, tout en1712., renonçant à des levées d’armes et à des moyens hostiles, à se rassembler de nuit dans des cavernes, dans des bois, en rase campagne, ou abrités par des rochers élevés, loin de toute habitation. Ces lieux déserts et sauvages, dont l’aspect leur fournissait des allusions tirées des livres saints ; l’obscurité, l’heure nocturne, le mystère, les fatigues et les dangers qu’il leur fallait braver ; l’irruption des troupes qui pouvaient à chaque instant les surprendre ; la tactique souvent très-étudiée à laquelle ils avaient recours pour se préserver de ces alertes ; toutes ces circonstances étaient de nature à exalter au plus haut degré leur imagination religieuse. Dans de pareils périls, la piété a tout le charme de la poésie et du mystère ; mais aussi elle est portée à nourrir cet esprit fanatique et sauvage qui détruit toute organisation ecclésiastique régulière. Cet esprit donnait prise à leurs vigilants ennemis[7]. Telle fut l’origine cependant de ces Assemblées du désert, qui furent continuées avec tant de persévérance pendant tout le reste du xviiie siècle, et qui devinrent l’asile de la foi réformée.

Toutefois, les sévérités des édits, le séjour des troupes, et les rigueurs des gouverneurs des provinces, ne furent point le seul obstacle qui s’opposait à la renaissance régulière du culte et de la discipline protestante. D’autres difficultés intérieures, qui tenaient à l’esprit des protestants eux-mêmes, pouvaient compromettre cette restauration. Le fanatisme avait laissé des profondes traces dans les âmes, et on sait qu’une tendance de ce genre, s’emparant d’une masse populaire, ne peut se calmer tout d’un coup. Aussi, après la pacification de ces provinces, les plus ardents huguenots, camarades des anciens camisards, entraînés par leur fougue autant que par leurs souvenirs, appelaient encore avec une entière bonne foi l’inspiration du Saint-Esprit, et prenaient la parole dans les assemblées, à défaut de ministres dûment établis. C’étaient principalement des femmes qui se distinguaient par cette exaltation. (Mss. veg.) Enfin, tous les excès des prophètes camisards se reproduisaient dans les prêches clandestins, auxquels ce pauvre peuple était forcé de recourir. On conçoit alors quelles immenses difficultés durent rencontrer ceux qui tentèrent les premiers de remettre la religion et le culte sur un pied de sage organisation et de piété sans fanatisme.

Le ministre Antoine Court fut le principal ouvrier de cette œuvre. Né à Villeneuve-de-Berg, en Vivarais, l’an 1696, il se voua dès l’adolescence à secourir ses frères, et il conçut même des desseins étonnants à un âge aussi tendre. La nature l’avait formé pour ce rôle apostolique. A. Court était doué d’un sens droit et ferme, d’un courage intrépide joint à une prudence consommée ; il avait une vigueur surprenante qui lui donnait la force de supporter les plus grandes fatigues sans en être abattu : chez lui, l’âme participait de la vigueur du corps ; il s’exprimait par écrit ou par la parole avec une extrême facilité ; cette force d’entendement n’excluait pas une agréable aménité de commerce ; il joignait à beaucoup de tact et de connaissance des affaires une persévérance, une pureté de vues et une intégrité de mœurs, qui le faisaient apprécier et chérir : qu’on ajoute à ces qualités un dévouement inébranlable aux intérêts de la foi et à ceux de ses frères, et on pourra se faire l’idée d’un caractère que la série nombreuse de ses lettres familières et intimes nous a révélé dans tout son éclat, et qui rendit les plus éminents services aux églises désolées de sa patrie. Telles furent les qualités toutes de naissance qui distinguèrent ce courageux pasteur. Un assez grand nombre des manuscrits de ses études, de fragments de controverse, de notes de critique sacrée et d’histoire, de morceaux d’une véritable éloquence, nous ont prouvé qu’il avait su réparer par son travail le manque d’une éducation classique, dont le désordre des temps et l’absence de toute ressource académique l’avait privé ; nous aurons de nombreuses occasions d’apprécier les services qui lui ont fait décerner le titre « de Restaurateur du protestantisme en France, rôle plus difficile que celui de fondateur de secte, puisque c’était contre un enthousiasme dégénéré en fanatisme qu’il dut diriger ses premiers coups. » (M. de Vegobre. Mss. Ib.)

1715.Il paraît que, dès l’âge de dix-sept ans, Antoine Court jeta les bases de son grand dessein, quatre ans après la fin de la guerre des Cévennes. Cet esprit si jeune, mais déjà doué d’un sens profond, avait étudié le véritable état des choses en exerçant ses fonctions de lecteur et de prédicateur dans les réunions nocturnes du Vivarais. Il reconnut avec une parfaite justesse que la secte trop répandue encore des Inspirés, malgré la ferveur de ses intentions pieuses, risquait d’amener l’extinction définitive de l’Église réformée, au moins dans son ancienne organisation et dans sa forme historique. Il redoutait de voir leur effervescence s’user et s’éteindre après quelques années d’existence, et ensuite les descendants des vieux protestants nationaux se seraient trouvés sans discipline régulière, sans culte bien ordonné, et ils eussent manqué absolument de ministres instruits. Ce besoin était bien urgent toutefois, en présence de la foi catholique, de ces prêtres, qui, soutenus par la cour, employaient tantôt la violence, tantôt la séduction, pour convertir à leur dogme.

On voit donc que la guerre des Cévennes avait tout interrompu, qu’elle avait rompu tout lien de discipline, qu’elle avait dispersé les troupeaux, exilé ou fait périr les pasteurs, et, ce qui était plus fâcheux encore, qu’elle avait laissé tous les esprits en proie à toutes les aberrations d’un fanatisme aussi funeste que la persécution même. Il fallut faire renaître l’ordre du sein de ce chaos. Les constants efforts qui furent faits en ce sens et qui furent couronnés d’un admirable succès sont presque inconnus aujourd’hui, même dans les contrées qui en furent le théâtre. Si on a conservé les noms de quelques-uns de ces hommes vraiment apostoliques, à peine une vague tradition a-t-elle sauvé de l’oubli les faits généraux d’une entreprise à laquelle ils se dévouèrent avec tant de foi et de courage. L’histoire du dernier siècle, qui a transmis jusqu’à notre temps tant de mémoires graveleux et tant de futilités de cour, ne s’est point chargée de nous dire quelles furent la conduite, les dangers et les vues de ceux qui accomplirent un dessein aussi beau. Nous allons donc insérer ici un récit authentique émané de la plume du principal ouvrier[8]. Seulement, comme ces détails se trouvent placés incidemment dans un mémoire justificatif qu’il fut obligé de composer, et que c’est ainsi lui-même qui nous raconte sa carrière, c’est rendre justice à cet homme si digne d’admiration que d’observer qu’il nous dit en commençant « qu’il se voit dans la dure nécessité de parler de soi et d’en dire des choses qui peuvent être soupçonnées de vanité ou qui mettent au moins la modestie dans une cruelle souffrance. » Voici le précis très-attachant que le ministre Antoine Court nous a laissé sur son but et sur ses travaux ; on nous saura bon gré de le laisser parler lui-même.

« Ce fut en 1715 qu’il plut à Dieu de m’appeler au service de cette église (Nîmes). Et qui pourra dépeindre l’état où se trouvait à cette époque et cette église et la religion en France. À peine en connaissait-on quelque trace. La persécution d’un côté, l’ignorance et le fanatisme de l’autre, l’avaient entièrement ou anéantie ou défigurée. Le plus grand nombre de ceux qui conservaient dans leur cœur le plus d’attachement pour elle, démentaient et déshonoraient cet attachement par leur conduite extérieure. Ils tenaient, pour ainsi dire, d’une main l’Évangile et de l’autre l’idole. Pendant la nuit ils rendaient à Dieu, dans leurs maisons, un culte secret, et pendant le jour ils allaient publiquement à la messe. Quels soins ne fallut-il pas pour les retirer d’une conduite aussi déshonorante et si contraire aux maximes de l’Évangile ? Combien n’en fallut-il pas pour retirer la religion de l’état déplorable où les causes dont j’ai parlé l’avaient conduite ?

« Quatre moyens, avec la bénédiction du Seigneur que j’implorais sans cesse, se présentèrent à mon esprit. Le premier fut de convoquer les peuples et de les instruire dans des assemblées religieuses ; le second, de combattre le fanatisme qui, comme un embrasement, s’était répandu de tous côtés, et de ramener à des idées plus saines ceux qui avaient eu la faiblesse ou le malheur de s’en laisser infecter ; le troisième, de rétablir la discipline, l’usage des consistoires, des anciens, des colloques et des synodes ; le quatrième, de former autant qu’il serait en mon pouvoir de jeunes prédicateurs, d’appeler des ministres des pays étrangers ; et s’ils manquaient de vocation pour le martyre et qu’ils ne fussent pas disposés de répondre à mes pressantes incitations, de solliciter auprès des puissances protestantes des secours en argent, pour aider aux études et à l’entretien des jeunes gens en qui je trouverais assez de courage et de bonne volonté pour se dévouer au service et au salut de leurs frères. »

« Tel fut le plan qu’il plut à Dieu de m’inspirer dès ma plus tendre jeunesse (car je venais d’entrer dans ma dix-huitième année), et que je n’ai jamais perdu de vue, et qui n’a cessé de m’occuper depuis quarante ans que je suis au service de son église.

« Je ne l’eus pas plutôt formé que j’en commençai l’exécution, et le même Dieu, qui, dans les vues miséricordieuses qu’il avait conservées pour sa chère église, me l’avait inspiré, me fit la grâce de n’être retenu ni par les sacrifices qu’il fallut faire, ni par le tendre attachement que je conservais pour une mère veuve et dont je faisais toute l’espérance ; ni d’être découragé, ni par la grandeur de l’entreprise, ni par les soins et les périls qui devaient l’accompagner.

« Mes premières courses eurent pour théâtre le Vivarais. Là les échafauds et les gibets étaient encore ensanglantés de l’exécution de plusieurs protestants que l’esprit de fanatisme avait conduits dans celui de la rébellion. Ici se trouvaient quelques hommes et une quinzaine de femmes ou filles qui au titre de prédicants réunissaient celui de prophètes. Je craindrais de n’être pas cru si je rapportais tout ce que ces esprits fourbes ou séduits disaient de puéril, d’indigne et de déshonorant pour la religion. Je m’attachai à convaincre les premiers d’imposture, et à ramener les autres par mes instructions. Il n’était pas rare de voir dans les assemblées, si peu nombreuses qu’elles fussent, deux, trois femmes, et quelquefois des hommes, tomber en extase et parler tous à la fois comme ces Corinthiens à qui saint Paul adresse ses censures. Bientôt, je passai, comme un autre Élie, pour être le fléau des prophètes, avec cette différence que mon zèle n’était point destructif et qu’il se bornait à convaincre et à instruire. Il fait la guerre à Dieu, disaient au commencement tous ceux qui croyaient à l’inspiration. Mes discours ne laissaient pas d’être accompagnés des plus heureux succès, et mes progrès d’être des plus rapides. Dans peu le fanatisme n’osa plus paraître e » public ; ceux qui en conservaient encore quelque teinture ne s’en entretenaient plus qu’en secret.

« Dieu ne répandait pas de moindres bénédictions sur les soins que je me donnais pour convoquer les peuples, pour les éclairer et pour ranimer leur foi presque éteinte. Ces convocations furent d’abord rares et peu nombreuses ; c’était beaucoup lorsqu’à force de soins et de sollicitations, je pouvais disposer dans un même lieu six, dix, douze personnes à me suivre dans quelque trou de roche, dans quelque grange écartée ou en rase campagne pour rendre à Dieu leurs hommages et entendre de moi les discours de piété que j’avais à leur adresser. Quelle consolation aussi ne fut-ce pas pour moi de me trouver en 1744 dans des assemblées de dix mille âmes, au même lieu où à peine, dans les premières années de mon ministère, j’avais pu assembler quinze, trente, soixante, ou tout au plus cent personnes…

« De quelques progrès que fussent accompagnés mes premiers soins, je compris que, pour les étendre et les rendre plus efficaces, il était absolument nécessaire que je travaillasse incessamment au rétablissement de la discipline.

« Je trouvai, en effet, que les désordres, que la malheureuse affaire des Camisards jointe au fanatisme avaient produits, avaient tellement indisposé les esprits et décrédité à un tel point chez les protestants même, que tout ce qui se nommait prédicant ou assemblée était regardé avec une espèce d’horreur ; que, d’un autre côté, la licence de s’ériger en prédicateur était telle, que quiconque en formait le dessein pouvait l’exécuter sans obstacle ; qu’hommes, femmes, tout le monde se mêlait du métier ; qu’une telle licence ne pouvait qu’introduire dans l’Église de fort mauvais sujets ; qu’elle était d’ailleurs peu propre à dissiper les idées désavantageuses-que les protestants eux-mêmes avaient conçues contre les prédicants et contre les assemblées. Quoi donc, me dis-je, de plus nécessaire, que d’apporter quelque remède à ces désordres et que d’arrêter le cours de si grands maux ?

« Pour y parvenir, j’avais convoqué pour le 21 août 1715 tout ce qu’il y avait de prédicants dans les Cévennes et le bas Languedoc ; j’avais invité à cette assemblée quelques laïcs des plus éclairés ; je leur fis à tous une vive et touchante peinture de l’état des choses : je leur représentai la nécessité qu’il y avait d’y apporter tous les remèdes, qui seraient en notre pouvoir ; qu’un des plus efficaces, outre le bon exemple que chaque prédicateur était obligé à donner de la purification du sanctuaire de tout fanatisme, était le rétablissement de la discipline ; que je m’étais rendu ce jour-là au milieu d’eux dans le dessein d’en jeter les premiers fondements ; qu’il fallait commencer par établir un modérateur et un secrétaire, l’un pour présider aux délibérations et l’autre pour les rédiger par écrit. Tous ayant accédé à ma proposition, je fus établi à la pluralité des suffrages, non seulement pour être le président de la petite assemblée, mais aussi pour en être le secrétaire.

« On commença par conférer la charge d’ancien aux laïcs qui se trouvaient dans l’assemblée, et il fut convenu qu’on en établirait dans tous les lieux où la prédication et les prédicants seraient reçus ; qu’ils seraient chargés, 1o de veiller sur les troupeaux en l’absence des pasteurs et sur la conduite des pasteurs mêmes ; 2o de choisir des lieux favorables pour la convocation des assemblées ; 3o de les convoquer avec toute la prudence et le secret possibles ; 4o de faire des collectes pour assister les pauvres et les prisonniers ; 5o de procurer des retraites sûres aux prédicateurs et de leur fournir des guides pour les conduire d’un lieu à l’autre.

« Je fis mettre ensuite en délibération, 1o que selon l’ordre de saint Paul il serait défendu aux femmes de prêcher à l’avenir ; 2o qu’il serait ordonné de s’en tenir uniquement à l’Écriture Sainte comme à la seule règle de la foi et qu’en conséquence l’on rejetterait toutes les prétendues révélations, qui avaient la vogue parmi nous, et qu’on les rejetterait non seulement parce qu’elles n’avaient aucun fondement dans l’Écriture, mais encore à cause des grands abus qu’elles avaient produits. Ces deux articles passèrent à la pluralité ; le reste de la journée fut employé à l’examen des mœurs de tous ceux qui composaient le petit collège. La manière en parut nouvelle. Deux des membres qui donnèrent dans la suite bien de l’exercice et que la providence conduisit en 1723 à une mauvaise fin, s’y opposèrent ; je leur en représentai la nécessité, et ils s’y soumirent comme les autres. (L’auteur veut parler ici des prédicateurs Jean Huc et Jean Vesson, dont nous rapporterons plus bas les actes et le sort.)

« Les règlements de cette petite assemblée, dont j’eus grand soin de faire des copies et de les répandre, firent du bruit et produisirent d’excellents effets. Elle fut qualifiée du nom de synode et fut suivie de plusieurs autres, qui portèrent le même nom ?

« C’est d’une de ces assemblées tenues en 1719 que je fis écrire à M. Jacques Basnage pour lui donner avis de ce qui se passait parmi nous[9]. Notre lettre était datée de notre assemblée synodale, et était signée du modérateur et du secrétaire. Cette lettre fit grand plaisir à ce pasteur. Il nous en assura en ces termes : « Il serait difficile de vous exprimer la joie que m’a causée votre lettre. La date même m’a fait un plaisir extrême aussi bien que les noms signés. Je bénis Dieu de ce qu’il a commencé son œuvre parmi vous. Toutes les règles de discipline que vous observez sont conformes à celles de nos pères, dont Dieu a béni les soins et les courageux efforts. » (Lett. du 18 juill. 1719). L’approbation de ce ministre ne fut pas un faible encouragement pour mes compagnons et pour moi ; elle servit encore à nous mériter celle de plusieurs de nos frères, qui n’entraient pas dans toutes nos idées, »

Tel fut le dessein étonnant, conçu et exécuté par le jeune Antoine Court. La seule idée d’un projet si délicat, à un âge aussi tendre, et chez un enfant pour ainsi dire, est une chose extraordinaire. La prudence et la sagesse qu’il montra touchant les mesures à prendre, ne le furent pas moins. On ne peut qu’admirer l’esprit de logique, qui le porta avant tout à éclairer le peuple et à combattre des sectaires exaltés. Il reconnut avec évidence que l’objet capital était de donner une organisation commune aux débris des églises, et de leur imprimer une marche uniforme qui pût protéger la foi et réprimer tout excès. Et cependant que de difficultés, que de périls venaient de toutes parts contrarier un tel dessein. Ce n’était pas encore assez qu’une foule d’édits persécuteurs défendissent les assemblées sous peine de galères, et frappassent tout ministre de condamnation à mort ; de plus, et grâce aux mesures de police des intendants, il y avait une foule d’individus malveillants, de délateurs soudoyés par la cour, qui s’étaient glissés dans les églises. Il fallait rappeler au bercail le troupeau dispersé, abattu et timide, en partie livré aux égarements du fanatisme. Il fallait fonder une hiérarchie qui n’existait plus depuis longtemps. Il fallait ranger tous ces fidèles exaltés dans les limites salutaires d’une discipline dont il n’y avait plus que des lambeaux. Il fallait, en un mot, guérir les désordres qu’une guerre furieuse avait laissés après elle dans presque tous les esprits. Il fallait en outre s’entendre avec les autres pasteurs, dont le zèle avait survécu à tant d’agitations, et qui avaient eu le courage de rester dans ces contrées encore teintes du sang de leurs frères.

Ce fut l’œuvre d’Antoine Court et le but de sa vie, avant l’âge de vingt ans. Ce fut le plan admirable d’où est sortie lentement, au travers de mille persécutions, la réorganisation des églises réformées du midi de la France. Ce fut dans ce but que le jeune Court eut l’idée touchante d’appeler les conseils et en quelque sorte les bénédictions de l’illustre Jacques Basnage, qui put ainsi saluer de ses derniers vœux la renaissance d’une Église dont il fut peut-être le plus spirituel défenseur. Au 21 du mois d’août 1715, déjà Louis XVI se mourait au milieu des magnificences de Versailles. Tandis que ce puissant monarque, qui avait fait frapper les médailles de l’hérésie éteinte, était prêt d’aller rendre compte au tribunal suprême ; alors sur les montagnes du Vivarais, tant ravagées par la guerre et par le supplice, l’hérésie renaissait de ses cendres par les soins d’un enfant sans nom et de quelques prédicateurs obscurs et illettrés. Jamais, dans les affaires du monde, le doigt de la Providence ne fut plus manifeste.

Il paraît qu’immédiatement après cette première réunion préparatoire de 1715, deux autres assemblées successives eurent lieu pour arrêter le sommaire d’une organisation nouvelle, appropriée à la gravité des circonstances et aux malheurs des temps. La première fut tenue dans la province de Dauphiné, le 11 août 1716, et la seconde au commencement de 1717. Là, le jeune Court fit encore le tableau de la position des églises. Il détermina cinq pasteurs, ses collègues, à faire revivre les anciens synodes, et à dresser une ébauche qui servît de point de départ à l’organisation nouvelle, et de transition entre les temps postérieurs à la guerre des camisards et ceux du dernier siècle. Nous avons été assez heureux pour retrouver la minute de ce vénérable monument de la foi des réformés français ; trois petites pages d’écriture grossière, bien défigurées par le temps, portent les délibérations de cette assemblée, signées en original par A. Court, secrétaire, et par les autres pasteurs qui prirent part à cette œuvre mémorable. Ce sont les pasteurs P. Durand, J. Crotte, Jean Huc, Jean Vesson et Étienne Arnaud. On va voir, par cette délibération, que déjà l’impulsion que le jeune Court avait donnée produisait d’excellents fruits, et que les bases d’une solide et sage organisation étaient solidement jetées.

« Règlements et délibérations du synode du Dauphiné, tenu le 22 août 1716, et du synode du Languedoc, tenu le 2 mars 1717, lesquels doivent être observés dans toutes les églises réformées où les pasteurs ordinaires et extraordinaires exposent la prédication de l’Évangile ; et cela pour la gloire de Dieu, pour une plus grande édification du public, et pour porter tant les pasteurs que les troupeaux à la sanctification. Nous soussignés, pasteurs de Jésus-Christ et anciens signés dans l’original, assemblés pour prendre les mesures les plus propres et les plus conformes au temps et surtout à l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, après avoir invoqué la miséricorde divine et les lumières du Saint-Esprit, nous avons fait les règlements suivants :


I. On lira, à l’exemple de l’église réformée de Genève, les commandements de Dieu avant la prédication.
II. On fera réciter le catéchisme après la prédication, en expliquant ce qui peut s’y trouver de moins clair.
III. Les pères de famille seront exhortés à faire trois fois le jour la prière en commun avec leurs enfants et leurs domestiques, et à la faire réciter tour à tour par les personnes de la maison afin de les porter à ce saint exercice avec plus de diligence.
IV. On doit destiner au moins deux heures à la dévotion du dimanche, à laquelle tous ceux de la maison se doivent rendre.
V. On doit reprendre en public, après la première, la deuxième et la troisième admonition, tous ceux qui commettent des crimes noirs et scandaleux.
VI. On ne doit pas appeler les fidèles d’un mandement dans les assemblées qui sont convoquées dans un autre mandement.
VII. On doit écouter la parole de Dieu comme la seule règle de notre foi, et en même temps refuser toute prétendue révélation dans laquelle nous n’avons rien qui puisse soutenir notre foi ; et, à cause des grands scandales qui sont arrivés de notre temps, les pasteurs sont obligés d’y veiller avec soin.
VIII. Les pasteurs ayant l’approbation des anciens doivent faire toutes les fonctions de leurs charges prêcher, administrer les sacrements et bénir les mariages.
IX. On doit veiller sur la conduite des pasteurs, et s’ils commettent quelque crime qui soit en scandale à leurs frères ou à l’église, ils doivent être démis de leur charge pour quelque temps, à moins que celui qui serait tombé dans quelque faute n’en témoignât un repentir sincère.
X. Les pasteurs, étant arrivés à un lieu, doivent s’informer des vices les plus communs et les plus éminents pour y apporter toutes sortes de remèdes afin d’en interrompre le cours.
XI. Les pasteurs doivent se rassembler, de six mois en six mois, pour voir si tous ont eu soin de visiter les malades, d’ordonner les collectes pour les secourir, en un mot, s’ils ont rempli le devoir de leur charge sans reproche.
XII. S’il arrive quelque cas qui demande une assemblée avant les six mois pour décider quelque chose, comme pour appliquer quelque censure à quelque pasteur ou à quelque troupeau, ou pour quelque autre cas survenu, trois pasteurs, avec quelques anciens, se pourront assembler en colloque pour cela.
XIII. Enfin les anciens exhorteront les fidèles d’avoir soin de tous les pasteurs que la divine Providence leur enverra, tant pour leur sûreté que pour leur entretien.


Nous ajoutons aux articles ci-dessus ceux qui suivent :


I. Les pasteurs n’emploieront pas plus d’une heure, ou tout au plus cinq quarts d’heure, à leurs prédications, à l’exemple des prédicateurs de l’église de Genève, et suivant l’usage ci-devant établi dans les églises réformées de France.
II. Les sieurs Durand, Crotte et Court, pasteurs, administreront le sacrement de la sainte Cène dans toutes les églises où la prudence chrétienne le leur permettra, ce qu’ils pratiqueront jusqu’à nouvel ordre.
III. On n’accordera aucun secours dans leurs souffrances à ceux qui se jetteront aveuglément dans le danger, soit en allant, soit en revenant des assemblées religieuses, à cause de leur imprudence et témérité ; mais on assistera au contraire de tout son pouvoir ceux qui se seront conduits selon la prudence chrétienne, et que la Providence divine aura appelés à souffrir à cause de son nom : on exhortera les personnes pieuses à les assister, non seulement eux, mais encore leurs pères, mères, femmes et enfants.
IV. S’il arrive que quelque pasteur, par un zèle précipité et une chaleur inconsidérée, vienne à jeter témérairement ses frères dans le danger, il sera démis de sa charge jusqu’à ce qu’il donne des preuves de sentiments plus sages, se conduisant selon la prudence chrétienne.
V. Les pasteurs ne convoqueront les assemblées que de huit jours en huit jours, si ce n’est dans le cas d’une dévotion extraordinaire, comme en un temps de jeune ou de cène.
VI. Si un pasteur donne scandale à l’église, soit par ses mauvaises mœurs, soit par sa mauvaise conduite, et ne veut pas se soumettre à la discipline ecclésiastique et à l’instruction commune de ses frères, il sera proclamé partout et même à la tête des assemblées, excommunié, lui et ceux qui le soutiendraient dans son impiété, jusqu’à ce qu’il obéisse aux commandements de l’apôtre, qui dit que l’esprit des prophètes est soumis aux prophètes (1ère aux Corinth. xiv, 32, mss. P. R.).


Cet acte synodal, délibéré et signé au désert, est une pièce fondamentale en ce qui touche l’histoire de la renaissance des églises réformées après la dernière guerre de religion. On remarquera combien elle porte l’empreinte des temps. Tout y est dirigé vers l’affermissement de la discipline et vers le but d’attacher quelque garantie à l’exercice des fonctions du ministère. Les précautions sévères prises contre les excès des inspirés, la rigueur extrême de l’article qui décide que nulle aide ne sera accordée à ceux qui iraient au-devant de la persécution, au lieu de l’attendre avec courage et de l’éviter avec prudence ; tout atteste un temps encore agité, plein de difficultés et de périls, et aussi tout y confirme les détails rapportés par le ministre Court dans sa notice personnelle. Ce qui donne une idée exacte des dangers auxquels s’exposaient ces courageux ministres, et aussi de la rareté de pasteurs vraiment à la hauteur de l’œuvre, et ce qui attache un nouvel intérêt à ce monument vénérable, c’est le sort des signataires de la délibération. Il paraît que le ministre Court, malgré tout son discernement et ses recherches, n’avait pu trouver des collègues tels qu’il les souhaitait. En effet, des six signataires de cette délibération, deux, « Jean Huc et Jean Vesson, furent l’un et l’autre pendus à Montpellier, le 22 avril 1723 ; le premier se fit catholique, et le second fut conduit dans les prisons vêtu d’une aube à la façon des anciens sacrificateurs. Il était devenu le chef de la plus extravagante secte que l’esprit humain ait peut-être jamais enfantée » (Mém. des arbitres, par Court, mss. P. R.) ; deux autres, Étienne Arnaud et P. Durand, furent également exécutés, « et firent une mort fort édifiante. » Ainsi plus de la moitié des signataires de ce premier synode, après la mort de Louis XIV périt dans les supplices ; ce qui n’empêcha pas le jeune Court de rester avec ses collègues échappés aux bourreaux, et même de s’adjoindre bientôt, en la personne du ministre Corteis, un collaborateur peut-être moins éclairé, mais aussi zélé et aussi courageux que lui-même.



CHAPITRE II.


Législation générale de Louis XIV touchant
les affaires de la religion réformée.


L’historien des églises du désert est nécessairement obligé de connaître, au moins dans ses dispositions essentielles, l’ensemble des lois qui régissaient ces communautés infortunées à l’époque de la fin de Louis XIV. L’esquisse que nous devons tracer à ce sujet est peut-être la plus triste obligation que notre travail nous impose. Nous aurions bien préféré de nous en affranchir ; mais cette connaissance est un préliminaire indispensable. Puisque nous devons décrire leur constance, leurs aventures et leurs malheurs, il faut bien que nous sachions d’une manière approchée quelles étaient les mesures qui pesaient sur elles, et quels étaient les édits contre lesquels elles avaient à lutter. On verra alors trop nettement que les poursuites et les condamnations presque innombrables, dont elles furent la victime dans le cours du xviiie siècle, étaient parfaitement conformes à la législation, et que les parlements, commandants et intendants ne faisaient qu’en appliquer rigoureusement les dispositions. Les esprits impartiaux décideront si l’histoire d’aucun temps et d’aucun pays offre l’exemple d’un code aussi minutieusement persécuteur, et si jamais société humaine, temporelle ou dogmatique, fut aussi complètement enlacée sous le triple rapport de son existence civile, politique et religieuse.

Ce sont les nécessités de notre sujet qui nous obligent à entrer dans ce dédale d’oppression. Nous n’essaierons point d’y trouver un principe arrêté ni un plan fixe, bien convaincus qu’il n’y en eut réellement aucun. Les causes générales de ces systèmes d’intolérance, qui chassèrent sans retour tant de Français industriels du sol de la patrie, se résument dans l’égoïsme superbe et si peu éclairé de Louis XIV, consigné sèchement dans les dépêches de son ministre Louvois écrivant cette instruction, le 5 novembre 1685, au duc de Noailles, commandant en Languedoc : « Sa Majesté désire que vous vous expliquiez fort durement contre ceux qui voudront être les derniers à professer une religion qui lui déplaît. » (Histoire de l’édit de Nantes, tom. iii, p. 868.) Ce caprice d’un despotisme théologique et peureux des peines de l’enfer fut la vraie cause de la révocation de l’édit de Nantes. Ainsi d’aussi minces motifs d’un souverain absolu viennent souvent bouleverser les peuples. Après un siècle environ de malheurs et de mécomptes, Montesquieu épuisait son génie à concevoir les contradictions flagrantes des lois de Louis XIV contre l’émigration des religionnaires[10]. Nous verrons un sage et intègre magistrat, Joly de Fleury, interrogé par le Conseil de Louis XV, essayer vainement de formuler une consultation précise au milieu de la confusion où les édits avaient jeté l’état civil des protestants. Plus tard nous verrons l’équitable Malesherbes, Breteuil et Rulhière, cherchant à montrer que de si longues persécutions, en ce qui touchait la position de l’état civil de toute une classe de Français, reposaient sur un malentendu. Tout ceci nous montrera surabondamment que, dans ce malfaisant système législatif, il n’y avait d’arrêté et de méthodique que l’arbitraire du prince et les griefs du clergé ; mais il est impossible de découvrir aujourd’hui la moindre méthode dans ce plan d’où la justice fut si inflexiblement bannie. Nous n’essaierons point de suppléer à la logique des persécuteurs. Nous ne ferons point de réflexions sur ces lois cruelles ; mais comme parmi les hommes illustres, remplis de ferveur et d’élévation, que ce code chassa de France, figure au premier rang l’éloquent ministre de La Haye, Jacques Saurin, nous n’avons pu résister à saisir l’occasion de placer en notes quelques fragments de ces mâles prédications, où le grand orateur flétrit les cruautés de l’intolérance, et où il raconte les malheurs de ses frères. Ainsi, en regard des édits de Louis XIV nous placerons les commentaires de Jacques Saurin.

Nous ne saurions nous engager dans l’immense entreprise même de donner les titres des très-nombreux édits, déclarations, ordonnances, arrêts du Conseil, qui émanèrent directement de l’autorité royale sous Louis XIV, concernant les affaires de ses sujets protestants. Nous devons soigneusement nous borner à caractériser le plus brièvement possible cet ensemble de lois, seulement sous les divers rapports nécessaires pour l’intelligence de la suite de notre histoire. Commençons la triste série par les lois sur ou contre les émigrations. C’est un ordre que les événements nous imposent. En effet, ce fut après avoir obtenu l’abjuration de Turenne et signé la paix d’Aix-la-Chapelle que Louis XIV rendit la fameuse et longue déclaration de 1669, pour régler ce qui devait être observé par ceux de la religion prétendue réformée. En lisant les quarante-neuf articles de cette déclaration, on ne saurait méconnaître déjà les inclinations dévotes et intolérantes du monarque, qui annonçait alors, du milieu de l’éclat d’une gloire encore pure, et à l’âge de trente-un ans, les excès de dévotion despotique auxquels il devait plus tard s’abandonner. Ce fut le 1er février 1669 que parut cette déclaration si féconde en chicanes intolérantes et jésuitiques. Cependant cinq jours plus tard eut lieu, par les ordres du roi, « la grande résurrection du Tartuffe » (troisième placet de Molière, du 5 février 1669).

En passant rapidement sur ce rapprochement vengeur, il est nécessaire de remarquer que cette loi immense et très-inquiétante fut suivie presque immédiatement de la première mesure contre les émigrations, chapitre trop fécond par lequel nous ouvrirons notre exposé de cette législation, qui fut continuée dans un seul et même esprit jusqu’à la veille de la révolution française. En effet, on voit quelques mois ensuite que Louis XIV ordonna que nul des sujets du roi n’aurait la faculté de quitter le royaume et de s’établir dans un pays étranger, sous peine de confiscation de corps et biens et être réputés étrangers, avec défense de servir dans la marine étrangère comme matelots ou ouvriers, sous peine de la vie (Décl. d’août 1669, donnée à Saint-Germain-en-Laye). En 1682, on déclara nuls tous les contrats de vente d’immeubles faits un an avant la sortie du royaume, et trois ans plus tard on interdit tous mariages à l’étranger ; on prononça contre tous parents ou tuteurs qui y auraient consenti les galères perpétuelles, ou le bannissement avec la confiscation des biens. Pour arrêter les émigrations, on déclara que la moitié des biens des protestants qui sortiraient de France serait donnée au dénonciateur, et on défendit à toutes personnes de contribuer à l’évasion, et notamment aux capitaines, pilotes, ou maîtres de barques. Bientôt le roi ordonna l’établissement de corps-de-garde sur les frontières, et voulut que les bardes et effets qui se trouveraient sur les religionnaires saisis fussent distribués aux soldats, et un tiers seulement desdits effets aux espions qui donneraient avis de leur passage (Décl. du 26 août 1686, Versailles, signé Colbert). Même les nouveaux convertis ne pouvaient sortir du royaume, afin qu’ils ne trouvassent pas dans les pays étrangers « la malheureuse liberté de continuer dans les mêmes erreurs, » et, si on les pouvait saisir, ils étaient condamnés, les hommes aux galères à perpétuité, et les femmes à être rasées et recluses pour le reste de leurs jours (Décl. du 7 mai 1686. Versailles, signé Phélypeaux).

Ici commence pour notre histoire la série de ces édits funestes qui désolèrent si longtemps les églises réformées, et qui tous portent le scel des secrétaires d’état Phélypeaux. Ce même surnom général répond cependant à des membres distincts de la tige des La Vrillière et des Pontchartrain. Plusieurs des édits de Louis XIV, concernant les réformés, de 1676 à 1700, sont contresignés de Balthasar Phélypeaux, seigneur de La Vrillière, chargé du département des affaires de la religion réformée, depuis l’an 1676 jusqu’à sa mort, en 1700. Beaucoup d’autres ont la signature de son fils Louis Phélypeaux de Saint-Florentin, qui eut le département des églises depuis 1700 jusqu’à sa mort en 1725. Mais la grande majorité des lois passèrent sous le contre-seing de Louis Phélypeaux, comte de Pontchartrain, secrétaire d’état en 1690, chancelier de 1699 à 1714, année où il se retira des grandeurs pour aller mourir pieusement dans la maison de l’Oratoire à Paris. Ce fut cette famille des secrétaires d’état Phélypeaux, avec sa double tige des La Vrillière Saint-Florentin et des Pontchartrain-Maurepas, qui administra les affaires de la religion réformée dans un esprit uniforme d’intolérance ou de tracasserie depuis son premier secrétaire d’état sous Louis XIII, en 1621, jusqu’au comte de Saint-Florentin qui enfin transmit ce portefeuille, sous Louis XVI, à l’illustre et bienfaisant Malesherbes. En contemplant la série des édits que nous étudions, qui sont presque tous de la plume de Pontchartrain, on se figure difficilement la haute réputation de connaissance des hommes que ce magistrat s’acquit, ni ses causeries philosophiques avec Boileau, sous les bocages d’Auteuil. Saint-Simon dit que ce secrétaire d’état était charmant en riens comme en affaires ; mais il ne le fut sous aucun rapport dans son système d’édits à l’égard des sujets protestants de son maître.

La sévérité du Conseil allait toujours en augmentant[11]. La cour prononça la peine de mort contre ceux « qui auraient directement ou indirectement favorisé et contribué à l’évasion et retraite des nouveaux convertis hors du royaume, soit en les conduisant eux-mêmes, soit en leur indiquant des routes ou des guides pour les en faire sortir. » (Décl. du 12 octobre 1687.) Plusieurs autres lois furent rendues pour exciter les religionnaires fugitifs à retourner, par la promesse de rentrer dans leurs biens confisqués, et enfin on revint à la peine des galères et réclusions perpétuelles contre tout protestant qui tenterait d’émigrer (Décl. du 13 septembre 1699). Les mêmes peines furent rendues contre ceux qui fuiraient en quittant les lieux de France où ils auraient été exilés par ordre du roi. Enfin une dernière ordonnance tâcha laborieusement de distinguer entre les voyages des religionnaires établis dans les pays étrangers et ceux des Français catholiques qui voudraient en revenir ou y aller trafiquer (Ordon. du 18 septembre 1713). Il y avait là un labyrinthe de dispositions capables d’effrayer le plus subtil administrateur, et il ne faut pas s’étonner qu’en France une partie considérable de la population protestante, ainsi pressée de toutes parts, ne pouvant ni rester ni sortir, se soit pliée, pour obtenir la paix, aux pratiques extérieures du culte dominant. Ce ne fut pas toutefois sans le blâme sévère des pasteurs du désert.

Après l’énumération des lois principales qui empêchaient les protestants de quitter la France, il faut maintenant indiquer celles qui régissaient leur état civil et politique dans la patrie où on les retenait. Avant la révocation totale de l’édit de Nantes, une foule de mesures avaient été prises contre les églises, sous le rapport civil[12]. On commença par défendre aux ministres de faire des prêches et des assemblées les jours que les archevêques ou évêques feraient leurs visites pastorales ; à tous seigneurs hauts-justiciers d’établir dans leurs terres des officiers autres que catholiques, et aux receveurs généraux des finances de traiter du recouvrement des tailles avec aucune personne de la religion prétendue réformée (Arrêts des 31 juillet et 6 nov. 1679, et du 17 août 1680). En novembre 1680, le roi rendit un édit portant défense, sous peine d’incapacité de succession pour les enfants, à tous catholiques de contracter mariage avec ceux de la religion prétendue réformée, Sa Majesté « ayant reconnu que la tolérance de ces mariages expose les catholiques à une tentation perpétuelle de se pervertir. » Bientôt un nouvel arrêt établit la disposition inouïe par laquelle Sa Majesté a « accordé à tous ses sujets de la religion prétendue réformée qui feront abjuration de ladite religion terme et délai de trois ans pour le paiement du capital de leurs dettes, faisant Sa Majesté défense à leurs créanciers de faire aucunes poursuites contre eux pendant ledit temps. » (Arr. du Conseil du 18 nov. 1680, Versailles.) Ce fut Colbert qui signa ce dernier arrêt. On conçoit facilement tout ce que dut coûter à cet esprit, qui avait des idées commerciales et économiques en avant de son siècle sous plusieurs rapports, une mesure si monstrueuse en droit commercial ; aussi il est difficile de se figurer la confusion qui dut résulter d’une telle législation. Il fallut expliquer que ce bénéfice de trois années de surséance ne comprenait point les lettres de change et billets, ni les affaires des marchands français avec les étrangers, ni les transactions des nouveaux convertis les uns avec les autres (Arr. du 5 nov. 1685 et du 12 janv. 1686, donnés à Fontainebleau et à Versailles ; signés Colbert). Enfin on s’aperçut d’une chose en effet très-naturelle, c’est que ce droit de surséance « était préjudiciable non-seulement auxdits créanciers, mais encore aux débiteurs, avec lesquels personne ne veut entrer en commerce, ni traiter d’aucunes affaires, dans la crainte qu’on a qu’ils ne se servent de ladite surséance. » Il fallut donc révoquer totalement cette faculté extraordinaire (Arr. du Conseil du 16 déc. 1686, Versailles ; signé Colbert). En ce qui touche les biens des consistoires, on trouve un édit remarquable, ordonnant que ces biens seront attribués aux hôpitaux les plus voisins, avec charge de recevoir les malades de la religion prétendue réformée « sans qu’ils puissent être contraints de changer de religion, » disposition rare et douce, qui fut bientôt annulée par des édits subséquents (Édit du 21 août 1684, Versailles ; signé Colbert).

En effet, il devint nécessaire de promulguer tout un code pour disposer des confiscations des biens saisis après l’émigration des réfugiés[13]. L’édit de révocation avait ordonné la saisie des biens de tous ceux qui étaient sortis du royaume, à moins qu’ils ne revinssent dans quatre mois, à partir du jour de la publication de l’édit ; le roi prorogea ce terme jusqu’en mars 1687, « voulant encore donner à nos sujets, pour leur salut et pour la conservation de leurs biens, de profiter de notre bonté et indulgence ; » mais un an plus tard, le roi ordonna que les biens des consistoires, des ministres, et ceux de tous fugitifs de la religion prétendue réformée, seraient enfin réunis au domaine royal, pour en être fait des baux aux fermiers des domaines de chaque généralité ou autres particuliers et derniers enchérisseurs, le tout pour être employé au bien des écoles, hôpitaux, et généralement de la religion ; ceux « qui seront convaincus d’avoir prêté leurs noms aux ministres ou à nos sujets fugitifs pour mettre à couvert tout ou partie de leurs biens » seront contraints au paiement du double de la valeur entière, et ceux qui dénonceront des biens recelés ou cachés des ministres ou fugitifs recevront moitié de la valeur des meubles, et dix ans du revenu des immeubles (Édit de janvier 1688). Peu de temps après, le roi ordonna qu’il fût fait un état général des biens meubles et immeubles des consistoires, ministres et religionnaires fugitifs (Arr. du Conseil, 31 mars 1688 ; signé, Colbert). Bientôt on modifia ces dispositions qui réduisaient en domaine de main-morte une notable partie de la propriété du royaume. On accorda les biens des fugitifs à leurs héritiers naturels et présents (Décl. du roi, de déc. 1689). Une disposition encore plus raffinée fût dirigée même contre les protestants qui s’étaient convertis et qui étaient restés en France ; le roi ordonna que tous ses sujets « qui ont fait profession de la religion prétendue réformée » ne pourraient vendre ni leurs biens immeubles, ni l’universalité de leurs biens meubles, pour 3,000 livres et au-dessus, sans une autorisation expresse d’un secrétaire d’état (Décl. du roi du 5 mai 1699). Telle est la déclaration fameuse qui fut prorogée de trois années en trois années, jusque dans les dernières années du règne de Louis XVI. Par ce moyen, l’administration royale avait sans cesse la main sur les propriétés des protestants.

Sous le rapport des charges et professions de la société, cette législation renfermait un assez grand nombre de dispositions que nous devons rappeler. Une des premières lois de ce genre interdirait aux réformés les fonctions de sages-femmes, par des motifs on ne peut plus bizarres : « Il arrive encore que lorsque lesdits de la religion prétendue réformée sont employés à l’accouchement de femmes catholiques, quand ils connaissent qu’elles sont en danger de la vie, comme ils n’ont point de croyance aux sacrements, ils ne les avertissent point de l’état où elles se trouvent. » (Décl. du roi du 20 février 1680.) Nous citerons en entier un autre arrêt du conseil, en 1682, dont la disposition assez ridicule forme contraste avec la gravité de ces lois iniques. Arrêt du conseil portant que les catholiques qui voudront se charger de la fourniture des chevaux de louage seront préférés à ceux de la relig. prét. réf. — « Le roi voulant pourvoir par tous moyens à ce que ceux qui sont chargés ou employés au service du public ne puissent être d’autre religion que de la catholique, apostolique et romaine, Sa Majesté étant en son conseil, a ordonné et ordonne que les catholiques qui voudront se charger de la fourniture des chevaux de louage dans les villes et bourgs de son royaume seront préférés à ceux de la religion prétendue réformée. Enjoint aux fermiers des droits établis sur lesdits chevaux de louage à s’y conformer, et aux intendants et commissaires départis dans ses provinces d’y tenir la main. Fait au conseil d’état du roi. Sa Majesté y étant, tenu à Saint-Germain-en-Laye, le 9 mars 1682. » Signé, Colbert. (Recueil des édits rendus au sujet de la rel. prét.  réf., édit. de 1714, p. 123 ; édit. de 1729, p. 54.) Un autre arrêt du 6 avril 1682, presque digne de figurer à la suite du précédent, ordonne « que les avocats catholiques concluront et porteront la parole en toutes occasions pour le corps desdits avocats, à l’exclusion de ceux de la religion réformée, quoique plus anciens » (Arrêt du cons. du 6 avril 1682). Bientôt il fut défendu aux réformés de faire aucune fonction de notaires, procureurs, postulants, huissiers, et sergents ; il fut défendu aux acquéreurs des charges « d’habiter avec leurs résignants, directement ou indirectement, ni de souffrir dans les études leurs enfants ou parents pour travailler avec eux. » (Décl. du roi du 15 juin 1682.) Le même ordre fut donné à tous les réformés qui posséderaient des charges civiles quelconques dépendantes des maréchaussées ou sénéchaleries du royaume, ou des maisons royales (Arrêt du cons. du 29 sept. 1682, et du 4 mars 1683. Signés Colbert). Un autre arrêt appliqua les mêmes exclusions aux charges de conseillers, secrétaires, et il les étendit aux veuves protestantes des titulaires décédés (Arr. du cons. du 19 janv. 1684. Versailles. Signé Colbert).

Il fut défendu également aux parties de nommer des experts de la religion réformée, ni des conseillers rapporteurs, et enfin, les protestants furent exclus des professions d’apothicaires, d’épiciers, de domestiques, de lingères, d’orfèvres, de libraires, d’imprimeurs, de clercs, d’avocats, ou de médecins. Une autre loi du caractère le plus étrange jugea à propos d’exclure de la connaissance de tous procès où les ecclésiastiques et même les nouveaux convertis auraient intérêt, les juges qui auraient des femmes de la religion prétendue réformée, attendu que ces officiers, « par le moyen de leurs femmes, aux prières et sollicitations desquelles se laissent entraîner, n’ont pas l’exactitude à laquelle leur devoir les engage pour faire exécuter régulièrement nos édits et déclarations, et soutenir l’intérêt de l’Église catholique. » Cette loi de précaution fut rendue à Versailles, le 11 juillet 1685. Enfin, dans les détails de cette législation et de ses effets civils, il ne faut pas omettre d’enregistrer la plus fameuse et la plus déplorable peut-être de toutes ces mesures ; ce fut l’ordonnance qui recelait en germe les exécutions militaires que l’histoire a flétries du nom de dragonnades, et qui fut, dans l’origine, une menace assez simple et analogue à toutes les autres ; elle déchargeait ceux des sujets du roi qui s’étaient convertis ou qui se convertiraient ci-après, du logement des gens de guerre, tant infanterie que cavalerie, française et étrangère, et de toutes contributions, à l’occasion de ces logements, pendant deux années. Ce fut cette loi qui fut plus tard tant perfectionnée, et qui produisit de si funestes effets sous la direction du ministre Louvois. Cette première charte des dragonnades fut rendue au château de Saint-Germain-en-Laye, le 11 avril 1681, et elle porte le contre-seing de Letellier[14].

Nous arrivons maintenant à la législation de la révocation de l’édit de Nantes, sous le rapport de ses effets religieux[15], qui continuèrent si longtemps à peser sur les églises du désert. Ici, nous devons tâcher encore plus de resserrer le tableau ; car malheureusement, les documents s’accumulent de plus en plus. Dans la législation de Louis XIV, touchant les protestants français, spécialement comme société religieuse, il faut distinguer les mesures qui consommèrent la révocation définitive de l’édit de Nantes d’avec celles qui préparèrent cet événement. Ces dernières, sauf les lois contre les émigrations et celles des incompatibilités pour certaines professions, avaient plutôt le caractère de mesures vexatoires que de persécutions franches. La première de cette série, qui s’étend dans un espace de seize années, depuis 1669 jusqu’en 1685, année de l’édit de révocation, est cette longue et minutieuse déclaration du 1er février 1669, qui règle une foule de points tracassiers, mais d’importance secondaire ; les ministres ne devaient point s’intituler pasteurs, ni se servir de termes injurieux dans leurs prêches, ni porter robes et soutanes que dans l’enceinte des temples, et les réformés étaient obligés de rendre certains honneurs lors du passage des processions ; d’ailleurs, le préambule de la déclaration annonce le projet de conserver entre protestants et catholiques << une bonne amitié, union et concorde. » Dix ans plus tard, une loi bien plus sévère prononça le bannissement, l’amende honorable, et la confiscation contre toute personne qui, ayant fait abjuration, reviendrait à la religion réformée (Décl. du 13 mars 1679, donnée à Saint-Germain-en-Laye). La même année, une disposition plus précise pourvoit à ce que les actes d’abjuration soient déposés au greffe des procureurs royaux des sièges (Décl. du 10 octobre, donnée à Saint-Germain-en-Laye). Bientôt les édits allèrent un peu plus loin ; deux déclarations de 1680 défendirent à tous catholiques d’embrasser la religion réformée, et ordonnèrent que, dans les cas de maladies graves des réformés, les juges ordinaires ou les consuls se transporteraient en leurs domiciles « pour savoir d’eux s’ils veulent mourir dans ladite religion. » L’année suivante, parut un des édits les plus extraordinaires de toute cette série ; c’est la loi qui ordonne « que tous sujets de la religion prétendue réformée ayant atteint l’âge de sept ans puissent et qu’il leur soit loisible d’embrasser la religion catholique, apostolique et romaine ; et qu’à cet effet, ils soient reçus à faire abjuration de la religion prétendue réformée, sans que leurs pères, mères, ou parents, y puissent donner aucun empêchement ; » cette même loi stipulait aussi qu’après leur conversion, les enfants auraient le droit de retourner dans leur maison paternelle, ou de se retirer ailleurs, et de se faire donner une pension proportionnée à leurs conditions et facultés ; les parents reçurent défenses expresses, sous peine de confiscation de leur revenu, de faire élever leurs enfants en pays étrangers, et ceux qui y avaient envoyé leurs enfants furent tenus de les rappeler[16] (Décl. du 17 juin 1681, donnée à Versailles. Signé Phélypeaux). D’autres mesures vinrent bientôt interdire toute assemblée de réformés, ailleurs que dans les temples, leur reconnaissant ainsi ce dernier droit ; mais il fut modifié par une autre déclaration qui stipulait qu’il y aurait dans les temples une place réservée pour les catholiques, « pour y entendre ce que les ministres disent dans leurs prêches, afin, non seulement de les pouvoir réfuter s’il est besoin, mais aussi de les empêcher, par leur présence, d’avancer aucune chose contraire au respect dû à la religion catholique, apostolique et romaine. » (Décl. du 22 mai 1683.) L’année suivante, il fut ordonné que les ministres ne pourraient faire leurs fonctions plus de trois ans dans un même lieu, ni tenir de consistoire plus fréquemment que tous les quinze jours ; enfin, sur la demande du clergé réuni en assemblée générale à Saint-Germain-en-Laye, le culte réformé fut interdit dans toutes les villes épiscopales, la démolition des temples y fut ordonnée ; ce fut la première mesure générale contre les édifices consacrés au culte protestant français (Arr. du cons. du 30 juillet 1685, fait à Versailles. Signé Colbert). Sur les instances de la même assemblée du clergé, il intervint un autre édit pour empêcher les calomnies des ministres et de leurs adeptes contre la religion dominante ; il ordonne de ne composer aucuns livres contre la foi officielle, et on y remarque cette singulière disposition : « Défendons aux ministres de parler directement ni indirectement, en quelque manière que ce puisse être, de la religion catholique. « (Édit du mois d’août 1685, donné à Versailles.) Enfin fut rendu l’édit de révocation générale, qui était assez clairement annoncé par tous les précédents, mais qui, cependant, les dépassait tous de beaucoup. On sait qu’il pose d’abord dans le préambule, comme fait acquis, « que la meilleure et la plus grande partie des sujets du roi de la relig. prét. réf. ont embrassé la religion catholique. » En conséquence, il ordonnait la démolition de tous les temples ; il contenait défense de s’assembler en aucun lieu que ce puisse être ; il enjoignait à tous ministres non convertis de sortir de France, sous peine des galères ; il stipulait que tous les enfants seraient élevés catholiques, et enjoignait aux parents de les envoyer aux églises ; enfin, il prononçait la confiscation définitive des biens contre tous protestants qui ne seraient point rentrés dans l’espace de quatre mois, et ordonnait que nul ne pourrait sortir du royaume, sous peine des galères pour les hommes, et de la confiscation de corps et de biens pour les femmes ; toutefois, l’édit consentait à ce que ceux de la religion réformée, non convertis, restassent en France, sans pouvoir être troublés ni empêchés, « à condition de ne point faire d’exercice, ni d’assemblées, sous prétexte de prières ou de culte de ladite religion » (Donné à Fontainebleau, au mois d’octobre 1685. Signé Letellier et Phélypeaux)[17]. Il fut pris, l’année suivante, une autre disposition, qui devint la source de ces enlèvements d’enfants, dont nous voyons des exemples constants jusque sous le règne de Louis XVI ; elle consista en un édit du roi qui ordonne que, huit jours après la publication, tous les enfants de ceux qui faisaient encore profession de la religion prétendue réformée, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à celui de seize, soient mis, à la diligence des procureurs-royaux, entre les mains de leurs parents catholiques, et à défaut de parents de cette religion, entre les mains de telles personnes catholiques, qui seront nommées par les juges (Édit de janv. 1686)[18]. Un peu plus tard, il fut publié une lettre du roi au lieutenant-général Ménars, intendant de la généralité de Paris, pour obliger les parents réformés à envoyer leurs enfants aux écoles et catéchismes, et à leur défaut, les enfants devaient être mis, de l’ordonnance des juges des lieux, « les garçons dans des collèges, et les filles dans des couvents. » (Lettre écrite à Versailles, du 2 mai 1686. Signé Colbert.) Une nouvelle déclaration explicative de l’édit de révocation assigne, pour la première fois, la peine de mort, comme punition de tout ministre saisi en France, rentré ou non sorti ; contre tout sujet qui leur donnerait assistance ou secours ; elle prononçait contre les hommes, les galères à perpétuité, et contre les femmes, la prison perpétuelle ; 5,500 livres étaient promis à ceux qui, par leurs avis, donneraient lieu à la capture d’un ministre. La même loi contenait cette disposition inexorable, qu’il fallut bientôt modifier : « (Art. V). « Voulons pareillement, et entendons que tous ceux de nos sujets qui seront surpris faisant dans notre royaume et terres de notre obéissance des assemblées ou quelque exercice de religion autre que la catholique, apostolique et romaine, soient punis de mort, (Donné à Versailles, le 1er juillet 1686. Signé Phélypeaux.) Toutefois, le droit des gens obligea Louis XIV à insérer, dans cette déclaration, une exception en faveur des ambassadeurs ayant des chapelains de la religion protestante, et auxquels il fut permis de faire toutes leurs fonctions religieuses sans aucun trouble ni empêchement, dans l’enceinte des logements desdits ambassadeurs (art. IV). Cette loi n’ayant nullement empêché les assemblées, surtout dans le Dauphiné et le Vivarais, une ordonnance subséquente enjoignit que les religionnaires saisis en flagrant délit d’assemblée subiraient seuls la peine de mort, tandis que, « à l’égard des autres qui n’auront pu être arrêtés sur-le-champ, » ils seront envoyés incontinent, et sans autre forme, ni figure de procès, sur les galères de Sa Majesté, pour y servir comme forçats durant toute leur vie (Fait à Versailles, le 12 mars 1689. Signé Letellier). Cette ordonnance acquit un triste renom, parce qu’elle dérogea à la juridiction des sièges prévotaux et sénéchalleries avec appels aux parlements, et que pour la première fois elle attribua le jugement des religionnaires aux gouverneurs de province et aux intendants, procédure sommaire que nous verrons souvent appliquer. Arrêtons-nous un moment à cet endroit de cette déplorable série de lois, pour remarquer que, lorsque Louis XIV signa cette mesure où sont prodigués les galères et la mort, il venait d’assister (janvier 1689) aux représentations de Saint-Cyr où Esther et Mardochée plaignaient les proscriptions des Juifs, dans les vers immortels de Racine ; sans doute tous ces admirables conseils du vieillard israélite rehaussés par la beauté de Mme de Caylus, ou ne furent point compris par le monarque, ou furent réfutés par les jésuites de son confessionnal. Pour compléter cette trop longue série, il nous reste à signaler la dernière loi de Louis XIV, laquelle eut des suites aussi funestes que fécondes, parce qu’elle admettait que tous les Français sans exception, qui se trouvaient dans le royaume, étaient par cela même censés « avoir embrassé la religion catholique, apostolique et romaine, sans quoi ils n’y auraient pas été soufferts ni tolérés. » Cette loi, se combinant avec celle du 29 avril 1686, ordonne que tous sujets nés de parents qui ont été de la religion prétendue réformée, avant ou depuis la révocation de l’édit de Nantes, et qui, dans leurs maladies, auront refusé aux curés, vicaires ou autres, de recevoir les sacrements, et auront déclaré qu’ils veulent persister ou mourir dans la religion prétendue réformée, soient réprimés par les peines suivantes ; s’ils reviennent à la santé, ils seront condamnés, « à l’égard des hommes, à faire amende honorable et aux galères perpétuelles avec confiscation de biens, et à l’égard des femmes et filles, à faire amende honorable et être enfermées, avec confiscation de leurs biens, et quant aux malades, qui auront fait abjuration et qui auront refusé les sacrements… et seront morts dans cette malheureuse disposition, nous ordonnons que le procès sera fait aux cadavres ou à leur mémoire…… et qu’ils soient traînés sur la claie, jetés à la voirie, et leurs biens confisqués. » (Donné à Versailles, le 29 avril 1686 et le 8 mars 1715. Signé Phélipeaux.)

Enfin, il est presque inutile d’ajouter qu’au milieu de ces dispositions qui comprimaient toute l’existence civile et religieuse des réformés, la condamnation de leur littérature et de leurs livres ne fut pas oubliée. Peu de temps avant la révocation définitive, le roi ordonna que nuls livres concernant la rel. prét. réf., sauf ses confessions de foi, prières et discipline, ne seraient imprimés ni débités sous peine de bannissement et confiscation : « Voulons que tous les livres qui ont été faits jusqu’à cette heure contre la religion catholique par ceux de la rel. prét. réf. soient supprimés. » Et quant aux libraires qui débiteraient de pareils livres, la loi prononçait 1 500 livres d’amende avec privation de l’état (Donné à Versailles, août 1685. Signé Colbert). Peu de jours après cette loi, le parlement de Paris chercha à faire un état des ouvrages compris dans cet édit ; mais un tel catalogue surpassant les lumières ou la patience des conseillers, il fut adopté que « l’archevêque de Paris fera un état des livres qu’il estimera nécessaire de supprimer suivant l’édit du roi. » (Arr. du 29 août 1685.) Après la révocation ces mesures furent portées beaucoup plus loin. Citons uniquement une ordonnance rendue dans le Bas-Languedoc : « Le marquis de la Trousse, commandant pour Sa Majesté en Languedoc. Il est ordonné à tous les nouveaux convertis de porter dans les vingt-quatre heures après la publication de la présente ordonnance, entre les mains des sieurs grands-vicaires, ou en celles des curés ou missionnaires, tous les livres qu’ils ont de prières, psaumes, bibles de Genève et autre nature de livres, pour, après avoir été examinés, être les bons rendus à ceux à qui ils appartiendront, et les autres jetés au feu, à peine contre les désobéissants de punition sévère et de grosses amendes. Enjoignons aux consuls de se transporter avec le curé, ou autre ecclésiastique, dans les maisons desdits nouveaux convertis pour y faire une recherche exacte des livres qu’ils auront cachés ; mandons aux commandants de faire accompagner lesdits consuls, ou ecclésiastiques, par un officier lorsqu’ils feront leur visite. » (Montpellier, 5 février 1686.) On voit que ces mesures plus ou moins sévères embrassaient la capitale et les provinces. Elles expliquent comment les ouvrages de la vieille littérature protestante de France, malgré leur nombre et la richesse de leur source, ont péri presque tous et sont en général rares encore aujourd’hui.

Après cette triste énumération[19] il ne sera point sans intérêt de songer aux sentiments que tant de Français exilés de leur pays avaient gardés encore et aux souvenirs qu’ils entretinrent sans cesse de la patrie absente. Pour peindre un tel état de choses, on ne saurait mieux faire que d’emprunter les paroles contemporaines de Saurin, dans ce fameux discours du commencement de l’année 1710, où, au nom de toutes les églises du refuge, il adresse ses vœux annuels et à la France et au monarque auteur de tant de maux. Ce passage célèbre, qui figure parmi les chefs-d’œuvre classiques de l’éloquence sacrée, servira comme de résumé à notre tableau législatif. « Nos vœux sont-ils épuisés, s’écriait l’orateur exilé. Hélas ! dans ce jour de joie, oublierions-nous nos douleurs ? Heureux habitants de ces provinces, importunés tant de fois du récit de nos misères, nous nous réjouissons de votre prospérité, refuseriez-vous votre compassion à nos maux ? Et nous, tisons retirés du feu (Ép. de Paul aux Cor., 3, 13), tristes et vénérables débris de nos malheureuses églises, mes chers frères, que les malheurs des temps ont jetés sur ces bords, oublierons-nous les malheureux restes de nous-mêmes ? Gémissements des captifs, sacrificateurs sanglotants, vierges dolentes, fêtes solennelles interrompues, chemins de Sion couverts de deuil, apostats, martyrs, sanglants objets, tristes complaintes, émouvez tout cet auditoire. « Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite s’oublie elle-même, que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens de toi, si je ne fais de toi le principal sujet de ma joie. » Jérusalem, que la paix soit dans tes murs ! Dieu veuille être touché, sinon de l’ardeur de nos vœux, au moins de l’excès de nos misères, sinon des malheurs de notre fortune, du moins de la désolation de ses sanctuaires ; sinon de ces corps que nous traînons par tout l’univers, du moins de ces âmes qu’on nous enlève.

« Et toi, prince redoutable, que j’honorai jadis comme mon roi, et que je respecte encore comme le fléau du Seigneur, tu auras aussi part à mes vœux. Ces provinces que tu menaces, mais que le bras de l’Éternel soutient ; ces climats que tu peuples de fugitifs, mais de fugitifs que la charité anime ; ces murs, qui renferment mille martyrs que tu as faits, mais que la foi rend triomphants, retentiront encore de bénédictions en ta faveur. Dieu veuille faire tomber le bandeau fatal qui cache la vérité à ta vue. Dieu veuille oublier ces fleuves de sang dont tu as couvert la terre et que ton règne a vu répandre ! Dieu veuille effacer de son livre les maux que tu nous as faits, et en récompensant ceux qui les ont soufferts, pardonner à ceux qui les ont fait souffrir. Dieu veuille qu’après avoir été pour nous, pour l’Église, le ministre de ses jugements, tu sois le dispensateur de ses grâces et le ministre de ses miséricordes. Je reviens à vous, mes frères, je vous comprends tous dans mes vœux… Mais il faut les puiser à la source, il ne suffit pas qu’un homme mortel ait fait des vœux en votre faveur, il faut aller jusqu’au trône de Dieu même, lutter avec le Dieu fort, le forcer par nos prières et par nos larmes, et ne point le laisser aller qu’il ne nous ait bénis (Exode, 32, 32). Magistrats, peuple, soldats, citoyens, pasteurs, troupeaux, venez, fléchissons le genou devant le monarque du monde. Et vous, volées d’oiseaux, soucis rongeants, soins de la terre, éloignez-vous, et ne troublez point notre Sacrifice. » (Sermon sur les dévotions passagères.) Ces touchantes et belles paroles font aussi partie de l’histoire ; à l’ouverture d’un récit des luttes des églises de la patrie, il était bon qu’on eût sous les yeux le tableau des sentiments des Français protestants qui en avaient été chassés et qui en traînaient avec eux le douloureux souvenir : on verra que l’esprit de cette invocation de Saurin, où la conviction de l’Évangile se mêle à la fierté du citoyen, et où l’on croit entendre battre le cœur du Français sous la robe du ministre banni ; on verra que cet esprit, véritablement huguenot et patriote, fut toujours celui qui anima les églises du désert. Ces paroles si graves et si instructives pour les rois, il est plus que probable que Louis XIV ne les connut jamais. Pendant que Saurin parlait ainsi à La Haye, les journaux de la cour de Versailles font mention des promenades 1710
Janvier.
du roi à Trianon et à Marly, ainsi que de la comédie chez madame la duchesse de Bourgogne. « Le spectacle fut fort beau, nous rapporte le marquis de Dangeau dans ses notes ; il n’y avait que des dames considérables et des courtisans. » Ce même mois, le 25 janvier 1710, « le soir, à cinq heures, il y eut des marionnettes chez madame la duchesse de Bourgogne pour monseigneur le duc de Bretagne. C’était lui qui était en place, et madame la duchesse de Bourgogne se mit auprès du théâtre comme une particulière. » Tels furent, à Versailles, les événements contemporains des souhaits de l’orateur de La Haye.

D’ailleurs, ce qui est fort remarquable, toutes les rigueurs de ce code inouï de lois n’arrêtèrent nullement les assemblées des réformés. Malgré les confiscations, les émigrations, les supplices et les exécutions militaires, malgré la clôture de tous les temples, les protestants se réfugièrent dans les endroits les plus écartés. L’édit de Nantes fut révoqué en octobre 1685, et dès le mois de novembre, les assemblées du désert commencèrent dans les Cévennes. La première qui fut surprise avait été convoquée pour la nuit du 19 au 20 février 1686, entre Durfort et Saint-Félix. On y fit des prisonniers, dont deux furent exécutés à la Salle, et de ce nombre était le père d’un ministre réfugié en Suisse, Teissier Viguier, de Durfort. Dans cette même année, beaucoup d’autres réunions furent surprises ; les carrières de Mus, près de Nîmes, les bois près d’Uzès, les vallons du Vigan ne purent servir d’asile aux assemblées : les Bétrine, les Pradet, les de Belcastet, les de Tomeyrolles, qui furent ou blessés ou suppliciés par suite des mesures de l’intendant Baville, ouvrirent la longue série des confesseurs[20]. De tels détails nous écarteraient bien loin de notre sujet ; nous rappelons les premiers événements de la fin de 1685 et ceux de 1686 pour faire voir que jamais les assemblées ne cessèrent tout à fait, et que dans le même mois où le somptueux temple de Charenton, près de Paris, fut nivelé avec le sol, en novembre 1685, les assemblées religieuses des Cévenols se passèrent de tout édifice humain et s’ouvrirent sous les voûtes du ciel.

Il est impossible de ne pas faire quelques courtes réflexions sur des événements aussi singuliers et aussi graves. De quelque manière que l’on juge la politique de la cour de France, à propos de la révocation complète de la liberté religieuse, il est permis de supposer que le roi ignora absolument les détails des mesures qui avaient été prises, et que le clergé l’entraîna sans doute bien plus loin qu’il n’aurait été lui-même. Il est certain que les mesures militaires, qui ont reçu le nom de dragonnades, furent de l’invention de Louvois, qui gémissait, après la paix de Nimègue, de l’inaction de son département, et qui voulut occuper les régiments par ces promenades catholiques. Tous les jours le ministre répétait au roi : « Tant de gens se sont convertis, comme je l’avais dit à Votre Majesté, à la seule vue de ses troupes[21]. » On disait hautement à la cour que les cruautés commises auraient été punies par le monarque si elles fussent venues à sa connaissance[22]. Tant de soins et tant de rigueurs ne purent produire la chimérique unité de foi que l’on cherchait. On voulut des conversions, et pour une grande famille que l’on acheta par des charges ou que l’on effraya par des disgrâces, cent huguenots plus obscurs sortirent de France la haine dans le cœur. D’autres, toujours prêts à se soulever, restaient chez eux, sans avoir le courage de s’exiler, ni la lâcheté d’obéir à la force catholique ; la cour ne pouvait ignorer qu’un grand nombre de bons officiers français huguenots s’étaient engagés sur la flotte, que le prince d’Orange rassemblait, pour détrôner le dernier des Stuarts, ce roi que le peuple anglais regarda partir si froidement, et qui vint à Saint-Germain jouir de la noble hospitalité de Louis XIV, non sans traiter minutieusement les questions d’étiquette et chasser tous les jours, conduite qui lui attira de la bouche du père de Louvois, l’archevêque de Reims, cette remarque peu ecclésiastique : « Voilà un fort bon homme ; il a quitté trois royaumes pour une messe[23]. » Jacques II était obsédé de jésuites ; plus les Français le voyaient, moins ils le plaignaient de la perte de sa couronne. Plus tard, lorsque l’Europe entière menaçait Louis XIV, il fallut laisser une armée au centre de la France pour contenir les mouvements religieux, tandis que les flottes combinées d’Angleterre et de Hollande étaient garnies par une foule d’excellents matelots calvinistes, que les côtes de la Saintonge surtout avaient fournis à l’étranger. Une foule d’autres circonstances, en apparence petites, mais fort influentes, ajournèrent tout adoucissement dans les mesures de persécution, lorsque la carrière de Louis XIV fut accomplie.

Bossuet était mort ; et ce qui fut peut-être un malheur pour les intérêts des protestants, l’illustre et tolérant Fénelon, qui avait connu les amertumes d’une persécution injuste, mourut en disgrâce dans son archevêché 1715. de Cambrai, non moins pleuré des réformés que des catholiques, laissant la réputation d’un homme, suivant l’admirable peinture de Saint-Simon, « qui fut partout un vrai prélat, partout aussi un grand seigneur, partout encore l’auteur de Télémaque[24]. » Déjà son crédit renaissait, déjà une noble ambition semblait le rappeler à la cour, où le règne de madame de Maintenon penchait vers sa fin, lorsque la mort le ravit à tant d’avenir. Tout eût peut-être changé de face s’il eût rempli le poste qu’occupa si stérilement à sa place l’évêque de Fréjus, depuis cardinal de Fleury. À l’autre extrémité de la France, ce fut aussi un événement fâcheux pour les réformés que la nomination du servile et vénal La Parisière à l’évêché de Nîmes, à la place de Fléchier. À ces événements privés se joignit un dernier acte de faiblesse d’une cour bigote ; l’ambassadeur de Louis XIV, le comte de Luc, renouvela l’alliance suisse avec les seuls cantons catholiques. D’autre part, la cour brillante de la reine Anne, toute livrée à des rivalités de grandes dames, ne demanda que très faiblement la tolérance des protestants, lors des conférences presque victorieuses de la paix d’Utrecht. La faible et bonne reine Anne, au milieu des menées des Churchill, oubliant son titre de défenseur de la foi, laissait jouer à Windsor des sortes de marionnettes presque aussi futiles que celles de la jeune duchesse de Bourgogne dans les soirées de Versailles. Que pouvaient les intérêts sacrés de tant de milliers de fugitifs et les droits immortels de leur conscience, contre tout cet égoïsme des rois et des reines de l’une et de l’autre religion ?

Nous ne pouvons résister en terminant cet exposé à faire une remarque plus consolante. Il ne faudrait pas croire que toutes ces lois intolérantes de Louis XIV fussent d’une exécution facile, ni même qu’elles fussent de tous points approuvées par le parti même qu’elles devaient le plus servir, nous voulons dire, par le clergé catholique. Nous trouvons une preuve remarquable du contraire ; elle est consignée précisément dans ce petit recueil commode de près de deux cents lois et édits que la cour autorisa, et qui forme le véritable code pénal des Français protestants de l’époque. Nous y voyons une circulaire remarquable, adressée aux évêques de France par le ministre Phélypeaux de Pontchartrain, selon l’ordre du roi, où cet administrateur tance très-formellement les prélats, à cause de l’espèce de froideur qu’une partie du clergé mettait à exécuter les édits intolérants, surtout en ce qui concernait la présence forcée des enfants des réformés aux écoles catholiques. « Vous savez, dit Phélypeaux à l’évêque de Chartres, les soins que le roi s’est donnés pour faire établir des écoles dans tous les lieux de son royaume, et combien de fois Sa Majesté a fait écrire à messieurs les prélats pour exciter leur attention, à ce que les nouveaux convertis eussent soin d’y envoyer leurs enfants. Elle apprend néanmoins avec surprise qu’il y a des diocèses où ces écoles sont entièrement négligées ; que les juges, à qui il est enjoint de prononcer des amendes contre les pères et mères qui se dispensent d’y envoyer régulièrement leurs enfants, s’excusent sur ce que les curés ne les avertissent point et que ceux-ci, par un scrupule mal placé, ne veulent pas les dénoncer, de peur de s’attirer la haine des nouveaux convertis. Ils tombent encore dans une négligence bien plus blâmable. Par l’édit du mois d’août 1686, les curés sont obligés de visiter les nouveaux convertis dans leurs maladies, et lorsqu’à l’extrémité de leur vie ils refusent de les écouter, ils doivent avertir les juges de se transporter chez les malades, pour recevoir leurs déclarations, afin que s’ils persistent dans leurs erreurs, ils puissent faire le procès à leur mémoire. Le roi apprend que tout cela ne s’exécute point, par la faute particulièrement des curés, qui ont la délicatesse de ne vouloir pas se porter délateurs, sous prétexte, disent-ils, qu’ils se rendraient odieux aux nouveaux convertis, qui n’auraient plus de confiance en eux. Cependant, il meurt très-fréquemment des relaps, lesquels sont enterrés secrètement pendant la nuit, dans les champs ou dans les caves des maisons, sans qu’il soit fait aucune poursuite contre leur mémoire, ce qui est directement contraire à la disposition de l’édit… Vous jugez bien que de si grands abus ne doivent pas être tolérés ; ainsi. Sa Majesté m’ordonne de vous écrire que vous fassiez des reproches très-vifs aux curés de votre diocèse qui peuvent être tombés dans ces négligences, et qu’en général vous les avertissiez que le roi est très-mécontent de leur peu d’exactitude à l’exécution de ses ordonnances ; qu’ils aient à l’avenir à y être plus attentifs, et qu’ils ne doivent jamais, par quelque considération que ce soit, ni par aucun respect humain, se dispenser de faire leur devoir dans les choses qui intéressent si fort la religion. » (Versailles, le 6 février 1715.) Cette épître est doublement remarquable. Elle fait bien ressortir l’esprit qui animait le Conseil de Louis XIV contre ses sujets réformés ; en même temps, elle honore le clergé catholique du royaume. On se sent en vérité serrer le cœur en lisant les odieuses réprimandes de Pontchartrain contre ceux qui répugnaient à se faire les ministres dociles des édits. D’un autre côté, cette épître prouve fort bien qu’en une foule de points de la France, les barbaries inquisitoriales contre les parents réformés, contre les moribonds et contre les cadavres, n’étaient pas du goût de beaucoup de dignes prêtres des autels. On n’a pas assez signalé cette résistance des curés aux édits de Louis XIV. Elle confirme ce que disait le célèbre Jean Claude, lorsque avec des compagnons d’infortune tels que Basnage, Bayle et le jeune Jacques Saurin, obligé de fuir la France, il protesta que toutes ces barbaries n’avaient pas l’approbation de ses compatriotes catholiques[25]. Il serait en effet assez difficile de le penser. Et cette impopularité s’explique assez bien par le genre de gouvernement qui alors était celui de la France. Sous la monarchie absolue de Louis XIV, la nation n’avait aucune espèce de moyen, ni par ses assemblées, ni par ses écrits, ni par des remontrances quelconques, soit de faire prévaloir ses vœux, soit même de les émettre. L’institution des intendants-proconsuls, et la force d’une armée immense et permanente réussit évidemment alors à étouffer toutes les libertés provinciales, et à rendre toute résistance impossible. On a dit de Louis XIV qu’il était surtout un roi administrateur. La révocation de l’édit de Nantes fut un exercice de ce génie administratif. L’air servile de Versailles, la fierté du conquérant et l’humilité profonde de tous les gens de robe, avaient bien persuadé au monarque enivré qu’il lui serait possible de rendre uniforme la doctrine de ses sujets. Il n’avait aucune idée des résistances individuelles que pouvait faire naître la foi outragée. Il ne comprit jamais la portée d’une œuvre immense, qui, vue à travers ses idées étroites et despotiques, se déforma et acquit la futile proportion d’une affaire administrative. Louis XIV voulut administrer les consciences ; il vit que ce n’était pas chose facile. Aussi, sa tentative hardie eut pour résultat de faire beaucoup de mal, de priver la patrie d’une portion très-sensible de ses populations les plus utiles ; mais elle ne réussit aucunement à établir l’uniformité de religion. Louis le Grand fut obligé de traiter avec les camisards des Cévennes.

On peut surtout s’étonner que tout cet assemblage de mesures n’ait point révolté l’équité naturelle du monarque ; il faut cependant faire ici quelques observations. D’abord, les adulations de sa brillante cour, et l’encens perpétuel des arts et des lettres n’ont pu manquer de l’égarer et d’obscurcir un esprit naturellement ferme et droit. Il est plus évident encore que Louis XIV ignora toujours le véritable état des choses. Le témoignage bien authentique de Saint-Simon nous le dépeint comme enfermé dans Versailles, sans communication possible avec le véritable pays. Il était excessivement difficile, et toujours fort téméraire de faire lire un placet ou d’adresser quelques paroles à Louis XIV. Les sultans d’Asie de la race pure des Seldjoucides peuvent seuls nous donner une idée de la position de ce roi au milieu de la France. Ces choses méritent d’être prises en considération par l’histoire. À moins qu’il ne tombe aux mains d’un homme très-supérieur, il est de la nature du pouvoir absolu de ne savoir ni ce qu’il fait, ni où il va. Aussi, la tyrannie au milieu d’un peuple éclairé, peut quelquefois produire une solitude involontaire, qui en est la conséquence et le châtiment.

L’équité nous porte à développer en quelques mots ces réflexions, en les appuyant sur les seules autorités compétentes, celle des témoignages contemporains. C’est dans l’ère de notre plus brillante littérature que l’on peut les choisir. Il y avait alors à la cour de Louis XIV une étonnante légèreté dans les jugements que l’on portait touchant les protestants. Mme de Sévigné, qui ne prend guère au sérieux que son amour pour sa fille et le cordon bleu de M. de Grignan, s’exprime avec une grâce un peu dure sur la position des réformés dauphinois, que la cruauté des édits allait troubler dans leurs montagnes : « M. de Grignan a fait un voyage d’une fatigue épouvantable dans les montagnes du Dauphiné pour séparer et punir de misérables huguenots, qui sortent de leurs trous, et qui disparaissent comme des esprits, dès qu’ils voient qu’on les cherche, et qu’on veut les exterminer. Ces sortes d’ennemis volants ou invisibles donnent des peines infinies, et qui, au pied de la lettre, ne sauraient finir ; car ils disparaissent en un moment, et dès qu’on a le dos tourné, ils ressortent de leurs tanières. » (Lett. au comte de Bussy ; 16 mars, 1689.) Voilà pour les résultats de la révocation, et pour les guerres intestines qui en furent la suite. Veut-on maintenant se faire une idée de la manière dont la révocation même fut appréciée par la haute société du temps, et par les belles dames dont la sensibilité s’épanchait sur les pastorales de l’hôtel de Rambouillet ; voici leur jugement :

« (Le P. Bourdaloue) s’en va, par ordre du roi, prêcher à Montpellier et dans ces provinces où tant de gens se sont convertis sans savoir pourquoi. Le P. Bourdaloue le leur apprendra. Les dragons ont été de très-bons missionnaires, jusque-là. Les prédicateurs qu’on envoie présentement rendront l’ouvrage parfait. Vous aurez vu, sans doute, l’édit par lequel le roi révoque celui de Nantes. Rien n’est si beau que tout ce qu’il contient, et jamais aucun roi n’a fait et ne fera rien de plus honorable. » (Lett. de Mme de Sévigné au comte de Bussy. 28 octobre 1685.) « J’admire la conduite du roi pour ruiner les huguenots ; les guerres qu’on leur a faites autrefois, et les Saint-Barthélemi ont multiplié et donné vigueur à cette secte. Sa Majesté l’a sapée petit à petit, et l’édit qu’il vient de donner, soutenu des dragons et des Bourdaloue, a été le coup de grâce. » (Lett. du comte de Bussy à Mme de Sévigné, 14 nov. 1685.) « Tout est missionnaire présentement ; chacun croit avoir une mission, et surtout les magistrats et les gouverneurs de province, soutenus de quelques dragons ; c’est la plus grande et la plus belle chose qui ait été imaginée et exécutée. » (Lett. de Mme de Sévig. au président de Moulceau, 24 nov. 1685.) Il serait superflu de faire la moindre réflexion sur ces badinages. Ils montrent assez tout ce qui manquait au grand siècle. D’autre part, il arriva souvent, à cette époque, qu’un rigorisme apparent vint couvrir toute cette frivolité de jugements en matières théologiques. L’esprit religieux du plus beau temps de Louis XIV se peint fort exactement dans ce qui arriva lors de la mort de Molière, qui expira le 17 février 1673. En réponse à la requête de sa veuve, l’archevêque de Paris accorda la sépulture ecclésiastique « à condition, néanmoins, que ce sera sans aucune pompe, et avec deux prêtres seulement, et hors des heures du jour, et qu’il ne sera fait aucun service solennel. » (Voyez les pièces authentiques, Vie de Molière, par Auger, éd. de Paris, 1819, p. 164.) Ce docte commentateur remarque que ce même archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, qui refusait la sépulture à Molière, parce qu’il était mort presque sur le théâtre, mourut lui-même presque dans les bras d’une de ses maîtresses, et que tous les honneurs furent accordés à sa cendre, même l’oraison funèbre. Mais le soir de l’inhumation de Molière, une vile populace vint insulter ses restes. Deux cents personnes conduisirent silencieusement le cortège nocturne du plus beau génie dont la France s’honore.

Des autorités infiniment plus graves que celle de Mme de Sévigné purent égarer la cour de Versailles sur sa conduite envers les protestants. Le conseiller d’Aguesseau succéda, en 1673, à M. de Bezons, qui était depuis vingt ans intendant de Languedoc ; il s’attacha fortement au grand objet de la religion réformée. Voici le jugement que porta sur la conduite de son père le chancelier d’Aguesseau, honneur de notre magistrature, et dont la statue brille aujourd’hui devant le péristyle du temple des lois. « Il approuvait l’usage de ces lois temporelles, dont je ne doute pas même qu’il n’ait inspiré plusieurs, par lesquelles le roi excluait les protestants des fonctions publiques ou de la participation de certains privilèges… Cette voie légitime en soi, lui plaisait principalement, parce qu’elle excitait les religionnaires à rentrer en eux-mêmes, à approfondir les causes de leur séparation, et à se convaincre mieux par un examen qu’ils n’avaient peut-être jamais fait, de l’injustice des prétextes qui avaient porté les premiers réformateurs à quitter la route de leurs pères… Aucunes lois ne lui paraissaient devoir être plus rigoureusement interprétées que celles où des sujets rebelles avaient forcé leur roi, les armes à la main, de leur accorder le pouvoir d’élever dans son royaume autel contre autel. On vit en effet tomber, par ses jugements, un grand nombre de temples. » (Discours sur la vie de M. d’Aguesseau, par le chancelier, adressé à ses enfants.) Les principes et la conduite du conseiller d’Aguesseau, austère de mœurs et sincèrement pieux, lorsqu’il fut nommé intendant du Languedoc, donne beaucoup à penser, quant à la disposition des esprits en France à cette époque presque inexplicable. Le chancelier nous raconte que, malgré les édits, les assemblées des religionnaires commencèrent à Saint-Hyppolite, dont le conseiller avait fait démolir le temple. On prit les armes des deux côtés, dans le Languedoc et le Vivarais. Le conseiller recommandait les moyens de douceur ; malgré lui, des troupes envoyées par le ministre Louvois pénétrèrent en Dauphiné. « Quelques escadrons de dragons ayant attaqué un corps de rebelles qui allaient tenir une assemblée, passèrent environ deux cents hommes au fil de l’épée, qui firent même assez chèrement acheter leur mort. » (Disc. du chancelier d’Aguess.) Après toutes ces luttes avec les chefs militaires, vinrent les jugements du conseiller intendant : « Ce fut au moins une grande consolation pour mon père, dans ce qui le regardait personnellement, d’avoir pu finir cette grande affaire sans qu’il en coûtât plus d’un seul supplice à son humanité. Le ministre Homel fut l’unique coupable dont le sang répara le crime de tous les autres[26]. Mon père le condamna à la roue, après lui avoir fait son procès dans les formes ordinaires. » (Discours du chancel. d’Aguess.) Cette mesure du conseiller d’Aguesseau, intendant de Languedoc, et la manière dont elle est jugée par son fils, l’illustre chancelier, laisse voir, mieux que toutes réflexions, la manière dont les choses se passaient alors, et quels jugements on croyait pouvoir rendre en toute sûreté de conscience. Et il faut ajouter, qu’en une foule de circonstances, le père du chancelier de France fait des réflexions très-sensées et très-humaines sur les conversions par voie d’exécution militaire, et qu’il prédit avec une parfaite perspicacité combien elles seraient passagères, et combien peu elles atteindraient le grand but de l’unité de la foi. Cependant, le juge rigoureux du vieux ministre Homel dut être bien regretté, lorsqu’il fut remplacé en qualité d’intendant du Languedoc, par Lamoignon de Baville, dont le malfaisant génie, ayant pour devise, « toujours prêt, et jamais pressé » (Saint-Simon) rappelle tout ce que l’action administrative eut jamais de plus impitoyable[27]. Nous ferons connaître, dans la suite de cette histoire (Pièc. just., no  ii), une lettre de ce fameux intendant, qui se souilla de tant de supplices envers les réformés, et dont la vie fut, en quelque sorte, expiée par la conduite opposée de son illustre descendant Lamoignon de Malesherbes, qui se plaisait à redire avec autant de grâce que d’humanité : « Il faut bien que je rende quelques bons offices aux protestants ; mon ancêtre leur a fait tant de mal. »

En ce qui concerne les flatteries inouïes dont Louis XIV fut l’objet, au moment même où son pouvoir se signalait par tous ces édits si intolérants, consignons d’abord comme mesure préparatoire le compliment de Racine à propos du dictionnaire de l’académie, compliment dont on peut dire qu’il est l’un des plus extraordinaires qui aient été jamais adressés même par un poète à son maître :

« Ce dictionnaire, qui de soi-même semble une occupation si sèche et si épineuse, nous y travaillons avec plaisir ; tous les mots de la langue, toutes les syllabes nous paraissent précieuses, parce que nous les regardons comme autant d’instruments qui doivent servir à la gloire de notre auguste protecteur » (Discours pron. à l’Acad. franc., à la réc. de l’abbé Colbert, le deuxième fils du ministre ; 30 octobre 1678.) Plus tard on entendit l’auteur d’Athalie l’année même de la révocation de l’édit de Nantes, faire fumer devant Louis XIV ce nouveau tribut : « Ce grand prince, plein d’équité, plein d’humanité, toujours tranquille, toujours maître de lui, sans inégalité, sans faiblesse, et enfin le plus sage et le plus parfait de tous les hommes. » (Disc. pron. à l’Acad. franc, à la réc. de MM. Thomas Corneille et Bergeret ; 2 janvier 1685.)

On vit La Fontaine, qui parlait peu de la politique, se mettre de la partie contre les protestants, et renonçant, au moins dans une occasion officielle, à la philosophie de ses fables, louer Richelieu « d’avoir doublement triomphé de l’hérésie et par la persuasion et par la force. » Jusque-là ce n’était que de l’histoire bonne ou mauvaise ; mais il y eut quelque chose de beaucoup plus direct, en 1684, à féliciter Louis XIV « d’avoir réduit l’hérésie aux derniers abois. » (Rem. de réc. à l’Acad. franc. ; 2 mai.) De quoi se mêlait le bonhomme ?

Les discours et louanges du clergé eurent un caractère bien plus insinuant et bien plus dangereux. Quelque difficile qu’il soit de supposer qu’il ignorât réellement les violences inouïes qui se passaient, il eut au moins la charité de vouloir faire prendre le change à Louis XIV. Aussi on essaya sans cesse de persuader à ce monarque que les voies de conversion étaient douces, et que la seule conviction amenait les changements les plus satisfaisants. Nous nous bornerons à citer un seul exemple, mais frappant, de ce genre d’argumentations, qui dut préparer un champ plus libre aux persécuteurs tout en rassurant la conscience du roi. Voici ce que le clergé disait au monarque abusé :

« Aussi faut-il l’avouer, Sire, quelque intérêt que nous ayons à l’extinction de l’hérésie, notre joie l’emporterait peu sur notre douleur, si, pour surmonter cette hydre, une fâcheuse nécessité avait forcé votre zèle à recourir au fer et au feu, comme on a été obligé de faire dans les règnes précédents. Nous prendrions part à une guerre qui serait sainte, et nous en aurions quelque horreur, parce qu’elle serait sanglante ; nous ferions des vœux pour le succès de vos armes sacrées, mais nous ne verrions qu’avec tremblement les terribles exécutions dont le Dieu des vengeances vous ferait l’instrument redoutable ; enfin nous mêlerions nos voix aux acclamations publiques sur vos victoires, et nous gémirions en secret sur un triomphe qui, avec la défaite des ennemis de l’Église, envelopperait la perte de nos frères.

« Aujourd’hui donc que vous ne combattez l’orgueil de l’hérésie que par la douceur et par la sagesse du gouvernement, que vos lois, soutenues de vos bienfaits, sont vos seules armes, nous n’avons que de pures actions de grâces à rendre au ciel, qui a inspiré à Votre Majesté ces doux et sages moyens de vaincre l’erreur, et de pouvoir, en mêlant avec peu de sévérité beaucoup de grâces et de faveurs, ramener à l’Église ceux qui s’en trouvaient malheureusement séparés Ce que votre zèle a déjà fait, la postérité le regardera toujours comme la source de vos prospérités et le comble de votre gloire. » (Disc. pron. à la tête du clergé, par l’abbé Colbert, coadjuteur de Rouen, pour remercier Louis XIV de l’édit du 22 octobre 1685, révoquant celui de Nantes.)

Les arts mêmes furent appelés à fêter ces victoires déplorables contre une hérésie si industrieuse et si pacifique. Faudra-t-il rappeler les figures hideuses que le calice met en fuite, dans un des plus brillants salons de Versailles, sous le chaste pinceau de Lesueur ? Faudra-t-il rappeler cette statue élevée à l’hôtel-de-ville de Paris (1689), monument de la plus honteuse flatterie, dû au ciseau de Coysevox, et consacré spécialement au roi destructeur de l’édit de Nantes[28]. Des bas-reliefs d’airain mentionnaient cette offrande des prévôt et échevins de la ville de Paris ; ils dessinaient une affreuse chauve-souris aux larges ailes enveloppant les œuvres de Jean Hus et de Calvin. Tous ces bronzes ont été changés, l’an 1792, en canons révolutionnaires qui allèrent tonner à Valmy ; les inscriptions adulatrices ne sont plus ; mais la postérité doit se souvenir à jamais qu’on y grava ces paroles : Ludovico magno, victori perpetuo, ecclesiæ ac regum dignitatis assertori.

Nous bornons ici ces exemples déjà nombreux et qu’il eût été facile de multiplier. Ils ont bien quelque chose de surprenant et de douloureux. Par des citations remarquables choisies dans les discours les plus solennels du clergé, dans les harangues des littérateurs les plus élevés, dans la jurisprudence bien autrement grave de magistrats austères, dans les compositions des arts et jusque dans les confidences des ruelles, nous venons de voir combien l’esprit du temps était âpre ou léger sur des mesures qui nous semblent si condamnables aujourd’hui. Ces traits de mœurs et d’opinions, venant de tant de côtés, expliquent jusqu’à un certain point comment Louis XIV put ignorer le véritable état des choses, ou put se tromper si gravement sur leurs suites. Qu’on ajoute à toutes ces illusions la faiblesse d’un esprit dévot et la hauteur du pouvoir absolu, et peut-être pourra-t-on se rendre raison de tant de mesures dont la postérité a dû exiger un compte sévère. Elles suffisent toutefois et trop bien pour nous faire trouver insupportable cette seconde apothéose, dont on nous fatigue depuis quelque temps.

Nous n’avons point l’intention de nous arrêter sur l’histoire proprement dite de la révocation, sur les excès de tous genres qu’elle entraîna, sur les conséquences longues et funestes qui en dérivèrent, ni sur les insuccès dont elle fut une mémorable école.

Nous ne parlerons non plus de ces colonies de réfugiés français, dont elle peupla à peu près toute l’Europe protestante, dont elle jeta des débris dans le Nouveau-Monde, et même jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Triste tableau, puisque tandis qu’en France Louis XIV fondait une régie spéciale pour la confiscation et la spoliation des biens saisis sur ses compatriotes, en Prusse, Frédéric-Guillaume 1er fondait une charge spéciale pour les protéger et les servir. En France, c’était le conseiller et contrôleur général Chamillart et ses successeurs qui furent préposés par Sa Majesté « à la recette des biens des religionnaires qui ont contrevenu aux édits » (Arrêt du 23 septembre 1704) ; et en Prusse, c’était le comte de Denhoff, général, gouverneur de Memel, qui exerçait les fonctions de directeur et protecteur des affaires des Français réfugiés (Délibér. des réfugiés franç. de Berlin, 3 janvier 1718). Voilà sans contredit un renversement de rôles qui pénètre de tristesse.

D’ailleurs on ne peut qu’admirer les vifs mouvements de charité, dont les Français réfugiés ou prisonniers dans leur patrie furent l’objet dans l’Europe entière. En Hollande, comme en Allemagne, en Suisse et en Angleterre, c’étaient des étrangers qui venaient secourir et chérir les Français gémissant sur les galères de la France. Nous citerons à la fin de ce volume une pièce bien douloureuse, mais remarquable et par les détails qu’elle nous conserve sur les martyrs et par la tendre sympathie de leurs frères des Provinces-Unies, (Voy. Pièc. just. no iii.) Nous ne voulons pas cependant examiner quelle pouvait être la population exacte de cette masse de Français chassés par l’intolérance. La question, assez fâcheuse et dénuée d’intérêt, est à peu près insoluble aujourd’hui. On ne pourrait la tenter qu’en recherchant dans tous les pays protestants de l’Europe les colonies de calvinistes français qui s’y réfugièrent ; encore il faudrait distinguer celles qui sont éteintes aujourd’hui par leur fusion avec les nationaux. Cette circonstance a dû arriver très-souvent, et finira par arriver toujours. « Une des plus puissantes consolations de ces troupes fugitives, disait le pasteur réfugié de La Haye, c’est que vous ne dédaignez pas de les confondre avec ceux qui ont eu le bonheur de naître sous votre gouvernement, c’est que vous n’exigez pas qu’il y ait deux peuples au milieu de vous ; c’est que vous avez la condescendance de nous considérer comme si nous vous devions la naissance, ainsi que quelques-uns de nous vous doivent leur entretien, et que tous vous doivent leur repos et leur liberté. » (Saurin, Sermon sur l’amour de la patrie,[29] On voit que déjà vers le commencement du siècle dernier les réfugiés tendaient à cesser d’être un peuple distinct chez les nations qui les avaient accueillis comme des frères ; on peut juger combien serait vaine l’entreprise de vouloir démêler aujourd’hui ces races étroitement confondues depuis au moins quatre ou cinq générations.

Cependant il nous est bien difficile de quitter ce sujet sans au moins consacrer un souvenir à tous ces hommes distingués, qui furent contraints de quitter la France, ou à tous ceux dont la foi et les principes furent si étrangement traités par les ineptes jésuites, qui dirigeaient la conscience de Louis XIV. On choisit pour calomnier la foi protestante le moment où plusieurs des plus grands génies qui honorent l’humanité en faisaient profession ouverte, et donnaient à leurs immortels résultats scientifiques la couleur d’une piété qui comprenait à la fois les lois et l’auteur de la nature. C’était le moment où Newton publiait son livre des Principes de la philosophie naturelle (1687) et le calcul de l’infini en variant ces méditations sublimes par des commentaires sur les livres les plus difficiles du Nouveau Testament, et en partageant le même génie et la même dévotion avec un autre protestant, son digne rival et coreligionnaire, Leibnitz. C’était l’instant même où, par la plume habile autant que religieuse de Samuel Clarke et de Locke, les hautes vérités de l’existence divine recevaient ces démonstrations, dont la force et dont la clarté n’ont point été surpassées, comme aussi un illustre réfugié français, Jacques Abbadie, presqu’au moment même où la révocation fut signée, donna son traité, le plus solide ouvrage qu’on ait composé en faveur de la religion chrétienne. Il est remarquable que les livres de ces trois philosophes si éminemment pieux parurent en 1684, 1695 et 1704, précisément au milieu de la série innombrable des édits où Louis XIV et son secrétaire Phélypeaux attachaient des peines capitales à leur foi. À ce moment aussi Huyghens fut obligé, quoi qu’on en ait dit[30], à fuir Versailles et cette contrée où toute liberté de conscience et de culte lui aurait été interdite ; il rapporta en Hollande son analyse des ondulations de la lumière, et la magnifique découverte de l’horloge oscillante. D’autre part, en France, tandis que les édits interdisaient aux réformés le métier d’huissier, de domestique ou de loueur de chevaux, Denis Papin, de la famille des pasteurs de Blois, allait à Londres et à Marbourg, en Hesse, construire le premier modèle d’une machine à vapeur mise en pratique (1690). Si cet homme de génie, physicien et médecin illustre, fut resté sur les terres de France, passé 1685, il n’eût pu, en qualité de protestant, être reçu docteur, en vertu de la déclaration du 6 août, signée Phélypeaux de Pontchartrain.

Il serait d’ailleurs fort difficile de compléter cette énumération et de rappeler la foule d’hommes distingués en tous les genres que ces mesures nous ont enlevés. Les Estienne, l’honneur de l’imprimerie française, s’établirent définitivement en Suisse. Pendant que la peinture officielle de Lebrun et son art des grandes machines régnaient en despote à Versailles, les descendants de Jean Goujon, qui balança la gloire de la sculpture florentine, et ceux de Bernard Palissy, qui avait gravé sur ses poteries émaillées le chaste dessin de Raphaël et les jeux de Jean d’Udine, furent contraints de fuir le sol natal comme ceux du peintre Jean Cousin et de Goudimel, le naïf et pieux musicien des psaumes. La mémoire d’Ambroise Paré, cet homme illustre qui fit réellement de la chirurgie un art divin, ne put sauver ses descendants de l’exil et de la persécution. Abraham Duquesne, ce grand homme de mer et le digne adversaire de Ruyter, ce guerrier intrépide, le père de notre marine, non-seulement ne put obtenir durant sa vie, de Louis XIV, les dignités qu’il eût honorées, mais après sa mort il ne put obtenir un tombeau. Il vécut assez (1688) pour voir la révocation ruiner sa foi et ses temples, et la vallée alpine d’Aubonne, dans l’état de Berne, seule recueillit sous un simple marbre ce cœur du marin qui avait tant combattu pour la France. Il est vrai qu’aujourd’hui son buste monumental s’élève enfin dans le vieux palais des rois (Louvre, Musée de marine) : tardive réparation de tant d’ingratitude. Toutes les professions libérales avaient leur part de cette oppression insensée ; elle atteignit ensemble l’honnête littérateur Conrart, le courageux voyageur Chardin, et le savant chimiste Lemery. L’architecte de Bott, le médecin Bauhin, le grammairien Boyer, le pharmacien Charas portèrent leurs services chez les étrangers, qui déjà avaient recueilli tout l’éclat philosophique qui jaillissait de la veine intarissable et trop sceptique de Bayle.

Mais nos pertes en écrivains sérieux et érudits, en hommes pieux, qui eussent continué les débats de la science avec Port-Royal, et qui eussent peut-être fini par s’entendre avec ces théologiens armés et consciencieux comme eux-mêmes, furent bien plus sensibles et bien plus irréparables encore. Le docte Pierre Allix alla servir à Londres une église du rit anglican. Les descendants du pieux Drelincourt allèrent se fixer en Hollande, en Angleterre ou en Allemagne, où ils rencontrèrent les Basnage, les David Durand, les Graverol, les Jaquelot, les Ancillon, les Janicon, les Jansse, les Morin, les Jurieu, les Lecène, les Lenfant, les Superville, les Élie Saurin, les Beausobre, les David Martin, les de La Placette, les Bernard, les Louis Cappel, les Rapin-Thoyras, les Rivet, les Bouhereau, les Desmarets, les Desvignoles, les du Bosc, les Bruguier, les Colomiez, les Le Courayer, les Daillon, et tant d’autres chez lesquels un savoir profond se mêlait à l’esprit critique et à une piété fervente. Tout une littérature et tout une influence scientifique partit avec eux. Des tombes de Port-Royal, labourées par la charrue des persécuteurs, aucune voix ne s’éleva, pas plus que des débris des académies et des temples des réformés. La saine et grave théologie française fut remplacée par la philosophie du xviiie siècle, qui nous gouverne et qui nous domine encore aujourd’hui. Terminons ici cette esquisse littéraire, qui n’est pas tout à fait une digression dans notre sujet. Elle laisse entrevoir tout ce que la France a perdu. En présence de tant de maux irréparables, dus au caprice d’une cour ignorante et absolue, on se prend à songer combien nos destinées seraient aujourd’hui différentes, si des conseils plus sages eussent prévalu dans les conseils de nos rois, ou, ce qui revient au même, si la véritable opinion de la France eût pu se faire jour. Mais de semblables considérations ne seraient plus du domaine de l’histoire.




CHAPITRE III.


Assemblées des Églises sous la croix. — Prières du culte privé
et du culte public.


Nous venons de terminer une tâche déplorable. Nous avons tracé bien succinctement le code des lois de Louis XIV concernant ses sujets protestants. Nous avons dû interrompre le récit de la première renaissance du culte et de la convocation périlleuse de ses premières assemblées. Il est temps de reprendre le cours de ces faits consolants, et c’est un récit que nous ne devons plus interrompre.

On ne peut se dispenser d’abord d’apprécier les graves changements qui survinrent en France, presque aussitôt que Louis XIV eut fermé les yeux. Sous quels rapports purent-ils affecter les églises réformées ? En effet, avant de reprendre le tableau des efforts, pour ainsi dire héroïques, qui furent accomplis pour restaurer le culte réformé dans le midi du royaume, il convient de jeter les regards sur la nouvelle législation du commencement du règne de Louis XV, concernant les protestants. Le duc d’Orléans, Philippe, s’était fait décerner la régence par le parlement de Paris, et cette même assemblée, qui disposait du sort de l’État, cassa le testament de Louis XIV le lendemain même de sa mort. Les droits des princes bâtards adultérins, fils de Mme de Montespan, furent écartés, et ce fut peut-être le seul événement de la régence où la morale se trouva d’accord avec la raison politique. Le duc du Maine et le comte de Toulouse furent réduits à d’inutiles cabales, qui n’aboutirent qu’à l’impuissante intrigue qu’on a nommée la conspiration de Cellamare. Ainsi, le parti de l’esprit prêtre, dont Mme de Maintenon avait essayé de perpétuer l’empire, en donnant au testament de son royal époux la direction de ses vues dévotes, fut écarté.

D’autres événements d’une plus grande portée politique signalèrent le commencement de la régence. L’influence espagnole, toujours si funeste à la France, se réveilla. Poussé par l’esprit brouillon du cardinal Albéroni, Philippe V, ce petit-fils de Louis XIV, dont le trône avait été cimenté par tant de sang français, fit à son tour un rêve de monarchie universelle. Il afficha hautement ses droits à la tutelle du petit Louis XV, et tenta en même temps, par son ministre-cardinal, de soulever la France, d’enlever la Sardaigne à l’empereur, la Sicile à la maison de Savoie, l’Angleterre à Georges 1er ; en un mot de rayer toutes les dispositions de la précédente paix. Il est probable que des projets d’unité religieuse se mêlaient à ces illusions de domination politique, grâce aux confesseurs jésuites qui entouraient le trône d’Espagne. Mais le prêtre intrigant, qui troublait l’Europe par les menées du cabinet de Madrid, se trouva en face d’un adversaire qui portait la même robe à Versailles ; c’était l’abbé Dubois, plus extraordinaire comme prêtre que comme ministre. Toutefois, les traités de la triple et de la quadruple alliance dissipèrent tous les projets d’Albéroni et de son maître. L’Allemagne, l’Angleterre, la France et la Hollande se rangèrent contre l’Espagne, dont la flotte fut engloutie sous1718. les boulets anglais, près de Syracuse. L’année suivante, l’Espagne, partout battue, accéda au traité1719. de paix, et Albéroni reçut son congé de premier ministre. Les événements politiques vinrent bientôt se compliquer d’événements religieux. La cour de France, une fois rassurée sur les prétentions de régence qu’avait affichées la cour d’Espagne, rentra dans l’ancienne politique de l’alliance des deux branches de la maison de Bourbon. Le régent voulut faire épouser sa fille, Mme de Montpensier, au prince héréditaire d’Espagne, don Louis, et obtenir qu’on donnât l’infante à son pupille le roi de France. Les jésuites d’Espagne avaient fait de la réception pure et simple de la bulle Unigenitus par le parlement de Paris la condition de ces alliances réciproques ; 1720.Dubois s’en chargea, l’obtint et devint cardinal. Les jansénistes furent ainsi victimes de la politique du régent. D’un autre côté, les folies financières de Jean Law, en précipitant la nation entière dans un agiotage effréné et en ruinant tant de fortunes, avaient démontré que c’était chose impossible que de prétendre rejeter d’un coup le fardeau des dettes de Louis XIV. Toutefois, il est probable que la suite du gouvernement de Philippe d’Orléans, même comme premier ministre, rassuré sur les prétentions de l’Europe, eût abouti à quelque adoucissement dans les mesures contre les protestants ; mais la même année vit la déclaration de majorité de Louis XV, la mort 1723.
2 décembr.
du Cardinal Dubois et celle de son maître le régent.

Telles étaient les circonstances politiques du pays ; elles n’avaient rien de contraire au développement de la liberté religieuse. Nous verrons plus tard quelles influences de cour firent avorter les espérances qu’on avait pu concevoir sur un changement dans la législation pénale des églises. Elles parurent renaître un instant par suite des intrigues politiques dont le midi du royaume faillit être le théâtre. Nous venons d’indiquer rapidement les vues ambitieuses du ministre de Philippe v, le cardinal Alberoni. Il avait espéré trouver des appuis chez les protestants français, et surtout chez ceux au sein desquels il croyait le plus facile d’exciter des soulèvements. Ses plans s’adressèrent de préférence aux églises des Cévennes et du bas Languedoc. Le régent de France conçut de vives inquiétudes. Afin de s’assurer un moyen d’action confidentiel sur les églises, le gouvernement du régent eut l’idée assez politique de s’adresser au ministre et diplomate, Jacques Basnage, l’un des plus illustres d’entre les réfugiés, homme dont le patriotisme égalait les lumières et la prudence. À cet effet, le régent dépêcha un gentilhomme à la cour de La Haye, pour entrer en pourparler avec Basnage. Le sage ministre indiqua au gouvernement du régent le jeune pasteur Antoine Court. Ce dernier eut des conférences avec les agents de son propre gouvernement. C’étaient M. Genac de Beaulieu, gentilhomme du Dauphiné,1819. qui fut envoyé en Languedoc, et M. de la Bouchetière, colonel de cavalerie au service de la Grande-Bretagne, qui fut envoyé en Poitou, sa province d’origine. Antoine Court leur déclara que les églises avaient déjà éconduit les agents du cardinal d’Espagne, que la rigueur des édits pouvait seule faire soulever les protestants, et que, d’ailleurs, il travaillait journellement et au péril de sa vie à détruire jusques aux dernières traces du fanatisme. Il paraît certain qu’après ces réponses claires et rassurantes, le gouvernement du régent fit offrir une pension considérable au ministre Antoine Court, avec faculté d’aliéner ses biens, et même de s’établir hors du royaume. Il refusa tout, à cause de l’espèce d’exil auquel ces faveurs le condamnaient.

Nous avons d’ailleurs fort peu de détails sur ces négociations curieuses, qui révélaient chez le gouvernement de la régence une connaissance réelle de l’état des choses dans le midi du royaume. Nous ne connaissons ces faits que par quelques minces renseignements sur ce ministre, détails que, bien plus tard, son fils, Court de Gebelin relégua dans un coin de son immense ouvrage[31]. Ce fut un grand bonheur pour les églises que le ministre ait résisté aux offres brillantes du régent. Elles auraient fait de ce pasteur un agent politique et privé du cabinet. Elles eussent probablement fermé la carrière évangélique qu’il parcourut avec tant de zèle et de succès.

Ce fut à la même époque, sur les instances du comte de Morville, ambassadeur de France en Hollande, et sur la demande du régent, que Basnage fut chargé d’écrire cette instruction pastorale, qui fut imprimée à Paris, qui fut distribuée à profusion dans toutes les provinces, et surtout dans celles du midi du royaume. Elle avait pour but d’affermir les populations dans la fidélité due au roi, et de les préserver des intrigues étrangères. La lettre de Basnage est écrite avec beaucoup de sagesse, et indirectement ses conseils voilent avec adresse une diatribe contre les maximes ultramontaines de la déposition des rois. Mais il eût été à souhaiter que l’illustre pasteur et écrivain y eût inséré quelques espérances, ou au moins quelques vœux pour la liberté religieuse de ses compatriotes, qui n’étaient pas, comme lui, en sûreté de personne et de conscience chez un peuple hospitalier. Au reste, elle seconda puissamment l’œuvre conciliatrice de Court. Ainsi, le plus illustre des pasteurs du refuge et le jeune ministre du désert s’unirent l’un et l’autre pour raffermir le patriotisme des troupeaux. Il est bien certain toutefois, que si, d’une part, les nombreuses assemblées qui se tinrent de 1715 à 1720, présentèrent de graves périls aux assistants, d’autre part, les commandants ni les intendants ne poursuivirent pas les réunions avec le zèle acharné qu’ils avaient déployé naguère. Les pièces attestent que ce fut la crainte de rallumer de nouveaux soulèvements de camisards, qui imposa plus de douceur à l’administration. Nous verrons cette crainte salutaire se reproduire sans cesse dans tout le cours du siècle, et couvrir les églises d’une sorte de protection.

Lorsque le régent s’appuya, pour la tranquillité publique, de l’intervention du ministre Antoine Court, il n’y avait pas très-longtemps que le fanatisme terrible des camisards avait jeté ses dernières lueurs. Ce ne fut réellement qu’en 1713 que les Cévennes furent calmées. Longtemps après la capitulation et la retraite de leur chef (1704), les camisards continuèrent leurs réunions, et de nouvelles révoltes désolaient encore le Languedoc. L’affreux Baville redoublait de vigilance et de supplices ; mais les prophètes retirés à Londres et en Hollande versaient sans cesse une nouvelle ardeur visionnaire dans les esprits de leurs frères persécutés. Malgré la perte de toutes leurs espérances en Languedoc, les frères s’organisaient encore à la fin de 1709, à Londres, en corps d’armée mystique, divisé à l’instar des douze tribus d’Israël, offrant le plus singulier mélange d’adeptes anglais et de noms de réfugies. Il est encore question des « deux frères Audemard et Nolibet, qui ont eu ordre de l’esprit confirmé par diverses bouches, de passer en Hollande, pour, de là, être envoyés ailleurs. » Jusqu’en 1716, on voit David Flotard, agent, pour la couronne anglaise, du marquis de Remiremont, réclamer de Georges 1er le prix de ses tentatives de soulèvements en Languedoc[32] (Placet au roi d’Angleterre, Mss. P. R.). Ces faits expliquent assez les inquiétudes de la cour de France, et ses sages démarches auprès des ministres du Languedoc. On se rappelait d’ailleurs que les réformés français avaient des amis dans les congrès étrangers. Dès 1709, aux conférences de Gertruydenberg, préparatoires à la paix générale d’Utrecht, les plénipotentiaires des alliés réformés s’étaient un peu émus du sort de leurs frères protestants. Les réfugiés en Hollande avaient excité sur ce sujet le zèle des états généraux. Ils avaient demandé que la liberté de conscience pour leurs compatriotes de France devînt une des conditions de la paix, et ce fut Jacques Basnage qui dirigea toute l’affaire de ces justes réclamations (The Tatler, no  du 10 mai 1709). Mais les ministres de Louis XIV n’eurent point de peine à repousser la faible insistance des alliés, et d’aucune part on ne voulut subordonner la fin d’une guerre qui avait si longtemps embrasé l’Europe, à des transactions intérieures entre le roi de France et ses sujets. Les alliés durent se contenter d’assurances générales et vagues. Sans doute, on leur répéta les paroles qu’avaient dites, dans les conférences de Versailles, le contrôleur général Chamillard et le duc de Beauvilliers, lorsqu’ils négociaient avec le baron d’Aygaliers, gentilhomme d’Uzès, la capitulation de Cavalier et de sa troupe. Voici les paroles du ministre d’état à l’envoyé des protestants du Languedoc : « Que ceux qui ne peuvent pas s’accommoder de notre religion prient Dieu chez eux ; on ne les ira point troubler, pourvu qu’ils ne fassent point d’assemblées. »

Un homme de guerre qui connaissait bien le Languedoc et le Dauphiné, où il avait eu le malheur de commander avec Baville, le maréchal de Berwick, ne se dissimulait pas la portée politique de ces mouvements insurrectionnels. Il disait que si les camisards eussent vécu en chrétiens, et qu’ils se fussent seulement déclarés pour la liberté de conscience et la diminution des impôts, tous les huguenots du Languedoc se seraient joints à eux. Il redoutait, dans ce cas, que la contagion ne gagnât les provinces voisines, et même que beaucoup de catholiques ne fissent cause commune avec ces libérateurs. Alors le royaume risquait d’être entièrement bouleversé, si les Anglais et les Hollandais fournissaient des chefs puissants et des subsides plus puissants encore[33]. Assurément, l’avis de ce belliqueux rejeton du sang des Marlborough annonçait beaucoup d’intelligence politique. En général, ce fut là l’expression de la politique secrète des dernières années de Louis XIV et de la régence d’Orléans envers les églises réformées françaises. Jamais la cour ni les ministres qui se succédèrent au pouvoir n’oublièrent les embarras inouïs de la guerre des camisards, ni les liaisons qui s’étaient établies entre les révoltés du midi et les étrangers. On n’oublia pas la visite maritime de l’amiral anglais Showel aux côtes du bas Languedoc, en 1703, ni le débarquement du général Saissan, en 1710, qui occupa Cette et Agde, conquêtes éphémères que lui arracha aussitôt l’intrépidité du maréchal de Noailles. On sentit, dès ce moment, les graves dangers qu’il pouvait y avoir à réduire au dernier degré du désespoir une population guerrière, qui, des collines de la côte, pouvait correspondre avec les vaisseaux ennemis.

Aussi, dans les premières années qui suivirent la mort de Louis XIV, l’inquisition des consciences perdit un peu de sa rigueur. Le culte réformé des Cévennes et du Languedoc fut souvent confiné dans l’enceinte des maisons. Cette circonstance seule, outre le mystère qui enveloppait alors toutes les habitudes des protestants, aurait suffi pour rendre très-rares les preuves de la piété de ces populations, obligées de se renfermer ainsi dans le foyer domestique. Il faut remarquer encore que ce genre de culte, opposé à la discipline qui suppose toujours une réunion d’églises et un acte public, n’avait pas l’approbation entière des pasteurs courageux, qui travaillaient à réorganiser ces communautés. Toutefois nous devons recueillir un monument intéressant du culte privé avant de parler des témoignages bien plus frappants que nous a laissés le culte public. Nous trouvons, dans nos pièces, une copie d’une courte prière, usitée pour le culte privé, dans des localités du Languedoc où l’on ne pouvait espérer de visite pastorale. Nous en plaçons la date approximativement à l’an 1718, avant les grandes tournées et les réunions importantes qui furent provoquées par le pasteur Antoine Court. On ne pourra qu’être frappé de la simplicité et de la naïveté éloquente de ce morceau (Mss. Fab. Lic.)[34].

« Prière pour les fidèles qui lisent ensemble la parole de Dieu et un sermon, mais qui sont privés de l’exercice public de leur religion.

« Grand Dieu, que les cieux des cieux ne peuvent comprendre, mais qui a promis de te trouver où deux ou trois sont assemblés en ton nom, tu nous vois assemblés dans cette maison pour t’y rendre nos hommages religieux, pour y adorer ta grandeur, et pour y implorer tes compassions. Nous gémissons en secret, et d’être privés de nos exercices publics, et de n’entendre point dans nos temples la voix de tes serviteurs. Mais bien loin de murmurer contre ta providence, nous reconnaissons que tu pouvais avec justice nous accabler par tes jugements les plus sévères ; ainsi nous admirons ta bonté au milieu de tes châtiments. Mais nous te supplions d’avoir pitié de nous. Nous sommes sans temple. Mais remplis cette maison de ta glorieuse présence ! Nous sommes sans pasteur ; mais sois toi-même notre pasteur. Instruis-nous des vérités de ton Évangile. Nous allons lire et méditer ta parole. Imprime-la dans nos cœurs ! Fais que nous y apprenions à te bien connaître, et ce que tu es et ce que nous sommes ; ce que tu as fait pour notre salut et ce que nous devons faire pour ton service ; les vertus qui te sont agréables et les vices que tu défends ; les peines dont tu menaces les impénitents, les tièdes, les timides, les lâches et les profanes, et la récompense glorieuse que tu promets à ceux qui te seront fidèles. Fais que nous sortions de ce petit exercice plus saints, plus zélés pour ta gloire, et pour ta vérité, plus détachés du monde, et plus religieux observateurs de tes commandements. Exauce-nous, par ton fils. »

Après cet exemple de culte privé, nous devons parler du culte public. Les efforts des pasteurs qui se dévouèrent à cette œuvre courageuse, sont au plus haut degré dignes de mémoire.

Tous ces travaux vraiment apostoliques, tendant à réédifier le culte et la discipline réformée sur les cendres encore fumantes de la guerre des Camisards et au milieu des aberrations de leurs derniers prophètes, eurent lieu dans un espace de trois années, depuis 1715 jusqu’en 1718, depuis l’époque de la mort de Louis XIV jusqu’à l’abaissement de l’Espagne par les victoires de la régence d’Orléans et de l’Angleterre. Ils coïncidèrent avec les succès de la quadruple alliance, ligue qui unit les cours de l’Europe sans distinction de doctrine, et qui consolida l’égalité diplomatique de tous les cabinets sous le point de vue religieux. Cependant, à l’époque même où des hommes aussi évangéliques que courageux se dévouaient à l’œuvre de rallier les églises désolées, le conseil de Louis XIV poursuivait son œuvre avec une constance égale ; à l’époque de cette même année 1715, où Antoine Court réunissait les prédicateurs et les laïcs des églises dans quelque grange solitaire ou dans les grottes inaccessibles du Vivarais et des Cévennes, six mois ne s’étaient pas écoulés depuis que le jésuite Letellier et Mme de Maintenon, obsédant la couche mortelle de Louis XIV, avaient obtenu une nouvelle déclaration, où, tout en proclamant la catholicité de tous ses sujets comme un fait déjà consommé et irrévocable, il ordonnait derechef, contre les nouveaux convertis rebelles aux sacrements, les galères et l’outrage des cadavres. « Depuis la révocation de l’Édit de Nantes, disait le vieux monarque presque mourant, après soixante-douze années de règne, nous n’avons rien oublié de ce qui pouvait dépendre de nous pour retirer des erreurs de la religion prétendue réformée, ceux de nos sujets qui y étaient nés, et pour procurer l’éducation de leurs enfants dans la véritable, et nous avons eu la satisfaction de voir que Dieu a béni en cela nos pieuses intentions, par le grand nombre des personnes qui ont fait abjuration… d’autant que le séjour que ceux qui ont été de la religion prétendue réformée, ou qui sont nés de parents religionnaires, ont fait dans notre royaume, est une preuve plus que suffisante qu’ils ont embrassé la religion catholique, apostolique et romaine, sans quoi ils n’y auraient pas été soufferts ni tolérés. » (Déclaration du roi, 8 mars 1715. ) Au moment même où le secrétaire d’état, Phélypeaux de Pontchartrain, vigilant administrateur d’une si longue oppression, faisait apposer le grand sceau de cire jaune à cette dernière intolérance de son vieux maître, rien ne l’avertissait sans doute que de fervents synodes renaissaient alors dans un coin obscur du Languedoc, et que leur zèle serait encore plus puissant que ses édits. Tels furent les travaux de ces trois années, accomplis dans le midi du royaume, par des pasteurs modestes et peu lettrés ; ils dureront sans doute aussi longtemps que les œuvres des théologiens catholiques contemporains, aussi longtemps que les belles impressions des conciles de Hardouin sous les presses du Louvre, et que les discours de Massillon au milieu des magnificences de la Sainte-Chapelle.

Ce n’était pas assez de prendre des mesures générales pour régulariser le culte et le sacerdoce, et pour prévenir les abus de personnes sans instruction et sans mission, usurpant la parole dans les assemblées. Il fallait pouvoir envoyer des ministres régulièrement ordonnés. Il n’y en avait aucun dans cette partie du royaume qui eût reçu l’imposition des mains, hormis un ministre du Dauphiné, Jacques Roger, qui avait été consacré dans le Wurtemberg, et qui n’avait pas craint de braver la loi capitale, qui lui interdisait de retourner en France. Dans tout le Languedoc, le ministre Court, non plus que ses collègues, n’avaient d’autre mission que leur zèle, ni d’autre titre que celui que des assemblées consistoriales de laïcs leur avaient conféré. Ils ne pouvaient donc, à la rigueur ni validement, bénir les mariages, ni conférer les sacrements. Antoine Court chercha les moyens de remédier à ce vide fâcheux. Pour donner à toutes ces mesures la sanction qu’elles devaient recevoir d’un caractère sacré, il détermina un des plus distingués de ses collègues, le ministre P. Corteis, à se rendre à Zurich pour y recevoir l’imposition des mains, suivant le rit de la discipline helvétique. Le pasteur Corteis, dont nous avons souvent trouvé le nom au bas d’actes synodaux du désert, en Languedoc, n’hésita pas à faire ces périlleux voyages. De retour, il 1718. consacra le ministre Antoine Court, à la tête d’un synode ; et ce furent ainsi les pasteurs Court, Corteis et Roger qui sauvèrent, pour la France réformée, la filiation de l’ordination suivant la règle apostolique, au milieu des épreuves d’une si longue intolérance, après la guerre des Cévennes. Dès lors, grâce aux sages mesures de ces ministres, la consécration au saint ministère put devenir valide dans le midi du royaume, et c’est de leurs mains courageuses qu’elle a été transmise jusqu’à nos jours aux florissantes églises du Languedoc et des Cévennes.

De si beaux efforts devaient être couronnés de succès. Bientôt il put se réunir au milieu des églises de ces deux provinces, un synode qui rassembla1718.
7 février.
, quarante-cinq membres, tant pasteurs que membres anciens et laïcs. On décréta que nul ne serait reçu pasteur « qu’après un sérieux examen de sa doctrine et de ses mœurs. » On arrêta que tous pasteurs « doivent avoir le témoignage de mener une sainte vie, irrépréhensible, et qu’ils possèdent les lumières et les connaissances requises pour s’acquitter d’un si glorieux emploi. » — « Et comme dans ce temps de calamités nous recevons des pasteurs qui n’ont point reçu l’étude des langues, au moins faut-il qu’ils aient les qualités ci-dessus nommées : sur cela, la compagnie a reçu le nommé Jean Bétrine pour prêcher le saint Évangile par toutes les églises où la Providence l’appellera. » (Syn., cop. cert. mss. P. R.) À cet article, qui porte si naïvement l’empreinte du malheur des temps, il faut ajouter une disposition remarquable de la même assemblée, par laquelle, reconnaissant sans doute l’extrême difficulté de rebaptiser tous les enfants qui, depuis trente ans, avaient reçu ce sacrement par contrainte de la main des prêtres, elle décréta pour cette fois « que le baptême de l’église romaine est bon, quoiqu’on ne puisse toutefois y présenter des enfants sans se polluer. » (Art. 3.) D’ailleurs, l’assemblée jugea nécessaire de confirmer en leur charge tous les ministres qui n’avaient pu recevoir que l’approbation des anciens.

Ces sages mesures étaient appuyées quelquefois de jugements sévères et fortement motivés, qui prouvent combien ces pasteurs de la renaissance du culte veillaient à la stricte observation de la discipline qu’ils essayaient de rétablir. 1720
13 décembr.
Ainsi peu d’années après les premiers synodes, le ministre Jean Vesson fut déposé et fut interdit de sa charge pour cause de schisme, pour avoir administré le baptême à des enfants, n’ayant point d’ordination « ni approbation des anciens élus et choisis par les fidèles, ce qui est un grand crime et une grande irrégularité, » et attendu « que s’il est permis, à la vérité, à des anciens élus à la pluralité des voix dans un temps de persécution, d’établir un homme en qui ils connaissent les qualités requises, et de lui donner puissance et autorité de faire toutes les fonctions d’un pasteur, le sieur Vesson n’a été reçu dans aucun consistoire de pasteurs ou d’anciens. » (Syn., cop. cert. mss, P. R.) En même temps, on songeait déjà à prendre des mesures pour assurer quelques faibles honoraires aux ministres qui prêchaient au milieu de tant de périls. Deux synodes de cette même année prirent des dispositions remarquables : le premier, composé de deux pasteurs, de huit proposants et de quarante-huit 9 mai. anciens, délibéra en ces termes : « Il sera baillé, pour les habits et pour l’entière couverture des pasteurs et des proposants qui prêchent dans les églises désolées de France, la somme de soixante-dix livres chaque année. » Il prit aussi des mesures contre le danger des improvisations trop vives, en ordonnant, à l’égard d’un proposant, qu’il communiquerait ses sermons d’avance à une commission pour les faire approuver, et que s’il ne pouvait pas les apprendre mot à mot, au moins serait-il obligé d’en conserver et dire le véritable sens. L’autre assemblée délibéra en ces termes l’art. 5 de ses règlements, qui donne une idée de la 1720
20 septemb.
position périlleuse de ces pasteurs. « Les circonstances fâcheuses demandant qu’on prenne de plus grandes précautions pour la conservation des assemblées, il a été délibéré que les anciens auront le soin de fournir des sentinelles dans les lieux où il y aura des garnisons. » Une autre disposition, aussi naïve dans sa forme que prudente au fond, montrera la vigilance de ces assemblées pour la réputation des ministres. « A été délibéré que les pasteurs et proposants n’iront point dans les maisons où il y aura soupçon qu’ils aiment quelque fille d’une amour temporelle, et cela pour éviter les scandales et les maux qui pourraient s’y glisser ; les anciens sont exhortés d’y veiller soigneusement. » (Art. 3. Syn., cop. cert. mss. P. R.)

À mesure qu’on avance dans ce siècle et qu’on suit l’histoire des églises du midi de la France, les seules où alors le culte protestant eût repris quelque chose de son ancienne organisation, on voit clairement d’année en année les efforts des premiers ministres qui consolèrent ces contrées, grandir et produire de meilleurs résultats. Les assemblées synodales deviennent plus considérables et plus fréquentes ; leurs délibérations prennent plus de hardiesse et plus de vigueur. Rien de plus intéressant que de suivre ainsi, sur les documents mêmes de ces courageux labeurs, les progrès de la discipline, et que de voir les troupeaux se retrouver et l’ordre renaître du sein de la tempête. Ainsi, sept années s’étaient à peine écoulées depuis la première assemblée de 1716, que l’on vit un synode rassembler le nombre de cinquante-quatre membres et faire des règlements très-formels tant pour arriver à une forte organisation, que pour prévenir tout 1723.
19 mars.
mélange avec le rit romain, qui pût compromettre le pur dogme réformé. En présence de tant d’édits oppresseurs, et sous le coup toujours suspendu des arrêts les plus cruels, cette assemblée n’hésite pas à fulminer contre cette question : Si l’on pouvait assister aux mariages et aux baptêmes de l’église romaine ? « La vénérable assemblée, après avoir examiné mûrement la chose, a dit que cela ne se pouvait point 1723. faire ; c’est pourquoi a délibéré que toutes les personnes qui y auront assisté seront suspendues de la sainte cène, jusqu’à ce qu’elles auront fait réparation publique et donné des marques d’une véritable repentance. » Vigilante contre l’abus des prédicateurs non autorisés, l’assemblée « avertit les fidèles qu’à l’avenir ils ne donnent la main à aucune personne, si elle ne montre son approbation, sous peine aux anciens d’être démis de leur charge, » et que personne ne pourra même faire la lecture et lever le chant des psaumes, à moins d’être élue par les anciens, et qu’à défaut, les anciens eux-mêmes feront ce service. Pour venir au secours de ceux dont, selon les termes des édits, on confisquait les biens et dont on forçait les maisons, le synode fit cette déclaration remarquable : « Encore il a été proposé qu’en plusieurs endroits il pourrait y avoir des nécessités telles que l’église particulière ne pourrait pas y subvenir, soit à l’égard de quelque chef de famille qui pourrait être pris au sujet de la religion, ou des maisons qui pourraient souffrir quelque dommage pour avoir logé quelque pasteur : ainsi a été délibéré que toutes les églises y contribueraient en général ; c’est pourquoi la vénérable compagnie a chargé les pasteurs et proposants d’exhorter les fidèles d’élargir leur charité et d’enjoindre aux assemblées que, outre l’argent qui se lève pour les pauvres, elles feront une collecte, et ainsi tiendront une autre bourse en cas de nécessité. » (Syn., cop. cert. mss. P. R.) Enfin, voulant faire disparaître toutes traces de la désorganisation générale que les guerres avaient produite, et détruire jusqu’aux occasions où une église isolée s’établirait sans règle aucune au risque de voir le fanatisme y renaître, le même synode déclara qu’attendu « que dans les villes et lieux où il n’y a point d’anciens, il est arrivé des désordres et des scandales, il a été délibéré qu’on en établirait incessamment, et faute de ce faire et s’il y a un refus de la part des fidèles, ils ne seront point visités des pasteurs, ni avertis pour aller aux assemblées. » Quelle punition, pour une infraction à la discipline, que de n’être averti d’aller à des assemblées qui, si elles étaient surprises, attiraient sur le ministre la peine du gibet, et les galères perpétuelles pour les assistants !

Ces vigoureuses mesures d’administration étaient secondées par les exercices d’un culte dont les dangers et l’action puissante sur les âmes concouraient également à ranimer et à entretenir l’ancienne ferveur. Mais il est malheureusement difficile de découvrir aujourd’hui des monuments bien certains des prédications protestantes du désert, vers le commencement du xviiie siècle, et par conséquent appartenant à une époque très-antérieure au ministère de Paul Rabaut. Alors les plus grandes précautions étaient mises en usage pour cacher toute preuve de ces exercices solitaires, que des lois cruelles interdisaient au prix de rigoureuses condamnations. Que si l’on retrouve aujourd’hui dans les pièces inédites de ces temps quelques morceaux de sermons, on voit que le plus souvent ils traitent de matières religieuses générales, ou bien que la date des exercices est omise, ce qui empêche de les citer en regard des événements dont ils portent l’empreinte. Cependant nous avons rencontré dans notre collection synodale (1700-1737) une seule page de la main du ministre A. Court. D’après les ratures et le désordre de la rédaction, elle est sans aucun doute l’écriture hâtive et le premier jet du style d’une composition du désert, prêchée cinq ans après la mort de Louis XIV. La date peut être même bien fixée. Ce fragment est transcrit sur le verso du procès-verbal en grosse 1720.
9 mai.
de l’un des premiers synodes, qui ordonna « de convoquer, le 19me du mois de may, un jeûne général, afin de tascher moyen d’arrester la colère de Dieu et l’appaiser envers nous. » (Art. 3.) Cette page porte le fragment suivant, qui fut évidemment adressé au peuple par le ministre dans le culte de ce jour d’humiliation. Ces paroles, d’une éloquence si fervente et si chaleureuse, furent dites aux fidèles probablement après la dernière prière, au moment de congédier l’assemblée.

« Cependant puisque la colère de Dieu paraît toujours embrasée sur le peuple de ce royaume à cause de son impénitence, et que d’un autre côté notre prince ne se trouve pas en état de nous redonner la précieuse liberté que ses prédécesseurs nous ont injustement ôtée, que la persécution semble redoubler toujours quand nous attendions quelque soulagement, que d’ailleurs vous ne pouvez donner gloire à Dieu dans ce royaume sans vous exposer à de grands maux ;

« Dieu veuille graver dans vos cœurs et dans vos mémoires les salutaires instructions qu’il a plu à sa bonté de vous donner aujourd’hui par mon ministère, d’un caractère qui ne s’efface jamais ; Dieu veuille que le jeûne que nous avons célébré aujourd’hui ne soit pas seulement une abstinence de deux repas de viande, mais une entière privation du péché et de tout ce qui serait capable de nous perdre et d’allumer de plus fort la colère de Dieu contre nous ; Dieu veuille que notre humiliation lui soit agréable, que nos prières parviennent au trône de sa miséricorde ; qu’elles lui fassent tomber les verges qu’il a en main pour nous frapper ; qu’elles fassent découler sur nous et sur nos troupeaux affligés les richesses de sa grâce et les influences de sa miséricorde ; Dieu veuille nous fortifier lui-même par son Saint Esprit et mettre lui-même ses paroles dans notre bouche, afin que vous puissiez édifier et désarmer ceux qui vous affligent ; Dieu veuille sanctifier et consoler vos cœurs ; Dieu veuille toucher lui-même, convertir et bénir ceux qui persécutent sa vérité sans la connaître ; Dieu veuille nous donner des jours de paix et de consolation auprès des jours malheureux auxquels nous avons senti tant de maux ; Dieu veuille encore ouïr les cris et gémissements de nos pauvres frères prisonniers, galériens, exilés ou en fuite, et leur donner matière de joie et de consolation en les délivrant de leurs souffrances ; Dieu veuille enfin rétablir sa pauvre Jérusalem, nous combler tous de ses bénédictions les plus précieuses et nous élever un jour dans le palais de sa gloire pour nous y rendre éternellement heureux ! Ô grand Dieu ! qui es le Dieu de compassion et de miséricorde, aie pitié de ta pauvre colombe, de ta chère Sion de France ; mets fin bientôt à toutes ses misères et à toutes ses souffrances, hâte le jour de ta venue, fais bientôt échoir ce temps assigné de sa délivrance ! — Seigneur, tes serviteurs sont affectionnés à ses pierres et ont pitié de la voir toute en poudre. » (Mss. P. R.)

C’est avec un soin religieux que nous avons déchiffré ce brouillon informe bien taché et bien usé par le temps autant que par le frottement de courses perpétuelles, et que nous remettons au jour ces graves et touchantes invocations, si profondément empreintes de foi, de résignation et de confiance. La solennité de la réunion, les périls qui l’assiégeaient, les lois cruelles qui en proscrivaient le culte, devaient donner à ces prières un caractère d’intérêt et de grandeur, qu’heureusement nous ne pouvons plus ressentir aujourd’hui. On tâche cependant de se figurer de tels vœux retentissant au milieu d’une assemblée à genoux, réunie nuitamment à l’ombre des rochers ou au fond des cavernes, entourée de sentinelles de distance en distance pour surveiller l’invasion des soldats, et composée de fidèles dont les parents et les amis étaient en fuite, en prison ou dans les bagnes. On croit entendre la voix émue de ces ministres qui, par cet acte même, commettaient un crime capital. Alors seulement on peut se former une faible idée de tout ce qu’un pareil culte a dû offrir de recueillement sublime et d’imposante solennité. Sous le point de vue de la forme du langage, il faut ajouter que de tels vœux, d’un style si énergique et même si pur, prononcés par un jeune homme de vingt-quatre ans, privé de tout avantage d’éducation, hormis celle qu’il s’était donnée à lui-même, font voir que tous les désordres des persécutions et la ruine des académies n’avaient pu interrompre cette tradition de bonne éloquence, dont l’église réformée et l’école de Saurin avaient fourni tant de modèles.

Après le tableau de cette première renaissance du culte réformé, qui suivit immédiatement la mort de Louis XIV, il est facile de voir, que si d’un côté les premiers pasteurs eurent bien des obstacles à détruire, de l’autre côté, ils durent trouver de nombreux appuis dans les mœurs des populations. On ne peut observer, sans un profond intérêt, par quelle série de mesures et d’habitudes ces hommes courageux et zélés luttaient contre l’inquisition de leurs vigilants ennemis. Les réformés, chassés de l’exercice de toutes les professions libérales et officielles, s’étaient réfugiés avec honneur dans celles de l’industrie et de l’agriculture. En contact avec les seuls officiers du fisc, ils supportaient les charges de l’état avec empressement. Le manufacturier opulent comme le pauvre montagnard n’avaient qu’à satisfaire l’église catholique par quelques signes de dévotion extérieure, pour ne plus pouvoir en être inquiétés et pour réduire à l’impuissance le clergé, alors même qu’il se défiait le plus des apparences. Cette hypocrisie, qu’imposait la cruauté des lois, et que condamnait la discipline, fut cependant l’arme la plus habile qu’ils purent opposer à l’intolérance. Le clergé mettait son dogme sous la protection des édits les plus dénaturés ; il en résulta que foule de réformes pensèrent qu’il était légitime d’opposer la dissimulation à la tyrannie. Dès ce moment, mille plaintes véhémentes et amères déposent des angoisses des évêques, qui voyaient le troupeau protestant durer, se perpétuer, et fleurir obstinément sous le masque catholique. Nous ferons ressortir plus tard les graves résultats de cette conduite prudente. D’un autre côté, une adhésion simulée au rit des persécuteurs ne déshonorait point les fidèles, parce qu’elle était toujours suivie d’un repentir public et véritable. On vit souvent dans les montagnes du Vivarais des groupes de religionnaires, qui s’étaient laissé intimider un instant, s’adresser les plus véhéments reproches avant de fléchir le genou tous ensemble en poussant des gémissements vers le ciel. Ces rétractations ajoutaient même à la ferveur de la foi populaire. La vie extérieure et hardie de ce peuple des montagnes lui faisait goûter quelque charme dans les hasards mêmes de ces réunions proscrites. La foi se présentait à lui sous la forme d’un danger mystérieux. La simplicité de la croyance, qui dispense le culte réformé de toute pompe et de tout symbole, s’accordait bien avec ces réunions nocturnes qui, une fois dispersées, ne laissaient aucune trace de leur culte solitaire. Leurs chants et leurs prières s’accordaient sans peine avec les lieux sauvages où ils cherchaient un asile. C’était sous la voûte du ciel, et au travers des rangs d’une assemblée que la présence de ses dangers rendait plus fervente, que l’on portait, avec peine, après les chances d’une longue course, le jeune enfant pour l’initier, par l’eau du baptême, aux rits d’une église, où peut-être de cruelles épreuves l’attendaient ; c’était là que se réhabilitaient, après une confession de repentir, ces mariages catholiques que le fanatisme des prêtres imposait aux époux, tandis que d’autres familles demandaient à leur foi le noble et triste courage de ravir les restes de leurs proches aux insultes du fanatisme, en les déposant, au milieu des ténèbres, dans les caves de leurs propres maisons. Les ministres étaient rares et, en général, peu lettrés ; mais leur parole grave et fervente venait suppléer au poli de la forme, dont les paysans des Cévennes ignoraient le raffinement. Leurs livres religieux avaient été saisis ou détruits ; mais tous savaient les psaumes par cœur ; la lecture assidue de la Bible en avait gravé les passages et les traits dans leur mémoire. Il faut ajouter, à tous ces avantages, le souvenir et la présence des martyrs, et surtout l’exaltation profonde que le fanatisme des camisards avait allumée dans les âmes. Leurs exploits incroyables, leurs vengeances contre le clergé, leur capitulation glorieuse avec l’armée du grand roi, toutes ces choses entretenaient au loin, dans les lieux témoins de leur valeur, un courage qui semblait s’appuyer sur une confiance surnaturelle. Aussi le pasteur Court, et les premiers compagnons de ses courses, sentirent avant tout l’extrême importance de ramener les esprits à une foi moins désordonnée. Aussi, par leurs soins, et grâce à leurs sages conseils, l’entraînement d’une foi exagérée disparut. Elle fut circonscrite par la surveillance d’une vigilante discipline, et il ne resta qu’un courage plus froid et plus réglé. Ce fait laisse concevoir comment des assemblées régulières s’organisèrent avec tant d’ordre et tant de rapidité.

Les églises recevaient encore bien peu d’encouragement et de secours des états protestants de l’Europe, dont la générosité s’épanchait sur l’infortune plus voisine de très-nombreux réfugiés. Elles furent donc réduites à peu près aux ressources de leur vie intérieure, qu’une foi très-vive venait alimenter, et qu’entretenait sans cesse cet esprit d’opposition que la tyrannie excite. Nous verrons aussi que les églises communiquaient avec leurs galériens, et leur faisaient passer des dons, qui étaient suivis des missives les plus touchantes. Chaque lettre, datée du bagne de Toulon ou des tours de Constance, contenait une exhortation des victimes adressée à leurs frères. Tout se trouvait donc disposé pour faire germer les semences que le pasteur Court versait sur ce champ périlleux. Dans la montagne comme dans la plaine, les fidèles organisèrent facilement une véritable police au service de la foi persécutée. Les lettres étaient toujours adressées à de tierces personnes d’une fidélité à toute épreuve ; le nom des destinataires disparaissait sous des anagrammes indéchiffrables. Des émissaires braves et dévoués allaient annoncer de vive voix la tenue des assemblées. Plusieurs des plus intrépides et des mieux aguerris aux courses aventureuses, escortaient le ministre, s’assuraient en avant de sa visite, des pièges calculés des persécuteurs, et le guidaient pendant la nuit dans des chemins couverts. Souvent des travestissements ingénieux, et même grotesques, déguisaient le signalement du pasteur. La course des soldats était soigneusement observée ; des sentinelles, placées sur les hauteurs, étaient chargées de surveiller leur approche, et très-souvent des intelligences, ménagées avec les protestants des villes, avertissaient à l’avance et de la sortie des détachements, et des quartiers sur lesquels ils marchaient. Les ministres changeaient de demeure chaque nuit ; les fidèles regardaient comme un honneur de s’exposer avec eux aux peines qui frappaient l’hospitalité. On redoublait de précautions et de mystères pour la tenue des synodes ; on les convoquait à demeure par des agents discrets ; on les réunissait en rase campagne ou dans le creux des vallées ; dans tout le cours du siècle, un assez petit nombre de ces assemblées furent surprises. En hiver, ou lorsque le temps était trop âpre, une métairie solitaire les abritait. Lorsque le danger était trop pressant et que les intendants redoublaient de violence ou de ruse, la foi de cette population eût paru éteinte ; mais elle se maintenait toujours fervente dans le culte domestique. Chacun des chefs de famille réunissait chez lui une petite assemblée qui, par le profond secret de sa convocation, échappait à la fois à la délation et à la violence. La majorité des curés se résignait à la durée d’une foi que rien n’avait pu vaincre ; mais il y en avait d’autres qui opposaient la ruse à la ruse, et qui se servaient contre les réformés des moyens mêmes qui faisaient leur salut. Il y en eut qui organisèrent aussi leur police et qui soudoyaient des observateurs choisis dans les rangs d’une fanatique populace. Plus rarement ils réussirent à tenter quelque misérable par l’appât des louis d’or promis pour la tête d’un ministre. Cependant nous verrons qu’ils y parvinrent dans une occurrence notable, mais que l’agent du fanatisme périt par la main de ceux qu’il venait dénoncer. Les intendants aussi varièrent leurs mesures et déployèrent mille stratagèmes pour envelopper les assemblées dans des embuscades meurtrières. Ces deux remarques expliquent comment un assez grand nombre de ministres furent conduits au supplice, et comment plusieurs assemblées qui se croyaient en sûreté furent surprises et dispersées par le feu des soldats. Enfin loin de laisser dépérir sa foi sous l’excès des souffrances qu’il endurait pour elle, le peuple du Languedoc avait soin de perpétuer, par la tradition, le tableau de l’héroïsme de ses confesseurs. Nous citerons plusieurs des complaintes populaires, où les peuples célébraient en une poésie aussi religieuse que naïve, la perte des courageux pasteurs, qui avaient marché au gibet en bénissant leurs frères et en chantant les psaumes des martyrs. Il est superflu de dire que nulle violence ne pouvait étouffer la foi secrète d’une population ainsi disposée. Ni la surveillance toujours présente du clergé, ni les caprices belliqueux des commissions militaires, ni l’arbitraire administratif des intendants, ni les poursuites intéressées de la caisse des économats, ni les barbaries héréditaires de la magistrature, ne pouvaient atteindre des actes dont la trace se perdait dans le for intérieur. C’est ainsi que ces populations ferventes et dévouées puisaient, dans les pratiques de leur indomptable piété, des armes bien plus difficiles à vaincre que celles de la résistance guerrière et déclarée des Camisards. Leur constance sut triompher de ce code inouï de déclarations et d’édits cruels, que depuis plus d’un demi-siècle la cour de Versailles dirigeait contre leurs personnes, contre leurs biens, contre leur religion, et même contre leur existence civile.




CHAPITRE IV.


Situation des Églises sous la régence d’Orléans. — Projets pour l’abolition des
lois pénales et le rappel des fugitifs.


Il n’est point facile de pénétrer les secrets de la politique du régent touchant les réformés de France, qui avaient salué son élévation comme l’aurore de leur délivrance. Les protestants français, fatigués, comme toutes les autres classes de citoyens, de l’interminable durée d’un règne dont tant de désastres avaient déshonoré les derniers jours, avaient souffert bien plus encore que le reste de leurs compatriotes des persécutions violentes, que l’empire des prêtres et des dévotes n’avait cesser de fomenter contre eux. Lorsqu’ils virent Louis XIV expirer en dissimulant jusqu’au dernier moment avec son neveu, le futur régent[35] ; lorsqu’ils virent le peuple couvrir les statues du grand roi des vengeances tardives de sa justice, et insulter à son convoi par des outrages ignobles ; lorsqu’ils virent surtout la cour des pairs et le parlement écouter à peine la lecture d’un testament rédigé avec tant d’artifice, et le casser « avec moins de formalités qu’on n’en eût mis à dissoudre la ferme d’un arpent de terre » (Lemontey) ; lorsqu’ils virent la faveur du peuple saluer Philippe d’un enthousiasme égal aux défiances populaires envers le feu roi : alors ils purent espérer que le changement s’étendrait jusqu’aux lois cruelles qui pesaient sur eux, et que la révocation de l’édit de Nantes serait annulée en même temps que les dernières volontés de son auteur. Ces espérances étaient beaucoup trop hâtives. Georges Ier, dont la cour devait bientôt s’allier si étroitement à celle de France, ne fit aucune démarche officieuse pour ses frères persécutés, et même son ambassadeur, lord Stairs, blessa le régent par le faste de son insolence diplomatique.

L’indifférence que le roi d’Angleterre, Georges Ier, montra pour le sort des réformés français aurait pu cependant être combattue par des raisons personnelles et pour ainsi dire de famille. Il était descendant de réfugié. La duchesse de Zell était fille d’Alexandre Desmiers, seigneur d’Olbreuse, gentilhomme du Poitou, protestant, qui sortit du royaume à la révocation de l’édit de Nantes, passa en Allemagne, et s’établit en Brandebourg, où sa fille fut fille d’honneur de l’électrice duchesse de Zell. Georges-Guillaume, frère du premier mari de cette électrice, qui était Charles-Louis, duc de Zell, devint amoureux de la fille d’honneur et l’épousa. Il mourut en 1703 et elle en 1722, ne laissant qu’une fille mariée en 1682 à son cousin germain Georges-Louis, duc de Hanovre, électeur et successeur de la reine Anne à la couronne d’Angleterre, dont le fils fut Georges Ier. Tels sont 1722.les curieux détails que Saint-Simon nous a conservés (Mém., t. xx, p. 216), et on peut l’en croire dans ses manies généalogiques. Mais, pour ainsi dire, ce rapport de parenté avec leur cause ne les servit point. Des influences domestiques et internes furent plus puissantes. Cependant le petit Louis XV, 1715.
12 septemb.
âgé de cinq ans, enfant maladif et débile, confirma, dans un lit de justice, le pouvoir du régent, qui s’occupa bientôt à tarir la source des dilapidations du grand règne. Il méprisa les censures du clergé tonnant contre les ennemis des jésuites. Il délivra les exilés et les prisonniers jansénistes, sans délivrer toutefois tous les galériens des églises, martyrs plus obscurs peut-être, mais non moins innocents. Enfin il y eut réaction contre les jésuites qui triomphaient depuis si longtemps. Le père LeTellier, instigateur de tant de mesures cruelles contre les huguenots, ne survécut pas longtemps à son exil et à l’octroi dédaigneux d’une pension de six mille livres par le régent. Le cardinal de Noailles, haï de Rome comme janséniste, fut nommé président du conseil de conscience. L’austère d’Aguesseau eut les sceaux de France, quoique gallican prononcé. Le duc de Noailles, ennemi des jésuites, devint de fait premier ministre. Le régent tint à honneur de faire paraître le Télémaque proscrit par Louis XIV, comme plus tard il s’honora en plaçant au grand jour le chef d’œuvre d’Athalie. En un mot l’influence sacerdotale parut disparaître du timon de l’État, et le caractère privé du régent semblait une garantie plus que suffisante contre la restauration du confessionnal. Tout paraissait donc servir les vœux des protestants opprimés. Mais mille projets et des plus graves, fâcheux héritage du grand règne, vinrent donner une tout autre direction aux idées de la régence. La refonte générale des espèces, la revue critique de tous les billets publics, l’inquisition financière des chambres de justice frappant sur les enrichis, plongèrent l’État dans mille embarras de détail, qui firent perdre de vue des réformes plus urgentes et plus faisables. Bientôt l’agiotage effréné du système financier de Law, à la tête duquel le régent s’était jeté en prince aventurier, se mit à la place de l’esprit dévot et hautain de Louis XIV.

La politique extérieure de la cour de France prit à la même époque un caractère qui aurait pu exercer quelque influence sur le sort des protestants. Le régent avait accueilli avec foule de pompeux honneurs le fondateur schismatique de la civilisation d’un grand peuple, ce czar Pierre, qui, après avoir fait sonder pendant trois ans et à Rome même l’esprit du Vatican, renonça pour toujours à se faire catholique en disant « qu’il voulait être maître chez lui. » « Tels sont les biens que les papes et leur cour font à l’Église, » remarque Saint-Simon[36]. Le roi d’Espagne, Philippe V, séduit par la prière que lui transmit la main mourante de son aïeul Louis XIV, partagea l’une des plus grandes fautes du vieux monarque, en se déclarant en faveur de Jacques III, héritier légitime et détrôné de la couronne d’Angleterre. La mère du prétendant, qui tenait encore une cour intrigante et dévote à Saint-Germain, et le parti jacobite anglais, mirent tout en œuvre pour entraîner Philippe d’Orléans vers la même politique. Les jacobites anglais ne dédaignèrent pas d’envoyer au régent une dame d’une rare beauté pour appuyer leur diplomatie (Lemontey, t. I, p. 90). Le régent aima mieux profiter de ces influences que de leur céder, et après quelques mois d’une marche douteuse, il prit la plus sage mesure, par les conseils du plus fou des ministres ; Dubois courut à La Haye, et arrangea, dans une taverne hollandaise, avec le lord Stanhope, à la1716.
24 août.

1717.
4 janvier.
lueur d’une mauvaise lampe, et à la suite d’une conversation aiguisée des mots les plus piquants, les articles du traité de la triple alliance, qui changea la face politique de l’Europe, défit l’alliance du pacte de famille, garantit la succession protestante à la couronne d’Angleterre, et eut pour résultat l’expulsion des Jacobites de Paris, et l’ordre intimé par le régent à Jacques III de passer les Alpes. Au moins dans cette circonstance, il faut reconnaître que le futur cardinal préféra les intérêts de son pays à ceux de Rome.

On voit ainsi qu’une alliance intime avec la première puissance protestante de l’Europe fut la mesure politique la plus décidée du commencement de la régence ; mais, pour compléter l’attente des protestants français, il fallait que la cour de Versailles se brouillât ouvertement avec le cabinet semi-monastique de l’Escurial. C’est ce qui ne tarda pas à survenir par les rêves belliqueux du cardinal Alberoni,1718.
2 août.
qui décidèrent le régent à signer le traité de la quadruple alliance, où la France, l’Angleterre, la Hollande et l’Empire, si longtemps divisés, se réunirent contre le cabinet de Madrid. Ces grands bouleversements diplomatiques se tramaient par deux prêtres, l’un, Dubois, les scella pour défendre son maître et son élévation ; l’autre, Alberoni, les rendit nécessaires par ses artifices provocateurs : mais finalement les stratagèmes guerriers du cardinal durent céder aux finesses prudentes de l’abbé. D’ailleurs le récent plein d’insouciance et incapable de réaliser la moindre amélioration qui eût coulé à sa paresse, laissait aller les lois fiscales contre les protestants. En vain M. de Laforêt, gentilhomme français réfugié, au service de Hanovre, appuyé de tout le crédit de l’Angleterre, réclama-t-il ses biens injustement ravis[37] ; le régent ne put empêcher que sa requête ne fût annulée au conseil de régence. En cette même année, le farouche Lamoignon de Baville, dont le gouvernement pesait depuis trente ans sur la province du Languedoc « dont il était la terreur et l’horreur[38], » fut rappelé à Paris, après avoir vu sans doute poindre le rétablissement d’un culte qui avait lassé ses rigueurs. Cet homme cruel, retiré en soi-même, atteint d’une surdité absolue, passa le reste de sa carrière, sans remords, dans une solitude presque complète. En lisant la série continuelle et atroce des supplices ordonnés par cet intendant en Languedoc, et le sang-froid inouï avec lequel il gouverna par les roues, les gibets, et même les bûchers, assistant lui-même souvent à la question des prisonniers, on ne trouve, dans les temps modernes, que la nature de Fouquier-Tinville qui puisse être comparée à la sienne par le calme et la tenue parfaite d’esprit au milieu de supplices journaliers. Le don de la sérénité dans le sang ne fut peut-être jamais porté aussi loin.

Une autre circonstance, au premier abord bien futile, vint donner au gouvernement du régent une couleur assez inquiétante pour les réformés du royaume. Le financier Jean Law était fils d’un presbytérien écossais. Ce fut cet homme d’un esprit hardi, qui fit de l’agiotage une théorie sublime, et qui parvint à persuader au régent qu’il réussirait à combler le gouffre du déficit de Louis XIV, en aidant les revenus chanceux de l’État par les bénéfices chimériques d’un commerce dans le Nouveau-Monde. Nous n’avons pas à juger ici ses opérations financières, qui finirent par des confiscations méthodiques. Mais l’esprit dévot de la cour perça jusque dans les préliminaires de cette vaste banqueroute. Nous laisserons Saint-Simon nous apprendre comment on leva les difficultés. Il fallut écarter les deux obstacles d’étranger et d’hérétique, « Pour cela il fallut trouver un convertisseur, qui n’y prît pas garde de si près. L’abbé Dubois l’avait tout trouvé pour ainsi dire dans sa poche. C’était l’abbé Tencin, que le diable a poussé depuis à une si étonnante fortune, tant il est vrai qu’il sort quelquefois de ses règles ordinaires pour bien récompenser les siens. » (Saint-Simon, tome xviii, page 2.)

La sœur de l’abbé de Tencin, professe des religieuses de Montfleury, près de Grenoble, avait secondé et appuyé toutes les intrigues de son frère, et avait obtenu du pape un changement d’état. Elle devint chanoinesse, et ensuite maîtresse de l’abbé Dubois. Elle ne négligea pas de s’acquérir Law, par les spéculations duquel elle fit gorger d’or le futur cardinal son frère. « Ils en étaient là quand il fut question de ramener au giron de l’Église un protestant ou anglican ; car lui-même ne savait guère ce qu’il était. On peut juger que l’œuvre ne fut pas difficile, mais ils eurent le sens de la faire et de la consommer en secret, de sorte que ce fut quelque temps un problème, et qu’ils sauvèrent par ce moyen les bienséances du temps de l’instruction et de la persuasion, et une partie du scandale et du ridicule d’une telle conversion opérée par un tel convertisseur. » Voilà des tableaux qu’on ne se lasse pas de citer.

Il ne faudrait point penser toutefois que la position des réformés, leur sort, les rigueurs de la législation qui les opprimait, et les moyens de la faire cesser, n’eussent pas été pris en sérieuse considération par le régent. Ce prince éclairé concevait mille projets utiles que sa faiblesse et sa soumission aux influences d’autrui rendaient absolument stériles. Saint-Simon nous a encore conservé des détails, aussi curieux que naïfs, concernant les vues de Philippe d’Orléans à l’égard des réformés et de tous ceux qu’on enveloppait sous le titre général de nouveaux convertis. Dès la première année de la régence, un assez grand nombre de protestants avaient quitté l’étranger et étaient venus grossir le nombre de ceux qui voulaient braver les persécutions de l’intérieur. Comptant sur la tolérance, ou au moins sur un relâchement marqué dans les mesures d’oppression religieuse, ils avaient formé des assemblées considérables en Poitou, en Saintonge, en Guyenne et dans le Languedoc. Les troupes dissipèrent celles de la Guyenne, et le récit de l’expédition, transmis au conseil, fut grossi d’une circonstance sans nul doute inventée. On rapporta que les huguenots avaient été surpris sans armes, mais que des charrettes chargées de fusils avaient été saisies dans les environs. On découvrit qu’à Paris même, vers le bout du faubourg Saint-Antoine, les protestants se réunissaient pendant la nuit. D’un autre côté, le régent voyait journellement évoquer au Conseil une foule d’arrêts, souvent contradictoires, dont la confusion provenait de la complication même des édits et déclarations qui les avaient motivés. Il devenait sensible qu’il était impossible de statuer sur des matières régies par des lois confuses, d’où dépendait cependant la validité des actes les plus importants de la vie civile de beaucoup de Français. « Enfin, dit Saint-Simon, il n’y avait que le roi qui pût s’interpréter soi-même dans ces diverses contradictions[39]. » Le régent, ennuyé de tous les embarras de procédure, et peut-être aussi troublé par un état de choses qui blessait son équité naturelle, en parla à son ami et confident intime Saint-Simon. Les conseils du duc furent loin de répondre aux équitables intentions de son maître. Philippe lui parla de la cruauté avec laquelle le feu roi avait traité les huguenots, de la faute de la révocation de l’édit de Nantes, du préjudice immense que l’État en avait souffert dans sa population, dans son commerce, dans les haines qu’il s’était attirées ; il appuya sur la situation d’appauvrissement et de ruine où Louis XIV avait laissé le royaume, et sur « le gain de peuple, d’arts, d’argent et de commerce » qui suivrait la rentrée des huguenots. Enfin il finit par proposer nettement leur rappel. C’était une mesure beaucoup trop hardie et trop forte pour que le régent pût s’y tenir. Aussi les malfaisantes remontrances de Saint-Simon ne tardèrent pas à le faire changer d’avis, ou au moins à lui faire oublier sa première idée. Profitant « de l’heureuse et sage timidité » de Philippe, le duc sut habilement accumuler devant lui tous les vieux sophismes et tous les fantômes surannés, qui avaient sans cesse présidé aux persécutions des protestants de France. Il représenta les guerres civiles dont les huguenots avaient été cause ; il se récria sur la position des sujets qui se donnaient le droit de ne l’être qu’en partie, qui prétendaient avoir des places de sûreté, des garnisons, des subsides, un gouvernement particulier, organisé, républicain, des cours de justice érigées » exprès pour leurs affaires, des chefs élus par eux, des correspondances étrangères, des députés à la cour, et qui en un mot formaient un État dans un État. Il insista sur les soins multipliés que s’était donné Louis XIII pour abattre cette hydre sans cesse renaissante, et sur les succès qu’ils avaient eus et qui avaient mis le feu roi en état de s’en délivrer et pour jamais. Il pria le régent de réfléchir qu’il n’était pas besoin de raisonner sur le danger de changer la douce et paisible position des affaires, en une mesure dont les suites pouvaient tout troubler, et que le feu roi avait repoussée alors même que les coalisés la lui proposaient comme unique moyen de mettre des bornes à leurs conquêtes et de finir une guerre que ce monarque n’avait aucun moyen de soutenir. Il ajouta qu’après la triste et cruelle expérience que les huguenots avait faite de l’abattement de leur puissance, des rigoureux traitements qui l’avaient suivie et qui duraient encore, il ne fallait pas s’attendre qu’ils s’exposassent à revenir sans prendre de fortes précautions, qui ne pouvaient qu’être les mêmes que celles qui avaient troublé cinq règnes.

À toutes ces raisons politiques, il en mêla d’autres d’une couleur commerciale, bien plus étranges encore ; il soutint que ces hommes, ce commerce, cet argent, dont le rappel des proscrits semblerait devoir enrichir le royaume, « seraient hommes, argent, et commerce, ennemis et contre le royaume », et que cette faute incomparable et irréparable rendrait pour toujours les puissances maritimes et les autres protestants de l’Europe maîtres et arbitres du sort de la France au dedans et au dehors. La conclusion de tous ces raisonnements fut que, puisque, suivant Saint-Simon, Louis XIV avait fait la faute beaucoup plus dans la manière de l’exécution que dans la chose même, puisque l’Europe s’y était accoutumée, et les protestants hors de toute raisonnable espérance là-dessus, il fallait bien se garder d’aller de gaieté de cœur, et dans un temps de régence, s’embarquer dans les malheurs certains et sans ressource qui plusieurs fois avaient failli bouleverser la France. Le succès de ces conseils fut tel, qu’il ne fut plus question du rappel des huguenots, et que l’on résolut de ne se point départir de ce que le feu roi avait statué, « autant que les contradictions et quelques impossibilités effectives de ses ordonnances en rendaient l’exécution possible[40]. » Ainsi des projets de sage tolérance et de lucrative pacification furent étouffés dans leur germe. Ainsi, lorsque la vérité se glisse dans le cœur d’un prince, il se trouve toujours à ses côtés un courtisan pour l’éteindre.

Cependant il n’est guère permis de douter que saint Simon ne fût de bonne foi en adressant ses conseils au régent ; son avis mérite de l’attention, comme nous initiant à ces défiances et à ces erreurs que les gens de cour nourrissaient alors contre les réformés, et dont la tradition, continuée durant presque tout ce siècle, retarda si longtemps des mesures réparatrices qui étaient dans l’intérêt de tous. Si ce duc, infatué de ses prétentions de pairie et si gonflé de mépris pour la robe comme pour le tiers état, n’eût pas été d’une robuste ignorance sur la position et les vœux des églises, il aurait su qu’elles étaient fort loin, alors même qu’on eût rappelé tous les exilés, de demander des places fortes, des privilèges, des troupes ou des tribunaux mixtes. De telles idées ne percent dans aucune de leurs requêtes. Loin d’exiger autant, il n’est pas douteux qu’elles se fussent montrées reconnaissantes de la restauration de leur état civil, de l’adoucissement du code cruel qui les opprimait, et qu’elles se fussent contentées de la tolérance même la plus exiguë. C’est ce qui ressort le plus clairement de toutes leurs suppliques. Pourquoi donc ce conseiller funeste est-il allé remuer devant son maître les cendres à jamais éteintes de la ligue de La Rochelle. Quelques considérations étrangères expliquent jusqu’à un certain point son avis. Le régent était alors occupé à resserrer son alliance avec l’Angleterre et avec la Hollande, puissances protestantes qui s’intéressaient à leurs coreligionnaires, et qui s’étaient rendues favorables, sous ce point de vue, les autres ministres influents, le duc de Noailles, l’abbé Dubois et le secrétaire Canillac. Lord Stairs, l’ambassadeur d’Angleterre, paraît avoir un peu manœuvré en ce sens. Mais la nouvelle ligne politique que la France s’était tracée, et qui la rapprochait intimement des puissances protestantes, excite constamment la bile de l’irascible Saint-Simon. Par orgueil aristocratique, il était jacobite violent ; loin d’approuver des alliances dont 1716.la condition première était l’abandon des droits de Jacques iii au trône d’Angleterre, il déclara même que le rôle de la France eût été de tâcher d’opérer le renvoi de la maison d’Hanovre en Allemagne. Il faut ajouter que les conseillers du traité de la triple alliance qui se préparait alors, Dubois et Canillac, lui étaient odieux, comme bafouant ses intrigues obstinées en faveur de la pairie et des puérilités du bonnet, et le duc de Noailles, comme s’étant ostensiblement rapproché du parlement. Sa haine contre ce renégat de l’étiquette ducale allait jusqu’à la rage. Ces causes diverses obscurcirent un esprit d’ailleurs habile à saisir les véritables raisons d’état, et lui firent remporter la plus déplorable victoire sur les intentions droites de Philippe d’Orléans. Il est d’ailleurs plus que probable que ni l’Angleterre ni la Hollande n’agissaient sérieusement en appuyant un rappel des réfugiés, qui les eût exposées à se dessaisir de tant de richesses industrielles au profit de la France. On voit donc que les menées de cour, comme les influences diplomatiques, se réunirent contre un projet d’une si évidente justice. Il eût autrement honoré l’administration du régent que le fol achat du gros diamant, que Saint-Simon recommanda si éloquemment à son maître, et qu’il obtint de sa prodigalité. Ces tristes avis des courtisans de la régence portèrent des fruits déplorables. À la même époque, et peut-être immédiatement après la réfutation de la tolérance du duc d’Orléans par ses favoris, il parut une déclaration ainsi conçue : « Sa Majesté, informée que quelques particuliers nouveaux convertis, s’étant imaginé sans fondement que les assemblées pouvaient être permises entre eux, pourvu que l’on n’y portât point d’armes, en ont tenu quelques-unes au préjudice des ordonnances rendues à cet égard, et voulant sur cela faire savoir ses intentions et les détromper des idées chimériques que des esprits mal intentionnés leur ont suggérées, de l’avis de M. le duc d’Orléans, régent, a déclaré que les édits rendus sur le fait des assemblées des nouveaux convertis soient ponctuellement exécutés, fait défense à toutes personnes de se trouver à aucune, sous peine d’être punies. » Paris, 16 mai 1716. (Placard ; mss. Fab., Lic.) Nous ne devons pas passer sous silence une autre mesure de la régence de Philippe, mesure par suite de laquelle on se fût attendu à quelque résultat favorable ou au moins à quelque adoucissement dans la législation à l’égard des protestants. D’Aguesseau, fils du conseiller, ancien intendant du Languedoc, après avoir été avocat-général au parlement de Paris à vingt-deux ans, et procureur-général à trente-deux ans, fut nommé par le régent, chancelier et garde des sceaux. Sa pénétration, son éloquence, l’austérité de ses mœurs, un esprit orné et profond joint à la pratique d’une vertu incorruptible, l’indiquèrent à ce poste éminent qu’il occupa pendant près de quarante années. D’où vient donc qu’un tel magistrat tenant les sceaux, les édits les plus intolérants et les plus inexécutables n’aient pas cessé d’être appliqués contre les protestants pendant toute la durée de sa charge ? La contradiction s’explique quand on songe que d’Aguesseau, en secret attaché aux doctrines jansénistes, et animé d’un esprit parlementaire prononcé, portait jusqu’au scrupule l’amour des formes légales. Des traditions de robe, un long séjour au parquet, un respect poussé jusqu’à l’adoration pour la mémoire de son père le conseiller, l’avaient pénétré d’engouement pour la législation fondamentale, basée sur le fait de la non-existence des protestants dans le royaume. Il était sans cesse porté à appliquer sur ce point cette maxime janséniste ; savoir, que le fait extérieur des sacrements suffisait, et qu’il devait être interdit aux prêtres de pénétrer dans le for intérieur et de sonder les consciences. Il est bien probable que cet homme juste autant que droit, pensa que les réformés, au prix de quelques actes extérieurs, rentreraient par le fait dans l’exercice de leurs droits religieux, et qu’administrés par les lois comme catholiques, ils n’en resteraient pas moins protestants au fond de la conscience, où nulle recherche ne pourrait les troubler. On découvre ici clairement le mélange des lumières de palais et des convictions jansénistes ; tout cela se passait dans l’âme de ce grand magistrat avec le sentiment d’équité le plus inviolable. Mais il ne prévit point que les réformés, pas plus qu’une forte partie du clergé catholique, ne consentiraient qu’avec répugnance à se plier à ces accommodements. Aussi l’entreprise ne porta que de mauvais fruits. Nous verrons de bien nombreux exemples de la malfaisante influence qu’exerça le jansénisme parlementaire contre les protestants, dont les intérêts eussent semblé devoir rester bien en dehors de ses débats.

Ainsi en résumant tous ces faits, on ne voit pas comment les événements politiques et administratifs des premières années de la régence purent exercer une influence un peu sentie sur le sort des protestants. La misérable querelle des ducs et pairs avec le Parlement, où la plus puérile vanité anima jusqu’au fanatisme les prétentions de l’étiquette de cour, ne put même effleurer leurs intérêts. La question de la destitution honorifique des princes légitimés eut des suites plus graves et plus lointaines. Les fils de Mme de Montespan, dont l’aîné, le duc du Maine, avait cependant épousé la princesse Bénédicte de Condé, privés de tous privilèges de princes du sang, réduits au simple rang de leur pairie, achevèrent, par leur abaissement, la destruction du testament de Louis XIV. Ce coup hardi, dans lequel la morale s’étonna d’être du côté du régent et de l’abbé Dubois, fut frappé pour complaire au « fanatisme ducal » de Saint-Simon, pour satisfaire la jalousie légitime du duc de Bourbon et faire passer sous sa direction inepte l’éducation de Louis XV, et surtout pour ruiner les intrigues d’Albéroni, qui fomentait chez le parti des légitimés et dans les mystères poétiques et voluptueux de la cour de Sceaux et de la duchesse du Maine, un foyer sans cesse renaissant d’intrigues où éclatait une méchanceté impuissante, mais tracassière. Les résultats de ce coup d’état de famille furent fort importants, non à cause de cette autre intrigue dite la conspiration de Cellamare, où l’habile Dubois ourdit un complot sérieux sur un fonds de ressentiment de femme et de vanité blessée, mais parce que la disgrâce des légitimés prépara la rupture avec l’Espagne, et disposa de loin la chute d’Albéroni, qui représentait l’influence catholique en Europe. D’autres mesures marchaient de front avec celle-ci, et ne furent pas sans influence sur le sort futur des protestants.

Les querelles des jansénistes renaissaient de toutes parts, et le régent se vit réduit à se mêler de théologie, en ordonnant vainement le silence à d’aussi obstinés sectaires. Voulant avant tout la paix, et désirant en même temps effacer la couleur de parti qu’il avait paru prendre en s’entourant des amis des appelants, tels que le cardinal de Noailles et d’Aguesseau, il résolut d’en finir, et il choisit le parti qui ne termine jamais rien, c’est-à-dire, les négociations avec Rome. On vit Philippe d’Orléans faire alterner dans le Palais-Royal des conférences théologiques de pacification sur les affaires de la grâce et de la bulle avec des réunions d’un tout autre genre, qui soulevaient les sarcasmes populaires contre ce cynique palais, et allumaient les représailles de calomnies dont La Grange Chancel noircit ses vers. Tout se termina par l’injonction de se taire adressée à tous les partis : « J’ai pitié du prince, dit Lemontey, qui demande le repos et qui prescrit le silence à une église dont le prosélytisme est le premier devoir, dont l’intolérance a fait la fortune, et dont le nom d’église universelle ou catholique est une hostilité permanente » (Hist. de la rég., ch. vi). Aussi les jansénistes, entrant avec ardeur dans la réaction anti-moliniste, firent agir la Sorbonne ; les docteurs, comme pour expier les violences de leurs devanciers contre le grand Arnauld, accueillirent avec enthousiasme l’appel1717.
5 mars.
de quatre évêques contre la bulle. Ces prélats étaient MM. de Mirepoix, de Sénez, de Montpellier, et de L’Angle, ou autrement, les évêques de La Broue, Soanen, Colbert, et de L’Aigle. Le régent se jeta au milieu des combattants et cassa leur appel. Rome effrayée suspendit l’expédition de toute bulle d’institution mais céda bientôt au premier bruit de la colère sérieuse de la cour de France. Le Parlement, dont l’appui ne manquait jamais au parti janséniste, et qui embarrassait à tort ou à raison toutes les mesures financières arrêtées par la régence, fut frappé du même coup qui atteignit les princes légitimés ; un lit de justice supprima ses remontrances, et le capitaine des gardes saisit plusieurs de ses conseillers ; enfin, dans ce retour aux maximes d’état de Louis XIV, les Conseils, où la haute aristocratie gouvernait avec le régent, furent dissous, et les affaires furent remises comme autrefois à des ministres, plutôt les commis que les conseillers du prince. Ce changement ne fut pas sans effet sur les intérêts des protestants ; car si les Conseils eussent existé sous le ministère du duc de Bourbon, il n’eût pu sans doute promulguer le code cruel de 1724 avec une si malfaisante légèreté.

Enfin, la guerre, fomentée par l’obscure intrigue du prince de Cellamare contre le régent, et plus encore par les conseils intéressés de l’Angleterre, éclata contre l’Espagne. On vit le jeune prince de Conti, qui plus tard négocia sourdement avec les protestants de France, envahir, à la tête de quarante mille Français, les états du petit-fils de Louis XIV ; position non moins bizarre que celle du maréchal de Berwick, qui marchait aussi contre les armées où s’était réfugié le prétendant Jacques III, comme lui du sang des Stuarts, et même son frère naturel. L’Espagne fut battue aux Pyrénées et sur l’Océan ; Albéroni tomba au milieu des malédictions du peuple, et Philippe V, délivré de ce cardinal belliqueux, fut contraint de signer la quadruple alliance et de renier la cause catholique du prétendant Jacques. 1720.
17 février
Bientôt la chute du système de Law, dont nous avons raconté l’abjuration, et l’effroyable confusion qui en fut la suite, vint absorber tous les soins de la cour, comme elle déchaîna la cupidité de tous les rangs. D’ailleurs, la réconciliation avec l’Espagne ne présageait rien de bon ; on pouvait craindre qu’elle n’exerçât une influence catholique sur la cour de France. Comme gage de la paix et de l’alliance des deux maisons, la petite infante d’Espagne, âgée de quatre ans, devait épouser Louis XV qui en avait douze. Mlle de Montpensier, fille du régent, future épouse du jeune prince des Asturies, fut échangée avec l’infante, dans l’île des Faisans, à la frontière d’Espagne et de France. L’infante, avant son départ, avait envoyé à Louis XV une ceinture de la Vierge, et ce pudique présent dut passer par les mains de l’abbé Dubois pour être remis au jeune monarque devant les dames des salons du régent ; une église de Versailles ouvrit son sanctuaire à cette solennité hypocrite. Mais l’Espagne, de son côté, offrit à la princesse d’Orléans un joyau de noce mieux assorti aux mœurs d’un catholicisme africain. On arrêta les regards de cette jeune fille sur les flammes d’un auto-da-fé, célébré en grande pompe ; à la même époque, Madrid, Cuença, Tolède, Séville, Grenade, Valladolid, Cordoue, souillèrent leurs murs de nombreux sacrifices humains[41]. La Providence ne permit pas l’accomplissement des alliances préparées sous de tels auspices.

À la même époque, la politique de la cour du régent, dont Dubois était l’âme, n’eut plus qu’un but d’intérêt personnel pour son adroit ministre. Ce fut la grande affaire du chapeau de cardinal. L’histoire a conservé le tableau des préparatifs lointains, des menées infiniment adroites, et des dons prodigieusement coûteux qui lui procurèrent enfin cette dignité si recherchée ; il ne l’obtint qu’après être passé par l’archevêché de Cambrai, dont il reçut le sacre des mains du cardinal de Rohan, des évêques de Tressan et Massillon, comblé en un seul jour de tous les ordres de la prêtrise, comme si l’abondance de telles faveurs en eût déguisé le scandale. Dubois procura à la cour de Rome une satisfaction plus douce encore peut-être que celle de l’or qu’il versait au Vatican. Par un coup d’autorité bien rare dans notre histoire, il institua un Grand Conseil entièrement soumis ; il 1720effraya le faible cardinal de Noailles ; il gagna le Parlement en le rappelant à Paris ; et, grâce à tous ces ressorts, la bulle Unigenitus fut reçue et érigée en loi de l’État, Le parti janséniste se révolta sans succès, et la minorité de cette opinion consciencieuse fut réduite à s’ensevelir dans l’exil prudent d’Utrecht. Dès lors Dubois eut la haute main dans le conclave, et il réussit facilement à faire nommer un cardinal 1721.
8 mai.
16 juillet.
nul, le vieux Conti, à charge par l’élu de lui donner le chapeau, qu’il obtint bientôt ; « le chapeau de Dubois coûta environ huit millions à la France, » dit Lemontey, qui avait compulsé les états de cette dépense simoniaque. De cette nuée de basses intrigues il ne sortit qu’un seul résultat de nature à intéresser le sujet de cette histoire, et ce fut encore une cabale qui le suscita. Le cardinal de Rohan revenait triomphant de Rome, et pour premier honneur il fut appelé au conseil de régence et fut rangé avant les ducs et les maréchaux ; les ducs furieux quittèrent le Conseil, entraînant avec eux le chancelier d’Aguesseau, qui se retira dans sa terre de Fresnes. D’Aguesseau, cédant trop vite à son juste éloignement pour des prêtres indignes de ce titre, dut se repentir d’avoir abandonné les sceaux à Fleuriau d’Armenonville, plus tard ministre trop complaisant du duc de Bourbon. Le vieux duc de Villeroi fut violemment séparé de son royal pupille, et le cardinal Dubois fut déclaré premier ministre, prévoyant le jour où Philippe remettrait au jeune roi la prérogative royale pour se16 février. la faire rendre aussitôt. Bientôt la mort vint interrompre la soif d’ambition de Dubois, qui grandissait avec ses honneurs ; d’ingrats amis de sa fortune jouèrent à ce premier ministre, malade et septuagénaire, le tour cruel de lui renvoyer toutes les affaires sans exception, afin d’assister, hors de tout risque de complot, au plaisir affreux d’une agonie hâtée par un travail dévorant, Le cardinal succomba bientôt. L’histoire1723.
10 août.
politique et impartiale de la France, prenant tout en considération, a disputé non sans succès sa mémoire aux chroniques infâmes où on a tant cherché à l’ensevelir. Le duc d’Orléans suivit de près son2 décembre. favori et son maître dans l’art de gouverner ; sa mort fit passer le premier pouvoir de l’État entre les mains du duc de Bourbon. Nous allons voir que le chef de la maison d’Orléans toléra assez doucement les protestants, tandis qu’au contraire, l’impétueux et opiniâtre représentant des Condé plongea les églises dans de nouveaux désastres. »

Voici donc quels furent les traits généraux de la régence envers les protestants. Lors de son avènement au pouvoir, le duc d’Orléans se vit en présence du code volumineux où les conseillers du feu roi avaient épuisé l’arbitraire le plus raffiné contre les religionnaires. Nous avons vu que la mort de Louis XIV, que l’allégresse qui suivit ses funérailles, que la disgrâce des jésuites, que l’isolement où Mme de Maintenon, leur plus constante ennemie, se vit jetée ; enfin, que l’impatience avec laquelle la nation dépouilla le froc dévot dont le pénitent du P. Letellier avait voulu la couvrir ; enfin que toutes ces circonstances réunies durent faire espérer aux protestants que les jours de la tolérance allaient luire pour eux. Quelques émigrés du Piémont et de la Suisse regagnèrent timidement leurs foyers. Des assemblées religieuses osèrent affronter les édits, dans les quatre provinces où le zèle était le plus fervent, c’est-à-dire dans le Poitou, dans le Dauphiné, dans la Guyenne, et surtout dans le Languedoc. Le régent, qui était personnellement le contraire d’un dévot, ne s’effraya pas sans doute des mouvements de ces communautés impuissantes à troubler l’État ; mais leur renaissance accusait l’impuissance manifeste des convertisseurs. Il n’aurait pu les reconnaître officiellement sans se mettre sur les bras tout le clergé et sans heurter de front toutes les traditions de Louis XIV, si puissantes encore. Il est donc facile de voir qu’une politique élémentaire dut conduire le régent à laisser subsister les édits, tout en adoucissant leurs rigueurs par des instructions secrètes. Ce fut là le sens de son administration. Mais l’esprit de Louvois, continué par le vieux Baville, qui vivait encore au commencement de la régence, guidait les actes et la surveillance des intendants et commandants de provinces. La magistrature, imbue de l’esprit janséniste, continuait à se dédommager de son acharnement contre les ultramontains par son zèle persécuteur de l’hérésie calviniste. Dans cette position des choses, le régent dut corriger plus d’une fois et les ordres des commandants et les arrêts des cours souveraines. Le comte de Médavy, gouverneur de Dauphiné, opposa de nouvelles dragonnades aux premières réunions publiques des réformés. Le duc de Roquelaure couvrit le Languedoc de troupes vigilantes contre les prêches du désert. Le duc de Berwick, voyant les réunions religieuses de Clairac et de Nérac, ne craignit pas de proposer à la cour le massacre des religionnaires ; il fallut que le régent, « tout en approuvant le désarmement et que les prédicants devaient être punis de mort, » réprimât le fanatisme farouche de ce bâtard des rois (Lemontey, Hist. de la rég., chap. xvi). Des ordres de Paris enlevèrent les victimes à la répression sanglante de Berwick pour les remettre au parlement de Bordeaux ; le régent dut encore s’interposer contre les poursuites des magistrats, comme il l’avait fait contre les mesures brutales du vainqueur d’Almanza. « Le comte de Chamilly surpassa dans la Saintonge les fureurs de Berwick ; et il imagina l’expédient atroce de porter la flamme dans les maisons de ceux qui fréquentaient les prêches ; la cour éteignit les torches de cet incendiaire, mais lui abandonna la tête des ministres. » Ces faits, que Lemontey a trouvés dans les registres du conseil de la guerre, sous la régence, de septembre 1715 jusqu’en août 1717, nous peignent fidèlement et l’esprit de l’administration et le courage des églises qui luttaient contre elles, et qui souffraient de l’indulgence du régent presque autant que de la sévérité d’un prince ouvertement fanatique[42].

Cependant les hommes d’état, qui formaient les conseils du régent pour les affaires séculières, ne pouvaient fermer les yeux aux maux de la révocation et à l’idée utile de rappeler les fugitifs dans leur patrie. Cherchant à tourner les édits de Louis XIV par une marche adroite plutôt qu’à les renverser d’un coup, ils communiquaient au régent la pensée de former une colonie de rappelés à Douai, qui aurait pu s’embellir ainsi d’un centre brillant de manufactures et d’industrie. Dans cette ville de refuge pour les bannis, les vieux temples calvinistes eussent relevé leurs sanctuaires. Le midi du royaume, si nouvellement délivré des désastres des Camisards, n’eut point vu les imaginations ardentes de ses contrées réveillées par le retour triomphal de ses confesseurs, et par leur choc contre un clergé dans l’attitude des vaincus. Ces vœux fort sages prenaient naissance dans le conseil de l’intérieur, où le duc d’Antin présidait. Mais à côté de ce comité purement administratif siégeait pour les affaires religieuses le conseil de conscience, présidé par le cardinal de Noailles, et où figuraient l’archevêque de Bordeaux, le chancelier d’Aguesseau, l’abbé Pucelle. Le trop fameux Lavergne de Tressan, évêque de Nantes, en était le secrétaire ; ce prélat aussi persécuteur que roué, préparait dès cette époque ces armes meurtrières qu’il ne montra tout à fait qu’après la mort du prince qui le protégeait. L’influence janséniste dominait ces délibérations, suivant la position où se trouvait la cour vis-à-vis de l’opposition parlementaire. Aussi tout projet de ménagement envers les réformés fut repoussé par ce conseil, en 1717, par l’esprit janséniste, et en 1722 par l’esprit contraire. Dès lors le conseil laïc de l’intérieur, assez indifférent sur le fonds des questions religieuses, et n’osant violenter l’obstiné fanatisme de ces prêtres, qui ne cessèrent pendant tout le cours du siècle de réclamer l’exécution des édits, se vit réduit au rôle de modérateur ; il dut se borner à adoucir des excès dont sa politique méticuleuse n’osait tarir entièrement la source. Les registres le montrent mettant un frein à la police insupportable que s’arrogeaient les curés du Languedoc, les empêchant de casser à leur gré les mariages du désert, et arrêtant les atroces exécutions où les plus viles populaces de France vengeaient sur les cadavres des huguenots leur attachement à une foi proscrite. Cette lutte entre des administrateurs et des prêtres, entre le conseil de l’intérieur et celui de conscience, se prolongea pendant tout le reste du xviiie siècle ; la victoire de l’un ou de l’autre décidait du repos ou du malheur des églises. Cette position donne la clé des mesures si vagues et si futiles que prit la régence en faveur des réformés ; elle explique parfaitement comment les espérances que les églises s’étaient faites du nouveau gouvernement ne purent se réaliser ? Elle motive complètement ce jugement d’un historien impartial, jugement auquel il n’y a rien à ajouter : « S’il s’agissait de juger la part qu’eut la régence dans la destinée des religionnaires, on dirait que manquant de fixité dans ses principes et d’accord entre ses agents, elle fit un peu de bien, un peu plus de mal, et ne répara aucun des maux passés. » (Lemontey.)

Cependant le cardinal Dubois ne les avait point persécutés. Lorsqu’il obtint le chapeau de cardinal qui lui coûta ses trésors et la vie, lorsqu’il se couvrit moribond de cette pourpre de prince de l’église, qui a rendu tant d’hommes d’état esclaves de Rome, sa mort trop prompte l’empêcha d’offrir la proscription redoublée des protestants en hommage au saint-siège. Peut-être même cet esprit habile et posé n’eût-il jamais commis pareille faute d’administration. Vers la fin de la régence, deux influences bien opposées, donnèrent un peu de relâche aux églises ; l’une fut la suite de l’abandon de toute illusion, quant à la protection et à la justice qu’elles avaient espéré du nouveau gouvernement ; l’autre fut la conséquence de l’affreuse peste de Marseille, qui absorbant l’attention de la cour et effrayant la Provence et le Languedoc, agit comme une trêve de mort dans les poursuites d’une si persévérante intolérance. La pitié profonde excitée dans toute l’Europe par ce fléau ne fut nulle part plus profondément sentie que dans les provinces étrangères que la persécution avait peuplées de réfugiés. Un pathétique sermon de Saurin prononcé à La Haye développe les jugements du Dieu des vengeances en la peste qui ravageait l’ancienne patrie de l’orateur. Ce ministre aussi patriote qu’éloquent ne manque pas de faire remarquer, que les populations sur lesquelles le fléau s’appesantissait, étaient les alliés, les frères, les compatriotes des réfugiés, unis avec eux par les liens les plus tendres (Sermon pour le Jeûne de 1720). Une autre peste, qui cette fois avait franchi les cordons, celle du commerce des actions de Law, est également conjurée dans ce discours énergique.

Il est temps de rentrer dans les limites de nos événements domestiques, et de caractériser d’après nos pièces la conduite des églises sous la régence et le sort de leurs premières assemblées. Ces événements furent, les uns, antérieurs aux premiers voyages d’Antoine Court, et les autres furent contemporains de ses tournées. Celles que nous ferons connaître par de longs extraits de ses lettres furent heureuses, et eurent à souffrir non pas des hommes, mais des éléments. D’autres réunions furent moins tranquilles Nous avons vu par les extraits des registres du conseil de la guerre, cités par Lemontey, de quelles dévastations fut accompagnée la dispersion de plusieurs de ces convocations. Ces dernières ayant eu lieu même avant les visites de Court, nous n’avons trouvé dans ses pièces que des renseignements fort incomplets sur elles, d’autant qu’elles précédèrent de longtemps la véritable organisation du culte, et qu’elles suivirent l’époque des événements de l’histoire des Camisards dont A. Court nous a laissé le récit fidèle. Nous devons donc nous borner à donner la sèche énumération contenue dans le manuscrit historique de Rabaut-Dupuis. Les premières assemblées un peu nombreuses et régulières eurent lieu en 1709, après la pacification définitive des bandes qui n’avaient pas voulu suivre Cavalier : les premières eurent pour lieu de rendez-vous Sommières et les environs de Nîmes ; l’une et l’autre furent surprises, et elles entraînèrent de nombreuses condamnations aux galères. L’an 1710, assemblée surprise à Millerines, deux des assistants condamnés à mort et exécutés à Montpellier ; l’an 1712, assemblées à Bordeaux, chez une nommée Debora Phelipeaux, jugement du parlement, du 3 août, condamnant cette personne à faire amende honorable, à être enfermée, et sa maison de Chassardau rasée ; l’an 1713, le 19 septembre, assemblée surprise dans une bergerie près le Cayla, en Languedoc, condamnations aux galères et bergerie démolie ; l’an 1715, mars, assemblée surprise à Vauvert ; l’an 1716, assemblée surprise à Mandagout, dans les Cévennes, plusieurs assistants condamnés aux galères, maison de l’assemblée rasée ; l’an 1717, fusillade d’une assemblée près d’Anduse, femmes capturées et enfermées à Carcassonne et à la tour de Constance ; fin de 1718, plusieurs assemblées en Dauphiné, elles attirèrent dans la province huit compagnies du régiment de Navarre qui y vécurent à discrétion, maisons d’assemblées rasées à Crupies, à Vest et à Besaudun ; l’an 1719, assemblées en Poitou, et, à leur occasion, un grand nombre de personnes arrêtées et condamnées, les unes aux galères, et les autres à mort ; de ce nombre, Joseph Foiseaux et Jacques Chouillet exécutés, l’un à Mougon, et l’autre à Fonmedure ; en 1720, deux cents hommes envoyés contre une assemblée de protestants de Nîmes dans une caverne appelée la Baume de Fades ; il en résulta des condamnations aux galères, et, comme c’était alors le règne des spéculations de Law, une foule de femmes et de filles furent condamnées à être transportées au Mississipi, mesure absurde qui fut bientôt commuée par le régent en un bannissement en Angleterre. L’an 1721, le 22 septembre, assemblées convoquées à Castres et à Saint-Hippolyte, dispersées par la troupe, fusillade[43] ; les prisonniers sont condamnés à servir de fossoyeurs pour enterrer les cadavres à Alais où la peste de Marseille avait étendu ses ravages. Dans cette partie du bas Languedoc, les fureurs du fanatisme se mêlaient au fléau d’une contagion mortelle.

Ces notes fort concises de nos pièces reproduisent toutefois le témoignage des registres de la régence. On y reconnaît les exploits du comte de Médavy, en Dauphiné, du duc de Roquelaure en Languedoc, et du duc de Berwick en Guyenne. On y voit aussi la trace des hauts faits du marquis de Chamilly, ce chef de la noblesse bourguignonne, qui se signala dans la Saintonge et le Poitou en obtenant l’exécution de plusieurs ministres. Cet incendiaire passionné est plus connu du public par l’exaltation un peu érotique de la religieuse des Lettres Portugaises. On voit que ces valeureux hommes de guerre n’hésitaient pas, quoique fort peu dévots, à déployer leur tactique contre des compatriotes dont la religion déplaisait à la cour.



CHAPITRE V.


Édit de 1724 contre les églises réformées. —
Principes et conséquences de ce code de lois.


À peine le duc d’Orléans eut-il fermé les yeux, que l’évêque de Fréjus, depuis le cardinal de Fleury, détermina son élève, le jeune Louis XV, à confier la patente de premier ministre à Louis, duc de Bourbon ; seulement l’évêque, qui exerçait déjà tout l’ascendant d’un vieillard spirituel et grave sur un triste et débile adolescent, ne remit le pouvoir au duc que dans le dessein bien arrêté de cultiver soigneusement le crédit nécessaire pour le lui ôter sans retour. Cependant l’apparition de la maison de Condé à la direction des affaires de France fut comme destinée, par une bizarre fatalité de cour, à mettre le dernier sceau aux calamités qui pesaient sur les églises réformées.

Pour expliquer, ou au moins pour tâcher de concevoir la violence inouïe que le duc de Bourbon montra contre les protestants dans son passage au premier poste de l’État, il faut reprendre les choses de plus haut. La maison de Condé, qu’il représentait, issue d’un frère d’Antoine, roi de Navarre, père de Henri IV, avait vu une formidable concurrence, dans la ligne des princes du sang, naître contre elle par la résurrection de la nouvelle branche d’Orléans, provenue d’un frère de Louis XIV. La rivalité des deux maisons ne tarda pas à se faire jour, plutôt, il est vrai, par des intrigues que par des querelles. Lors du 1713.
15 mars.
traité d’Utrecht et de l’enregistrement des lettres patentes, qui confirmaient la renonciation de Philippe v à tous droits sur la couronne de France, le duc de Bourbon, alors un jeune homme de vingt-un ans et d’un esprit plus que médiocre, s’avisa, contre ses intérêts évidents, puisque la renonciation le rapprochait du trône, de protester en secret. Le véritable motif de cette ambition maladroite fut sans doute, que l’absence du duc d’Anjou et de sa ligne était encore plus favorable à la maison d’Orléans qu’à celle de Condé. Toutefois, sous la régence, un intérêt, ou plutôt une vanité commune, rapprocha les deux branches. L’impulsion vint du duc de Bourbon. Le régent eût laissé volontiers les princes légitimés, le duc du Maine et le comte de Toulouse, s’éteindre dans les honneurs sous lesquels le feu roi avait déguisé le scandale de leur naissance ; mais, le duc de Bourbon entraînant avec lui ses jeunes frères, le prince de Conti et le comte de Charolais, poursuivait avec fureur la dégradation des légitimés. Voici le portrait que Lemontey donne du duc de Bourbon : « Le bel héritage de gloire laissé par le grand Condé à sa famille n’y avait pas été recueilli. À deux princes affligés de manie succédait un jeune homme farouche, d’une intelligence grossièrement ébauchée, d’un aspect hideux depuis qu’il avait perdu un œil, et brutal dans ses haines comme dans ses amours. » (Vol. i, ch. vi.) Aussi ce prince, qui vint renchérir encore sur le code persécuteur de Louis XIV, était cependant le même qui, sous la régence, voulut forcer le maréchal de Montesquiou à quitter un nom porté par celui qui assassina le premier prince de Condé sur la sanglante plaine de Montcontour. Cet esprit aussi borné que vaniteux ne vit donc pas que la plus digne manière d’honorer les cendres du héros calviniste, c’eut été de laisser respirer les protestants.

Le duc de Bourbon atteignit le faîte du pouvoir dès que le roi d’Espagne, en remontant sur le trône par l’ordre de ses jésuites, eut dissipé les craintes que son abdication prématurée avait soulevées à la cour de France. Le premier soin du chef de la maison de Condé, dont Mme de Prye devint la duchesse de Maintenon, fut de se constituer fortement en place et d’entreprendre des réformes multipliées pour flatter la cour, ou pour se concilier le peuple écrasé par les traitants. L’aristocratie eut sa part en de très-nombreuses promotions au cordon bleu ; sept maréchaux de France furent nommés en pleine paix. En élevant à cette dignité le duc de Roquelaure et le comte de Medavy, on eût dit que Monsieur le duc voulût décorer les auteurs des dragonnades languedociennes et dauphinoises, que ces courtisans avaient dirigées contre les églises après la mort de Louis XIV. Il voulut tout régler. Les finances, la mendicité, le code contre le vol, le code noir, dont d’Aguesseau tenta vainement d’adoucir l’horreur, portèrent les marques de l’inhabileté de Monsieur le Duc et du garde des sceaux Fleuriau d’Armenonville. Il était facile de croire que sous un tel maître, l’esprit de l’ancien conseil de conscience, comprimé par le sens droit du duc d’Orléans et de Dubois, romprait bientôt toutes les bornes. Ce fut ce qui arriva. Il est vraisemblable que Monsieur le Duc, qui apportait en tout la plus incroyable légèreté, voulut régler, ou du moins voulut laisser régler d’un coup tout ce qui regardait l’état des dissidents réformés, et que ce fut cette manie qui l’emporta au point de promulguer le fameux édit dont rien ne semblait motiver les rigueurs extraordinaires. S’il est plus que probable qu’il n’eut pas l’initiative de cette loi désastreuse, tous ses actes attestent qu’il dut subir docilement les influences diverses qui la lui dictaient.

En effet, parmi les prélats les plus ambitieux et aussi les moins austères, figurait Lavergne de Tressan, ex-aumônier de Philippe, qui était devenu évêque de Nantes et secrétaire du conseil de conscience. Il avait pour collègue le cardinal de Noailles, et il avait été témoin des efforts inouis de Rome pour faire abjurer le jansénisme au premier pasteur de Paris. Il avait vu la pourpre de l’Église récompenser le zèle du cardinal de Bissy pour la même cause, comme plus tard elle alla décorer la vie scandaleuse de l’abbé de Tencin. Cette soif du cardinalat qui avait consumé Dubois vint s’emparer de l’évêque de Nantes, qui voyait dans le chapeau un pas de fait vers le poste de premier ministre déjà convoité par l’évêque de Fréjus. Mais le jansénisme était comprimé ; ce champ épineux ne paraissait plus promettre des récompenses prochaines. Alors l’évêque de Nantes chercha à remplir auprès du duc de Bourbon le rôle vacant par l’absence des jésuites ; il crut trouver dans les fonctions d’un autre Letellier le moyen sûr de s’attirer la plus haute bienveillance de Rome. On conçoit qu’après avoir vainement sollicité dans le sens de sa cause et le duc d’Orléans et Dubois, il se soit empressé de l’offrir au duc de Bourbon, dont l’esprit était entièrement incapable d’en saisir toutes les conséquences, et aux yeux duquel les protestants ne paraissaient qu’une petite fraction de sectaires séditieux. Ces dispositions devaient d’autre part flatter la cour, et entrer dans les vues de ces grands seigneurs commandants du midi, dont le duc de Bourbon venait de récompenser le vigilant fanatisme. Ainsi, l’ardeur des dignités de l’Église, la vanité nobiliaire, et la manie gouvernementale, semblaient se réunir pour inspirer un retour vers l’ancienne intolérance. À côté de toutes ces vues diverses, le cauteleux Fleury laissait faire, sans pousser au fanatisme et sans s’y opposer, espérant par là éviter l’odieux d’une cruauté gratuite, et se réservant, sans y prendre une part directe, un certain mérite auprès de Rome pour le chapeau qu’il convoitait en silence. Le duc de Bourbon fut donc joué en toute cette affaire par les espérances ambitieuses de deux prêtres, qui surent faire tourner à leur profit personnel l’odieux dont ils le couvraient. Ces manœuvres si bien déguisées expliquent comment le nouvel édit éclata si subitement, sans préparation aucune, en produisant autant de surprise chez les grands corps de l’État que de stupéfaction chez les victimes qu’il frappait[44].

Nous ne prétendons point que les considérations précédentes donnent la clé complète de la promulgation de l’édit meurtrier de Monsieur le Duc. C’est le sort des cours absolues, où les mesures les plus grandioses dépendent des prétentions de quelque ambition subalterne ou du manège de quelques intrigues obscures ; elles ne sauraient elles-mêmes rendre compte de leurs actes. De là il suit que l’historien, concluant de la gravité des résultats à la gravité des causes, est exposé à chercher de grands motifs aux choses qui n’en eurent que d’imperceptibles, axiome qui s’est confirmé de plus en plus à la cour de Louis XV. Quoi qu’il en soit, ce qui prouve démonstrativement que le duc de Bourbon et que l’évêque de Nantes rêvaient un système complet et bien suivi d’intolérance, c’est que Tressan eut soin de confier la rédaction des instructions secrètes pour les intendants au vieux Baville : l’ancien intendant du Languedoc ranima tous les secrets de sa longue et odieuse expérience, pour porter les derniers coups à une secte qui avait bravé son génie ; « mais, dit Lemontey en son énergique coloris, la mort le surprit, achevant cet ouvrage et savourant cette odeur de proie qui charmait ses derniers jours. » Ainsi, les églises délivrées de Mme de Maintenon et du père Letellier, furent condamnées, neuf ans après la mort de Louis XIV, à voir reparaître l’inquisition de cet intendant farouche, qui avait peuplé les galères de protestants et désolé le Languedoc de combats et de supplices. Ce fut un malheur que cet obstiné vieillard ne vécut pas assez, pour voir ses lois homicides succomber sous l’impossibilité de leur pratique, sous l’indulgence forcée des magistrats, et sous l’indignation d’un siècle aussi corrompu que le sien, mais d’une corruption moins dévote et moins impitoyable.

Lorsque l’édit de 1724 fut rendu, le duc de Bourbon, gouverné par la marquise de Prye, était premier ministre en titre. Fleury, l’évêque de Fréjus, était membre du Conseil ; il assistait à toutes les délibérations les plus secrètes, et il continuait en réalité la charge de précepteur du roi, même après sa majorité. Phélypeaux de Saint-Florentin était ministre de la maison. Tonnelier de Breteuil tenait la direction de guerre. Fleuriau d’Armenonville avait les sceaux, pendant l’exil volontaire de d’Aguesseau à sa terre de Fresnes. L’évêque Lavergne de Tressan était le directeur des mesures religieuses du duc de Bourbon. Ce fut ce prélat, qui devint plus tard archevêque de Rouen, et dont le neveu, académicien caustique et brillant militaire, rajeunit en français nos vieux romans de chevalerie et les riantes fictions de l’Arioste. On ne comprend guère comment les salons de son oncle, rendez-vous de toute la belle société du Palais-Royal, auraient pu laisser passer sans critique des projets aussi peu chevaleresques que ceux de l’édit de 1724, qui semblait inspiré par le génie de Philippe II. Ce fut une bien légère expiation de tant de calomnies contre les églises réformées que la traduction véritablement classique qu’a donnée de nos jours le dernier descendant de cette maison, l’abbé de Tressan, d’un des ouvrages les plus estimés de la chaire réformée, les Sermons de Hugh Blair.

Il faut donc avoir soin de renvoyer à qui de droit la responsabilité de l’édit de 1724. Il fut l’œuvre de M. le duc de Bourbon, et surtout de Lavergne de Tressan, évêque de Nantes et ensuite archevêque de Rouen. Monsieur le Duc, que sa naissance et non ses talents avait porté au premier pouvoir, et qui se mêlait peu de politique, laissa faire les magistrats administrateurs et les dévots. Peu de temps après cette mesure, l’évêque de Fréjus prit sa place et le renvoya pour jamais dans le brillant exil de Chantilly, où il mourut en 1740. Phélypeaux de la Vrillière, comte de Saint-Florentin, grand administrateur et infatigable signataire des lois les plus opposées, signala les dernières années de ses charges par cette mesure, qui ne lui coûta pas plus que tant d’autres d’un esprit analogue. On a peu parlé du ministre de la guerre de Breteuil, qui mourut en 1743, et qui, ainsi que Lamoignon de Baville suivi de Malesherbes, fut remplacé longtemps après l’édit de 1724 par le baron de Breteuil, d’une autre branche, qui rendit une éclatante justice aux droits des réformés. Enfin les sceaux du chancelier, en l’absence momentanée de d’Aguesseau, étaient alors tenus par d’Armenonville, qui les conserva de 1722 à 1727, et qui termina ses jours dans une assez douce disgrâce au château de Madrid. On voit donc que dans ce ministère si peu solide, où le chef du cabinet, Monsieur le Duc, n’était remarquable que par son importante nullité, où le cardinal de Fleury n’était pas encore le maître, et d’où l’intègre d’Aguesseau s’était retiré, on ne sait sur qui faire reposer la responsabilité de l’édit funeste de 1724. Surtout elle ne saurait atteindre le sage historien Claude Fleury, confesseur du jeune roi Louis XV, dont tous les écrits déposent contre un tel système, et qui d’ailleurs termina sa carrière (1723) avant que ce code fût promulgué.

Le cardinal Dubois et Philippe d’Orléans, son maître, étaient morts tous les deux. C’est à tort qu’on a voulu charger leur mémoire de ce code cruel. Enfin lorsqu’on fit prendre cette mesure à Louis XV il n’était majeur que depuis treize mois environ ; il avait précisément quatorze ans et deux mois d’expérience. Est-ce bien à un enfant de cet âge qu’il faut renvoyer la responsabilité d’un tel forfait ?

Nous allons maintenant rapporter les dispositions principales de cet édit trop fameux, et il sera facile de remonter de la teneur de sa jurisprudence à l’esprit qui dut le dicter. On fait dire au jeune roi ces paroles dans le préambule de la déclaration : « De tous les grands desseins que notre très — honoré seigneur et bisaïeul a formés dans le cours de son règne, il n’y en a point que nous ayons plus à cœur de suivre et d’exécuter que celui qu’il avait conçu d’éteindre entièrement l’hérésie dans son royaume, à quoi il a donné une application infatigable jusqu’au dernier moment de sa vie. Dans la vue de soutenir un ouvrage si digne de son zèle et de sa piété, aussitôt que nous sommes parvenus à la majorité, notre premier soin a été de nous faire représenter les édits, déclarations et arrêts du Conseil, qui ont été rendus sur ce sujet, pour en renouveler les dispositions, et d’enjoindre à tous nos officiers de les faire observer avec la dernière exactitude. Mais nous avons été informés que l’exécution a été ralentie depuis plusieurs années, surtout dans les provinces qui ont été affligées de contagion, et dans lesquelles il se trouve un plus grand nombre de nos sujets, qui ont ci-devant fait profession de la religion prétendue réformée, par les fausses et dangereuses impressions que quelques uns d’entre eux, peu sincèrement réunis à la religion catholique et excités par des mouvements étrangers, ont voulu insinuer secrètement pendant notre minorité ; ce qui nous ayant engagé à donner une nouvelle attention à un objet si important, nous avons reconnu que les principaux abus qui se sont glissés et qui demandent un prompt remède, regardent principalement les assemblées illicites, l’éducation des enfants, l’obligation pour tous ceux qui exercent quelques fonctions publiques de professer la religion catholique, les peines ordonnées contre les relaps, et la célébration des mariages : sur quoi nous avons résolu d’expliquer bien directement nos intentions… Nous avons dit et ordonné que la religion catholique soit seule exercée dans notre royaume, pays et terres de notre obéissance ; défendons à tous nos sujets, de quelque état, qualité ou condition qu’ils soient, de faire aucun exercice de religion autre que ladite religion catholique et de s’assembler, pour cet effet, en aucun lieu et sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine, contre les hommes, des galères perpétuelles, contre les femmes, d’être rasées et enfermées pour toujours, avec confiscation des biens des uns et des autres (art. 1er…) Étant informé qu’il s’est élevé, et s’élève journellement dans notre royaume plusieurs prédicants, qui ne sont occupés qu’à exciter les peuples à la révolte et les détourner des exercices de la religion catholique…, ordonnons que tous les prédicants qui auront convoqué des assemblées, qui y auront prêché, ou fait aucunes fonctions, soient punis de mort…, sans que ladite peine de mort puisse à l’avenir être réputée comminatoire… ; défendons à tous nos sujets de recevoir lesdits ministres ou prédicants, de leur donner retraite, secours et assistance, d’avoir directement ou indirectement aucun commerce avec eux ; enjoignons à tous ceux qui en auront connaissance de les dénoncer aux officiers des lieux, le tout à peine, en cas de contravention, pour les hommes, des galères perpétuelles, et pour les femmes d’être rasées et enfermées pour le reste de leurs jours, avec confiscation des biens des uns et des autres (art. 2). Ordonnons à tous nos sujets, et notamment à tous ceux qui ont autrefois professé la religion prétendue réformée…, de faire baptiser leurs enfants dans les églises des paroisses où ils demeurent, dans les vingt-quatre heures après leur naissance ; enjoignons aux sages-femmes, et autres personnes qui assistent les femmes dans leurs accouchements, d’avertir les curés des lieux de la naissance des enfants, et nos officiers et ceux des sieurs, qui ont la haute justice, d’y tenir la main et de punir les contrevenants par des condamnations d’amendes, même par de plus grandes peines, suivant l’exigence des cas (art. 3)… Quant à l’éducation des enfants… nous défendons à tous nos susdits sujets d’envoyer élever leurs enfants hors du royaume, à moins qu’ils n’en aient obtenu de nous une permission signée de l’un de nos secrétaires d’état, laquelle nous n’accorderons qu’après que nous aurons été suffisamment informés de la catholicité des pères et mères, et ce à peine d’une amende, laquelle sera réglée à proportion des biens et facultés…, et néanmoins ne pourra être moindre que de la somme de 6,000 livres, et sera continuée par chaque année que leurs susdits enfants demeureraient en pays étranger… (art. 4)… Voulons qu’il soit établi, autant que cela sera possible, des maîtres et maîtresses d’écoles dans toutes les paroisses pour instruire tous les enfants de l’un et de l’autre sexe des principaux mystères et devoirs de la religion catholique, les conduire à la messe tous les jours ouvriers autant qu’il sera possible, et avoir soin qu’ils assistent au service divin les dimanches et les fêtes (art. 5) Enjoignons à tous les pères, mères et tuteurs, chargés de l’éducation des enfants, et nommément de ceux dont les pères et mères ont fait profession de la religion prétendue réformée… de les envoyer aux écoles et aux catéchismes jusqu’à l’âge de quatorze ans, même pour ceux qui sont au-dessus de cet âge jusqu’à celui de vingt ans ; enjoignons aux curés de veiller avec une attention particulière sur l’instruction desdits enfants dans leurs paroisses, même à l’égard de ceux qui n’iraient pas aux écoles. Ordonnons aux pères et mères qui en ont l’éducation de leur représenter les enfants qu’ils ont chez eux lorsque les archevêques et évêques l’ordonneront dans le cours de leurs visites, pour leur rendre compte de l’instruction qu’ils auront reçue touchant la religion, et à nos juges, procureurs, et à ceux qui auront la haute justice, de faire toutes les diligences, perquisitions et ordonnances nécessaires pour l’exécution de notre volonté à cet égard, sous peine de condamnation d’amendes, qui seront exécutées par provision, à telles sommes quelles puissent monter (art. 6) Voulons que nos procureurs se fassent remettre, tous les mois… un état exact de tous les enfants qui n’iront pas aux écoles et catéchismes, pour faire ensuite les poursuites nécessaires contre les pères et mères, tuteurs et curateurs (art. 7)… Les secours spirituels n’étant en aucun temps plus nécessaires, surtout à ceux de nos sujets qui sont nouvellement réunis à l’église, que dans des occasions de maladie où leur vie et leur salut sont également en danger, voulons que les médecins, et à leur défaut les apothicaires et les chirurgiens qui seront appelés pour visiter les malades, soient tenus d’en donner avis aux vicaires et curés des paroisses aussitôt qu’ils jugeront que ladite maladie pourrait être dangereuse, afin que nos sujets nouvellement réunis à l’église puissent en recevoir les avis et les consolations spirituelles… Enjoignons aux parents, serviteurs, et autres personnes qui seront auprès desdits malades, de les faire entrer auprès d’eux et de les recevoir avec la bienséance convenable à leur caractère, et voulons que ceux desdits médecins, apothicaires et chirurgiens qui auront négligé de ce qui est de leur devoir à cet égard, et pareillement les parents, serviteurs et autres soient condamnés en telle amende qu’il appartiendra (art. 8)… Enjoignons pareillement à tous curés de visiter soigneusement les malades, de quelque état et qualité qu’ils soient, notamment ceux qui ont ci-devant professé la religion prétendue réformée, ou qui sont nés de parents qui en ont fait profession, de les exhorter en particulier et sans témoins, à recevoir les sacrements de l’église… Et en cas qu’au mépris de leurs exhortations et avis salutaires, lesdits malades refusent de recevoir les sacrements qui leur seront par eux offerts, et déclarent ensuite publiquement qu’ils veulent mourir dans la religion prétendue réformée…, voulons que s’ils viennent à recouvrer la santé, le procès leur soit fait et parfait…, et voulons qu’ils soient condamnés au bannissement à perpétuité, avec confiscation des biens… Si, au contraire, ils meurent dans cette malheureuse disposition, nous ordonnons que le procès sera fait à leur mémoire par nos dit baillifs et sénéchaux, pour être leur dite mémoire condamnée, avec confiscation des biens (art. 9)… Voulons que le contenu au présent article soit exécuté, sans qu’il soit besoin d’autre preuve pour établir le crime de relaps que le refus qui aura été fait par le malade des sacrements de l’église, offerts par les curés, vicaires, et autres ayant charge des âmes…, sans qu’il soit nécessaire que les juges du lieu se soient transportés dans la maison desdits malades…, et sans que lesdits curés ou vicaires soient tenus de requérir le transport desdits officiers, ni de leur dénoncer le refus ou la déclaration qui aura été faite (art. 10)… Et attendu que nous sommes informés que ce qui contribue le plus à confirmer lesdits malades dans leurs anciennes erreurs est la présence et l’exhortation de quelques religionnaires cachés qui les assistent secrètement en cet état, et abusent des préventions de leur enfance et de la faiblesse où la maladie les réduit pour les faire mourir hors du sein de l’église, nous ordonnons que le procès soit fait à ceux qui se trouveront coupables de ce crime…, savoir : les hommes aux galères perpétuelles ou à temps, et les femmes à être rasées et enfermées à perpétuité ou à temps (art. 11)… Ordonnons que, suivant les anciennes ordonnances des rois nos prédécesseurs, nul de nos sujets ne pourra être reçu… en aucune charge de judicature, et généralement en aucun office ou fonction publique…, sans avoir une attestation de l’exercice actuel qu’ils font de la religion catholique (art. 12)… Voulons pareillement que les licences ne puissent être accordées, dans les universités de ce royaume, en droit ou en médecine, que sur des attestations semblables que les curés donneront (art. 13)… Les médecins, chirurgiens et apothicaires, et les sages-femmes, ensemble les libraires et imprimeurs, ne pourront être admis à exercer leur profession dans aucun lieu de ce royaume… sans rapporter pareille attestation. (art. 14)… Voulons que les ordonnances sur le fait des mariages soient exécutées, suivant leur forme et teneur, par nos sujets nouvellement réunis à la foi catholique (art. 15)… Les enfants mineurs, dont les pères et mères se sont retirés en pays étrangers pour cause de religion, pourront valablement contracter mariage sans attendre ni demander le consentement de leurs dits pères et mères, à condition néanmoins de prendre le consentement et avis de leurs tuteurs et curateurs, s’ils en ont dans le royaume, sinon il leur en sera créé à cet effet (art. 16)… Défendons à tous nos sujets… de consentir ou approuver que leurs enfants, ou ceux dont ils seront tuteurs ou curateurs, se marient en pays étrangers sans notre permission expresse et par écrit à peine des galères à perpétuité pour les hommes, et de bannissement perpétuel contre les femmes, et de confiscations de biens des uns et des autres (art. 17)… Voulons que dans tous les arrêts et jugements qui ordonneront la confiscation des biens de ceux qui l’auront encourue… il sera pris sur les biens confisqués une amende qui ne pourra être moindre que de la valeur de la moitié desdits biens, laquelle tombera, ainsi que les biens confisqués, dans la régie des biens des religionnaires absents pour être employés… à la subsistance de ceux de nos sujets nouvellement réunis qui auront besoin de ce secours, ce qui aura lieu pareillement à l’égard de toutes les amendes (art. dernier)… Versailles, le 14 mai 1724.

Louis Phélipeaux. »

Telle fut la loi, aussi confuse et inexécutable que cruelle et inique, dont un conseil de courtisans et de prêtres ne craignit pas de déshonorer les premières années du jeune Louis XIV. Nous avons déjà vu, quant au personnel des auteurs de la déclaration, qu’aucun homme d’état d’une certaine portée n’y figura directement. La mort du sage et tolérant prieur d’Argenteuil, Claude Fleury, aussi vertueux et plus éclairé que son collègue Fénelon, était venu interrompre ses consciencieuses fonctions de confesseur du jeune monarque. Le cardinal Dubois avait précédé de fort peu son maître au tombeau. Le parti politique du Conseil était dirigé par l’ancien évêque de Fréjus et par le duc de Bourbon ; le parti religieux, par l’évêque de Tressan : à côté d’eux se montrait l’influence de la haute magistrature, dignement représentée par le grand d’Aguesseau et par le procureur-général Joly de Fleury. Il faut pénétrer plus avant les diverses influences qui s’agitaient ambitieusement autour du duc de Bourbon, et surtout il faut démêler les fils secrets du système janséniste. Nous avons vu que l’évêque de Nantes, Tressan, encouragé par les honneurs des cardinaux de Bissy et de Rohan, et appuyé de l’inertie prudente de l’ancien évêque de Fréjus, obsédait le duc de Bourbon de ses projets d’intolérance pure et simple, qu’il revêtait de toute la grandeur d’une tradition de Louis XIV. Joly de Fleury, qui succéda en 1717 à d’Aguesseau dans les fonctions de procureur-général au Parlement de Paris, charge qu’il remplit avec éclat pendant près de trente ans, était un magistrat sage, prudent, et praticien consommé ; ainsi que son ami d’Aguesseau, il se montra vigilant gardien des maximes gallicanes, dont la profession est voisine de l’esprit janséniste. Joly de Fleury, longtemps après cette époque, se démit de ses fonctions ; la retraite de ce sage magistrat, bien différente de celle du cruel Baville, fut honorée par une foule de mémoires législatifs, où il déposait le fruit de sa longue expérience et de ses habitudes formalistes. Malesherbes publia sous Louis XVI une consultation lumineuse de Joly de Fleury sur la situation des protestants en 1752. Si d’un côté on y voit la trace profonde des habitudes d’un esprit parlementaire aveuglément imbu de la routine des anciennes lois ; de l’autre, on y découvre nettement le véritable esprit selon lequel l’édit de 1724 fut disposé, édit sur lequel Joly de Fleury lui-même ne fut pas sans influence.

On y voit clairement que dans les idées de la haute magistrature d’alors, la renaissance religieuse des églises du Languedoc, qui avait signalé la venue du régent, n’était qu’un trop confiant espoir qu’il fallait refouler. On voulut y remédier par une nouvelle loi qui devait renfermer la substance de tant d’édits tombés en désuétude ; on voulut en faire un corps, et les coordonner entre eux. « M. le chancelier d’Aguesseau y travailla. Son séjour à Fresnes suspendit l’ouvrage. On reprit le système d’une nouvelle loi après la mort du duc d’Orléans, » disait le vieux Joly de Fleury au Conseil du roi Louis XV. Il est impossible de méconnaître par l’exposé des idées du procureur-général, que la déclaration de 1724 avait un double objet ; d’abord le projet appuyé par l’évêque de Tressan et par l’esprit moliniste ultramontain, de poser en fait qu’il n’y avait plus que des catholiques en France, et de poursuivre à toute outrance les dissidents avoués ; ensuite le projet que soutenait toute la magistrature jansénienne, de tirer parti de cette fiction pour empêcher le clergé d’être le juge du fait de la conversion sérieuse ou stimulée des ouailles, et pour l’obliger d’accorder les sacrements sans enquête à ceux qui les demanderaient l’édit à la main. « Les magistrats, dit plus tard Malesherbes, étaient encore plus attachés à ce système que les ministres. » La déclaration fut donc le produit d’un rapprochement facile, qui mit au jour tout ce que l’esprit moliniste et tout ce que l’esprit janséniste recelaient de plus monstrueux ; le premier esprit s’y déclara par des rigueurs cruelles, dont l’habitude lui était chère, quoiqu’elle eût si mal réussi ; le second esprit attacha la présomption légale de la foi à des communions religieuses machinales et obligatoires. Ce fut là le véritable sens de cette déclaration fatale, où l’esprit ultramontain personnifié en l’évêque de Nantes, montra au moins de la franchise, mais où l’esprit janséniste chercha à produire l’unité religieuse par des formalités de palais et des condescendances indignes. Toute l’argumentation de Joly de Fleury, qu’il appuie à la fois sur la jurisprudence séculière et sur le droit canonique, se concentre en ce principe, que les demandes de baptême, de mariage et d’enterrement, faites par des nouveaux convertis, réputés anciens catholiques par la loi, sont des faits auxquels le clergé ne peut refuser son concours, et que ce sont des actes dont le clergé n’a nullement le droit de scruter le for intérieur.

Cependant ni d’Aguesseau, ni l’esprit éminemment logicien de Joly de Fleury, ne purent espérer sérieusement de rallier par de tels moyens à la religion dominante, des sectaires, que tant de tourments, frappant sur les corps et les biens, n’avaient pu ni convaincre, ni disperser ; mais les magistrats crurent sans doute, en entraînant les protestants au confessionnal et en effaçant sans retour leur nom de reformés, obliger le clergé d’accepter en paix un fait accompli et extérieur. Ils purent même espérer que l’adhésion extérieure des protestants, rendue complète par l’obligation où le clergé était de la recevoir, deviendrait une garantie de paix publique, que l’édit ne serait guère qu’un épouvantail sans effet, et que des rites bien ou mal observés par les religionnaires laisseraient dormir à jamais les sanctions cruelles dont leur loi était confirmée. Ils cherchèrent, en un mot, à obtenir de l’hypocrisie ce qu’on n’osait plus espérer des supplices. Il faut peser l’ensemble de ces motifs pour s’expliquer comment des magistrats, tels que d’Aguesseau, Joly de Fleury, et en général, les parlementaires, ne craignirent pas de disposer et de favoriser une œuvre si profondément entachée de cruauté et d’injustice. Nous apprécierons plus tard l’effroyable désordre qui en résulta. Toutefois, il faut bien avouer que le chancelier d’Aguesseau dut avoir nécessairement une forte part à la conception de l’édit de 1724. Dès 1698, on le voit au conseil d’état conférer sur un nouveau système de répression avec le cardinal de Noailles et le ministre Pontchartrain, et faire prédominer avec le cardinal le mode de la législation jansénienne. Son projet était entièrement bâti sur l’idée artificieuse, que tous les sujets du roi s’étaient convertis, bien que toutes les instructions secrètes avouassent le grand nombre de calvinistes qui étaient restés en France. Tandis que les évêques du parti opposé demandaient qu’on retranchât de la loi l’horrible scandale des cadavres traînés sur la claie, d’Aguesseau remarque, dans des mémoires secrets que Rulhière affirme avoir vus, « que s’il est bon d’ôter cette peine, qui fait tant d’horreur, il est bon de la laisser craindre. » On retrouve fidèlement cette théorie dans l’édit de 1724, qui résuma toutes les lois précédentes en un code incohérent. Ses dispositions cruelles devaient être corrigées par les ordres précis transmis aux intendants. Elles devaient être prodigieusement adoucies dans l’exécution. L’idée fondamentale se résume évidemment en cet axiome janséniste : à savoir, que les prêtres devaient, sous l’autorité des magistrats, accorder les sacrements sans examen aux nouveaux convertis, précisément de même qu’aux appelants de la constitution Unigenitus au futur concile. D’ailleurs, le conseiller d’Aguesseau, que Rulhière appelle « le plus grand adversaire des héritiers calvinistes, » le père du chancelier, avait été chargé par Louis XIV de la direction de la régie spoliatrice des biens des religionnaires ; il ne quitta ces fonctions que lorsqu’un arrêt du Conseil du régent (10 août 1716) les transféra au conseil de conscience, et ce fut ensuite Lavergne de Tressan, archevêque de Rouen, et auteur de l’édit de 1724 » qui dirigea les affaires de cette intolérance fiscale. Nous verrons plus tard le vieux procureur-général Joly de Fleury jetant ses regards en arrière sur cet ouvrage artificieux. On jugera, par ses aveux mêmes, qu’il se trompa doublement, lorsqu’il pensa d’abord que des curés molinistes se contenteraient de l’adhésion extérieure de disciples suspects, et lorsqu’il crut ensuite que la foi indomptable des nouveaux convertis pourrait revêtir sans peine un masque aussi lâche. Aussi l’on verra que les prêtres reculèrent devant le sacrilège, comme les réformés devant la dissimulation. L’édit de 1724 fut cassé dans la suite par la bonne foi des persécuteurs et par l’héroïsme des persécutés. Tandis que la cour du duc de Bourbon, excitée par la soif d’honneurs qui dévorait quelques prélats, voyait ses mesures cruelles adoptées et tournées en un sens favorable par les jansénistes, les inflexibles synodes du désert ne cessaient de fulminer contre ces décrets ; toutes les mesures adroites et toutes les mesures violentes venaient se briser contre la patiente autorité de leur foi.

Mais mille causes vinrent s’opposer même à cette partie de l’édit. En déclarant qu’il n’y avait plus que des catholiques dans le royaume, ses auteurs ne virent pas que le décret d’un parchemin royal ne pouvait changer la conscience des gens pieux, et qu’il était par trop dérisoire d’en espérer un résultat que la perspective du bagne toujours ouvert n’avait pu arracher. Il est probable, comme Malesherbes le remarqua longtemps après[45], qu’ils jugèrent des dispositions des provinces les plus lointaines d’après celles de Paris, où la foi se perd par la dissipation, et où la corruption rend indulgent sur l’hypocrisie. Mais il n’en était pas de même dans les contrées ferventes de la Provence et du Languedoc, au milieu des rochers du Vivarais et dans les vallées montagneuses du Dauphiné et des Cévennes, Là, le culte était populaire, et la piété devait être publique. On pouvait cacher sa foi aux intendants et aux juges ; on ne pouvait, on ne voulait la cacher à ses frères d’infortunes et de constance. Obtenir que les protestants se mariassent tous à l’église catholique devant des prêtres, qui savaient très-bien que ce n’était qu’une comédie, était la chose honteuse et impraticable. Vainement espérait-on, qu’au moins ces unions empreintes d’une dévotion simulée engageraient les enfants nés de telles alliances, à fréquenter de bonne foi les sanctuaires où leurs parents n’étaient entrés qu’un seul jour. On se trompait encore. Les enfants grandissant en présence des prêches du désert et de la dissimulation de leurs proches, apprenaient au plus à se conduire avec la même prudence, sans être plus catholiques.

Personne d’ailleurs ne voulait s’exposer au mépris général par une apostasie sérieuse. Ceux même que la crainte de l’édit avait égarés un moment étaient bientôt contraints par pudeur, si ce n’était par zèle, à se rallier plus étroitement à la tribu proscrite, tandis que les bons catholiques autant que les bons protestants s’indignaient de ces sacrilèges complaisances, dont la législation devait supporter tout l’odieux. Aussi plus tard, les prêtres se fatiguèrent du rôle de marieurs et de baptiseurs d’hérétiques qu’ils connaissaient pour tels. L’édit de 1724 finit par devenir inexécutable, de quelque côté qu’on voulût s’y prendre pour l’appliquer, et quoique le clergé comme la magistrature, l’entendant chacun dans son sens, eût espéré y trouver la voie la plus sûre pour ses fins.

L’édit paraissait satisfaire les prétendues exigences de l’ordre public et les souvenirs de Louis XIV, dont le duc de Bourbon cherchait à s’armer ; il fut donc appuyé par le conseil administratif de l’État. Le parti jésuite ultramontain, qui alors relevait la tête, l’accueillit avec joie, par l’organe de l’archevêque de Tressan, comme une réorganisation complète de l’ancienne intolérance. La haute magistrature jansénienne y vit un moyen couvert et ingénieux d’enchaîner le sacerdoce aux tribunaux, qui se réservaient de le forcer à administrer les sacrements à tous les sujets du roi. Joly de Fleury prit plaisir plus tard à retourner ce dernier point de vue sous toutes les faces imaginables, et il trahit ainsi les véritables intentions des auteurs de cette loi dont les origines furent si compliquées. Mais jamais édit ne remplit moins son but. Cette arme meurtrière se brisa entre les mains de tous les partis. Les hommes d’état hésitèrent à s’en servir ; le clergé rejeta le rôle passif auquel la loi le condamnait ; les prétendus convertis persistèrent dans leur ancienne foi. Une longue suite de barbaries, sans suite, sans liaison et sans fruit, en furent l’unique résultat. Ainsi, cet odieux arbitraire recelait le germe de sa mort.

Il restait enfin les clauses pénales ; mais si les mesures religieuses de l’édit devaient être frappées de nullité par leur absurdité même, les dispositions pénales à leur tour devaient succomber sous leur atrocité impuissante. En général, on ne peut révoquer en doute que les magistrats, qui prirent part à cette mesure, n’eussent bien aperçu que la loi qu’ils rendaient échapperait à l’application de la justice. On a besoin de croire que cette considération dut voiler à leurs yeux ce qu’un pareil édit avait de palpable iniquité.

Il devait leur être de toute évidence que cette loi resterait en ses articles principaux absolument inexécutable. Appliquée quelquefois aux ministres, et plus souvent aux laïcs, elle n’eut jamais pour résultat de faire condamner aux galères perpétuelles, ou à un perpétuel emprisonnement, indistinctement tous ceux qui assistaient aux assemblées ou qui donnaient asile à des pasteurs sous un prétexte quelconque. Faire subir de pareilles peines à des populations entières, envoyer au bagne des réunions de trois mille personnes et plus était chose impossible et outrée. Nous verrons les réformés braver ouvertement ses dispositions. D’autre part, les intendants et les juges des pays où les protestants formaient au moins le tiers de la population, cherchaient en vain à suivre un code aussi monstrueux. Des condamnations très sévères, mais individuelles, venaient de temps à autre produire des résultats de colère, qui ne servaient qu’à redoubler le zèle des opposants et à faire mieux ressortir l’impuissance de la législation. D’ailleurs cette mesure, dès que le cardinal de Fleury devint maître des affaires, ne fut plus dans sa pensée qu’un épouvantail toujours suspendu sur les religionnaires, et dans lequel il comptait trouver des moyens de répression sévère, si des mouvements sérieux eussent éclaté. C’est le seul moyen de concevoir la longue durée d’une intolérance écrite, si minutieuse, telle que tout homme d’état, doué de sens, dut en découvrir sur-le-champ l’impossibilité pratique. Ce fut donc plutôt une mesure de réserve que d’action. Aussi nous verrons les assemblées être chaque jour plus fréquentes et plus nombreuses même sous l’empire de cette loi. Nous verrons de vrais prêtres supplier le gouvernement de fermer cette source féconde de sacrilèges ; nous verrons le subdélégué du Languedoc Daudé, quatre ans après sa promulgation, être témoin en quelque sorte des réunions protestantes et ne pas les troubler. Nous verrons même l’intendant comte de Saint-Maurice résister assez fortement au clergé, qui demandait quelquefois l’exécution intégrale de la déclaration ; nous verrons l’administrateur opposer aux curés et à leur évêque cette raison péremptoire, que les prisons de la province ne suffiraient pas pour renfermer le troupeau rebelle.

Toutefois on peut juger des effets désastreux que dut produire une telle arme toujours prête à frapper, dont l’usage était réglé par une foule de chances capricieuses et passagères, telles que l’esprit plus ou moins dévot de la cour, le zèle des intendants, la sévérité des parlements et l’activité des procureurs du roi. Cette minutieuse tyrannie offrait une large prise à l’injustice de détail. Si le progrès des lumières aidé de l’impossibilité administrative la fit tomber en désuétude, cependant elle occasionna de bien grands malheurs dans le cours d’un siècle, où la jurisprudence variait beaucoup dans les diverses provinces de la France. Une foule de familles protestantes furent atteintes par ses dispositions cruelles. Aussi cette Déclaration fameuse de 1724, plus d’une fois enrichit le fisc des dépouilles des protestants, peupla les galères de leurs citoyens, et les prisons de leurs femmes et de leurs filles. Nous verrons cependant, tant est grande l’influence des mœurs et des idées sur les législations, que même après leur condamnation aux termes de cet édit, souvent leurs chaînes furent brisées par ordres transmis de la cour. Il est vrai que la cupidité servait d’encouragement à la clémence, et que plus d’un protestant n’obtint sa liberté qu’au prix de sommes assez fortes qui allaient se perdre, sans doute à Paris, dans les vestibules des ministères.

Résumons le caractère général de la législation de 1724, en ce qui concernait les églises, qui avaient rêvé un tout autre avenir. Dans l’état civil, les mariages célébrés au désert et non par les curés étaient réputés illégitimes ; les enfants étaient bâtards et inhabiles à hériter. Par un odieux raffinement, les réformés ne pouvaient, sous peine des galères, consentir au mariage de leurs enfants à l’étranger ; mais les enfants, pourvu qu’ils se mariassent à l’intérieur, devant l’église, étaient dispensés de leur demander permission, et dépendaient d’un conseil de collatéraux catholiques. Pour leur état religieux, le code de Louis XIV restait en entier : les ministres punis de mort ; les hommes coupables d’avoir assisté aux assemblées envoyés aux galères à perpétuité, et les femmes à la détention sans fin. Les mêmes peines frappaient ceux qui donneraient asile à des pasteurs ou qui n’iraient point les dénoncer pour le supplice ; le tout appuyé de confiscations et d’amendes comme sanction de l’observation des cérémonies catholiques. Tel fut le cercle de supplices et d’extorsions où l’édit de 1724 renfermait les églises du désert.

Ce fut là l’esprit général de cette législation. À ces formes brutales se mêlaient d’autres dispositions d’une absurdité telle, que les parties ne purent les subir, pas plus que les juridictions ne purent les appliquer. Ainsi le procès fait à la mémoire des morts, avant l’inhumation, devait être nécessairement anticipé dans ses résultats par une populace impatiente, qui changeait les lenteurs de la justice en horrible émeute contre un cadavre ; frénésie repoussante que bientôt les ordres positifs de la cour rendirent de plus en plus rare. L’article premier, qui punissait du plus infamant supplice après la mort, et de la perte de tous les biens, tout exercice de foi protestante et toute assemblée en aucun lieu et sous quelque prétexte que ce puisse être, livrait le culte privé et domestique aux rigueurs d’une justice fanatique. Cependant les parlements et les intendants appliquèrent très-souvent cette disposition, mais en la restreignant presque toujours aux assemblées publiques. La disposition qui condamnait à mort tous ministres ayant fait aucunes fonctions, était un adoucissement illusoire à la déclaration de Louis XIV, du 13 décembre 1686, art. 1er qui punissait de mort leur seule présence à cause du vague illimité de ce terme de fonctions ; les parlements appliquèrent d’ailleurs plus d’une fois cet article sanguinaire, qui non seulement fit traîner les ministres au gibet, mais qui de plus frappait d’une peine infamante tous ceux de leurs fidèles qui n’allaient pas les livrer aux bourreaux, ou qui leur donnaient asile. Nous verrons plusieurs réformés subir cette noble flétrissure. Au surplus, les intendants eux-mêmes reculèrent souvent devant l’obligation de faire monter à l’échafaud les pasteurs, pour le crime simple de prêcher l’Évangile ; nous les verrons au contraire correspondre directement avec des ministres, sur lesquels, par cette qualité, l’arrêt capital restait toujours suspendu. Rarement les garde-malades et sages-femmes exécutèrent l’injonction de l’art. 3, parce que les protestants avaient l’attention toute simple de ne s’entourer que des leurs, ou de gens incapables de trahir de tels secrets. À chaque année du siècle, nous verrons les art. 4, 5, 6 et 7 de la déclaration cassés cent fois par les pasteurs comme par les laïcs, qui non seulement se gardaient bien d’envoyer leurs enfants aux instructions de la religion qui les persécutait, mais qui fondèrent une académie étrangère pour le ministère sacré. Ce fut de là, c’est-à-dire de Lausanne, qu’un grand nombre de jeunes ministres, tout prêts au martyre, revenaient parmi eux pour le braver. Cependant, les articles autorisant l’enlèvement des enfants et leur assistance forcée aux écoles catholiques, donnèrent lieu, par leur application obstinée, à de cruels désordres. L’autorité paternelle fut méconnue sous le prétexte de conversions qui souvent disparaissaient un peu plus tard. On ne vit presque jamais les médecins et autres gens de l’art accepter le rôle que la déclaration leur assignait par son art. 8, en les obligeant à dénoncer leurs malades. Le plus communément, avertis par le bruit public d’une agonie qui allait leur échapper, des prêtres venaient s’asseoir, malgré toute une famille en pleurs, au chevet d’un mourant qui les repoussait : encore faut-il reconnaître que même dans les contrées où le fanatisme était le plus âpre, la majorité des curés ne voulut jamais profiter de cet odieux privilège. Mais nous donnerons la preuve qu’il y eut des arrêts fiscaux et personnels, prononcés en vertu de l’art. 11, qui punissait des galères et de la confiscation les exhortations et les consolations dernières, dont les familles protestantes entouraient le lit de mort de leurs proches ; disposition empreinte d’un si sauvage fanatisme, que l’on peut douter si le code d’aucun peuple a jamais frappé de peines infamantes les épanchements sacrés de la piété filiale. Quant à toutes les fonctions dont les réformés furent exclus par les art. 12, 13 et 14, ils se dédommageaient de cette gêne par les travaux d’une industrie florissante ; et pour cela, plus tard dans ce siècle, ils obtenaient souvent, contre l’injonction réitérée des synodes, des certificats de catholicité, qui ne trompaient plus ni eux-mêmes ni personne. L’artificieux et habile art. 17, qui affectait toujours la moitié des confiscations et amendes à des secours en faveur des abjurations, révolta les esprits par la crudité de l’appât qu’il leur offrait, plutôt qu’il ne séduisit de timides consciences. Nos pièces ne nous ont pas montré un seul exemple de ces cupides apostasies.

Des dispositions neuves et capitales ajoutaient le plus haut degré de raffinement au code de Louis XIV ; telles furent celles des art. 9 et 10 : l’un enjoignait aux curés et vicaires, au premier bruit du danger de mort d’un nouveau converti, de le visiter en particulier, ou sans témoins, « ce qui livrait les familles à l’impudeur de conférences secrètes » ; l’autre empirait de beaucoup les lois de Louis XIV, du 19 novembre 1680 et du 29 avril 1686, en dispensant les prêtres de toute information des juges pour établir le crime de relaps, et en faisant résider la preuve en la seule déposition des curés et vicaires. Il y avait, à la rigueur, présomption légale de relaps contre tout nouveau converti qui donnait le moindre signe d’adhésion à son ancienne foi ; d’où résultait pour le mort procès à la mémoire, et pour le vivant bannissement perpétuel et confiscation des biens. Et comme la déclaration ouvrait la porte de toute demeure au clergé sans témoins, comme d’autre part la réputation de nouveau converti ne pouvait guère s’établir que sur le bruit public, en combinant ces articles avec ceux qui chargeaient les évêques de faire suivre les devoirs religieux à toutes leurs ouailles indistinctement, il résultait que ces mesures auraient pu envelopper tous les Français. Afin de mieux atteindre les protestants dans ce réseau subtil, le duc de Bourbon et le Conseil se trouvaient avoir armé le clergé de pouvoirs, qui n’avaient alors d’analogie qu’avec les statuts de l’inquisition d’Espagne. Mais, d’une part, la magistrature janséniste recula devant son ouvrage, et, d’autre part, les réformés luttèrent plus noblement encore contre un joug aussi compliqué : ajoutons que les recherches minutieuses de Lemontey l’ont conduit à attribuer les deux derniers articles que nous avons indiqués, à l’invention malfaisante de l’évêque Lavergne de Tressan. Mais ce code fut surtout blessé à mort par les suites de l’art. 15. Cette rédaction naïve démontre que le Conseil était loin de penser que la plus simple de ses mesures deviendrait la plus inexécutable. En ordonnant que les mariages des nouveaux convertis se fissent tout simplement suivant les formes canoniques ordinaires, il ne prévit pas qu’il condamnait les protestants à vivre dans une hypocrisie commode, et les prêtres à tremper dans des sacrilèges inévitables. Cet état de choses finit par rendre manifeste la nécessité de supporter des sectaires qu’il était absolument impossible de détruire ou de ramener.

Tel fut le code monstrueux qui sortit inopinément du milieu d’une cour incrédule et dissolue, encore toute peuplée de ces grands seigneurs de la régence, que la tradition nomma les roués, comme pour écarter d’avance de leur mémoire tout symptôme de véritable dévotion. Remarquons que ce fut deux ans seulement après la déclaration de 1724 contre les protestants, que Rome décora de sa pourpre l’évêque de Fréjus, le cardinal Fleury, ancien chanoine de Montpellier, issu du Languedoc, où ce code intolérant allait produire tant de calamités. Nous avons cherché à indiquer les diverses influences au milieu desquelles il fut promulgué. Nous allons maintenant voir comment il fut reçu. Nous allons raconter ce qu’il devint au milieu des églises réformées, par quelles mesures elles combattirent son oppression, et comment elles se conduisirent en présence de cet arsenal d’une tyrannie inépuisable.



CHAPITRE VI.


Tournées évangéliques du pasteur Antoine Court.
— Fondation du séminaire français de Lausanne.


Au moment même où l’enfance du gouvernement de Louisxv fut marquée par des mesures aussi sévères contre les protestants, mesures que lui dictait la coalition des traditions du dernier siècle et de l’esprit parlementaire janséniste, les assemblées religieuses du culte proscrit devenaient toujours plus fréquentes en Languedoc. L’organisation ecclésiastique prenait une plus grande consistance. Ce n’étaient plus, comme aux années qui suivirent immédiatement la mort de Louis XIV, des synodes ou des réunions prudentes d’un petit nombre de personnes ; c’étaient de vastes assemblées, convoquées d’avance, où les sacrements étaient régulièrement distribués à une foule fervente. Toutefois, comme toujours, bon nombre de ces réunions furent surprises par les détachements. En 1725 et 1729, ce furent les protestants d’Alais qui souffrirent le plus ; à la première de ces époques, dans cette dernière ville, le mystère du culte privé ne fut pas respecté ; une maison de réunion religieuse fut investie et surprise (Mss. Rab. Dup.). En 1727, les cachots de la tour de Constance reçurent des femmes prisonnières en grand nombre, qu’on avait arrêtées dans les assemblées mêmes. Le besoin le plus impérieux de cette organisation disciplinaire naissante était celui des pasteurs. Antoine Court nous apprend lui-même que de tous les prédicants camisards dont les débris existaient encore dans ces contrées, aucun n’avait reçu l’ordination régulière suivant le rit des églises. Aucun ne pouvait servir de collaborateur aux ministres constitués.

Ces derniers étaient en petit nombre. Dans toute cette époque de l’enfance de Louis XV et de la régence, les souvenirs de la guerre des Cévennes étaient encore palpitants. On conçoit comment, au milieu d’un désordre à peine apaisé, les églises manquaient encore de conducteurs habiles, joignant la science au zèle, en dépit de tous les soins de Court et de ses premiers collègues, parmi lesquels nous devons citer les pasteurs P. Courteis, Bourbonnous, Betrine et Rouvière (Certificat dél. au min. Pierredon du 21 nov. 1718. Or. Mss. P. R.). De plus, il était impossible de fixer la circonscription de leurs églises avec la netteté que les anciens règlements de la discipline exigeaient. On se rassemblait où l’on pouvait et quand on pouvait, suivant les mouvements des troupes. C’était pour chaque pasteur une affaire d’occasion et de courage qu’il était impossible de régler. Les premières délibérations synodales eurent plutôt pour résultat, de répandre quelques principes d’ordre, que de le rétablir tout à fait parmi ces fidèles sur lesquels l’orage grondait encore. De là est arrivé que des ministres fervents et intrépides se firent une loi, non de résider en un endroit spécial où ils eussent pu être découverts et où leur action eût été restreinte à la localité, mais ils entreprirent de longues courses et des visites nombreuses dans tout le district protestant. Devenus missionnaires par la force des choses et le malheur des temps, leurs voyages eurent l’immense avantage de porter les secours spirituels à de vastes contrées, couvertes de communautés éparses. Sous la vieille discipline, dont la persécution avait abrogé plus d’un article, les coureurs auraient été sévèrement réprimés ; mais la nécessité des temps rendait alors ce genre de ministère nomade également utile et périlleux. Ce furent ces visites, exécutées avec suite et avec une infatigable ardeur dans les districts du midi, où nul ministre régulier ne pouvait s’établir, qui contribuèrent le plus à nourrir l’ancienne piété, et à empêcher les vieilles églises de s’éteindre, en quelque sorte absorbées par le prosélytisme vigilant du clergé de l’État, et sans cesse tourmentées par des vexations, des chicanes et des procès, quand elles ne l’étaient pas par la force ouverte et par les condamnations criminelles.

On voudrait connaître tous les détails de ces courses accompagnées de tant de dangers, ainsi que la manière de convoquer les assemblées, les précautions prises pour le salut commun, les rapports des ministres avec les fidèles proscrits, la méthode par laquelle on annonçait les réunions, la durée et le lieu des exercices, l’étendue des courses, les émotions que les réformés venaient chercher dans leur culte, le rit que les ministres y pratiquaient ; en un mot, on désirerait retrouver un tableau de ce singulier mélange d’alarme, de ferveur et de courage, qui constituait la religion de ces jours de danger et de gloire. Ce sont encore les rapports du ministre Antoine Court à ses amis, qui nous ont laissé à ce sujet des renseignements pleins d’intérêt et de vérité. Cet infatigable soutien de la cause reformée, dans le midi du royaume, méditait un dessein, qui, par l’importance du but et les suites extrêmement heureuses qu’il devait avoir un jour, fut peut-être le plus grand service qu’il rendit dans sa carrière évangélique. Méditant sur les moyens d’établir quelque part une académie, qui pût fournir des pasteurs prudents et instruits à des communautés, lesquelles n’avaient aucun moyen d’en former, il entreprit plusieurs longues tournées pastorales, pour bien s’assurer des besoins des fidèles et de l’état des choses. Cet homme courageux n’avait pas échappé à la médisance. Des propos malveillants circulaient contre lui au sein même des églises qu’il chérissait d’un véritable amour, et auxquelles il rendit tant de périlleux offices. On lui reprochait d’une part de perdre son temps auprès de son épouse et, ce qui était bien pis, d’aimer passionnément la chasse. « Non, écrivait-il pour sa justification à son ami monsieur Du Plan, gentilhomme d’Alais, zélé comme lui pour le bien des églises, prétendre que ma Rachel ou que les plaisirs de l’exercice dont vous me parlez me soustraient à mes nobles fonctions, c’est en attribuer la cause à des objets qui y contribuent peu… Non, des choses trop importantes roulent sur mes bras pour m’arrêter à de vains amusements, et la connaissance que vous avez de ma conduite, jointe aux journaux que je vous ai envoyés quelquefois de mes voyages, sont des moyens plus que suffisants pour confondre les infidèles rapports que l’on vient de vous faire sur mon compte. » On ne s’arrêterait pas ici à faire mention de ces petites calomnies dirigées contre un homme d’un si beau caractère, si heureusement elles ne lui eussent fourni l’occasion d’adresser à son ami Du Plan le récit succinct d’une tournée de deux mois entiers, que cet infatigable ministre accomplit dans le Languedoc, de mai à juillet 1728, et qui présente le tableau fidèle d’une course de ce genre, alors si utile et si aventureuse[46]. On pourra juger quelle était la vie de ces pasteurs de la renaissance du culte après la guerre des Camisards.

1728.« Après le mois d’avril, je travaillai à composer les pièces qui devaient me servir pendant la visite générale que je méditais de toutes les églises des Cévennes et du bas Languedoc : cela achevé je me mis en campagne et j’assemblai le jour même, dans la nuit, les églises de Nîmes, de Caveirac et de Milhau, etc. L’assemblée fut nombreuse ; elle surpassa par cet endroit toutes celles qui s’étaient faites depuis longtemps dans le même lieu ; bon nombre de nouveaux embarqués n’y contribuèrent pas peu ; tout y fut tranquille, quoique deux catholiques romains, qui étaient à l’affût, eussent aperçu une foule de gens qui se rendaient de trop bonne heure sur la place. — Deux autres catholiques, qui allaient de Nîmes à Calvisson, furent arrêtés sur leur chemin par une troupe de nos gens et conduits sur la place ; leur peur ne fut pas petite, surtout lorsqu’on leur fit quitter le grand chemin pour traverser une guarigue[47]. L’assemblée finie, on leur donna le congé et on leur commanda le secret. Ils le tinrent : et il ne fut pas au pouvoir de l’un des nôtres, qui était leur voisin, de leur faire confesser leur aventure. Ils disaient bien en général qu’il leur en était arrivé une fâcheuse ; mais lorsqu’il était question de savoir quelle, ils les payaient d’un : Nous ne pouvons pas vous le dire. La convocation de cette assemblée fut pourtant sue ; l’évêque de Nîmes en fut informé dès le grand matin, aussi bien que les officiers du château ; mais cela n’eut point de suites. Il n’y eut que les missionnaires dont je vous parlai dans la précédente qui firent du vacarme. Ces charlatans osèrent publier en chaire, que le prédicateur de cette assemblée avait fait plus de mal en une seule nuit, qu’eux n’avaient fait de bien dans toute leur mission.

« Le mercredi, j’assemblai l’église de Calvisson et celles de son voisinage. Il ne se passa rien de particulier dans cette assemblée : tout y fut tranquille ; le nombre des communiants n’y fut pas aussi considérable qu’à la précédente, parce que, quoique très-nombreuse, elle ne l’était pas autant. Je me transportai de cette assemblée du côté de Sommières, où j’assemblai, le 7 mai.vendredi, l’église de cette ville, celle de Lunel, de Marsillargues. L’assemblée fut nombreuse. Bon nombre de gens de distinction, qui n’avaient pas encore paru, firent leur première sortie. L’église de Marsillargues se signala surtout sur cet article. Si une seconde assemblée eût suivi de près cette première, selon toute apparence, les catholiques seraient restés seuls. Mais n’est-il pas écrit : Soyez prudents.

« Le dimanche suivant, je convoquai l’église de 9 mai.Beauvert, de Beauvoisin, etc. Les précédentes assemblées avaient été éclairées par des flambeaux ; celle-ci le fut par l’astre du jour, et ne se passa pas moins heureusement que s’il avait été de nuit. Quelle différence pour la dévotion ! La Pentecôte approchant me prescrivit la retraite et le silence. C’est une de nos maximes de ne point faire de convocations pendant les fêtes solennelles, parce qu’alors, ainsi que je vous l’ai dit autrefois, les détachements roulent beaucoup plus qu’à l’ordinaire.

20 mai.« Je ne me remis en campagne que le jeudi. Sur mon chemin, j’appris que M. Betrine convoquait ce soir-là une assemblée ; je m’y rendis. Je partis de là 21 mai.pour Saint-Hippolyte-de-Catou, où j’assemblai le vendredi l’église de ce lieu et celles des environs ; quelques 23 mai.personnes de votre ville s’y rendirent. Le dimanche je convoquai les églises de Vendras et de Lussan, et le 24 mai.lundi celles de Saint-Laurent et de Saint-Quentin ; le mercredi celle d’Uzès et de Montaren ; le jeudi celle 26 mai. 27 mai.de Garrigues et de Foissac. Il ne se passa rien de particulier dans ces assemblées ; on y vit seulement, comme à plusieurs autres, plusieurs personnes qui n’avaient jamais paru à nos sociétés religieuses ; tout y fut tranquille, M’étant rendu à Nîmes pour une affaire particulière, j’en partis le lundi et j’assemblai, le soir même, celle de cette ville, celle de la Calmette31 mai. et de Saint-Geniès. Avant de sortir de la ville, on vint me dire que l’assemblée était vendue ; je ne laissai pas que de partir. Sur la porte de la Bouquerie, je vis une troupe de soldats, et un peu plus loin une troupe d’officiers, qui fixèrent les yeux sur un cavalier que j’avais avec moi. Ces deux troupes me firent craindre qu’on n’eût accusé juste sur l’avis qu’on venait de me donner ; mais je n’en continuai pas moins mon chemin, persuadé que l’assemblée se tenait un peu trop loin de la ville pour être suivie, et que, s’il y avait quelque chose à craindre, ce ne serait qu’en revenant, et qu’alors il ne manquerait pas de moyens pour rendre inutiles les soins des soldats. Nous eûmes un autre obstacle : ce fut une nuit obscure, accompagnée de pluie, obstacle qui fit que plusieurs errèrent pendant la nuit sans trouver l’assemblée. Je rencontrai sur mes pas une troupe errante à laquelle il fallait que je servisse de guide. Nous essuyâmes, avant la prédication, un revers de pluie ; peu s’en fallut qu’elle ne nous trempât tout à fait ; il cessa, ce revers, et la pluie nous laissa aller tranquillement achever notre exercice. Il n’en fut pas de même au retour ; elle se renforça. Heureuse encore l’assemblée de n’avoir à se défendre que contre la pluie : les soldats ne firent point de sortie. Le mardi je convoquai les1 juin. églises de Lédignan, de Lascours, de Cruvière. M. Claris, qui devait m’accompagner dans les hautes Cévennes et dans la montagne, me vint joindre. L’assemblée congédiée, nous partîmes, et nous nous rendîmes du côté de Brenoux, où nous assemblâmes le jeudi cette église avec une de ses voisines.3 juin.

« Quelques personnes de votre ville voulurent être de la partie ; mais une pluie très-forte, qui nous surprit en chemin, fit décamper tous ceux qui s’étaient rendus sur la place de bonne heure. Les fidèles qui étaient avec moi, et qui n’étaient pas en petit nombre, ne perdirent pas courage. Nous nous rendîmes sur le lieu, malgré la pluie : avant que d’y arriver, nous rencontrâmes une troupe de gens qui s’en retournaient chez eux, et qui nous apprirent que tous avaient déserté ; nous ramenâmes ceux-ci, et nous rappelâmes par le chant d’un psaume les moins éloignés. La prédication fut ouïe et la sainte Cène célébrée de même que si le temps avait été beau ou 5 juin.moins mauvais. Le samedi matin, j’assemblai les églises de la Chamborigaud et de Castagnols. Cette dernière église, qui se distingue de bien d’autres par son zèle et par son courage, me fournit l’occasion d’exercer les principales fonctions de mon ministère. Ce jour même nous furent présentés cinq enfants pour être baptisés et autant de mariages pour être bénis. 6 juin.Le lendemain dimanche furent convoquées les églises de Genolhac, Frugère et du Pont-de-Montvert, et où assista encore l’église de Castagnols. L’assemblée fut très-nombreuse. On y vit ce qui n’avait point été vu depuis la révocation ; cinq enfants baptisés à la tête de l’assemblée. Cette cérémonie attendrit le cœur de tous les assistants, et des larmes furent aussi répandues pendant la prédication. La pluie nous incommoda, non seulement pendant la cérémonie, mais encore après. L’exercice achevé, la pluie ayant cessé, les uns se retirèrent et les autres prirent leur réfection sur le lieu. Là, se virent un grand nombre de cercles de personnes assises sur le gazon qui, avec simplicité, prirent un sobre et simple repas, composé des aliments que chacun a soin d’apporter de chez soi, et qui se termina par le chant d’un sacré cantique. C’est ainsi qu’on en use ordinairement dans les assemblées de ce pays. Avant que de quitter le lieu, je bénis cinq mariages.

« Le prédicateur du quartier m’ayant fait connaître qu’il restait encore des fidèles sur la Lozère, où nous étions, qui n’avaient pas pu assister à cette assemblée à cause du trajet, nous en convoquâmes un autre le lendemain lundi matin à une lieue de la première. Elle ne fut pas moins nombreuse que la précédente. Mais, mon Dieu, que de pluie tomba pendant la prédication et la célébration de l’Eucharistie ! À peine néanmoins auriez-vous aperçu quelque altération dans cette assemblée, tant ces fidèles montagnards sont accoutumés au mauvais temps, ou pour mieux dire, tant leur faim de la sainte parole est grande et leur zèle empressé. Je leur dois ce témoignage que, dans leur pays, il y a en général un grand nombre de bonnes âmes. Nous quittâmes la montagne, et le mardi, 8 juin. nous convoquâmes l’église de Florac et ses voisines ; le jeudi d’après celles de Saint-Julien, de Pradal, Saint-Germain-de-Calberte10 juin.. L’assemblée congédiée, je retins les députés des églises, qui composaient le colloque général, ou le synode de ce canton-là, que j’avais mandé… Je bénis en leur présence cinq mariages. Tairai-je une autre circonstance ? Un soldat qui montait de Pont-de-Montvert et qui allait sans doute à une des garnisons voisines, s’étant aperçu de quelques troupes de nos gens qui s’en retournaient après l’assemblée, fut saisi d’une telle terreur qu’il n’eut de jambes que pour retourner sur ses pas, mais avec un peu moins de lenteur qu’il n’était venu. Cette aventure, rapportée au commandant de Pont, jointe à d’autres avis qu’il avait eus concernant ces assemblées, qui venaient de se tenir sur la montagne, l’intrigua beaucoup ; mais dissuadé par un de ces hommes à qui le nicodémisme[48] donne du crédit, il ne se donna pas d’autres mouvements.

12 juin« Le samedi, nous assemblons l’église de Barre, où assista encore celle de Florac. Pendant l’exercice les nuées nous annoncèrent beaucoup de pluie : mais nous ayant épargnés jusqu’à la fin, la bénédiction fut à peine prononcée que le tonnerre, mêlé d’orage, se mettant de la partie, elles versèrent sur nous des torrents de pluie. Un temps si incommode inspira à chacun le dessein de chercher un asile. Trois prédicateurs que j’avais avec moi, et une vingtaine de personnes, nous fûmes nous camper sous un rocher, où nous prîmes une médiocre réfection. La pluie ayant un peu discontinué, nous nous mîmes en marche, ayant pour plus de quatre heures de chemin à faire ce jour-là. Mais comme si la pluie n’avait discontinué que pour nous inviter à partir, et nous faire éprouver ensuite sa rigueur, elle ne nous vit pas plutôt hors de notre asile que, reprenant son premier train, elle ne nous quitta plus jusqu’à notre rendez-vous. Mais pourquoi, direz-vous, s’exposer soi-même et exposer les autres à un temps si rigoureux ? J’ai deux choses à répondre : la première, que le pays où nous éprouvions tous ces événements fait voir tous les jours ce qu’on vit du temps d’Élie, que du sein du temps le plus beau naissent de petites nuées qui s’épaississent peu à peu et tombent en torrents d’eau ; la seconde, que les fidèles qui composent les assemblées n’étant pas d’un même lieu, mais dispersés en des lieux différents, quelquefois trois et quatre lieues autour, demandent du temps pour en être avertis. Si c’est la nuit que l’assemblée doit être tenue, il en faut donner avis pendant le jour ; si c’est le jour, il faut bien avertir le jour qui précède. Lorsque la commission se donne le temps est beau ; mais il arrive souvent qu’avant qu’elle soit exécutée, le temps est changé. Il n’y a pourtant plus moyen de reculer ; les fidèles sont venus de loin, l’âme est affamée ; les prédications sont rares. Le beau temps s’étant rétabli nous invita à remplir un dessein que nous avions formé ; c’était de rassembler les églises de Vebron, de Rousses et une partie de Saint-André-de-Valborgne.

L’assemblée fut tenue le dimanche matin. Pendant13 juin. l’administration de l’eucharistie, on vint me dire que le curé de Vebron avait prôné en chaire que ce jour-là se tenait une assemblée : et cet ecclésiastique, qui ne se crut pas moins en droit de porter l’épée que les clés, se mit à la tête du détachement qui se trouvait en ces lieux, et dirigea sa marche où il soupçonnait que se trouvait l’assemblée ; mais soit qu’il n’en sût pas positivement le lieu, soit qu’il manquât de courage, il s’en retourna du premier hameau sans rien faire. L’escapade de cet homme n’interrompit pourtant pas notre exercice qui se continua et s’acheva (béni soit l’auteur de tous nos biens !) fort tranquillement et fort heureusement. Partant de là, nous assemblâmes 14 juin.le lundi matin les églises de Valleraugue, des Plantiès, et l’autre partie de celle de Saint-André. De là, nous étant rendus du côté de Meyrueis, nous étions résolu d’en assembler l’église le mardi matin. Mais une compagnie de soldats qui descendaient de Pradels, et qui étaient de couchée dans cette ville, détourna mal à propos les conducteurs des assemblées de cet endroit de donner avis de notre dessein à cette église ; ainsi obligés de retourner sur nos pas sans rien faire, nous nous rendîmes à une assemblée que nous avions fait convoquer de plusieurs églises : 16 juin.c’était le mercredi matin. Cette assemblée était double ; là étaient les députés des églises du haut Languedoc, de Meyrueis, du Vigan, et de tout ce canton qui, ayant demandé en plusieurs synodes qu’il en fut tenu un chaque année sur la montagne de l’Aigual, et leur demande ayant été accordée, s’étaient rendus dans ce lieu pour la première fois. Après l’exercice fini, ayant campé sur le gazon, ce nouveau corps commença à délibérer sur le sujet qui l’assemblait. Trois choses furent mises en délibération et conclues : la première, le retour de M. Roux fondé sur la délibération du dernier synode, sur la nécessité des églises, et sur le préjudice qu’un plus long délai causerait aux autres prédicateurs, tendant comme lui à la perfection des sciences salutaires ; la deuxième, le dénombrement des protestants, conformément à la réquisition du ministre de M. l’ambassadeur de Hollande ; la troisième, un jeûne général ; la quatrième fut mise sur le tapis à l’occasion d’un jeune homme qui s’était mêlé de prêcher, mais de qui les mœurs ne répondaient pas à la profession ; il fut congédié. »

« Le vendredi dans la nuit, nous assemblâmes les églises du Vigan, d’Aulas, de Molières, d’Aumessas. L’assemblée fut des plus nombreuses. Ceux qui demeurent dans le plus bas nombre la portèrent à trois mille ou environ. Il faudrait bien des mesures et bien des précautions pour la faire là autrement. Là, parurent un grand nombre de gens de distinction. Mais comme les fidèles du Vigan se rendaient à l’assemblée, Daudé, subdélégué, étant à la promenade et ayant aperçu quelques troupes, dit à quelques-uns de grosses paroles peu convenables à son rang : mais ces paroles n’intimidèrent personne. M. Daudé, de son côté, ne fit pas d’autres démarches. Je vous l’avoue, je ne laissai pas toutefois de craindre beaucoup pour cette assemblée ; tout y fut néanmoins tranquille, et chacun se retira chez soi heureusement. Ô que la protection divine est un asile assuré ! Mille fois heureuse la société qui, dans tout temps, et dans des alarmes, y cherche son refuge ! » 19 juin.

« La nuit du samedi au dimanche, nous assemblâmes les églises de Roquedur, de Saint-Laurent ; le matin du dimanche, celles de Ganges, de Sumène et de Saint-Hyppolite-du-Château. La pluie, qui nous avait quittés pendant quelques jours, nous revint visiter ce jour-là. Elle tombait roide le soir sur le dos de mes deux collègues et de moi. À cet orage succéda un temps très-beau qui nous invita à convoquer 22 juin. pour le lendemain les églises de Quissac et de Canne. Cette assemblée fut suivie d’une autre, composée des églises de Lesan et de Fornoc. Mais continuellement touchés du malheur de ces fidèles que la pluie du 3 juin avait fait décamper sans entendre la prédication, nous résolûmes ici, tant pour les dédommager que pour satisfaire le désir empressé de plusieurs fidèles qui n’avaient pas pu assister à nos autres assemblées, 26 juin.de leur accorder la consolation qu’une très-pressante faim nous demandait. C’est ce que nous fîmes la nuit du samedi. Le mardi suivant j’assemblai 29 juin.
2 juillet.
les églises d’Alais, de Saint-Paul-Lacoste et de Générargues, et le vendredi, celles de Peyrol, de Saumane, de Saint-Roman, de Moissac. Je réservai le dimanche pour assembler les églises de Saint-Jean-de-Gardon, de La Salle, d’Anduze. L’assemblée fut belle et nombreuse. Le paysan s’y vit accompagné du noble et du bourgeois. Si le calcul est juste, quatre pauses de psaume et tout le cantique xie furent chantés pendant la communion, qui se fit pourtant fort à la hâte ; pressés que nous étions par les rayons ardents du soleil qui donnait perpendiculairement sur nos têtes, et nous servant d’ailleurs d’une coutume qui, dans son usage, fait qu’un pasteur aidé d’un ancien fait communier presque autant de personnes que s’ils étaient deux. Mais pourquoi, vous dira-t-on peut-être, des assemblées si nombreuses ? N’en craint-on pas les conséquences ? Il est des lieux où il serait bien difficile de les faire d’une autre manière. Le nombre des fidèles y est grand, le zèle empressé, la faim dévorante, les prédications rares, les pasteurs encore plus ; on épie l’occasion, on s’en saisit ; et pour éviter le trop grand nombre, il faut que le pasteur se cache, qu’il use de stratagèmes comme à la guerre ; on le suit à la piste. Il y avait huit jours que des fidèles de ces lieux étaient en mouvement pour épier cette dernière occasion. Et l’économe du père de famille peut-il interdire aux enfants de la maison le pain sacré de la parole, ce pain qu’on lui demande non seulement avec empressement, mais même avec larmes. Non, dira-t-on, mais il faudrait multiplier les assemblées ; voilà qui est bien, mais il faudrait multiplier le nombre des pasteurs. »

« Il est temps que j’achève le catalogue de mes assemblées ; j’en vais faire la clôture par celle qui se tint le lundi dans la nuit, composée des églises de Monoblet,5 juillet. de Sauve et de Durfort. Ces différentes assemblées, prises dans le total, pouvaient monter au-delà de trois mille personnes. Dans toutes, nous avons administré la sainte cène ; dans aucune, nous n’avons eu aucune alarme ; dans presque toutes, nous avons reçu des gens à la paix de l’église, à qui la sainte cène avait été interdite, ou pour avoir solennisé leur mariage dans l’église romaine, ou pour y avoir fait baptiser leurs enfants. Dans le cours de ma visite, j’ai béni environ quinze mariages, et baptisé autant d’enfants. Mais qu’il serait à souhaiter que le nombre en eût été plus grand, et qu’il est affligeant en même temps que tous n’aient pas le même zèle et le même courage, et qu’il soit des gens assez lâches pour faire bénir leurs mariages et baptiser leurs enfants dans une église où un morceau de pâte est adoré à la place du Créateur. Je vous l’avoue, cette indigne conduite en a découragé beaucoup. Invitez quelqu’un de nos amis à écrire sur la matière pour nous aider à bannir, s’il est possible, du milieu de nos églises, un si détestable et criminel usage. »

« Vous ferais-je remarquer pour la fin que tant d’ouvrage demande beaucoup. Mais ce serait peu que la prédication et l’administration de la sainte cène, s’il ne fallait, après avoir vaqué à ses fonctions, faire de longs trajets, et si, arrivant dans une assemblée, le pasteur pouvait prendre quelque repos. Mais le moment qu’il arrive à l’assemblée est épié par mille personnes qui, chacune, a un mot à lui dire, ou un cas de conscience à lui exposer. Là, quatre heures entières l’attendent ensuite pour le voir debout et bien occupé ; il est trop aimé, il est trop rare, pour trouver là la fin de son travail. Il faut qu’il essuie les compliments d’une foule de gens qui se jettent sur lui, dont il n’y en a aucun qui ne lui baise la main et ne lui demande l’état de sa santé. Cela finit pourtant. »

Nous avons cité ce long extrait du rapport d’une visite pastorale du ministre Court, parce que nulle autre pièce n’aurait pu donner un tableau aussi fidèle et aussi vrai des travaux de ces prédicateurs, qui se consacrèrent à ranimer le culte protestant, et à réorganiser l’église. On remarquera avec quelle profonde simplicité, et sans prétendre s’en attribuer le moindre mérite, les pasteurs de cette époque relatent des courses de près de cent lieues, dans la position la plus difficile, environnés de mille dangers[49]. Cette pièce est également précieuse, comme nous permettant d’apprécier l’état précis du culte, des exercices, et des populations protestantes, dans la seule partie du royaume, où les églises se fussent rassemblées de nouveau, où le culte eût repris quelque régularité, et tout cela se passait dans un pays couvert de garnisons, pour ainsi dire, sous le feu même des troupes qui avaient l’ordre de s’y opposer.

Il est évident, par les faits de cette tournée, que le culte renaissait plus rapidement peut-être qu’on n’eût osé l’espérer, et que tous les jours, de nouveaux membres qui s’étaient tenus à l’écart, se ralliaient à la cause persécutée. Sans doute, de pareilles visites accomplies avec un si singulier mélange de courage et de prudence durent puissamment contribuer à hâter ces résultats. On croit aussi démêler, dans les circonstances des travaux des ministres de cette époque, les causes toutes populaires, qui portaient les protestants d’alors à montrer cette faim dévorante d’un culte dont l’exercice les exposait à tant de tracasseries et de dangers. L’imagination de ces mêmes populations, qui avaient vu la guerre civile encore récente et tous les restes de l’ancien esprit camisard, devait trouver à la fois un aliment et un triomphe dans ces assemblées solitaires, ces exercices aux flambeaux, ces inquiétudes d’espions à l’affût, ces convocations secrètes, ces communions rares et dangereuses, ces baptêmes et ces mariages tardivement célébrés par les ministres au détriment des prêtres, ces adhésions de frères plus timides qui se ralliaient à la vieille cause, ces chants de psaumes par lesquels les bandes se reconnaissaient et s’appelaient de loin ; enfin, dans la vue de ces détachements qui battaient le pays, et dont chaque traînard isolé s’enfuyait épouvanté devant les réunions. On connaissait aussi le zèle de quelques curés toujours vigilants pour éclairer les retraites des huguenots. On aimait tous les accidents d’une vie religieuse dont les actes se passaient au milieu de dangers sans cesse renaissants, souvent au milieu du silence des nuits ainsi que du fracas des orages. Alors on croit comprendre la puissance des ministres sur les populations, les actes de respect et d’affection touchante, qui signalaient l’arrivée des pasteurs proscrits bravant des lois cruelles pour consoler des proscrits comme eux. Toutes ces précautions, tout ce mystère, cette poésie de foi et de souvenirs expliquent pleinement la perpétuité d’un culte, exercé par des ministres chéris, au sein de populations exaltées par leurs souffrances mêmes, et dont presque toutes les familles comptaient quelque membre qui avait été puni à cause de l’évangile.

En rentrant dans la série des faits historiques dont ces réflexions nous ont écartés, il faut reconnaître que dans la vaste province du Languedoc et le district montagneux des Cévennes, les églises s’étaient ralliées et s’étaient retrouvées nombreuses et zélées. Elles présentaient encore des masses importantes de population dix-huit ans après la paix d’Utrecht et la cessation définitive de la dernière guerre de religion. Cependant, là où les fidèles abondaient le plus, c’étaient surtout les pasteurs qui manquaient ; non que les lois capitales qui pesaient sur eux et dont plusieurs furent victimes à cette époque et plus tard, fussent la cause de leur petit nombre ; au contraire, on voit sans cesse que les synodes étaient plutôt embarrassés du nombre de ceux qui se présentaient, puisque chaque assemblée prit quelques mesures pour interdire ceux qui s’offraient sans garantie et sans autorisation. Si le zèle d’un peuple aigri par tant d’intolérance, et aiguisé par l’oppression, peut revivre tout à coup, ce dut être une œuvre et plus difficile et plus lente que de lui fournir des pasteurs instruits, dont la science répondît au zèle, et qui appuyassent leur vocation des ressources et des moyens d’action d’une éducation soignée, en juste rapport avec la délicatesse et la gravité des devoirs de leur charge. Ainsi seulement le fanatisme pouvait être guéri sans retour. Mais en France, et dans l’état de la législation concernant les religionnaires, la fondation d’un séminaire pastoral était une entreprise à laquelle personne ne pouvait raisonnablement songer. Il paraît que cette question d’une si haute importance occupa longtemps le ministre Court et ses collègues. Ses visites pastorales en Languedoc, et celles du ministre Chapel en Poitou et Saintonge (1728), avaient constaté que les protestants étaient groupés encore bien plus qu’on ne l’avait cru. Le ministre Roger avait acquis la même certitude (1715) pour le Dauphiné. Dès lors, les ministres du Languedoc, et spécialement A. Court dont les tournées avaient si bien fait apprécier l’état des communautés, aidé de son ami Duplan, d’Alais, reconnut la nécessité de choisir une ville protestante hors de France, qui pût réunir aux conditions de posséder des professeurs habiles, l’avantage d’une académie, d’un gouvernement tolérant, et de fidèles généreux et tendres, disposés à veiller sur la direction et sur les besoins de cette école des ministres du désert. Genève fut écarté comme excitant trop de soupçons en qualité de centre protestant. On adopta Lausanne. Court fit un voyage en Suisse ; il rédigea des mémoires, il décrivit l’état des choses, et il n’eut pas de peine à démontrer que le terrain tout disposé manquait de conducteurs habiles, et que la cause protestante française dépendait du choix et du nombre de ministres convenables. Partout il excita l’intérêt en faveur des fidèles sous la croix. Partie des souscriptions que la Suisse, l’Angleterre, la Hollande et l’Allemagne faisaient passer aux confesseurs pour cause de religion, ou qu’elles destinaient hors de France à l’entretien d’asiles pour les réfugiés indigents ou au soutien de leurs églises ; enfin plusieurs souscriptions spéciales fournirent les moyens de défrayer les jeunes proposants, qui se sentaient, comme disait le ministre Court, la vocation pour le martyre.

Toutes ces considérations réunies donnèrent lieu à la fondation du séminaire de Lausanne, établissement qui devint une ressource des plus précieuses pour les églises persécutées. Cette fondation marcha de front avec les premiers travaux qui furent entrepris, lors de la renaissance du culte. À peine les églises se furent-elles reconnues et comptées, que leurs pasteurs songèrent à peupler les rangs du ministère de sujets instruits. La position des populations, le fanatisme si nouvellement assoupi, les lois cruelles qui demandaient chez les pasteurs tant de fermeté et tant de prudence, tout se réunissait pour rendre les fonctions pastorales aussi graves que difficiles. L’avenir des églises réformées de France dépendait donc du succès de ce plan. Ce fut encore le pasteur Antoine Court et ses premiers collègues qui eurent l’honneur d’une si importante entreprise, dont la nécessité leur apparut dès leur entrée dans la carrière. On désire connaître les premières démarches qui furent faites à ce sujet, les obstacles qu’il fallut vaincre et les puissances qu’on dut songer à se concilier. Parmi les appuis que ce projet rencontra, nous devons citer en première ligne le gouvernement de Berne, à qui Lausanne ressortissait, et aussi quelques hommes zélés dans la cour d’Angleterre, surtout l’archevêque Wake, dont la mémoire mérite la reconnaissance des protestants français[50]. On va juger, par le précis rédigé par Antoine Court lui-même, des immenses difficultés qu’il eut à vaincre, et aussi de l’urgence d’une école dont on lui dut en grande partie la création.

« Une chose essentielle manquait, disait-il, c’était des prédicateurs ; un seul de tous ceux qui existaient alors pouvait me seconder, et il le fit efficacement : il s’appelait Corteis. Il ne s’était point trouvé à la première assemblée synodale que j’avais convoquée, parce qu’il était alors auprès de sa femme dans les pays étrangers. À son retour, il n’approuva pas seulement ce que j’avais fait ; il entra aussi dans toutes les vues que je me proposais pour l’avenir, et il fit tout ce qui était en son pouvoir pour les faire réussir. Tous les autres prédicateurs étaient des gens d’un certain âge et peu capables. Celui de tous qui pouvait nous donner quelque espérance nous fut enlevé en 1717, et il souffrit le martyre à Alais en janvier 1718[51].

« C’est alors que mes vues se tournèrent de tous côtés, pour déterrer des jeunes gens qui voulussent se prêter aux vues que je me proposais. J’en tirai de la charrue, des boutiques des artisans, de celles des marchands et de derrière les bancs des procureurs. Il y en avait qui ne savaient pas même lire, et à qui je servis tout ensemble et de maître d’école et de catéchiste pour les instruire dans la religion. En leur apprenant celle-ci, je les formais en même temps à la prédication. Plusieurs dans la suite furent faits ministres et servirent utilement les églises.

« Mais le nombre était peu considérable, et la moisson devenait tous les jours plus abondante. Ce fut à cette époque que je commençai d’écrire dans les pays étrangers pour leur demander des ministres. Ce fut dans ce dessein que j’écrivis à Londres, en Hollande, en Suisse et à Genève. Mes lettres étaient des plus pressantes et contenaient les tableaux les plus propres à émouvoir. Combien ne cherchais-je pas à les exciter à jalousie, et à faire naître chez eux une salutaire confusion, en leur représentant des cardeurs de laine, des tailleurs d’habits, des garçons de boutique, des jeunes gens sans étude qui remplissaient l’œuvre à laquelle ils avaient été appelés eux-mêmes, et qui vérifiaient à la lettre ces paroles de l’Évangile : Si ceux-ci se taisent, les pierres mêmes parleront. Mais toutes mes semonces furent inutiles. Elles n’engagèrent pas même un pasteur à rentrer dans le royaume. C’eût été augmenter les dangers du troupeau ! La grande raison était qu’on ne se sentait pas de vocation pour le martyre ; et le martyre, dans cette périlleuse mission, était comme inévitable.

« Après cela quel parti restait à mon zèle ? Je n’en vis pas d’autre que celui de l’établissement d’un séminaire, où les jeunes gens en qui je trouverais le plus de bonne volonté pour se consacrer au salut de leurs frères, pussent être envoyés pour y acquérir les lumières et les connaissances nécessaires, et s’y mettre en état de servir ensuite les églises avec fruit. Mais il fallait pour cela des secours, et les églises n’étaient pas en état elles-mêmes de les fournir. Comment l’auraient-elles pu ? elles qui, jusqu’alors, n’avaient pas même pu assigner des émoluments à ceux qui sacrifiaient tous les jours leur vie pour elles, et qui, lorsqu’elles commencèrent à le faire, ne purent porter ces émoluments, ainsi que je le réglai moi-même dans un synode, qu’à environ 3 liv. sterl. par an pour chacun.

« Il fallait donc chercher ailleurs ces secours ; mais où les trouver, si ce n’est parmi les puissances de notre communion. C’est aussi de ce côté-là que je portai toutes mes vues, et ce fut alors que je commençai à travailler à les intéresser à cette bonne œuvre. Je le fis en écrivant à des personnes que je savais être remplies de zèle et en crédit auprès desdites puissances. C’est en particulier ce que je fis en 1720, en me donnant l’honneur d’écrire à milord Wake, cet illustre primat si digne d’avoir été le prédécesseur de celui qui occupe aujourd’hui avec tant de gloire le même siège épiscopal.

« Après avoir commencé à donner à cet illustre prélat une idée courte de la manière merveilleuse dont Dieu avait commencé à réparer les brèches que la violence, l’apostasie et le défaut de zèle, le fanatisme, le relâchement, avaient fait à son église en France ; après lui avoir parlé du rétablissement de la discipline, des consistoires, des synodes, du nombre des églises qui étaient déjà formées, du petit nombre d’ouvriers qu’elles avaient pour les desservir, de l’abondance de la moisson, et de la nécessité d’avoir des missionnaires, je le conjurais d’en entretenir Sa Majesté Britannique, et de porter cet auguste prince à honorer de sa protection royale et des riches effets de sa bénéficence, ces églises qui renaissaient de leurs cendres. Le prélat fut touché du contenu de ma lettre. Il eut la bonté d’en parler au roi, qui en fut touché aussi, et qui promit de s’intéresser en leur faveur. » (Mss. des arbitres, par Court, p.3 et 4. Mss. P. R.) Tout en admirant la sagesse des plans du pasteur Antoine Court en faveur de la pépinière des pasteurs persécutés, on ne peut s’empêcher de faire un retour sur les conséquences des édits et sur la manière dont les églises étaient alors gouvernées par la cour de Versailles. N’est-ce pas un triste spectacle de voir les pasteurs obligés de se cacher comme des coupables pour fonder des établissements si utiles à la France, et contraints pour cela d’avoir recours aux souverains de la Grande-Bretagne ? Ce sont des choses qu’il faut s’empresser de rapporter, de peur que la postérité ne se montre incrédule.

Ce fut par tous ces moyens réunis et par quelques dons assez rares qu’on obtenait des églises mêmes, qu’il fut pourvu aux études et à l’entretien personnel de ces étudiants d’un nouveau genre, qui travaillaient assidûment à pouvoir braver un jour les lois intolérantes de leur patrie. Les épreuves furent abrégées autant que le permettait la nécessité d’une instruction suffisante ; en général, ils ne quittaient le séminaire qu’au bout de deux ans. Ces mesures ne purent être préparées ni conclues que moyennant le plus profond secret. La cour de France y eût apporté des obstacles dans l’intérieur en même temps qu’elle eût fait agir son résident auprès de la diète 1722.
1727.
Suisse. Ce projet important ayant été exécuté par A. Court, au milieu des travaux les plus variés de son ministère, enfin il détermina ses collègues à laisser fléchir, sur ce point, la discipline devenue inexécutable, et à prendre à cet égard une mesure générale, au moyen de l’acte suivant : « Ce dimanche, 15e jour du mois de mai 1729, a été convenu entre nous, pasteurs et prédicateurs du désert en France, qu’à l’avenir nous donnerons permission à tous nos frères qui aspirent au saint ministère, et en qui nous trouvons les qualités requises, de se faire recevoir dans les académies du pays étranger, supposé que la Providence les y conduisît munis de nos attestations, et nous sommes signés : Corteis, Court, Claris, Roux, Roger, Maroger, Bétrine, pasteurs ; Rouvière, Bourbonnous, prédicateurs. » (Or. mss. P. R.) Telle fut l’origine du séminaire de Lausanne, qui a fourni des pasteurs à toutes les églises de France, pendant le reste du xviiie siècle. Bientôt A. Court lui-même alla s’y fixer ; il devint le véritable directeur et l’âme d’un établissement dont ses courses apostoliques lui avaient démontré toute la nécessité ; il assuma de plus les fonctions d’agent volontaire des églises françaises pour les affaires ecclésiastiques, choisissant ainsi une position heureuse où il pouvait à la fois correspondre sans danger avec Paris, et servir de son expérience ces jeunes ministres qui, à son exemple, briguaient la simple et noble fonction de pasteurs du désert. Nous aurons plus d’une occasion de revenir sur les services éminents de cet établissement si nécessaire, dont l’existence ne tarda pas à être connue à Paris. Le gouvernement de Louis XV reconnut bientôt qu’il en pourrait retirer fort indirectement d’utiles secours pour l’administration du midi. Ainsi Louis XIV et ses intolérants conseillers avaient cru ruiner sans retour toutes les académies protestantes de ses États, et ôter pour jamais cette ressource précieuse à ses sujets réformés ; et voici que moins de quinze ans après sa mort ces mêmes populations, non seulement formaient des assemblées de plusieurs milliers de personnes en Languedoc, mais elles trouvaient dans leur zèle et dans la sagesse de quelques ministres dévoués, le moyen de fonder une sorte d’académie étrangère, qui continua silencieusement l’œuvre qu’on croyait ensevelie sous les ruines des collèges de Saumur, de Sedan, et tant d’autres célèbres écoles. D’ailleurs, la pénurie des pasteurs était telle à cette époque, et, d’un autre côté, les mesures d’Antoine Court avaient déjà produit tant de fruit, que nous voyons à un synode national, de 1726 (16 mai), qu’il se trouva réuni trente-six anciens, seulement trois pasteurs, et neuf proposants. Cette assemblée, sans doute pour rendre les réunions religieuses moins prolongées et moins périlleuses, crut devoir prendre, dans son art. 16, une mesure assez singulière contre les sermons exubérants : « Les pasteurs et prédicateurs prendront garde de régler leurs prédications d’environ une heure et quart, pour prévenir le danger et ne pas lasser l’attention des auditeurs. » (Mss. Nag.)

Toutefois, ce n’était qu’au milieu de difficultés sans cesse renaissantes, et souvent de grands malheurs, que cette reconstruction avançait. À mesure que les églises voyaient leur nombre et leur zèle s’augmenter, les convocations synodales embrassaient plus de provinces ; mais aussi ces travaux éveillaient davantage le zèle des intendants, les poursuites de la magistrature ; de sorte que l’œuvre devenait plus périlleuse en grandissant : surtout les communications des provinces entre elles, et tout ce qui pouvait rappeler une affiliation générale de tous les protestants du royaume, attirait un redoublement de précautions et d’intolérance. Le Dauphiné, par acte signé P. Durand, modérateur, et Fauriel, dit Lassagne, secrétaire, accueillit 1730.
22 septemb.
les députés des églises du Languedoc ; l’année précédente les églises du Bas-Languedoc et des Cévennes envoyèrent aux provinces de Rouergue, Guyenne, Saintonge et pays d’Aunis, et Poitou, le pasteur Bétrine et le proposant Grail ; tous deux sont 1729.
9 août.
recommandés à ces églises persécutées « comme des victimes qui vont s’immoler pour leur service. » La première de ces pièces porte le cachet des églises de France ; ce cachet représente la religion sous les traits d’une femme d’une pose ferme, levant ses yeux vers le ciel, avec l’exergue : Le triomphe des fidèles sous la croix. La seconde est revêtue d’un sceau différent, mais d’un travail beaucoup plus soigné, tant pour les lettres que pour la gravure en creux ; c’est une barque à un mât, exécutée avec un fini admirable de détails ; les flots sont sur le point de l’engloutir ; les matelots paraissent en prières, et la voile est pliée ; à l’entour on lit en lettres d’une grande délicatesse : Sauve-nous, Seigneur, nous périssons. Il paraît que l’usage de ces sceaux était fort rare, ou bien qu’on y renonça de bonne heure dans ce siècle ; car dans la multitude d’actes synodaux et de pièces authentiques que nous avons examinés, nous n’avons rencontré que les deux précédentes qui portassent ces symboles de triste et glorieuse mémoire. (Or. mss. P. R.) Grâce au zèle des fidèles, aux visites des ministres, et aux sages mesures des assemblées, on put songer enfin, même en présence de tant d’édits persécuteurs, à prendre des délibérations plus sévères, propres à constater efficacement le nombre des protestants et à porter les plus craintifs à se déclarer, soit par la rigueur des ordonnances ecclésiastiques, soit par la force de l’émulation. L’espoir de vivre sous un régime tolérant ne fut jamais banni du cœur des hommes éminents, qui brillèrent dans ces temps difficiles. Il leur répugnait de penser qu’une forte partie des Français fussent destinés à vivre sans cesse en dehors de la loi commune. Cette confiance en l’avenir est un trait des plus saillants du caractère de cette époque ; mais bien des années devaient s’écouler encore avant que ces vœux fussent remplis. Toutefois, on découvre que déjà les réformés du royaume se croyaient en droit de s’organiser d’une manière plus forte. Un des exemples les plus notables de cet esprit fut donné par les huguenots des Cévennes au milieu de cette contrée témoin de tant de combats, et où le zèle 1730.
10 août.
était encore si fervent. Un synode provincial, qui réunit trente-sept membres, et qui fut tenu dans les Cévennes (or. mss. P. R.), adopta plusieurs mesures vigoureuses, quand on songe aux dangers du temps. Pour resserrer les liens des églises du royaume et de celles de Suisse, où le nouveau séminaire venait d’être fondé, il ordonna qu’un des jeûnes solennels célébrés en France le serait le même jour qu’en Suisse. Comme la population réformée était encore mal définie, et qu’une partie se dissimulait dans les rangs des catholiques, les anciens de chaque église reçurent la mission de dresser la liste complète des personnes depuis l’âge de douze ans, et au-dessus, qui n’auraient pas communié, de les exhorter à s’y préparer, et de leur représenter combien cette obligation était sacrée et urgente. Les parents et tuteurs qui feraient baptiser tous mineurs à l’église romaine ou permettraient qu’ils s’y mariassent, « tous ceux en un mot qui se souilleront du péché abominable d’idolâtrie, à l’occasion des mariages ou des baptêmes, » seraient d’abord suffisamment exhortés, et s’ils s’y obstinaient, excommuniés. La même peine devait atteindre tous ceux qui iraient à la messe sous un prétexte quelconque.

Une disposition spéciale fut prise à l’égard des réformés qui occupaient des postes se rattachant aux fonctions d’officiers du fisc, et exposés par là à lever les amendes encourues par leurs frères pour fait de religion ; ils seront excommuniés « vu que, par cette conduite, ils deviennent les persécuteurs de leurs frères. » En vain cette assemblée avait-elle journellement sous les yeux le tableau des dangers sans nombre auxquels les réunions exposaient ceux qui s’y rendaient, elle prit l’arrêté suivant, remarquable par sa vigueur : « On écrira une lettre circulaire adressée aux protestants sous la croix pour leur faire connaître l’obligation indispensable où ils sont de se rendre dans les assemblées de piété, toutes les fois que la divine Providence leur en fournira l’occasion ; et cela pour obéir aux lois divines, qui nous ordonnent de rendre à l’Être Suprême un culte religieux et public ; si après avoir été suffisamment instruits de la nécessité de ce devoir, ils refusent de le remplir, ils seront déclarés s’être séparés de l’église du Seigneur et n’être plus ses enfants, mais des lâches, des timides et des tièdes, que Dieu vomira de sa bouche » (art. 6). De plus, les fidèles furent sommés de ne pas se rendre uniquement aux assemblées où la sainte Cène se célébrait, mais à toutes indistinctement. L’excommunication fut encore notifiée à tous ceux qui « feraient profession de danser dans les temps d’afflictions où l’église se trouve. » Enfin une mesure plus générale décida qu’un pasteur serait désigné pour aller rétablir la discipline dans les églises protestantes (Syn. des Cévennes, mss. Rab. St.-Ét.). Jamais, depuis la révocation, on n’avait pris des mesures plus vives et plus formelles. Les décisions des synodes, en contradiction si flagrante avec toutes les dispositions du barbare édit de 1724, forment un des monuments les plus courageux de la foi de cette époque, où la piété des Cévenols semblait avoir contracté de nouvelles forces dans les malheurs qu’ils avaient traversés.

Cependant ces règlements vigoureux, inspirés pour un but fort louable, et qui partaient principalement du haut et bas Languedoc, et encore plus des Cévennes, ces convocations si fréquentes de synodes, qui portaient le nom de nationaux, quoiqu’ils ne représentassent que quelques provinces, toutes ces mesures très-fortes pour le temps parurent un peu imprudentes aux églises de quelques autres lieux. 1730.Les synodes écrivaient bien à quelques communautés en les exhortant à se soumettre, et à faire paraître que non-seulement elles avaient de justes idées du bon ordre, mais encore, qu’elles en étaient les vrais observateurs ; celles-ci, appréciant leur position spéciale, transmettaient leurs remontrances en échange des lettres synodales. On peut puiser, dans ces observations plus ou moins critiques de plusieurs églises, quelques données utiles pour apprécier l’esprit du temps. Ainsi, dès la renaissance de l’organisation ecclésiastique, les églises du Languedoc avaient pris l’initiative, précisément parce que le théâtre de la guerre était aussi celui de la foi la plus courageuse. Il résulta de la position que cette province, si renommée par son zèle et par ses malheurs, excita en quelque sorte la jalousie des autres, soit qu’elle ait pris, comme nous venons de le voir, des mesures un peu vigoureuses, et par cela même imprudentes, soit qu’elle affectât quelques prétentions de supériorité d’ailleurs assez naturelles. Ce dernier point fut toujours l’un de ceux où les églises de France se montrèrent le plus sensibles. En quelques circonstances qu’elles aient vécu, toute tentative de prééminence, soit d’un corps, soit d’un homme, les blessa vivement ; les divisions qui se renouvelèrent un assez grand nombre de fois dans leur sein pendant ce siècle, ne paraissent pas en général avoir eu une autre cause.

On voit même ces germes de discorde se dessiner dès l’époque qui nous occupe. Une lettre qui parvint cette même année au synode national du Vivarais les1730.
27 septemb.
révèle assez clairement. Le Dauphiné s’y plaint qu’à certains endroits on a voulu paraitre en maitre, et s’attirer tous les bénéfices, sans égard aux droits des autres ; les églises de cette dernière province observent que les fruits devraient être communs, qu’il n’est pas juste d’envoyer à l’étranger prédicateur sur prédicateur pour s’y perfectionner, tandis que d’autres y ont les mêmes droits, que c’est en vain que le Languedoc prétend faire des lois de son propre mouvement, qu’il faut que les affaires soient communiquées à tous. Le Dauphiné suggéra encore un point curieux, celui de la fondation d’écoles ambulantes, destinées à préparer les jeunes gens qui voudraient se consacrer au ministère et suppléer à la pauvreté des églises sous ce rapport, idée qui fut écartée avec raison pour faire place à l’institution du séminaire de Lausanne. Il paraît aussi que ce fut à cette époque que les églises1730. s’accordèrent à confier au ministre Antoine Court le titre de député général, soit pour veiller à leurs intérêts en Suisse, soit « pour faire le voyage dans les états protestants hors de la Suisse pour les engager à s’employer pour le séminaire et pour l’entretien en tout ou en partie. » (Lett. au syn. du Viv. Or. mss. P. R.) Des mesures d’organisation d’un autre genre ne tardèrent pas à occuper ces assemblées qui étendaient leur sphère à mesure que les églises se consolidaient davantage. Ainsi la contrebande du commerce espagnol par la Méditerranée ayant pris une certaine extension, décida le règlement suivant, qui offre un singulier mélange de prudence politique et de zèle religieux : « Les membres de nos églises qui, pour se dispenser de payer les droits dus au roi, feront ou autoriseront la contrebande, seront d’abord censurés, et s’ils y retombent, exposés à l’excommunication majeure. L’assemblée ne comprend point dans cet article la contrebande des livres de religion, qui ne porte aucun préjudice au roi ni à l’État. » De plus il fut décidé que toutes les églises entreraient dans les frais nécessaires pour soulager celles qui auraient souffert pour cause de religion ; système d’assurance fort sage, qui aurait produit d’excellents effets, mais qui ne fut jamais généralement adopté (Syn. prov. du bas Languedoc, 22 fév. 1731, signé Rivière, secrét. Mss. Rab.-Saint-Ét.). Il eût été d’autant plus nécessaire qu’il le fût, toutefois ; car l’accroissement des communautés et la fondation de l’académie étrangère commencèrent à aigrir le clergé et la cour, et nous allons entrer dans une période où commencèrent des persécutions nouvelles dirigées contre ces églises renaissantes.

Ce fut en effet l’académie étrangère de Lausanne qui sauva cette fois les églises protestantes du pays. Puisque le cours des événements des églises du désert nous a porté à signaler la première fondation de ce séminaire, à l’usage des jeunes ministres français, il ne sera pas sans intérêt de jeter un coup d’œil sur l’avenir de cet établissement. Du milieu des persécutions qui alors désolaient les églises, nous allons indiquer en peu de mots et contre notre règle chronologique, quelles furent les destinées de cette école, qui fleurit pendant près d’un siècle. Nous avons remarqué qu’elle fut fondée par les dons des églises du désert, et par ceux des protestants étrangers. Par un rapprochement singulier, le séminaire protestant français de Lausanne, érigé vers 1730, sous Louis XV, et en dépit de son gouvernement, par les soins d’Antoine Court et de ses pieux confrères, fut en quelque sorte fermé par l’empereur Napoléon, en 1809 ; mais il fut fermé pour un plus noble but ; c’est-à-dire, le séminaire de Lausanne donna naissance à la faculté de théologie protestante de Montauban. Ce ne fut donc qu’en 1809 que l’éducation du clergé protestant rentra dans la patrie d’où elle avait été bannie depuis Louis XIV. Il n’est point très-facile aujourd’hui de savoir, pendant cette longue interruption, quel fut le mouvement véritable de cet établissement vaudois, si cher aux églises nationales. Toutefois, nous puiserons dans nos pièces quelques détails sur ce sujet intéressant.

On conçoit fort bien comment les données historiques nous manquent presque totalement sur le séminaire suisse des pasteurs réfugiés français. Le gouvernement de la république de Genève, dans le siècle dernier, fut obligé de céder aux injonctions de la cour de Versailles ; il s’était vu forcé d’interdire aux pasteurs de la vénérable compagnie toute correspondance avec les ministres résidant en France. « Une conséquence de ce mystère, qu’on observait avec une sorte de terreur, était que presque tous les papiers et les correspondances surtout qui avaient rapport à l’établissement, étaient brûlés avec soin. » (Mss. de Végobre, 1835.) Nos pièces de la collection Paul Rabaut montrent bien qu’on avait songé, dans l’origine, à placer l’établissement à Genève même ; mais les fondateurs jugèrent bientôt que la prudence exigeait que les jeunes gens protestants français qui étudiaient pour le ministère, quelque rares et inoffensifs qu’ils fussent, se rendissent un peu plus loin en Suisse, et ne restassent pas si près de la frontière, sous les menaces d’un puissant voisin. Aussi, les hommes zélés pour cette œuvre obtinrent du gouvernement de Berne, auquel alors la ville de Lausanne ressortissait, que l’établissement pour les églises de France serait ouvert, mais sans bruit, dans la capitale actuelle du canton de Vaud. Toutefois, d’après la volonté des bienfaiteurs, la direction du séminaire de Lausanne et ses dépenses étaient sous l’inspection d’un comité de membres ecclésiastiques ou enseignants, résidant à Genève. Ce dernier envoyait des députés pour assister aux examens et aux consécrations, ainsi que pour surveiller les études. La seule condition imposée par les fondateurs et bienfaiteurs au comité genevois, était de se diriger en toute liberté vers le principe du plus grand bien des églises de France. On conçoit facilement, selon les circonstances mêmes des églises et de l’établissement, chargé de former des pasteurs, que l’édit de 1724 condamnait à mort, qu’il ne pouvait être question d’aucune mesure de publicité.

Les jeunes étudiants de France, venus principalement du midi du royaume, étudiaient à Lausanne environ pendant l’espace de trois années. Au bout de ce temps, après des épreuves, ils étaient consacrés au saint ministère, en présence des membres des comités de Genève et de Lausanne. Ces ministres, pourvus dès lors d’un certificat de bonnes études et de consécration, étaient aptes à être élus par les consistoires de France, selon le vœu des fidèles. Quant au gouvernement français, il ignorait ou feignait d’ignorer ces sages mesures, si solennellement contraires aux édits.

Nous aurions désiré enregistrer ici les noms de tous les professeurs qui ont formé à Lausanne les ministres français des églises du désert, et qui leur ont inspiré et le courage et la prudence de ces périlleuses fonctions. Dans les premières années de la fondation, outre les professeurs Salchli et Besson, il faut mentionner au premier rang de ces bienfaiteurs des églises persécutées de France, le savant professeur et pasteur Alphonse Turettini, l’une des lumières de l’église protestante de son temps, homme de profond savoir et d’une charité non moins profonde, qui s’occupa toute sa vie à rallier les diverses branches de la réformation. Ce fut ce savant et l’archevêque Wake, sollicités par les instances d’Antoine Court, qui eurent la plus grande part à l’établissement du comité genevois et à la fondation du séminaire de Lausanne. Le pasteur Turettini se donna des collègues pour cette œuvre, et jusqu’à sa mort, survenue en 1737, il ne cessa de veiller sur les communautés persécutées de la France. Ami de Basnage et de Newton, respecté par Bossuet et par Mallebranche, correspondant de l’illustre bibliothécaire florentin Magliabecchi, et de plusieurs prélats romains célèbres par leur science, ce digne pasteur, qui jouissait d’une considération étendue dans l’Europe entière, doit être également cher à Genève et à la France. Bizarre destinée des choses terrestres que de voir un archevêque anglais succédant au siège d’où Cranmer avait passé sur le bûcher, et un descendant de la noblesse lucquoise chassée d’Italie au temps de la réformation, s’unissant pour fournir une académie dotée et savante aux jeunes ministres des églises françaises du désert.

Après ces premiers bienfaiteurs, il faut rappeler les noms de M. Ami Lullin, professeur d’histoire ecclésiastique à l’académie de Genève, qui se distingua par le zèle constant qu’il apporta à toutes les affaires du comité et des protestants français. Il mourut en 1756. À Lausanne, on doit signaler surtout le doyen de l’établissement, le professeur Georges Polier de Bottens, chargé de la chaire d’hébreu : le séminaire perdit ce constant ami des étudiants français en 1759[52]. À l’époque de la dissolution du séminaire français de Lausanne, en 1812, le professeur Durant, chargé de la chaire de latin et de grec, en était le chef, non moins par son âge que par l’importance de ses services. Il avait donné pendant vingt-sept ans des soins réellement paternels aux jeunes Français[53]. Enfin, au nombre des plus respectables membres du comité genevois figurait M. de Végobre, qui ne s’est éteint que tout récemment, à un âge très-avancé, l’un des amis les plus constants et les plus dévoués des églises du désert, et qui surmontait les infirmités et les glaces de son extrême vieillesse pour nous transmettre des détails sur leur cause, qu’il n’avait cessé de chérir. Nous sommes heureux de consigner ici le tribut de notre reconnaissance envers un ami éprouvé des églises de France, dans les jours de leur deuil comme dans les jours de leur prospérité.

Nous ne manquerons pas, en poursuivant notre histoire, de nous arrêter sur les renseignements que nos pièces nous fourniront touchant les études et l’influence si utile du séminaire français établi à Lausanne, qui fut l’institution la plus précieuse que les églises du désert aient fondée pendant le dix-huitième siècle. La calomnie ne manqua point d’atteindre et cet établissement évangélique et le comité genevois des amis des églises. Elle se fit jour jusqu’en 1787, lorsqu’un prêtre fougueux, l’abbé Lenfant, ranimant toutes les vieilles haines de la société des jésuites, dont il fit partie, obsédait le Conseil de Louis XVI par ses remontrances fanatiques. Cet établissement de Lausanne, destiné à former, sous le règne de Louis XV, des pasteurs prudents et moraux, et dont la fidélité à leur roi et la patrie ne se démentit jamais, fut dépeint à Louis XVI comme « soudoyé par deux puissances étrangères. » — « Le voile du mystère qui couvre ces rapports entre les ministres d’une secte essentiellement anti-monarchique et des gouvernements républicains, suppose un projet ténébreux ; ce secret seul suffit pour donner des inquiétudes au gouvernement[54]. » Ces insinuations malveillantes, nous sommes à même de les réfuter par nos pièces, et c’est un devoir de notre sujet. Un des membres genevois du comité, ami des protestants, ne les avait pas ignorées : « Ces secours pécuniaires, dit M. de Vegobre, que les protestante français recevaient des étrangers, n’ont jamais été accompagnés, à l’époque même des guerres les plus animées, d’aucune réquisition, d’aucune offre, d’aucune mention, en un mot, de services politiques que les protestants de France pouvaient, par leur position, rendre aux ennemis de l’État, ou simplement aux étrangers.

C’est ce que j’atteste ; affirmation que je me plais à opposer à quelques insinuations contraires. » (De Vegobre. Mss. 1835.) Nous consignons ces faits avec empressement, sans toutefois pouvoir supprimer ici cette simple observation, que si les églises du désert étaient réduites, pour donner une sage éducation à leurs jeunes ministres, à profiter des dons de leurs frères hors de France, et des étrangers même, la faute en était aux barbares édits qui les privaient de tout moyen de former leur jeune clergé, et qui bien souvent, avec des peines de mort et de galères, frappaient les fidèles d’amendes et de confiscations méthodiques. Un séminaire national français, établi hors de France, et soutenu par une générosité étrangère, était la conséquence à la fois monstrueuse et légitime des édits de Louis XIV. Si la position eut quelque chose de déplorable et de faux, il dépendait des persécuteurs de la redresser. Mais nous verrons combien les pas de la tolérance gouvernementale furent difficiles et lents. En attendant que nous arrivions à cette époque meilleure de notre sujet, nous n’avons pu nous refuser de tracer cette esquisse anticipée de l’organisation et des succès d’un établissement si précieux aux églises du désert, et dont elles furent redevables au zèle et à la prévoyance du pasteur Antoine Court et de ses collègues.




CHAPITRE VII.


Ministère du cardinal de Fleury. — Arrêt du parlement de Rouen sur une question d’état des protestants. — Ordonnances de 1729. — Capture et interrogatoire du ministère Claris. — Son évasion.


Pendant que ces belles pensées pour l’éducation des jeunes pasteurs des églises du désert se réalisaient, les circonstances politiques du gouvernement intérieur de la France semblaient préparer des jours plus tranquilles aux protestants du royaume. Le cabinet de Versailles, par un affront sanglant, s’était séparé de la cour de Madrid, de ce gouvernement dont l’influence sur la France se signala toujours par des conseils intolérants ; une intrigue de cour et peut-être l’espoir peu sensé de voir épouser au jeune Louis XV une comtesse de Vermandois, sœur du premier ministre,1725. le duc de Bourbon, avait fait renvoyer à Madrid la jeune infante qu’on appelait déjà l’infante reine. Le roi d’Espagne s’émut de ce procédé blessant, et il renvoya fièrement à Versailles les diamants dont on avait couvert le front de cet enfant méprisé. Nous ne raconterons pas la série de petits événements qui rompirent tous ces fils et qui produisirent deux événements notables, le mariage du roi de France, Louis XV, avec Marie Leczinska, fille détrônée du roi de Pologne Stanislas, et le renvoi définitif de M. le duc de Bourbon, à la suite de mesures qui prouvèrent chez le jeune Louis XV, âgé de seize ans1726. alors, une dissimulation d’une inquiétante précocité.

Alors commença le ministère pacifique du cardinal de Fleury, homme doux et éclairé, incapable de sévir contre les églises protestantes pas plus que contre les autres partis politiques ou religieux. Tout contribuait à consolider un cabinet modéré : la douceur du jeune roi, le calme trompeur de ses passions, l’âge de son gouverneur et ministre, qui avait 73 ans lorsqu’il prit le timon des affaires. De plus, le cardinal de Fleury était né à Lodève ; il avait été pourvu d’un canonicat à Montpellier. Il avait donc connu la1668. province du Languedoc dans ces temps encore heureux, bien antérieurs à la révocation, où les églises étaient prospères et où les populations pouvaient s’avouer protestantes. Pendant de longues années, l’abbé de Fleury, pourvu de l’évêché de Fréjus, dut vivre loin de la cour (1698-1715) ; il avait passé dans un port relégué de la Provence toute l’époque de la guerre des Camisards ; et occupé des soins et des visites multipliées de son diocèse, il avait pu se convaincre du nombre des populations réformées du Languedoc, de leur constance, et de la vanité de cette dénomination dérisoire de nouveaux convertis. Nous verrons en effet que la correspondance officielle du Languedoc avec le gouvernement prit absolument cette couleur. Un trait de son gouvernement que nous devons noter et qui rentre, jusqu’à un certain point, dans notre sujet, ce fut le soin constant que prit le cardinal à maintenir la politique du régent, et à resserrer l’alliance entre son maître et le gouvernement d’Angleterre. Il y trouvait Walpole, comme lui politique cauteleux et prudent, ennemi des moyens extrêmes, qui sans doute par ses conseils eût désapprouvé toute persécution trop ouverte des protestants français. Leur union fut cimentée lorsque le cardinal, confirmant Gibraltar à l’Angleterre, et consolidant les Bourbons d’Espagne à Naples, eut, en quelque sorte, travaillé à l’agrandissement des deux couronnes, et eut ainsi éloigné tout prétexte que la Grande-Bretagne aurait pu saisir pour appuyer sa politique sur les mécontentements des huguenots du midi du royaume.

Toutefois la conduite de la cour envers les églises fut modifiée par celle qu’elle crut devoir tenir au milieu des partis religieux catholiques. Cette politique chez le cardinal de Fleury, couvert de la pourpre romaine, dut naturellement incliner vers la partie moliniste et vers la suprématie papale. Les jésuites reprirent de l’ascendant sur la cour. Ils persuadèrent au vieux ministre de finir les disputes de la bulle Unigenitus, foyer perpétuel d’humiliations pour tout le parti gallican, ainsi que celles du jansénisme, par une mesure qui eût paru au premier abord fort sage, la convocation et la délibération définitive d’un 1727. concile des évêques de France. Ce concile fut assemblé dans la cathédrale d’Embrun ; mais tout espoir de pacification se dissipa, dès que l’on vit le vénérable évêque de Senez obligé de courber sa tête octogénaire devant les jugements du président du concile, devant ce prélat qui devint plus tard le cardinal de Tencin, ami de cœur de Dubois, et dont les mœurs faisaient depuis longtemps le scandale de l’église. En vain le cardinal de Noailles humilia ses derniers jours1729. par une rétractation pusillanime. Le parti janséniste reprit ses forces par les déclamations satiriques de son journal des Nouvelles ecclésiastiques, et par la sévérité du parlement de Paris, qui proscrivit avec éclat l’office ultramontain de Grégoire vii Ce parti puisa surtout un esprit de fanatique résistance dans un événement assez obscur, mais qui eut de très-grandes suites. L’année même, et presque au même moment où les restes de Newton furent déposés à côté des rois sous les voûtes magnifiques de Westminster, 1727. un autre tombeau s’ouvrait à Paris pour recevoir le corps du diacre Pâris, qui fit éclater tant de miracles dans le cimetière de Saint-Médard, à quelques pas de ce palais des Patriarches, où les huguenots se réunirent tumultueusement sous Charles IX. Bientôt le fanatique successeur du cardinal de Noailles, Vintimille, voulut excommunier les adeptes de tous ces prodiges ; mais le parlement résista et parut prendre le parti des convulsionnaires. C’était d’ailleurs l’époque bizarre où La Condamine, d’une part, certifiait les miracles du tombeau de Pâris, et d’autre part s’embarquait pour aller mesurer un degré au pied des Andes du Pérou, malgré les jalousies du gouvernement colonial espagnol. Toutes ces bigarrures de l’administration du cardinal de Fleury, qui éclataient, tantôt dans ses mesures de pacification extérieure, tantôt dans ses mesures théologiques internes fort contraires au calme des esprits, nous expliquent presque la singularité de sa conduite à l’égard des églises. De plus, l’esprit parlementaire des juges de Paris s’était développé pendant une longue paix, et c’est surtout sous ce rapport que les églises réformées se ressentirent ; de la marche presque théologique des pouvoirs judiciaires de cette époque.

En effet, les parlements formaient la grande autorité, avec laquelle les églises du désert étaient sans cesse en contact. Ils conservaient le terrible dépôt des édits de Louis XIV. Les lumières et l’indulgence seules des magistrats pouvaient en modifier l’application. Aussi la conduite des parlements, dont nous aurons très-souvent occasion de parler, est un des traits les plus instructifs de cette époque. En y regardant de près, on découvre assez facilement le secret des motifs, en apparence opposés, qui les faisaient agir et qui constituaient la jurisprudence de la magistrature. Chez ces grands corps judiciaires, très-considérés à cause de leur influence politique, et souvent aussi à cause de leurs mœurs, régnait évidemment un esprit de conservation et d’attachement pour la religion catholique. Les parlements qui montraient un esprit si gallican et si opposé aux empiétements ultramontains, se montraient également disposés à rétablir l’équilibre en sévissant contre les religionnaires. Plus ils se conduisirent avec hauteur à l’égard de Rome, plus ils voulurent déployer de rigueur à l’égard de Genève. Les parlements français, dans le cours du xviiie siècle, semblèrent imiter les illustres docteurs de Port-Royal, lesquels, ainsi que Jurieu le reprocha très-justement au grand Arnauld, à mesure qu’ils étaient bafoués et calomniés par les jésuites, éprouvaient le besoin, en répondant au molinisme, de diriger également des traits acérés contre Calvin. Voilà pourquoi les dénonciations contre la morale relâchée et contre le probabilisme des jésuites, coïncidèrent avec leurs grands traités contre Claude et contre les autres savants théologiens protestants. Ainsi se dirigèrent au xviiie siècle, dans d’autres circonstances, mais d’après les mêmes traditions, les parlements de France imbus de l’esprit gallican. Et il faut encore contempler, à côté de cette tendance, celle d’une piété héréditaire chez beaucoup d’anciennes familles de robe ; cependant les faits nous montrent, dans toutes ces époques et chez les hommes les plus éclairés, combien il était difficile alors de séparer la dévotion d’avec des principes et des pratiques qui nous paraîtraient aujourd’hui manifestement intolérants. Ces deux genres de considérations font concevoir chez les parlements de France l’usage de tous ces arrêts intolérants et même cruels contre les protestants, dont notre histoire ne fournira que trop d’exemples.

Cependant, même les traditions sévères et intolérantes des parlements fléchirent presque toujours devant certains cas particuliers. Ce dernier trait mérite beaucoup d’attention. En effet, nous verrons par une foule d’exemples que ce fut surtout sur les questions de mariages que les parlements firent fléchir l’intolérance des lois. C’est qu’ici se présentaient, non pas des questions de droits religieux, mais des questions d’état civil sur lesquelles il était beaucoup plus difficile d’étouffer l’équité naturelle des juges. De plus, leur répugnance à appliquer les édits était surtout causée et confirmée par l’intervention des collatéraux, qui cherchaient à se mettre à l’abri des lois, dans le but évident de dépouiller une partie adverse de sa légitime. Ce furent ces tentatives dont les magistrats ne voulurent point se rendre complices. Tant que les édits ne prononçaient que des incapacités politiques, ou qu’ils ne faisaient qu’interdire la liberté de conscience, de culte ou d’assemblées, ainsi que la présence des ministres, on conçoit que les habitudes catholiques des magistrats leur fissent adopter une jurisprudence conforme à l’esprit des édits. Mais quand il fallut déclarer nuls des mariages depuis longtemps existants et tenus pour valides ; quand il fallut, en les cassant, détruire des possessions d’état évidemment légitimes en équité ; bien mieux encore, quand il fallut accueillir l’intervention du collatéral impitoyable, retranché dans la lettre des édits, alors les parlements reculèrent. Sévères sur les délits religieux, les magistrats furent justes sur les questions d’état des personnes. Ce fut la première conséquence de l’influence des lumières et de l’humanité, ainsi que des traditions héréditaires de justice, chez les parlements de France.

Ainsi l’article 15 de la grande déclaration du 14 mai 1724 y où le duc de Bourbon et l’archevêque de Tressan s’étaient signalés par un système minutieux de persécution, avait pourvu aux mariages des sujets protestants par une disposition générale, où il était dit simplement, que ces unions seraient célébrées par les nouveaux convertis comme par tous les autres sujets du roi ; il était enjoint indistinctement à tous d’observer les ordonnances sur le fait des mariages, conformément tant aux saints canons reçus dans le royaume qu’aux ordonnances et édits. Ces dispositions générales se combinaient avec celles de la déclaration de 1698, dont la lecture forme un tableau extrêmement singulier de recommandations d’observances dévotes, et qui exigeait que les mariages de tous les Français fussent célébrés selon le concile de Trente. Toutefois cette loi, par une disposition sage et que rehausse l’intolérance des dispositions qui l’accompagnent, assurait une grande latitude aux sentiments d’équité des magistrats[55]. Nous pouvons dès ce moment, et dans les années qui suivirent immédiatement la déclaration de 1724, citer un exemple frappant. Il appartient à la Normandie, et rentre par conséquent dans le ressort du parlement de Rouen. Voici la prétention injuste qui donna lieu à un arrêt si juste. L’an 1780 décéda dans la paroisse du Cheffresne, vicomte de Gavray, au bailliage de Coutances, Jacques Duhamel, qui avait épousé Marie Talbot, tous deux nouveaux convertis, c’est-à-dire de la religion réformée. Sa femme resta veuve avec un jeune enfant. Ils s’étaient mariés devant un ministre du désert ; l’enfant avait été baptisé par un pasteur du même culte ; de sorte que ni le mariage ni l’enfant n’avaient la possession légale d’état. Des moyens plaidés devant le parlement de Rouen, par l’avocat de Marie Talbot, et que nous trouvons indiqués dans l’arrêt, il résulte, que dès que le mari fut mort, son frère, Jean Levillain Duhamel, prétendit que le mariage était nul, et que c’était à lui à se mettre en possession des biens. On objecta à cette prétention d’un cœur dénaturé qu’il avait lui-même reconnu et consenti le mariage de son frère ; qu’il avait écrit et signé le contrat ; qu’il avait même aidé à transporter les meubles et effets de la maison du père de la future à la maison conjugale ; qu’il avait donné tous ses soins au baptême de l’enfant qui en était issu, lequel il voulait maintenant faire passer pour bâtard ; qu’il était constant que le demandeur avait toujours reconnu la défenderesse pour femme légitime de Jacques Levillain, son frère, durant la vie de celui-ci, « et cela au conspect de tout le monde ; » que toute la famille avait reconnu Marie Talbot pour épouse légitime de Jacques Levillain ; qu’elle avait été en cette qualité élue, d’un accord unanime, tutrice de son fils, moins la voix de son beau-frère. Tels étaient les arguments péremptoires en équité que l’on opposait à la prétention du collatéral. Il avait réussi toutefois à expulser Marie Talbot de la maison de son mari, à s’emparer de tous les titres et des pièces, et à se mettre en possession provisoire des biens et deniers, contrairement aux droits évidents de la mère et du jeune fils. Après avoir exposé ces procédés, malheureusement conformes aux édits, l’avocat de la pauvre épouse et mère se contenta d’adresser aux juges ces paroles : « Nous ne croyons pas devoir en dire davantage sur une pareille matière. »

Les prétentions barbares du sieur Levillain Duhamel avaient échoué devant toutes les juridictions inférieures, devant la prévôté comme devant le bailliage. La mère, ainsi dépossédée et chassée de sa maison, avait même obtenu une provision de 100 livres, à payer par son beau-frère, entre les mains du curé de Cheffresnes, tant pour sa nourriture que pour celle de l’enfant. Cependant il fut jugé à Coutances, sur les conclusions conformes de l’avocat du roi Guillot, que Marie Talbot serait remise provisoirement en possession des biens dont elle avait été spoliée et dépouillée, pour les administrer conformément à l’acte de tutelle, sentence exécutée par provision. Contre cet arrêt Jean Levillain ne craignit pas d’interjeter appel au parlement de Rouen. Les conclusions de son avocat dévoilent avec une triste évidence les avanies auxquelles les réformés étaient alors exposés quant à leur à état civil. Les conclusions posées étaient qu’il plût au parlement de faire défense à Marie Talbot de se dire femme et veuve de Jacques Levillain ; déclarer l’enfant sorti des œuvres de ladite Talbot illégitime et comme tel déchu de tous droits successifs dans la succession de Jacques Levillain. Ces étranges prétentions ne furent pas accueillies. Elles ne prenaient même point la peine de déguiser leur inhumanité et l’avidité barbare du demandeur. On sera peut-être curieux de savoir les motifs que l’on plaidait devant le parlement de Rouen, vers le milieu du xviiie siècle, pour soutenir des conclusions de ce genre.

L’avocat du demandeur en illégitimité du mariage et du fruit ne jugeait pas à propos de parler ouvertement de l’état des protestants ; il soutenait que les lois ne pouvaient reconnaître les mariages sans qu’ils fussent conformes à ce qu’elles prescrivent ; que dès lors Marie Talbot ne pouvait jamais se dire femme de Levillain, ni son fils légitime et habile à succéder ; que d’ailleurs la prétendue célébration du mariage dont elle avait voulu se servir était de son consentement rejetée du procès sur l’inscription de faux formée contre l’acte[56] ; que son prétendu état n’était qu’imaginaire et n’avait jamais eu de réalité ; qu’enfin il demeurait constant, d’après l’extrait de baptistère de l’enfant, qu’il avait été baptisé comme n’étant point légitime.

Ce dernier trait des conclusions de la partie adverse de la femme mariée et de l’orphelin portait sur le certificat du baptême accordé par le ministre du culte proscrit. Ce certificat seul entraînait légalement la bâtardise de l’enfant. Ces moyens odieux furent contraires aux conclusions de l’avocat général, Le Baillif Ménager ; heureusement pour le succès d’une question d’état aussi évidente et aussi sacrée, ils furent également repoussés par le parlement de Rouen. Jean Levillain, qui osait poursuivre l’annulation du mariage de son frère et la bâtardise de son neveu, fut déclaré non recevable, et fut condamné aux dépens. Seulement il fut enjoint au ministère public des lieux de veiller à l’éducation de l’enfant et d’en certifier la cour de trois mois en trois mois. On sait, en effet, que, d’après les édits, l’enfant devait nécessairement fréquenter les écoles catholiques. On voit, par ce premier exemple, à quel genre de contestations l’état civil des protestants du royaume était exposé. Un collatéral cupide, violant à la fois les règles de l’une et l’autre religion, pouvait attaquer en justice la validité d’un mariage auquel il avait lui-même souscrit ; il lui était loisible de révoquer en doute la légitimité d’un enfant dont il espérait prendre l’héritage. Cette conduite si ouvertement vile et captieuse, était cependant la conséquence exacte des édits de Louis XIV, résumés par la déclaration de 1724. Il fallut que les magistrats catholiques fussent plus humains et plus sensés que les lois, ou plutôt il fallut qu’ils violassent ouvertement les lois de l’État, afin de pouvoir appliquer les lois de la justice supérieures à toutes les autres. Avec le laps du temps, tous les Parlements du royaume adoptèrent la jurisprudence éclairée de la cour de Rouen.

À peu près à la même époque où les hautes cours de justice reculaient devant l’application rigoureuse des édits, et en rectifiaient les dispositions par l’intervention du droit naturel, le pouvoir administratif de l’État ne paraissait pas disposé à suivre les errements du pouvoir judiciaire. Au contraire, les instructions de la cour paraissaient se diriger vers le but d’une sorte d’inquisition administrative, concernant les pratiques religieuses de tous les fonctionnaires du royaume. Cet examen général de conscience devait naturellement peser avec le plus de rigueur sur les protestants. Voici un exemple curieux des circulaires qui venaient de Paris, et qui furent envoyées aux provinces du midi. Il faut remarquer, par la date de cette mesure, qu’elle suivit d’assez près la chute du duc de Bourbon et son exil à Chantilly, et qu’émanant du secrétaire d’État chargé des affaires de la religion réformée, elle prouve que le système d’intolérance ne se liait pas d’une manière nécessaire à la présence de Monsieur le Duc à la première place des conseils du jeune Louis XV. L’instruction suivante fut adressée du Vigan par le subdélégué de l’intendance du Languedoc, Daudé, aux officiers de justice à Saint-Jean-du-Pin, au diocèse d’Alais : 1727.
26 juillet.
« Suivant les ordres que M. le comte de Saint-Florentin a adressés à monsieur l’intendant, en exécution de ceux que le roi lui a donnés, il m’ordonne de vous écrire que l’intention de Sa Majesté étant que tous les officiers de justice, tant royaux que des seigneurs, remplissent leurs devoirs de catholiques, il est nécessaire que vous preniez la peine de m’envoyer dans huit jours, pour tout délai, des certificats de catholicité signés du curé de votre paroisse, contenant vos noms, âges et qualités, et si vous êtes anciens catholiques ou nouveaux convertis. J’ai en même temps l’honneur de vous informer que j’ai l’ordre de comprendre dans le nombre de ceux qui ne remplissent pas leurs devoirs tous ceux qui ne répondront pas dans le délai de huitaine. Cette lettre regarde les juges, lieutenants, procureurs fiscaux et autres officiers de justice des seigneurs, Sa Majesté voulant être informée de ceux qui ne se conforment pas à ses ordres touchant la religion, pour les faire interdire et destituer. » (Lett. du subd. min. or. Mss. Fab. Lic.) Ces mesures si tracassières s’étendaient avec rigueur jusqu’aux enfants des nouveaux convertis. Il paraît toutefois que le fisc s’enrichissait de la résistance des parents, et que, malgré tant de soins, les réformés de certaines parties du Languedoc aimaient mieux payer qu’envoyer leurs enfants à la messe. Dans le diocèse d’Anduze nous trouvons deux communes, Ribaute et Saint-Sébastien, qui furent frappées de ces punitions fiscales, vers le même temps. Comme s’il se fût agi d’une perception purement financière, nous lisons les reçus très en règle du percepteur Silvain, qui déclare avoir touché vingt-sept livres, pour amendes de Ribaute contre les nouveaux convertis dont les enfants ont manqué les messes et instructions ; dans la paroisse de Saint-Sébastien, nous trouvons une somme de dix-sept livres pour le même genre de contraventions commises pendant cinq mois, de janvier à juin 1733[57]. On voit que l’exiguïté de ce genre singulier de recette prouve que les percepteurs n’étaient pas extrêmement sévères.

D’autres mesures plus graves, et d’un caractère plus inquisitorial, avaient été adoptées par la cour à peu près vers ce temps. Une nouvelle guerre, suscitée par des intérêts de commerce, entre l’Angleterre et l’Espagne, avait été étouffée en son germe par la politique conciliatrice du cardinal de Fleury. Il en résulta une nouvelle activité commerciale entre la France, et l’Allemagne surtout, où l’esprit de spéculation lointaine s’était vivement développé par les entreprises de la compagnie d’Ostende, protégée par l’Empereur, et dont les navires sillonnaient déjà les mers de la Chine et de l’Inde britannique. Tout cela avait également excité l’ardeur industrielle et des réfugiés et des Languedociens. Il s’en était suivi des communications industrielles et des voyages fréquents. Car dans ces temps encore assez voisins de la grande émigration des huguenots, on avait vu des familles de négociants ou de manufacturiers quitter en partie leur province et leur pays, et, d’autre part, laisser une branche en France sur le théâtre de leur ancienne prospérité. La portion régnicole de la famille réfugiée, obligée de se plier aux édits, figurait parmi les nouveaux convertis, et servait en même temps de comptoir de correspondance et d’affaires à la portion exilée. De là des rapports et des voyages. Ces communications inquiétaient la cour. On craignit l’action d’émissaires politiques ; on redouta le renouvellement des voyages de David Flotard et consorts, agents de l’étranger auprès des chefs de la révolte camisarde. Le clergé n’eut pas de peine à profiter de ces dispositions pour conseiller des pratiques dignes de l’ancienne intolérance, d’autant que le cardinal de Noailles, presque persécuté lui-même, venait d’expirer après une inutile rétractation.1729. On résolut donc de pourvoir aux voyages industriels ou autres des réformés français, et aussi des réfugiés français établis hors du royaume. Il parut une ordonnance du roi, rendue à Versailles le 30 septembre 1729, qui déclarait que Sa Majesté était informée qu’un grand nombre de nouveaux convertis du Languedoc s’absentaient fréquemment de cette province pour aller en pays étranger, sous un faux prétexte de commerce, sans être munis de passeports ou permissions des gouverneurs et intendants. Le roi ajoutait qu’il avait appris « que des réfugiés français viennent des pays étrangers dans ladite province, sous le même prétexte de commerce, mais uniquement dans la vue, les uns de se fortifier dans les erreurs de la religion prétendue réformée, les autres d’y faire persister leurs parents et amis, ce qui est très-contraire à ses intentions. » Pour remédier à ces mouvements, il fut ordonné qu’aucun nouveau converti ne pourrait sortir de la province du Languedoc sans donner caution que son voyage est effectivement pour le commerce. Il fut de plus réglé que les réfugiés qui souhaiteraient venir comme voyageurs dans le royaume, ne pourraient obtenir une permission de Sa Majesté « qu’après avoir prouvé que c’est pour leur commerce. » (art. 2.) (Placard. Mss. Fab. Lic.) Après cette ordonnance du roi, suivait une seconde ordonnance du duc de Maine, Louis-Auguste de Bourbon, légitimé de France, enjoignant à tous fonctionnaires d’y tenir la main, en sa qualité de gouverneur dans les provinces du haut et bas Languedoc. C’est de la brillante retraite de Sceaux, où la petite-fille du grand Condé se consolait, sous des couronnes de madrigaux, de ses intrigues avortées, que le 1729.
21 octob.
duc de Maine data cette loi tracassière contre les voyages des commerçants de la religion réformée. Le marquis de La Fare, le fils de l’ami de Chaulieu et de l’amant gracieux de Mme de la Sablière, était alors, sous le duc de Maine, commandant en chef de la province. Le chevalier Bernage de Saint-Maurice était intendant de justice, police et finances.

Pendant que la cour annonçait, par ces dernières mesures, la volonté de maintenir des édits que les parlements tempéraient seulement sur les questions d’état civil, en dépit de toutes ces lois, l’organisation des églises marchait avec constance, et s’avançait même rapidement. Mais tous les pasteurs n’eurent point, comme A. Court, le bonheur d’accomplir des courses de deux mois, en prêchant, sans être surpris par la vigilance des subdélégués. Vers ce temps, en effet, un jeune pasteur d’Aulas (Gard), Alexandre Roussel, ministre d’Uzès, fut pendu à Montpellier.1728.
30 novemb.
Nous donnerons plus loin quelques détails sur son martyre. Tous les ministres étaient poursuivis, et ils n’accomplissaient leurs fonctions qu’au milieu d’alarmes continuelles. L’un des plus distingués, dont nous trouvons presque partout le nom au bas des actes synodaux de ce temps, Barthélemi Claris, de Lussan, tomba entre les mains d’une justice fanatique. Il était venu joindre le ministre Court dans sa tournée pastorale, peu avant que le subdélégué de l’intendance, Jean Daudé, eût pris lui-même le soin d’observer les troupes de réformés se rendant au prêche du désert aux environs du Vigan. Quatre ans1728.
18 juin.
plus tard, nous voyons ce subdélégué et son collègue interrogeant le ministre Claris dans la citadelle d’Alais. Au milieu de la nuit le ministre fut arrêté au lieu de Foissac, près d’Uzès, chez un habitant nommé1732.
24 août.
Puget, qui lui avait donné asile ; cette capture offrit le cas très-rare, que le détachement de cinq soldats, qui saisit le ministre, était commandé par un officier réformé, nommé Clapiès. Claris fut conduit aux prisons d’Alais, et il fut interrogé quatre jours après. L’interrogatoire minutieux qu’on fit subir à ce ministre, qui devait être condamné à mort suivant le texte formel des édits et surabondamment de la déclaration de Louis XV, en 1724, forme un tableau bien frappant. La multiplicité des questions, la netteté et la fermeté des réponses, la franchise avec laquelle l’accusé convient du crime de son état, tout cela fait ressortir mieux que tous les raisonnements le genre de législation qui pesait alors sur les églises ; tout cela honore les ministres et flétrit leurs persécuteurs. Quelques extraits de cette procédure, outre qu’ils offrent le spectacle qui nous semble inouï maintenant d’un ministre interrogé au criminel simplement pour avoir exercé ses fonctions évangéliques, nous fourniront le moyen de mieux apprécier la forme de cette étrange jurisprudence, et nous révéleront plusieurs détails très-intéressants sur la nature du culte et sur l’exercice dangereux des devoirs du ministère.

« Par-devant nous, Raimond Novi de Caveirac, conseiller du roi, principal en la sénéchaussée de Nîmes, subdélégué de l’intendance de Languedoc, en conséquence des ordres à nous adressés par monseigneur de Bernage de Saint-Maurice, avons mandé venir des prisons par-devant nous, dans une des salles de la citadelle, l’accusé, qui a déclaré se nommer Barthélemi Claris, âgé de trente-cinq ans, originaire du lieu de Lussan.

« … Interrogé en quel lieu il a resté depuis qu’il a quitté la maison de son père,

« A répondu qu’il était tantôt dans les villes, tantôt dans les bourgs et villages, et tantôt à la campagne ;

« Interrogé de nous faire la description des lieux où il avait logé,

« L’accusé répondant a dit qu’il arrivait toujours de nuit et partait de même…

« Interrogé quelle est la religion qu’il professe,

« A répondu qu’il faisait profession de la religion protestante ;

« Interrogé par qui il a été élevé,

« A répondu qu’il a été instruit par son père et par un de ses oncles qui est décédé.

« Avons interpellé l’accusé de nous dire à quel âge il avait cessé d’aller dans les écoles catholiques où il avait dû prendre les premiers principes de la religion catholique, apostolique et romaine, et comment, n’étant point instruit aux lettres humaines, et sachant à peine lire et écrire, il avait pu se décider pour la religion protestante,

« L’accusé répondant a dit qu’il avait quitté l’église et les écoles catholiques à l’âge de huit à neuf ans, et qu’alors feu son oncle, qui était fort incommodé, et qui avait beaucoup lu l’Écriture Sainte et plusieurs livres composés par des protestants, l’avait persuadé que la religion protestante était la seule où l’on pouvait faire son salut, ce qu’il a toujours cru depuis ce temps-là ;

« Interrogé si, depuis qu’il a quitté la maison de son père, il a fait les fonctions de prédicant, ministre, ou pasteur,

« A avoué que, depuis ce temps, il avait fait les fonctions de ministre ou pasteur en différents endroits de cette province,

« Interrogé en quoi consistent principalement les fonctions de pasteur qu’il dit avoir faites,

« A répondu qu’elles consistent principalement à exhorter les fidèles à la piété, à baptiser, bénir les mariages, et administrer la cène ;

« Interrogé en quel lieu il avait baptisé et administré la cène,

« A répondu que c’était en plate campagne, ou dans le désert ;

« Avons interpellé l’accusé de nous dire ce qu’il entend par le désert,

« L’accusé a dit qu’il entendait par le désert des lieux écartés et inhabités où il rassemblait les fidèles, tantôt du côté d’Alais, de Sauve, ou Anduze, et tantôt du côté de Nîmes ;

« Interrogé de quelle manière il convoquait ces sortes d’assemblées,

« A répondu que les fidèles le priaient de leur donner une exhortation et qu’ils convenaient ensemble du jour, et qu’ensuite on venait le prendre et qu’on le conduisait au lieu où l’assemblée était formée ;

« Interrogé de déclarer ce qui se passait auxdites assemblées, quelles prières on y faisait et quelles mesures on prenait pour éviter les surprises,

« A répondu que les fidèles commençaient par prier chacun en particulier, qu’ensuite on lisait quelque chapitre de l’Écriture Sainte ; qu’après cela on chantait des psaumes ; qu’après le chant des psaumes le ministre faisait une prière à haute voix pour demander les secours nécessaires pour annoncer dignement la parole de Dieu ; que cela était suivi d’une exhortation et quelquefois de la distribution de la Cène ; et que l’on finissait par une prière qu’on appelle ecclésiastique, qui renfermait des vœux adressés au ciel pour le roi et la famille royale, les magistrats, les seigneurs particuliers, et autres personnes constituées en dignités, et enfin pour les besoins de tous ceux qui étaient dans le besoin et dans l’affliction, et qu’à l’égard des précautions que l’on prenait pour n’être pas découvert, elles consistaient uniquement à placer des sentinelles sur les hauteurs, sans armes, qui avertissaient l’assemblée dès qu’ils voyaient paraître des troupes ;

« Interpellé de nous dire s’il avait composé un grand nombre d’exhortations pour fournir aux différentes assemblées qu’il convoquait,

« A répondu qu’il lisait continuellement l’Écriture Sainte et qu’il se formait à prêcher la parole de Dieu ; qu’il faisait la plupart du temps des analyses qu’il étendait en forme de sermons ou d’exhortations ; qu’il n’avait, lorsqu’il a été arrêté, qu’un seul sermon écrit au long de sa main, et que ce qu’il avait ailleurs pouvait consister en quelques analyses ;

« Interpellé de nous dire où il avait laissé ses analyses,

« A répondu qu’il ne s’en souvenait point, étant obligé pour sa sûreté d’errer de campagne en campagne, de coucher tantôt dans une forêt et tantôt dans des cavernes ;

— « Avons représenté à l’accusé qu’il ne dit pas la vérité et qu’il était trop connu dans tout ce pays pour se résoudre à aller coucher dans des cavernes, tandis qu’il pouvait se retirer en sûreté chez différents particuliers aussi attachés à la religion réformée que lui, et qui ne lui auraient point refusé le couvert ;

« L’accusé répondant a dit qu’il n’avait pas autre chose à nous dire ;

« Interrogé s’il ne connaissait point ces prétendus fidèles dont il nous a parlé et qui venaient le solliciter de leur prêcher et administrer la cène,

« A répondu qu’il ne les connaissait point, mais que, lorsqu’il les trouvait ainsi assemblés, on lui disait qu’il pouvait prendre confiance en tels et tels ;

« Interrogé de nous dire quels étaient ces tels et tels en qui on lui disait de prendre confiance,

« A répondu qu’on les lui montrait seulement, et qu’il ne savait pas leur nom ;

« Interrogé quels sont ceux qu’il a baptisés, et dont il a béni les mariages,

« A répondu qu’il ne les connaissait point, mais que seulement ils se présentaient dans les assemblées qui étaient convoquées, et qu’ils le priaient de bénir leurs mariages et de baptiser leurs enfants ;

« Interrogé si, lorsqu’il a convoqué des assemblées, il ne s’est pas fait des collectes ou quêtes dont il a retiré le prix,

« A répondu qu’à la fin de l’assemblée on faisait une quête pour les pauvres, mais qu’il n’en a jamais retiré le prix ; qu’on avait attention seulement de lui fournir des habits lorsqu’il en avait besoin, et de l’argent pour sa subsistance, ne pouvant pas nous dire qui étaient ceux qui lui avaient fourni ces habits et cet argent, parce qu’il ne les connaissait point, et qu’il n’a pas tenu compte de l’argent qu’il a reçu ;

« Avons encore représenté à l’accusé que, puisqu’il savait en général que le roi avait défendu l’exercice de la religion protestante, il devait savoir, par une conséquence nécessaire, qu’il ne lui était pas permis de prêcher, de baptiser, de bénir des mariages et faire la cène suivant les rites de la religion protestante,

« L’accusé, répondant à la représentation, a dit que, voyant la corruption des mœurs parmi les peuples qui professaient la religion protestante, il avait cru que sa conscience l’obligeait à les exhorter sur ce point à rentrer dans leur devoir, et qu’il avait jugé qu’il pouvait désobéir en ce point aux ordres du roi pour obéir à Dieu ;

« Interrogé de nous dire à quelle occasion il avait pris le parti d’aller prêcher ainsi aux peuples assemblés, si c’était par choix, par le conseil de quelque personne éclairée, ou par quelque inspiration particulière,

« A répondu que c’était par choix qu’il avait pris cet état, et qu’il avait travaillé à s’y perfectionner par la lecture des bons livres et de l’Écriture sainte, demandant à Dieu les grâces qui lui étaient nécessaires pour l’exercice de son ministère, et ajoutant qu’il s’était contenté pendant longtemps d’exhorter les peuples, et qu’il n’y avait que quelques années qu’il exerçait toutes les fonctions de son ministère ;

« Interrogé de quel droit il s’était attribué le pouvoir de faire toutes les fonctions de ministre,

« A répondu qu’il avait reçu l’imposition des mains dans une ville de Suisse, dont il ne sait pas le nom, il y a environ deux ans et demi, qu’un homme, qu’il ne connaît pas non plus, était venu le prendre sur la montagne de Lauzère, où il était, et l’avait servi de guide jusque dans la Suisse, où il avait reçu sa mission ;

« Interpellé de nous dire de quelle façon se fait cette cérémonie,

« A répondu qu’il fut conduit dans une salle où il trouva deux ministres qui, après une exhortation et une prière, lui imposèrent les mains ;

« Interrogé s’il croit avoir le même pouvoir d’imposer les mains et de recevoir des ministres,

« A répondu et avoué ;

« Interrogé s’il n’a jamais reçu aucun de ses frères au saint ministère,

« A répondu et dénié ;

« Interrogé si depuis qu’il a reçu l’imposition des mains il s’est regardé comme indépendant de tous les autres ministres, tant de ceux qui sont dans les pays étrangers que de ceux qui peuvent être répandus dans le royaume,

« A répondu qu’il ne s’était point regardé comme indépendant, puisqu’en recevant l’imposition des mains il s’était soumis à la discipline qui était suivie dans les églises réformées de France, lorsque la religion protestante y était publiquement exercée ;

« Interpellé de nous dire quels étaient les principaux points de cette discipline,

« A répondu que lorsqu’un ministre prévarique dans ses fonctions, les fidèles assemblés conjointement avec les ministres étrangers, s’il y en a, ou ceux qui peuvent se trouver dans le pays, sont en droit d’interdire à un pasteur les fonctions de son ministère ;

« Interrogé si cette juridiction se fait à la pluralité des voix,

« A répondu et dit qu’on choisissait ceux qui étaient regardés comme les plus honnêtes gens de l’assemblée, avec un pareil nombre de ministres, et que la voix des ministres avait toujours une plus grande autorité ;

« Interrogé de quelle manière on peut établir juridiquement qu’un ministre a prévariqué,

« A répondu que cela s’établissait par une enquête, qui était ensuite rapportée à l’assemblée, et sur laquelle il était jugé ;

« Avons exhibé à l’accusé un cahier de papier composé de douze feuilles in-12, cousu avec du fil, écrit qui commence par ces mots : Évangile selon saint Jean, ch. v, v. 28 et 29, et finit par ces mots : Dieu nous en fasse à tous la grâce. Amen. Et l’avons interpellé de nous dire si c’est un sermon par lui composé et écrit de sa main, du nombre de ceux qu’il avait accoutumé de prêcher lorsqu’il convoquait des assemblées, et le même qu’on a trouvé sur lui lorsqu’on l’a arrêté ;

« L’accusé a reconnu que ledit cahier contenait un sermon écrit de sa main, par lui composé, et a avoué que c’était un de ceux qu’il prononçait dans les assemblées, et à l’instant nous avons paraphé ledit sermon par première et dernière page ;

« Avons aussi représenté à l’accusé un carré de papier contenant une espèce de mémoire ou indication de plusieurs versets de l’Écriture, et l’avons interpellé de nous dire à quel usage il s’en servait,

« L’accusé a reconnu que ce qui se trouvait sur ledit papier était écrit de sa main, et qu’il contenait un mémoire de divers passages de l’Écriture sainte, qu’il rédigeait à mesure qu’il la lisait, pour s’en servir dans ses exhortations, et à l’instant nous l’avons paraphé en présence de l’accusé ;

« Et plus avant n’a été interrogé ;

« Exhorté à mieux dire la vérité,

« A répondu l’avoir dite, lecture faite, y a persisté et signé. » « Claris.rsisté

« Ainsi répondu par devant nous,

« Darlhoc, greffier[58].
« Novy de Caveirac. »


Ce que nous avons omis dans cet extrait de l’interrogatoire du ministre Claris se rapporte aux questions du juge sur le fait de la déposition du ministre Boyer, déposition sur laquelle nous reviendrons ; elle fut prononcée pour « quelques fautes », et le ministre Claris prit part à ce jugement avec ses collègues Combes, Roux, Courteis, et Bétrine. Toutefois notre extrait suffira pour faire apprécier le singulier caractère de ces procédures. La simplicité et la fermeté des réponses ; la hardiesse avec laquelle l’accusé convient d’un crime puni de mort par les édits ; les questions captieuses du juge ; le soin que met le ministre à ne dénoncer ni aucun des fidèles qui l’avaient accueilli, ni aucun des endroits où il avait trouvé asile ; tous ces détails marqués d’un si grand cachet de vérité qu’il donne sur ses travaux de pasteur : tout cela dévoile et le caractère des juges, et le courage des ministres, et l’espèce de justice dont ils étaient environnés.

En l’absence d’aussi irrécusables témoignages que les pièces mêmes du dossier, on aurait beaucoup de peine à croire aujourd’hui, qu’un juge d’un esprit aussi solide et aussi logique que Novi de Caveirac, ait pu ainsi venir froidement interroger un homme au criminel pour des faits de ce genre, ait pu transformer en actes coupables l’exercice pur et simple de fonctions aussi salutaires, et qu’il ait fini par parapher comme pièces de conviction un manuscrit de sermon et des passages de l’Écriture Sainte. Mais il y a un siècle, les idées de tolérance étaient fort obscures encore, surtout dans le midi de la France. Aussi, par cet interrogatoire, le ministre Claris, formellement convaincu, par ses aveux mêmes, du crime de pastorat, était condamné à mort par le texte précis de l’édit de 1724, et d’une foule d’autres.

Environ un mois après cette première instruction, nous trouvons Jean Daudé, chevalier de l’ordre du roi, subdélégué, seigneur d’Alzon, Arrigas, Beaufort, etc., etc., à la requête du sieur Dyverny, maréchal1732.
6 octobre.
de camp des armées du roi, commandant en la province de Languedoc, verbalisant dans cette même citadelle d’Alais « sur l’évasion du nommé Barthélemi Claris, ministre de la religion prétendue réformée (Verbail dressé par M. Daudé, subdélégué, 9 feuill. paraph. Mss. P. R. or.). Claris avait trouvé le moyen de ne pas attendre le jugement. Aussi adroit que zélé, secondé d’ailleurs par les nombreux fidèles d’Alais, qu’il consolait aux périls de ses jours, il avait réussi à se procurer un ciseau en fer de onze pouces de longueur ; à l’aide de cet instrument, il profita d’une nuit obscure pour soulever la pierre des communs qui communiquaient avec son cachot ; il descendit au rez-de-chaussée, brisa la clavette des fers6 octobre. qui enchaînaient ses pieds, monta sur la couverture du château, au moyen d’une corde qu’on lui jeta du dehors, redescendit par la fenêtre de la première rampe de l’escalier, et enfin gagna la terre au pied du rempart, sous les canons qui le garnissaient et malgré les sentinelles du bastion et du cachot. Plusieurs circonstances d’un bonheur remarquable protégèrent cette évasion. Il fut établi dans l’enquête qu’une femme prisonnière au château d’Alais avec Claris, et dont le cachot était près du sien, Madeleine Fontane, avait entendu un grand bruit comme quelqu’un grimpant la muraille, et comme si le mur se démolissait, mais qu’ayant pensé que ce pouvait être un gros rat, elle n’avait point donné l’alarme. Des traces de pas et autres indices firent voir que plusieurs personnes avaient aidé à cette action hardie, où se montra tout l’amour des fidèles pour leur pasteur en danger, et sous ce rapport, on peut signaler Roche, menuisier, et Théron, son beau-frère, d’Alais. On ne réussit point à reprendre ce prisonnier évangélique. Ainsi cette victime désignée fut arrachée au sort qui l’attendait.



CHAPITRE VIII.


Lettres de Saurin aux églises. — Mesures des synodes. — Requête des curés des Cévennes à la cour. — Réponse de l’intendant du Languedoc. — Incendie de livres protestants. — Applications de l’édit de 1724.


Pendant que le culte réformé se relevait dans le 1733-1735. midi de la France, et à peu près à la même époque où il parut démontré que la déclaration de 1724 rencontrerait mille impossibilités dans l’exécution la politique pacifique du cardinal de Fleury ne put empêcher la guerre de se rallumer en Europe. Cette fois l’étincelle naquit et jaillit bien loin de nous, par l’élection du beau-père de Louis, Stanislas Leczinski, au trône de Pologne. Mais le père de Marie-Thérèse, l’empereur d’Autriche, Charles VI, ordonna une seconde élection au profit de l’électeur de Saxe, Frédéric-Auguste, son neveu par alliance ; la Russie l’appuya et la fit triompher. Tout réussit à leur gré en Pologne ; mais l’Empereur, battu à la fois sur le Rhin et en Italie, fut obligé de transiger ; son gendre, le duc de Lorraine, eut l’héritage des Médicis, le grand-duché de Toscane ; une branche de la maison d’Espagne reçut Naples et la Sicile, et Stanislas, paré du titre de roi, obtint la Lorraine avec réversion à la France.

Parmi les alliances qui furent alors contractées par la cour de Versailles, il y en eut une qui aurait pu exercer quelque influence sur les intérêts et sur la tranquillité des églises du désert. Le cardinal de Fleury s’allia avec les deux grandes puissances protestantes de l’Europe, la Hollande et l’Angleterre, et s’assura de la coopération ou de la neutralité de ces États ; car la Prusse n’avait pas encore été constituée par l’épée du grand Frédéric. Mais on ne voit pas que ce rapprochement ait sensiblement adouci en France le sort des réformés.

Ils éprouvèrent à cette époque un malheur que n’eût pas compensé même une interruption dans les mesures des persécuteurs ; ce fut la mort de Jacques Saurin, le puissant orateur de La Haye. Les églises durent pleurer la perte de cette éloquence religieuse 1730.
30 décemb.
et politique, qui remettait sans cesse sous les yeux des réfugiés le tableau des malheurs de leurs frères, et qui en déduisait les leçons les plus énergiques de conduite et de mœurs. Il y avait alors des hommes d’élite dans toute l’Europe protestante, parmi lesquels la langue française commençait à se répandre. Notre langue s’étendait, d’abord par une cause fort glorieuse, l’ascendant littéraire du grand siècle, et ensuite par une cause qui l’était beaucoup moins, l’exil et la dispersion des réfugiés. Ces protestants influents et zélés se pressaient dans le temple de La Haye pour entendre la parole vibrante du grand orateur, cet accent incisif qui tenait en même temps de la ferveur de l’école genevoise et de l’ardeur méridionale, et surtout pour s’édifier à l’ouïe de ces prières solennelles, où Saurin déployait une ferveur de ton et de supplication, dont on n’avait jamais vu d’exemple. Ils avaient ainsi l’occasion de connaître la France en la personne du plus illustre de ses exilés. La mort du prédicateur de La Haye priva les églises du désert d’un tel député auprès de l’Europe.

Cette perte ferma l’école de la grande littérature théologique des réfugiés français. Lors de leur bannissement du sein de la France, lors de la ruine simultanée de leurs académies et de leurs temples, la science religieuse était en voie notable de progrès. Les savantes idées de Samuel Bochart, de Caen, avaient ouvert la lice où les recherches de l’érudition orientale et classique allaient constituer la théologie à l’état de science archéologique. Les monuments des arts et les traditions mythologiques de tout l’ancien monde furent rapprochés des annales hébraïques ; ce fut le premier pas de l’école féconde où marchèrent, un siècle et demi plus tard, Heyne et Bauer. Dès les premières années du xviiie siècle, un autre savant réfugié, homme d’une imagination excitable, mais laborieux, plein de zèle et d’une érudition consciencieuse, Pierre Jurieu, de Mer, dans l’Orléanais, pasteur à Rotterdam, avait examiné, dans une histoire générale des dogmes, quelle fut la filière des idées religieuses des peuples de l’antiquité, et comment l’humanité se développa sous le point de vue religieux (1704). Jurieu termina sa carrière un peu avant la mort de Louis XIV, lorsque les églises désolées auraient eu le plus besoin du secours de sa science ; mais ses pressentiments politiques l’avaient déconsidéré dans ses derniers jours (1713). Ce vaste et méthodique travail avait paru presque en même temps que celui de Jacques Basnage, de Rouen, qui passa de longues années de son exil à écrire sa grande histoire de l’église (1699), livre qui fraya de nouvelles voies à la théologie raisonnable ; ce fut la fin du scepticisme et de la scolastique ; la science religieuse historique n’avait rien produit alors, et depuis elle n’a rien créé de plus sensé en critique, de plus fin quant aux aperçus, de plus agréable quant au style. Le flambeau de la science protestante française fut surtout relevé au xviiie siècle par le célèbre réfugié et pasteur à Berlin, de Beausobre, dont les livres sur des questions européennes ou orientales sont restés comme des modèles classiques de modération, d’impartialité et de savoir. Peu de temps avant Jacques Saurin, Basnage était mort (1723) ; les églises du désert avaient perdu un de leurs soutiens les plus considérés de l’Europe entière, y compris la cour de Versailles. Pierre Bayle, du Caria, pays de Foix, avait terminé sa vie, agitée par mille disputes, bien avant tous ses savants confrères d’exil et de science (1704) ; mais la réputation et la prodigieuse influence de son Dictionnaire et de ses idées n’avaient cessé de croître. Si cet esprit dangereux, admirable et subtil, voulut réellement établir la paix et appuyer la tolérance sur l’exposition de la vanité de tous les systèmes ; s’il voulut effectivement fonder un progrès stable sur des doutes passagers, ce dessein trop enveloppé ne fut point compris durant sa vie par les plus consciencieux de ses contemporains. Ils durent, au contraire consacrer leurs efforts à relever ces dogmes et ces croyances pour lesquels tant de Français avaient souffert, et qui ne trouvaient plus chez un de leurs anciens ministres que le plus impitoyable des railleurs. Jacques Saurin plaça tout le poids de son éloquence dans la thèse contraire. Il fut d’une manière spéciale l’antagoniste de Bayle. Pendant plus de vingt-cinq années, occupant la chaire extraordinaire de l’auditoire des nobles à LaHaye (1702 à 1730), Jacques Saurin opposa son dogmatisme arrêté et entraînant à l’influence du philosophe sceptique de Rotterdam. Ce fut sous ce rapport que Saurin rendit le plus de services au monde protestant. Il fortifia la foi que la philosophie du xviiie siècle allait bientôt attaquer de mille moyens, au sein d’une littérature catholique et des salons des encyclopédistes. Tandis que Bayle prêcha indirectement l’accommodement avec les circonstances, et qu’il essaya de mettre en relief l’obscurité égale de toutes les théologies, Saurin, au contraire, fit du dogme réformé un système de raison et de sentiment, où il tenta, par une voie tout opposée, de fournir au cœur et à l’intelligence le plus inébranlable des appuis. Partout il justifie l’exil des réfugiés ; partout il fait voir que leur résolution est sainte ; partout il recommande et supplie qu’on vienne chercher même hors de France les privilèges du culte public ; partout il exalte les malheurs des réfugiés, et partout il proclame que leur foi en vaut bien la peine. Tout cela est mitigé chez ce grand orateur, par ces douces réminiscences de la patrie absente, par ces vifs appels aux malheurs des églises, par ces mouvements tout français, qui forment pour nous aujourd’hui encore, un des plus grands charmes de sa manière.

Tous ces traits divers donnaient à son éloquence quelque chose d’exceptionnel et de particulier ; mais on voit d’un autre côté, sous un point de vue plus général, que l’illustre exilé de Nîmes avait emporté avec lui l’influence de la grande école littéraire. Par la couleur de Saurin, le siècle de Louis XIV se manifeste encore dans la chaire du réfugié de La Haye. Sans ornements, sans subtilités, et même sans esprit à proprement dire, le caractère de ses discours est la logique, la force et la grandeur. La Providence, la liberté, le monde futur, l’enfer et le ciel, les perfections divines, toutes ces redoutables questions n’ont point de mystères qu’il n’aborde avec audace, avec succès, et non sans remuer profondément les âmes. Son style âpre et net se tient à la hauteur d’un tel dessein. La force du raisonnement et la hardiesse de la pensée, font paraître naturel ce qui paraîtrait outré ou téméraire chez d’autres orateurs. Aussi on n’y rencontre aucunes recherches de style, aucun agrément, aucunes fleurs. Mais presque toujours aussi la vive éloquence et les saisissantes images naissent du pathétique de sa pensée. Alors Saurin est simple ; mais il est attendrissant au plus haut degré. Sous ce rapport sa manière tient des tragiques grecs ; la sensibilité découle sans effort du sein même de la conception.

Un autre point de vue sous lequel la lecture de ces magnifiques harangues intéressera et instruira toujours, c’est la rigueur et la grandeur de leur dogmatisme. Ce fut là un des traits saillants de Saurin. Son dogmatisme est toujours logique et parfaitement arrêté. Il ne s’égara qu’une fois ; ce fut, lorsque examinant la nature des voiles dont le prophète Samuel s’enveloppa pour tromper Saül, il crut trouver une apologie du mensonge dans les oracles du peuple de Dieu, comme si le code hébraïque dût servir partout de loi morale aux chrétiens. Il fut entraîné par une analyse trop profonde et trop curieuse. Mais, quant à ses sermons, ils sont nettement démonstratifs et bibliques. La religion qu’ils exposent, revêtue d’un style classique et de bon goût, n’est pas moins la religion des anciens temps. Le dogme chrétien n’y est amoindri par aucune concession à l’esprit du jour. Aussi, toutes les difficultés de la foi, et même de la philosophie, y sont indiquées et traitées sans réticence. On voit que Saurin avait l’habitude de regarder jusqu’au fond des choses. Sans appeler les abîmes, il osait les sonder. Aussi la lecture de ses sermons a quelque chose de singulièrement vif et de fortifiant. C’est un voyage dans un pays de montagnes ; on y respire plus librement même au milieu des colosses sur lesquels on rampe, et qui vous écrasent. Saurin nous fait habiter au milieu des plus hautes questions qui puissent occuper et effrayer l’intelligence[59]. Il faut ajouter encore deux traits ; le premier, que ses discussions sont, en général, très-sensées et très-claires ; on ne s’y heurte pas sans cesse contre l’exposé de ces dogmes superstitieux et de ce mysticisme catholique, où même tout le génie de Bossuet ne réussit pas toujours à captiver un lecteur intelligent ; le second trait, c’est que Saurin ne fut pas l’orateur courtisan d’une cour absolue, et qu’il ne ravala jamais la dignité de sa parole par des flatteries indignes de la chaire chrétienne. Quand il parla des grands, ce fut suivant la pensée religieuse que Dieu seul est grand. Pour résumer ce tableau, ce qui fera toujours de ses sermons la lecture favorite des gens de goût et des penseurs, c’est qu’ils ont beaucoup d’élévation, une grande manière de style, une appréciation vigoureuse des passions et du cœur, la douloureuse énergie et regret d’un exilé, et enfin un certain degré de liberté politique : ce sont ces qualités réunies qui ne se trouvent chez aucun autre orateur du siècle de Louis XIV.

Même d’après cette esquisse, on peut se figurer toute la perte qu’éprouvèrent les églises du désert lorsqu’elles pleurèrent le grand prédicateur de La Haye. Ses dernières relations avec elles jettent même quelques lumières sur leur histoire. On peut les recueillir dans ses lettres qu’il intitula l’État du Christianisme en France, et qui ne répondent pas fort 1725. exactement à leur titre[60]. Son livre ne s’est pas étendu au-delà de la première partie de son plan ; les lettres qu’il fit paraître dans les années qui précédèrent sa mort (12 janv. 1726 — 22 fév. 1727) roulent sur la controverse contre l’autorité et contre les miracles catholiques. Ce dernier point est abordé à propos d’un mandement du cardinal de Noailles, du 1er août 1725, dans lequel l’archevêque de Paris célèbre l’éclatant miracle qui guérit une dame de La Fosse d’une cruelle hémorrhée, miracle qui fut opéré dans la paroisse de Sainte-Marguerite du faubourg Saint-Antoine de Paris, et qui frappa de son évidence plusieurs nouveaux réunis et nouvelles réunies de la capitale (Mand. du card. de N…). Ce fut avant tout un miracle de couleur janséniste que Saurin n’eut pas de peine à signaler. Selon le cardinal de Noailles, ce prodige provint « de ce que Dieu a voulu confondre les incrédules et donner, pour la consolation des fidèles et pour la pleine conviction de nos frères réunis une preuve sensible des grandes vérités. » Mais selon l’évêque de Montpellier, janséniste persécuté comme le cardinal de Noailles, ce miracle avait été fait pour consoler l’église catholique dans ses membres affligés ; le curé de la paroisse de Sainte-Marguerite étant docteur de Sorbonne et des plus attachés à la cause ; « parce qu’on ne veut point recevoir les sacrements de ses mains, entre ses mains Jésus-Christ avait voulu accorder la guérison miraculeuse de la nouvelle hémorrhoïsse, » disait l’évêque dissident de la constitution papale Unigenitus. Comme il était donc incertain si le miracle était destiné à la conversion des molinistes ou des protestants, Saurin prouva facilement qu’il ne concernait personne. Ce qui est plus intéressant que cette controverse, c’est la dissertation ingénieuse où elle engagea Saurin quant à la nature des miracles et quant à l’Eucharistie.

Nous rentrerons plus particulièrement dans notre sujet en faisant connaître, d’après ces lettres, les sentiments que les réfugiés entretenaient pour la France. Leurs professions, sous ce rapport, font partie de l’histoire des réformés français. Nous citerons leurs paroles d’autant plus volontiers qu’elles fournissent un tableau consolant. Après tant de malheurs éprouvés en France par ceux des réformés qui s’expatrièrent comme par ceux qui ne purent s’y décider, on éprouve quelque joie à voir le sort heureux de ceux au moins que la Providence avait recueillis sur des bords hospitaliers. On ne peut se défendre de ressentir aussi de la tristesse en entendant ces illustres Français remercier les états-généraux de tous ces bienfaits de liberté et de calme qu’ils auraient dû trouver dans leur patrie, ou plutôt qu’ils n’auraient jamais dû perdre. « Il est vrai, disait Saurin aux églises du désert, que les catholiques nous ont réduit, nous et les compagnons de notre exil, aux dernières extrémités. Ils nous ont contraint à nous arracher au lieu de notre naissance ; ils nous ont envahi nos biens ; ils ne nous ont laissé d’autre ressource que la charité des peuples qui nous ont tendu les bras dans notre refuge… Mais ce qu’ils avaient peut-être d’abord pensé en mal, c’est une expression de l’Écriture, Dieu l’a formé en bien (Genèse, 50, 20). Nous leur devons du moins la guérison d’un préjugé né avec nous et dans lequel sont encore aujourd’hui la plupart des gens de notre nation : c’est qu’il n’y a point de séjour agréable hors de la France. Nous vivons dans des pays délicieux et sous le gouvernement du monde le plus doux. Nous trouvons dans les Provinces-Unies un dédommagement universel aux sacrifices que nous avons faits pour notre religion. Nos souverains sont en quelque sorte nos égaux par leur affabilité et par un certain esprit d’égalité qui règne dans les républiques, autant que cela est compatible avec le bien de la société. Ceux de nous qui ont quelque savoir et quelque industrie se sont poussés dans leur art. Nos frères exilés dans d’autres pays protestants y éprouvent mille douceurs, et s’il y en a quelques-uns qui se trouvent dans l’indigence, comme on ne saurait en disconvenir, ils en sont amplement récompensés par la paix de leur conscience, le plus précieux de tous les biens. Ainsi, quand nous aurions eu le cœur ulcéré contre nos persécuteurs, les premières années de notre persécution, nos plaies sont fermées depuis bien longtemps. Ils n’ont donc aucun lieu de soupçonner que nous leur parlerons comme des personnes aigries par les malheurs dans lesquels ils nous ont plongés. » (Préf., p. 4-8).

D’ailleurs Saurin déplore encore ici l’état du christianisme en France dans les premières années de Louis XV. Il déclare avoir besoin de toute sa soumission aux ordres du ciel pour voir avec résignation le redoublement des fléaux dont Dieu les visitait. Aussi il désirait très-vivement les voir réunis aux églises dont le malheur des temps les avait arrachés. L’exil des uns et le séjour des autres avait tronqué les familles : « l’un de nous est séparé de son frère, l’autre de son père, l’autre de son enfant. » (P. 24).

On voit percer trop manifestement ici l’éloignement de Saurin pour la conduite de ceux de ses frères qui étaient restés dans leur patrie. Selon sa pensée intime, ils méritaient tous la qualification de temporiseurs. Il est surprenant que Saurin eût porté sur eux un jugement aussi absolu ; il est probable qu’il n’avait que des renseignements fort incomplets sur leur conduite et sur leur noble résistance à l’abolition du culte. Cependant son opinion sur la conduite des églises du désert est singulière ; elle mérite que nous essayions de nous en rendre compte. Dans cette préface, principalement adressée aux églises de France, il se reproche de n’avoir pas donné à ses compatriotes des preuves assez sensibles de son amour. Il rappelle qu’ils avaient souvent imploré son secours ; qu’ils avaient demandé des directions ; qu’ils avaient exigé de lui des formulaires de piété convenables à leur état. « Nous nous sommes refusé jusqu’à présent à des demandes qui semblent si justes. » Les raisons qui portaient Saurin à ne pas subvenir aux vœux et aux besoins de ses frères peuvent se déduire aisément de ses propres déclarations. Il craignait toute concession aux facilités et aux tendances du culte secret. Pour lui c’était faire l’apologie de la faiblesse et fournir aux fidèles de nouveaux prétextes de s’affermir dans ce qui était à ses yeux une désertion de leur foi. Il redoutait la prédominance du for intérieur sur l’obligation sacrée de confesser la religion au dehors. Il allait jusqu’à émettre cette proposition, qui pourrait paraître étrange à bon droit : « leur proposer des moyens de suppléer dans leur cabinet au culte public dont ils sont privés, n’aurait-ce pas été reconnaître que le culte public n’est pas nécessaire. »

Ainsi Saurin donnait aux églises du désert les plus austères conseils. Il ne se reproche qu’une seule chose, c’est de n’avoir pas travaillé sans cesse à arracher le bandeau que les fidèles avaient sur les yeux. Il reculait devant l’obligation de leur dépeindre l’atrocité de leur conduite « et toute l’horreur de leur état ; » une indolence qui durait depuis quarante années ; tant de mariages contractés dans des circonstances si peu propres à attirer les bénédictions du ciel ; tant d’enfants retenus dans des lieux où il est si difficile de connaître la vérité ; tant de mourants privés de consolations ; tant de vœux de se relever formés mille et mille fois, et violés autant de fois. Il insistait encore en adjurant les fidèles français à bien peser, qu’un culte rendu à la Divinité dans un genre de vie qu’elle condamne d’une manière si expresse, était moins propre à concilier sa faveur qu’à exciter son indignation. Enfin les habitudes d’éloquence du fervent orateur reviennent dans cette épître, à cet endroit où il s’écrie, en parlant des protestants qui s’obstinaient à rester dans les églises du désert : « La plume nous tombait des mains, toutes les fois que nous la prenions pour leur déclarer, que nous n’avions d’autre direction à leur donner, que celle que le Saint-Esprit donne lui-même à tous ceux qui sont dans leur cas : « Sortez de Babylone, mon peuple, de peur qu’en participant à ses péchés, vous ne participiez à ses plaies. » (Apoc, 18. 4.)

Il est clair que les motifs de Saurin étaient louables, et qu’ils durent occasionner de violents conflits dans une âme aussi fervente. Il était, pour ainsi dire, partie intéressée dans la question. Ses ouvrages étaient proscrits en France. Nous verrons plus tard que l’intendant du Languedoc fit brûler une masse considérable de volumes d’un orateur sacré, qui honorait à la fois et sa province et sa patrie. Sa foi ne pouvait consentir à approuver que des églises restassent dans un pays où elles étaient contraintes à mille actes d’hypocrisie, tandis que l’exil leur eût assuré, à elles et à leur foi, la possession d’un culte public et tous les bienfaits de la liberté de conscience. Mais on conçoit qu’il se trouva des Français, et en grand nombre, auxquels l’absence rendait tout le reste amer. D’autre part, Saurin ne pouvait ignorer qu’en conseillant aux fidèles du désert le devoir indispensable du culte public, il risquait d’attirer sur eux de nouvelles persécutions. La cour, redoutant sans cesse les assemblées des religionnaires, les eût poursuivis d’autant plus et eût d’autant plus réveillé les édits tombés en désuétude, que ces convocations auraient eu l’air de naître par suite des instigations de l’étranger. On savait les liaisons politiques de Basnage et de Saurin avec le cabinet des stadholders et avec Leurs Hautes Puissances. Ces relations, toujours prudentes, et jamais systématiquement ennemies de la France, auraient cependant effrayé les ministres de Louis XV. En conséquence, si les exhortations de Saurin fussent restées dans l’obscurité, elles auraient été perdues ; si elles fussent devenues publiques, elles auraient été dangereuses. On ne le voit que trop ; rien de plus compliqué ni de plus difficile à bien saisir, que la position de l’illustre orateur de La Haye vis-à-vis de ses compatriotes français, demeurés parmi les églises nationales du désert. D’ailleurs, les lettres qu’il destinait aux protestants temporiseurs en France, la mort ne lui a pas laissé le temps de les leur adresser ; nous sommes par-là privés d’un épisode éloquent, et considérable pour notre sujet. Nous aurons occasion de revenir sur ce que Saurin a placé ici concernant l’état de la France sous le rapport des progrès du déisme.

Les récits de la position des églises auxquelles nous allons maintenant revenir vont confirmer d’une manière éclatante les jugements et les hésitations mêmes du prédicateur de La Haye. Son opinion sur la nécessité de la fermeté en face des prétentions de l’Église dominante fut soutenue tacitement par les décisions d’une foule de synodes du désert. Mais les exigences des édits atteignant les réformés dans tous les actes, sans exception, de leur vie civile et religieuse, leur imposèrent des dissimulations presque inévitables dans un temps si malheureux. Ces concessions d’un moment n’arrêtaient pas le progrès des églises dans les provinces du Languedoc. Il y a plus encore : les persécutions ne parurent pas ralentir la nouvelle organisation ecclésiastique, qui prenait chaque jour plus de force. Dans l’année qui suivit l’évasion du ministre Claris, nous le voyons, en qualité de secrétaire ou de président modérateur, se réunissant à ceux de ses collègues que nous avons déjà fait connaître, sauf le ministre Viala, pour coopérer à plusieurs mesures d’un caractère plus général, et de nature à rallier les fidèles des provinces les plus éloignées. La disette de pasteurs savants existant toujours, et la province de Guyenne étant presque dénuée de leur secours, le Languedoc, malgré d’injustes jalousies, prit l’initiative. Cette province invita les collègues de Suisse à dresser un formulaire de prières accommodées au temps, que les anciens pussent réciter au défaut d’un culte régulier devant le nombre de fidèles que la prudence permettait. C’était toutefois agir un peu contre l’avis de Saurin. On délibéra de plus que toutes les fois que des jeunes gens souhaiteraient d’étudier pour devenir ministres, deux députés se transporteraient sur les lieux pour examiner si les aspirants avaient les mœurs requises et le talent pour la prédication. La persécution apportant trop d’obstacles aux députations du Dauphiné et du Vivarais, on adopta l’avis de considérer comme synode national la réunion des représentants des églises de Guyenne, haut et bas Languedoc, et Cévennes ; on les divisa en trois corps ; le corps du bas Languedoc eut les pasteurs Roux et Claris, et Rivière, prédicateur ; celui des Cévennes eut les pasteurs Combes et Maroger, et Rouvière, prédicateur ; celui du haut Languedoc et Guyenne eut le pasteur Bétrine, et Viala, prédicateur. Tous signèrent cette délibération, dont la date1733.
26 février.
est importante pour l’histoire des églises, parce qu’elle prouve qu’alors la France protestante se composait des provinces du Vivarais, du Dauphiné, des deux Languedoc, de Guyenne, et des Cévennes. (Syn. or. Mss. P. R.) Le reste, comprenant le nord, l’ouest et le centre, ne paraissait pas s’être mis encore en rapport avec la partie du midi ; le culte public s’y était éteint ; la foi ne se conservait que dans l’intérieur des familles, qui n’obtenaient que de bien rares visites de pasteurs ; il fallut encore plus de dix années pour que le Poitou figurât, par ses députés, dans les synodes des courageuses provinces du midi. À la même époque, de sages mesures d’administration financière marchaient de front avec les règlements d’éducation et de discipline. On régularisa les comptes des deniers des pauvres, ceux des fonds pour l’acquit des amendes encourues pour fait de religion, et ceux « de la taxe du saint ministère. » (Syn. or. Mss. P. R.) On nomma des commissaires à cet effet pour chaque district de29 octobre. colloque, et aussi pour surveiller les écoles ambulantes, et recueillir des fonds destinés à les soutenir.

Ce n’était pas assez de régulariser le culte, de multiplier les mesures d’administration, et de veiller surtout à ce que les fonctions pastorales tombassent entre des mains dignes de les remplir ; il fallait encore s’occuper de sauver la jeunesse des efforts renouvelés du clergé catholique pour la ravir aux pratiques et à la doctrine qu’on lui inspirait au prix de tant de persécutions. Pendant toute la première moitié du xviiie siècle, comme dans les dernières années du xviie siècle et depuis la révocation, le clergé dominant, pendant qu’il excitait à persécuter les parents, circonvenait la plus tendre enfance de mille pièges et de toutes les séductions appropriées au premier âge. Les pièces du temps fournissent des révélations curieuses. Dans tout le vaste district du midi du royaume, depuis Montpellier jusqu’à l’extrémité du Vivarais, les mêmes artifices étaient mis en usage. Les missionnaires s’attachaient surtout aux jeunes filles ; tantôt on étudiait leur goût pour la gourmandise, ou pour le luxe des habits ; tantôt on leur promettait une bonne dot et un parti avantageux, tandis qu’on offrait toute sûreté et toute protection à celles qui s’irritaient contre leurs parents. « Le zèle du clergé romain, disent les déclarations synodales, est peu délicat et peu scrupuleux. Le succès qu’ont eu déjà ses artifices l’excitera sans doute à les redoubler, et nous avons tout lieu de craindre que les perversions ne deviennent tous les jours plus nombreuses. La persécution la 1733.plus violente est moins à craindre que ces voies sourdes et clandestines. Que deviendront nos églises si on séduit nos enfants qui en sont la pépinière, et qui doivent les perpétuer ? » (Avis important à MM. les pasteurs et les anciens des églises réformées. Mss. P. R.) Malgré ces menées, les assemblées continuaient toujours ; de nouveaux pasteurs sortaient du séminaire de Lausanne ; tous les jours le culte revêtait un caractère plus régulier. L’année suivante il fut arrêté que chaque église se pourvoirait d’un lecteur et d’un chantre « choisis parmi les fidèles qui ont le plus de piété et de talent. » Le chant des psaumes n’avait pas cessé d’être l’un des principaux exercices du culte. Cette harmonie naïve rappelait aux églises les souvenirs des cantiques, qui furent adoptés dans les premiers temps, et qui dans l’une et dans l’autre fortune avaient édifié et consolé les fidèles. Il fut même toujours fort difficile d’obtenir que les assemblées du désert ne fissent pas retentir au loin les échos de ces chants qui pouvaient les faire découvrir. Aussi, même au milieu de tant de persécutions, on trouve dans les délibérations synodales l’article suivant, qui démontre que les églises du désert s’occupaient à donner aux chants plus de solennité et plus de justesse : « Dieu ayant suscité un nombre considérable de musiciens pour enseigner la musique à la jeunesse dans les églises sous la croix, et y ayant eu quelque peu d’émotion parmi eux, à cause du peu d’ordre qu’ils ont tenu et de l’irrégularité de la conduite de quelques-uns, l’assemblée synodale a jugé à propos, pour maintenir l’ordre, de charger les pasteurs d’appeler les susdits musiciens pour les exhorter et les censurer. » (Syn. prov. Mss. P. R.)1734.
5 mai.

Toutes ces mesures attestent que la persécution tendait à devenir moins vive. L’ordre établi dans le culte, la sagesse des restaurateurs de la discipline, leur haute prudence, le soin avec lequel ils combattaient le fanatisme, et surtout la peine qu’ils se donnaient pour tout pacifier et pour éteindre les cendres encore fumantes de la guerre des Cévennes, paraissent avoir frappé l’attention des intendants et par suite celle de la cour. La déclaration de 1724 et toutes ses dispositions d’une si cruelle minutie, étaient évidemment inexécutées ; il est vrai qu’elle était inexécutable, sans une proscription horrible, qui eût indubitablement fait reprendre les armes aux descendants des Camisards. Déjà, vers cette époque, commence un usage bizarre de la cour, dans ses rapports avec ses sujets protestants, qui était de nier leur existence, d’une part, et de l’autre part, non seulement de la reconnaître, mais de tolérer tacitement les assemblées. Dès cette époque on voit se dessiner la pratique gouvernementale, de laisser en vigueur une législation effroyable, et puis de l’adoucir considérablement dans la pratique : politique malhabile et cruelle, qui ne comportait ni le despotisme ni la liberté. Cette faiblesse mélangée de rigueur peut seule faire concevoir les événements qui se passèrent bientôt au sein des églises réformées. Leurs malheurs arrivèrent par secousses et par saccades, selon la disposition des intendants, la sévérité des parlements, et les intrigues du clergé, qui ne cessa d’invoquer l’exécution intégrale des édits. Sans doute un zèle exagéré de conversion trompait les prêtres sur l’injustice d’une législation si éloignée de l’esprit de l’Évangile. Quoi qu’il en soit, il y eut vers ce temps un relâchement sensible 1730-1744.dans les mesures de vigueur.

Après l’exécution du ministre A. Roussel à Montpellier, en 1728, quatre ans s’écoulèrent avant qu’un tragique événement de ce genre ne se renouvelât. Ce n’était point toutefois que des condamnations aux galères perpétuelles, des amendes et des confiscations de tous genres, ne fussent très-souvent décernées contre des réformés coupables d’un simple acte de zèle pour leur culte. À cette époque, le Conseil d’état, siégeant à Versailles, décida que la dame de Tremond, d’Uzès, serait punie suivant la rigueur de la déclaration de 1724, art. 8, 9 et 11, pour avoir donné asile chez elle à un soldat du régiment d’Eu, et avoir contribué à l’affermir, dans sa dernière maladie, à mourir protestant ; Louis XV ordonna aussi qu’il serait fait procès à la mémoire du soldat (Extr. du reg. du Cons. d’état. Mss. P. R.), poursuivant ainsi la 1737.
4 mai.
conscience jusqu’au-delà du degré où toute juridiction humaine s’arrête.

Mais des mesures de ce genre, qui se répétaient souvent et sous toutes les formes qu’une jurisprudence ingénieuse et alliée aux intérêts du fisc pouvait suggérer à la chicane, n’infirmaient point le fait général d’un adoucissement dans l’application des lois persécutrices, adoucissement fondé sur l’impossibilité absolue de les mettre à exécution. Cet adoucissement, la justice de l’histoire force à l’avouer, ne convenait pas au clergé. Ce qu’il appelait l’hérésie avait montré une vie très-dure et s’était obstinément conservé. Les lois les plus cruelles avaient multiplié les émigrations, et quoique cette cause, jointe à un nombre considérable de conversions arrachées à la lassitude ou à l’intérêt, eût diminué d’une manière sensible le nombre des églises, cependant il était clair que de nombreuses populations tenaient encore à ce culte, si longtemps et encore si sévèrement proscrit. La position du clergé catholique était difficile. Les condamnations n’avaient pas réussi, et toute nouvelle rigueur décidait de nouvelles émigrations. La proscription en masse n’était plus dans les mœurs du temps, outre qu’elle eût risqué d’allumer la guerre civile. Il ne restait donc au clergé que la ressource d’invoquer l’exécution des édits ; aussi des doléances rédigées en faveur de ce moyen parvinrent souvent à la cour.

Rien de plus curieux sous ce rapport que l’affaire des correspondances des curés des Cévennes et environs, excités sans doute par leur évêque, avec le cardinal de Fleury, qui se montrait alors, comme toujours, le successeur fort doux des Richelieu, des Louvois, des Chamillart, bien qu’il ait sévi à plusieurs reprises d’une manière assez vive contre les réformés. On a déjà vu que le comte de Saint-Maurice était alors intendant de la province de Languedoc, et que le marquis de La Fare, comme commandant, le secondait dans ce poste délicat. Le comte, ainsi que ses subdélégués Daudé, Caveirac et les autres magistrats, quelles que fussent d’ailleurs leurs vues personnelles, avaient reconnu, par l’examen si souvent répété des lieux, l’impossibilité absolue de faire exécuter la déclaration de 1724 en son entier. Leur rôle se bornait à tâcher de saisir les auteurs des infractions les plus flagrantes. Cela fait, comme dans le cas de la belle tournée du ministre Antoine Court, ils fermaient les yeux sur ce qu’il était impossible d’empêcher. Nous avons vu que, depuis vingt ans, les assemblées synodales se multipliaient, que le culte tendait à reprendre son ancienne régularité, enfin que partout les temples abattus étaient remplacés par des assemblées qui n’avaient pour dôme que la voûte des cieux. Cet état de choses excita la sollicitude amère du clergé dominant. Aussi nous allons le voir adresser ses représentations au premier ministre en personne, après avoir essayé de trouver accès favorable auprès du gouverneur de la province. Cette correspondance offre un grand intérêt, parce qu’elle permet de juger l’état des églises à cette époque, en même temps qu’elle fait concevoir cette lutte singulière, qui alors commençait, entre des lois cruelles, invoquées par le clergé, et l’esprit d’un temps qui commençait à devenir meilleur (Copie d’une lettre écrite à Son Éminence le cardinal de Fleury. Mss. P. R.).

1737.Les curés des Cévennes, « après avoir longtemps gémi dans le secret de leur cœur sur la triste situation où se trouvent les affaires de la religion dans ce pays, » commencèrent à faire leurs représentations à leur évêque. Le prélat répondit sèchement qu’il était très-sensible à leurs maux, mais que, dans un « renversement si général des lois et du bon ordre, » il fallait s’adresser aux puissances dont l’autorité pouvait les maintenir. Par suite de cette invitation, après avoir épuisé la voie des autorités de l’intendance, « après avoir longtemps attendu le remède à des maux si pressants, et voyant qu’on n’adoptait aucun remède pour les arrêter, » le clergé du midi s’adressa directement au cardinal premier ministre. Il commença par déclarer que plusieurs de ses membres desservaient leurs églises depuis quarante-cinq ans, et que jamais ils n’avaient vu les lois « plus ouvertement méprisées et plus impunément violées. »

La remontrance du clergé contre les protestants, est divisée en plusieurs chefs distincts où il est traité des questions religieuses, et aussi de celles qui ont rapport à l’état civil. Nous devons présenter quelques extraits de ce mémoire ; ils serviront à nous faire apprécier l’état du culte des réformés à cette époque, et les progrès qu’il avait faits depuis la fin des guerres religieuses.

Voyons comment le clergé même du théâtre de tant de persécutions parlait alors de ses frères dissidents ; et ne lisons ce mémoire qu’avec l’idée qu’il faut attribuer quelque exagération à l’âcreté d’une partie plaignante et à la haine théologique. Il nous faudra ensuite le comparer avec les autres renseignements certains que l’on possède sur l’état des églises au même temps. Il pourra résulter de ce rapprochement quelques confirmations utiles pour l’histoire ; d’ailleurs ce que le mémoire présente d’exagéré fut réfuté, comme nous le verrons, par une dépêche du gouverneur du Languedoc, qui est sous plusieurs points de vue en opposition avec leurs dires. On est frappé d’étonnement, en lisant la lettre du clergé cévenol au premier ministre du roi, de l’état inouï d’oppression où la jurisprudence du temps avait placé les réformés. Il faut observer que leur tableau, sauf quelques différences dans les détails, devait également convenir à la situation des réformés de toutes les autres provinces de France.

Les curés des Cévennes traitent d’abord « des hérétiques. » Il y a dans tout ce pays, disent-ils, des prédicants en grand nombre, et pour qui l’on impose dans chaque paroisse une somme considérable. Cette somme est exactement payée et colligée par deux ou plusieurs habitants, sans y comprendre les quêtes qui se font à chaque assemblée qui tient, et qui sont aussi considérables. Ces prédicants rassemblent leurs consistoires régulièrement à certains temps ; ils tiennent des assemblées très-nombreuses et très-fréquentes en plein midi, sur les montagnes, dans les bois, et souvent dans des maisons particulières ; nous le savons, nous le voyons, personne cependant ne dit rien ; personne même n’ose rien dire, crainte d’être assassiné, comme il est arrivé. Nos catholiques souffrent persécution ; on n’oublie rien pour les détourner de la bonne voie, on emploie les menaces, on n’épargne pas même les mauvais traitements envers certains de ceux qui se rendent assiduement à nos églises, sous prétexte qu’ils avertissent leurs curés de la tenue des assemblées illicites et de ce qui s’y passe. Plusieurs de nous avons reçu des lettres remplies de semblables menaces. Les docteurs de mensonges qui président à ces assemblées d’iniquité, n’inspirent à ceux qui vont les entendre que l’indépendance et le mépris des lois et de l’autorité. L’esprit de révolte et de sédition ne fut jamais plus généralement répandu. On fait entendre au peuple que le roi lui a accordé la liberté de conscience par un article de la dernière paix, et que s’il diffère à lui donner la permission de rebâtir les temples, ce délai de permission ne peut aller que jusqu’à 1738…… — Baptême des petits enfants. En certaines paroisses la plupart ne portent plus leurs enfants à l’église, mais à l’assemblée pour les faire baptiser, et en effet, les prédicants leur confèrent le baptême, quoiqu’il conste par des faits certains que plusieurs d’entre eux ne le confèrent pas dans les règles, soit par ignorance, soit par la persuasion où ils sont que le baptême n’est pas nécessaire, du moins pour les enfants des fidèles. Quand les pasteurs légitimes demandent ces enfants, plusieurs leur répondent avec assurance qu’ils ne les reconnaissent pas pour leurs pasteurs. — Instruction de la jeunesse. Quand ces enfants sont devenus grands, au lieu que les parents les envoyaient autrefois avec assez de soin aux écoles et à nos instructions pour éviter une amende, ils ne les envoient plus ; et si quelques uns les envoient, ces enfants, inspirés par des personnes mal intentionnées, ne veulent plus répondre à celui qui, par les ordonnances du roi, est obligé de les appeler dans l’église les dimanches et les fêtes, pour savoir s’ils sont absents ou présents. Ces pauvres enfants, que leur inclination naturelle porterait à notre culte catholique, se trouvent, par le malheur de leur naissance, sans instruction et sans aucun exercice de religion, vivent souvent dans le libertinage, deviennent plus obstinés que leurs pères, et, ne sachant ce qu’ils doivent croire, se réduisent à ne rien croire dans le fond. — Mariage. Ces jeunes gens pensent enfin à s’établir par le mariage, et c’est alors qu’ils violent plus ouvertement les lois de l’église et de l’État. Quelques uns (le nombre en est aujourd’hui très-petit) s’adressent à nous, ils nous déclarent qu’ils veulent vivre et mourir dans la religion catholique ; ils se font instruire pendant six mois selon les règlements de monseigneur notre évêque, ils nous paraissent persuadés et convaincus ; du moins, ils nous le disent et nous bénissons leur mariage dans les règles ; mais ils nous trompent, et d’abord que leur mariage est célébré ils ne paraissent plus dans nos églises ; nous les allons chercher, nous leur exposons les promesses qu’ils nous ont faites à la face des autels, et confirmées par un serment solennel ; quelques uns nous disent qu’ils souhaiteraient nous tenir ce qu’ils nous ont promis et qu’ils voudraient y être obligés par les lois du prince, pour se mettre à couvert des menaces et des mauvais traitements auxquels ils seraient autrement exposés. D’autres nous répondent avec indifférence qu’ils n’ont jamais eu dessein d’être catholiques, et que, quand ils ont fait semblant d’abjurer l’hérésie, ils ont prétendu renoncer par une restriction mentale à la catholicité ; c’est ce qui a fait prendre à plusieurs de ceux qui sont préposés pour la conduite des paroisses, la résolution de ne bénir aucun de ces mariages pour ne pas s’exposer au péril évident de trahir leur ministère en profanant le sacrement. D’autres plus ouvertement déclarés ne gardent aucune mesure ; ils ne s’embarrassent point de sauver les moindres apparences ; ils vont aux assemblées ; et là, ils se donnent réciproquement la foi devant un prédicant, quelquefois sans avoir même passé devant notaire aucun contrat, pour en épargner les frais, et vivent ensuite comme s’ils étaient légitimement mariés, au grand scandale du public. Cette dernière classe est la plus nombreuse, et nous voyons tous les jours quelque nouvelle conjonction de cette espèce. Ces prétendus mariages sont également contre la religion et contre les lois de l’État. Les enfants qui en naîtront porteront l’iniquité de leurs pères ; ils n’auront point d’état fixe, et ne pourront être regardés que comme illégitimes ; les procès que l’intérêt ne manquera pas de leur susciter sur la succession qu’ils devraient recueillir s’ils étaient légitimes (il y a déjà de ces procès intentés pour le paiement de la dot de la femme), ne peuvent que causer un grand dérangement dans tout ce pays, surtout si l’on considère le nombre prodigieux de ces mariages ; ils se multiplient tous les jours ; des esprits prévenus se laissent aisément persuader que si ces mariages n’étaient pas légitimes on ne les souffrirait pas ; et que plus il s’en fera, plus ils doivent avec assurance en contracter de nouveaux, parce que plus il y en aura, plus on y aura égard. Leur conscience ne leur reproche rien là dessus, parce qu’ils ne regardent point le mariage comme un sacrement. Ce repos où on les laisse donne du poids aux fausses raisons de leurs prédicants ; ils s’imaginent et disent hautement que tous les édits que Sa Majesté avait donnés, et surtout celui de 1724 » sont abrogés, parce qu’ils sont tranquilles malgré leurs prévarications. » Le mémoire renferme aussi des plaintes contre le progrès du libertinage, suite naturelle de l’hérésie si ouvertement déclarée et si enracinée. Il se termine ainsi : « Nous vous supplions, Monseigneur, par les entrailles de Jésus-Christ, de nous aider à ramener dans le bercail nos brebis égarées par les voies les plus efficaces, mais les plus douces, qui, en arrêtant les prévarications, conservent les prévaricateurs. » (Copie d’une lettre manuscrite à Son Éminence le cardinal de Fleury, fol. mss. P. R.)

Tel est le tableau que le clergé catholique traçait du succès de tant de tentatives de conversion, et de tant de travaux, les uns adroits, les autres cruels, pour ébranler la ténacité des huguenots. Ce rapport, infiniment curieux et instructif, nous peint au naturel l’état des choses que Saurin condamnait si fortement. On est d’abord surpris de voir les curés des provinces, où tant de débris d’églises florissaient au milieu des orages, recommander à deux reprises l’emploi de mesures douces, auxquelles on n’était pas habitué. Mais si l’on relit plus attentivement ce monument d’une charité plus que douteuse, on reconnaît assez vite que ses auteurs, loin de conseiller l’abandon de ces mesures coercitives, dont leurs observations même proclamaient l’impuissance, avaient en réalité pour but de réveiller une ardeur assoupie. Ils cherchaient à obtenir qu’on fit cesser les folles espérances de la tolérance prochaine que les protestants avaient rêvée ; ils disaient que le mal venait de ce qu’on laissait les religionnaires tranquilles, et de ce qu’on ne poursuivait pas assez vivement l’exécution de la déclaration de 1724, avec ses sanctions pénales de mort, de galères et de confiscations ; tels furent les tristes avertissements qui parurent résulter de l’esprit de cette pièce. Il paraît que le cardinal de Fleury eut la sagesse de fermer l’oreille à ces insinuations, aussi contraires à l’Évangile qu’à la paix publique. Il renvoya le mémoire en Languedoc, au comte de Saint-Maurice, intendant, qui se chargea de son côté de réfuter les assertions du clergé par une lettre à l’évêque d’Alais (fol. 8 pag. or. signée de B. de Saint-Maurice, Mss. P. R.). Nous ferons 1737.
14 août.
connaître en entier cette pièce remarquable ; elle confirme tout ce que nous avons rapporté de l’organisation des premiers synodes et des premiers travaux ; elle laisse voir nettement quels étaient les rapports de l’administration et du clergé touchant les protestants ; elle démontre que les intendants se voyaient forcés de modérer l’ardeur des prêtres, qui poussaient aveuglément à des sévérités qui eussent probablement eu les suites les plus funestes et pour eux-mêmes et pour l’État.

« Agréez, Monsieur, que j’aie l’honneur de vous envoyer une copie pareille à celle que j’ai reçue sous le pli de monseigneur le cardinal de Fleury, d’une lettre écrite à Son Éminence sur le mauvais état où l’on prétend que les affaires de la religion se trouvent dans cette province. Il y a longtemps qu’on a fait de pareilles représentations à la cour ; j’en ai reçu moi-même, et j’ai lieu de croire qu’elles viennent de la part de quelques curés des Cévennes ou des environs, parce que je sais qu’il y en a de ces côtés-là quelques uns qui n’ont pu encore se bien rassurer sur les inquiétudes qu’ils ont prises pendant le temps de la guerre. Les nouveaux convertis se montraient effectivement alors avec un peu plus de hardiesse, parce qu’ils n’étaient pas contenus par la présence des troupes. Cependant il n’est pas venu à ma connaissance qu’ils aient rien fait qui annonçât de la révolte, et il y a bien moins lieu d’en craindre présentement. D’ailleurs, je ne sache pas qu’il se fasse rien d’extraordinaire, ou qui doive donner de l’inquiétude à l’État. Ainsi ces curés n’ont pas raison de commencer comme ils le font leur mémoire par dire à son éminence que les lois de la religion et de l’État sont plus méprisées et plus impunément violées qu’elles ne l’étaient dans le temps des troubles des Cévennes. Ce qu’ils exposent sur les autres désordres est aussi un peu trop exagéré.

« Nous savons, pour ce qui concerne le premier article, qu’il y a toujours des prédicateurs qui parcourent les cantons suspects, et il est vrai de dire que ce sont eux qui soutiennent et fomentent l’erreur. Mais leur nombre n’est pas, à beaucoup près, aussi considérable qu’on l’expose, et nous faisons de notre part tout ce que nous pouvons pour leur donner la chasse. Il y a des récompenses promises à ceux qui en procureraient la capture ; ces récompenses ont été exactement payées, dans les cas où il en a été question, et si les exemples ne sont pas fréquents, c’est que les nouveaux convertis préviennent, par le secret qu’ils gardent, l’effet de toutes les démarches qu’on pourrait faire pour les surprendre. Les curés exposent qu’ils savent et voyent ce qui se passe ; je n’en doute pas ; mais le zèle qu’ils portent à la religion ne devrait-il pas les porter à donner à propos des avis utiles, en citant des faits, et en indiquant ceux qui donnent retraite aux prédicants. Je conçois qu’ils ne veulent pas être connus, et on ne peut les en blâmer ; mais il y a des moyens de servir la religion sans se compromettre. Il n’est pas possible, par exemple, qu’il n’y ait dans chaque paroisse, ou aux environs, des gens qui, par zèle ou par l’espérance d’une récompense, s’emploieraient volontiers, si on le leur inspirait. Il faudrait, lorsqu’il y a quelque assemblée ou quelque prédicant dans un lieu, les exciter à en donner secrètement avis à ceux qui commandent les troupes ; il y en a partout à portée d’agir ; mais leurs patrouilles seront toujours inutiles, tant qu’elles ne seront que des patrouilles ordinaires, et qu’elles ne sauront pas où tomber.

« À l’égard de ces impositions en faveur de ces prédicants, nous savons aussi que, lorsqu’il en passe quelqu’un dans une paroisse, on s’y cotise pour lui donner secours. Peut-être aussi en use-t-on de même pour le paiement des amendes auxquelles les nouveaux convertis se trouvent condamnés ; mais il n’y a point d’imposition en forme. C’est cependant toujours un mal ; et il serait facile d’y remédier, si on déclarait ceux qui se chargent de ces sortes de collectes. Les curés les connaissent, et s’ils les indiquaient, on ferait des exemples en punissant les coupables. Ce qui est exposé concernant l’éducation de la jeunesse est également vague, et vous trouverez sans doute comme moi qu’il est singulier que des enfants, qui font tant que d’obéir, en se trouvant à des instructions, refusent de répondre lorsqu’on appelle leurs noms pour vérifier s’ils sont présents ou absents ; il serait, en ce cas, bien facile de les corriger, puisqu’il n’y aurait qu’à les marquer absents et faire payer l’amende aux parents de ceux qui affecteraient ainsi de ne pas répondre. Il en doit être usé de même à l’égard de ceux qui, réellement, n’assistent point. Je ne puis, pour moi, que m’en rapporter aux certificats des maîtres d’école, et s’ils ne font pas leur devoir, ou se prêtent aux nouveaux convertis je ne puis y remédier si les curés, qui sont leurs premiers supérieurs, n’y tiennent pas la main et ne donnent pas avis des contraventions en indiquant ceux qui y tombent.

« Quant à ce qui concerne les baptêmes et mariages, nous convenons que c’est là où est le mal. Nous faisons bien, M. le marquis de La Fare et moi, de temps en temps, des exemples principalement contre les concubinages, mais il n’est pas possible de les punir tous ; les prisons de la province ne seraient pas suffisantes pour les contenir, et il n’y a qu’une nouvelle loi qui puisse remédier à ce désordre. Les curés, qui s’en plaignent avec grande raison, auraient bien dû expliquer les voies douces par lesquelles ils marquent qu’on pourrait y parvenir. Nous avons, pour nous, proposé depuis longtemps à M. le chancelier une déclaration dont il nous a marqué, en dernier lieu, qu’il allait reprendre l’examen. Ainsi, Monsieur, il faut espérer que le roi expliquera bientôt ses intentions, et nous mettra en état de travailler efficacement à leur exécution sur cet article.

« Mais, en attendant, ce serait un grand bien si nous pouvions trouver quelque moyen d’apporter remède aux autres abus, qui sont, en effet, trop étendus ; on n’y parviendra jamais tant que l’on ne portera que des plaintes vagues, qui ne nous apprennent que ce que nous savons, c’est-à-dire que le fond du mal en général est grand. Il serait bien plus convenable que les curés s’adressassent directement à vous, en articulant des faits, qu’ils indiquassent avec la confiance qu’ils vous doivent et qu’ils indiquassent quelque parti praticable ; alors, sur la communication que vous voudriez bien nous en donner, nous pourrions, de concert avec vous, trouver les moyens, sinon de faire cesser le désordre, du moins d’empêcher qu’il ne s’étende.

« De B. de Saint-Maurice. »


Il serait superflu de faire la moindre réflexion sur ces correspondances diverses ; elles forment le tableau le plus curieux et le plus exact de l’état des réformés dans les provinces où ils abondaient, et aussi des moyens variés qu’ils employaient pour dépister les persécuteurs. On y voit ce naïf caractère des curés cévenols, qui voulaient bien que les intendants exécutassent les édits, mais qui eux-mêmes répugnaient à se charger d’être les espions permanents de leurs voisins, souvent de leurs amis, et toujours des habitants de leurs villes où l’église catholique était l’édifice le moins fréquenté. On ne peut rien ajouter au tableau piquant de leur séjour au milieu de tous ces nouveaux convertis qui, au contraire, étaient des protestants bien endurcis et très-réels. C’est que la violence de tant d’édits était venue se briser contre ces cœurs indomptables. Cependant on voit, d’après la réponse de l’intendant surtout, combien un tel état de choses prêtait à l’arbitraire et aux vexations de toute sorte.

Nous venons de voir, dans ces déclarations des curés, l’état interne des églises ; le témoignage de l’intendant de la province nous montre un administrateur vigilant, disposé à punir, et ne s’arrêtant que devant le nombre des coupables. En effet, les mémoires du temps nous transmettent la trace d’un assez grand nombre de condamnations, prononcées de 1730 jusqu’en 1740, jusqu’au moment où la guerre de la succession de Marie-Thérèse éclata. Les vallées du pays de Foix et du Roussillon ne purent donner asile aux réformés. Les assemblées qu’ils formèrent vers1716.
22 janvier.
ce temps furent dispersées par les soins de l’intendant Bajin ; des escadrons et plusieurs compagnies d’infanterie furent casernés dans le pays même, aux frais des protestants de Gabres, en Languedoc, ainsi que de ceux de Mas-d’Azil et des Bordes.

L’intendant du Languedoc, le chevalier de Bernage, sévit contre une assemblée que l’on tint au Vivarrais, 1737.
1 mars.
dans la grange d’un protestant nommé Feissier ; plusieurs hommes furent condamnés aux galères, et trois femmes à être rasées et enfermées pendant leur vie dans la tour de Constance, sur le rivage d’Aigues-Mortes. Vers la même époque, la ville de Montauban ne fut pas épargnée. Les assemblées furent sévèrement1736.
10 août.
poursuivies. La veuve Aquié de Bergis, fut condamnée à faire amende honorable et à être enfermée à perpétuité dans l’hôpital général de la ville. Les ministres Jacques Boyer et Hollard furent condamnés à mort et exécutés en effigie[61]. Quatre des assistants furent condamnés aux galères ; mais sans doute les précautions n’étaient pas très-bien prises contre de tels captifs ; ils réussirent à s’évader de la geôle de Toulouse.

Le même intendant confirmait de plus en plus dans sa pratique administrative les assurances qu’il avait données aux curés des Cévennes. De 1736 à 1738, les lieux de Mandajor, près d’Alais, l’arrondissement de Sauve, le lieu de Freissinet, de Fourgues, furent frappés d’amendes, en conséquence de la convocation et de la tenue de réunions religieuses.

La vigilance de l’intendant du Languedoc trouva encore dans ces années d’autres objets où elle put s’exercer. Ce n’était pas assez de condamner à mort les ministres et de frapper de galères et d’amendes les réunions, il fallait encore extirper du milieu des fidèles les livres qui auraient pu entretenir leur foi. La même année où une cour germanique, celle du prince archevêque de Saltzbourg, tourmentant les calvinistes de ses États, envoya dans le Brandebourg une nouvelle et fructueuse émigration de religionnaires, la cour autrement puissante de Versailles prit 1729.
24 avril.
contre les réformés français une mesure de véritable inquisition, qui troubla une foule de familles. Une ordonnance du jeune Louis XV déclara « que tous les nouveaux convertis ne pourraient, sous quelque prétexte que ce soit, garder dans leurs maisons aucuns livres à l’usage de ladite religion, Sa Majesté leur enjoignant de porter, dans quinze jours au plus tard de la publication de la présente ordonnance, tous les manuscrits, catéchismes, sermons, prières et autres livres à l’usage de la religion prétendue réformée, sous quelque dénomination qu’ils pussent être, pour être, lesdits livres ainsi déposés, brûlés en la présence des sieurs commandants ou intendants ; qu’après ledit délai de quinze jours, il sera fait une recherche exacte desdits livres dans les maisons de tous les nouveaux convertis, et que tous ceux chez lesquels, au préjudice de la présente ordonnance, il en sera trouvé, soient, pour la première fois, condamnés à une amende qui sera arbitrée par le commandant, et, en cas de récidive, à trois ans de bannissement et une amende, qui ne pourra être moindre que du tiers de leurs biens. »

Tel fut l’ordre qui sortit du sein du Conseil du roi de France, où brillaient alors les sciences et les lettres, l’érudition élégante des Rollin, le savoir sérieux des Freret, et la muse pindarique de Jean-Baptiste Rousseau. Cet ordre du cabinet de Versailles ressemble à une mesure du saint-office d’Espagne. Toutefois il ne resta pas stérile entre les mains des gouverneurs du Languedoc. Les troupes, après avoir fait la guerre aux assemblées des protestants, se mirent à la faire contre leurs livres. Les maréchaussées se répandirent chez les religionnaires languedociens. On les dépouilla de tous les livres. Un certain nombre vint livrer les volumes proscrits, aimant mieux sacrifier leur bibliothèque que de s’exposer au bannissement et à la confiscation des biens. Tout ce qu’on trouva fut brûlé en divers lieux sur les places publiques. À ces absurdes exécutions, il se mêla une sorte de sacrilège ; un grand nombre de Bibles et de Nouveaux Testaments périrent dans les flammes ; il est vrai qu’ils étaient de la traduction approuvée par les pasteurs de Genève.

La plus belle capture de ce genre fut opérée à Beaucaire. Il paraît qu’un libraire de Lyon, André Degoïn, avait jugé à propos de profiter de la foire pour débiter une forte partie de librairie protestante. Dès que cette marchandise fatale parvint à Beaucaire, 1735.
4 avril.
tout fut dénoncé à l’intendant. Alors, par jugement administratif, il fut dressé un immense bûcher devant l’hôtel-de-ville de Beaucaire ; les livres hérétiques furent brûlés en présence de M. de Beaulieu, subdélégué de l’intendance, des maires et consuls de la ville. Les Bibles, les Testaments, les psaumes, les livres de prières, les abrégés des Écritures, formèrent la base du feu. Ensuite on y jeta une masse considérable de l’excellent et pieux catéchisme de Charles Drelincourt, le savant et respectable pasteur de Paris, ainsi qu’une édition presque entière des sonnets chrétiens, par l’un de ses fils, le pasteur Laurent Drelincourt. Les Œuvres morales de Jean de La Placette, justement surnommé le Nicole réformé, vinrent aussi alimenter les flammes. Ce bûcher dévora encore les livres d’Isaac Jaquelot, consacrés aux démonstrations les plus logiques de l’existence de Dieu et de l’inspiration des Écritures saintes. Enfin deux cent vingt-cinq volumes des éloquents sermons de Saurin furent livrés à cet incendie qu’on eût dit avoir été allumé par une invasion de barbares. Tel fut le traitement que les ordres de la cour lettrée de Louis XV firent éprouver dans la province du Languedoc aux plus savantes et aux meilleures compositions des pasteurs protestants de France ; il est probable que leurs fameux contemporains en érudition et en génie oratoire, les Massillon, les dom de La Rue et Montfaucon n’auraient guère approuvé ces méthodes de controverse.

À côté de l’incendie des livres figuraient d’autres mesures contre la jeunesse des églises du désert, qui eussent été encore plus efficaces, si l’on eût pu les appliquer complètement. La trop fameuse déclaration de 1724 ordonnait (art. 4, 5, 6) que tous les enfants de nouveaux convertis seraient régulièrement envoyés aux écoles catholiques jusqu’à l’âge de quatorze ans, sous peine d’amende contre les parents. Pour l’exécution de ces dispositions, il intervint diverses ordonnances en forme d’instructions, par lesquelles il était enjoint aux maîtres d’école, consuls et curés, de dresser des états du nombre des enfants protestants, lesquels états devaient être transmis aux intendants ; surtout il était enjoint, sous peine d’amendes sévères, de dresser une liste de tous ceux des enfants qui auraient manqué pendant le cours du mois d’assister aux écoles, messes, catéchismes et instructions, et du nombre de fois que chacun d’eux y aurait manqué ; le tout devait être remis en double à l’intendant et au juge, à peine de 20 liv. d’amende. Il était enjoint aux juges de prononcer tous les mois des condamnations d’amendes contre les pères et tuteurs de chacun des contrevenants dénommés dans les états « sur le pied de 10 sols par chaque contravention mentionnée auxdits états. » (Mém. hist. de 1744. ib.) De plus, ces ordonnances en forme d’instructions se renouvellent de temps à autre ; de 1727 à 1736, on comptait trois de ces renouvellements périodiques.

On ne peut que s’arrêter un moment dans l’énumération de toutes ces mesures, pour admirer leur incroyable minutie. Toutes ces affaires dépendaient du ministère du comte de Saint-Florentin, qui dirigeait les intérêts de la religion prétendue réformée, ou plutôt les intérêts de ses persécuteurs. S’il est vrai que dans cette famille des La Vrillière le génie administratif fut héréditaire, nous admirerons un exemple remarquable de son esprit mesquin et tracassier. L’ordonnance que nous venons d’analyser faisait jouer le rôle de maîtres d’école aux hauts intendants des provinces. Les juges étaient chargés de juger les absents et de punir d’une amende tout vide dans les classes ecclésiastiques. La persécution s’élevait jusqu’au ridicule. On conçoit assez que de pareilles misères ne purent être mises à exécution. Elles nous expliquent bien les remontrances des curés à la cour et les espèces de gronderies administratives qui se passaient entre eux et les intendants. Chacun se renvoyait une tâche impossible. D’aucun côté on ne voulait, on ne pouvait exécuter les ordonnances. En rapprochant toutes ces dispositions, tous ces conflits, toutes ces tracasseries impraticables, on voit qu’il y a des positions où l’administration de mesures tyranniques donne presque autant de peine que la liberté.

D’autres mesures entraînèrent quelque chose de plus que des embarras administratifs. Ici le ridicule finit et d’horribles outrages commencent. Malgré la douceur apparente des ministères qui succédèrent au duc de Bourbon, et en dépit des pacifiques intentions du cardinal de Fleury, la déclaration de 1724 fut exécutée plusieurs fois en ses dispositions les plus abominables, celles qui entraînaient l’outrage aux cadavres. Dès l’année de cette loi funeste, la province du Périgord se distingua en ce genre. En 1724 même, un habitant réformé, Élie Drapeiron, de Salagnac, diocèse de Cahors, étant mort, il y eut procès à la mémoire ordonné par le sieur Dubarry, lieutenant-général au sénéchal de Sarlat, assisté en cet exploit par le sieur Pignol, procureur du roi au même siège. Sept années plus tard, un autre protestant, Jean de1731.
5 avril.
Molènes, du Poujol, au diocèse de Cahors, étant mort dans la religion réformée, on verbalisa contre le cadavre ; on apposa partout les scellés, et aux yeux de la veuve et de toute la famille, le corps tomba en proie à la putréfaction. La sépulture fut refusée obstinément, jusqu’à ce qu’un gentilhomme catholique de Sarlat, le sieur de la Roussié, ami du défunt, indigné d’une pratique barbare, déroba un aussi triste objet à la vue des parents consternés. Ce fut encore le lieutenant-général du sénéchal, Dubarry, et le procureur Pignol qui entamèrent ces procédures iniques[62].

Cependant tous ces actes furent dépassés par une seule sentence de l’intendant du Languedoc. Par son jugement la dame de Besuc de Brueix, veuve de Jean de Bramady de Tremons, et sœur de M. de Besuc, mort gouverneur de Neufchâtel, fut condamnée à tenir prison close dans le château de Beauregard, en Vivarais, pendant trois années, et en six mille livres d’amende, pour avoir contrevenu à la déclaration de 1724, art. xi, en adressant quelques paroles de consolation à Joseph Martin, réformé agonisant. La mémoire du malade, qui succomba, fut éteinte et supprimée, et condamnée à perpétuité. Cet arrêt, réellement incroyable, est de l’intendant Bernage de Saint-Maurice. Des outrages du même genre furent commis contre les restes mortels de la comtesse de Monjou, à Bagnol, et du sieur Lardat, d’Uzès. On voit, d’après tous ces détails de poursuites pour la plupart renfermées dans l’intervalle de 1724 à 1738, que les exemples que l’intendant du Languedoc s’était promis de faire n’avaient point manqué à son zèle. Sa vigilance trouva bientôt une foule d’autres occasions. Sous un tel régime il suffisait d’un changement dans la politique extérieure de la cour pour faire éclater de nouveaux malheurs. Ils se déclarèrent avec la guerre de la succession de Marie-Thérèse, où la France fut obligée d’entrer. La défiance de la cour contre les assemblées provoqua une multitude de résistances et de condamnations. C’est cette période très-glorieuse et très-douloureuse de l’histoire des églises du désert que nous allons maintenant esquisser.



LIVRE DEUXIÈME.


CHAPITRE I.


Esprit parlementaire contre les protestants. — Renaissance du culte dans le haut Languedoc, la Guyenne, le Poitou, la Normandie et le pays de Foix. — Synode national de 1744 ; ses règlements. — Affaire du schisme Boyer. — Édits de 1745. — Mesures de l’intendant de Guyenne, de Tourny, relatives aux églises.


À l’époque nous arrivons maintenant, la cour de Versailles, tant pour des causes de politique extérieure, que par des motifs d’inquiétude sur la situation intérieure de la France, commença sa marche dans une carrière d’intolérance qui se prolongea avec plus ou moins de vivacité pendant vingt années. C’est une époque assez douloureuse et obscure à traverser ; douloureuse parce qu’elle renouvelle sans cesse le tableau des malheurs des églises du désert, obscure parce qu’il n’est point aisé ni même possible de saisir les motifs secrets de tant de mesures désastreuses. Nous venons de raconter avec quelques détails la position de l’intendant suprême de la province où il y avait le plus de protestants, vis-à-vis de la Cour, vis-à-vis des curés catholiques, et vis-à-vis des assemblées sans cesse renaissantes des huguenots. L’époque actuelle commence avec la guerre relative à la succession1740-1748. tant contestée de l’empereur Charles VI ; elle comprend l’influence des dernières années et de la mort du cardinal premier ministre Fleury ; elle se prolonge jusqu’à la paix qui couronna l’héroïsme de Marie-Thérèse et de ses fidèles Hongrois. Cette paix ne fut qu’une trêve : la guerre se ralluma jusqu’au traité de Paris, par suite duquel deux grands événements qui intéressaient la puissance des États protestants de l’Europe et du Nouveau-Monde furent définitivement consommés : la consolidation de la Prusse hérétique comme puissance de premier rang, et la prépondérance coloniale de l’Angleterre, dont la marine s’étendit dès-lors dans le monde entier. Tels furent les grands traits de la politique extérieure.

Quant à l’administration intérieure de la France, dans ses contacts avec les droits des sujets, et par conséquent avec les intérêts des églises, nous y distinguons ce caractère dominant ; la prédominance du pouvoir parlementaire sur la fonction et sur la juridiction des intendants. Ce point est digne d’être considéré de plus près. Dans la période où nous allons entrer, nous verrons plus particulièrement les parlements se mêler des affaires des protestants et opposer aux églises l’autorité et la rigueur de leurs nombreux arrêts. Jamais les parlements de France n’avaient vu sans ombrage le pouvoir monstrueux des intendants, qui, émanant directement de la cour, accaparaient la haute justice au détriment de la magistrature. Leur pouvoir, expression perpétuelle de l’unité politique et de l’action du gouvernement central, avait été porté au-delà de toutes bornes par Louis XIV. L’administration de l’intendant Lamoignon de Baville en Languedoc en fut la plus terrible application. Nous avons vu quels furent plus tard les attributions et le zèle de l’intendant Bernage de Saint-Maurice. Nous avons remarqué surtout, que, dans sa correspondance officielle, il insiste sur la nécessité de faire des exemples, émanés de la sévérité de sa justice administrative, mais qu’il passe à peu près sous silence l’autorité des parlements. Il y avait en effet un conflit sourd et réel entre les attributions de ces proconsuls et celles des corps de la magistrature antique. En ce qui concerne plus particulièrement les affaires des églises, nous allons voir maintenant l’autorité parlementaire prendre de l’extension. Les églises vont se trouver en contact avec les procédures de l’ancienne robe. Malheureusement elles gagnèrent peu à ce changement ; au lieu de l’arbitraire administratif et expéditif des intendants excités par la cour, ils furent frappés de verges plus systématiques sous les arrêts de ces corps judiciaires, qui mettaient au nombre de leurs traditions la conservation des maximes catholiques et la nécessité d’abattre les sectes ennemies de l’unité de la foi. À partir de la guerre de 1740, c’est principalement en face des parlements que les églises du désert vont être appelées à répondre de leurs assemblées et de leur foi.

Ce changement grave dans leur position remonte à des causes plus lointaines. À la place administrative du chancelier Pontchartrain, inspiré par les habitudes politiques de Louis XIV, avait succédé, sous la régence, Daniel Voysin, chancelier pour un1717. moment, qui avait négocié du vivant du vieux roi les derniers secrets de son maître. Il ne put avoir aucune influence sur la restauration de l’esprit parlementaire. Il en fut tout autrement de l’illustre chancelier d’Aguesseau ; sauf quelques disgrâces passagères,1718. tantôt basées sur son opposition aux rêveries financières de Law, tantôt sur le zèle qu’il mit à concilier les droits royaux et l’influence parlementaire,1722. il dirigea le département de la justice pendant trente-quatre ans. Ce magistrat intègre, qui manquait toutefois de fermeté et d’esprit de suite, conserva le ministère de la justice jusqu’au milieu du xviiie siècle. Les gardes des sceaux Voyer-d’Argenson et Fleuriau d’Armenonville n’avaient fait que d’assez courtes apparitions à ce département, si grave pour l’administration des églises. Le garde des sceaux Chauvelin exerça ces fonctions de 1727 à 1737, jusqu’après la conclusion du traité de Vienne, pour les conditions duquel on l’accusa de s’être laissé séduire par les faveurs impériales. La véritable cause de la disgrâce de ce magistrat fut ses alliances menaçantes avec le parti des Condé. Aussi le garde des sceaux Chauvelin fut exilé sans retour. L’esprit parlementaire reçut une grave atteinte par sa retraite, et le cardinal de Fleury, privé du secours d’un homme actif et aussi rompu aux affaires, d’une part prit chaque jour plus d’ascendant sur le jeune roi, et d’autre part, favorisa tous ses goûts dévots. On vit Louis XV, qui déjà était tombé sous le joug voluptueux de la comtesse de Mailly, venir assister cependant au service solennel 1738.de Louis XIV à Saint-Denis, et célébrer la fête séculaire du vœu de Louis XIII avec plus de pompe que jamais. Toutefois le premier ministre se rapprochait du parti 1739. des jésuites ; par le mariage de la fille aînée de son maître avec l’infant don Philippe d’Espagne, il renoua l’alliance de la France avec cette couronne catholique. L’influence de d’Aguesseau, qui succéda au garde des sceaux Chauvelin, ne put neutraliser tout à fait la décadence de l’esprit parlementaire que le régent avait flatté un moment, ni le progrès nouveau que faisait la cour vers une dévotion mêlée de licence. Toutefois, on s’aperçoit que d’Aguesseau tenait la balance de la justice ; on admire ses belles ordonnances sur le droit civil ; cependant c’est à la couleur des instructions qu’il donnait au parquet des parlements, qu’il faut attribuer la part beaucoup plus décisive que la magistrature s’attribua dans la répression des délits des réformés. Seulement, par un contrecoup déplorable, nous verrons les parlements du royaume condamner en masse les religionnaires, sans mettre dans leurs arrêts cette espèce de discrétion et cette appréciation des positions administratives que bien souvent les intendants déployèrent. On serait assez embarrassé pour décider si les églises, pressées entre la justice sommaire des proconsuls et entre les formes plus méthodiques des parlements, eurent moins à souffrir en comparaissant devant les uns ou devant les autres. Si les magistrats leur donnaient quelque garanties de jurisprudence, au lieu de la justice rapide autant que violente des intendants, dans un autre sens, les parlements étaient plus fortement liés par la lettre des édits. La justice est aveugle ou doit l’être ; mais il est quelquefois plus loisible à une administration, qui gouverne les hommes et qui les voit de près, de laisser dormir les lois.

Au reste, en étudiant le système de l’ancien régime dans ses rapports avec les protestants, il est difficile d’y reconnaître une tendance arrêtée. Les grandes et profondes dissertations du procureur général Joly de Fleury, que nous aurons l’occasion d’analyser, n’ont fait que rendre plus sensible l’embarras des esprits et la confusion des plans. On voit tour à tour les églises en butte, soit aux conséquences de la guerre ou de la paix, soit aux exigences de l’esprit parlementaire, soit aux empiétements de la justice des intendants sur celle des cours souveraines. On les voit encore subir, en quelque sorte, le ricochet des disputes janséniennes. On remarque que les mêmes parlements qui condamnaient sans difficulté les pasteurs à la peine capitale, suivie d’une prompte exécution, avouaient aussi sans difficulté les mariages des réformés contractés en présence de ces mêmes ministres qu’ils faisaient monter au gibet. On ne peut méconnaître ici la trace bien évidente de l’esprit janséniste, qui mettait le fait des sacrements au-dessus des chicanes du droit abstrait. Nier que la volonté intérieure et la foi jurée constituassent le mariage, c’était mettre la volonté extérieure du prêtre à la place du for intérieur de celui qui demandait les sacrements. Il n’est pas douteux que ce genre d’esprit de résistance aux ordres du pape, ne fût devenu, par un circuit bizarre, une espèce de garantie pour les mariages des protestants, aux yeux des magistrats des parlements du royaume.

1740.Afin d’apprécier la position des églises par rapport à leur gouvernement, il est d’abord nécessaire d’indiquer en quelques mots les événements de cette seconde grande guerre du règne de Louis XV. Cette lutte, née des débats pour la succession de l’empereur Charles VI, fut longue et meurtrière. Toutes les puissances convoitaient ses dépouilles, que Marie-Thérèse, sa fille aînée, défendit avec tant de gloire. Toute l’Europe fut en feu pendant près de dix ans. La France vit sa médiation armée se changer en une guerre violente ; elle eut à lutter contre l’Angleterre, la Hollande et le Piémont. Le prince Louis François 1744.de Bourbon Conti occupa le Piémont ; mais sur le Mein la journée de Dettingen contre les Anglais fut funeste à l’armée française. Louis XV parut à la tête des troupes ; la guerre fut portée à la fois en Flandre et en Italie. 1745.La victoire de Fontenoi fit oublier le désastre de Dettingen, mais les Français furent totalement chassés par l’armée de 1746.Marie-Thérèse. Le maréchal de Maillebois se tenait sur la défensive sur le Var ; il fut obligé de se retirer devant quarante mille Autrichiens et Piémontais, qui couvrirent la Provence. Une guerre entreprise pour des motifs politiques si lointains avait été ramenée en France même. Les Autrichiens désolaient la Provence et le Dauphiné, ils s’emparaient de Grasse et de Vence ; les Anglais faisaient des descentes en Bretagne, et leurs flottes bloquaient Marseille et Toulon. La révolte de Gènes, sur les derrières de l’armée autrichienne, empêcha le midi du royaume d’être envahi. Sur le Rhin, les armes du roi de France étaient heureuses ; mais sur les côtes du Finistère sa flotte fut détruite par les Anglais. Après toutes ces vicissitudes de défaites et de1747. triomphes, l’Europe fatiguée dut songer à la paix ; d’un côté, la marine française était ruinée ; de l’autre, la Hollande allait être envahie ; des pays entiers avaient été ravagés, des flots de sang avaient été répandus. L’impératrice reine de Hongrie fut reconnue, sauf la Silésie, acquise au grand Frédéric, et quelques cessions italiennes. L’Angleterre gagna l’avantage d’avoir, en grande partie, détruit le commerce français et ravagé ses colonies. La France fut la seule qui ne retira aucun avantage de la paix d’Aix-la-Chapelle1748.
18 octobre.
 ; aussi, dit Voltaire avec justesse, « elle se rétablit faiblement » des suites d’une guerre dont le cardinal de Fleury avait prévu les suites désastreuses. De tous ces événements, le seul qui eût un intérêt direct pour l’équilibre protestant de l’Europe fut la défaite du prince Édouard à Culloden, en Écosse ; 1746.
27 avril.
cette cause catholique déclina toujours, et la grandeur de la Prusse protestante ne cessa d’augmenter.

Telle est l’esquisse très-rapide des grands événements politiques. Si on en rapproche les travaux des églises et les mesures que prenaient les pasteurs et les fidèles, on ne voit point que la marche des affaires religieuses en eût été beaucoup influencée. Sauf le fait général que les réformés étaient moins tourmentés pendant les guerres, parce qu’on redoutait chez eux un esprit de révolte qui ne se déclara jamais, on les voit dans l’une comme dans l’autre fortune, conserver la même attitude, braver les édits pour obéir à leur conscience et pour suivre leur zèle héréditaire. Le tableau que le comte de Saint-Maurice donna des églises, dans la lettre que nous avons rapportée, fut tracé pendant les années qui précédèrent les guerres 1740.
9 juin.
de Marie-Thérèse. Plus tard, un synode arrêta que le livre des prières de l’église de Genève, accommodées à un temps de persécution serait adopté par les églises de France ; ce fut dans le cours de cette même année que le ministre Paul Rabaut, élève et ami du pasteur Court, qui occupe avec lui une place si notable dans l’histoire des églises pour tout le reste de ce siècle, alla étudier au séminaire de Lausanne. (Syn. prov. du bas Lang. Mss. P. R.) La même permission fut accordée deux ans après à un autre ministre qui se signala par autant de constance que de courage dans ces temps malheureux, Étienne Deffère, pasteur du Béarn, dont nous aurons souvent occasion d’apprécier les services. Il n’était d’abord que prédicateur, et il lui fut accordé « congé d’une année pour aller à l’académie réformée qu’il jugera à propos, afin de perfectionner ses connaissances, et se rendre mieux capable de prêcher l’Évangile aux églises sous la croix. » (Syn. prov. Mss. P. R. 15 mai 1742.)

Pendant que les églises du bas Languedoc et des Cévennes luttaient contre tant d’obstacles, contre les 1733-1737.restes toujours menaçants d’un tumultueux fanatisme, contre les divisions intestines, et surtout contre l’action des persécutions constantes, qui dissipaient violemment les assemblées et troublaient le culte domestique par des recherches inquisitoriales ; leurs conducteurs et leurs fidèles essayaient de ranimer ailleurs la flamme du zèle qu’ils avaient si précieusement conservé. Sous ce rapport, la partie de la province dite du haut Languedoc fut l’objet des tentatives1733. les plus heureuses. Le bas Languedoc députa aux églises de la haute province Michel Viala, du lieu de Pont-de-Montvert, en qualité de prédicateur seulement ; il parcourut toute la contrée, et réorganisa les églises partout où la population et la ferveur le permettait. Sa tournée courageuse eut tant d’effet que, deux ans plus tard, les anciens des églises du haut Languedoc et haute Guyenne, où il n’y avait encore1733.
18 mai.
aucun pasteur à résidence fixe, écrivirent une lettre pressante à leurs frères de la basse province, pour leur demander le secours d’un ministre. « Vous n’ignorez pas, Messieurs, disaient-ils, qu’il y a un très-grand nombre de réformés dans cette contrée ; vous n’ignorez pas non plus la nécessité pressante du saint ministère au milieu de nous. Les corruptions générales, les tentatives continuelles de l’ennemi, le désir véhément des fidèles, l’efficacité des armes spirituelles dont vous vous servez pour renverser l’empire du démon, les progrès que l’Évangile a déjà faits dans ces pays infortunés, par le ministère de M. Viala, notre bien-aimé frère, sont autant de preuves de cette nécessité… Nous souhaitons que vous nous fassiez la grâce de nous pourvoir d’un prédicateur actuel, prédicateur que nous entretiendrons, sans le secours de vos églises. » Ils demandaient aussi la visite d’un pasteur toutes les années pour l’administration des sacrements. Le synode de la basse province répondit en leur accordant pour prédicateur résident Michel 1736.Viala, qui, l’année suivante, fit un voyage à Zurich, où il reçut l’ordination pastorale, après examen, des mains de Jean-Baptiste Ott, archidiacre au grand munster de la ville. Déjà les églises du Montalbanais, des montagnes du haut Languedoc et de Bédarieux, se groupaient autour du synode de la haute province, qui bientôt s’organisa plus fortement par les délibérations d’un colloque ; il fut résolu, entre 1737.
17 avril.
autres articles, que de fortes censures seraient encourues par tous ceux qui participeraient, en quoi que ce soit, « à favoriser l’idolâtrie des fidèles ; » il y fut pris diverses mesures tendant à la régularité de l’administration du culte et des aumônes. Les églises, attendu le danger des assemblées trop nombreuses, dans des temps aussi critiques, furent fractionnées en trois arrondissements ; celui de Viane fut taxé à soixante livres, celui d’Esperausses à quarante, et celui de Vabre à cinquante, pour les honoraires des pasteurs ; tels furent les faibles commencements de ces communautés aujourd’hui si florissantes, et dont les actes, au temps de leur renaissance, portent seulement la signature de Viala, pasteur, et de Marc, ancien et secrétaire. Leurs premières mesures furent conçues de manière à rétablir fortement le culte si longtemps troublé ou interrompu : c’est ce qu’on voit clairement par l’article 6 du colloque précédent, ainsi conçu : « Les anciens de chaque église s’assembleront une fois tous les mois, tant pour délibérer sur les moyens à prendre pour avancer le règne de Dieu, que pour se censurer et s’entre-exhorter à remplir les fonctions de leur charge. » (Mss. Cast., p. 7.) Toutes ces sages mesures furent prises sous la direction du pasteur Michel Viala, que l’on doit considérer comme le restaurateur principal du culte réformé, dans les églises du haut Languedoc.

Ces protestants du haut Languedoc, suivant l’exemple de leurs frères de la basse province et des Cévennes, ne négligeaient aucune mesure propre à rendre l’organisation de leur culte plus stable et plus florissant. Leurs pasteurs et anciens, réunis en synode1740.
26 octobre.
provincial, commencèrent à établir des rapports, sans cesse soutenus depuis ce temps, avec les églises du Poitou et de la Normandie. Leur assemblée admit à la charge de proposant ou de prédicateur, Jean-Baptiste Loire, de Saint-Omer, en Artois, et André Migault, dit Preneux, de Baussaix, en Poitou ; tous deux devinrent de courageux et utiles pasteurs, au milieu de ce troupeau affligé. Avant cette époque, André Migault avait déjà affronté le péril de la prédication en Normandie, ainsi que le proposant Loire. Le même synode ordonna un jour de jeûne spécialement affecté à la délivrance de l’église, ainsi qu’un jour d’humiliation extraordinaire, affecté à la commémoration douloureuse du 11 octobre 1686, jour de la révocation de l’édit de Nantes, suivant l’usage des réfugiés de Hollande et d’Angleterre ; mais cette disposition synodale ne fut pas généralement observée en France. Bientôt le ministre Jean Loire reçut l’imposition des mains à Lausanne, après en avoir été reconnu digne1742.
21 octobre.
par MM. Polier, professeur et recteur, et Ruchat, professeur en théologie.

Bientôt les églises prirent une mesure plus générale. Les premiers synodes n’avaient été composés que d’un petit nombre de pasteurs et de députés du Dauphiné et du Languedoc ; plus tard, celles du Vivarais1744. et des Cévennes vinrent s’y joindre ; enfin, à cette époque, on tint une nouvelle assemblée qui prit le nom de Synode national. C’est le premier de notre collection de pièces qui présente ce titre. (Syn. nat. 1744. Cop. cert. Mss. P. R.) Cette fois, voici les provinces qui furent représentées par des pasteurs et par des anciens ; le haut et bas Poitou, pays d’Aunis, Angoumois, Saintonge, Périgord, haut et bas Languedoc, basse Guyenne, Cévennes, Vivarais, Velay, Dauphiné ; nous y voyons figurer, pour la première fois, la province de Normandie, par le pasteur André Migault, qui ne craignit pas de braver les périls d’un long trajet pour partager les travaux de ses collègues. Les autres pasteurs présents à cette assemblée furent Jean Loire, pour le Poitou, avec deux anciens ; Michel Viala pour le haut Languedoc, avec sept députés ; Paul Rabaut, Simon Gibert, et quatre anciens, pour le bas Languedoc ; Jean Roux, Jean-Pierre Gabriac, avec trois anciens, pour les Cévennes ; Pierre Peirot et Mathieu Majal, avec deux anciens pour le Vivarais ; Jacques Roger, avec deux anciens, pour le Dauphiné. Nous verrons que de cette liste de pasteurs, deux ne tardèrent pas à payer de leur vie leur zèle évangélique ; dans les années suivantes, deux de ces hommes courageux, les pasteurs Majal et Roger, furent exécutés et moururent en héros. L’assemblée se réunit au désert dans le bas Languedoc, le 18 août 1744. C’était au plus fort de la guerre. Louis XV venait d’entrer en campagne à la tête de l’armée française. L’escadre anglaise menaçait les côtes de Provence. On se battait à la fois en Alsace, en Flandre, et sur les Alpes. Il était donc bien nécessaire, au milieu de cette conflagration générale, de renouveler les déclarations de fidélité absolue à la France et au roi. Voici, en conséquence, la première délibération qui fut prise ; « Après avoir lu la parole de Dieu et imploré le secours du Saint-Esprit, tous les membres du synode ont fait les protestations les plus sincères et les plus soumises de leur inviolable fidélité envers Sa Majesté ; et ils ont déclaré qu’ils ne s’assemblent que dans le dessein de s’affermir de plus en plus dans cette fidélité, d’éloigner entre eux toute désunion qui pourrait tendre à troubler la tranquillité publique et leurs églises, comme aussi d’y faire des règlements. » Cette résolution fut encore développée dans les premiers articles de cette assemblée, lesquels méritent une attention particulière. Il fut résolu que l’on célébrerait à la fin de l’année un jeûne solennel dans toutes les églises réformées du royaume « pour la conservation de la personne sacrée de Sa Majesté pour le succès de ses armes, pour la cessation de la guerre, et pour la délivrance de l’église. » Il fut prescrit que tous les pasteurs feraient au moins tous les ans un sermon sur la nécessité de la soumission envers les puissances légitimes. Il fut adopté que l’on présenterait au roi une requête au nom de tous les protestants du royaume, et qu’il serait dressé une apologie pour justifier « nos assemblées ecclésiastiques et religieuses, nos mariages et nos baptêmes » L’article 6, par la sagesse de son esprit et de sa teneur, mérite d’être rapporté : « Les pasteurs et prédicateurs s’abstiendront de traiter expressément dans leurs sermons aucun point de controverse, et ne parleront qu’avec beaucoup de circonspection de ce que nos églises ont eu à souffrir. » De plus, aucun pasteur ne devait répondre à aucune lettre de controverse, sans l’approbation de deux pasteurs ses voisins, et du consistoire de la principale église de son département.

Une foule d’autres articles portent l’empreinte bien manifeste de l’agitation et des troubles des temps. Les fidèles étaient exhortés à souffrir patiemment les mauvais traitements auxquels ils pourraient être exposés pour la religion, et à n’entrer dans aucune conversation où l’on traite des sujets de controverse, qui ne font qu’agiter les esprits. Les fidèles devaient éviter d’apporter aucun scandale en travaillant les jours de fête[63]. L’article 10 est remarquable ; il montre que l’on commençait à moins redouter la publicité des assemblées religieuses ; aussi il fit une grande sensation, et fut souvent rappelé dans les Mémoires historiques, favorables ou défavorables aux protestants : « Comme il y a plusieurs provinces où l’on fait encore les exercices de religion pendant la nuit, le synode, tant pour manifester de plus en plus la pureté de nos intentions que pour garder l’uniformité, a chargé les pasteurs et les anciens des diverses provinces, de se conformer autant que la prudence le permettra aux églises qui font leurs exercices en plein jour. »

Cette assemblée rendit un jugement disciplinaire fort important, qui servit beaucoup à ramener la paix dans les églises. Même en présence des persécutions, des dissensions graves s’étaient élevées dans leur sein. Vers l’an 1733 surtout, il était éclaté une scission qui aurait pu avoir les suites les plus graves. Un pasteur du bas Languedoc, Jacques Boyer, avait été destitué du saint ministère par son consistoire, sur l’accusation intentée contre lui d’avoir séduit une jeune catéchumène. Il ne pouvait y avoir qu’une voix sur la gravité d’un tel crime ; mais, parmi les églises de son arrondissement, les unes le proclamaient comme innocent et les autres le signalèrent comme coupable. On se divisa profondément selon les avis opposés sur la conduite de ce pasteur. Les choses vinrent au point qu’un synode provincial du bas Languedoc délibéra qu’on s’adresserait à la vénérable1733.
29 octobre.
classe de Zurich, « pour supplier messieurs les pasteurs et professeurs qui la composent de nous donner tous les secours qu’il dépendra d’eux dans la malheureuse affaire du sieur Jacques Boyer, ci-devant pasteur, tant par leurs bons avis que par des lettres pastorales adressées à toutes les églises. » (Mss. P. R.) Tel était l’avis des pasteurs Claris, Bétrine, Rivière, Viala et une foule d’autres des plus notables de la province. Il paraît que cette déplorable division dura très-longtemps. Elle menaçait même de produire un schisme définitif et funeste dans le midi du royaume. Nos pièces prouvent en effet que, commencée avant 1733, il fallut attendre jusqu’au synode national de 1744 pour la voir se terminer. En ces dernières années le pasteur Antoine Court vivait à Lausanne, où il s’était retiré. On savait tous les dangers qu’il avait courus en France. Son courage, ses services, ses lumières lui assuraient un grand crédit sur ses frères et sur les protestants de l’Europe. Voyant que tous les efforts des consistoires étrangers, réunis à ceux des hommes pacifiques de l’intérieur, ne pouvaient ramener la paix dans ses chères églises de France, Antoine Court prend le parti d’y retourner. Sans communiquer son dessein à ses amis les plus intimes, sans prendre congé de personne, il part de Lausanne, en s’entourant de toutes sortes de précautions pour sa sûreté individuelle. Il arrive inopinément au sein des églises divisées du Languedoc pour leur apporter la paix. Son premier soin est de s’assurer et de prouver que l’accusation portée contre le pasteur Boyer est calomnieuse. Il négocie, il sollicite, il entraîne. Enfin il obtient un compromis, qui calme toutes les colères et par lequel les partis extrêmes se faisaient des concessions réciproques. Il obtient que le pasteur Boyer et ses adhérents reconnaîtront que la destitution du pasteur inculpé était valide et légitime ; mais il fut convenu aussi que, moyennant cette soumission, sa destitution serait déclarée nulle et que le pasteur serait réintégré dans ses fonctions.

Nous voyons le synode national de 1744 mettre à exécution ces résolutions pacifiques. Le modérateur, Michel Viala, annonça que sur les différends qui affligeaient depuis si longtemps les églises du bas Languedoc et des Cévennes, il avait été convenu de nommer sept arbitres, c’est-à-dire trois pasteurs et quatre laïcs ; que l’assemblée ratifiait la sentence arbitrale ; que le pasteur Boyer, étant entré dans l’assemblée, avait déclaré qu’il se soumettait à la sentence arbitrale ; que les pasteurs Pradel, Deffère, Redonnel et Molines s’en portaient garants. Ces réconciliations furent suivies d’une prière prononcée par Paul Rabaut, et du chant du psaume cxxxiii. Enfin on arrêta que M. Blachon, ministre du saint Évangile, irait prêcher incessamment dans les principaux endroits où régnait la division, afin de réunir les esprits et les cœurs dans une harmonie si désirable.

Ces sages mesures calmèrent une querelle si ancienne et si invétérée. Au surplus, la même ferveur régnait également parmi tous ces dissidents, en face de l’ennemi commun et des édits. Nos pièces font voir que le pasteur Jacques Boyer, quoique légalement déposé par un synode provincial, mais toujours souhaité par une forte partie des églises du Rouergue surtout, ne cessa d’y porter la parole pendant toute la durée du schisme disciplinaire, au péril de sa vie. Ce fut encore Antoine Court qui dissipa ce fâcheux orage. Aussi sa présence dans cette assemblée, convoquée dans une plaine du Vivarais, avait attiré un concours extraordinaire. Elle prit même un aspect formidable. Le pasteur Antoine Court prononça un discours de circonstance et de pacification devant une réunion que les documents, sans doute non sans exagération, portent à dix mille personnes[64]. Le pasteur officiant déclara Jacques Boyer réinstallé dans ses fonctions ; ce dernier parut revêtu de ses insignes ecclésiastiques. Antoine Court lui tendit la main de fraternité. Il repartit aussitôt pour porter cette bonne nouvelle à Lausanne, après avoir béni, une dernière fois encore, tous ses frères rassemblés, qu’il avait si souvent édifiés et conduits au milieu de périls communs pour le pasteur et pour le troupeau. Ce fut encore un service signalé que le digne pasteur Antoine Court rendit à ses anciennes communautés et à toute l’église de France.

Un assez grand nombre d’articles disciplinaires furent adoptés par cette assemblée ; ils attestent de plus en plus l’extension toujours croissante du culte et des besoins des fidèles. Il fut ordonné qu’aucune province n’écrirait au roi ni aux personnes revêtues de son autorité pour des affaires qui intéressent le corps de l’église, sans au préalable avoir consulté les pasteurs des autres provinces, sauf le cas d’affaires très-pressantes (art. 5). On devait avoir soin surtout « de ne laisser prêcher aucun pasteur ni proposant qu’ils ne soient connus de quelques membres du consistoire » (art. 8). Aucun pasteur ne devait sortir de sa province pour aller exercer son ministère dans une autre, sans être muni de lettres de ses confrères (art. 16). D’ailleurs, c’étaient toujours les provinces de Guyenne et de Poitou qui manquaient le plus de prédicateurs. Nous voyons ici, pour la première fois, mention de l’église d’Orange, dans le comtat d’Avignon, et une résolution portant que l’église de Nîmes aurait, selon sa demande, un pasteur qui ne desservirait aucune autre église et qui serait affecté uniquement à celle-là. Ce fut en vertu de cette disposition que bientôt après Paul Rabaut fut nommé pasteur de cette grande communauté. Les églises devaient faire leur possible pour avoir chacune des diacres. Cette dernière organisation donna lieu à cette disposition de comptabilité régulière, la première de ce genre dont nos pièces fassent mention : « Pour éviter les jugements téméraires que l’on pourrait porter contre les anciens ou diacres, ou pour introduire le bon ordre, il sera nommé dans chaque consistoire un trésorier et un secrétaire, et le trésorier ne délivrera aucun argent sans que le secrétaire en ait connaissance, de quoi il sera tenu un compte exact » (article 23).

Ce même synode adopta quelques mesures qui avaient trait à la répression des mauvaises mœurs au sein des églises. Nous citerons cet article où l’assemblée jugea à propos de limiter, par la charité et la prudence, les pouvoirs discrétionnaires des consistoires, qui leur permettaient d’exercer une censure préalable sur les pécheurs prêts à s’approcher de la sainte table de la communion. « Sur la proposition qui a été faite s’il était à propos d’arrêter les pécheurs scandaleux qui s’approchent de la table sacrée, l’assemblée a été d’avis de remettre la chose à la prudence des pasteurs et des consistoires, qu’elle exhorte de faire, autant qu’il se pourra, les censures dans les consistoires ou dans les lieux autres que dans les assemblées, selon que les circonstances le permettent » (art. 24). C’est une disposition qui mérite bien d’être pesée, comme émanant de la charité profonde de ces pasteurs, qui étaient d’autant plus animés de l’esprit de support qu’ils vivaient plus près du martyre.

Ils firent toutefois une espèce d’exemple, quant à l’examen qu’ils exigèrent de Pierre Bornac, dit Laprat ou Latour, qui avait fait pendant quelque temps les fonctions de proposant dans le Poitou : « L’assemblée, après l’examen fait en deux différentes reprises sur divers points de théologie et de morale, a trouvé que ses lumières n’étaient pas suffisantes pour lui permettre d’exercer le saint emploi de ministre. C’est pourquoi elle l’a remercié de ses bonnes intentions, et l’a prié de se retirer où la divine Providence voudrait le conduire ; et a chargé messieurs les pasteurs de la province du Poitou de lui accorder les témoignages qui sont dus à sa conduite, avec défense cependant audit Bornac de s’immiscer dans aucune des fonctions du ministère, à peine, en cas de désobéissance, d’être déclaré coureur par les pasteurs des provinces où il sera ou par ceux des provinces voisines » (art. 25).

Le synode de 1744 s’occupa aussi des livres de piété dont les églises du désert devaient se servir de préférence. Il fut arrêté qu’on se servirait dans toutes les provinces de l’abrégé du catéchisme du savant et pieux théologien de Neufchâtel, le pasteur Jean-Frédéric Ostervald. Il fut aussi décidé qu’on se servirait, après la lecture de la Bible, des arguments et réflexions du même ministre (art. 11 et 12). Les églises du désert firent preuve de sagesse en adoptant ces compositions à la fois graves et familières, qui ont rendu des services réels au culte domestique, et qui encore aujourd’hui ne sauraient être remplacées. Le vieux Ostervald, qui avant la révocation avait recueilli les leçons de l’illustre Jean Claude, encore à Paris, put ainsi renouer la chaîne des temps et continuer dans les églises du désert la tradition des idées de ce sage pasteur et de l’ancienne académie de Saumur[65]. Ce fut peu d’années avant la fin de sa longue carrière (1747) que le pasteur Ostervald put voir les églises persécutées de France adopter les ouvrages de sa piété et de sa longue expérience. Jean-Frédéric Ostervald doit donc être cité parmi les protecteurs des églises du désert. Seulement cet article du synode national de 1744 en indiquant aux fidèles les ouvrages d’Ostervald comme les plus propres à nourrir la ferveur de leurs lectures privées, excita les recherches des intendants et des parlements ; nous verrons plus tard que ces livres, d’une piété si douce et si éclairée, furent maintes fois livrés aux flammes et qu’ils appelèrent même sur leurs détenteurs les arrêts les plus rigoureux. Tels furent les travaux principaux de cette grande réunion de 1744, la plus solennelle que les églises eussent tenue depuis la révocation, et qui jeta peut-être trop d’éclat. L’original est signé des pasteurs Viala, Paul Rabant, Peirot et Roger ; ce dernier, secrétaire, neuf mois plus tard, avait péri sur un gibet, à Grenoble. La convocation de ce synode, si sage dans ses mesures, devint le signal de vives persécutions. Nous aurons à revenir sur les mémorables circonstances politiques au milieu desquelles les églises du désert avaient fait cette manifestation si sainte et en même temps si dangereuse. Soit que la nouvelle du synode national de l’année précédente eût effrayé la cour, soit que le clergé eût sollicité plus fortement que d’ordinaire des mesures prohibitives, soit que la réorganisation des églises eût fait appréhender quelques mouvements pendant la guerre, qui régnait avec fureur, l’année de la bataille de Fontenoi vit paraître deux ordonnances qui surpassaient peut-être en sévérité tout ce qu’on avait vu jusque-là. « Sa Majesté étant informée que, nonobstant que tout exercice de la religion réformée soit interdit dans le royaume, cependant il s’est tenu depuis quelque temps plusieurs assemblées dans la généralité de Montauban, a ordonné que, conformément à ses édits, le procès sera fait et parfait à tous prédicants qui, dans ladite généralité, auront convoqué ou convoqueront des assemblées, et qui y auront prêché ou y prêcheront, et y auront fait ou feront aucunes fonctions, ensemble à tous et un chacun des sujets de Sa Majesté, de quelque état où condition qu’ils soient, lesquels se sont trouvés ou se trouveront dans lesdites assemblées et qui y seront pris en flagrant délit ; — et cependant à l’égard de ceux que l’on saura avoir assisté auxdites assemblées, mais qui n’auront pas été arrêtés sur-le-champ, veut et entend Sa Majesté que, par les ordres du sieur intendant et commissaire départi en ladite généralité, les hommes soient envoyés incontinent, et sans forme ni figure de procès, sur les galères de Sa Majesté pour y servir comme forçats pendant leur vie, et les femmes et filles récluses à perpétuité dans les lieux qui seront ordonnés. » Fait à Versailles, Louis Phélypeaux. (Ordonnance du roi concernant les gens de la rel. prét. réf., du 1er février 1745.

Si de telles pièces n’étaient de la plus irrécusable authenticité, on aurait de la peine à se persuader que des lois de ce genre furent rendues en France environ au milieu du xviiie siècle. Ajoutons comme rapprochement singulier, qui peint d’une manière frappante le contraste qui régnait alors entre la législation qui proscrivait les protestants et entre leurs coutumes, que deux jours après que cette ordonnance fut expédiée de Versailles, il partait du bas Languedoc une délibération d’un genre bien opposé. « La vénérable assemblée a convenu, d’un sentiment unanime, que tous ceux qui feront baptiser leurs enfants, ou qui se marieront dans l’église romaine, seront vivement censurés, suspendus de la sainte Cène, et proclamés à la tête d’une assemblée religieuse. » art. 9, (Syn. prov. du 3 fév. 1745, Rivière, prédicateur et secrétaire, Mss. P. R.) Mais ce n’était pas tout encore. L’ordonnance précédente frappait des peines les plus rigoureuses tous ceux, ministres, hommes, femmes et filles, qui avaient assisté aux assemblées ; il ne restait plus qu’à étendre la pénalité aux absents comme aux présents ; c’est ce qui fut fait par la cour quinze jours plus tard. Cette mesure est des plus extraordinaires qui aient été prises dans ce temps et dans aucun temps ; elle fut appliquée à la généralité de Montauban et étendue à toutes les autres : « Sa Majesté étant informée que les différentes peines afflictives portées par les arrêts, déclarations, ordonnances, rendus contre ceux qui assistent aux assemblées illicites des nouveaux convertis n’ont pu en arrêter le cours entièrement, parce qu’elles ne font sur des esprits remplis d’erreur que les impressions passagères et produites par la crainte d’une peine à laquelle chacun se flatte d’échapper ; et Sa Majesté, voulant mettre fin à ce désordre, qui cesserait totalement si ceux des nouveaux convertis, qui craignent d’être surpris eux-mêmes dans les assemblées, dont ils ont toujours connaissance, ne craignant pas d’y laisser aller leurs enfants et domestiques, cessaient de favoriser et fomenter ainsi les assemblées par leurs mauvais conseils ou par leur tolérance et par leur silence, qui ne les rendent pas moins coupables que ceux mêmes qui y assistent, elle aurait résolu d’obliger, par leur intérêt particulier, tous les nouveaux convertis à détourner ou déclarer les assemblées dont ils sont toujours informés, ou de les punir comme complices desdites assemblées, en établissant contre ceux qui ne les déclareront pas des peines pécuniaires et arbitraires, qui seront indifféremment supportées par tous les nouveaux convertis des cantons, — a ordonné et ordonne — que, dans toutes les communautés comprises dans l’état des arrondissements, tous les nouveaux convertis demeureront responsables de toutes les assemblées qui se tiendront sur le territoire des communautés dont chaque arrondissement sera composé (art. 1er). — Les habitants nouveaux convertis des arrondissements, dans l’étendue desquels il sera constaté qu’il se sera tenu quelque assemblée, seront condamnés, sans forme ni figure de procès, par ledit sieur intendant, à une amende arbitraire et proportionnée à leurs facultés… et la répartition des amendes sera par lui faite sur tous les habitants nouveaux convertis dans toutes les communautés de l’arrondissement (art. 2). — Veut Sa Majesté que ceux des nouveaux convertis qui remplissent leurs devoirs de catholiques, et en justifieront par les certificats de leurs évêques, ne soient point compris dans la susdite répartition (art. 3). — Les habitants nouveaux convertis d’une des communautés de l’arrondissement, dans l’étendue duquel il sera trouvé une assemblée, qui en donneront avis ou en fourniront la preuve, seront pareillement exemptés de la répartition, et lorsque lesdits avis auront été donnés assez à propos pour que l’assemblée ait été surprise, tous les habitants de la même communauté seront déchargés de l’amende et leur portion rejetée sur le reste de l’arrondissement (art. 4). — S’il se tient quelque assemblée sur le territoire d’une communauté toute composée d’anciens catholiques, et non comprise dans l’état des arrondissements, l’amende en ce cas sera supportée par les arrondissements les plus prochains du lieu où se sera tenue l’assemblée (art. 5) Tous les particuliers, compris dans les états de répartition qui seront arrêtés des amendes, seront contraints au paiement de leurs quotités par voie de garnison effective (art. 7)… — Et attendu que les prédicants, qui viennent de pays étrangers ou s’élèvent dans le pays, et qui sont les principaux auteurs de toutes les assemblées, ne trouvent le moyen de les entretenir que par la facilité des retraites que les nouveaux convertis leur donnent dans leurs maisons, Sa Majesté ordonne que tous les nouveaux convertis des communautés d’un arrondissement, dans l’étendue desquelles un prédicant pourra être arrêté, seront condamnés à trois mille livres d’amende, applicables aux dénonciateurs qui en auront procuré la capture, et ce indépendamment du procès qui sera fait et parfait suivant la rigueur des précédentes ordonnances, à celui dans la maison duquel le prédicant aura été trouvé (art. 8). N’entend Sa Majesté déroger, par la présente ordonnance, aux dispositions des édits, déclarations, et notamment à celles du 1er des présents mois et an, qui seront exécutés selon leur forme et teneur (art. dern.). Louis Phélypeaux. (Ordon. concern. les gens de la relig. prét. réf du 16 février 1745. Mss. P. R.)

On voit donc, par ces nouvelles dispositions ajoutées à celles de la déclaration de 1724, que la législation de Louis XV concernant les assemblées des protestants consistait en les articles suivants : condamnation à mort contre tout ministre, et galères perpétuelles contre tous ceux qui lui donneraient asile ; galères perpétuelles pour tout homme, et prison perpétuelle contre toute femme ou fille présents à une assemblée, avec confiscation des biens, le tout sans forme ni figure de procès ; pour les absents des assemblées, amende arbitraire contre tous les réformés des lieux, avec recouvrement par voie de garnison militaire ; amende de 3,000 liv. contre chaque réformé habitant le lieu où un ministre aurait été arrêté, laquelle amende, en cas d’une dénonciation, devrait bénéficier au dénonciateur. Hâtons-nous d’ajouter que des dispositions aussi tyranniques et aussi absurdes à la fois ne furent pas exécutées à la lettre ; jamais elles n’auraient pu l’être. Déporter aux galères des réunions de trois mille personnes, rançonner des districts entiers et nombreux de 3,000 liv. d’amende par tête d’habitant réformé inscrit à la capitation, en cas de capture d’un ministre, mettre des villages entiers à l’amende : c’étaient là des lois que ceux mêmes qui les rendaient ne purent avoir le projet d’appliquer sérieusement. Elles furent sur-le-champ adoucies en quelques lieux par la conduite des intendants.

Il y en eut un exemple remarquable non loin de Sainte-Foy en Guyenne, très-peu de temps après que furent rendues ces mesures d’une intolérance impraticable. D’après la lettre du ministre Loire, il paraît qu’en basse Guyenne, on avait semé le bruit que les édits d’intolérance allaient incessamment être abolis ; les réformés continuèrent dès lors leurs assemblées avec 1745.
2 mars.
moins de précaution. Cette publicité fournit le prétexte d’une circulaire de l’intendant de Bordeaux aux évêques de sa généralité, où l’administrateur semble donner des conseils de douceur au clergé. Il informe les curés qu’il avait tout lieu de penser que la plupart des nouveaux convertis qui ont assisté à l’assemblée tenue par un prédicant le 21 du mois de février, dans un champ près la ville de Sainte-Foy, ne se seraient pas portés à quelque chose d’aussi coupable, s’ils n’avaient été séduits par l’opinion que les émissaires de ce prédicant s’étaient appliqués à répandre dans ce canton, que le roi n’avait point désapprouvé de pareilles assemblées, qu’en conséquence elles devaient être regardées au moins comme tolérées, et qu’on pouvait y assister sans risque de se rendre criminel. Il ajouta ces paroles remarquables, qui démontrent combien on s’appliquait alors à modifier les rigueurs des édits dans la pratique administrative : « J’ai moins songé à faire arrêter les plus apparents d’entre eux pour les livrer aux poursuites rigoureuses de la justice, qu’à les mander pour leur remontrer avec douceur et menace la gravité de la faute qu’ils avaient commise, et la sévérité de la punition qu’ils méritaient si Sa Majesté n’avait la bonté d’user envers eux d’indulgence. » Ce fut l’intendant de Tourny qui prit ces sages mesures. Il ajouta encore ce passage qu’il adressait aux curés des paroisses : « La publication de mon ordonnance et la présence du prévôt général avec des brigades de maréchaussée ont détourné la tenue de l’assemblée, que dans celle du 21 le prédicant avait eu la hardiesse d’indiquer pour le dimanche 28. À peine y eut-il ce jour, soit à Sainte-Foy, soit dans les petites villes, bourgs et paroisses du voisinage, quelques mouvements de particuliers, plus curieux de voir ce qui se passerait que dans la disposition de désobéir. Tout doit donc être regardé à Sainte-Foy et aux environs comme calme, repentant, et absolument éloigné des nouvelles assemblées, dont l’on connaît le crime, et dont l’on craint la peine. » L’intendant invite les curés à lire les ordonnances du roi à leurs prônes plusieurs dimanches consécutifs ; il termine sa circulaire par cette phrase : « Je m’imagine que vous vous y porterez avec d’autant plus de plaisir, qu’il s’agit du bien de la religion, et que vous accompagnerez chaque fois cette lecture ou cette communication, de tout ce qu’un zèle moins vif qu’affectueux peut dire de touchant pour attirer les cœurs, tandis que le prince montre le glaive tranchant pour soumettre les volontés. » (Lettre de M. l’intend. de Bord. à MM. les curés des paroisses de sa génér. où il y a des nouv. conv., 4 p. p. fol. Mss. P. R.)

La lecture de cette pièce, considérée en entier, laisse voir que l’intendant de Tourny eut pour but d’effrayer les protestants, de les ramener par la douceur, et aussi de calmer le zèle amer du clergé en faveur des ordonnances. Il y a loin des remontrances de l’intendant de Tourny aux déclarations qui, exécutées à la lettre, eussent envoyé aux galères en masse une forte proportion de la population de l’arrondissement de Sainte-Foy. Les choses ne se passèrent point partout aussi doucement. Par arrêt de la chambre des vacations, du 23 septembre, le Parlement de Grenoble, sur le rapport du conseiller Ferrier de Montal, appliqua littéralement l’ordonnance aux réformés de son ressort ; il condamna quatre-vingt-douze protestants à des amendes de 400 liv. à 10 liv., parce que l’on avait tenu des assemblées. Le même arrêt cassa vingt-sept mariages célébrés au désert, par ce dispositif singulier et inhumain : « A fait aussi interdictions et défenses auxdits (accusés) de cohabiter avec leurs prétendues femmes, et auxdites (accusées) de cohabiter avec leurs prétendus maris, à peine d’être déclarés et punis comme concubinaires publics ; a déclaré les enfants qui peuvent être nés ou qui pourront naître à l’avenir de leur fréquentation, bâtards et incapables de leur succéder, sauf à eux à se représenter par devant tous leurs curés pour faire réhabiliter leurs prétendus mariages, » (Arr. de la ch. des vac. du 23 sept. 1745, qui condamne divers. part. accus. de contrav. aux édits et déc. du roi concern. la relig. prét. réf., 8 p. p. Mss. P. R.)

De pareils traits rapprochés du langage conciliant de l’intendant de Tourny, font voir combien le sort des réformés était livré à des caprices cruels. Le caractère personnel des intendants et des gouverneurs eut souvent à lutter contre les tendances des parlements, et surtout contre celles du clergé. Ces pouvoirs, animés l’un contre l’autre d’une inimitié héréditaire, poursuivaient cependant comme une théorie inflexible la fondation de l’unité religieuse, tandis que les commandants civils et militaires, à qui le maréchal de Villars avait donné un bel exemple en pacifiant les Cévennes, étaient bien mieux en mesure d’apprécier les difficultés administratives, les obstacles de la pratique. De plus, tout nous porte à croire que quelques sentiments d’équité dirigèrent leur conduite ; en effet, nous verrons bientôt que des rangs de la haute magistrature, il s’éleva quelques voix éloquentes qui ne purent déguiser les abus d’une législation si cruelle, et qui démontrèrent combien elle était peu propre à accomplir l’objet qu’elle poursuivait depuis si longtemps.

La position des églises et le sort des fidèles cette1745. même année, furent mis sous les yeux de Louis XV par un placet dont la présentation avait été résolue au synode national de l’année précédente. Les réformés saisirent l’occasion de la maladie subite et du prompt rétablissement du roi à Metz, pour adresser une supplique remplie de protestations de soumission mais cependant très formelle, en ce qui touchait la continuation des assemblées. Cette pièce donne une idée précise des tribulations de tous genres auxquelles elles étaient en butte (Placet prés. au roi, 1745, p. 7. Mss. P. R.) Les suppliants conviennent qu’ils s’assemblent en quelques lieux dans les champs pour entendre la prédication de la parole de Dieu, et participer aux sacrements ; mais ils ajoutent qu’ils seraient bien à plaindre si leurs intentions étaient prises en mauvaise part, et si des assemblées consacrées au culte du vrai Dieu, avaient quelque chose d’illégitime : « Votre Majesté, disent-ils, sait que le service public est pour ainsi dire inhérent à la profession de la religion, et que c’est un droit naturel et primitif. » — « Ce fut le même principe qui engagea les premiers chrétiens à faire des assemblées publiques, nonobstant les défenses de leur souverain, et les suppliants ne sont pas plus coupables qu’eux pour avoir suivi leur exemple. » Après avoir déclaré que la prohibition des assemblées est pour les sujets protestants du roi « un bannissement indirect », ils tracent le tableau suivant de leurs maux : « Ils consistent, disent-ils, en ce qu’ils ne sont libres, ni dans la vie, ni dans la mort. Les ecclésiastiques commencent même à les molester dès leur naissance. Le baptême, cette introduction des fidèles dans l’église, n’est administré à leurs enfants qu’avec des difficultés extrêmement onéreuses. Car comme les curés veulent exiger des parrains et marraines des engagements contraires à leur conscience, les pères sont obligés de faire présenter leurs enfants par les premiers pauvres catholiques qui se rencontrent, dont on leur impose les noms, par où les enfants sont privés de l’avantage considérable d’avoir des parrains et marraines affectionnés. — De plus, les enfants des suppliants ne sont pas plutôt sortis de l’âge le plus tendre, qu’ils sont en butte à tous les traits des ecclésiastiques. On prive les pères et mères, ou après leurs décès, leurs autres parents, du droit naturel qu’ils ont sur leur éducation : on met les filles dans les couvents ; on soustrait de cette sorte les enfants à la juste autorité de laquelle ils doivent dépendre, et à la faveur de la licence qu’on leur donne, ou des promesses qu’on leur fait, on ne manque pas de leur inspirer des sentiments contraires à ceux des personnes qui leur ont donné la naissance. — Ce n’est pas tout, quand les suppliants veulent se marier, on leur fait tant de difficultés (vu l’abjuration ou du moins la nécessité de participer au culte de la religion catholique que les ecclésiastiques leur imposent au préalable), qu’elles forcent les uns à renoncer au mariage, et les autres à le différer, par où il paraît que les ecclésiastiques tâchent, contre l’intérêt de l’État, de faire défaillir la race des religionnaires du royaume par un moyen à peu près semblable à celui que les Égyptiens imaginèrent pour éteindre celle des Israélites. — Ce zèle mal entendu des Égyptiens se continue jusqu’au lit de la mort des religionnaires, jusqu’à ces précieux moments où l’homme accablé de son mal a besoin de recueillir tout ce qui lui reste de force, pour ne s’occuper que du soin de faire sa paix avec Dieu. C’est alors que les ecclésiastiques vont troubler les mourants par des visites importunes, qu’ils les menacent de la rigueur des édits et déclarations de Votre Majesté s’ils refusent la confession et l’Eucharistie, et qu’à l’aide de ces menaces, ils s’efforcent d’ébranler leur constance. Il est facile de s’apercevoir que ce n’est pas la charité qui anime cette façon d’agir ; d’un côté, refuser obstinément le mariage à ceux qui le recherchent ; de l’autre, offrir avec importunité la confession et l’Eucharistie à ceux qui ne les demandent pas, forme une conduite si contradictoire, qu’on voit bien qu’elle ne s’accorde pas avec l’amour du prochain, ni en général avec l’esprit du christianisme. Mais quel qu’en soit le principe, Votre Majesté sent du moins qu’il produit le plus sinistre effet, puisqu’il rend les suppliants souverainement malheureux : leur souffrance a même été si longue qu’il est temps qu’elle daigne jeter sur eux un regard de compassion. Un seul regard de Votre Majesté suffit pour faire cesser tous leurs maux ; elle n’a qu’à leur accorder la liberté de conscience, cette liberté si essentielle à l’homme, si nécessaire à son bonheur et si conforme à la nature de la religion… Il s’y réunit encore, qu’en accordant la liberté de conscience, une foule de religionnaires qui ont été la recouvrer dans les pays étrangers, reviendraient dans le royaume avec leurs familles, leurs effets et leur industrie, et contribueraient infiniment par leur retour, non seulement à y augmenter le nombre des sujets, mais de plus à y faire fleurir les manufactures et le commerce, ce qui par mêmes moyens diminuerait très-considérablement la force des États voisins. »

Ce fut ainsi que les réformés, en butte à tant de poursuites, tantôt tracassières, tantôt terribles, répondirent aux sévères dispositions des dernières ordonnances rendues contre eux. Ce placet de 1745 ouvre la série des très-nombreuses pièces de ce genre, dont nous aurons à parler, et qui, très-probablement, n’eussent point porté la vérité au cœur du prince quand même elles n’eussent pas été interceptées en chemin. Il faut y remarquer la netteté avec laquelle les religionnaires donnent à entendre qu’ils ne peuvent abandonner leurs assemblées, parce que la liberté de conscience est un droit essentiel à l’homme ; noble langage, qui toutefois ne pouvait être compris alors à la cour de Versailles. Le tableau qu’ils tracent de leurs maux donne plusieurs révélations curieuses sur leur état, surtout sur cet usagé auquel ils étaient réduits, de prendre des espèces de parrains et marraines de louage pour présenter leurs enfants aux fonts catholiques, et l’originalité avec laquelle ils relèvent l’incohérence des pratiques des prêtres qui, aux termes des édits, se montraient aussi prompts à imposer l’Eucharistie aux malades protestants qui ne la demandaient pas, que disposés à refuser le sacrement aux époux qui le demandaient. Ils ne manquent pas non plus, selon l’usage constant de toutes les requêtes qu’ils ne cessaient de présenter, de joindre la raison d’état à la raison de conscience, de répéter que les déclarations sévères constituaient un véritable bannissement, et que la douceur aurait pour résultat de rappeler une foule de fugitifs industrieux. Ce simple et énergique langage ne fut pas même écouté par la cour, alors absorbée par les soins et les pertes d’une guerre acharnée, la cour qui venait d’envoyer débarquer en Écosse le chevaleresque prince Édouard pour offrir la légitimité catholique aux protestants de la Grande-Bretagne.

Il est donc facile de voir que c’était surtout contre le fait des assemblées que les poursuites religieuses étaient dirigées. Ces rassemblements gardés par des sentinelles et mystérieusement convoqués, qui se tenaient dans des lieux écartés, et que les courses des troupes obligeaient souvent de cacher au milieu des nuits, ressemblaient trop à des réunions séditieuses, pour que les ennemis des protestants ne tirassent point parti de cette apparence. Elle ne fut jamais chez les instigateurs de mesures rigoureuses qu’un prétexte. On ne voit pas que dans toute cette époque une seule de ces assemblées se fût portée à des excès séditieux, ni qu’une seule se fût réunie dans un pareil but. La sage direction de la presque unanimité des pasteurs, les soins d’anciens, notables, choisis souvent parmi les plus riches propriétaires, la vigilance des synodes, les règles constantes de la discipline auxquelles on restait aussi fidèle que le malheur des temps le comportait, tous ces liens à la fois sociaux et religieux, formaient de puissantes garanties d’ordre et de respect pour les lois. Ce fut à toutes ces influences réunies, que les réformés durent l’avantage de proclamer hautement que pas une seule de leurs assemblées ne se rendit coupable de rébellion. C’étaient, à la lettre, des réunions purement religieuses, et qu’on eût dû, sinon permettre, au moins tolérer, puisque ni les édits, ni les jugements, ni les irruptions de soldats n’avaient pu les arrêter. Cependant elles ranimaient sans cesse la vigilance des intendants et les procédures des cours. Ainsi que nous l’avons vu, la responsabilité de ces réunions pesait sur des contrées entières ; les amendes venaient frapper ceux que les jugements n’avaient pas atteints, et ceux même qui étaient restés dans leur domicile. Cette marche sévère des parlements et de l’administration apportait des obstacles sérieux à la régularité du culte et à l’assiduité des fidèles. Ces obstacles furent assez grands à cette époque pour que les pasteurs et anciens du haut Languedoc dussent adresser aux réformés une lettre circulaire spéciale pour leur rappeler leurs devoirs sur cette question. La lettre commence par dire « que les réformés avaient eu lieu d’espérer naguère que leurs temples, ruinés depuis bientôt soixante ans, allaient de nouveau s’ouvrir, puisque, en un grand nombre d’endroits, ils avaient pu s’assembler sans avoir été troublés ; que la persécution recommençant, les jours du dimanche étant changés en deuil, et les jours de fête en lamentation ; que la pratique des assemblées était de nouveau regardée comme un crime digne d’une punition exemplaire, les prisons regorgeaient de fidèles qui attestaient assez que le courroux de Dieu était allumé contre son peuple pécheur ; que cependant son bras pouvait encore les délivrer et son oreille les entendre, s’ils s’humiliaient devant lui, et s’ils confessaient qu’en lui était la justice, et au peuple la honte et la confusion de face. » (Cop. cert. Mss. P. R.)

Dans le comté de Foix, où les églises s’organisaient également avec une courageuse persévérance, une1745.
25 juillet.
réunion pastorale et laïque tint le même langage aux fidèles. Le pasteur Corteis y avait été député pour exercer les fonctions pastorales ; son premier soin fut de nommer des anciens, et cette assemblée arrêta l’organisation des églises du Caria, des Bordes, de Sabarat, de Gabre, du Mas d’Azil et de Camarade. Il fut décidé que chaque consistoire ferait deux ou trois collectes générales chaque année pour subvenir aux besoins des pauvres et des prisonniers ; que nul ne serait reçu au ministère de la prédication, à moins qu’il ne fût muni de bons certificats ; que les anciens veilleraient à ce que la piété et la décence régnât dans les assemblées ; que chaque église aurait à entretenir son ministre en temps de calme comme en temps de persécution ; que tous ceux qui, à l’avenir, feraient bénir leurs mariages dans l’église romaine seraient censurés et suspendus de la sainte cène ; enfin l’assemblée crut devoir rappeler les dispositions de la discipline, qui interdisent les jurements, les jeux, « ainsi que les danses et ceux qui font état de danser », qui, après avoir été avertis, devront être suspendus de la sainte cène. À la fin de l’année, un nouveau colloque, assemblé à Mazamet par le pasteur Viala, releva de la censure les anciens de cette ville qui avaient promis de s’absenter dorénavant de 1745.
1 novembre.
ces assemblées mondaines ; l’article est ainsi conçu : « On déclare aux anciens de l’ancien consistoire que, vu les marques de leur repentance, ils pourront être reçus à la communion, en suite d’une réparation publique. » (art. 3. Mss. Cast., p. 33.) Toutes ces dispositions font voir que le progrès et la bonne organisation des églises du désert marchaient parallèlement avec la promulgation des édits les plus impitoyables.


CHAPITRE II.


Influence du synode national de 1744. — Complaintes sur la mort des pasteurs du désert ; complainte du ministre Alexandre Roussel. — Martyres d’Étienne Arnaud et de Pierre Durand. — Lettre pastorale de Michel Viala. — Arrêts du parlement de Grenoble. — Martyre du pasteur Louis Ranc.


On vient de voir la convocation, les motifs et les ordonnances du synode national de 1744. faut avouer que les circonstances politiques n’étaient point très propices pour une telle manifestation. L’année précédente, était survenu pour la France un des faits malheureux de la guerre de l’héritage de Marie-Thérèse1743. ; la bataille sanglante de Dettingen, sur le Mein, livrée par le maréchal de Noailles à l’armée britannique, sous les ordres de Georges II, dans laquelle les troupes et la noblesse française firent de si grandes pertes ; le carnage de ce choc désastreux fut mal déguisé par les politesses que se firent aussitôt après les officiers des deux armées, dans la ville neutre de Francfort. Pour réparer ce désastre, Louis XV se mit en personne à la tête des armées ; ce fut au commencement de cette campagne qu’il fut saisi à Metz de1744.
14 août.
cette fièvre dangereuse qui le porta à deux doigts du tombeau, et qui produisit en France une si prodigieuse alarme. La nouvelle de la maladie du roi parvint au synode national au moment même où il était assemblé ; nous trouvons le tableau de l’effet de la nouvelle dans1744.
20 août.
l’article suivant : « La séance du jeudi finie, et avant la séparation de l’assemblée, un membre du synode ayant communiqué une lettre qu’il venait de recevoir, et qui contenait la triste et affligeante nouvelle de la maladie du roi, on s’est jeté à genoux pour demander à Dieu, par une ardente prière, le rétablissement de la santé de Sa Majesté ; ensuite, le synode a arrêté que l’on fera, le plus tôt possible, des prières publiques dans chaque église, pour le même sujet, et que pour cet effet il sera incessamment écrit une lettre à tous les pasteurs et anciens (art. xxiv). » On verra que cette loyauté et cette sage conduite eurent fort peu d’influence sur les dispositions de la cour à l’égard des protestants. Bien loin même de l’avoir adoucie envers eux, le synode national précéda de fort peu de temps l’exécution capitale de plusieurs ministres. Nous devons raconter ces événements douloureux.

Nous rencontrons ici, dans la série de nos pièces, un genre de monuments assez curieux, dont nous n’avons pas encore parlé. Ce sont les complaintes ou chansons populaires sur la capture et la prise des ministres du désert, qui périssaient victimes des édits. Nous avons pu réunir cinq exemples de ces naïves compositions ; plusieurs d’entre elles sont assez considérables, et elles forment de véritables poèmes historiques, d’une certaine étendue[66]. Il n’est point douteux qu’elles n’aient été écrites dans le temps même et sur les lieux : une seule porte un nom d’auteur, celle qui fut consacrée au souvenir de la constance et du martyre du pasteur François Teissier, dit Lafage ; elle est désignée comme l’ouvrage d’un prédicateur au désert, nommé Lapierre, et la date en est fixée à l’année 1754. C’est la plus étendue de toutes ; nous verrons que, sous plusieurs rapports, elle forme un ouvrage très-remarquable. Étant arrivés à cette époque de notre sujet, où nous avons à raconter la mort de plusieurs ministres du désert et à faire connaître le genre des poésies que leur catastrophe inspira, nous remonterons un peu plus haut.

Nous devons dire quelques mots du premier de ceux dont nous trouvons le supplice raconté dans ce genre de pièces. C’est un tableau populaire, mais tracé avec beaucoup de force, de la prise et de l’exécution du jeune Alexandre Roussel, ministre à Uzès, qui fut pendu à Montpellier, le 30 novembre 1728, par jugement de l’intendant Daudé. Il paraît que ce ministre avait été trahi et dénoncé par un inconnu, qui s’était laissé tenter par les abominables dispositions des édits, et notamment par celui du 1er juillet 1686, qui promettait cinq mille cinq cents livres de récompense au délateur ayant fait saisir un ministre dans l’exercice de ses fonctions. Nous ne connaissons, sur la fin d’Alexandre Roussel, qui périt dans les premiers temps de la renaissance du culte, lorsque Paul Rabaut était encore enfant, que les deux complaintes de notre collection, l’une sur sa mort, et l’autre, qui est intitulée « Complainte de la mère de Roussel. » Nous donnerons en entier la première, qui est très-curieuse ; nous puiserons seulement quelques renseignements dans la seconde.

On se demande d’abord quel degré de confiance attacher à cette classe singulière de documents historiques. Elle est évidemment précieuse, puisqu’il s’agit toujours ici d’une époque où il fallait soigneusement cacher les pièces officielles, et où aucun genre de publication ni d’impression sur les églises du désert n’était permis ni possible en France. En ce qui touche le fond des choses, il est clair que l’on doit admettre avec beaucoup de probabilité, quand même les recueils manuscrits n’offriraient aucune date ni aucune désignation précises, que ces ballades historiques sont contemporaines des événements qu’elles retracent. Leur forme l’indique suffisamment. Elles racontent des événements qui viennent de frapper les yeux et l’imagination du peuple. Tout atteste qu’elles sont du temps des catastrophes qu’elles chantent. D’ailleurs, plusieurs d’entre elles sont datées, l’une, celle de François Lafage, pasteur, est positivement attribuée au prédicateur Lapierre, qui accompagnait toujours son collègue dans les courses pastorales qui finirent par lui coûter la vie ; une autre, celle de François Benezet, porte cette note : « Cette complainte se composa au mois d’avril 1751 ; on ignore qui en fut l’auteur. » Au reste, on peut admettre que le peuple ne fait guère de complaintes longtemps après que les événements sont accomplis. Ce genre de composition paraît être essentiellement d’une date contemporaine des faits.

De telles compositions n’ont rien qui répugne à la sévérité de l’histoire, surtout si l’on songe aux caractères de celle-ci ; nous sommes toujours en présence d’églises prohibées, en présence d’un culte proscrit, et de ministres qui ne pouvaient l’exercer qu’au péril de leur tête. Les documents imprimés manquent donc totalement. Ce ne fut que plus tard que les églises du désert risquèrent, et encore bien rarement, de publier au milieu d’elles, dans une circonstance très-pressante, quelque court pamphlet défensif. Nos collections de manuscrits prouvent qu’il se tenait alors des écritures régulières concernant les affaires synodales et ecclésiastiques des églises ; elles attestent aussi l’abondance de la correspondance ; cependant il y a toute apparence qu’on dut se borner aux pièces indispensables et qu’on s’est gardé de multiplier sans motif les actes. Ils auraient pu servir de pièces de conviction dans des procès rigoureux. Nous verrons que des fragments et que des notes synodales furent produites contre les pasteurs du désert dans plusieurs cas où des condamnations à mort furent prononcées et exécutées. D’autre part les livres protestants étaient sévèrement prohibés ; leurs détenteurs ainsi que ceux qui se livraient à ce commerce, étaient exposés à la flétrissure et aux galères. Ainsi, la situation des églises du désert, toujours florissantes mais toujours poursuivies, ne comportait ni livres imprimés ni documents manuscrits. Cette pénurie, née des persécutions, est justement ce qui fait l’honneur et l’originalité de leur histoire ; mais aussi elle a rendu les documents très rares. Toutes les sources de renseignements sont donc précieuses. Les ballades ou complaintes populaires peuvent être utilement consultées. Elles seraient déjà intéressantes comme monuments des idées et de la foi populaire, et jusqu’à un certain degré, comme les restes du style du temps ; elles le sont bien plus encore, comme monuments d’une cause si rigoureusement proscrite et poursuivie, et comme les débris de ce que des lois barbares cherchaient à étouffer de tant de manières. Ces complaintes, comme source historique, ont donc tout le caractère d’un chant populaire et secret en faveur des victimes. Il ne faudrait pas toutefois s’exagérer l’autorité de ce genre de ressources. Elles sont populaires, et par conséquent elles ne sauraient être parfaitement authentiques. Il est difficile que les faits n’y aient été grossis. Mais ils auront été embellis plutôt qu’altérés ; on y trouvera des ornements et non des mensonges. C’est là le caractère de la complainte populaire. On devra s’y fier pour les choses générales, et non pour les faits de détail. Elles auront toujours pour nous le mérite de nous laisser voir fidèlement ce que l’on pensait alors chez le peuple touchant les événements les plus tragiques survenus dans les églises du désert.

Nous ne trouvons point dans nos pièces officielles synodales, ou dans nos pièces privées, des allusions à ce genre de compositions. Il est probable qu’elles obtinrent une très-faible mesure d’approbation de la part des pasteurs de cette époque, dont les mœurs étaient graves comme leurs idées. Cette forme frivole ne dut point leur plaire. Quelque convenables que fussent les sentiments qu’on y exprimait, c’était toujours mettre le martyre en chansons ; cette idée seule dut blesser des hommes aussi religieux. Au reste, les ballades que nous avons lues, loin d’offrir quelque chose de blâmable, n’auraient pas blessé même les rigoristes. Toutes sont profondément religieuses ; toutes sont animées des sentiments de la plus profonde confiance en Dieu et en Jésus-Christ. Il est superflu d’ajouter que toutes portent l’empreinte d’un attachement inébranlable à la foi réformée ; car sans un tel sentiment, elles n’eussent pu être ni composées ni redites. Toutefois, elles sont encore plus spécialement bibliques que dogmatiques. Dans celle qui célèbre la douleur de la mère de Roussel, les rapprochements énergiques et même injurieux ne sont pas épargnés ; il est question de Babylone, de Nabuchodonosor, de Pharaon, de Jézabel, et d’Hérode ; et tout cela est cité et représenté avec une ferveur bien profonde. On y distingue facilement la trace de la lecture familière de la Bible, qui était alors si profondément dans les habitudes religieuses du Languedoc. À l’abondance et à la vivacité des images bibliques, on y voit comme un reflet très-populaire de la grande manière de Saurin. Au reste, l’orateur de La Haye prêchait encore lorsque les premières de ces ballades furent chantées.

Quant à leur caractère littéraire, il ne nous semble pas d’une très-grande originalité. Nous sommes absolument incompétents pour juger quelle analogie lointaine, elles peuvent présenter avec les poésies de Goudouli, ce Pétrarque languedocien, qui sut mêler à la couronne poétique de Livia ses chants pleins de tristesse sur la mort de Henri iv. Depuis longtemps il y avait des Académies littéraires à Arles, à Nîmes, à Montpellier, à Béziers, et à Marseille ; l’églantine des jeux floraux prolongeait avec grâce les traditions de la muse provençale. Mais toutes ces institutions officielles eurent sans doute fort peu de prise sur les poésies populaires du bas Languedoc. C’était uniquement les malheurs des églises que les auteurs de complaintes voulurent célébrer. Ils ne songeaient guère à soumettre aux académies les éloges poétiquement populaires de ces pasteurs que les lois punissaient de mort. Il ne serait pas impossible que ces ballades eussent été traduites du dialecte languedocien en vers français ; nous manquons de lumières pour décider ce point. La littérature contemporaine était languissante. Son dernier produit vigoureux avait été ces étranges stances où Lagrange Chancel stigmatisait le régent et ses roués, en vers cyniques, mais pleins d’énergie. Ces ballades n’offrent rien de semblable. Elles n’ont aucun caractère poétique proprement dit, comme les ballades allemandes, si riches d’images naturelles ; elles ont au contraire une analogie frappante avec certains de ces chants écossais que Walter Scott nous a fait connaître ; ce sont des légendes descriptives et historiques, où le peuple des frontières d’Écosse comme le paysan du Vivarais, célèbre quelque aventure tragique de ses mœurs chevaleresques ou religieuses. Ce n’est pas toutefois que ces complaintes ne présentent une certaine énergie de style, ainsi que celle que nous citons pourra le démontrer. On y rencontre des traits d’une grande force. On remarquera surtout les espèces d’imprécations qui terminent la ballade de Roussel. Cette fin est moins évangélique qu’elle n’est lyrique. On voit que l’auteur accepte avec quelque contrainte la douceur clémente de son pasteur supplicié et trahi, et qu’il se dédommage, par l’idée des tourments futurs, du pardon que sa foi l’oblige à prononcer pour ce monde. Ceci est le trait le plus original. Mais ces morceaux nous paraissent avoir d’autres qualités encore. La simplicité du récit ; la vigueur du dialogue et des répliques ; surtout la naïveté vraiment sublime, par laquelle le chanteur anonyme nous dépeint la citadelle et les cachots de Montpellier comme la maison des fidèles : tout cela forme un tableau d’une grande beauté. On semble entendre le cri de douleur de ce peuple persécuté. On n’est troublé ni par les rudesses de style ni par les fautes de quantité : nous nous sommes bien gardés d’introduire la moindre correction, qui eût endommagé la naïveté de cette poésie légendaire.


complainte sur la prise de m. roussel,
Pasteur du désert, exécuté à Montpellier le 30 novembre 1728.
i.

Mes frères, écoutez le cruel traitement
Qu’on a fait à Roussel, ce jeune proposant ;
Il a été vendu, ah quelle perfidie !
Comme on vend la chair dans une boucherie.

ii.

Il fut pris, arrêté à la côte d’Aulas,
Lié et garrotté par la main des soldats.
On le mène au Vigan, dedans cette posture,
Toujours en lui chantant toute sorte d’injures.

iii.

Ils l’ont pris et mené devant Monsieur Daudé ;
En entrant dans sa chambre, on l’a interrogé :
On lui a demandé : « Que faites-vous en ville ?
— « Je suis venu exprès pour prêcher l’Évangile. »

iv.

On lui a demandé : Où avait-il prêché ?
— « Partout où j’ai trouvé des chrétiens rassemblés. »
On lui a demandé : Où faisait-il sa demeure ?
Il leur a répondu : « Le ciel est ma couverture. »

v.

« Êtes-vous un pasteur de ceux qui vont aux champs ? »
« Non, leur a-t-il dit, je suis un proposant.
« Je suis Roussel d’Uzès : permettez-moi de faire
« Savoir que je suis pris à ma très-chère mère.

vi.

Après l’avoir ouï et écrit ses raisons,
L’ont pris et l’ont mené tout droit aux prisons,
Tout droit à la prison dedans la citadelle,
Qui est depuis longtemps la maison des fidèles.

vii.

On plante un piquet par devant la prison,
Et la porte est gardée par cinq ou six dragons.
Mais le pauvre Roussel, dedans cette misère,
A toujours son recours au Père des lumières.

viii.

Le soir sont arrivés beaucoup de grenadiers.
Qui l’ont pris et mené tout droit à Montpellier,
Tout droit à Montpellier dedans la citadelle ;
C’était depuis longtemps la maison des fidèles.

ix.

Sa mère le vient voir avecque de ses amis,
Son beau-frère avec elle, et lui dit : Mon fils,
Si tu as prié Dieu, en France, c’est un crime ;
Il n’y a point de pardon ; tu en seras victime.

x.

Nous avons des amis qui ont bien du crédit
Pour te sortir d’ici : cependant ils m’ont dit,
Que pour un autre cas, le feraient avec joie :
Pour ceux qui prient Dieu, pas un ne s’emploie.

xi.

Ma mère, c’est assez ; je désire ma fin
Plutôt qu’aller souper ce soir à un festin ;
Je m’ennuye en ce lieu et je désire l’heure,
D’aller dedans le ciel y faire ma demeure.

xii.

Les jésuites souvent vont le solliciter,
Pour sortir de prison, de religion changer.
Mais notre prisonnier sa religion dispute,
Et pour la vérité hardiment les rebute.

xiii.

Là disant, avec ces suppôts de l’Ante-Christ,
« Je veux toujours garder la loi de Jésus-Christ ;
Si je meurs pour son nom, j’irai avec les anges,
Là où nous chanterons ses divines louanges. »

xiv.

Quand il vit les archers et le prévôt venir,
Avec le bourreau pour le faire mourir,
A prié le bon Dieu de lui donner courage,
Et de ses ennemis pouvoir vaincre l’outrage.

xv.

On le sort de prison pour le mener au lieu
Là où il devait rendre son âme à son Dieu ;
La tête, les pieds nus, ayant au cou la corde,
Le long de son chemin chanta miséricorde.

xvi.

Quand il fut arrivé tout près du poteau
Ce bienheureux Roussel leva les yeux en haut,
Monta long de l’échelle sans lui faire aucune peine,
Voyant le ciel ouvert comme fit saint Étienne.

xvii.

Après être monté, il dit cette raison :
Pardonnez-les, Seigneur, ne savent ce qu’ils font ; »
Et puis dit au bourreau : « Toi et toutes ces personnes,
Qui de mal m’auront fait de bon cœur je pardonne. »

xviii.

Ainsi finit ses jours, le bienheureux Roussel,
Et son âme à l’instant s’envole dans le ciel,
Pour y aller jouir d’une gloire éternelle. —
Faisons tous comme lui, si Dieu nous y appelle !

xix.

Celui qui l’a vendu ne se découvre pas :
Mais un jour devant Dieu sera comme Judas.
Il a vendu Roussel, Judas vendit son maître ;
Dedans un même rang tous deux on va les mettre.

xx.

Dis-moi donc d’où tu es, du Vigan ou d’Aulas ?
Au jour du jugement, ne trembleras-tu pas,
Quand tu te souviendras de cette perfidie,
Qu’au pauvre Roussel, tu as coûté la vie ?

xxi.

Tu auras beau crier : Coteaux, tombez sur moi,
Montagnes et rochers, de grâce, couvrez-moi,
Pour me cacher aux yeux de ce juge terrible :
Les coteaux à ta voix resteront insensibles.

xxii.

Il faudra malgré toi subir un jugement,
Et aller sur-le-champ dans un lieu de tourments.
Vois le sort de Judas, toi son compatriote,
Vous serez les deux logés chez le même hôte.


1728.Nous ne joindrons pas à ces stances naïves et touchantes celles où le peuple chanta le malheur de la mère de Roussel ; elles sont inférieures quant à la forme ; elles répètent à peu près les mêmes faits. Nous y trouvons seulement ce bruit populaire, que la mère de Roussel avait été « mère-nourrice » du duc d’Uzès, qui était par conséquent frère de lait du ministre captif ; cette pauvre femme eut l’idée fort naturelle de solliciter ce seigneur en faveur de son enfant. Ce fut sans succès. Toutefois la ballade attribue au duc d’Uzès des sentiments humains pour l’infortuné captif, ainsi que pour sa mère ; seulement elle rapporte qu’il aurait répondu qu’il fallait que Roussel servît d’exemple aux autres proposants, et qu’il ne pouvait rien pour lui à moins qu’il n’abjurât sa foi[67] ; proposition que la mère du martyr repousse avec une vive indignation. On y raconte encore ses visites au captif dans les cachots de Montpellier, ses conversations avec son fils ; mais rien de tout cela ne vaut l’énergie touchante de la ballade que nous venons de transcrire en entier.

1732.Nous devons enregistrer ici la mort d’une autre victime, également célébrée dans les complaintes, et sur laquelle nous avons un peu plus de renseignements. Il s’agit du pasteur Pierre Durand, qui avait figuré aux premiers synodes du Dauphiné et du Languedoc, immédiatement après la mort de Louis XIV, en 1716 et 1717, synodes dont nous avons donné au long les délibérations. La pièce originale, en outre de la signature d’Antoine Court, porte celles des ministres J. Crotte, Jean Huc, Jean Vesson, Étienne Arnaud, et Pierre Durand. Nous avons vu que les ministres Vesson et Huc furent pendus à Montpellier, en 1723, encore dans cet état d’exaltation fanatique qui suivit la guerre des Camisards et les élans de leurs prophètes. Aussi plus tard Antoine Court ne les comprit pas dans la liste des pasteurs régulièrement ordonnés dans les églises de France, qui avaient souffert le martyre[68]. Il y comprit au contraire, en rendant témoignage à sa ferveur et à sa constance, le ministre Étienne Arnaud, signataire de ce premier synode, exécuté à Alais, le 22 janvier 1718, peu de temps après avoir signé ces règlements synodaux. Nous n’avons pas de renseignements suffisants sur le sort de leur collègue Jean Crotte ; mais en le passant sous silence, nous trouvons que tous les signataires de ces premiers synodes périrent sur le gibet, excepté Antoine Court, de 1718 à 1732. D’après nos ballades, nous voyons que ceux de ces martyrs dont l’église du désert garda le plus précieusement la mémoire furent Arnaud, Roussel et Pierre Durand ; même les écritures de nos manuscrits ont gardé la trace de l’éducation des courageux signataires ; les signatures de Huc et de Vesson sont chancelantes et indécises ; celles de Court et de Durand sont très-nettes et fermes. On voit dans les pièces que nous a laissées Pierre Durand toutes les lumières et l’éducation du pasteur, qui contribua si efficacement à délivrer le Gévaudan et les Cévennes des restes du fanatisme camisard. C’est de sa main qu’est rédigé le certificat du synode du 27 sept. 1730, que nous possédons, contenant attestation en faveur des pasteurs Corteïs et Betrine, revêtu du sceau portant pour exergue, Le triomphe sous la croix ; devise que ce pasteur devait confirmer par son propre martyre à Montpellier, le 22 avril 1732. Le pasteur Pierre Durand fut capturé par un poste militaire, près de Tournon, d’où il fut transféré à Montpellier. Là, il fut assailli par les visites des ecclésiastiques qui tentèrent de le faire changer de religion. D’après la ballade, cinq ecclésiastiques zélés l’accompagnèrent jusqu’au pied de la potence, toujours dans l’espoir de conquérir une abjuration[69] ; mais le ministre déjà avancé en âge voulut donner sa vie pour la foi des églises du désert.

À partir de l’époque de cette fin courageuse, nous trouvons un intervalle heureux de treize années pendant lesquelles aucun supplice ne fut exécuté contre les ministres du désert ; trêve qui comprit une forte partie du ministère du cardinal de Fleury. Ce ne fut que treize ans après sa mort, c’est-à-dire, en 1745, que le gibet des confesseurs fut relevé à Grenoble, par les arrêts du Parlement. Ces mesures sévères succédèrent à la tenue du synode national de 1744 ; les mémoires n’hésitent pas à attribuer à cette manifestation, faite au milieu de la guerre, une partie des malheurs qui vinrent fondre sur les réformés. Dans les années qui suivirent l’exécution du pasteur 1732.Pierre Durand, la persécution s’était adoucie ou ralentie ; ce fait consolant se prolongea de 1732 à 1744.« Alors les protestants commencèrent à lever la tête ; ils la levèrent trop haut ou trop tôt. Le gouvernement se réveilla et rappela les mesures persécutrices. » (Mss. Veg.) Ce fut probablement là l’impression que les événements du temps produisirent sur Antoine Court, puisqu’il la transmit à son fils de Gebelin, sur les manuscrits duquel M. de Vegobre composa la phrase que nous venons de citer. Lors du synode national de 1744, Antoine Court avait quarante-huit ans ; Paul Rabaut entrait dans sa vingt-sixième année ; Court de Gebelin avait dix-neuf ans.

Après avoir tenu cette assemblée qui avait tant inquiété la cour, les églises, voyant les persécutions renaître de toutes parts, s’appliquèrent à mettre la vérité dans tout son jour et à laver la cause commune des calomnies dont on tâchait de la charger. Par délibération d’un colloque du haut Languedoc, il fut résolu d’adresser au nom des églises des lettres apologétiques à monseigneur de La Deveze,1744.
3 juillet.
lieutenant-général, commandant la province du Languedoc, ainsi qu’à M. Lescalopié, intendant de la généralité de Montauban, pour leur exposer, que s’assembler en armes dans la vue d’insulter les catholiques en général et les prêtres en particulier, que faire des collectes en faveur des princes étrangers, étaient des pratiques diamétralement opposées aux maximes des églises ; que si quelques gentilshommes avaient pris à leur départ pour se rendre dans les lieux des assemblées, leurs armes ordinaires de voyage, ils n’avaient fait aucune injure à qui que ce fut, quoiqu’ils eussent eux-mêmes été insultés ; que d’ailleurs, ils avaient eu soin de quitter leurs armes dans des lieux éloignés ; que tout au plus pouvait-on avoir vu quelque épée aux assemblées, ce qu’on évitera totalement à l’avenir, les particuliers y ayant été exhortées : « Et si nous faisons des collectes dans nos assemblées, continue la lettre au commandant, outre qu’elles sont trop modiques pour être acceptées des princes étrangers, Dieu nous est témoin qu’elles sont uniquement destinées au soulagement des pauvres, tant catholiques que protestants. » (Mss. Cast., p. 13.)

1744.
Septemb.
Peu après, une autre assemblée divisa le haut Languedoc en six arrondissements, que chaque pasteur devait parcourir alternativement, sans donner plus de prédications à l’un qu’à l’autre, excepté dans les cas extraordinaires ; les diverses églises furent taxées pour les honoraires du ministère à un taux qui attestait leur zèle et leur nombre toujours croissant[70]. On divisa également le cercle de Montauban en quatre arrondissements, Mauzac, Nègrepelisse, Caussade, et leurs environs ; ceux de Montauban, de Mauzac, et Lagarde renfermaient alors les deux tiers des fidèles ; 1 200 liv. furent affectées au traitement des deux pasteurs.

Les rigueurs de la persécution se faisant de plus en plus sentir au milieu de ces églises, au moment même de leurs premières tentatives de réorganisation, cette disposition fut appliquée à toute la province ; « Que, vu le renouvellement de la persécution, l’emprisonnement de plusieurs anciens de nos églises, et la timidité d’un grand nombre de fidèles qui se sont absentés des assemblées religieuses qu’on a convoquées jusqu’à présent en plein jour, il est de la prudence de s’assembler à l’avenir pendant la nuit pour éviter les suites fâcheuses qui pourraient résulter d’un trop grand éclat. » (Colloq. des 17 janv. et 10 mai 1745. Mss. Cast., p. 19 et 20.)

Si d’un côté les églises prenaient toutes les précautions que la prudence leur dictait, de l’autre, elles se fortifiaient aussi de plus en plus dans la résolution de ne pas céder à la violence. Quelques réformés de Mazamet ayant consenti, non à abjurer, mais à s’engager seulement à ne pas aller aux assemblées du culte, afin d’échapper, par cette concession, à des amendes ruineuses, ils furent privés de la sainte Cène ; les anciens et diacres furent déchus de leur charge, jusqu’à ce qu’ils donnassent des preuves de repentir ; le pasteur Michel Viala leur écrivit à ce sujet une lettre1745.
10 mai.
remplie des plus affectueux et des plus touchants conseils. Cependant ce pasteur, qui était depuis douze années l’âme et l’instrument principal de la renaissance religieuse des églises du haut Languedoc, se voyant poursuivi de toutes parts, et sans cesse menacé du supplice, eut un moment la pensée de se retirer dans une contrée plus tranquille. Nous transcrivons la lettre qu’il écrivit à ce sujet, parce qu’elle pourra servir à faire connaître à la fois et la situation des églises, et le caractère héroïque de leur pasteur.

«  À messieurs les dignes pasteurs et anciens des églises du haut Languedoc, assemblés en colloque, le 10 mai 1745.

« Messieurs nos très-chers et très-honorés frères en Jésus-Christ notre Seigneur, le sieur Viala, pasteur de vos églises, a l’honneur de vous représenter que, depuis que Dieu, par un effet de sa juste colère, a permis à l’ennemi de renouveler les anciennes persécutions de l’église, il s’est vu plusieurs fois en danger d’être surpris par les ruses du persécuteur, qui, instruit du temps et des progrès de son ministère, est animé contre lui d’une haine implacable ; qu’il lui revient de toutes parts que les malintentionnés cherchent actuellement à lui tendre des pièges ; que cependant il surmonterait ces obstacles et consacrerait le reste de ses jours au service de vos églises, si la faiblesse de sa complexion pouvait le lui permettre ; mais qu’une santé aussi chancelante que la sienne ne lui laisse aucun lieu de douter qu’il ne succombât bientôt sous le poids des travaux, des courses fugitives et des divers accidents auxquels il se verrait exposé, si la persécution venait à augmenter, ce qu’à Dieu ne plaise. C’est pourquoi il ose espérer, messieurs, que vous voudrez bien lui accorder une attestation provisionnelle ; afin qu’il puisse se retirer avec honneur dans les lieux où la divine Providence voudra le conduire, en cas de plus grande persécution, promettant cependant de ne s’absenter qu’à la dernière extrémité, et de saisir avec avidité la première occasion qui se présentera pour revenir au milieu de vous.

« Il proteste devant Dieu que ce ne sera jamais qu’avec le dernier regret qu’il se dérobera aux yeux d’un peuple qu’il chérit autant que sa propre vie, et qu’il prie le Seigneur avec toute l’ardeur dont il est capable, qu’il daigne lui fournir, dès à présent, le moyen de remplir les fonctions du saint ministère au milieu de son troupeau. Oui, messieurs, je puis dire avec intégrité, à l’exemple du prophète, Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite s’oublie elle-même, que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, et si je ne te mets pour le premier chef de ma réjouissance. Troupe fugitive, innocente, brebis du souverain pasteur, si je me vois contraint de déférer au précepte de mon Sauveur, quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre, au moins, que mon esprit soit toujours avec vous ! au moins, que mes mains tremblantes soient toujours élevées vers le ciel pour implorer sur vous les bénédictions divines ! au moins que mon cœur malade de la froissure de Joseph conserve jusqu’au tombeau le tendre souvenir des églises de cette province, et en particulier, de tous les membres qui composent cette vénérable assemblée ! »

À cette époque, la sévérité des administrateurs et des parlements redoubla, et des maux inouïs pesèrent1745. sur les provinces. De tous les corps de magistrature de cette époque, aucun ne se montra plus rigoureux, on peut dire, plus barbare, que le parlement du Dauphiné, séant à Grenoble. Il est possible que l’esprit des juges et du premier président, de Piolens, eût exercé quelque influence sur cette jurisprudence sévère ; mais il est plus vraisemblable que cette cour se laissa effrayer par la gravité des événements de la guerre de 1745 et 1746, par suite desquels les armées piémontaises et autrichiennes avaient occupé les lignes du Var et de la Durance, pendant que de formidables escadres anglaises menaçaient de bombarder Marseille et Toulon. Puisque Louis XV envoyait Édouard Stuart en Angleterre avec une armée catholique, ou put craindre que les Anglais, par droit de talion, ne jetassent des soldats protestants sur les côtes françaises de la Méditerranée, pour rallumer la guerre civile et rallier les mécontents. Nous verrons, en effet, que ce fut sans cesse l’épouvantail des intendants. La Provence avait été ravagée et occupée en grande partie par l’ennemi, que le maréchal de Bellisle eut tant de peine à chasser. Le peuple vit l’invasion avec assez d’indifférence. Le gouvernement éprouvait de vives inquiétudes sur le danger de voir les protestants s’allier à l’ennemi, en recommençant la guerre des Cévennes avec de meilleures chances. Auprès de la cour de Versailles, deux influences agissaient sans cesse contre les religionnaires : l’insistance du clergé, qui voulait par tous les moyens ramener les dissidents au giron, et l’influence politique qui représentait toujours les assemblées des protestants comme des commencements de révolte. Tantôt on répandait le bruit que les protestants levaient la tête en proclamant que la tolérance était accordée, faisant entendre par là qu’ils se soulèveraient si elle ne l’était pas ; tantôt on assurait que le voisinage de deux armées étrangères leur servait de sauvegarde ; enfin on donna comme nouvelle positive que vingt-cinq gentilshommes protestants se disposaient à joindre les ennemis avec vingt-cinq mille Camisards. Ces rumeurs si habilement calomnieuses eurent tout le succès qu’on voulut en retirer. Les provinces voisines de l’invasion furent tourmentées de mille manières. Le Dauphiné, comme frontière piémontaise, fut exposé aux plus grands malheurs. On est douloureusement surpris en parcourant la série des arrêts du parlement de Dauphiné à cette époque. Ce fut peut-être la plus rude persécution que les réformés aient éprouvé dans tout le xviiie siècle.

Le prétexte de l’orage fut un bruit que l’on fit courir sur une démarche imaginaire du ministre Jacques Roger, à Grenoble, lui attribuant d’avoir lu tout 1744.haut, à l’une de ses assemblées du 7 mai, un édit de tolérance fabriqué à plaisir. Nous donnerons bientôt quelques détails sur cette supercherie.

Les protestants furent ajournés par centaines. Toutes les maréchaussées furent mises en campagne. On remplit les prisons de Montélimar, de Valence, de Die, de Crest et de Grenoble. À partir de ce moment, la cour ne cessa de rendre les arrêts les plus terribles. En 1745 et 1746, dans le Dauphiné, Paul Achard, Étienne Arnaud, Pierre et Antoine Berrard, Jean Faure, Claude Piallat, Louis Noir, et une foule d’autres réformés furent condamnés aux galères perpétuelles. Par arrêts de mai 1745, vingt-un accusés ; par arrêt du 28 septembre, cinq accusés ; par arrêt du 15 octobre, vingt-neuf accusés ; par arrêt du 6 novembre, trente-un accusés ; par arrêt du 22 avril 1746, cent quarante-cinq accusés ; par arrêt du 23 septembre, quarante-quatre accusés, furent condamnés aux galères à vie et autres peines moins fortes. Les peines étaient aussi variées que les usages des parlements le permettaient : Alexandre Porte fut condamné au carcan, au bannissement, et ses livres furent brûlés ; Joseph Lambert à la question ordinaire et extraordinaire ; Joseph Maigre de Boissette fut dégradé de son office de notaire et à l’amende. Les granges et bâtiments de Jean Isnard, de Daniel Payan, d’Abraham Thomas, de Pialla, de Jean Chirol, de Jacques Galand, de Pierre Chanas, furent démolis et rasés jusqu’à leurs fondements. Un grand nombre de femmes, les unes comme Suzanne Moignez et Madelaine Calvet, furent livrées à l’exécuteur pour être battues de verges jusqu’à effusion de sang, dans les carrefours de Grenoble ; d’autres, comme les femmes Pémingat et Marthe Martin, rasées et enfermées dans des maisons de force. Personne n’échappait à cette cruelle justice. L’arrêt du 6 novembre jugea1745. trente-un gentilshommes, et les condamna, les uns aux galères perpétuelles, tous à des amendes et à être déchus de noblesse : la marquise de Montjoux fut enfermée dans un couvent, et une lettre de cachet vint atteindre M. de Montrond, du Plan de Baye, qui fut de plus condamné à trois mille livres d’amende et à perdre la juridiction de sa terre, par arrêt du 28 février. Des condamnations capitales vinrent se joindre à ces arrêts infamants. Le ministre Duperron fut condamné à mort et exécuté en effigie sur la place du Breuil à Grenoble (arr. du 17 mars 1745). L’année suivante, le même parlement condamna également à mort sept ministres où proposants, Vouland, Descours, Dunoyer, Roland, Dubuisson, A. Ranc et Paul Faure. Ils se tinrent cachés et échappèrent ainsi 1745.à l’arrêt. Mais un de leurs collègues n’eut pas ce bonheur. Louis Rang, frère d’un des contumaces que nous venons de citer, fut arrêté à Livron, le 16 février, n’ayant encore que quelques années de ministère et âgé seulement de vingt-six ans. On le mit dans les prisons de Valence, où il essuya des traitements rigoureux. Dans son interrogatoire devant M. Chais, subdélégué de l’intendant, il déclara qu’il était ministre et qu’il en remplissait les fonctions. Il fut condamné à mort à Grenoble, le 2 mars 1745. En vain le président de Piolens lui offrit la vie, s’il voulait changer de religion. Il répondit qu’il était inviolablement attaché à sa foi, et rejeta toute tentative de séduction. Le jugement portait que le prédicant Louis Rang serait pendu dans la ville de Die, et que sa tête tranchée serait exposée sur un poteau, dans le grand chemin, devant la petite hôtellerie de Livron, où il avait été arrêté. Il repartit donc de Grenoble sur une charrette qui le remit aux prisons de Valence, d’où on le mena à la tour de Crest, et puis à celle de Die. Une nombreuse escorte, composée de maréchaussée et d’une centaine de grenadiers, gardait le prisonnier. À Crest, Louis Rang demanda la faculté de se faire raser et accommoder ses cheveux, parce que, disait-il, cet air de propreté lui paraissait nécessaire pour qu’on pût bien voir le calme de son visage et la tranquillité avec laquelle il subirait un supplice injuste[71]. Sur le chemin de la place de Die, il entonna ce verset du psaume cxviii, et le répéta plusieurs fois.


La voici l’heureuse journée
Qui répond à notre désir ;
Louons Dieu, qui nous l’a donnée,
Faisons-en tout notre plaisir.


Plusieurs fois il voulut parler au peuple, mais deux tambours couvrirent sa voix par leurs roulements. Sans prêter l’oreille aux exhortations de deux jésuites qui l’accompagnaient, et tenant sans cesse ses yeux fixés vers le ciel, il ne laissa voir que l’expression de la piété la plus résignée et la plus fervente. Au bas de l’échelle il se mit à genoux, fit sa prière et monta avec courage. Dès qu’il eut cessé de vivre, l’exécuteur sépara la tête du cadavre pour l’exposer sur le chemin de Livron. On n’ose croire, quoique tous les documents l’attestent, que M. d’Audifret, commandant du Diois (pays de Die, actuellement département de la Drôme), et le grand vicaire de l’évêque, ne s’opposèrent pas à ce que le corps fût outragé indignement par la populace. Les mêmes pièces rapportent que ce ne fut que par les soins généreux et chrétiens d’une respectable dame catholique que ses restes reçurent la sépulture[72]. Ainsi périt pour la foi évangélique et la liberté de sa conscience le jeune martyr Louis Rang. Son frère, Alexandre Rang, condamné à mort, persécuté, poursuivi, sa tête mise à prix, ne cessa pas pour cela d’exercer ses fonctions pendant le cours d’un ministère périlleux de près d’un demi-siècle, laissant un fils qui fut président du consistoire de l’église réformée de la Rochelle après la révolution française. Ce fut Alexandre Rang, que tous les protestants du Dauphiné appelaient notre Parrain, parce qu’il les avait tous baptisés dans les déserts des montagnes de cette province.



CHAPITRE III.


Ministres de Louis XV. — Faux édit sur la tolérance et faux cantique. — Lettre de Paul Rabaut au duc de Richelieu. — Capture et martyre du pasteur Roger. — Églises du haut Languedoc et de la Guyenne. — Lettre pastorale de Michel Viala. — Le consul Fabre. — Placet des églises au roi. — Correspondance de l’intendant du Languedoc avec les églises du désert. — Demande de corps militaires.


Avant de continuer le récit uniforme de ces constantes persécutions, qui éclatèrent vers le milieu du siècle avec un redoublement d’ardeur, il convient de rechercher si la marche du gouvernement, et si l’esprit des nouveaux ministres de Louis XV pourrait nous expliquer des changements aussi graves. Le 1743.
29 janvier.
cardinal de Fleury venait, par sa mort, d’affranchir le jeune roi de toute espèce de tutèle ; une guerre violente et sa vieillesse nonagénaire avaient rompu le fil de cette douce existence, que n’avaient pu rajeunir les riantes solitudes du château d’Issy. Les secrétaires d’État, qui gouvernaient effectivement, quoique Louis XV mît une grande importance à faire croire qu’il voulait se passer de premier ministre, étaient d’abord le surintendant Amelot qui eut peu d’influence sur le gouvernement ; ensuite et surtout les deux frères Voyer d’Argenson. Le comte d’Argenson avait remplacé le secrétaire d’État de Breteuil au ministère de la guerre ; il déploya des talents véritables dans la guerre désastreuse de la succession d’Autriche ; il fut juste et inflexible envers les militaires ; mais sa sollicitude ne paraît pas s’être étendue jusqu’aux Français protestants, dont le sort était, il est vrai, hors de ses attributions. Ce qui est plus étrange, c’est que, pendant les terribles persécutions dans le Dauphiné et le Languedoc, le frère de ce dernier ministre, le marquis d’Argenson, esprit d’une couleur philosophique prononcée, tenait le portefeuille des affaires étrangères ; il occupa ce poste de 1744 à 1747. Ce fut pendant cet intervalle que plusieurs ministres du désert furent traînés au gibet pour avoir accompli les devoirs de leur charge au milieu de l’amour des populations. Peut-être ces faits qui se passaient sous l’administration du marquis d’Argenson, doivent-ils nous faire accepter avec quelque restriction la réputation de parfait philosophe et de secrétaire de la république de Platon, que Voltaire lui décerna si souvent dans le cours de leur longue liaison. Il est vrai qu’à partir du 10 janvier 1747, le marquis d’Argenson ne se mêla plus des affaires publiques. Nous verrons que son fils, le marquis de Paulmy, montra plus de sympathie et une justice plus éclairée pour les infortunées églises du désert.

Le comte de Maurepas se mêlait davantage du régime intérieur de la France. Il fut très-longtemps (1725-1749) ministre de la marine ; il tenait aussi un ministère plus privé, le portefeuille de la cour et de Paris. Marmontel l’a dépeint sous les traits d’un brillant égoïste, à l’esprit caustique, doué d’une rare sécheresse de cœur. Nous le verrons reparaître au pouvoir dès les premières années de Louis XVI, après avoir été disgracié par Louis XV, en 1749, à cause d’une épigramme de mauvais ton contre une royale favorite. Il resta, comme on le voit, au poste de secrétaire d’État, au moment de la plus vive persécution des églises du désert. Elles eurent la malheureuse fortune de souffrir beaucoup sous des ministres intimement liés avec les plus brillants philosophes du jour ; car le comte de Maurepas avait reçu, en 1740, les célèbres vers légers de Voltaire ; il fut toujours intimement lié avec Montesquieu ; mais il ne paraît pas que l’ambitieux et docile courtisan eût jamais sérieusement médité l’ingénieux apologue de l’Esprit des Lois sur la tolérance, où le sage de la Brède immole l’inquisition aux arguments de la jeune juive de Lisbonne.

Mais le secrétaire d’État, dans le ressort duquel les églises réformées figuraient plus spécialement à cette époque du règne de Louis XV, ce fut le comte de Saint-Florentin, homme d’un esprit étroit, peu lié avec les philosophes, mais très-actif comme administrateur[73]. Il doit lui revenir une large part de la responsabilité des mesures du temps. Ce fut à lui que les églises du désert adressèrent sans cesse ces placets redoublés, si justes dans leurs prétentions, si mesurés dans leurs plaintes ; nous ne voyons pas, par nos pièces, que cet administrateur ait une seule fois répondu à des doléances aussi légitimes. Il fut sans doute plus occupé de ses galanteries que de leurs malheurs. Il eut surtout la direction des affaires des protestans de France depuis 1744, lorsque Louis XV partit pour aller livrer la bataille de Fontenoi. Le roi ne cessa de témoigner la plus haute estime à son talent administratif, qui fut d’une fécondité intarissable dans la signature des lettres de cachet. Son pouvoir, qui s’étendit sur les églises pendant l’espace de plus d’un demi-siècle, fut enfin brisé par Louis XVI. Après nous être arrêté à indiquer les noms des ministres qui gouvernaient la France, ou du moins qui partageaient l’autorité avec les dames, jusqu’ici de bonne maison, qui régnaient sur le roi, nous devons rentrer dans notre sujet, qui d’année en année revêt une teinte plus sombre. Nous avons vu comment la disposition fort sage des assemblées de jour, adoptée par le synode national de 1744, fut odieusement exploitée par les ennemis des églises du désert. Ils eurent recours à des calomnies mieux ourdies encore. Les assemblées ayant été reprises en Dauphiné,1744. il fut fait rapport à la cour de Versailles que, dans une convocation religieuse du 7 juin, un ministre avait lu tout haut à son auditoire une pièce en forme d’édit de tolérance, qu’il déclarait être du roi et être signé et scellé par le souverain. De quelque côté que vînt l’avis, il fut trouvé bon. Un bruit aussi absurde et aussi faux alla trouver Louis XV à la tête de ses armées. Le roi, qui était alors devant les lignes d’Ypres, fit expédier de son camp, par le ministre de la guerre, le comte d’Argenson, à M. de Piolens, premier président du parlement de Grenoble, une dépêche du 22 juin 1744. Cette lettre contenait en substance que le roi avait été informé « que le nommé Roger, prédicant, » ayant assemblé plusieurs religionnaires du lieu de Pojols, dans le Diois, y avait fait lecture d’un prétendu édit ou indult du 7 mai, et scellé d’un sceau qu’il assurait être celui de Sa Majesté, « par lequel il paraissait qu’elle donnait à ses sujets la liberté de conscience et celle de s’assembler. » Le roi déclarait qu’il n’avait jamais eu intention de déroger aux lois établies sur cette matière par le feu roi son bisaïeul, et que son ordre était que l’on désabuse les peuples de l’impression que cette pièce aurait pu faire, « et qu’en démasquant l’imposture du prédicant, vous leur fassiez sentir les risques qu’ils courraient en se livrant à la conduite de tels pasteurs. » — « Sa Majesté désire de plus que vous fassiez contre ledit Roger toutes les poursuites convenables pour parvenir à l’exemple qu’exige la gravité du cas. » On ne peut qu’être assez douloureusement surpris de cette violente instruction envoyée au parlement de Grenoble par le comte d’Argenson, instruction qui coûta la vie au vénérable ministre Roger. Le ministre et administrateur qui donna cet ordre était cependant bien ce comte d’Argenson, qui protégeait les lettres et les arts, auquel la grande Encyclopédie fut dédiée par d’Alembert et Diderot, et qui convoquait, à ses spirituels soupers de Neuilly, Lafare et Marmontel, Chaulieu et Voltaire. Sans doute, au milieu de ces élégants loisirs, il ne daignait jamais songer aux droits des églises du désert. On verra plus bas que l’ordre qu’il envoya ne fut que trop écouté par le parlement de Grenoble. Mais quant à l’affaire même, le parlement du Dauphiné se mit avec zèle à la poursuite d’un fantôme. Il cita, il informa, il décréta d’ajournement, et se donna mille mouvements pour constater la réalité d’une telle calomnie ; mais ce fut sans aucun succès.

Nos pièces, tant privées que synodales, eussent suffi à elles seules pour en établir l’imposture. Personne ne s’attendait alors dans les églises à une déclaration de tolérance venue de la cour. Le pasteur Roger prit le parti d’écrire lui-même une épître défensive au ministre comte d’Argenson. « J’ai cru, dit ce sage pasteur, qu’une calomnie si énorme demandait que je déclarasse à Votre Grandeur, de la manière la plus expresse, que si cette pièce supposée a existé, ce que je ne crois pas, je ne l’ai lue ni en particulier, ni dans les assemblées ; que je ne l’ai pas même vue ; et que je n’en ai rien vu que par la lettre que Votre Grandeur a écrite à ce sujet, et que l’on a rendue publique. » Le pasteur ajoutait que les réformés attendaient la liberté religieuse avec une entière résignation. Il terminait par ces réflexions, qui dévoilent assez clairement, sinon les auteurs, du moins les motifs de la calomnie : « Les auteurs de ces impostures nous noircissent pour nous rendre odieux et indignes du support de Sa Majesté : mais ce n’est pas là le seul motif de celui qui m’a accusé d’avoir supposé un édit de liberté de conscience. Sa malignité l’a porté à vouloir découvrir par cette indigne voie la façon de penser de Sa Majesté sur nos exercices de religion. Si sa maligne curiosité a été satisfaite à ce dernier égard, j’ose espérer qu’il ne triomphera pas longtemps de l’opprobre dont son imposture m’a couvert aux yeux de Votre Grandeur, et qu’en voyant éclater mon innocence, dans la procédure même qui a été faite pour prouver le crime affreux dont on me charge, vous rendrez à l’accusateur et à l’accusé la justice qui leur est due. » Ce qu’on aurait aujourd’hui de la peine à croire, c’est que ce bruit fut adopté et propagé par ceux même qui avaient le plus d’occasions de s’assurer de sa fausseté. Les ecclésiastiques catholiques de la province essayèrent de donner corps et réalité à la calomnie. Ils furent sans doute de bonne foi ; car on croit facilement aux péchés de ceux qu’on n’aime pas. Même après la mort tragique 1746.du pasteur Roger, l’évêque de Valence, M. de Milon, répétait, dans un mandement du 10 février, que les hommes de ténèbres, les ministres protestants, « avaient publié sur les toits, ce qu’ils ne disaient auparavant qu’à l’oreille, que par de vaines espérances d’un prochain rétablissement ils en avaient allumé les plus violents désirs, et qu’ils ne rougissaient pas, pour se donner plus de créance, de fabriquer de fausses lettres et de les répandre avec ostentation sous les noms les plus respectables[74]. » Il est facile de distinguer dans ces paroles la trace des inquiétudes que la publicité des grandes assemblées de 1744 avait jetées dans les esprits des ennemis du culte au désert.

Il paraît d’ailleurs que cette chimère produisit une véritable agitation dans toute la province du Dauphiné. Les curés écrivirent de toutes parts au parlement, qui ajourna sur-le-champ un grand nombre des protestants des lieux. On lit avec curiosité les questions que firent les juges à ces fidèles si fermes dans la confession de leur foi. « Vos ministres ne vous ont-ils pas fait lecture d’un prétendu édit, qui vous donne permission de prêcher publiquement ? Ne vous sollicitent-ils pas à user de violence ; à enlever les enfants des couvents, à égorger les religieuses ? Ne vous ordonnent-ils pas de prier pour la reine de Hongrie, et pour la prospérité des armes du roi d’Angleterre ? Quelles sont les maisons qui servent d’asile à vos ministres lorsqu’ils ont prêché ? Un tel notaire n’exige-t-il pas le contrôle des mariages que vous faites bénir au désert ? Ne continuez-vous pas dans vos assemblées d’y baptiser et d’y marier[75] ? « On pense bien que les magistrats n’apprirent rien de la bouche des interrogés, qui put appuyer des bruits aussi calomnieux. Aucun d’eux ne déguisa la vérité, quant à leur culte ; mais aucun d’eux aussi ne put attester qu’il eût jamais entendu approuver des pièces supposées ou fausses par les ministres.

Il faut considérer toute cette affaire comme ayant été habilement inventée par les adversaires des églises, et comme ayant été le résultat des dernières réunions publiques. Nous avons déjà remarqué que le moment de ces réunions était fâcheux. Des édits absurdes et oppresseurs interdisaient toute assemblée publique ; ils transformaient, il est vrai, en crime, l’exercice le plus pacifique et le plus calme d’un droit sacré. Précisément à cause de la défense et de la proscription, ces réunions avaient forcément une apparence mystérieuse, dont le gouvernement pouvait s’inquiéter. On ne comprend plus aujourd’hui cette folie administrative, qui visa sans cesse à transformer des églises, qui auraient pu être patentes et publiques, en sortes de conciliabules clandestins, ayant toujours une apparence de secret et de conspiration. Ce fut là l’énorme faute des hommes d’État de tout ce siècle. Ils créaient par les édits des assemblées défiantes et menacées, pour ensuite s’en épouvanter et les traiter de révolte. Il n’y avait de clé à tous ces embarras, et pour l’administration et pour les protestants, que la tolérance.

Toutes ces inquiétudes de la province, ces dépêches du comte d’Argenson, ces recommandations de sévérité adressées au parlement de Grenoble, coûtèrent la vie au pasteur Roger, l’un des plus vénérables ouvriers de la vigne évangélique du désert.

« Sans doute, écrivait le ministre Loire, de Sainte-Foi, à Paul Rabaut, à propos des bruits sur un faux édit, vous êtes informé de cette imposture de nos ennemis, ou plutôt de cet effort du prince des ténèbres, qui est menteur et meurtrier dès le commencement. » (Lettre du 22 sept. 1744. Mss. P. R.) Toutefois le pasteur Roger, vieillard vénérable, livré tout entier à ses travaux apostoliques, ne voulut pas les interrompre même au milieu d’un tel orage. Ayant appris que son jeune confrère, Louis Rang, avait été arrêté à Livron, il lui écrivit pour le fortifier ; il répétait sans cesse : « Pauvre enfant, que je voudrais être à ta place ! » Ce vœu ne fut que trop tôt exaucé. Ayant appris l’imputation calomnieuse qu’on faisait circuler contre lui, il la démentit et continua toutes ses fonctions. « Je vous donne aussi avis, écrivait-il à Paul Rabaut, que l’on continue d’appeler des personnes à Grenoble et que même l’on en a retenu quatre ou cinq. On en a enfermé une à Die et les mesures se renouvellent ; mais, nonobstant tout cela, presque tous font bénir leurs mariages et baptiser leurs enfants par les ministres, et les assemblées sont aussi fréquentes que nombreuses ; ce qui cause tant de fatigue à nos messieurs que la moitié en a la santé altérée sans pouvoir prendre du repos. (Lettre du 20 sept. 1744.) Quelques mois après avoir tracé ces lignes, ce ministre fut vendu et saisi dans le bois des Petites-Vachères, près de Crest, en avril 1745. Il répondit à l’officier qui lui demandait qui il était : « Je suis celui que vous cherchez depuis trente-neuf ans ; il était temps que vous me trouvassiez. » Transféré à Grenoble, il y fut condamné à mort, en vertu de la déclaration de 1724, par le dispositif suivant : « La cour a déclaré ledit Roger dûment atteint et convaincu d’avoir fait les fonctions de prédicant dans les diverses assemblées des religionnaires, et en divers lieux de la province, en réparation de quoi l’a condamné d’être livré à l’exécuteur et être pendu et étranglé jusqu’à ce que mort naturelle s’ensuive. » On remarqua qu’il n’y avait pas dans cet arrêt un seul mot du prétendu édit, dont on l’avait si calomnieusement chargé. Il écouta son arrêt avec la même fermeté merveilleuse qui avait étonné les juges lors de son interrogatoire. Reconduit à la prison, il demanda qu’on lui laissât quelques moments de repos pour qu’il pût se préparer au supplice. Ce vénérable pasteur était tout prêt ; mais il réclamait quelques heures pour entretenir quelques prisonniers protestants, dont il savait pouvoir être entendu. Il profita de cette occasion solennelle pour les exhorter à la persévérance et leur témoigna sa joie d’avoir été trouvé digne de sceller de son sang la vérité qu’il leur avait prêchée depuis tant d’années. Les mêmes fidèles attestèrent que le bourreau étant venu prendre ce martyr, sur les quatre heures du soir, pour le mener à la place du Breuil, marquée pour le lieu de l’exécution, ils entendirent le pasteur Roger s’écrier : « La voici l’heureuse journée et l’heureux moment que j’avais si souvent désirés ; réjouissons-nous, mon âme, puisque c’est l’heureux jour que tu dois entrer dans la joie de ton Seigneur. » (22 mai 1745.)

Deux jésuites qui devaient l’accompagner s’étant présentés, il les pria de ne point troubler, par des discours qui seraient inutiles, un recueillement et des actes de dévotion qui lui étaient si nécessaires. Il sortit ensuite de la prison en récitant à haute voix le psaume li, et fut conduit au lieu du supplice par cinquante soldats et au bruit de deux tambours, qui ne cessaient de battre. Pendant tout le chemin rempli d’une foule prodigieuse de peuple, il n’y eut personne qui ne lût sur le visage du pasteur Roger son zèle ardent, sa profonde sérénité et la piété sincère de son âme. Tous les catholiques en furent attendris ; les jésuites repoussés en parlèrent avec éloges. Après avoir fait sa prière à genoux au bas de l’échelle, il la monta avec le même air de confiance et de foi qu’il avait toujours montré jusque-là. Son corps demeura vingt-quatre heures suspendu au gibet et fut ensuite traîné à la rivière, qui lui servit de tombeau. « Telle fut la fin de ce digne pasteur, ajoutent les Mémoires de 1744, qui contiennent le récit le plus détaillé, ce pasteur que son troupeau pleure encore et ne cessera longtemps de pleurer. »

Le pasteur Jacques Roger était né à Boissières dans le Languedoc. Il s’était consacré, dès sa plus tendre jeunesse, à l’édification des églises du désert. Nous avons vu qu’il se joignit à Antoine Court, dès le commencement de la renaissance du culte, et avant même le pasteur Court, puisque les travaux de Roger s’ouvrirent dès l’année 1708. Il prêcha jusqu’en 1711, année où il sortit du royaume pour aller recevoir l’imposition des mains dans le Wurtemberg. Il était de retour en 1715, et à partir de ce moment jusqu’à sa mort, c’est-à-dire pendant quarante années, il n’avait cessé de conduire les églises du désert, dans le Dauphiné, convoquant les assemblées, administrant les sacrements, et assistant à tous les synodes.

Nous voyons le nom de ce vénérable ministre figurer au bas d’une foule de pièces de notre collection. Il avait soixante et dix ans, lorsqu’il scella une vie aussi utile par une mort reçue avec le calme d’une foi si vive et si longtemps éprouvée. Il mourut du même supplice, deux mois et demi après son jeune collègue, Louis Rang. Le jeune proposant au début de sa carrière, le vieux pasteur qui avait blanchi à l’œuvre, périrent à un intervalle rapproché. Telle fut la fin du vénérable pasteur Jacques Roger. Un supplice infâme, mais qui n’eut rien d’infamant pour ce digne ministre de Jésus-Christ, fut dans ce monde la récompense de son apostolique carrière. Il en fut aussi la couronne ; nous verrons dans les pages suivantes que tous les fidèles, orphelins d’un tel conducteur, redoublèrent de zèle et de fermeté en présence des arrêts réitérés du parlement de Grenoble. La mémoire du pasteur Roger fut bien longtemps chère à toutes les églises du Dauphiné. Nous ne devons pas oublier aujourd’hui que ce fut lui, avec Betrine, Courteis et Antoine Court, qui continua après la mort de Louis XIV la filiation de l’ordination du pastorat des églises reformées. C’est des mains de ce martyr qu’elle a été transmise jusqu’à nos jours ; souvenir édifiant et glorieux pour ses successeurs dans l’église réformée de France.

Les autres provinces du midi offraient des scènes non moins tragiques. Les prisons d’Alais, d’Uzès, de Saint-Hyppolite, de Nîmes, de Montpellier, d’Aigues-Mortes, celles du fort de Brescou et du château de Ferrières, étaient encombrés de malheureux détenus pour faits de conscience. Ceux qui obtenaient leur liberté, l’achetaient, ou par des frais ruineux, ou par des promesses de conversion, arrachées à la douleur : « Démarches, dit le Mémoire des plaintes, également contraires à ce qu’on doit à Dieu, à la religion dont on est membre, et à l’édification publique, démarches qui déshonorent ceux qui les font, et qui les accablent de honte et de remords, et qui empêchent même que le gouvernement puisse prendre de confiance en eux ; car quelle confiance peut désormais prendre le gouvernement en des personnes qu’il a réduites aux plus dures extrémités, et qui ont eu la timide lâcheté, pour se procurer une liberté temporelle, d’être infidèles à leur devoir et à leur Dieu. » Quant aux rigueurs fiscales des édits de 1745, les protestants du midi qui échappaient aux condamnations étaient ruinés par des amendes ; outre ceux des bourgs et des hameaux, les villes d’Uzès, d’Alais, de Ganges, de Castres, de Puylaurens, de Revel, de Réalmont, payèrent des sommes considérables.

Des faits d’une gravité plus sérieuse encore se passèrent en Languedoc. Ce n’étaient plus des condamnations ; c’était des surprises d’assemblées, suivies de massacres, qui semblaient le premier pas vers une vaste guerre civile. On n’avait rien vu de pareil depuis1745. les premières années qui suivirent la révocation. Le 17 mars, une assemblée convoquée près Mazamet, dans le diocèse de Lavaux, ayant été subitement investie par un détachement des dragons de la reine, elle envoya quelques membres près du commandant pour savoir ses intentions ; il les fit connaître en chargeant la réunion : ayant fait neuf prisonniers, parmi lesquels on remarquait le sieur Guitard, le sieur de Lassan, et Doules, sieur de Latour du Redondet, ancien officier et chevalier de Saint-Louis, tous furent condamnés aux galères à vie par jugement de l’intendant de Montpellier : le 6 avril une tragédie bien plus sanglante eut lieu à Vernoux. Le ministre Desubas, ayant été arrêté, fut conduit dans cette petite ville, et quelques paysans protestants, ayant appris la capture de leur pasteur, vinrent demander sa liberté ; on leur répondit par une décharge meurtrière. Cependant ils revinrent encore, et une multitude assez considérable, provenant de deux assemblées qui se tenaient aux environs, se répandit dans les rues de Vernoux, le 12 décembre 1745. Les soldats de l’escorte auxquels quelques bourgeois s’étaient joints, firent un feu roulant sur ce peuple sans défense, du haut des fenêtres où ils s’étaient postés. On évalua le nombre des victimes de ce massacre, à trente-six tués et quatre cents blessés. (Mém. de pl. p. 20, 21, Mss. P. R.)[76]. Nous reproduirons d’autres détails sur cette affaire déplorable, en racontant d’après des mémoires plus étendus, le récit de la prise et du martyre du ministre Desubas.

Avant cette scène désastreuse, l’intendant de Montpellier avait condamné aux galères le sieur Issoire, pour vente de livres à l’usage du culte, et aux galères perpétuelles Antoine Roux, médecin à Saint-Ambroix, pour avoir lu publiquement l’Écriture Sainte dans une assemblée. (Arr. des 17 août et 13 décembre 1745.)

Nos pièces nous ont fait connaître l’immense placard-affiche de l’une de ces dernières procédures, dans laquelle il s’agit d’une certaine masse de librairie protestante, expédiée au midi du royaume, de Genève et de Lyon, en consignation à Guillaume Issoire, meunier à Nîmes. Il faut avoir le courage de se plonger dans cette lecture, pour se faire une idée des procédures inouïes entamées à ce sujet par le conseiller et chevalier Lenain, baron d’Asfeld, intendant du Languedoc, et ses assesseurs, président et juges-mages au siège de Montpellier. Les papiers que les juges noircirent à cette occasion forment une liste énorme. Les livres protestants avaient été avisés Tonneaux de poix blanche et noire. Le tout se termina par une condamnation de trois ans de galères contre Guillaume Issoire, « dûment convaincu d’avoir introduit dans cette province des livres à l’usage de la religion prétendue réformée. » De plus, par une singulière extension d’autorité, le même jugement ordonna qu’une partie de l’expédition serait brûlée à Lyon par le bourreau (Mss. Fab. Lic.) C’étaient probablement une collection d’ouvrages en grand nombre que le comité de Genève envoyait aux églises du désert.

Pendant ce temps, les protestants du Rouergue étaient livrés à toutes les vexations des logements militaires. Près de Montauban, il y eut aussi un symptôme de résistance, qui occasionna beaucoup d’inquiétude à la cour. Le 4 mars 1745, des dragons ayant voulu outrager une fille, les paysans se réunirent en force, et après un combat contre des gens sans armes, le détachement fut obligé de se retirer, emmenant des prisonniers. Ce fut à la même époque que la persécution la plus cruelle atteignit les gentilshommes verriers du comté de Foix. Arrêtés dans leurs maisons, ils furent conduits aux prisons d’Auch ; l’intendant en condamna quarante-cinq aux galères perpétuelles et à la confiscation des biens, par arrêt du 15 février 1746. Tous ne furent pas conduits au bagne ; mais le 3 octobre suivant, les gentilshommes verriers, dont les noms suivent, subirent cette infamie, qui n’en était pas une toutefois pour des hommes qui n’avaient commis aucun crime ; c’étaient Isaac de Grenier, sieur de Lasterme, père ; ses deux fils, Jean et Marc, et Octave de Robert ; un autre verrier, Jean Grenier, sieur de Courtelas, endura des traitements rigoureux dans les prisons de Toulouse. L’intendant d’Auch condamna également aux galères à vie Jean Veziat, Monez, Lachard, pour crime d’assemblées religieuses. Pauline Monez et Isabelle d’Angély furent condamnées à être rasées et enfermées leur vie durant dans l’hôpital de la ville de Tarbes, pour avoir assisté aux assemblées des religionnaires, et pour avoir tenu des enfants au baptême et s’être mariées devant un ministre. Les pasteurs Olivier et Courteis furent condamnés à mort par contumace (arr. du 9 juin 1745). De plus, ce juge ordonna que, le jour de l’exécution, sur la place de Saint-Girons, les livres concernant la religion réformée, saisis chez les condamnés, 1744.seraient brûlés par le bourreau.

Nous avons vu précédemment que les calomnies qu’on avait répandues contre le ministre Roger avaient eu un fatal succès. Il y en eut d’autres non moins extraordinaires, dont il faut dire quelques mots, comme fournissant un singulier exemple de l’esprit du temps. Elles s’adressèrent cette fois à Paul Rabaut. Au même mois d’août, lorsque le synode national venait d’être tenu, on répandit dans la province un espèce de cantique que l’on accusait les réformés de chanter dans leurs assemblées. Ces stances, fort peu patriotiques, étaient intitulées : « Cantique nouveau pour demander à Dieu, dans les assemblées particulières, l’heureux succès des armes britanniques, sur le chant de la passion. » Le contenu répondait au titre. Quelque nouvel ennemi, plus perfide encore que celui qui avait fabriqué les faux édits de tolérance, avait rimé ce chef-d’œuvre de méchanceté[77]. On apprit une autre nouvelle fâcheuse, qui étonna et qui n’inquiéta pas moins. Dès l’année 1738, le duc de Richelieu, qui commençait alors avec tant d’éclat sa double carrière de capitaine et de courtisan, avait été nommé lieutenant général du roi en Languedoc. Il y figura plusieurs fois, avec ostentation, aux états de la province. On rapporte même que ce fut le don que lui firent les églises, d’un régiment de dragons de Septimanie, au commencement de la guerre de la succession d’Autriche, qui lui procura, à Versailles, sa nomination à une haute dignité de cour, celle de premier gentilhomme de la chambre[78]. Il est certain, toutefois, que dès cette époque les églises eurent plus d’une fois à se louer de leurs rapports avec le duc de Richelieu. Leurs communications avec ce seigneur, brave et dissipé, dont la vie résume tout ce que les vices de cour eurent de plus brillant, ne furent pas un des traits les moins extraordinaires de leur position. Nous voyons, fort peu de temps après l’apparition en Dauphiné des faux édits de tolérance, le pasteur Paul Rabaut, écrivant à M. de Ladevèze, commandant de la province en l’absence du duc, pour le désabuser sur la composition du cantique où les Anglais étaient invoqués. On apprit bientôt qu’aux1744.
Décembre.
états de 1744, le duc de Richelieu avait lui-même apporté et lu une copie de cette pièce séditieuse ; alors Paul Rabaut se décida à écrire au duc, à la fin de l’année 1744. « Nous vous jurons. Monseigneur, disait le pasteur du désert au duc commandant, nous vous protestons, devant le souverain scrutateur des cœurs, qui saura punir une fois les parjures et les hypocrites, que ce n’est point parmi les protestants qu’a été fabriqué l’exécrable cantique qu’on leur attribue. Leur religion ne recommande rien plus fortement que l’obéissance et la fidélité au souverain. Dans les discours que nous adressons à nos troupeaux, nous insistons souvent sur cet article, comme peuvent en rendre témoignage un nombre considérable de catholiques que la curiosité a attirés dans nos assemblées religieuses »[79].

Après avoir affirmé que cette pièce était évidemment l’œuvre de la plume des ennemis des églises du désert, Paul Rabaut rendait hommage au zèle du commandant de la ville et château d’Alais, qui avait fait arrêter un catholique fredonnant ce couplet ; après s’être ainsi défendu, le pasteur ajoutait le passage suivant, où il glissait une défense incidente, mais assez adroitement amenée, des assemblées religieuses : « Si nous faisons des assemblées religieuses, ce n’est ni par mépris pour les ordres de Sa Majesté, ni pour cabaler contre l’État. C’est uniquement, Dieu nous en est témoin, pour obéir à nos consciences, pour rendre au Seigneur nos hommages de la manière qui nous paraît lui devoir être plus agréable, pour nous instruire de nos devoirs et nous exciter à les remplir. Loin que cela soit contraire au bien de l’État, il nous paraît en être le plus solide fondement. »

Partout cependant, en dépit de toutes ces menées, les églises continuaient leurs assemblées. Les réformés de la Guyenne furent toutefois moins maltraités que ceux du Dauphiné. Le chevalier Aubert de Tourny, conseiller et maître des requêtes, était alors intendant 1745.
21 février.
de la généralité de Bordeaux. Il se conduisit quelque-fois avec rigueur, mais souvent aussi avec une justice plus éclairée que celle de ses collègues. Peu de mois après le synode national de 1744, les protestants de Bergerac tinrent, aux environs de la ville, une assemblée, qui fut très-nombreuse, et où tout se passa dans le plus grand ordre. M. de Tourny avait eu avis de la convocation ; il manda le jour même trois habitants de Sainte-Foi, qu’il interrogea et qu’il se contenta de réprimander. Il paraît que ce magistrat voulut imposer, par un déploiement de forces militaires. Il envoya, cinq jours après, à Sainte-Foi, quinze brigades de maréchaussée, qui augmentèrent ensuite jusqu’à vingt, ayant à leur tête le prévôt général de Guyenne ; ce dernier cita un nombre considérable d’habitants, et en envoya dix devant M. de Tourny. L’intendant les interrogea encore, et, après quelques jours, les renvoya libres, en exigeant seulement la promesse qu’ils n’iraient plus aux assemblées. De tels engagements ne pouvaient être tenus ; ils étaient trop opposés et aux habitudes des protestants et aux ordres des synodes ; ils ne trompaient personne, ni les magistrats qui les recevaient, ni les fidèles qui les prêtaient pour éviter les procès.

Nous avons à citer encore, vers la même époque, un exemple singulier des stratagèmes dont les protestants se servaient pour pouvoir assister aux assemblées religieuses sans être molestés. Nous le tirons de la province de Languedoc. Dans la petite ville de Saint-Jean-du-Pin, diocèse d’Alais, il y avait, comme partout, beaucoup de prétendus nouveaux convertis, qui persistaient obstinément à se rendre aux exercices du culte du désert. De ce nombre était le consul de Saint-Jean-du-Pin, au lieu d’Audabias, Denis Fabre. En sa qualité de consul, nous le voyons dans nos pièces (Mss. Fab. Lic.) écrivant au chevalier Lenain, intendant, pour représenter que lui, le consul Fabre, est seul en état de diriger la commune « et de veiller à tout ce qui s’y passe, concernant les affaires du roi pour en rendre compte, comme il l’a toujours fait, à ses supérieurs, » qui furent successivement les lieutenant d’Yverny et Lebrun, commandant le fort d’Alais ; « en conséquence, le suppliant, continuant ses soins, a toujours été attentif à son emploi, et lorsqu’il savait qu’il y avait quelque assemblée aux environs de sa paroisse, il s’y transportait pour veiller s’il ne s’y passait rien contre l’intérêt de l’État ; le 17 juillet dernier, ayant été informé qu’il y avait une assemblée de nouveaux convertis à un endroit qu’on appelle le Ranelranqua, qui n’est pas fort éloigné de celle de Saint-Jean-du-Pin, le suppliant s’y transporta pour savoir s’il ne se passait rien contre l’intérêt de l’État, afin d’en donner compte au sieur Lebrun ; il ne s’y passa autre chose, sinon qu’on y chantait des psaumes, et qu’on y prêcha ; après quoi, ceux qui assistaient à l’assemblée se retirèrent aussi bien que le suppliant, qui, deux jours après, rapporta à M. Lebrun qu’il n’y avait rien de nouveau qui allât contre l’intérêt de l’État, sans pourtant lui parler de ladite assemblée : et quoique le suppliant n’ait fait que remplir les fonctions de la charge qui lui avait été donnée depuis longtemps en qualité de consul, c’est-à-dire, veiller à tout ce qui pouvait se passer contre l’intérêt de l’État, et qu’il ne soit coupable de rien, néanmoins, lundi dernier, étant au marché d’Alais, il fut arrêté en vertu d’un ordre de Votre Grandeur, conduit au fort d’Alais, et interrogé par votre subdélégué, M. de La Bruyère. »

La mésaventure de M. le consul Fabre, qui d’ailleurs ne paraît pas avoir eu des suites bien graves, nous est assez nettement expliquée par sa pétition, qui a bien un côté un peu plaisant ; caractère excessivement rare chez les pièces historiques de cette époque. Les consuls étaient exposés à mille épreuves de catholicité ; ils étaient choisis avec soin parmi les anciens catholiques les plus purs, ou parmi les nouveaux convertis les plus solides. Il est clair que le consul de Saint-Jean-du-Pin n’appartenait à aucune de ces classes. Il est clair que, sous couverture du zèle de faire sa charge et de veiller à ce que rien ne se passât de contraire au service du roi, ce protestant habile et zélé se rendait assidûment aux assemblées religieuses. Il déguisait sa piété sous un habit administratif. Il est même probable qu’il veillait ainsi très-souvent au service du roi. Aussi l’intendant Lenain ne fut point la dupe de cette louable vigilance. Il chercha à la calmer par l’argument ordinaire du temps ; l’appréhension au corps et le séjour dans la citadelle d’Alais.

Nous avons cité au long cette singulière correspondance pour faire voir, par un exemple de plus, comment les protestants des églises du désert luttaient, par mille moyens ingénieux, contre les édits oppresseurs. Leurs moyens furent innombrables ; nous pourrions rappeler à ce sujet que, dans le dossier des pièces de la procédure criminelle du 17 août 1745, contre les protestans du Languedoc, accusés de débit de livres à l’usage du culte, on trouve que l’un des accusés, quoiqu’il ne pût montrer des extraits des registres de la paroisse de Beaucaire, exhibait cependant « trois différentes attestations de sa catholicité. » (Placard, Mss. Fab. Lic.)

Nous venons de parcourir quelques-uns des événements principaux qui signalèrent dans le bas Languedoc, dans la Guyenne et dans le Dauphiné, l’époque immédiatement postérieure au synode national de 1744 ; nous devons maintenant jeter un coup d’œil sur l’état des églises dans le haut Languedoc, dans ces districts plus voisins de l’Océan et des ports de la Saintonge, plus exposés aux attaquer et aux tentatives de descentes des forces maritimes de l’Angleterre. Nous allons voir que ces églises du désert prirent une foule de mesures religieuses d’un caractère très-fervent, en même temps qu’elles furent l’objet des communications politiques les plus étranges de la part des ministres de Louis XV.

Dans le haut Languedoc, la persécution n’avait pas été moins violente ; aussi des copies de la requête au roi ordonnée par le dernier synode national, furent adressées de cette province pour être présentées aux ministres et aux autres seigneurs, à qui les églises pouvaient espérer de faire connaître les faits. Le massacre de Vernoux du 12 déc. 1745 que nous raconterons dans le chapitre suivant, ayant partout répandu la colère et la terreur, les églises de cette province envoyèrent un tableau de l’état des choses et de leurs maux inouïs dans le cours de 1745, au prince de Dombes[80], au duc de Richelieu, commandant la province, au ministre d’état Saint-Florentin, à M. de Manibam, premier président du parlement de Toulouse, et à l’intendant Lenain (Mss. Cast., p. 33-38). Ces églises déclarent, il est vrai, que pour obéir à la conscience, elles se sont vues réduites « à la fatale nécessité » de contrevenir aux édits du roi, sans que pour cela leur fidélité ait été ébranlée ni même altérée en rien ; elles relatent les suites de la funeste rigueur du parlement de Grenoble, et indiquent que dans la haute Guyenne, elles ont éprouvé « tous les excès de la violence exercée par les dragons, logés chez les habitants, à pure perte, excès accompagnés de l’effusion du sang de plusieurs innocents, du ravissement des biens et des denrées, et d’impositions et demandes si excessives que plusieurs se sont vus ruinés dans un court espace de temps ; les amendes qu’on a imposées, et qui continuent toujours dans ce pays, ont réduit un grand nombre des meilleures familles à la mendicité ; le logement des troupes dans votre ville de Castres, l’emprisonnement de beaucoup de protestants au château de Ferrières, à Auch, et ailleurs, ont désolé un grand nombre de particuliers et répandu la terreur et la consternation dans toutes ces contrées. »

Cette pétition des églises du haut Languedoc à Louis XV, à ses ministres, à ses lieutenants, et au chef de la magistrature de la province, est rédigée avec une certaine énergie, en ce sens qu’elle précise nettement la position des réformés, placés entre la persécution et l’exil : « Qu’il nous soit donc permis. Sire, disaient ces églises, de supplier très respectueusement Votre Majesté, de jetter un œil de compassion sur notre état déplorable et de nous permettre de servir Dieu et de lui rendre le culte que nous lui devons, dans des assemblées réglées, selon qu’il lui plaira de l’ordonner, pourvu que nous puissions y entendre l’explication de la parole de Dieu, y célébrer ses louanges, y participer aux saints sacrements, que notre Seigneur a institués, et y faire bénir nos mariages par nos ministres : que si nous ne pouvons pas obtenir cette faveur, si nous ne pouvons pas nous flatter de voir cesser nos maux, ne nous étant pas possible de vivre sans l’exercice de notre religion, nous sommes réduits malgré nous à supplier Votre Majesté, avec l’humilité et le respect le plus profonds, qu’il lui plaise nous permettre de sortir du royaume, avec nos femmes, nos enfants, et nos effets, pour nous retirer dans les pays étrangers « où nous puissions librement rendre à la Divinité le culte que nous croyons indispensable et duquel dépend notre malheur ou notre bonheur pour l’éternité. » (Mss. Cast., mars et avril 1745) Singulière position de toute une classe de Français au milieu du xviiie siècle, demandant comme une grâce au roi de France, à Louis le Bien-Aimé, qu’il leur fût permis de fuir avec leurs familles et leurs biens cette patrie, que l’intolérance changeait pour eux en un séjour insupportable ? Savait-on à Versailles que tant de Français implorassent alors le bannissement comme une faveur ? Il est permis d’en douter. En effet, les protestants signataires disent douloureusement dans la lettre qui accompagnait leur requête, adressée au commandant, à l’intendant, et au ministre Saint-Florentin : « Nous avons le malheur de n’avoir aucun accès au trône de Sa Majesté ; » ils poussèrent les précautions jusqu’à l’envoyer par la poste, outre les ministres, au roi lui-même, espérant par là que leurs plaintes « pourraient de quelque façon » tomber sous les yeux du monarque. Mais il fallut que le Languedoc eût recours à des moyens plus énergiques ; toutes les représentations furent inutiles ; ce ne fut pas la première fois dans l’histoire que l’on éprouva que souvent les murs des palais des rois sont d’airain pour les plaintes des opprimés. C’était cependant l’année où Voltaire livra au public sa tragédie de Mahomet (1745) avec la fameuse dédicace à Benoît xiv, qui lui accorda en retour des éloges auxquels il fut très-sensible, et ses bénédictions ; c’était l’année où les provinces du midi du royaume étaient en proie aux condamnations de toutes sortes, et où Jacques Roger fut attaché au gibet : l’auteur de cette tragédie philosophique contre le fanatisme aurait presque pu prendre le Dauphiné, au lieu de l’Arabie, pour le théâtre de son drame.

Au milieu de l’indifférence des beaux esprits, au milieu de si constantes persécutions, les églises du désert ne cessaient de prendre des mesures de discipline religieuse, empreintes du plus admirable sentiment de résignation et des pratiques de la plus fervente piété. Nous trouvons plusieurs traces de cet esprit dans les délibérations du haut Languedoc, dans l’année qui suivit les terribles persécutions de 1745 ; six mois seulement après le massacre de Vernoux, un colloque de la province, formé de trois pasteurs et de vingt-cinq anciens, « attendu que Dieu punissait l’Église, à cause de ses péchés, que les fidèles étaient condamnés ou emprisonnés, que les exercices étaient interrompus, » résolut qu’il serait célébré un jeûne solennel, le 18 août 1746, en y ajoutant cette disposition spéciale : « Nous préférons un jour ouvrier à un dimanche, afin de manifester au public que nous sommes touchés de la froissure de Joseph. » On prit aussi des mesures, vu la gravité des circonstances, tendant à fractionner les églises de la montagne, pour diminuer le danger et la chance des surprises ; enfin, les condamnés ne furent pas oubliés par leurs frères. « L’assemblée a résolu d’envoyer incessamment une subvention aux gentilshommes de la comté de Foix, condamnés aux galères pour cause de religion, laquelle sera collectée dans toutes les églises du haut Languedoc » (art. 4). Rien de plus touchant que la lettre circulaire que le pasteur Michel Viala écrivit aux églises de la province de la haute Guyenne, pour leur annoncer cette délibération, prise en présence du martyre. Voici quelques fragments de cette espèce de mandement émané d’églises qui enduraient de si grands maux : « Nous ne croyons pas nécessaire, nos très-chers frères, de mettre dans un plus grand jour les motifs qui ont déterminé notre assemblée colloquale à indiquer ce jeûne général ; vous devez sentir vous-mêmes la nécessité de vous humilier extraordinairement devant le trône d’un Dieu dont la justice est inexorable envers le méchant, mais dont les compassions sont infinies envers le pécheur contrit et humilié. Transportez-vous par la pensée dans cet heureux période, où vous alliez en foule dans le désert, pour y rendre vos hommages religieux à la Divinité, et où vos âmes, consolées, fortifiées, nourries dans les espérances de la vie éternelle, étaient pénétrées d’une joie indicible. Hélas, vous perdîtes bientôt ces heureuses prérogatives. Un revers fatal changea la face de vos églises. Les larmes et les gémissements succédèrent aux mouvements ravissants dont vous étiez animés. L’orage dispersa les uns, accabla les autres ; de là, la désolation de tous ; de là, la tiédeur et la timidité de plusieurs, et la corruption générale, suite ordinaire de la famine de la parole de Dieu Nous exigeons de vous, nos très-chers frères, que vous suspendiez vos occupations temporelles au jour marqué, d’un côté, pour être en état de glorifier Dieu, de l’autre, pour convaincre ceux qui ne vous aiment pas que vous êtes touchés de vos malheurs. Que donc chacun de vous s’applique, ce jour-là, uniquement aux choses du ciel. Que le négociant ferme sa boutique ; que l’artisan cesse les actes de sa profession, et le laboureur ses travaux. Que le jeune et le vieux, le riche et le pauvre, que les pasteurs, les anciens, et le troupeau pleurent, entre le porche et l’autel, et qu’ils disent : Ô Éternel, pardonne à ton peuple, et n’expose point ton héritage à opprobre. » (Mss. Cast.)

À peu près à la même époque, les églises, qui répondaient ainsi par des actes de religieuse humilité aux rigueurs de leurs ennemis, eurent à lutter contre le résultat de deux intrigues, dont nos pièces ont enregistré les détails, et qui font bien voir que les protestants avaient des ennemis à qui toutes les armes étaient bonnes. La première fut l’œuvre d’un calomniateur anonyme ; la seconde trouva des échos plus sérieux. L’évêque de Castres fut sommé, par une 13 août. lettre anonyme remise au suisse de l’évêché, de chasser de la terre de Viane, son vicaire l’abbé Téron ; faute de quoi on lui déclarait qu’il lui en coûterait la vie. Par une bizarre invention de cette œuvre de ténèbres, un grand nombre de points ou de croix tracés dans ce libelle, désignait le nombre des signataires : « Autant de traits, autant d’hommes prêts à vous faire l’opération, » disait la lettre. Le tout était censé écrit de la part des pasteurs Viala, Olivier et Lacombe. Il fallut que le pasteur Michel Viala écrivît à l’intendant Lenain une lettre énergique pour repousser la responsabilité de cette infamie. Il lui fait sentir combien peu il est probable que des ministres dont la doctrine tend manifestement à l’affermissement de l’ordre, que des hommes dont les maximes ne respirent que la paix, l’union et la charité, que des hommes qui annoncent à haute voix le précepte apostolique de rendre le bien pour le mal, que des prédicateurs, qui font consister leur gloire dans le martyre, soient coupables de choses diamétralement opposées à toute leur conduite et à tous leurs principes. Il termine en adjurant l’intendant de faire rigoureusement rechercher l’auteur de cette calomnie (Mss. Cast., p. 43).

L’autre délation fut plus grave, parce qu’elle portait sur des objets plus importants que l’exil d’un vicaire. Il s’agissait du crime de sédition et d’intelligence avec les ennemis de l’État. La guerre régnait alors avec fureur. Les armées françaises, engagées en une lutte peu glorieuse pour elles et ruineuse pour la France, avaient été repoussées. Les armées étrangères avaient paru dans le midi et avaient occupé une partie de la Provence. Les flottes anglaises avaient effectué une descente sur les côtes de Bretagne, d’où leurs soldats avaient été vivement repoussés. Mais les vaisseaux ennemis longeaient les côtes de l’Océan et de la Méditerranée ; ils tenaient l’épée suspendue sur le littoral. La cour redoutait que l’ennemi ne profitât de la disposition d’esprit où tant de rigueurs avaient mis les protestants du Languedoc et provinces limitrophes, pour y jeter des corps de partisans, et pour tenter de rallumer la grande révolte des Camisards. Il n’est pas étonnant, d’ailleurs, que cette possibilité très-grave ait engagé fortement l’attention du cabinet de Versailles, qui venait lui-même de jeter un Stuart en Irlande, plutôt comme chef d’aventuriers que comme roi légitime ayant quelque chance de victoire. L’intendant Lenain reçut donc l’ordre de s’assurer, par tous les moyens, des dispositions des protestants si le cas d’une invasion se présentait ; de découvrir surtout si l’on pouvait craindre qu’ils se joignissent à l’ennemi ; ou si l’on pouvait espérer au contraire qu’ils marchassent contre ses drapeaux. L’intendant Lenain fit écrire de Montpellier une épître très-adroite par un protestant qui avait sa confiance, le sieur Amiel, à un autre protestant notable, le sieur Resch, avocat au parlement à Castres. Cette missive engageait les pasteurs à déclarer avec force et sans arrière-pensée leurs intentions et les sentiments de leurs troupeaux, à l’intendant, afin qu’il pût rassurer la cour, et lui faire part des ressources sur lesquelles elle pourrait compter en un cas d’urgence[81]. Nous avons lu les réponses que firent les pasteurs Viala et Olivier, au nom du corps des protestants du haut Languedoc, à ces étranges interrogatoires, datées du désert le 11 et 17 novembre 1746 (Mss. Cast., p. 49, 55). Ils n’eurent point de peine à repousser des soupçons que rien n’autorisait. Ils démontrèrent facilement que l’accusation n’avait pu émaner que de ceux qui avaient juré la perte des églises ; que jamais ils n’avaient eu la moindre correspondance avec les Anglais, et quant à de prétendus émissaires de cette nation introduits dans la province à leur sollicitation, c’était une infâme calomnie ; « que, loin d’attirer des prédicateurs séditieux au milieu de leurs troupeaux, ils exhortaient leurs auditeurs à demeurer fidèlement attachés à la discipline ecclésiastique des églises réformées de France, et, en conséquence, à ne recevoir aucun étranger se disant ministre ; » qu’ils n’avaient même à cet égard aucun sujet de plainte contre les particuliers ; que leur doctrine, exposée au grand jour devant des milliers de témoins, et même devant des catholiques, prouvait assez combien l’imputation était futile ; que s’ils se trouvaient dans la fâcheuse alternative ou d’être réduits à trahir leur conscience, ou de contrevenir aux ordres du roi, en convoquant des assemblées religieuses, au moins ils n’avaient rien négligé pour prévenir les suites fâcheuses qui auraient pu en résulter ; qu’ils avaient sans cesse inculqué la soumission aux lois, non seulement par la crainte des châtiments, mais aussi par des motifs de conscience ; que les révolutions de l’Europe n’avaient pu rien changer à leurs maximes ; qu’il ne se passait rien dans leurs assemblées qui tendît le moins du monde à troubler la paix publique ; qu’ils ne connaissaient aucun protestant capable de se joindre aux armées anglaises ; que l’esprit de vengeance et le zèle indiscret étaient bannis de leurs sociétés religieuses ; qu’enfin, si, contre toute apparence, il se trouvait dans leur cercle quelques malintentionnés assez audacieux pour lever l’étendard de la révolte, les pasteurs seraient les premiers à les réprimer. Ces sages et patriotiques protestations eurent tout le succès désirable. Il est même probable que pour Lenain, qui administrait depuis longtemps le Languedoc et qui connaissait l’esprit des églises du désert, elles furent à peu près superflues.

On peut supposer, non sans vraisemblance, qu’il imagina cette voie pour frayer la route à une autre demande plus étrange, où se peint d’une manière frappante et tous les embarras de la cour et toute la bizarrerie des mesures de l’administration envers les protestants. Peu après les réponses des pasteurs, nous voyons le même agent protestant de l’intendant Lenain remercier en son nom les ministres de leurs réponses, et ajouter ce nouveau conseil : « Il faut lui marquer les forces en hommes que vous pourriez conduire ici auprès de Sa Grandeur, en cas que les Anglais fissent une descente. Voilà mot à mot ce dont il m’a chargé ; à quoi je n’ajoute ni ne diminue rien. » (Mss. Cast. Fragment de la Lettre du sieur Amiel, 24 nov. 1746.) En exécution de cette demande inattendue, un colloque s’assembla dans le haut Languedoc, le 10 décembre, pour délibérer à ce sujet. Nous croyons devoir transcrire l’article 1er de cette assemblée, l’une des plus extraordinaires pour son objet que l’on eût jamais vues dans l’église réformée de France. « M. l’intendant ayant désiré de savoir le nombre de ceux d’entre les protestants des diocèses d’Alby, Castres, Lavaur et Saint-Pons, qui pourraient prendre les armes pour s’opposer aux entreprises des ennemis de l’État, la compagnie est d’avis de délibérer là-dessus. MM. les pasteurs jugent également déplacé et ridicule le parti de déterminer le nombre fixe des protestants du haut Languedoc qui pourraient marcher aux ordres de Sa Majesté, vu que, d’un côté, ce serait offrir au roi ses propres sujets et des sujets pleins d’ardeur pour son service ; et que de l’autre il n’est pas possible d’en savoir le nombre avec précision. En conséquence, MM. les pasteurs trouvent convenable d’écrire à M. Lenain, en conformité du zèle des protestants pour le service de Sa Majesté, qu’il n’est aucun particulier parmi eux, dans le haut Languedoc, capable de porter les armes, qui ne soit prêt à exécuter ses ordres ; mais, n’en ayant pas fait le dénombrement, on ne peut lui en marquer le nombre précis. Mais les anciens et autres particuliers de cette assemblée opinant pour le parti contraire, et voulant, malgré l’avis de MM. les pasteurs, offrira M. l’intendant, les uns 15,000, les autres, 10,000 hommes ; les pasteurs, pour arrêter un zèle inconsidéré, et crainte de se rendre suspects malgré leur fidélité inviolable pour Sa Majesté Très-Chrétienne, consentent enfin qu’on écrive audit sieur intendant pour lui offrir deux bataillons, qu’on croit pouvoir être levés dans le haut Languedoc, et, qu’au surplus, on priera Sa Grandeur de pourvoir tant à l’armement qu’à l’entretien desdites troupes. » Signé, Viala, pasteur et modérateur, et Olivier, secrétaire. On peut juger, d’après cette délibération, de la nature singulière des rapports qui s’étaient établis entre les églises et le gouvernement. Les protestants, d’un côté, persécutés, tourmentés de mille manières, demandaient en vain la liberté des prisonniers et galériens martyrs, fatiguant la cour de leurs inutiles requêtes ; de l’autre côté, ces mêmes protestants, mis en demeure de délibérer sur un armement militaire, constitués en assemblée de recrutement par ces mêmes magistrats qui leur refusaient l’existence civile : tel est le tableau vraiment inouï des mesures de cette époque de Louis XV. La cour jugeait que ces réformés, indignes de participer aux droits des autres citoyens, étaient dignes toutefois de former des bataillons pour la défense du trône. Il est d’ailleurs évident que les pasteurs, contraints d’introduire un si étrange objet dans leur acte synodal, voulurent concilier la prudence politique, avec les égards qu’ils se devaient à eux-mêmes et aux lois de leur discipline, en repoussant la demande des troupes, par une fin de non recevoir, tout en laissant les laïcs anciens prendre l’initiative sur une matière si opposée aux habitudes pastorales et aux coutumes évangéliques.

Nous allons, au surplus, faire connaître des moyens d’administration encore plus bizarres.

La cour hésitait entre l’obstinée poursuite de la politique, héritage de Louis XIV, tendant à tracasser les protestants par l’incertitude de leur état civil et à disperser leurs assemblées par la force et par les jugements, et entre la crainte de déterminer des soulèvements sérieux, et de les décider, en les poussant à bout, de se jeter dans les bras des ennemis de la France. Toutes les négociations dont les affaires de l’Église furent l’objet à cette époque, portent l’empreinte et de cette rigueur et de cette inquiétude. Il y avait là un but à atteindre, qui était la conversion par contrainte ; il y avait un écueil à éviter, qui était la guerre civile donnant la main à la guerre étrangère : or, de ces deux choses, l’une contrariait l’autre. De là, mille embarras sérieux d’administration. Ils donnèrent lieu aux expédients les plus extraordinaires. On a vu que lorsque le midi de la France eut été envahi jusqu’aux portes de Marseille par l’invasion austro-britannique, la cour eut de vives inquiétudes ; elle conçut le projet d’armer les protestants ; sans doute, parce qu’un gouvernement cherche toujours à prendre l’initiative des événements qu’il redoute, ou bien parce qu’il voulut réellement se créer un corps auxiliaire pour défendre les côtes de la Saintonge, devant lesquelles flottait le pavillon anglais. Nous allons transcrire une autre lettre semi-officielle qui fut écrite à ce sujet par les ordres de l’intendant du Languedoc, et qui est une des pièces les plus curieuses que nous ayons découvertes sur ces négociations occultes, où les traditions du fanatisme religieux se montrent si bien aux prises dans les conseils de l’État avec la première des lois, celle de la défense du pays : elle fut encore écrite de Montpellier1746.
27 octobre.
à M. Resch, avocat protestant, influent dans les églises, à la Bessonié, par M. Amiel, agent de l’intendant de la province, et également protestant.

« Monsieur,

« La cour et monseigneur Lenain sont prévenus que les Anglais avec les pasteurs provinciaux ont soigneusement introduit en France, surtout dans les diocèses de Castres, Lavaux et Alby, nombre d’émissaires qui, de concert, leur prêchent la révolte et la sédition, et M. Lenain m’a fait l’honneur de me le faire communiquer. J’ai eu celui de lui faire réponse pour le persuader du contraire, en lui faisant connaître le véritable esprit de notre religion, etc., que j’en étais garant, etc., et pouvant statuer là-dessus, il me paraissait inutile de prendre des précautions qui pussent fouler le peuple. Tout cela aurait réussi au mieux, si l’on n’avait quelques notions par écrit qui le fortifient dans cette croyance. Cependant, comme il tourne toujours tout du bon côté, et que nous devons tous convenir que Dieu nous l’a placé dans notre province pour maintenir la paix et faire journellement de bonnes œuvres, dont vous et moi avons des marques bien certaines, il m’a chargé, sachant que je ne puis ni voyager ni marcher, de jeter les yeux sur des personnes sages, discrètes, vraies et intelligentes, nouveaux convertis, mais point entachés d’esprit de parti, à l’effet de caver au plus fort jusqu’aux pasteurs pour savoir la vérité et leur véritable façon de penser, pour éviter des meurtres, peut-être même la perte totale d’une province comme la nôtre, que le roi avait regardée habitée par la docilité même, etc., et connaissant là-dessus votre égalité de façon de penser avec la mienne, l’importance pour notre religion d’effacer des doutes qui lui font un tort infini, etc, j’ai cru, Monsieur, pouvoir me confier à vous pour vous prier, ma lettre reçue, départir subito et incognito pour vous rendre aux endroits où peuvent être MM. Viala, Corteis, et Olivier, et autres ministres des diocèses ci-devant nommés, à l’effet de leur communiquer, chacun en particulier, la présente lettre, sonder leurs sentiments, et prendre de chacun une lettre qu’il faut qu’ils écrivent à M. Lenain, pour lui apprendre ce qu’ils pensent là-dessus, ce qu’ils prêchent au peuple, et notamment, qu’ils n’ont avec les Anglais aucun commerce, directement par des émissaires, ni par correspondance, en supposant, comme je le crois, que cela est sûr ; au contraire, qu’ils prêchent au peuple la patience, la paix, une parfaite obéissance à notre bon roi, et que dans tous les temps, surtout dans une descente anglaise comme celle qui vient d’arriver en Bretagne, les protestants seront les premiers à prendre les armes et à s’exposer à perdre leurs vies et leurs biens pour le maintien de la couronne de France, etc. Toutes ces lettres étant faites et ramassées avec précaution et sans bruit, vous aurez la bonté de me les envoyer par la poste, ou à mesure que vous passerez dans chaque département, en les accompagnant d’une des vôtres, que vous devez signer et faire d’une manière que je puisse communiquer à monseigneur l’intendant, et celui-ci à la cour. Ce qui ne peut que vous faire et à moi un honneur infini. Ne soyez ni paresseux, ni timide ; vous marchez sur des ordres souverains, et je vous garantis de tout sur ma tête, m’obligeant encore de vous payer en mon propre tous les frais de cette course, quoi qu’ils puissent coûter : mais ne vous livrez pas aux particuliers, à moins que vous n’eussiez absolument besoin d’eux, et que vous ne soyez sûr de leur discrétion. Quittez toutes affaires, et rendez-vous incessamment auprès des ministres ; l’affaire presse ; elle est de la dernière conséquence à tous égards. Je m’en rapporte au surplus à votre prudence ; mais je dois vous observer que, dans les lettres que les ministres écriront, qu’il n’y ait point de fatras ni de demandes de grâces ; ils doivent seulement s’attacher à la question anglaise, et à prévenir qu’ils ne se lieront jamais à eux contre la France. Voilà l’objet le plus principal duquel ils ne doivent point s’écarter. Persuadez-leur que monseigneur l’intendant fera un très-bon usage de ces lettres, surtout si elles sont vraies et sincères. Pierre Amiel. » (Mss. Cast. p. 48.)

Cette pièce donne l’idée la plus précise du mode de gouvernement des intendants et de leurs rapports administratifs avec les églises. Une police protestante correspondait avec les protestants et leur transmettait sous main les ordres d’un intendant chargé d’exécuter les lois de proscription. De nouveaux convertis, ou plutôt d’anciens non convertis formaient, malgré tant de poursuites, une population assez nombreuse pour inquiéter la cour au sujet de la guerre étrangère. Le représentant du roi correspondait indirectement avec des ministres dont les édits punissaient de mort la seule présence, et était contraint de les employer pour maintenir les sujets dans le devoir. À côté de tout cela, les anciens règlements restaient en vigueur, et des condamnations sévères furent contemporaines de ces concessions. Voilà un état de choses où se peint un bien incroyable mode de gouvernement. Une capricieuse tyrannie se relâchait au gré des circonstances. Il est probable, du reste, que ce fut l’intendant qui dicta cette lettre à son agent, et que, sachant bien que les protestants étaient soumis aux lois, et qu’ils aimaient la patrie, il n’eut recours à cette information mystérieuse que pour calmer des terreurs imaginaires à Versailles. Nous avons dû nous arrêter sur ces deux curieuses missives. Le gouvernement de l’ancien régime y respire tout entier. Il est difficile de le faire mieux connaître qu’en dévoilant ainsi des secrets qui montrent à la fois le désordre de la marche de l’administration, la situation précaire des églises, et la sagesse de leur attitude politique autant que de leur attitude religieuse.



CHAPITRE IV.


Capture et exécution du pasteur Desubas. — Stances sur sa mort. — Événements de Vernoux. — Juridiction des intendants. — Lettre de Paul Rabaut à l’intendant du Languedoc. — Placet des églises au roi. — Persécutions contre les mariages, à Montauban.


Les ministres de Louis XV, et notamment le comte de Saint-Florentin, agissaient probablement avec bonne foi, lorsqu’ils répétaient sous main, soit aux amis des églises du désert en France, soit aux puissants étrangers qui s’intéressaient à leur sort, que si les protestants du midi consentaient à tenir des assemblées secrètes ou peu nombreuses, on les laisserait en repos. Cette prétendue tolérance administrative fut reproduite un grand nombre de fois, même pendant la durée des plus vives persécutions. C’était là une généralité bonne à produire dans les salons brillants de Versailles ou dans les cercles philosophiques et lettrés de Paris. Mais dans la pratique administrative du Languedoc, ce principe n’avait aucun sens. Il était inconciliable avec le genre de ces populations. En effet, ces populations étaient nombreuses, et les assemblées ne pouvaient pas être composées de peu de monde. Ensuite les réunions ne pouvaient avoir lieu qu’au vu de la contrée entière et à la face des intendants et des commandants militaires ; il était donc littéralement impossible qu’elles fussent secrètes. Le comte de Saint-Florentin, s’il fut de bonne foi, s’égara lui-même dans la poursuite d’un problème insoluble. Il n’y aurait eu de remède sûr à une position qui était pour l’administration un embarras et pour les églises un tourment, que celui de relever les temples, de régulariser les assemblées ; en un mot, de revenir à l’édit de Nantes. Mais cette mesure équitable était fort au-dessus des édits du temps. On craignait ce sentiment qu’on flétrissait déjà du sobriquet de tolérantisme ; on craignait surtout de paraître porter la coignée sur l’arbre compliqué et antique des édits de Louis XIV. Il fallut donc traverser encore bien des malheurs avant d’arriver à la liberté ou même au repos.

Il est évident qu’à cette époque du plus fort de la guerre de 1744 ? l’attention du gouvernement fut vivement excitée par l’espèce d’attitude que les églises du désert pouvaient prendre devant l’étranger. Ce fut principalement sous une couleur factieuse que leurs ennemis tâchèrent de noircir leur conduite. Il 1745.
28 octobre.
parut un réquisitoire fulminant du procureur général du Saget au parlement de Toulouse. Ce magistrat s’y élevait avec force contre les nouvelles assemblées, contre les entreprises des séditieux qui, sous prétexte de religion, cherchent à semer le trouble et la division dans l’État : « Ces gens inconnus vont lever leurs têtes rebelles lorsque les sujets du roi sont occupés au-delà de nos frontières à faire valoir, les armes à la main, les droits et les intérêts de la nation. » L’évêque 1746.
10 février.
de Valence, Alexandre de Valon, allait encore beaucoup plus loin que le ministère public de Toulouse dans son mandement. Cette pièce ne prouvait pas une véritable connaissance de ce qui se passait dans le Vivarais. L’évêque prétendait que d’abord les ministres s’étaient glissés sans bruit dans les maisons, mais que bientôt la circonstance d’une guerre, dont les glorieux succès auraient dû leur ouvrir les yeux, les flattant de l’impunité, leur audace est montée au comble ; de là des assemblées tumultueuses formées d’hommes, de femmes et d’enfants, « où ces faux apôtres, assis dans la chaire de pestilence, ont osé sans honte prêcher leurs dogmes affreux[82]. » Nous n’aurons pas besoin de réfuter ces déclamations, auxquelles répondent assez les nombreuses citations que nous avons faites de la police des synodes et les preuves, que nous avons données, des soins vigilants que mettaient les églises à inculquer partout une discipline sage et sévère. Nous les citons uniquement pour montrer les préjugés administratifs et religieux que l’on opposait alors à leurs progrès. Si telles furent les idées de la magistrature et du haut clergé du Languedoc, placé sur les lieux mêmes et ne pouvant ignorer la vérité, on peut juger de l’épaisseur du bandeau qui couvrait les yeux des hommes d’état de Versailles.

Quant au prétendu caractère séditieux de leurs assemblées, les protestants répondaient par un fait général et indubitable ; c’est que, depuis le commencement du siècle, sans parler des malheureuses rencontres de 1686 entre les troupes envoyées par Louvois et des rassemblements réduits au désespoir, il n’y avait pas eu d’exemple qu’aucune assemblée eût été composée de gens armés, ni que dans aucune d’elles on eût répondu par la force à tout ce que la force avait de plus odieux. Au surplus, la correspondance que nous avons citée, entre le haut Languedoc et l’intendant Lenain, prouve que les gouverneurs de province étaient mieux instruits que les évêques, et qu’ils n’avaient pas une très-grande défiance sur les dispositions des églises.

Toutefois les violents réquisitoires du parlement de Toulouse et les soupçons des ecclésiastiques ne tardèrent pas à porter des fruits amers. L’année qui suivit la prise du pasteur Roger fut suivie d’une année qui vit une semblable catastrophe. Le Languedoc releva le gibet du Dauphiné. Les ordres de la cour et les défiances politiques où l’on était alors à cause de la guerre, faisaient redoubler de vigilance pour saisir les ministres, que l’on soupçonnait d’être les premières causes de l’obstination héroïque des réformés. Ce fut encore, chez le gouvernement de ce temps, une faute constante, qu’on a de la peine à s’expliquer. Les ministres qu’il poursuivait si vivement ne cessèrent d’être les plus puissants garants de l’ordre. Eux seuls, par leurs conseils, par leurs lumières, par leur évangélique prudence, préservaient 1746.les paysans cévenols et des plaines du Languedoc de tomber dans le fanatisme et dans les excès horribles qu’il entraîne. Eux seuls préservaient la contrée d’une répétition de la guerre camisarde, qui fut commencée par la cruauté des administrateurs catholiques, mais qui devint une arène où catholiques et réformés se rendirent coupables à l’envi des plus affreux massacres. Dans d’autres circonstances, et sous un gouvernement plus doux, les pasteurs toutefois pouvaient seuls répondre de la tranquillité publique, et le prouvèrent en effet. C’est ce dont les intendants les plus éclairés ne doutaient nullement. Aussi ils ne mirent pas une importance systématique à s’assurer de la personne des ministres. Mais, au milieu de la confusion d’un tel système, au milieu des contradictions perpétuelles entre les édits et les traditions d’une bonne administration, on conçoit qu’il dut se rencontrer de nombreuses occurrences où les pasteurs furent dénoncés et saisis.

Cette tragique aventure se renouvela. Elle nous impose la tâche de raconter la prise et la mort du jeune proposant, Mathieu Majal, dit Desubas, qui a figuré au nombre des pasteurs du désert, dont les églises aient le plus longtemps et le plus précieusement gardé le souvenir. Les pièces de l’époque, et le grand mémoire historique de 1744 nous ont transmis des détails suffisants sur cet événement fort sombre. Il fut aussi raconté très au long dans une des complaintes de notre collection[83]. Nous profiterons de cette pièce pour quelques détails, et nous en donnerons une citation où se peint d’une manière frappante tout l’esprit religieux de ces populations, qui voyaient leurs pasteurs marcher au supplice. Ce nouvel acte de rigueur, aussi triste qu’honorable pour les églises, fut accompagné ou fut plutôt précédé des circonstances les plus fâcheuses et les plus tragiques. De véritables massacres signalèrent cette persécution. Les malheurs furent portés au point que leur excès en prévint le retour, et qu’après cet événement, plusieurs années s’écoulèrent sans que le ministère évangélique des églises du désert eût fourni une nouvelle victime.

1745.
12 décemb.
Le ministre Matthieu Majal, qui avait pour surnom Desubas[84], fut arrêté dans la maison d’un de ses frères pendant la nuit. Cette capture se fit au lieu de Mazel, près de Saint-Agrève, où aussitôt le commandant vint l’interroger. Il lui demanda son nom et s’il avait de l’argent et des vivres ; à l’égard de ses registres, le ministre répondit qu’il ne pouvait dire où ils se trouvaient : « par la crainte qu’on ne fît du mal à ceux entre les mains de qui ils étaient. » On le fit ensuite partir pour Vernoux. Lorsqu’il passa avec l’escorte dans le petit village de Cluac, il fut reconnu par un de ses fidèles, nommé Étienne Gourdol. Ce protestant, saisi de la plus vive douleur de voir un de ses pasteurs entre les mains des soldats, ameuta sur le champ seize ou dix-sept personnes pour aller réclamer sa liberté auprès de l’officier commandant l’escorte. Il se mit à leur tête, et atteignit le détachement à un quart de lieue de Vernoux dans le bois de Trousse. Là, ces imprudents fidèles demandèrent à l’officier de relâcher le pasteur ; ce que n’ayant pu obtenir, il embrassa « résolument » son ministre, en déclarant qu’il le voulait. L’officier du détachement, ainsi attaqué, fit feu sur les agresseurs : cinq des protestants furent tués. L’infortuné Desubas reçut un coup de baïonnette.

Après cette malheureuse rencontre, le prisonnier et l’escorte arrivèrent à Vernoux, où de bien plus grands malheurs devaient signaler leur passage. Le matin de ce même jour, plusieurs assemblées religieuses avaient été convoquées aux environs de Vernoux ; elles se trouvaient presque sur le passage du captif ; tous les éléments d’une émeute qui pouvait devenir sanglante se trouvaient donc rassemblés. Il paraît que les fidèles d’une de ses assemblées, en masse, hommes, femmes et enfants, partirent d’un mouvement unanime et vinrent se présenter aux portes de Vernoux pour réclamer la liberté de leur ministre. Cette foule avait tous les caractères d’un rassemblement tumultueux en révolte contre les lois. En vain le sieur Afforty, catholique, juge du lieu, vint-il au-devant de l’attroupement, pour signifier à ceux qui le composaient, qu’on ne leur accorderait point ce qu’ils demandaient ; que la résolution était bien prise, et qu’ils eussent à se retirer.

Le rassemblement s’avança vers le bourg en poussant des cris de douleur et de colère. Il en résulta que les bourgeois firent feu de leurs fenêtres sur cette troupe tumultueuse, qui était entrée dans le bourg malgré les avertissements des magistrats. Les protestants n’étaient pas armés, aussi le feu très-vif parti des maisons tua environ trente personnes et en blessa1745.
12 décemb.
un bien plus grand nombre[85]. Tel fut le cruel événement qu’on a nommé le massacre de Vernoux, où sans doute les habitants de ce bourg se montrèrent sévères, mais où il est évident cependant que les protestants s’étaient organisés en un attroupement de rebelles soulevés contre la loi, contre une loi barbare.

Les pasteurs du désert condamnèrent hautement cette conduite. Le ministre captif lui-même contribua beaucoup à calmer la colère des habitants. On ne sait jusqu’où les malheurs auraient pu s’étendre sans son intervention ; car le lendemain de cette scène sanglante, l’agitation fut générale dans les montagnes. La jeunesse des Boutières et des autres lieux les plus 13 décemb.inaccessibles, se rassembla. Elle se munit d’armes cette fois, et elle se présenta en force le lendemain devant le faubourg de Vernoux. Heureusement, elle se borna à menacer et à réclamer la liberté de son ministre. Mais le pasteur Desubas, du fond de sa prison, trouva moyen de faire circuler dans la foule un billet ainsi conçu : « Je vous prie, Messieurs, de vous retirer ; les gens du roi sont ici en grand nombre, il n’y a eu déjà que trop de sang répandu ; je suis fort tranquille et entièrement résigné aux volontés divines. » Ses collègues, ayant appris ce qui se passait, et l’agitation de la population, accoururent vers la troupe armée, pénétrèrent dans ses rangs, et joignant leurs prières à celles du prisonnier, ils obtinrent que les fidèles de leurs églises abandonneraient tous desseins hostiles. Les pasteurs réunis écrivirent aussitôt aux officiers des troupes stationnées à Vernoux, et leur dirent « qu’ils étaient très-fâchés de ce qui était arrivé ; que, comme ils s’étaient trouvés éloignés, ils n’avaient pu le prévenir : mais qu’ils feraient tout ce qui dépendrait d’eux pour qu’il ne parût plus de leurs gens en armes. »

Cependant l’agitation produite par les fusillades de Vernoux n’était point près de se calmer encore. La montagne envoyait toujours des détachements armés qui venaient l’un après l’autre se dissiper à la voix de leurs pasteurs. Il y eut même le lendemain une rencontre fortuite entre l’un de ces petits corps et un détachement de soldats ; il y eut là encore des coups de feu et des victimes. Enfin les corps armés se retirèrent. Mais il restait à accomplir une œuvre laborieuse. Il fallait avec le ministre et les autres prisonniers, soutenus d’une faible escorte, traverser des contrées fort irritées et toutes remplies de protestants. En effet les paysans se présentèrent en foule sur la route ; les chemins en étaient couverts. Mais continuellement aussi, les ministres voisins, informés de ce qui se tramait, se glissèrent parmi ces populations exaspérées, en modérèrent les transports, et réussirent à les contenir[86]. Bien que l’escorte fût considérablement augmentée, la foule qui faisait cortège augmentant encore plus, il fallut envoyer un exprès à Montpellier pour demander main-forte, et pour éviter qu’un enlèvement sérieux ne fût tenté. Le commandant La Deveze, pour le duc de Richelieu, fit aussitôt partir un petit corps d’infanterie et de maréchaussée ; enfin le pasteur Desubas put être conduit à Montpellier sans opposition, mais non sans peine ; en effet, nous disent les mémoires de 1744 » « il n’y avait guère eu dans ces provinces de ministre ni plus considéré ni plus chéri que celui-là. »

Arrivé à Montpellier, le pasteur Desubas fut mis dans la citadelle de la ville. Les états du Languedoc étaient ouverts alors. L’ordre du clergé s’émut du sort de l’infortuné ministre. La complainte populaire a gardé le souvenir des visites, presque tendres et affectueuses, qu’il reçut de l’évêque de Montpellier et de plusieurs autres prélats. Rien ne fut négligé pour le porter à changer de religion ; on est péniblement affecté en voyant des ecclésiastiques raisonnant avec un prisonnier si parfaitement innocent, et lui proposant l’abjuration comme l’unique moyen qui lui restât pour s’épargner le supplice. Mais sa fermeté inébranlable leur ôta tout espoir de succès. La ballade rapporte cette conversation ; mais elle peint avec plus de vérité l’interrogatoire du ministre sur la religion, par le commandant La Devèze. Nous citerons ces stances :


le commandant.

N’êtes-vous pas ministre
Ou bien prédicateur,
De ce cas si sinistre
N’êtes-vous pas l’auteur ?
Pouvez-vous en conscience,
Sans nul ordre du roi,
Enseigner dans la France
Et prêcher votre loi ?

Notre glorieux prince
Proscrit pour jamais,
De toutes nos provinces,
La foi des réformés.
Pourquoi faire violence,
Monsieur, vous avez tort,
Et selon l’ordonnance,
Vous méritez la mort.

le ministre.

Lubac avec constance
Répond à ce seigneur :
— « Si j’ai prêché en France

La loi de mon Sauveur ;
Les apôtres en Judée,
En Galilée épars,
Prêchèrent en ces contrées,
En dépit de César. »

L’on n’est jamais rebelle
Quand on fait en tous lieux,
D’un cœur brûlant de zèle,
La volonté de Dieu.
Peut-on dans les provinces,
Dites-moi, Monseigneur,
Pour obéir au prince,
Délaisser le Sauveur.

Si, par les ordonnances.
J’ai mérité la mort,
Que sa Toute-Providence
Décide de mon sort :
C’est à ce divin père
Que j’élève mon cœur ;
En lui mon âme espère
D’une constante ardeur.

Aucun ne me peut nuire
Sans son pouvoir divin ;
Tout est sous son empire ;
C’est lui qui me soutient.
Sans faire résistance,
Je suis prêt à partir,
Prononcez ma sentence.
Je suis prêt à mourir.


Après cette peinture des sentiments populaires, revenons à la suite de cette triste histoire. Au mois de janvier, le ministre Desubas fut interrogé par l’intendant chevalier Lenain[87]. Antoine Court nous assure que le ministre captif se conduisit d’une façon si grave, si décente, si digne d’un parfait honnête homme, connaissant bien et aimant sa religion, que tous les juges en furent et stupéfaits et attendris[88]. Les souvenirs de la contrée, et les correspondances qui restent de ce temps, ne tarissent pas sur les agréments personnels, sur la politesse et sur la douceur de ce prisonnier pour l’Évangile. L’intendant Lenain, dirigé par les ordres formels de la cour, l’adjura en particulier, par le nom du Dieu devant qui il allait paraître, de lui dire la vérité, ce que le prisonnier promit de faire strictement. L’intendant posa ces questions au ministre Desubas : Les protestants ont-ils une caisse commune ? ont-ils fait un amas d’armes ? — Ne sont-ils pas en correspondance avec l’Angleterre ? — « Rien de tout cela n’est vrai, répondit le pasteur ; les ministres ne prêchent que la patience et la fidélité au roi. » — « Je le sais. Monsieur, repartit l’intendant Lenain. »

Les mémoires disent que lorsque la sentence fut prononcée au prisonnier, il fut le seul qui n’en parut point ému, et que l’intendant l’assura que c’était avec douleur qu’il le condamnait, mais que c’étaient les ordres du roi. — « Je le sais, Monsieur, repartit le ministre. »

Le 2 février, le ministre Desubas fut conduit au lieu de supplice, qui était l’esplanade de Montpellier. Il sortit de prison dépouillé de ses vêtements et les jambes nues. Les mémoires nous rapportent l’impression générale des spectateurs en la foule immense, quand ils virent le calme de son visage et la beauté de sa physionomie. La sympathie populaire redoubla, lorsqu’au bas de l’échelle du gibet, il se mit à genoux et pria avec ferveur. On eut soin toutefois de le faire arrêter au second échelon, jusqu’à ce qu’il eût vu brûler, sous ses yeux, les papiers qu’on avait saisis sur sa personne. Les flammes de ce petit bûcher consumèrent plusieurs livres de piété protestants, et un cahier de notes synodales. Prenant alors congé des deux jésuites qu’on lui avait donnés pour l’accompagner au supplice, il repoussa un crucifix qu’ils voulaient lui faire baiser, témoignant par là, jusqu’au dernier moment, sa fidélité à la foi réformée, qui défend les images, et qui ne consent à adorer que l’idée purement spirituelle de Dieu, sans symbole ou idole extérieure. Il remercia les confesseurs qui l’obsédaient, et les pria de vouloir bien le laisser mourir en repos. Personne d’ailleurs ne put entendre ses dernières paroles, parce que, selon la coutume, il marcha sans cesse à côté de plusieurs tambours, dont le bruit étouffait sa voix[89]. Les mémoires, écrits sur les lieux mêmes, terminent par ce tableau fervent et rempli d’une naïveté touchante : « Enfin, monté courageusement au haut de l’échelle, il fit paraître, jusqu’au dernier moment, tant de constance et de piété, que tout le monde, sans distinction de protestants ou de catholiques, fondait en larmes ; les premiers bénissant Dieu de l’édification que leur donnait le martyr, et les seconds les félicitant de l’honneur que leur faisait le martyr. » (Mém. hist. de 1744.)

Ainsi périt, le 2 février 1746, le ministre Matthieu Majal, dit Desubas. Il était âgé de vingt-six ans. Malgré l’édification que produisit sa mort courageuse, elle fit jeter un long cri de douleur et de regret aux églises du désert. Ce pieux et courageux jeune homme était chéri par une foule de communautés du Vivarais. Ses services avaient déjà été réels ; surtout sa piété, sa foi religieuse, étaient profondes. Nous n’avons point trouvé, dans les ballades populaires et analogues, un tableau de sentiments religieux plus fervents. Ils sont exprimés d’une manière si vive et si touchante à la fois, que nous croyons devoir copier les stances suivantes, chef-d’œuvre de style religieux populaire. On peut juger quel effet durent produire de telles stances, lorsque les montagnards du Gévaudan ou du Vivarais les redisaient dans les lieux de leurs prêches inaccessibles. (Mss. V.)


le ministre, au lieu de l’exécution.

« Mon sort n’est pas à plaindre,
Il est à désirer :

Je n’ai plus rien à craindre ;
Car Dieu est mon berger.
C’est mon sort, ma défense,
Que j’ai à redouter,
En lui mon espérance,
Mon unique rocher.

Mon âme, prend courage,
Car c’est pour aujourd’hui
Que tu sors d’esclavage
Pour t’en aller vers lui.
Tu vas être ravie,
Dans ce charmant séjour,
D’ouïr la symphonie
De la céleste cour.

Avec les saints anges,
Tu joindras ton concert,
Pour chanter les louanges
Du roi de l’univers.
Dans la gloire éternelle,
La robe tu prendras
De couleur immortelle,
Après tous ces combats.

Allons en diligence,
Mon cœur dans ce moment,
Revêtu de constance,
Embrasser le tourment ;
Allons avec zèle,
D’un regard gracieux,
Monter sur cette échelle
Qui nous conduit aux cieux.

Il part pour le supplice,
Escorté à l’entour
D’archers de la justice,
De quatorze tambours,
Qui jusqu’à la potence,
Roulèrent incontinent
Pour vaincre sa constance
Et étourdir ses sens.

Étant à la potence,
Ce martyr généreux,
Implora l’assistance
Du monarque des cieux ;

D’un courage héroïque
À l’échelle il monta ;
Vers la troupe angélique
Son âme s’envola.

Ainsi finit la course
D’un généreux pasteur,
Pour aller à la source
D’un céleste bonheur.
Que ton sort est aimable,
Et l’état glorieux,
Ta joie délectable
Dans les augustes lieux !

— Faisons cesser nos plaintes,
Fidèles protestants ;
Nos sanglots, nos complaintes,
Et nos regrets cuisants.
Lubac n’est plus à plaindre,
Il est hors du danger ;
Il n’a plus rien à craindre,
Ni rien à désirer.

Chérissons sa mémoire,
Imitons son ardeur.
Suivons-le dans la gloire,
D’esprit et de cœur ;
Que si Dieu nous appelle,
Au tourment rigoureux,
Imitons ce fidèle,
Nous serons bienheureux. »


Il serait difficile de rien ajouter à l’expression de la confiance religieuse et de la douleur populaire, qui s’exhale en un tel chant. La rudesse littéraire n’y fait rien ; c’est la ferveur et la piété de pareils morceaux qu’il faut sentir : ils nous laissent concevoir, mieux peut-être que toutes les délibérations synodales, cette foi des masses, qui est une puissance si indomptable qu’elle sait puiser, dans la vue d’un supplice, une source féconde d’enseignements et de constance. Aussi le supplice du jeune et intéressant pasteur du Vivarais, Mathieu Desubas, ne produisit aucune interruption dans les assemblées religieuses. Il y a même quelque chose de mieux à dire. Deux années plus tard, tout à fait dans le bas Languedoc, et peut-être non loin de cette esplanade de Montpellier où périt le ministre, un synode national se réunit, plus garni de pasteurs et d’anciens laïcs que nul autre encore dans toute la durée du siècle.

On remarque que dans l’exécution de ce jeune ministre, les édits de Louis XIV et la déclaration de 1724 avaient été appliqués avec une extrême rigueur[90]. Le pasteur n’avait pas été saisi dans l’exercice même de ses fonctions, circonstance qui eût pu seule le constituer en flagrant délit. Il avait été pris la nuit chez un fidèle. Si ce n’eût été sa propre déclaration et les notes synodales, rien ne prouvait qu’il eût convoqué des assemblées, ni qu’il eût exercé les fonctions de ministre. Mais, en sacrifiant cette nouvelle victime, on voulut faire un exemple ; il réussit comme tous les autres. Ce fut M. de La Deveze, lieutenant commandant la province en l’absence du duc de Richelieu, qui ramena le ministre de Vernoux à Montpellier, et ce fut l’intendant Lenain qui le condamna à mort. Les églises furent d’autant plus désolées de la fin tragique de leur ministre Matthieu Desubas, qu’elles savaient fort bien que, sans sa modération dans les émeutes de Vernoux, les rassemblements armés eussent peut-être arraché leur pasteur au sort qui lui était réservé.

Cependant, même en présence de ce malheur qui vint frapper les églises du bas Languedoc, celles des autres provinces donnaient à leur constitution et à leur discipline des bases toujours plus solides. À cette époque, c’était surtout le Dauphiné, le comté de Foix, et le bas Languedoc, qui avaient été le théâtre du plus grand nombre de condamnations ou de surprises à main armée ; celles de la haute province et de la Guyenne, plus calmes, avaient pu poursuivre leurs évangéliques travaux, sans être l’objet de tant de poursuites. Nous devons enregistrer ici quelques faits d’organisation et de discipline qu’elles prirent jusqu’au temps de la grande dragonnade des Cévennes en 1752. Nous voyons d’abord que le colloque militaire convoqué par les scrupules craintifs de l’intendant1746.
10 décemb.
Lenain, excommunie rigoureusement tous les fidèles, coupables d’avoir participé à l’idolâtrie de l’église romaine, pour les baptêmes, les mariages, ou autrement, soit dans le pays, soit qu’ils se transportassent à Paris, à Montpellier ou ailleurs. Il fallut aussi sévir contre une manœuvre odieuse qui s’était introduite dans l’église même : il fallut retrancher du corps des fidèles ceux qui, nantis des biens des mariés au désert, refuseraient de les leur rendre sous prétexte de la nullité de ces mariages (Mss. Cast. Coll. du 10 déc. art. 4). Le pasteur Corteis, prêté par les hautes Cévennes au bas Languedoc pour deux ans, fut définitivement engagé, vu ses éminents services, à se consacrer au service de cette dernière province. Le ministre Dunières, dit Lacombe, pasteur du Vivarais, et le proposant Jean Dumas, dit Pajou, furent agrégés au corps ecclésiastique du haut Languedoc (Ibid. syn. prov. du 24 nov. 1747 Mss. P. R.).

Divers articles singuliers de discipline furent renouvelés des anciens synodes. Il fut défendu aux anciens diacres et fidèles, de fréquenter les cabarets, jeux de cartes, de dez, et autres divertissements qui donnaient du scandale ; de prétendre à aucune puissance les uns sur les autres, les voix devant être recueillies dans l’ordre où ils se trouveraient assis ; de quitter le service divin au moment de la célébration de la sainte cène. Il fut enjoint à tous les fidèles d’observer religieusement le repos du jour du dimanche, en s’abstenant non seulement « du travail ordinaire, » mais aussi des compagnies et divertissements : il fut défendu aux fidèles de se permettre « la distraction irrévérencieuse et tout babil dans les saintes assemblées, comme aussi les danses, les profanations, les jeux. » Il fut ordonné qu’on ne recevrait point de parrain ni de marraine au-dessous de l’âge de puberté, que les parents devraient assister, sous peine de censure, au baptême de leurs enfants, et que ceux qui n’assisteraient aux saintes assemblées que les jours de communion, seraient exhortés, et, au besoin, privés de la Cène. Nous trouvons aussi cet article assez curieux contre les charivaris dont l’usage n’a pu être entièrement déraciné dans le midi de la France : « L’assemblée a ordonné que ceux qui assisteront aux charivaris, et qui rançonneront ceux qui sont mariés, seront poursuivis suivant la rigueur de la discipline, et demeureront suspendus de la sainte cène, jusqu’à ce qu’ils aient restitué l’argent reçu entre les mains des trésoriers des pauvres où de tels scandales auront été commis, pour être remis aux parties lésées, si elles veulent l’accepter ; sinon il sera distribué aux pauvres. » Il fut rigoureusement défendu aux fidèles, soit de permettre le mariage de leurs enfants avec des partis de religion contraire, soit de les confier aux collèges des jésuites. Voici d’autres articles de mœurs également saillants : il fut interdit aux fidèles d’assister aux festins et réjouissances, qui se font dans les fêtes votives de l’église romaine, et de se visiter à l’occasion de la fête du patron de la paroisse ; la censure ecclésiastique devait atteindre tous ceux, de quelque qualité et condition qu’ils fussent, qui assisteraient à la comédie, ainsi que ceux qui, au temps du carnaval, auraient participé aux dissolutions de ceux de l’église romaine, ou commis des excès ; il fut défendu aux fidèles de recourir à ceux qui se mêlent de guérir les maladies des hommes ou celles des bêtes par des paroles superstitieuses ou des brevets, ce qu’on appelle conjurer. La défense des duels fut renouvelée sous les peines les plus sévères. Des peines disciplinaires non moins graves devaient frapper ceux qui se permettraient, par complaisance ou pour de l’argent, de prêter de leurs meubles et effets pour tendre et tapisser le jour dit la Fête-Dieu (Ib. syn. prov. du 10 déc. 1747. Mss P. R.) Nul autre synode du temps ne peint d’une manière plus frappante et plus naïve, la rigueur de la morale, qui s’élevait dans ces églises persécutées, non moins que les mœurs de ces populations mixtes, où la portion protestante tendait sans cesse à se mêler aux usages et aux fêtes des autres cultes. Ces mêmes hommes qui prenaient part aux carnavals et aux banquets patronaux de la foi romaine, et qui prêtaient des draperies pour la Fête-Dieu, se laissaient ensuite enfermer à perpétuité dans les bagnes, plutôt que d’abjurer leur foi. Il faut remarquer de plus que ce n’étaient pas les pasteurs seuls qui promulguaient ces règlements rigoureux, puisque dans l’assemblée qui les rendit il n’y avait que trois ministres contre vingt-cinq anciens et laïcs.

Ce fut toujours un trait aussi capital que remarquable dans tous ces synodes, que la présence constante d’une majorité d’anciens, c’est-à-dire de membres laïcs. Ce ne furent donc point des prêtres, mais bien les fidèles eux-mêmes, qui rendirent tous ces décrets si sévères et si fervents.

Cependant les malheurs des protestants du désert semblaient être parvenus au comble. Dans tout le midi du royaume, les populations exaspérées étaient sur le point de méconnaître la voix de leurs pasteurs, qui leur recommandaient sans cesse la soumission aux lois et la résignation, même au milieu de leurs malheurs. Toutes les requêtes restaient sans réponse, se perdaient dans les bureaux, ou n’obtenaient que le mépris des ministres. On résolut de prendre des mesures plus nettes, et de révéler à la cour, et les maux qui accablaient les protestants, et le danger de les pousser trop loin. Les communications entre l’agence générale des églises à Lausanne, et les pasteurs du midi de la France, révèlent cette tendance de la manière la moins douteuse. À la fin de 1746, Antoine Court communiquait ainsi ses idées aux églises du midi : « Le parti que je propose, et dans lequel je m’affermis, ne renferme point de menaces indirectes. Il expose seulement un fait, dont la bonne politique doit craindre les suites, et que tout le zèle et toute la fidélité des ministres ensemble ne sauraient se promettre d’empêcher ou de prévenir. Ce fait, c’est l’état de souffrance sous lequel gémissent une infinité d’innocents malheureux. Les suites qui en peuvent résulter sont celles que produit un désespoir qui s’élève au-dessus de toute considération humaine, au-dessus de la religion même. Et oseriez-vous répondre que la désolation de tant de familles ruinées, que celle de tant de personnes aujourd’hui errantes, condamnées à des peines infamantes, à des amendes exorbitantes et ruineuses, où se trouvent plusieurs gentilshommes même ; que celle de tant d’autres, dont on a rasé les maisons, massacré les parents, et celle enfin de tant d’autres, qui ne trouvent ni repos, ni sûreté nulle part ; oseriez-vous, dis-je, répondre que l’état funeste dans lequel se trouvent tant de malheureux ne les jetât dans le désespoir, et que le désespoir ne les portât à des démarches dont la bonne politique doit craindre les suites ? Tout ce dont les ministres peuvent répondre, c’est qu’ils ne cesseront d’affermir leurs troupeaux dans le devoir de la fidélité, de la soumission et de la patience ; c’est qu’ils se montreront eux-mêmes, à cet égard, des modèles toujours fidèles et toujours les mêmes. Prendre des engagements plus étendus, c’est risquer de promettre plus qu’on n’est en état de tenir. » (Lett. d’Ant. Court à P. R. 30 déc. 1746. Mss. P. R.) Il est évident, d’après ces réflexions aussi justes que fermes, que les rigueurs et les condamnations de tous genres, loin d’avoir supprimé les assemblées et le culte, n’avaient abouti qu’à donner aux esprits ce caractère d’irritation et de colère, qui précède les commotions politiques. C’est sous l’empire de cette conviction que les églises adressèrent au roi et à l’intendant un mémoire détaillé sur leur position, où elles relatent leurs malheurs, l’espèce et le nombre des victimes, et où elles donnent assez clairement à entendre que la tranquillité publique serait compromise si on continuait sur la même ligne. On découvre évidemment cette pensée, dans une démarche de Paul Rabaut, où elle est enveloppée des termes les plus mesurés, mais les moins équivoques. Pasteur d’une des églises les plus opprimées, commençant au milieu des périls une carrière qu’il devait parcourir avec tant d’honneur et de constance, il crut pouvoir s’adresser, à la fin de 1746, à l’intendant Lenain, qui venait de faire exécuter le ministre Desubas ; il lui transmit une sorte de déclaration qui est remarquable, en ce qu’elle contient comme un résumé prophétique de tout son ministère pastoral. « En me destinant à exercer le ministère dans ce royaume, écrivait Paul Rabaut à l’intendant Lenain, je n’ai pas ignoré à quoi je m’exposais ; aussi, je me suis regardé comme une victime dévouée à la mort ; aucune considération humaine n’aurait été capable de me faire prendre un tel parti… J’ai cru faire le plus grand bien dont j’étais capable en me dévouant à l’état de pasteur. L’ignorance est la mort de l’âme et la source d’une infinité de crimes. Les protestants étant privés du libre exercice de leur religion, ne croyant pas pouvoir assister aux exercices de la religion romaine, ne pouvant avoir les livres dont ils auraient besoin pour s’instruire, jugez, Monseigneur, quel pourrait être leur état, s’ils étaient absolument privés de pasteurs. Ils ignoreraient leurs devoirs les plus essentiels ; ils tomberaient ou dans le fanatisme, source féconde d’extravagance et de désordres, ou dans l’indifférence et le mépris de toute religion… Votre Grandeur n’ignore pas que le ministère des pasteurs a obvié en grande partie à ces inconvénients ; en mon particulier, je n’ai rien négligé pour instruire solidement ceux qui ont été confiés à mes soins. Je me suis attaché surtout, après avoir établi les vérités fondamentales de la religion, à prêcher les devoirs importants de la morale. J’ai fait des discours exprès sur l’obéissance et la fidélité au souverain… Il est vrai que les protestants ont beaucoup souffert en diverses provinces du royaume, soit en leurs personnes, soit en celles de leurs enfants, soit en leurs biens, et que cela pourrait faire craindre que les exhortations des pasteurs n’eussent pas tout le succès désiré ; mais Votre Grandeur me permettra de lui dire qu’on n’a rien négligé pour former les protestants à la soumission, à la patience, et au détachement du monde. » (Déc. 1746. Lett. de M. P. R., min. de la parole de Dieu dans le désert, à monseigneur Lenain, intend. de la prov. du Languedoc. 5 p. Mss. P. R.)

Cette lettre respectueuse, mais d’une tendance fort claire, dans laquelle un ministre du désert écrit à l’administrateur suprême de la province, pour confesser hautement une fonction, dont l’exercice le condamnait à mort, servit d’introduction à la présentation du grand Mémoire de plaintes, qui fut remis au même magistrat pour être transmis à la cour, au commencement de 1747. On y voit très-clairement la situation des esprits, et la ferme conviction où étaient les pasteurs les plus prudents du midi de la France, qu’il leur serait impossible de répondre de la tranquillité publique, si les persécutions continuaient. Ce mémoire rappelle que les ministres du désert ont écrit aux intendants, pour leur faire part de leurs efforts pour calmer les esprits, mais que les souffrances des protestants sont portées au point qu’il était fort à craindre que les exhortations des ministres ne fussent impuissantes ; que l’on croirait presque que les ennemis de la tolérance se font un devoir et un plaisir de pousser les choses à bout ; qu’il en résulte qu’en une foule d’endroits les religionnaires sont tombés dans une espèce de désespoir, qui ne connaît plus de limite. Après avoir énuméré les faits, le Mémoire de plaintes continue ainsi : « Ce sont ces exemples de rigueur et d’une sévérité si soutenue, si générale, et tant d’autres que l’on passe sous silence, qui font craindre aux ministres que, quelque soin qu’ils se donnent pour inculquer à leurs troupeaux les maximes d’une religion qui ne prescrit rien tant, après les devoirs qui ont Dieu pour objet, que l’obéissance et la fidélité au souverain, que leurs soins et leurs exhortations n’aient pas l’effet désiré. La triste situation de tant de malheureux qu’on a retenus longtemps dans des prisons obscures, qu’on a désolés par des engagements et des promesses qui les accablent de honte et de remords, qu’on a ruinés par des amendes excessives et des frais exorbitants, qui errent dans les déserts et les campagnes, qui ne trouvent de repos ni de sûreté nulle part, qu’on a privés de leurs biens, dégradés de leur noblesse, condamnés au supplice des scélérats, de qui on a rasé les maisons, enlevé les femmes et les enfants, ou plutôt de qui l’on a massacré et tué, à l’un son père, à l’autre sa mère, à l’autre son plus proche parent, et qui se trouvent tous les jours menacés de traitements encore plus rigoureux ; à qui on ne cesse de dire qu’une fois la paix faite, il n’y aura plus de sûreté pour eux, et qu’on ne regarde que comme des victimes dévouées à une fatale destruction : une telle situation ne peut faire sur ces gens, faits comme les autres hommes, et, par conséquent, non insensibles à tous les maux qui les accablent, que les impressions les plus fortes. Le présent ne leur promettant rien de favorable, l’avenir ne leur offrant rien que de tristes et sanglantes scènes, qui vont décider leur ruine, le désespoir ne peut que naître et sortir du cœur de tant de malheureux, errants, fugitifs, persécutés, menacés, qui cherchent à sauver leur vie par les premiers moyens qui se présentent, et qui ne craignent plus rien et hasardent tout, quand ils sont en danger de la perdre… Tous ces exemples de sévérité rassemblés rendent l’état des protestants plus malheureux et plus déplorable que celui d’aucun des peuples qui vivent aujourd’hui sur la terre. Pourrait-on concevoir un état plus malheureux que celui d’un peuple nombreux et fidèle, à qui il est également, et sous les mêmes peines, défendu de servir Dieu dans le royaume, suivant les lumières de leur conscience, et d’en sortir pour aller s’acquitter de ce devoir dans les pays étrangers de leur communion, et à qui il ne reste, si on s’en tient aux édits, que l’un de ces trois partis : ou de professer la religion romaine, contre les lumières de leur conscience, ou de vivre sans aucun culte de religion, comme des infidèles, ou d’être exposés à tous moments de perdre leurs libertés et leurs vies, comme il est arrivé à cette foule innombrable de leurs frères, dont on vient de rapporter quelques exemples. Ne semblait-il pas, Monseigneur, être de la justice la plus étroite, qu’en voulant éteindre la religion réformée en France, et en interdire tout exercice, on permit à ceux qui la professent, et qui en conservent les sentiments, de sortir avec ce qu’ils pourraient emporter de leurs biens et de leurs effets ; mais, par l’article 10 de l’édit, qui révoque celui de Nantes, il est défendu à tous protestants sujets du roi de sortir du royaume, sous peine de galères et de confiscation des biens, et l’on a vu les galères, et toutes les prisons du royaume, remplis de ceux qui, pressés par leur conscience, ont osé entreprendre d’aller chercher ailleurs une liberté qu’ils ne trouvaient plus dans leur patrie. » Telles furent les plaintes humbles et remplies de dignité que les réformés français transmettaient à la cour, au milieu des persécutions de 1745 à 1747 ; on ne voit point qu’elles furent suivies de quelque adoucissement bien notable à tant de maux. Il est plus que probable que leurs pétitions ne parvenaient pas même au pied du trône. Si leurs placets écrits étaient dédaignés, leurs ouvrages apologétiques imprimés n’éprouvaient pas un sort plus heureux. S’ils mettaient au jour quelque mémoire imprimé secrètement, pour expliquer l’innocence de leur culte, de leur discipline et de toute leur conduite, à l’instant, quelque ménagés qu’en fussent les expressions et le style, les parlements supprimaient ces défenses, comme contraires aux édits, avec interdiction formelle à tous imprimeurs, ou toutes personnes que ce fût, de publier ou garder tels écrits, sous peine de punition exemplaire. On ne conçoit que trop comment leurs ministres, sondant toute la gravité du mal, et le péril dont il menaçait l’État, aient cru devoir avertir très-formellement la cour qu’entre une telle oppression et un état de révolte ouverte il n’y avait pas bien loin. D’ailleurs, au moment même où le placet était expédié, la ville de Montauban fut le théâtre de nouvelles persécutions. Dans le Languedoc, la ville de Marsillargue fat condamnée à l’amende, pour assemblées, grâce aux délations dévotes du marquis de Calvisson (Lett. du min. Claris, 3 juill. 1747. Mss. P. R.).

Il convient d’entrer dans quelques détails sur les jugements qui furent prononcés contre les fidèles de Montauban, parce qu’ils sont honorables pour cette communauté, et parce qu’ils marquent tout à fait le caractère de la législation du temps. Cette fois-là, les peines les plus fortes furent décernées contre plusieurs protestants de la généralité pour le simple fait de s’être mariés devant un ministre. Il faut remarquer ces modifications ou plutôt ces perfectionnements dans les édits et dans la jurisprudence qui accablait les églises. Déjà il avait été ordonné que tous sujets de Sa Majesté, qui auraient assisté aux assemblées, et qui y seraient pris en flagrant délit, seraient condamnés aux galères ; c’était le texte et l’esprit de la déclaration de 1724. Mais l’assemblée religieuse, une fois finie et dissoute, il devenait bien difficile de saisir les délinquants. Alors intervinrent les ordonnances de Louis XV, de 1745, qui réglaient : « qu’à l’égard de ceux que l’on saura avoir assisté auxdites assemblées, mais qui n’auront pas été arrêtés sur-le-champ, veut et entend Sa Majesté que les hommes soient envoyés incontinent, et sans forme ou figure de procès, sur les galères de Sa Majesté pour y servir comme forçats pendant leur vie, et les femmes et filles récluses à perpétuité. » Ce fut l’intendant de la généralité de Montauban, L’Escalopier[91], qui fut chargé de mettre à exécution cette loi inconcevable. Cet inquisiteur se procura d’abord un certificat qui constatait que Paul Garry, du lieu de Bellegarde, et Olimpe Maffre, de la paroisse de Sapiac, avaient été mariés au désert par le ministre Jacques Dunières. À cette accusée il adjoignit Marie Vernhes, de Bellegarde, et Jeanne Terme, de Saint-Martial ; il les condamna toutes trois à « être récluses à perpétuité dans l’hôpital général de la ville. » Quant à leurs maris et à d’autres protestants, outre ceux que nous avons nommés, monseigneur L’Escalopier choisit encore Raimond Gaillard, de Léojac, Barthélémy Costes, de Saint-Martial, Jacob Caussade, du lieu de Courtade, et Jean Mouissié, des Cabouillous. Après avoir déclaré1746.
17 décemb.
comme fait constant qu’il avait été tenu une assemblée de nouveaux convertis dans le lieu de Cabouillous, paroisse du Fau, « dans laquelle un ministre de la religion prétendue réformée a prêché et fait autres fonctions de ladite religion, et à laquelle s’étaient trouvés ces coupables, » il les condamna aux galères perpétuelles : « ordonnons qu’ils seront attachés à la chaîne pour y être conduits. » Ainsi par ce jugement, que l’intendant prononça tout seul, quatre hommes et trois femmes furent enchaînés aux galères perpétuelles pour avoir simplement assisté à une assemblée et s’y être mariés. Aux yeux de la loi et devant le tribunal d’un juge digne d’elle, tous ces pauvres gens furent ainsi punis, parce qu’ils étaient coupables de mariage. Après ce jugement équitable, monseigneur L’Escalopier n’oublia pas la partie des finances : « Avons condamné et condamnons les habitants nouveaux convertis de la ville et faubourgs de Montauban, et de Villemade, en l’amende de 3,000 livres au profit de Sa Majesté, et en outre aux frais faits à l’occasion de ladite assemblée, liquidés à la somme de 1 847 livres sept sols[92]. » Ajoutons cependant que ce jugement du commissaire départi pour l’exécution des ordres de Sa Majesté, dans la généralité de Montauban, fut trouvé un peu trop dur, même par les persécuteurs. Plusieurs grâces vinrent adoucir l’arrêt de ce praticien cupide et cruel (Rég. aff. plac.). Aussi, après ce jugement, nous voyons par nos pièces que le pasteur Dunières, dont on envoyait ainsi les ouailles dans les bagnes, crut qu’il était prudent de suspendre même les assemblées nocturnes (Lett. du 10 février, Mss. P. R.). Ainsi, dans ces malheureuses conjonctures, ni les assemblées privées, ni les ténèbres de la nuit, ne pouvaient dérober les églises du désert à la vigilance de la cour et à la froide cruauté des intendants.


CHAPITRE V.


Antoine Court et Paul Rabaut. — Persécutions générales de 1740 ; peines corporelles et confiscations. — Listes et correspondance des galériens pour cause de religion. — Liste des femmes prisonnières à la tour de Constance du château d’Aigues-Mortes.


Nous nous proposons de donner maintenant un tableau général des souffrances des églises du désert dans les dix années qui s’écoulèrent entre 1740 et 1750. Il nous faudra pénétrer dans le triste détail du genre des peines prononcées ; il nous faudra donner les listes des galériens et des prisonnières, que ni les bagnes de Toulon, ni les salles de la tour de Constance, ne purent effrayer ou convertir. Renoncer à parler de toutes ces choses, ce serait renoncer à écrire l’histoire de la foi du désert. Mais avant de poursuivre le tableau de ces constants efforts et des persécutions qui ne lassaient ni leurs auteurs, ni les victimes, il est à propos de donner au moins une esquisse de la vie de quelques-uns de ces courageux pasteurs, qui surmontèrent tant de difficultés et qui vécurent en présence du martyre. Mais nous ne pouvons composer de telles biographies. Ces hommes évangéliques, plus désireux de faire le bien que de le raconter, ont laissé leur signature au bas d’actes très-nombreux ; ils nous ont transmis des pièces et des monuments très-variés de leur zèle pastoral, mais nulle part ils ne nous ont légué une notice un peu régulière sur leur vie. Ainsi nous ne pouvons donner une biographie méthodique, ni d’Antoine Court, ni de Paul Rabaut. Leur vie se fera connaître par les innombrables travaux dont nous devrons enregistrer la mémoire.

En l’absence de renseignements détaillés et réguliers, nous nous bornerons à citer quelques dates certaines et principales. Le pasteur Antoine Court naquit en 1696, à Villeneuve de Berg, ou à la tour d’Aiguës, en Vivarais. Il fut ministre et il fut consacré de fort bonne heure. Nous avons vu quelle admirable mission il se donna, et avec quel singulier mélange de courage et de prudence il l’accomplit. Après beaucoup de travaux et de courses dans les églises du midi du royaume, au milieu des dangers (parmi lesquels il faut distinguer la tournée de 1728 et le voyage au synode national de 1744), le pasteur Antoine Court finit par s’établir à Lausanne ; là, il veillait sur le séminaire, en grande partie sa création, et il ne cessa de protéger, d’encourager et de servir les églises françaises du désert. Nous verrons que ce pasteur, si digne de toute la reconnaissance des protestants, mourut à Lausanne, en 1760, laissant un fils, le ministre Court de Gebelin. Il faut remarquer que le mot de Gebelin était un surnom de guerre pour déguiser, devant la police des persécuteurs, le nom de Court. Le surnom de Saint-Étienne fut ajouté au nom du fils aîné de Paul Rabaut. Nous verrons que tous les pasteurs du désert se servaient d’une précaution de ce genre pour cacher leur véritable correspondance. Ces précautions n’étaient pas superflues ; sans cesse ces pasteurs étaient poursuivis. Les officiers de justice et les maréchaussées avaient un signalement fort détaillé de leur personne, afin de pouvoir les reconnaître et les arrêter. Nous donnerons dans la suite un tableau de ce genre, qui nous a transmis l’apparence physique de ces hommes remarquables : ce n’est pas une des pièces les moins singulières de notre collection. Après la mort du pasteur Antoine Court, le jeune ministre Court de Gebelin vint aussitôt se fixer à Paris, où il commença ses grands travaux d’érudition, et où il organisa un bureau d’agence et de correspondance pour les affaires des églises réformées françaises. Nous aurons à signaler dans la suite les nombreux services que leur rendit le savant fils d’Antoine Court, Court de Gebelin, jusqu’à sa mort, en 1784.

Paul Rabaut naquit à Bedarieux, près de Montpellier, le 9 janvier 1718, d’une famille d’anciens protestants, renommée par leur piété et par la simplicité de leurs mœurs. Il est probable que les périls de la profession de pasteur, le sentiment d’injustice profond que faisait naître la vue des malheurs des églises, un certain goût pour l’étude, les dispositions d’un esprit très-propre au maniement des affaires les plus difficiles, et encore plus, une vocation sérieuse et bien sincère, décidèrent ce jeune homme à entrer dans la périlleuse profession du ministère évangélique vers 1735. Il se maria de fort bonne heure, c’est-à-dire vers 1738, avec une jeune fille de Nîmes, aussi pieuse et aussi courageuse que lui, Madeleine Gaidan. Le premier fruit de leur union fut le petit Saint-Étienne, qui devint pasteur, et bien plus tard le célèbre constituant et conventionnel girondin, Rabaut de Saint-Étienne. Dès l’âge de six ans, ce fils aîné fut envoyé à Lausanne, où le pasteur Antoine Court l’accueillit avec tendresse. Antoine Court avait quitté les églises du midi du royaume pour s’établir à Lausanne, vers 1730. Nous pensons, d’après nos pièces, que Paul Rabaut, encore simple proposant de l’église de Nîmes, alla étudier à Lausanne en 1740, qu’il y resta pendant deux années, et qu’après sa consécration il fut nommé pasteur de l’église de Nîmes vers 1743, fonction qu’il n’abandonna plus jusqu’à sa mort, en 1795, après un ministère de plus d’un demi-siècle, c’est-à-dire après cinquante années du pastorat le plus difficile et le plus dangereux[93]. Au temps des persécutions religieuses, il ne fut pas incarcéré une seule fois ; on eût dit que la Providence veillait d’une manière spéciale sur la sûreté de ce digne serviteur. Il est seulement certain que, dès l’année 1740, c’est-à-dire dès l’âge de vingt-deux ans, Paul Rabaut se montra déjà fort actif dans le grand ouvrage auquel il consacra sa vie entière. Vers cette époque, quelques sociétés de réformés, surpris à chaque instant par les invasions des soldats, déclarèrent hautement aux pasteurs du bas Languedoc qu’ils n’iraient plus aux assemblées que bien armés, et que, si on prétendait les empêcher d’user de cette précaution, ils s’abstiendraient d’y paraître. Ce fut cette alternative très-déraisonnable que le jeune Paul Rabaut condamna très-vivement, et qui lui valut cette haute approbation d’Antoine Court : « Autant que je suis affligé de l’indigne manœuvre de cette impie et profane jeunesse, qui s’oppose aux saintes assemblées, autant suis-je édifié de la conduite que vous avez tenue dans l’occasion dont vous me parlez. Continuez à vous conduire de même, ou plutôt évitez avec soin tous les endroits où de pareils événements pourraient encore arriver ; mais n’oubliez rien pour ramener, s’il est possible, avec toute la douceur dont vous êtes capable, ceux qui sont dans des idées si contraires à l’esprit de l’Évangile, qui les approuvent ou qui les fomentent, et Dieu veuille bénir tous les soins que votre zèle vous fera prendre, et Dieu veuille aussi bénir votre chère personne, et la garantir de tous les dangers qui la menacent. » (Mss. P. R. Lettre à M. Paul.) Antoine Court avait, sous tous les rapports, le droit d’adresser ces conseils et ces directions paternels au jeune proposant du désert ; il avait beaucoup contribué à ouvrir et à féconder le champ où, pendant cinquante années, Paul Rabaut allait marcher d’un pas si ferme. Il faut se rappeler que tous ces pasteurs de la renaissance, c’est-à-dire à-dire, outre Antoine Court, les Roger, les Courteis, les Claris, les Viala, et plusieurs autres, étaient de la génération immédiatement antérieure à celle de Paul Rabaut.

En reprenant maintenant l’histoire des églises du désert pendant la guerre de la succession d’Autriche, nous trouvons ce nouveau et triste caractère de leurs annales : savoir, que si elles s’assemblaient publiquement, elles étaient traitées de factieuses, et que si elles se confinaient dans le culte privé, elles étaient traitées de nulles et de fanatiques. Les maisons réunissant quelques protestants, prenaient bien vite l’apparence de temples, et c’était contre les temples et le culte régulier que les parlements étaient le plus disposés à sévir. Les églises, pour ainsi dire, étaient emprisonnées dans un défilé qui ne présentait nulle issue. Les rendez-vous de piété les plus secrets n’échappaient pas quelquefois à la vigilance des cours 1744.
23 avril.
souveraines ; ainsi le parlement de Grenoble, pour un crime de ce genre, avait fait arrêter les demoiselles Bouvat, mère et fille ; elles furent mises, l’une dans un couvent, et l’autre en prison. De sorte que les ennemis des églises du désert se prévalaient contre elles de leurs ménagements mêmes.

Souvent aussi elles eurent à lutter contre l’action de calomnies ourdies avec art. Quelques curés fanatiques des Cévennes inventèrent de graves histoires pour perdre la partie de leur troupeau qui n’était pas dans le giron. De pareilles manœuvres, outre qu’elles excitaient une indignation générale, venaient échouer 1744.devant l’impartialité des cours et des commandants. Tantôt c’était le curé de Saint-André de Valborgne, Cévennes, qui se plaignait d’avoir essuyé plusieurs coups de feu tirés par les nouveaux convertis ; mais l’illusion se dissipa dès que le commandant, M. de Saint-Marcel, eut interrogé cet ecclésiastique, et eut examiné ses prétendues blessures ; tantôt c’était le curé de Beaumont, Dauphiné, qui accusait les protestants de lui avoir tendu un guet-apens et d’avoir 1748. cherché à l’empêcher de célébrer la messe ; tout se dissipa encore devant une descente de justice du juge criminel de Valence. À Merindol, en Provence, la demoiselle et le sieur Meynard, protestants, décédèrent, et furent ensevelis dans la nuit et sans pompe. On répand le bruit que l’enterrement s’est fait avec éclat, et que trois fois le cortège, ayant en tête le ministre des huguenots, a fait le tour de l’église paroissiale.1749.
Avril.
Le parlement d’Aix informe par le ministère du sieur Esmioli, lieutenant-criminel, et toute l’accusation s’évanouit. Toutefois ce ne fut rien au prix de l’affaire du curé de Boffre, Vivarais. Un sacrilège insensé mit le feu à l’église, et accusa les protestants d’être les auteurs de ce crime. L’auteur fut découvert ; la1746.
3 mai.
calomnie fut constatée. Plus tard, sur une lettre de cachet envoyée de Paris, le curé de Boffre fut arrêté et confiné au fort de Brescou. Une alerte du même genre arriva à Milhau en Rouergue ; on accusa les protestants d’avoir enlevé les hosties ; cette imposture révolta les catholiques, et sur leur témoignage même les réformés de Milhau furent pleinement justifiés,[94] Telles furent les calomnies de détail qu’il faut ajouter à celles du prétendu édit de tolérance et du cantique séditieux. Selon Antoine Court, de fausses rumeurs contre les protestants coûtèrent un voyage précipité au duc de Richelieu en 1742. Le bruit s’était répandu tout à coup que les réformés des Cévennes ont pris les armes. Cette rumeur trouva des échos : elle grandit, se fortifia, et enfin arriva en cour. Le duc de Richelieu reçut ordre de rejoindre sur-le-champ sa province soulevée. Il part, arrive, et visite les lieux suspects : tout était parfaitement tranquille. Enfin on découvre que des malintentionnés du lieu des Vans, au Vivarais, avaient donné consistance à cette rumeur calomnieuse.

Une autre douloureuse partie de ce sujet, nous ramène à un genre de persécution qui fut presque spécial à la Normandie et au Poitou, et qui, pour ainsi parler, réussit à tarir les églises dans leur source. Nous 1748.verrons plus bas le ministre Préneuf, de Rouen, se plaindre à Paul Rabaut des enlèvements d’enfants, qui désolaient les familles. Ses plaintes, à cet égard, sont motivées par les renseignements des mémoires historiques de 1744 et 1752. On y voit le lugubre tableau d’ecclésiastiques accompagnés d’archers, qui allaient la nuit arracher de vive force les enfants jusque dans l’asile de la couche maternelle. Le curé d’Athis se signala dans ces expéditions barbares. Ainsi furent arrachés à leurs parents, de mars 1746, à juin 1751, les Morin et les Richouy, de Caen ; les de la Barre du Bois, les Duchemin, de Saint-Lô ; les Lecointe, les Vardon, d’Athis ; les Le Bailly, de la Morinay ; les Roux et les Vilain, de Cheffresne ; les Du Hamel, de Saint-Ebremont ; les Lecaplain, de Chanteloup, et beaucoup d’autres. Dans le Vivarais, on prenait de plus grandes précautions encore. L’évêque de Die manifestait à cet égard un zèle peu charitable ; sur sa plainte, l’an 1748, Merand, de Die ; Rey, de Châtillon, et André, de Saillans, furent arrêtés et languirent longtemps à la tour de Crest, parce que leurs enfants s’étaient évadés de l’école de propagation, de sorte que par une bizarrerie intolérante qui ne s’était peut-être jamais rencontrée, les pères étaient mis en prison en remplacement de leurs enfants, qui étaient sortis pour les rejoindre.

Ces punitions, qui frappaient les familles dans leur postérité, avaient été dans bien des cas précédées par d’autres rigueurs, qui atteignaient les parents au moment1745. de la naissance des enfants. Ainsi à Marigne, près de Die, Jean Gitard et Jean Bouat furent condamnés à une amende de 12 et de 30 louis d’or, au profit du commandant d’Audiffret, pour le crime de n’avoir pas présenté leurs nouveau-nés à la paroisse, mais au désert. Cette pratique de rançonner pour les baptêmes fut aussi mise en usage en Saintonge ;1746.
Juin.
les protestants Raveau et Gnérin furent arrêtés pour avoir fait baptiser leurs enfants dans une assemblée. Les mêmes condamnations furent prononcées en Normandie ; un protestant de Rouen, nomme Gausselin,1746.
Septembre.
fut longuement détenu pour un fait du même genre. En cette espèce, comme en toutes les autres, le Languedoc fut le plus maltraité. Les subdélégués de1750.
Octobre.
l’intendant de Montpellier procédèrent contre un nombre de protestants de Barre, de Sauve et de Saint-Hyppolite, dans les Cévennes, pour avoir fait baptiser leurs enfants par des ministres ; chacun des prévenus fut condamné à la prison et à l’amende. Ces recherches, concernant les baptêmes, devinrent bientôt et plus vives et plus générales. L’intendant chevalier Lenain, dont nous avons rapporté tant de jugements, mourut en 1751. Ce magistrat était très-dur et sévère ; nous voyons qu’en 1748 (10 juin) il fit encore exécuter à Montpellier Jean Desjours, de Brussac, en Vivarais, pour avoir fait partie du rassemblement qui avait réclamé le ministre Desubas à Vernoux ; jugement barbare et inutile, rendu plus de deux ans après l’événement. Lenain put être cependant regretté, quand on vit son successeur. Ce fut Guignard, vicomte de Saint-Priest ; nous raconterons comment les mesures de celui-ci faillirent décider la guerre civile. Nous verrons que l’arrivée du duc de Richelieu seule préserva la province d’un embrasement, qui aurait pu avoir les suites les plus graves. Nous aurons à signaler que ce furent les enlèvements d’enfants dans plusieurs villages des Cévennes, qui décidèrent les premières résistances, qui enfin portèrent la population exaspérée à prendre les armes, en commençant, comme l’ancienne guerre des Camisards avait commencé, par l’assassinat des prêtres catholiques. Peu s’en fallut que les excès de cette horrible lutte ne se rallumassent au milieu du dix-huitième siècle, en 1752. Jusque-là nous devons poursuivre le récit des persécutions, qui distinguèrent cette époque, en abrégeant le plus qu’il sera possible, mais sans taire les faits saillants pour l’histoire. Nous avons déjà fait sentir combien la position que les édits avaient faite aux protestants présentait de grands embarras aux curés et aux intendants, sous le rapport des mariages. La loi ne reconnaissait partout que des Français catholiques ; c’était là une fiction effrontée ; sur ce point les curés catholiques des paroisses des Cévennes surtout savaient bien à quoi se tenir. L’édit de 1724, et tant d’autres, avaient eu beau imposer à toutes les ouailles, sans distinction, la qualité légale de bons catholiques, ces ecclésiastiques savaient et ne pouvaient point ne pas savoir qu’ils étaient entourés de protestants. Ils savaient, à n’en pas douter, que toute une partie de leur troupeau, et quelquefois même la très-forte majorité, ne voulait reconnaître d’autres curés que les ministres, ni entendre d’autres messes que celles du désert. Il fallait cependant que ces curés mariassent comme catholiques tous ces membres protestants ; ils étaient catholiques dans les Cévennes parce que la loi faite sous le bon plaisir de Versailles l’avait ainsi réglé ; ils étaient catholiques nempe ex edicto, pour rappeler le mot de Cicéron.

Que firent alors une foule de curés des Cévennes pour se tirer d’un pas si délicat ; ils imaginèrent des épreuves à exiger des nouveaux convertis, des épreuves de catholicité. Remarquons que ces épreuves étaient illégales et manifestement contraires aux édits. Les magistrats ne les approuvaient pas trop. Cependant elles étaient dictées par un devoir de conscience. On comprend que la partie la plus pieuse et la plus sincère des curés cévenols ait eu recours sincèrement à ce moyen. Quelques curés exigeaient un noviciat de quatre mois ; d’autres curés exigeaient six mois ; d’autres exigeaient un an d’assiduité au prône et à la messe paroissiale. Selon les règlements de l’évêque de Mende, il fallait renouveler le serment d’être catholique au pied des autels. Il est clair, qu’à moins de se passer du sacrement ou de vivre dans le célibat, les protestants, qui voulaient rester tels, n’avaient pas d’autre moyen que d’aller contracter mariage au désert devant leurs ministres. Chaque jour, sous ce rapport, ils cassaient tous les édits de Louis XIV, si artistement ourdis par les jésuites.

Mais, en se conduisant avec ce courage consciencieux, ils trouvaient devant eux la jurisprudence des intendants et des parlements de presque toutes les provinces. Ainsi M. Barentin, l’intendant de la Ro-1746.
19 novemb.
chelle, condamna trois ménages de Saintonge, Fauconnet, Biais et Fleuri, à l’amende pour s’être conjoints par mariage sans avoir observé les formalités prescrites, et leur défendit de demeurer ensemble. 1746.
17 décemb.
Nous avons vu à Montauban les fureurs de l’intendant Lescalopier contre les époux du lieu du Fau. Pour un crime du même genre, les Palleville, de Revel, et les Bosanquet, de la Salle, furent emprisonnés séparément dans les forts ou couvents de Brescou, Montpellier, Aigues-Mortes et Anduze. Dans le comté de Foix, les familles Bourgel, Doumenq, Rouffiac, Fagez, Lafons, Derieu, furent traitées de la même manière. L’intendant Lenain, par un arrêt dont on a conservé le dispositif, voulut à toute rigueur briser le mariage contracté par les conjoints Cazenave et Aldeberte, protestants de la ville de Cette, atteints et convaincus de s’être mariés devant un ministre de la religion prétendue réformée. Il condamna ces époux en 1,000 livres d’amende, 20 livres d’aumônes, avec défense d’habiter « jusqu’à ce qu’ils 1750.
10 décemb.
aient fait réhabiliter leur mariage par leur propre curé, et de plus aux dépens du procès liquidés à la somme de 221 livres 9 sous 9 deniers[95]. » Tels furent les frais taxés par le chevalier intendant Lenain lorsque, peu de temps avant sa mort, il rendit ce jugement 1749.
21 mai.
aussi judicieux que moral. Le parlement de Bordeaux traita les choses plus en grand. Par un arrêt solennel et longuement motivé, il enjoignit à quarante-six personnes, hommes et femmes, des provinces de l’Angoumois, de l’Aunis et de la Saintonge, spécialement de Jonzac et de Ségonsac, de se séparer incontinent ; et il déclara les enfants illégitimes et incapables de succession. C’est par ce jugement que les magistrats tentèrent de dissoudre l’union des familles Robin et Rondeau. Un arrêt semblable vint17 décemb. bientôt frapper neuf autres unions ; ce dernier arrêt, émanant du parlement de Bordeaux, en 1749, nous semble aujourd’hui avoir tout l’air d’une fable. Les époux furent condamnés aux galères perpétuelles ; les épouses furent condamnées « à être rasées et enfermées dans l’hôpital de la manufacture de Bordeaux, auquel hôpital doivent demeurer appliquées les dots à elles constituées par leurs contrats de mariage. » L’arrêt ordonna en sus que les certificats de mariage délivrés par les ministres, lesquels figurent au dossier, soient « livrés et remis ès mains de l’exécuteur de la haute justice pour être, par ledit exécuteur, brûlés à la place du palais de Lombière, et que les prétendus mariés ou mariées, dénommés auxdits certificats, soient présents à cette exécution. » Il est inutile de dire que, lorsque les idées des cours s’améliorèrent, on ne put opposer avec succès cette déchéance à l’état civil de tant de religionnaires. Tels furent les arrêts, marques d’une tyrannie qui s’élève jusqu’au ridicule, que la cour souveraine de Bordeaux rendait au milieu des lumières du xviiie siècle. Il n’eût tenu qu’au fanatisme de ce parlement de faire vivre une masse considérable de citoyens français dans l’état de simple nature. Cependant les magistrats avaient pu lire et méditer l’Esprit des Lois, qui parut en 1748 ; il est vrai que depuis longtemps alors leur illustre confrère avait quitté sa charge de président à mortier. Montesquieu ne prit donc aucune part à des sentences plus étranges assurément que tous les exemples de son immortel ouvrage.

D’un autre côté, le parlement du Dauphiné poursuivait de préférence les délits religieux. Charles Aubert de La Batie fut l’un des avocats généraux en la cour qui se signala par des réquisitoires intolérants. Dans trois mois de 1744, plus de deux cent cinquante personnes furent ajournées à comparaître, pour accusation d’assemblées religieuses. En juillet 1746, le même parlement ordonna le voyage d’une commission, composée du sieur Cotte, commissaire, d’un greffier, d’un procureur et d’un huissier ; à cette invasion des gens de justice, on adjoignit une maréchaussée et un détachement de deux cents hommes d’infanterie. Cette commission était chargée de recueillir les dénonciations contre tous ceux qui avaient assisté aux assemblées. Il en résulta, devant le parlement, une suite d’arrêts, du 6 février au 23 septembre 1746, par lesquels près de trois cents personnes furent condamnées soit à mort, soit aux galères, soit à l’emprisonnement, soit à des amendes. Il faut ajouter à cela la nourriture et le logement des troupes, les maisons rasées, les atteintes portées à l’industrie et 1744.au commerce. Chez les protestants de Milhau, en Rouergue, on logea deux compagnies de dragons, qui y demeurèrent du 20 décembre 1744 au 1er mai 1745 ; ils causèrent une dépense extraordinaire de trente mille livres. Des compagnies furent casernées au même titre chez les protestants de Sainte-Affrique, de Sorbe, de Saint-Rome-du-Tarn et de Saint-Jean-de-Bruel. En janvier 1745, les courses armées les plus ruineuses eurent lieu, par les ordres du commandant d’Audiffret, en Dauphiné ; ce fut dans l’une d’elles que l’on pilla de fond en comble le petit lieu de Thonis, près de Bourdeaux, sous prétexte de rechercher le ministre Rolland, et que la maison du sieur Meffre fut réduite en un amas de ruines. Enfin, on vit tomber les usines des nobles verriers de Foix, sous les arrêts de l’intendant d’Auch, de Bejin ; ce magistrat, aussi fanatique qu’ennemi des beaux-arts, ordonna que les verreries de MM. Gassion et Pommiliers seraient démolies et rasées, « avec défense d’être rétablies. » On vit encore le parlement dauphinois faire démolir la maison d’Élie Sambut, à la Paillette, près Montjoux, pour punition d’avoir hébergé un ministre, et ensuite, condamner la marquise de Montjoux à un emprisonnement perpétuel, dans un couvent. Enfin, si nous faisons le dépouillement des listes données dans le mémoire historique de 1752, nous trouvons vingt-neuf gentilshommes dégradés de leur noblesse, quatorze personnes condamnées au bannissement, dix femmes condamnées au fouet ou à l’emprisonnement perpétuel, quarante personnes condamnées aux galères, de trois à dix ans, et cent seize personnes condamnées aux galères perpétuelles, parmi lesquelles il y avait quarante-six gentilshommes et deux chevaliers de Saint-Louis. Tous ces arrêts furent prononcés en première ligne par le parlement de Grenoble ou de Bordeaux, et par les intendants de Montpellier, d’Auch, de La Rochelle, de Perpignan et de Poitiers[96]. Nous ferons plus bas quelques remarques essentielles sur ces condamnations en masse.

Dans les années dont nous enregistrons ici les malheurs, un petit nombre de fois les assemblées des protestants furent surprises, et essuyèrent le feu des soldats. De mars 1745 à mars 1752, ces rencontres sanglantes, où toutefois les réformés, toujours retenus et adoucis par leurs pasteurs, se contentaient de prendre la fuite, eurent lieu près de Mazamet, diocèse de Lavaur, près de Saint-Hippolyte, près de Saint-Ambroix, aux environs de Montmoiran, en Dauphiné, aux environs d’Uzès, et à Carnas, sur la paroisse du Fau, près de Montauban, enfin près de Ganges (Cévennes), près de Clarensac et de Durfort.

Au milieu de ces rigueurs contre les personnes et contre les biens, les livres ne furent pas épargnés ; on les recherchait avec tous les soins d’une inquisition vigilante. En 1744, Étienne Arnaud, de Dieulefit, Dauphiné, fut dûment atteint et convaincu d’avoir donné à quelques jeunes gens des leçons de musique pour le chant des psaumes ; ce crime n’était nullement prévu par les édits ; mais le protestant qui l’avait commis ne fut pas moins condamné aux galères, après avoir été mis au carcan. Un exemplaire du Nouveau Testament et une édition des Psaumes de David, attachés au pilori, honoraient le supplice prétendu infamant de ce fidèle du désert. À Nîmes, en 1745, plusieurs ballots du Nouveau Testament, en feuilles, n’échappèrent point aux recherches ; on les soupçonna d’avoir été imprimés à Avignon, ce qui obligea les libraires Affrai à prendre la fuite. Dans le jugement que l’intendant d’Auch rendit, en février 1746, contre tant de gentilshommes verriers du pays de Couserans, il ordonna que les livres de la religion prétendue réformée, saisis chez les condamnés, seraient livrés aux flammes. Cet exploit s’accomplit sur la place de Saint-Girons. Rien n’égale, en ce genre, les poursuites du parlement de Grenoble contre la caverne de Plan-du-Bay, sur la terre de Montrond, Dauphiné ; toute cette digne famille fut tourmentée et mulctée de mille sortes ; on soupçonna que les protestants se retiraient dans la caverne comme dans un lieu d’exercice ; les magistrats parurent vouloir décréter les montagnes de la province, en ordonnant par arrêt que la caverne serait détruite.

Il s’en fallut que tous les jugements fussent aussi ridicules. Il y en eut un certain nombre où la mort des victimes put seule satisfaire la sévérité fanatique des magistrats et des intendants. Le 1er août 1746, l’intendant de la Rochelle, Barentin, condamna et fit exécuter à mort Élie Vivien, de Marennes, en Saintonge, « le tout, dit l’arrêt, parce que ledit Vivien est dûment atteint et convaincu d’avoir assisté à plusieurs assemblées de religionnaires, et notamment à celle tenue le 10 du mois de juillet (1746), près le village d’Artouan, paroisse de Saint-Just, en Saintonge ; d’y avoir prêché et tenu des discours séditieux, comme aussi d’avoir composé plusieurs écrits contenant des blasphèmes contre la rel. ap. et rom., et tendant à exciter les peuples à la révolte. » La victime de cet arrêt était un vieillard de soixante et dix-huit ans ; il serait très-intéressant de découvrir quels furent les discours et les compositions pieuses de ce respectable protestant. De plus, le même intendant Barentin condamna conjointement un autre protestant et presque collègue de Vivien, à voir l’exécution du vieillard, à être marqué, et ensuite « à servir Sa Majesté comme forçat sur ses galères à perpétuité », pour avoir assisté à une assemblée de religionnaires, « et pour y avoir fait le métier de bedeau en faisant ranger le peuple. » Ce n’est pas tout encore en ce qui touche cette assemblée d’Artouan ; plusieurs autres protestants furent condamnés à la marque et au bannissement temporaire pour avoir assisté à l’assemblée « et pour avoir travaillé à la chaire du prédicateur. » Les deux coupables menuisiers étaient Pierre Gaillot et Manceau, de Marennes ; le bedeau se nommait Louis André, marchand de Saint-Just. Tels furent les condamnés par les arrêts de l’intendant Barentin, arrêts qui méritent, sous tous les rapports, de parvenir à la postérité[97]. Le Poitou fut aussi très-mal traité dans ces années désastreuses. L’intendant de Poitiers, M. de Beaumont, condamna et fit exécuter, par arrêt du 18 juillet 1750, à Poitiers, Jacques Boursault, protestant, pour avoir tenté de retirer des mains de la maréchaussée Jean Perochon, un de ses amis, que le même jugement condamne aussi à mort comme contumace. Dans le bas Poitou, des cavaliers, envoyés contre les assemblées par l’intendant, commirent de tels excès à Montcoutan, diocèse de La Rochelle, que les habitants prirent le courage de s’en plaindre par un placet à M. de Chabannes, commandant la province[98]. Plusieurs personnes furent tuées ou blessées. Des ordres venus du ministère empêchèrent la continuation de ces sanglantes promenades contre les assemblées.

Nous ne parlerons pas des indignités exercées, d’après les dispositions des édits, contre les cadavres des protestants qui avaient repoussé les sacrements de l’église catholique. Nous en dirons un mot parce que ces tentatives affreuses font mieux apprécier, que les autres condamnations, le véritable et bizarre esprit de ce temps dans les provinces méridionales de la1749.
10 avril.
France. Un protestant, Daniel-Étienne La Montagne, était mort à Cadenet, en Provence ; ses coreligionnaires l’inhumèrent pendant la nuit ; il y eût une émeute horrible qui alla déterrer ses restes. Le magistrat de Cadenet ne put s’empêcher de verbaliser. Claude Cabanis, d’Alais, négociant d’un grand mérite1749.
14 juillet.
et d’une grande considération, mourut subitement à Lavaur ; la populace s’enflamme et s’attroupe encore ; cependant, par la protection de la maréchaussée, l’inhumation a lieu ; mais bientôt les pénitents blancs de Lavaur, sous le prétexte frivole que ces restes maudits reposent trop près de leur église, enflamment de nouveau la populace ; cette fois le cadavre est outragé ; les archers accourus font lâcher prise à ces furieux, et, sous la protection des troupes, enfin ces restes sont rendus à la terre. Il y eut même un commencement de procédure ecclésiastique contre les pénitents. Ces détails sont aussi déplorables qu’ils sont curieux, sous le point de vue qu’ils nous montrent la force publique de certaines localités du haut Languedoc, obligée d’intervenir par la violence pour empêcher les populations fanatisées de mettre à exécution les injonctions formelles de la déclaration de 1724. Elle n’avait pas cependant pour coutume de protéger les fidèles du désert.

Mais, de tout ce code d’intolérance que nous venons de parcourir sous le point de vue pratique, la plus curieuse, sinon la plus cruelle partie, c’est le chapitre des amendes et des dispositions fiscales. Les mesures qui furent prises à ce sujet, ayant un but fort positif et très-net, sont les plus faciles à expliquer. La disposition des choses à cet égard ne laissait rien à désirer. Comme les édits, ou certaines ordonnances, avaient attaché des amendes aux tenues d’assemblées, et comme, d’un autre côté, on ne pouvait savoir exactement le point des réunions, ni, par suite, le village même qu’il fallait imposer, on eut l’idée toute simple de faire supporter l’amende par tout l’arrondissement. C’était une ressource assez rationnelle en matière de perception. Dès l’an 1728, les intendants du Languedoc avaient divisé la province en cent quarante-trois arrondissements, contenant chacun un certain nombre de villes, bourgs, villages et hameaux. Lorsqu’il se tenait quelque assemblée dans l’étendue de chacun des arrondissements, on s’en prenait à tous les protestants du district. Les tableaux de ce singulier impôt, qui ont été publiés par Antoine Court, sont un bel exemple d’assiette financière[99]. Ils contiennent, par colonnes, la date des jugements, le nom du chef-lieu d’arrondissement, la quotité des amendes, et enfin le montant des frais. Toutes les villes importantes de la province furent successivement rançonnées, depuis les médiocres amendes de 350 liv. et de 200 liv. qui frappèrent le Mas d’Azil et Graissesac, jusqu’aux plus imposantes recettes de 3,500 liv. et de 4,000 liv., qui provinrent de Montpellier et d’Uzès. En Dauphiné, les mêmes persécutions financières eurent lieu, seulement sur une plus vaste échelle encore. D’après la requête que les protestants du Dauphiné ont adressée au roi dans le mois de novembre 1750, les amendes et les frais s’élevaient à plus de 200,000 liv. « qu’on a exigées avec la dernière rigueur. » Ces pauvres gens disent dans leur requête, qu’ils entendaient, du fond de leurs prisons, vendre leurs effets à l’enchère, et distribuer leurs héritages pour satisfaire à l’un ou à l’autre des articles des amendes. Au surplus, ces mesures fiscales n’arrêtèrent en rien le mouvement et le progrès des églises. Il est clair qu’elles durent avoir pour unique résultat de réaliser en Languedoc un système exceptionnel d’impôts, et de faire de cette province un pays de contributions extraordinaires. C’était d’ailleurs, sous le rapport de la recette financière, une des provinces les plus riches du royaume[100]. Il est difficile d’apprécier aujourd’hui tout le mauvais effet que durent exercer et sur l’industrie et sur l’agriculture les extorsions continuelles pour fait d’assemblée religieuse.

Après avoir donné l’esquisse de la persécution violente qui éclata sur les églises, de l’an 1740 à l’année 1750, et après avoir rapporté un choix des arrêts principaux rendus contre elles, il est temps de rechercher quel fut l’esprit de cette jurisprudence. En effet, nous avons fait connaître les arrêts, moins pour enregistrer le nom des victimes, ce qui serait impossible, que pour faire apprécier le caractère spécial des poursuites. Nous allons maintenant essayer de remonter jusqu’aux motifs qui paraissent avoir dicté ces jugements ; lesquels nous paraissent inconcevables aujourd’hui. Il est évident que c’était contre le fait des assemblées que les intendants procédaient avec le plus de méthode. Ils ne voulurent voir que des rassemblements séditieux, contraires à la paix publique. Ils sévirent surtout contre les ministres, qu’ils regardaient, avec raison d’ailleurs, comme les instigateurs des assemblées. Si les premiers et les plus rigoureux édits de Louis XIV furent conçus et rédigés avec une violence et une généralité d’exécution, où se peint cet esprit prêtre, pour qui les impossibilités temporelles ne sont rien, on éprouva bien vite la nécessité impérieuse de les modifier, dès que l’administration fut mise en demeure de les appliquer sérieusement.

Les faits que nous venons de rapporter donnent la mesure de l’esprit administratif des intendants.

De temps à autre, ils condamnaient à mort, et faisaient exécuter un ministre du désert. La fin glorieuse de ces victimes de la tyrannie et du fanatisme encourageait les fidèles, loin de les abattre. Il est bien probable que l’administration s’aperçut de ce fait, et qu’il la disposa à montrer moins de rigueur. En effet, dans l’espace de trente-quatre ans, de 1718 à 1762, depuis le supplice d’Étienne Arnaud à Alais jusqu’à celui de François Benezet à Montpellier, sept pasteurs couronnèrent leurs travaux évangéliques par le martyre. Mais ce chiffre, excessif quand on songe à l’innocence des victimes et à la barbarie des juges, formait une bien minime portion du nombre total de ces hommes courageux, si connus dans le Languedoc, qui, par les assemblées qu’ils tenaient ainsi que par leurs fonctions et courses perpétuelles, se présentaient sous mille formes aux recherches des polices militaires et administratives. Il est probable que plus d’une fois les intendants craignirent eux-mêmes les suites de semblables captures.

Les raisons que les fidèles du désert donnaient pour s’obstiner à tenir leurs assemblées en dépit des édits, n’ont guère besoin d’être exposées. Ils faisaient ressortir qu’il était de leur devoir d’édifier tout le monde au grand jour, sur le fait qu’il ne s’y passait rien de contraire à l’ordre ; qu’en les rapprochant un peu plus des villes, on avait donné aux catholiques mêmes la facilité de les connaître, d’y assister, et de les inspecter ; qu’il n’y avait absolument rien dans ces assemblées dont le gouvernement pût prendre ombrage, si on lui en faisait des rapports fidèles ; que si elles étaient nombreuses, cela tenait au grand nombre de protestants qui étaient encore dans le royaume ; que s’il y avait plus de pasteurs, les rassemblements seraient moins considérables ; qu’il y avait beaucoup d’endroits où il n’y avait point de pasteurs, ce qui obligeait les fidèles à se réunir aux assemblées les plus à portée, et ce qui contribuait à les grossir ; qu’il était impossible aux pasteurs, quelque intention qu’ils eussent de prévenir la trop grande affluence, d’empêcher que les membres de leur communion qui arrivaient par troupes ne fussent reçus ; que les assemblées étaient essentiellement publiques ; qu’on ne s’y entretenait jamais d’affaires d’État ni de choses civiles ; que le culte de la religion en faisait le seul et unique objet ; qu’elles n’étaient précédées ni suivies d’aucun attroupement ni désordre ; qu’on ne portait dans ces assemblées aucune espèce d’arme, quelle qu’elle fût ; qu’on y admettait indistinctement les hommes, les femmes, les enfants, ce qui ne se ferait pas si de mauvais desseins les animaient ; qu’on y recevait de même ceux de leurs frères catholiques qui voulaient y assister et qu’on ne s’y cachait ni des ecclésiastiques ni des gens du roi ; « que les assemblées étant composées en partie de personnes aisées, de gentilshommes, d’avocats, de médecins, de marchands qui ont des biens considérables et qui vivent avec toutes les commodités de la vie, il n’est pas à présumer qu’ils eussent voulu y assister, s’il s’y fut passé des choses contraires au service de l’État, et qu’ils eussent voulu se mettre par là dans le risque de se priver de tous ces avantages »[101]. Tels étaient les arguments non seulement péremptoires en droit naturel et religieux, mais également sans réplique en bonne police administrative, à l’aide desquels les églises du désert défendaient leurs réunions.

Quelles étaient les objections que faisaient les intendants et la cour, et qui vont nous expliquer à peu près la couleur de la jurisprudence qu’ils appliquaient ? Il n’est point facile de les saisir d’une manière complète. Elles roulent presque toutes sur cette assertion, que le moment que les religionnaires avaient pris pour relever la tête était celui de la maladie du roi et du plus fort de la guerre des droits de Marie-Thérèse. À cela se joignait le soupçon, réel ou affecté, de menées avec les ennemis de la France, et même de quêtes destinées à propager la révolte et l’invasion. L’affiliation synodale du régime presbytérien calviniste paraît aussi avoir alarmé l’administration. Elle ne sut pas s’instruire par l’exemple de l’église d’Écosse surtout, de la Hollande et de la Suisse, où le lien synodal existe, sans créer le moins du monde un État dans l’État. Le mystère des réunions protestantes était commandé par l’intolérance et aussi l’entretenait. Ce mot de désert avait à lui seul quelque chose d’inquiétant pour l’ordre public. La définition même que les pasteurs en donnaient ne laissait pas que d’offrir quelque prise aux appréhensions de leurs ennemis ou au moins d’une cour ombrageuse : « Le désert est un mot vague dont les protestants se servent pour cacher les véritables lieux d’où ils écrivent, et pour désigner en général leur église persécutée. » (Mém. hist. de 1744-) Pour peu qu’on y mette de la bonne volonté, on trouve toujours le moyen de noircir ce qui est vague. Souvent aussi les assemblées se tenaient de nuit et sans éclat, dans des bois ou dans des lieux très-écartés. On se réunissait dans des trous de rochers. Quelquefois, lorsque les assemblées devaient être fort petites, et surtout dans la saison d’hiver, on s’assemblait dans les huttes, qui signifient, en dialecte du pays languedocien, de petits hangars en bois, destinés à serrer la récolte provisoire de raisin, et qui figurent souvent au milieu des vignobles du bas Languedoc. Ces huttes, ainsi que les granges, furent souvent rasées par l’ordre des intendants et les cavernes murées. Mais ces tristes cachettes donnaient aux fidèles un air de conspirateurs, ce qui était absolument contraire aux intentions des pasteurs comme au vœu des églises. La simple vérité est que les intendants et les réformés étaient sans cesse placés dans un cercle vicieux. Les uns étaient chargés d’exécuter des édits impossibles à suivre par leur sévérité et même par leurs barbaries ; les autres ne pouvaient écouter la voix de leur conscience sans paraître se mettre en rébellion contre la volonté du prince. C’était une position qui ne pouvait être tempérée que par beaucoup d’adoucissements administratifs d’une part, et par beaucoup de prudence de l’autre.

La question des assemblées armées était beaucoup plus grave ; elle était aussi d’une solution beaucoup plus facile. Il n’y avait nulle complication. Nous possédons des preuves nombreuses que les synodes et que les pasteurs, individuellement, interdisaient absolument cette pratique. Malgré le malheur et l’oppression du temps, l’habitude des armes ne pouvait, sous aucun rapport, se justifier. Elle n’avait même aucune espèce de sens, parce que d’abord une église en armes répugne évidemment à l’esprit évangélique, et ensuite on n’avait pas le projet de faire résistance si par malheur l’on était surpris. Les pasteurs du désert, dès le commencement de la renaissance du culte, sentirent que tolérer des assemblées armées, c’était s’exposer sans cesse à des rencontres sanglantes, inutiles, ou de nature à entraîner sur-le-champ une guerre civile déclarée et sérieuse. Aussi toute réunion armée fut-elle rigoureusement interdite. On eut une certaine peine à supprimer ce point dangereux. Alors, comme chacun sait, les gentilshommes, même souvent le tiers-état, portaient l’épée. C’était un costume aussi bien civil que militaire. Les synodes allèrent jusqu’à demander, même à la noblesse languedocienne, de quitter cet article de son habit dans les rassemblements des églises. On ne peut qu’admirer la sagesse d’une telle décision. Cependant cette idée de réunions armées, que les faits prouvèrent n’être qu’une appréhension entièrement chimérique, fut sans cesse l’idée fixe et la terreur des intendants comme de la magistrature. Aussi parmi les arrêts de mort de cette époque, arrêts exécutés, outre ceux des ministres, nous n’en trouvons que trois contre des religionnaires laïcs, tous trois sous le prétexte d’avoir exigé en armes la délivrance d’un ministre, ou d’avoir eu recours à des menaces d’armes dans des assemblées. De ces trois infortunés, peut-être fort innocents même de ce crime, nous avons cité déjà Jean Desjours, en Languedoc, et Jacques Boursault, en Poitou ; nous parlerons plus bas de la condamnation de Jean Roques, de Beauvoisin, qui fut une des œuvres réellement barbares de l’intendant Guignard de Saint-Priest.

Nous voyons donc, en résumant l’esprit de cette jurisprudence, que les ordres de la cour étaient de sévir rigoureusement contre plusieurs ministres pour effrayer les autres, et pour prévenir les fauteurs de réunions religieuses ; la même sévérité s’étendit aux rares laïcs qui se donnaient à eux-mêmes la mission de prêcher et d’exhorter les fidèles, comme nous l’avons indiqué par la fatale sentence que subit Élie Vivien, de Marennes. On poursuivit aussi impitoyablement tout protestant soupçonné d’avoir paru en armes dans les réunions. D’ailleurs la grande majorité des assemblées religieuses ne furent ni troublées ni poursuivies. Sauf quelques exceptions rares et rigoureuses, on laissa faire les baptêmes, les mariages et même les enterrements nocturnes. Les procès à la mémoire furent plus rares encore ; ils furent toujours un objet d’horreur pour les catholiques. On prononça toutefois beaucoup d’amendes réglées contre les églises du désert ; ce fut un article que les intendants abandonnèrent très-tard. La lumière pénétra difficilement au travers de ces préjugés lucratifs. Enfin on prononça foule de condamnations à la prison et aux galères ; mais la grande majorité ne furent pas exécutées. Ici, nous pouvons déduire de nos pièces nombreuses concernant les galères et les condamnées de la tour de Constance, des conclusions singulières, parce qu’elles sont à la fois fort tristes et un peu consolantes.

Le pasteur Antoine Court, dans son Mémoire historique de 1752 (p. 92) estime, depuis l’an 1744 à cette époque, le nombre des prisonniers arrêtés dans toutes les provinces du Midi, depuis Foix jusqu’au Poitou, à plus de six cents ; il porte à plus de huit cents personnes le nombre des protestants condamnés à diverses peines, dont quatre-vingts gentilshommes. D’après la même autorité, en 1745 et 1746 seulement, le parlement de Grenoble condamna plus de trois cents personnes à mort, aux galères, au fouet, ou au bannissement ; nous trouvons dans ces mémoires une liste détaillée de cent seize protestants condamnés aux galères perpétuelles par le même parlement de 1745 à 1752. D’après les autres listes que le pasteur Antoine Court a données dans ce même Mémoire, qui sont pleinement confirmées par des listes non moins authentiques de notre collection[102], il faut porter le nombre des protestants détenus sur les galères de Toulon aux chiffres suivants : d’après les mémoires de Court (Pat. Franc. et imp p. 558), en 1753, quarante-trois galériens à vie et à temps ; d’après nos pièces des manuscrits de Paul Rabaut, en 1752, quarante et quatre galériens à vie, et huit à temps ; d’après un rôle des forçats protestants, signé d’eux-mêmes, de la fin de 1753, quarante-huit galériens à vie et à temps ; d’après une autre liste de 1759, quarante et un galériens à vie ; en 1760, « trente-huit confesseurs » à Toulon. (Lett. du galérien Raymond, de Faugères. Mss. P. R.) Il faut remarquer que ces chiffres ne donnent que les listes des galériens pour cause de religion, à Toulon ; mais on n’en mettait pas ailleurs, sauf une rare exception. Il faut remarquer que ces listes, si on les combine toutes, nous donnent les condamnations qui ont duré depuis 1728 jusqu’en 1760. Ainsi, quelque énormes et quelque exorbitantes qu’elles soient, ces listes montrent qu’on était fort loin d’exécuter en Languedoc tous les jugements aux galères prononcés pour crime d’assemblée religieuse. Il est difficile d’estimer la proportion ; mais il y a évidemment très-loin, même du chiffre total des galériens de 1753, au chiffre de cent seize condamnés à vie par le seul parlement de Grenoble en sept années. Il paraît donc qu’on exécutait au plus un tiers des condamnations. Il faut encore observer qu’il n’est question dans ces listes que des condamnés comme forçats détenus au bagne de Toulon. Nous ignorons absolument le nombre des confesseurs qui ne subissaient que la détention simple ; peine assez rare sous l’ancienne jurisprudence et très-rare dans les édits de la persécution. On voit seulement, par une note insérée en passant par Antoine Court, qu’il y avait en 1745 cinq ou six protestants détenus dans le château de Brescou, sur la Méditerranée, pour cause de religion.

Quant aux femmes prisonnières pour le même crime, il est plus difficile d’en découvrir le chiffre avec précision. On les répartissait souvent dans les hôpitaux des villes et dans les couvents. Ce genre de réclusion n’a point laissé de traces bien certaines. On verra plus bas une liste bien naïve et bien touchante des prisonnières protestantes à la tour de Constance, du château d’Aigues-Mortes, liste écrite et transmise à Paul Rabaut, en 1754, par l’une des prisonnières, Marie Durand, de Praules, diocèse de Viviers, « prise dans sa maison par rapport au ministère de son frère. » (Pièc. just., no vii.) En effet, le ministre Pierre Durand fut exécuté à Montpellier, en avril 1732. Ce fut cette Marie Durand, sa sœur, détenue depuis 1730, dont les fers ne tombèrent qu’en 1768, devant la visite que firent le prince de Beauvau et le chevalier de Boufflers à la sombre tour de Constance. Cette liste nous montre d’ailleurs un autre genre de punition, qui venait s’ajouter aux rigueurs des intendants et des parlements. C’étaient les lettres de cachet, arrivant purement et simplement de Versailles, dûment revêtues de leur apostille habituelle, Phélypeaux, comte de Saint-Florentin. Plusieurs des captives de Constance sont notées par Marie Durand, ainsi du reste qu’elle-même, « prises par ordre du roi. »

Il faut avoir le courage de suivre ces tristes détails, qui sont malheureusement de l’histoire ; il faut s’enquérir et la correspondance des galériens, de l’espèce des prisonniers et du régime de leur triste séjour. Il ne paraît pas que ces victimes de la liberté de conscience fussent plus malheureuses, au bagne de Toulon, que les autres condamnés ; au contraire, elles étaient sans cesse et quotidiennement secourues par les églises. Mais aucune générosité ni aucun secours ne pouvait atténuer l’horreur du lieu. Par suite d’une commission qu’un synode du Vivarais donna au pasteur des églises de Provence, Lafond, comme résidant plus près des galères, pour s’informer du sort de ces malheureux, il s’engagea entre eux et lui une correspondance, en 1753, de laquelle nous possédons les pièces. Elles jettent quelque jour sur la situation et sur les occupations de ces infortunés. La première de ces missives est de Jean Molinier, de Hautpoul, diocèse de Lavaur, qui avait été condamné à vie par le chevalier intendant Lenain, le 6 avril 1745 : « Nous nous adressons, dit ce galérien au pasteur Lafond, à tous les véritables chrétiens qui sont zélés et pieux, et moyennant que ces qualités se trouvent en eux, ils se souviendront que Notre Seigneur leur a recommandé les pauvres affligés, surtout les confesseurs, qui sont grièvement tourmentés par des peines excessives et par des travaux insupportables, outre les fers qu’ils sont obligés de porter jour et nuit. (Lettr. du 30 sept. 1753, Toulon. Mss. P. R.) Quelquefois, des navigations méditerranéennes étaient imposées aux galériens protestants comme au reste des forçats. « On vient d’armer quatre galères pour passer madame l’infante ; plusieurs de nos confrères sont de cette campagne, » écrit Jean Molinier. Il s’agit ici du mariage de l’infante d’Espagne Marie-Antoinette-Ferdinande, fille de Philippe v, roi Bourbon d’Espagne, avec Victor-Amédée iii, alors duc de Savoie, celui qui, à la fin du siècle, vit tous les lauriers de sa maison ternis par l’étoile de Bonaparte. Notre seconde lettre est de Paul Mercier, bourgeois du Mas d’Azil, pays de Foix, qui fut condamné à vie par l’intendant du Roussillon, en 1749, pour avoir été aux assemblées ; nous donnerons un extrait de la lettre touchante que ce galérien écrivit au pasteur Lafond : « Votre lettre, dit Mercier, me rappelle le synode provincial où j’eus l’honneur d’assister, en 1748, en qualité de député des églises de la haute comté de Foix, où il fut décidé que vous nous seriez donné pour rester chez nous ; je commençais alors à me réjouir d’avance du plaisir que j’aurais eu de profiter de vos sages exhortations ; mais Dieu, qui dirige toutes choses suivant sa volonté, voulut non seulement me priver de cette satisfaction, mais encore m’affliger, par la perte de ma liberté, et me séparer peut-être pour toujours d’une chère épouse et de quatre enfants qu’il lui avait plu de me donner. Le bon Dieu veuille être apaisé envers moi, et me faire la grâce de reconnaître de plus en plus le cas pour lequel je souffre, afin de persévérer, jusqu’à ce qu’il lui plaira de m’en délivrer ; c’est une des grâces particulières que je lui demande journellement » (Lettr. de Toulon, 30 sept. 1753. Mss. P. R.).

Enfin, nous désirons surtout faire connaître la plus longue et la plus douloureuse de ces épîtres des confesseurs ; elle fut écrite également au pasteur Lafond par Isaac Grenier de Lasterme, gentilhomme de Gabre, diocèse de Rieux, en Languedoc, condamné à vie par l’intendant d’Auch, le 5 février 1746, « pour avoir été aux assemblées. » Ce protestant vénérable avait soixante et seize ans lorsqu’on l’envoya pour subir sa sentence au bagne de Toulon. Nous copions la lettre en entier :

« À Toulon, le 30 septembre 1753.

« Vous souhaitez, Monsieur, que la lettre de M. Molinier soit appuyée par M. Mercier et par moi, et vous prenez occasion de là de nous donner des louanges que je suis bien loin en mon particulier de m’attribuer. J’ai plutôt lieu de croire que ma captivité est un châtiment que mes péchés m’ont attiré, plutôt qu’une épreuve de ma fidélité, puisque le bon Dieu m’afflige coup sur coup par la perte de ma famille. J’ai perdu deux fils que Dieu m’avait donnés, l’un à Marseille et l’autre ici. Et je viens d’apprendre la mort de ma chère épouse.

« Nous voyons, par votre lettre, les soins charitables que vous vous donnez pour les pauvres protestants captifs. Il serait à souhaiter que Dieu, leur ayant suscité un Tite, tous ceux qui font profession de la même religion fussent des Macédoniens[103]. On se servit précédemment du terme de nécessité urgente pour n’avoir pas de termes plus expressifs pour en montrer la nature. Il est impossible de faire un détail exact. Les circonstances dépendent toujours de ceux qui nous commandent. Elles varient suivant le caprice de ces esprits bizarres et toujours féroces. On vous a fait, Monsieur, le détail des habits que l’on nous donne, avec lesquels il faut essuyer la rigueur du froid et celle de l’été. Occupé aux travaux qu’on vous a marqués, n’ayant pour toute nourriture que du pain et de l’eau, on ne peut s’en exempter qu’en payant un sol tous les matins aux argousins ; autrement on est exposé de suivre les mêmes peines, exposé à demeurer attaché à une poutre avec une grosse chaîne la nuit et le jour. Si la vénérable compagnie de Marseille ne nous donnait pas 2 sols à chacun, la plus grande partie de nous subirait ce cruel supplice ; il y en a plusieurs à qui de plus pressants besoins le font supporter[104]. On veut savoir notre sentiment sur nos demandes ; mais avons-nous quelque chose à prescrire là-dessus ? Nous n’avons que le droit de représenter nos misères ; c’est à ceux qui en seront touchés d’y avoir égard comme ils jugeront à propos. Nous souhaiterions bien qu’il pût se faire quelque établissement d’un fond qui produisît tous les ans quelque chose pour notre soulagement, et remis entre les mains de personnes qui en dirigeassent la distribution de façon qu’aucun ne puisse en abuser à son propre préjudice. On veut savoir si nous avons écrit ailleurs ; nous ne nous sommes jamais adressés qu’à vous, Monsieur, en faisant même violence à notre discrétion, connaissant votre caractère charitable par les lettres pleines de consolation dont vous nous avez honorés. Permettez-moi de vous en marquer, en particulier, ma vive reconnaissance. Je prie le bon Dieu qu’il couronne les grâces qu’il vous a communiquées par de nouvelles grâces ; qu’il vous soutienne dans vos travaux et qu’il fasse prospérer les talents qu’il vous a donnés pour la gloire de son saint nom.

« J’ai l’honneur d’être, Monsieur, avec toute la déférence que je dois à votre caractère, votre très-humble et obéissant serviteur,

« Lasterme.


« Pardonnez, s’il vous plaît, à mon âge les interlilignes et les autres défauts d’écriture. »

Ce sont là des pièces qui font une impression profonde, et sur lesquelles on peut se dispenser de faire des réflexions. Elles parlent assez par la netteté de leur style et l’admirable ferveur de leur résignation. D’autres fois les jugements des intendants prenaient un degré inouï de rigueur, en attachant sur les bagnes, pour ainsi dire, une famille entière. Nous en trouvons la preuve dans un mémoire remarquable, accompagné des pièces à l’appui, qui fut présenté à la fin du siècle, à la commission de l’assemblée nationale, par Charles Bernardou, de Mazamet, district de Castres, département du Tarn. Ce descendant d’une famille infortunée, qui avait eu tous ses biens confisqués pour cause de religion, réclama vainement ; on lui opposa les ventes consommées et couvertes par la prescription. Ce qu’il nous importe de constater, seulement sous le point de vue historique, c’est que par jugement de l’intendant Lenain, en 1745, David Bernadou et Pierre Bernadou furent condamnés tous deux aux galères perpétuelles pour fait d’assemblée ; David Bernadou avait soixante et quinze ans ; le vieillard mourut environ un mois après son arrivée au bagne de Marseille ; mais son fils ne termina son temps et sa vie qu’en 1763, après huit ans de séjour aux galères[105].

Quelquefois, le séjour de ces infortunés se prolongeait pendant près d’un quart de siècle. Ainsi, nous voyons encore, en 1763, Jacques Puget, des environs d’Uzès, condamné à vie par M. Bernage de Saint Maurice, intendant, pour avoir donné asile au ministre Claris ; ce malheureux Puget avait alors soixante-dix-sept ans ; il gémissait au bagne depuis dix-neuf années, pour avoir donné l’hospitalité à son pasteur errant et proscrit. Au reste, les galériens détenus pour cause de religion parvenaient très-souvent à obtenir leur délivrance, par l’influence de quelques sommes, judicieusement adressées à des personnages influents, ou au centre du gouvernement, ou sur les lieux mêmes. D’autre part, nous aurons la preuve que l’on réussit souvent à intéresser les puissances protestantes à leur sort, et que le comité protestant de Lausanne put agir efficacement auprès de ses amis de Paris pour obtenir l’élargissement des confesseurs. Nous voyons aussi que le sort de ces malheureux était un peu adouci par la sympathie, et, s’il est permis de parler ainsi, par la bonne réception de leurs compagnons de bagne. Voici ce que nous trouvons dans une lettre adressée à Paul Rabaut, de l’hôpital de Toulon, par le galérien Jean Raymond, du Pont-de-Camarès, en Rouergue, qui avait été condamné à vie, avec plusieurs fidèles de Bédarieux, en 1754, pour crime d’assemblées : « Je croirais manquer à mon devoir, si je ne vous annonçais l’arrivée de Dominique Chéréique, de Mirepoix, lequel vous assure de son profond respect ; vous ne devez pas douter que nous ne l’ayons reçu comme un véritable confrère ; mais nous n’avons pas pu faire selon nos désirs, ne sachant pas son arrivée. Il est vrai que monsieur Court, de Lausanne, nous avait marqué qu’il avait été jugé à Pau, en Béarn, et sans cela il aurait été à plaindre, quoiqu’il ne l’est pas moins, malgré tout ce que nous avons pu faire pour adoucir ses peines. » (Lett. de juin 1760, de l’hôp. de Toulon)[106]. C’est ici la dernière intervention que nous trouverons du pasteur Antoine Court. Elle prouve que l’année même de sa mort, et jusqu’au dernier soupir, ce digne pasteur s’occupait des églises et de leurs confesseurs, qu’il avait toujours si tendrement servis. Enfin nous devons ajouter, d’après nos pièces, que l’on mettait quelquefois en liberté les galériens protestants, moyennant qu’ils abjurassent leur foi : voici ce que marque à son pasteur le galérien Jean Raymond : « L’on nous flattait, de chez nous, que nous quatre, de Bédarieux ou de Faugères, aurions notre liberté ; cependant la nouvelle a été trompeuse. Les premières conditions que la religieuse Triadou nous avait faites ne nous ayant pas convenu, à nous, apparemment que les nôtres ne lui ont pas convenu, à elle. La liberté qu’elle nous voulut faire obtenir nous aurait coûté trop cher, quand il s’agit de perdre son âme. Si vous avez occasion d’aller du côté de chez nous, je vous prie en grâce de voir ma chère épouse et famille. » (Lett. de juin 1760, de l’hôp. de Toulon. Mss. P. R.) Cette lettre ne prouve que trop l’obsession fanatique des convertisseurs, qui allaient poursuivre les confesseurs de la foi du désert jusque sur les bancs des bagnes.

À ces tristes détails nous devons ajouter une autre liste non moins douloureuse ; c’est celle des détenues à la tour de Constance, pour cause de religion. Nous donnerons le catalogue de ces infortunées prisonnières, d’après un état dressé par l’une d’elles, et de sa main propre (Pièc. just. n. vii). L’auteur est Marie Durand, la sœur du ministre qui fut exécuté à Montpellier ; elle écrivait cette liste en 1754, après vingt-quatre années de détention. On verra qu’en 1754 la Tour d’Aiguesmortes renfermait en tout vingt-cinq prisonnières, captives à cause de leur attachement à l’église du désert.

Si maintenant nous jetons un coup d’œil sur les lieux de détention où l’on retint souvent des réformés captifs, nous trouvons que vers 1752 on comptait six prisonniers au fort de Brescou. Il y avait de temps à autre des femmes prisonnières dans les couvents ou hôpitaux de Tarbes, de Cahors, de Montauban, de Carcassonne, de Pons, de Saintes, de Die, de Vienne, de Foix et autres lieux. Mais ce fut spécialement la tour d’Aiguesmortes qui servit de prison habituelle aux détenues protestantes. Rien de plus triste ni de plus sombre que ce séjour. À un angle des murailles de la vieille ville de Saint-Louis, avec ses tours et ses portes en ogives, est placé le château, et à l’intérieur, au milieu d’un épais mur circulaire, la tour de Constance[107]. On pénètre dans la tour par un pont dormant jeté du rempart. Deux portes doublées de fer, roulant avec effort sur leurs gonds, donnaient accès aux salles intérieures ; les dernières consistaient en deux vastes chambres voûtées, situées l’une au-dessus de l’autre. La plus basse était sans doute occupée par la garnison de la tour ; dans la seconde on renfermait les prisonnières : c’est là que se tenaient les vingt-cinq infortunées captives dont nous donnons la liste. La salle est fort élevée ; elle n’est éclairée que par l’étroite fente de quelques meurtrières placées au-dessus du sol, et par une ouverture circulaire au milieu de la voûte, qui forme couronne aux arceaux gothiques. Un banc circulaire de pierre règne au milieu de la tour ; au-dessus de la plate-forme, sans doute interdite aux prisonnières, s’élevait un phare en tour d’observation. Ainsi les pauvres prisonnières calvinistes de la tour de Constance, passaient leur déplorable existence dans une grande salle privée d’air et de jour ; jamais elles n’entendaient autre chose que le bruit lointain des flots, et le sifflement des vents sur les lagunes du rivage. Cependant nos lettres nombreuses de Marie Durand, l’une des prisonnières, attestent que sa foi et sa piété la soutinrent toujours dans la solitude d’une si triste captivité.

Nous terminons ici notre description du genre et du nombre des condamnations prononcées par les édits contre les fidèles du désert. Ces tristes tableaux font partie essentielle de l’histoire ; il était de notre devoir de ne les point supprimer : nous n’y ajouterons qu’une seule réflexion. Même sous Louis XIV, et à plus forte raison sous Louis XV, si la véritable nation française catholique eût pu élever la voix, il est hors de doute qu’elle eût brisé sur-le-champ tous ces indignes fers.




CHAPITRE VI.


Requête des Églises auprès du congrès d’Aix-la-Chapelle. Abjuration d’un ministre. — Progrès des Églises du haut Languedoc.


Il faut maintenant que nous revenions pour un instant à la situation politique de l’Europe et de la France. Pendant que les églises étaient ainsi accablées et que leurs plaintes restaient sans réponse, la guerre continuait avec fureur. L’ennemi avait été contraint d’évacuer la Provence ; Gênes, qu’assiégeaient les Autrichiens et les vaisseaux anglais, était débloquée, à la suite des manœuvres savantes de Belle-Isle ; sa gloire vint expirer dans les défilés d’Exiles, en Piémont, d’où l’armée française fut repoussée après un horrible carnage, où le fils du général perdit la vie. Mais les maréchaux de Saxe et de Lowendal rétablissaient les affaires au nord : les armées combinées d’Angleterre, de Hollande et d’Autriche, étaient mises en 22 juillet.
1747.
déroute à Lawfeld ; Berg-op-Zoom était enlevée d’assaut par la valeur française ; mais notre marine essuya de grandes pertes en deux combats meurtriers sur les côtes de Bretagne. Au commencement de 1748, toute l’Europe menaçait de reprendre une guerre qui durait depuis huit ans, qui avait ravagé une province de France, les Pays-Bas, une partie de la Hollande, et la moitié de l’Italie et de l’Allemagne. Tous les peuples qui s’étaient jetés dans cette lutte acharnée, et surtout l’Angleterre et la France, étaient abîmés par les impôts et épuisés d’hommes. Louis XV et la coalition avaient rassemblé sur le Rhin près de trois cent mille combattants ; ces masses allaient entrer en campagne lorsque le maréchal de Saxe, par un coup de main1748. digne de ce général, investit subitement Maëstricht ; cette agression heureuse, et la misère générale, œuvre d’une si longue guerre, décidèrent les négociations de la paix, qui fut enfin signée par les plénipotentiaires, à Aix-la-Chapelle, le 28 octobre. L’affermissement du sceptre de Marie-Thérèse, la constitution de la Prusse agrandie, furent les seuls résultats durables d’une lutte où l’Angleterre et la France avaient si vainement épuisé leurs flottes, leurs trésors et1748. leurs soldats. On doit y remarquer la constitution définitive dans la balance européenne d’une puissance protestante de premier rang, la Prusse, dont l’organisation durable et forte est enfin comme miraculeusement sortie de la réforme de Luther et des longs ravages de la guerre de trente ans. L’ouvrage du grand Gustave fut consolidé à toujours. L’épée du héros suédois avait sauvé la liberté germanique, comme au temps de la ligue celle de Coligny et de la noblesse française calviniste avait refoulé pour jamais en Espagne l’inquisition, qui eût étouffé en France tout développement et toute pensée.

Le calme renaissant après tant de combats, l’équilibre de l’Europe paraissant encore une fois garanti, les protestants français, dont la cause semblait imperceptible dans la conflagration générale, essayèrent toutefois de faire stipuler leurs intérêts dans ces grandes négociations. Ne trouvant aucune protection au dedans, ils tentèrent de s’en assurer au dehors. Pour exciter l’intérêt de leurs frères étrangers, et pour parer au relâchement que tant de poursuites rigoureuses avaient introduit dans une discipline, qui ne souffrait pour aucune considération le mélange du rit catholique et protestant, le synode du bas Languedoc invita le synode national « à écrire aux églises des pays étrangers, pour les informer de l’état des protestants, et les prier de leur accorder l’ancienne union et amitié dont elles honoraient autrefois les églises, et à prier notamment celles de Suisse, Genève et Hollande, de ne recevoir à la sainte cène aucun membre des églises françaises, sans qu’ils aient une attestation de leurs bonne vie et mœurs, afin de prévenir par là qu’un nombre considérable de négociants et autres, qui vivent sans culte public et en faisant des actes d’hypocrisie et d’idolâtrie, à l’occasion de leur mariage et du baptême de leurs enfants, ne profanent point le saint sacrement, et que désormais ils respectent la discipline ecclésiastique et les ministres qui l’exercent. (Instr. à MM. les dép. au syn. nat., sign. Rivière, sec ; 1748., or. Mss. P. R.) Bientôt les églises tentèrent une démarche plus décisive. Leur agent en Suisse, qui était alors Antoine Court, fit tous ses efforts pour intéresser en leur faveur les ambassadeurs des puissances protestantes qui s’étaient rendus au congrès d’Aix-la-Chapelle. Des mémoires détaillés furent remis à M. Van-Haren, ministre plénipotentiaire du stathouder. Ces mémoires exposent aux envoyés des hautes puissances que rien n’est plus déplorable que l’état des protestants français ; que non content de faire peser sur eux des lois très-rigoureuses, on en était venu, en Vivarais, dans le Poitou, et près de Montauban, à des espèces de massacres, sans que les auteurs aient été recherchés ni punis ; que plusieurs de leurs ministres avaient fini leurs jours sur un infâme gibet ; qu’il n’y avait aucunes vexations auxquelles les particuliers ne fussent soumis ; que les galères étaient remplies de gens de toute sorte, gentilshommes, médecins, marchands, artisans, pour avoir seulement prié selon les lumières de leur conscience ; que foule de parents sont séparés de leurs parents et proches, et réduits au désespoir ; qu’on imposait à quantité de villes et districts entiers des amendes exorbitantes, dans lesquelles Nîmes seule figurait pour plus de soixante mille livres ; que nombre de chefs de famille se voyaient contraints de payer des sommes considérables, parce que leurs enfants avaient fui en pays étrangers ; « que sous les rois les plus acharnés contre la réformation, sous Charles IX par exemple, les protestants français avaient la liberté de vendre leurs effets et de se retirer où ils jugeraient à propos, et qu’aujourd’hui ils ne pouvaient ni s’exiler, ni aller mendier leur pain dans les pays de leur communion ; qu’on les retenait de force ; qu’on les minait de fond en comble ; que l’unique ressource qu’il leur restait était de faire ce qu’ils détestent le plus, de devenir hypocrites, d’autant plus criminels que leur conscience condamnait plus fortement leur lâcheté ; » et qu’enfin, l’unique cause de tous ces malheurs était que les protestants refusaient de servir Dieu d’une manière qu’ils croyaient opposée à ses ordres les plus formels ; que c’est d’ailleurs abusivement que l’on objecte que leurs assemblées sont trop nombreuses, et qu’elles peuvent mettre l’État en danger ; que ces assemblées ne sont nombreuses que par accident, et à cause de leur rareté même ; qu’ils consentiraient très-volontiers qu’on réduisît le nombre des assistants, pourvu qu’ils pussent s’y rendre sans danger ; que quantité de curés et officiers catholiques qui ont assisté à ces assemblées avaient pu se convaincre et pouvaient attester qu’il ne s’y passe rien que de très-innocent ; que, loin d’être une source de troubles, elles avaient puissamment contribué à extirper l’esprit dangereux du fanatisme, né dans un temps où le culte était moins bien réglé ; que ce qui devait plus que toute chose les mettre à couvert de pareils soupçons, c’était leur soumission constante aux lois civiles du royaume ; que sous le poids de tant de souffrances, nul ne pouvait trouver étonnant que ceux qui les endurent mettaient tout en œuvre pour obtenir quelque soulagement. — Non que les églises de France fussent dans l’idée que leurs plaintes et leurs incontestables droits pussent former la matière des conférences du congrès d’Aix-la-Chapelle ; elles pensaient seulement que, dans le cas où les plénipotentiaires parviendraient à signer la paix, alors ceux des puissances protestantes pourraient agir de concert auprès de la cour de France et de Sa Majesté Très-Chrétienne en faveur de ses sujets, qui ne refusaient de se soumettre à aucun de ses édits qui ne regardent point la religion, et qui sont bien persuadés que si Sa Majesté était informée seulement d’une partie des rigueurs qu’ils souffrent sous son autorité, elle se hâterait de donner des ordres pour adoucir leur sort, et les mettre en état d’allier la fidélité qu’ils lui doivent avec celle qu’ils doivent à leur Dieu. « La paix générale à laquelle on travaille doit rendre le repos à l’Europe, seraient-ils les seuls qu’elle laissât dans l’agitation et dans de mortelles angoisses. Les horreurs de la guerre, qui vont cesser partout, s’acharneraient-elles sur eux seuls ? Tranquilles sur ce qui se passe hors du royaume, auraient-ils tout à craindre au dedans ? tandis que leurs compatriotes s’empressent de donner à leur monarque le titre de Bien-Aimé, seraient-ils les seuls qui ne reçussent aucune marque de bienveillance ? Seraient-ils forcés de donner des bornes à l’affection dont ils sont pénétrés pour sa personne sacrée, afin de leur frayer le chemin aux grâces dont ils ne sauraient demeurer privés sans mener la vie la plus amère, ou de tâcher d’intéresser les puissances protestantes en leur faveur. »

Voici la série des demandes que les églises du désert mettaient sous les yeux des plénipotentiaires d’Aix-la-Chapelle, avec prière de les soumettre aux ambassadeurs de France :

1o Amnistie générale de toutes les contraventions aux édits pour fait de religion, et remise de toutes les peines encourues ;

2o Abolition des édits contre la religion, et mise en état des protestants français sur le même pied que les catholiques d’Angleterre, de qui il dépend, quand ils le veulent, de vivre en toute sûreté ;

3o Liberté des galériens, prisonniers ou prisonnières, et autres condamnés pour fait de religion ;

4o Prescription par S. M. le roi de France à ses sujets protestants d’un mode de vivre qui leur permît d’avoir des ministres en nombre suffisant, et de tenir des assemblées sans être molestés ;

5o Confirmation de tous les mariages bénis et de tous les baptêmes administrés, laquelle, assurant l’état des familles, légitimât les enfants, leur garantît l’hoirie légale, et prévînt les procès fâcheux que les édits entraînent. On consentirait, pour prévenir toute objection, à payer à chaque mariage ou baptême les droits accordés par la coutume aux curés et vicaires, comme si lesdits eussent célébré eux-mêmes ;

6o Ordre donné par S. M. le roi de France, vu que là où il y a différents partis le plus fort cherche toujours à opprimer le plus faible, d’une répression sévère contre ceux qui troubleraient le repos public, quels qu’ils fussent (Cop. Mss. P. R.).

On ne peut qu’être frappé de la justice et de l’esprit de modération qui présidaient à ces propositions, lesquelles eussent épargné tant de maux aux églises et à la patrie, si elles eussent été accueillies. Les suppliants les appuyaient de plusieurs considérations tirées de la nécessité d’assurer l’ordre public et de suivre la voix d’une politique sage. Les motifs qu’ils donnaient n’étaient pas moins logiques que leurs prétentions n’étaient avouées par l’équité la plus simple. Ils faisaient remarquer aux plénipotentiaires qu’il était désormais impossible d’espérer de parvenir, jamais à détruire la religion protestante de France par la force ; « qu’en continuant d’employer la rigueur on fera des malheureux à pure perte, qu’on commettra mille cruautés qu’il faudra soutenir par d’autres, et les secondes seront tout aussi inutiles et plus criminelles que les premières »[108] ; que les protestants pourraient faire valoir leur fidélité inviolable, qui ne s’était point démentie dans le fort de la persécution, lorsque « des mouvements irréguliers » de leur part auraient été le plus à craindre ; que si leur souverain pouvait lire au fond de leur cœur il y verrait tous les sentiments dont ils sont animés pour sa personne et le bien de l’État ; que loin de là, on ne paraît avoir songé qu’à les pousser à bout ; que cependant la nature humaine ne saurait toujours souffrir, qu’elle se révolte enfin, et qu’un ennemi pourrait avoir ses raisons pour fomenter l’agitation dans un temps après ne l’avoir point fait dans un autre ; que si la tolérance éprouvée par les catholiques, en Hollande et en Angleterre, avait été souvent suspendue ou resserrée, ils en avaient été eux-mêmes la cause par des entreprises séditieuses contre les souverains ; que si S. M. le roi de France voulait bien adoucir le sort de ses sujets réformés, cela contribuerait puissamment à cimenter la bonne intelligence rétablie entre elles et les puissances protestantes ; qu’enfin les charitables intercesseurs pourraient représenter que l’humanité seule les anime en cette occasion, et que, s’ils agissaient dans des vues d’intérêt et de politique humaine, ils garderaient le silence, puisqu’il est évident que les autres États de l’Europe ont retiré, par les émigrations, de très-grands avantages des mesures violentes contre les protestants, tandis que la France fait par là, et chaque jour, des pertes qu’il ne lui est pas facile de réparer (Mémoire en faveur des protestants de France, destiné pour les ministres des puissances protestantes députés au congrès d’Aix-la-Chapelle. 5 p. in-4o. Mss. P. R.).

Telles furent les raisons sans réplique que les églises soumettaient aux plénipotentiaires d’Aix-la-Chapelle par ce document. Aussi habile en logique que forte de considérations sociales présentées avec finesse, cette pièce, d’une rédaction si remarquable, ne paraît pas avoir fait l’objet de délibérations parmi les diplomates réunis, si tant est qu’elle fut jamais communiquée officiellement à la partie catholique et française du congrès. Les motifs les plus solidement appuyés militaient en faveur d’une demande aussi juste ; mais il fallut encore de longues années pour que la cour de France les accueillit, forcée et contrainte par le progrès des idées et par l’influence d’une philosophie tolérante. Il fallut que les églises traversassent encore quatorze ans de vives persécutions et vingt-cinq ans de doutes et de bien-être précaires avant d’arriver à l’édit de Louis XVI.

Pendant que les églises cherchaient à améliorer leur sort, les vexations contre elles continuaient même dans les portions de la France les plus éloignées du Midi, où la cour s’obstinait toujours à voir un foyer de rébellion prête à s’allumer. Pendant que le pasteur Jean Godefroy, et le sieur Pertuson, de Rouen, traversaient la France pour assister, comme députés, au synode national du Languedoc, leur église, où des assemblées se tenaient dans l’ombre, voyait chaque jour s’enlever et garçons et filles par le zèle des convertisseurs (Lett. du ministre Préneuf à P. R., 22 avril 1748, Mss). Deux événements d’une nature bien différente vinrent affliger les églises à la même époque. Par arrêt du 17 mars 1745, le parlement de Grenoble avait condamné à mort, par contumace, le ministre Duperron, qualifié de prédicant. Arrêté peu de temps après, il fut jeté dans les prisons ; après une longue captivité, ce jeune homme, que le supplice attendait, et qui avait en quelque sorte sous les yeux le triple échafaud de ses collègues Roger, Rang et Désubas, se laissa intimider par les convertisseurs ; il abjura sa foi. On ne comprend guère le mérite d’une victoire obtenue sur un ministre qui eût monté au gibet s’il ne s’était pas converti ; cependant le clergé fit de cette faiblesse une occasion de triomphe remporté par l’évêque de Valence, qui s’était rendu exprès à Grenoble. Les églises ne parlèrent qu’avec indignation « de l’apostasie du sieur Duperron. » Citons ce beau passage d’une lettre du ministre A. Court, sur cet événement bien rare, même dans ce temps si dangereux : « La chute de l’ami que vous avez apprise nous a pénétrés ici de la plus amère douleur. Elle se fit avec grande pompe et en présence de plus de cent cinquante personnes de distinction, après plus de cinquante conférences sur les matières controversées. C’est la crainte de la mort et l’espérance d’une vie trop chère, qui a produit un événement de tant de triomphe pour les uns et de tant d’affliction pour les autres, qui fait maintenant le supplice de celui qui y est le plus essentiellement intéressé ; les gémissements et les soupirs qu’on lui entend pousser en sont des indices bien certains. Il s’était flatté qu’on le délivrerait après avoir fait ce qu’on exigeait de lui ; mais il s’est étrangement trompé, et chaque jour va lui apprendre combien son mécompte a été grand, et combien il aurait été plus heureux pour lui de se confier à celui qui ne trompe point et qui récompense magnifiquement ceux qui le servent, de lui être fidèle, et de souffrir mille morts plutôt que de manquer à la foi qu’il avait promise. Puisse son exemple, en rappelant à notre esprit de quoi notre faible humanité est capable, nous affermir de plus en plus dans nos devoirs et nous empêcher de les perdre jamais de vue. « (Lett. à P. R., 1er nov. 1748, Mss. P. R.) La prédiction de Court ne fut que trop vérifiée ; le malheureux Duperron mourut peu de temps après sa conversion, dans les angoisses d’une vive douleur morale. Cet événement rendit le parlement de Grenoble un peu plus doux ; les filles protestantes détenues dans les couvents de Valence furent remises à leurs parents, sans conditions ; plusieurs prisonniers furent aussi élargis : « Voilà du bon et du mauvais, disait le ministre Joseph Picard, de la Saintonge ; c’est beaucoup dans un aussi méchant siècle. » (Lett. du 21 oct. 1748.) À la même époque les églises firent une perte d’un autre genre et bien plus sensible, ce fut la mort du pasteur Barthélemy Claris. Cet homme courageux, l’un des plus actifs et des plus distingués de tous ceux qui prêchaient dans le désert, termina ses jours d’une manière tranquille, dans un âge peu avancé, après avoir échappé au martyre qu’il brava tant de fois (décembre 1748). Le style de sa correspondance atteste que chez lui l’esprit était aussi orné que la foi était intrépide et ferme.

1749.La première année de la paix générale signée à Aix-la-Chapelle ne vit point de changements notables dans le sort des protestants français. Le départ du duc de Richelieu, pour tenir les états du Languedoc, fit concevoir de nouvelles espérances aux réformés. Cet homme, d’un caractère si bizarre, intrépide général, habile négociateur, brave et débauché à l’excès. Mécène des gens de lettres, tant idolâtré par Voltaire, qui l’appelle sans cesse mon héros, ne parut pas ostensiblement fort touché du sort des infortunés protestants. Quelque sages que fussent ses dépêches privées pour la cour, sa conduite effective en Languedoc, Provence et Guyenne, touchant les religionnaires, n’est pas le plus beau côté d’une carrière si brillante. Au commencement de l’année, plusieurs prisonniers du comté de Foix furent condamnés aux galères perpétuelles ; dans le haut Languedoc, un gentilhomme, M. de Palleville, et son épouse, furent arrêtés à leur château, près de Revel, par lettre de cachet du 23 mars 1749 ; le mari fut conduit au fort de Brescou, et la femme dans un couvent de Montpellier. Leur crime était de s’être mariés au désert. Les communautés de Vabre, de Lacaune et de Castres furent frappées d’amendes considérables. Les protestants de Mérindol furent tourmentés. À Cadenet, nous avons vu que la populace outragea le cadavre d’un réformé par des traitements si révoltants que la justice informa (Lett. du min. Pourtal, 16 avril 1749). Près de Sommière, une autre arrestation vint jeter l’effroi dans les églises ; M. Louis Bouzanquet, avocat, notaire et juge, homme aisé et d’un esprit orné, avait épousé au désert la demoiselle Louison Deshours, de la maison de Calviac ; tous deux furent arrêtés au milieu de la nuit et menés au château d’Alais (Lett. du past. Marazel, 10 juin 1749, Mss. P. R.).

« Cet accident a tellement effrayé les gens, ajoute le courageux ministre, que je ne puis me dispenser de convoquer pour soutenir les esprits. » Le Dauphiné, qui jouissait depuis longtemps du privilège des plus vives persécutions, fut troublé par une scène qui aurait pu devenir très-tragique. Une assemblée se tenait le 9 juin à la pointe du jour, par les soins des ministres Vouland et Rozan, entre Montmiraud et la Beaume Cornilliane, lorsque deux détachements de dragons de la garnison de Chabeuil, envoyés par le subdélégué de Valence, vinrent fondre sur la réunion ; soixante coups de fusil furent tirés sur les fuyards ; une femme fut seule atteinte d’un coup, qui lui fracassa le bras. Les soldats dévalisèrent tous ceux qu’ils purent arrêter, et rentrèrent à Valence avec la robe du ministre pour trophée. Tels furent les excès commis par la soldatesque sur les religionnaires dauphinois. Dans les autres parties du midi, les rigueurs exercées contre MM. de Palleville et Bouzanguet avaient partout répandu l’alarme. La confiscation des biens dont ces deux familles distinguées étaient menacées avaient intimidé les autres, et pendant quelque temps les assemblées ne furent plus composées que de personnes de ces classes qui n’ont rien à perdre. Un tel abandon affligeait Paul Rabaut, qui lui-même risquait tous les jours sa fortune et sa vie au service des églises. Il confia ses chagrins sur ce sujet à Antoine Court à Lausanne ; voici en quels termes ce dernier cherchait à consoler son collègue ; le passage est remarquable en ce qu’il montre bien comment le zèle, toujours vivant au sein de la classe populaire, venait suppléer au manque d’énergie de l’autre classe que son aisance rendait plus craintive. « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. De tout temps le vent de la persécution a nettoyé l’aire du Seigneur, et rarement a-t-on vu dans les temps d’orage que ceux que la naissance, le rang et les richesses élèvent au-dessus des autres, aient maintenu la religion. La gloire de la Providence s’y trouve même intéressée. Plus les moyens dont elle se sert pour conserver cette religion paraissent vils et méprisables, et plus cette gloire est éclatante. Parcourez tous les siècles de l’église et vous verrez qu’elle n’a eu dans ses grandes épreuves de fidèles qui lui soient demeurés constamment et fermement attachés, que ceux, qui, comme dit un apôtre, n’étaient ni des sages, ni des nobles, ni des puissants selon le monde, et qu’il en arrivait dans tous les temps comme il en arrive aujourd’hui. Les ministres de la religion avaient beau, comme vous, presser, exhorter en temps et hors temps, la moindre bourrasque jetait l’alarme dans les cœurs et rendait leurs soins presque inutiles. Il en arrivait comme dans le sein de votre église ; il n’y avait que le petit peuple qui tînt ferme et qui ne se déconcertât point, quelque violente que fût la tempête. D’où il résulte, comme vous l’avez pensé aussi bien que moi, qu’on ne doit être ni surpris, ni découragé quand ces choses arrivent ; qu’on ne saurait trop faire honte et représenter leurs devoirs aux nobles et aux riches, dans le temps que le calme permet aux ministres de les voir et de leur adresser la parole, ni trop féliciter les petits et les encourager à une persévérance qui fait leur gloire, ainsi que celle de la Providence. » (31 octobre 1749. Mss. P. R.)

Cependant, malgré les poursuites et les condamnations que nous venons de rapporter, les assemblées continuaient toujours assez publiquement. Les protestants parurent espérer que leur conduite soumise, pendant la dernière guerre et en présence de l’ennemi, attirerait sur eux, sinon la justice entière, au moins la tolérance tacite du gouvernement de Louis XV. Mais des influences sinistres agissaient et vinrent encore une fois ajourner une légitime réparation. Des agitations internes se déclarèrent aussi.

Il s’éleva une discussion assez vive dans le haut Languedoc à propos de la consécration, dans la Province, ou à Lausanne, d’un étudiant du comté de Foix, André de Grenier de Barmont, dit Dubosc ; ce débat ne présente d’intérêt aujourd’hui qu’en ce qu’il fait voir avec quel soin les synodes craignaient de recevoir des pasteurs de l’étranger ; le pasteur Loire fit même des remontrances énergiques à ce sujet, tendant à ce que, dans tous les cas, l’imposition des mains fût donnée en France (Mss. Cast., Syn. prov. du 14 janvier 1750). Cependant Grenier de Barmont fut reçu pasteur dans la province, malgré la consécration de Lausanne, et il demanda la cassation de la protestation du pasteur Loire ; l’attestation de l’Académie de Lausanne en faveur du premier prouve que les églises protestantes, tant désolées dans l’intérieur, avaient cependant su prendre des mesures pour donner une très-solide éducation en Suisse aux jeunes collègues qui devaient partager leurs dangers. Grenier de Barmont fut soumis aux épreuves suivantes ; sermon sur un texte assigné, composé et récité au bout de huit jours ; interprétation du Nouveau-Testament grec et de quelques psaumes hébreux, « par où nous avons pu connaître qu’il est en état d’entendre les livres sacrés dans l’original ; » enfin, interrogatoire sur des matières importantes de théologie et de morale. Les églises de cette province prenaient en même temps de sages mesures politiques ; un colloque assemblé le 14 mars 1750, composé de trois pasteurs et de cinquante-quatre tant anciens que notables, arrêta d’écrire à l’intendant que les protestants paieraient sans difficulté l’imposition du vingtième.

Cependant le plus grand obstacle à la renaissance définitive d’une organisation régulière des églises, c’était toujours la rareté des ouvriers travaillant à cette œuvre périlleuse. L’absence des pasteurs faisait plus de mal que la persécution. Les provinces voisines se disputaient entre elles ces courageux apôtres, qui tâchaient de multiplier leurs soins auprès de communautés où les mêmes dangers suivaient partout le ministère. À la même époque, il survint une discussion toute fraternelle entre le haut Languedoc et les hautes Cévennes, sur le point de savoir si le pasteur Viala, prêté pour un an par cette dernière province, retournerait au premier théâtre de ses travaux périlleux. En août 1752, le corps ecclésiastique du haut Languedoc fit écrire par le pasteur Grenier de Barmont aux hautes Cévennes une lettre pressante pour engager la province à lui laisser un pasteur qu’elle chérissait. Cette lettre et la réponse des hautes Cévennes montrent d’une manière frappante le zèle toujours croissant des troupeaux, et leur attachement pour des ministres sur lesquels le martyre sans cesse planait. Les hautes Cévennes avaient cédé les deux pasteurs, Viala et Corteis, et les plus heureux fruits avaient signalé leurs travaux dans le haut Languedoc, menacé de perdre en outre les pasteurs Dunières et Olivier ; il ne devait rester que les pasteurs Sicard et de Barmont. Il paraît, en outre, qu’il n’y avait alors que six pasteurs pour tout le haut Languedoc, qui comprenait de plus le pays de Foix, l’Agenais et le Montalbanais. Les églises du haut Languedoc se disaient hautement « l’ouvrage » des hautes Cévennes, et les suppliaient de leur continuer leurs ministres ; ce qui leur fut accordé. Nous trouvons à la même époque un autre monument de la ferveur et de la foi de ces troupeaux, dans la lettre touchante des anciens des églises réformées sous la croix de Clairac, Longueville, Lafite, Diment, et Fernan, au pasteur de Barmont, en date du 20 juin 1752 (Mss. Cast. p. 108). Ces églises le redemandaient avec instances et même avec larmes. Elles proclamaient que c’était chose merveilleuse que l’amendement qu’il avait opéré dans leurs contrées pendant le peu de temps qu’il y était resté, d’autant plus que rien n’égalait le désordre et l’aveuglement dans lequel elles avaient vécu depuis l’abolition de l’édit de Nantes ; que les plus sages d’entre eux n’étaient jusque-là occupés que de leurs champs, de leurs vignes, ou de leur commerce, lisant à peine, ou du moins à la hâte ; quelque chapitre de l’Écriture Sainte le dimanche, se contentant de s’abstenir de l’église romaine, se croyant glorieusement distingués et par là suffisamment autorisés à prendre la qualité de chrétiens réformés, mais vivant néanmoins dans l’irréligion, et n’ayant, la plupart, que trop souvent fléchi le genou devant l’idole ; que cependant au moment où même le souvenir d’avoir entendu la pure parole, qui ne vivait plus que dans la mémoire de quelques personnes vénérables, allait se perdre, Dieu leur avait envoyé un de ses serviteurs pour faire reluire son flambeau au milieu d’elles ; que les prédications de ce pasteur, Grenier de Barmont, avaient produit un fruit considérable qui se manifestait aux yeux de tous ; que cependant cette nouvelle vigne, si heureusement plantée dans un fonds, qui ne donnait aucun fruit, demandait à être cultivée, sous peine de périr, d’autant plus que « ces églises ne faisaient que de naître, » et que, avant cet événement « il ne restait aucun vestige d’ordre ecclésiastique dans ces contrées depuis près de soixante-sept années ; »[109] qu’en conséquence, ce serait leur donner la mort que de les laisser sans pasteur.

Ajoutons seulement que ces sentiments de si fervente piété déposaient contre les inquiétudes d’indifférence et de mort de ceux qui les manifestaient ; l’église, dont Clairac était le centre, n’oublia jamais les leçons de Grenier de Barmont, ni son courage évangélique. Pour faire mieux apprécier quel était le genre d’existence de ces pasteurs si dévoués à l’œuvre sainte, et quels étaient les dangers que pouvaient alors rencontrer tous ces hommes dont les provinces voisines se disputaient les services, nous donnerons ici un passage de la confirmation de l’attestation du synode provincial du haut Languedoc, qui fut délivrée sur sa demande au pasteur Pierre Corteis, forcé de se réfugier ailleurs, et par motif de santé, et pour échapper aux poursuites : « L’assemblée édifiée de plus en plus de la pureté de sa doctrine, de son zèle infatigable et de la sainteté de ses mœurs, après lui avoir témoigné le vif regret qu’elle a de se voir à la veille d’être privée d’un si digne pasteur, lui accorde sa juste demande avec d’autant plus de raison, que ledit pasteur a été exposé et l’est encore à la plus violente persécution, et aux périls les plus éminents de la part des ennemis de la vérité ; car, outre les dangers ordinaires annexés au ministère sous la croix, il a été pendu deux fois en effigie, comme appert par les jugements rendus par les intendants de Montpellier et d’Auch, poursuivi plusieurs fois par des détachements de dragons, et recherché par des particuliers mal intentionnés, ce qui le met dans la nécessité indispensable de se réfugier dans un pays de liberté ; sur ces fondements, nous prions Dieu de le combler de ses grâces les plus précieuses, et de le couvrir de sa divine protection partout où sa Providence le conduira. De notre assemblée pastorale, de laquelle ledit pasteur est modérateur, le 18 août 1752. » (Mss. Cast., p. 115.)




CHAPITRE VII.


Mémoires présentés au Conseil sur les églises du désert. — Joly de Fleury. — Situation générale des églises du désert au milieu du xviiie siècle.


L’époque à laquelle nous arrivons maintenant fut décisive, quant à la constitution et au sort définitif des églises réformées de France. À peine le traité d’Aix-la-Chapelle eut-il été signé, que déjà les querelles de limites s’élevaient entre la Grande-Bretagne et la France sur leurs possessions respectives dans le Nouveau-Monde, germes d’une guerre qui devait bientôt se rallumer avec violence ; toutefois la France respirait après tant d’agitations ; son gouvernement put songer aux mesures intérieures d’administration, sans être distrait par la terreur d’une invasion ennemie. Les querelles du jansénisme, où la cour, penchant vers l’ultramontanisme, donnait tort constamment aux parlements, et cherchait à faire prévaloir les maximes de la constitution Unigenitus sur les antiques franchises de l’église gallicane, avaient profondément divisé le clergé, qui tantôt obéissait et tantôt résistait à la magistrature. De cette agitation théologique naquit le besoin de scruter plus profondément les limites des deux pouvoirs, et, pour le dire en passant, ce fut là le seul résultat durable de ces débats, dont la forme était bien plus importante que le fonds. Le clergé était non moins attaché que les parlements à la religion de l’État. C’était pour lui plus qu’un intérêt de corps ; c’était un intérêt de corporation et d’existence. Nous avons déjà remarqué que la magistrature, en général ennemie de l’autorité absolue de Rome et qui décréta si souvent ses légats et ses nonces, fut également sévère, sauf quelques exceptions individuelles, envers les protestants. On voit avec netteté dans l’histoire des parlements de cette époque, et même de presque tout le siècle, la tendance prononcée de sévir à la fois contre les ultramontains et contre les protestants. Nous avons déjà dit que les corps héréditaires de magistrature, inflexibles en même temps contre Rome et contre l’hérésie, voulaient racheter, en poursuivant cette dernière, la vivacité et la constance de leur opposition contre toute maxime du droit italien. Cependant, en ce qui touche leur position vis-à-vis des protestants français, ces parlements se voyaient pour ainsi dire comme obligés de surcharger leur jurisprudence des articles d’une foule d’édits, formant, il est vrai, un code persécuteur bien compacte et bien varié, mais où les dispositions concernant le temporel, et celles qui régissaient le spirituel, étaient mêlées et confondues en une foule de points. Nous allons voir que ce furent des scrupules ecclésiastiques qui décidèrent d’abord la cour, et même qui l’obligèrent ainsi que les magistrats, à s’occuper plus profondément de la situation des protestants et à tenter la révision des lois intolérantes, contre lesquelles les religionnaires luttaient depuis si longtemps avec tant de suite et tant de fermeté.

Si l’on consulte les nombreux actes des synodes tant nationaux que provinciaux, que l’on a conservés sur l’histoire des églises, depuis la fin de la guerre des Camisards jusqu’au milieu du dix-huitième siècle, ainsi que la vaste série des correspondances qui en motivent les mesures et en expliquent les résultats, on parvient à suivre les progrès si difficiles de la discipline, et à découvrir les faits les plus dignes d’être relatés aujourd’hui. Ce sont là, pour les églises de France, les affaires domestiques et de famille de ces temps orageux. Mais il faut y joindre la connaissance de leurs rapports avec la cour, de l’effet que les nouvelles de leur développement y produisaient, et des mesures qu’ils suggéraient à l’administration suivant l’urgence et la gravité des cas. Les arrêts des parlements, et les faits d’une intolérance le plus souvent capricieuse et locale, mis en regard des réflexions et de la conduite des pasteurs du désert, ne suffisent plus pour cette histoire des rapports du gouvernement du royaume avec les églises. Sous ce rapport, il faut consulter spécialement les Mémoires, qui furent composés à diverses époques à Paris ou à Versailles par les magistrats surtout, et qui, rédigés d’après les dépêches des gouverneurs et des intendants, ainsi que sur les lettres des évêques, nous laissent voir quelles idées le gouvernement entretenait sur l’état des églises et quelles nouvelles mesures il crut devoir prendre à l’égard des communautés qui renaissaient sans cesse, bien que le code de Louis XIV, confirmé par son successeur, eût prétendu nier leur existence d’une manière absolue. L’examen de ces documents administratifs peut servir à jeter de grandes lumières sur le fait le plus inconcevable de toute cette époque ; l’obstination extraordinaire avec laquelle un gouvernement fort peu empreint du fanatisme des temps passés, tentait sans cesse de ramener au giron catholique les églises, qui résistaient depuis près de cent ans aux vexations comme aux supplices, obstination d’autant plus inexplicable, que le dernier effort sérieux qu’il fit à ce sujet faillit rallumer la guerre des Camisards au milieu du siècle.

Un jurisconsulte qui a laissé un nom distingué dans la magistrature française, Joly de Fleury (Guillaume-François), avait été promu à l’office de procureur général près le parlement de Paris, en 1717, et en remplacement de d’Aguesseau, lorsque ce dernier fut nommé chancelier de France. Une grande clarté de vues administratives et judiciaires, l’absence de presque tout préjugé dévot, le talent de faire prévaloir les opinions générales de l’homme d’État sur les prétentions des partis qui voulaient toujours pousser les questions à l’extrême, telles étaient les qualités qui distinguaient ses consultations. Sa tendance vers le gallicanisme contribuait à lui faire apprécier plus sainement l’état des protestants français. Joly de Fleury, et les plus distingués de ses confrères dans la magistrature du temps, parmi lesquels il faut citer le procureur général au parlement d’Aix, Ripert de Monclar, dont il sera question plus bas, ne pouvaient se dissimuler l’épouvantable désordre que les édits de religion introduisaient dans l’état des familles, à cause de la multitude de mariages, soit hypocrites, célébrés devant l’Église, soit nuls et concubinaires aux yeux de la loi, célébrés au désert. Ils voyaient bien que les réformés, dont on niait l’existence, existaient cependant en grand nombre, et que les édits mettaient les conjoints protestants dans l’alternative ou d’afficher une hypocrisie dont les prêtres même n’étaient plus la dupe, ou de léguer la bâtardise à leurs enfants. Cet état de choses empira au point que les évêques et curés du Languedoc reconnurent que les nouveaux convertis n’étaient rien moins que convertis à la foi catholique ; que les sacrements de mariage et de baptême qu’ils venaient recevoir étaient par eux assimilés à des formalités sans valeur que les rigueurs des édits leur faisaient seules accepter ; que leur adhésion était uniquement un acte de par le roi où leur conscience n’entrait pour rien, et qu’après ces sacrements comme avant, les parties restaient toujours de la religion prétendue réformée. Il y avait hypocrisie chez beaucoup de religionnaires : ce point ne saurait être contesté ; mais ces actes, qu’ils regardaient à tort comme extérieurs et cérémoniels, leur étaient commandés sous peine des galères et de la ruine d’eux-mêmes et de leurs enfants ; est-ce donc à eux ou aux édits tyranniques qu’il faut renvoyer le poids de cette duplicité ? Mais le clergé du Languedoc surtout s’en était trop clairement aperçu : il jeta les hauts cris ; il déclara, non sans fondement, que dans une foule de cas les mariages des nouveaux convertis devant ses autels étaient un fait d’hypocrisie et de sacrilège. Pour ce dernier point, une foule d’hommes honnêtes chez le clergé déclarèrent qu’ils ne voulaient pas en être complices, et qu’ils ne marieraient plus les nouveaux convertis ; mais il était expressément ordonné aux protestants de se marier devant l’Église, et, sous des peines très-sévères, de ne se marier que là ; telle fut donc leur position, que vers cette époque ils ne pouvaient se marier devant les ministres, ni se marier devant leurs curés. Sans contredit, c’était une des plus singulières conséquences auxquelles un code intolérant ait jamais abouti.

Sans parler du point de vue d’humanité et de tolérance dont on s’occupait assez peu, si l’on jugeait la question sous le seul rapport administratif, il était clair que cet état de choses ne pouvait durer. C’est ce que Joly de Fleury sentit parfaitement. Ce fut l’occasion du Mémoire[110] qu’il composa pour le Conseil du roi, quoique ce magistrat se fût alors retiré de sa place, et qu’il travaillât dans la retraite que sa vieillesse avancée lui avait fait prendre. On voit clairement, dans cette pièce, les embarras de la cour vis-à-vis les protestants, et les causes qui amenèrent indirectement un surcroît de persécution, de 1750 à 1762, persécution qui n’était pas dans le but de l’auteur et qui faillit ranimer la guerre camisarde : ce sont ces mémoires qui seuls nous permettront de découvrir comment les vigoureuses mesures disciplinaires que nous avons vu prendre par les églises furent jugées par la cour.

Joly de Fleury convient d’abord que la situation du Languedoc, par rapport aux religionnaires, est telle, que le gouvernement s’est vu souvent contraint, surtout dans les temps de guerre, de ne pas suivre à la rigueur la disposition des ordonnances ; que, par rapport aux évêques, « ils se rendent de jour en jour plus difficiles ; » cette remarque portait sur leur refus de bénir les mariages des nouveaux convertis. Il faut maintenant remonter plus haut. Suivant ce magistrat, la guerre de 1688 n’avait pas produit autant de fermentation sur les religionnaires que celles qui vinrent après ; mais la guerre de la succession et les désastres des armées françaises avaient relevé leur courage. Ils se flattèrent qu’après la paix on leur permettrait l’exercice de leur religion. « Nos ennemis leur envoyèrent des prédicants, » disait Joly de Fleury, assertion que tous les travaux d’Antoine Court et de ses premiers collègues démentent assez. Suivant ce magistrat, les liaisons du régent avec l’Angleterre donnèrent quelque espoir aux églises, de telle sorte qu’elles publièrent de nouveau que l’exercice de leur religion serait rétabli. On songea alors à y remédier par une nouvelle loi renfermant la substance de plus de deux cents édits, déclarations ou arrêts qui étaient presque ignorés. « M. le chancelier d’Aguesseau y travailla. Pendant le ministère du cardinal Dubois, on reçut des nouvelles de la Guyenne, de la Saintonge, du Languedoc, où les religionnaires s’assemblaient et méprisaient les lois du royaume, surtout relativement aux baptêmes et aux mariages. On reprit le système d’une nouvelle loi après la mort de M. le duc d’Orléans. Le projet fut consommé par la déclaration du 14 mai 1724. » (Mémoire). Telle fut l’origine de l’édit cruel que nous avons apprécié plus haut. Il fut jugé nécessaire par la cour, pour réfuter les bruits de tolérance qui s’élevaient çà et là dans les églises, et qui coûtèrent plus tard la vie aux ministres Rang, Roger, et Désubas. Il paraît que les exhortations des synodes ne furent pas sans effet ; suivant ce mémoire, le commandant du Languedoc, le maréchal de La Fare, que nous avons déjà vu en correspondance avec l’évêque d’Alais, transmit en 1728 un mémoire à la cour, où il déclare que l’abus des baptêmes et des mariages recommençait, principalement par les difficultés que les évêques et curés y apportaient. Les protestants se voyant réduits par la force à se présenter devant les prêtres pour se marier, s’en vengeaient par la dissimulation ; ce qui révoltait les évêques. Cet abus fut porté au point que le cardinal de Fleury eut quelque idée, en 1729, de faire à ce sujet un règlement mitigé, qui eût autorisé deux sortes de mariage ; d’abord, l’ancien mariage catholique, le sacrement ; et ensuite un autre « dont le contrat ou si l’on veut l’engagement serait simplement béni par le prêtre, avec l’eau et le signe de la croix, et qui, sans être sacrement, aurait cependant tous les effets civils. » Ce projet singulier et inexécutable fut approuvé par le cardinal de Rohan et combattu par le cardinal de Bissy. Il fallut que la pratique des mariages au désert fût bien constante, pour que le cardinal de Fleury ait eu même une pensée de ce genre, qui répugnait alors non moins aux lois de l’Église qu’à celles de l’État.

« Les excès » sur les mariages et les baptêmes se renouvelèrent en 1732, et il fut de nouveau question de faire une nouvelle loi « sur toute la matière des mariages, en ne distinguant pas les catholiques des nouveaux convertis ; mais la guerre qui survint suspendit tout et donna lieu aux religionnaires de mépriser la disposition des lois précédentes avec une licence sans bornes ; » enfin, suivant Joly de Fleury, pendant la guerre qui se termina par le traité d’Aix-la-Chapelle, « les religionnaires s’étaient portés aux derniers excès ; » proposition vague et dangereuse, qui ne prouve que trop combien toutes les sages précautions des pasteurs du désert, le soin extrême qu’ils mettaient à prêcher la résignation et la patience, leur ferme et patriotique conduite devant l’invasion ennemie en Provence, furent peu connus ou mal appréciés à la cour. Il serait possible d’ailleurs que, par cette expression, le magistrat eût entendu la simple convocation des assemblées et la déclaration formelle faite maintes fois par les églises aux intendants et à la cour, qu’elles ne pouvaient, en aucun cas, s’engager à renoncer au culte public et en commun.

On voit donc que l’existence et l’application de tant d’édits persécuteurs, soutenues par des condamnations plus que sévères que nous allons même voir se multiplier, non seulement n’avaient pu extirper les protestants, mais qu’elles n’avaient abouti qu’à placer l’administration dans la position la plus embarrassante. Les protestants du désert, comme nous l’avons déjà remarqué, réduits à la dissimulation par la violence, allaient se marier et allaient faire baptiser leurs enfants, à l’église catholique ; puis ils sortaient de l’église, et restaient protestants. Il y eut même très-probablement bon nombre de ces cérémonies, qui furent célébrées à la fois à l’église et au désert : en premier lieu, par l’obligation des édits, en second lieu, par l’obligation de la conscience. Tout ceci, comme nous l’avons vu, était fortement interdit par les synodes ; la réprimande à la tête des assemblées, ainsi que la suspension de la sainte Cène, punissait de tels accommodements. Mais il est bien prouvé que ces transactions avaient lieu le plus souvent, et que la grande masse des réformés préféraient accorder à l’église dominante un signe extérieur d’adhésion de quelques minutes, au danger de voir l’état de leurs femmes et de leurs enfants compromis et annulés suivant la teneur expresse des édits. Le résultat de cette dissimulation arrachée par la force fut que le clergé catholique lui-même hésita sur la question de savoir s’il devait bénir des mariages, qui, à ses yeux, se réduisaient à une pure et simple profanation du sacrement, lesquels n’engageaient aucunement ceux qui les réclamaient à se ranger en l’église romaine.

Voyons maintenant quels étaient les remèdes que les magistrats suggéraient au conseil pour sortir de cette confusion ; l’examen de ce point nous fera découvrir les causes de la crise de persécution qui désola bientôt les églises, qui amena chez elles un commencement de prise d’armes, ou au moins un commencement d’hostilités.

Les difficultés les plus sérieuses venaient d’un certain nombre d’évêques, et des curés de plusieurs diocèses du Languedoc, dont les usages étaient fort différents de ceux du clergé du ressort du Parlement de Paris, peut-être à cause de leur position même dans ces contrées, où les partis religieux étaient perpétuellement en présence. Les curés du Vivarais et des Cévennes savaient très-bien qu’une foule de mariages, qu’ils bénissaient, n’appartenaient à la religion catholique que pour la forme, qu’ils étaient, en vérité pure, des mariages protestants ; ils savaient de plus que beaucoup de mariages avaient lieu au désert, et que par conséquent une foule des enfants qu’on leur présentait étaient issus de mariages protestants et seraient élevés protestants. Ainsi, dans les contrées où il y avait beaucoup de prétendus nouveaux convertis, le clergé catholique, victime lui-même de la rigueur de ces édits, dont la tyrannie et l’injustice appelaient et justifiaient en quelque sorte l’hypocrisie des réformés, était réduit à célébrer de véritables baptêmes et mariages protestants au fond, mais catholiques pour la forme. C’était un résultat de l’intolérance, que personne n’avait prévu. Dans cet état de choses, plusieurs ecclésiastiques eurent recours à l’expédient d’ajouter la qualification de bâtard ou illégitime à l’inscription de baptême d’un enfant des nouveaux convertis ; remède contraire au bon sens, puisque l’enfant était censé né de parents réunis à l’église, d’après les déclarations des édits. Joly de Fleury condamne cet usage sans restriction. Les principes fort sages en la matière, qu’il présenta au conseil, méritent d’être signalés ; ils servirent de point de départ aux mesures qui ne furent pleinement adoptées que trente-cinq ans plus tard, sous Louis XVI. L’ancien procureur-général au parlement de Paris proposait, quant au baptême, le maintien des principes constamment suivis en matière de constatation d’état. Puisque les religionnaires reconnaissaient la validité du baptême administré dans l’église catholique, la marche était facile à suivre. D’après Joly de Fleury, les pasteurs en aucun cas ne sont juges de l’état des hommes ; différents des notaires, qui, lorsqu’ils attestent que deux ou plusieurs personnes, qu’ils doivent connaître, se sont promises telles et telles choses l’une à l’autre, attestent en même temps la vérité du contenu de l’acte comme en ayant été le témoin, les ecclésiastiques n’attestent jamais le sexe, la paternité, la maternité, que sur le témoignage d’autrui ; le ministre ne peut rien attester comme témoin direct, si ce n’est que telle personne lui a apporté un enfant et qu’il lui a administré le baptême ; tous les autres faits, le curé n’atteste point qu’il en a la connaissance personnelle, mais seulement qu’ils lui ont été dits par les personnes présentes ; dès lors, le prêtre qui baptise doit écrire littéralement ce qu’on lui dicte, sans retranchement et sans addition, et même ce qui pourrait être de sa connaissance sur la légitimité ou sur la bâtardise n’est point de son ressort ; ce serait décider de l’état des sujets du roi, dont il ne peut être le juge ; dans les cas des protestants, où ils n’exigent d’inscrire que le nom du père et de la mère, sans ajouter les qualités de mariés ou de légitimés, rien ne serait plus contraire aux devoirs de celui qui baptise, que d’ajouter de son chef le terme de bâtard ; après une sommation qui serait faite au curé, s’il persistait, ce serait un abus, et il serait condamné par le juge ; en Languedoc, le parlement de Toulouse ne refuserait pas son ministère sur un objet aussi évident et aussi important. C’est ainsi que Joly de Fleury déniait absolument au clergé catholique, alors même qu’il remplissait le devoir de l’officier civil, le droit de s’immiscer dans les questions d’état, lorsque son dogme paraissait l’y déterminer. C’était lui conseiller de fermer constamment les yeux sur le fait patent de l’existence des réformés, conseil d’une théorie facile, mais d’une pratique impossible.

Le Mémoire traite, d’une manière non moins lumineuse, la question du mariage des protestants ; il tend également à modérer, sous ce rapport, les prétentions du clergé, spécialement en Languedoc. Dans les diocèses où les réformés continuaient, sous le nom menteur de nouveaux convertis, de former une fraction considérable et quelquefois la grande majorité de la population, les réformés désobéissaient aux synodes et se mariaient ostensiblement devant les curés, sans cesser d’être protestants, ni de reconnaître leurs ministres, ni de suivre le culte du désert. Comme pour le baptême, c’était une cérémonie et rien de plus. Le clergé voyait le mal et ne pouvait le guérir ni l’arrêter. Dans cette position, les évêques du Languedoc imaginèrent de leur chef d’entourer la cérémonie du mariage de nouvelles formalités, non facultatives et tendant à une bonne célébration, mais inhibitoires et dirimantes. De sorte que les protestants, quoiqu’ils fussent censés pleinement catholiques, se trouvaient dans une situation pire que celle des anciens catholiques. Cette prétention consistait à exiger des parties, comme clause indispensable et préalable, la confession, la communion et même une abjuration par écrit. On pouvait craindre que de telles conditions n’éloignassent entièrement les réformés de la pratique du mariage légal ; alors des populations entières eussent vécu sans état civil d’aucun genre. Ce plan, c’était un cas d’abus ; car de telles conditions n’étaient pas dans les édits ; ce n’était qu’arbitrairement que le clergé les déduisait même du droit canon. La discussion de ce point par Joly de Fleury offre encore beaucoup d’intérêt. Il commençait par établir devant le conseil du roi que ni le concile de Trente, ni les conciles français qui se tinrent ensuite, ni l’ordonnance de Blois qui régla quels étaient les décrets de discipline du concile qui seraient reçus par l’église gallicane, n’avaient considéré la confession comme un préalable de nécessité avant la bénédiction nuptiale ; que cette prétendue nécessité n’est que de conseil et une simple exhortation (Sancta Synodus hortatur, etc., Sess. 24, cap. 1) ; que même cette exhortation ne saurait être reconnue en France, ayant été rendue lors de la retraite des ambassadeurs français de Trente à Venise par ordre de Charles ix. D’ailleurs, suivant le procureur général, les nouveaux convertis ne refusaient pas de rapporter un billet de confession. Quant à des abjurations par écrit, ou même verbales, on ne voit point que, hors de la province du Languedoc, on ait jamais pensé à les exiger ; elles seraient bien plus abusives encore, si l’on observe que les édits ne connaissant en France que des sujets professant la religion catholique, les évêques doivent juger que tous leurs diocésains l’ont embrassée.

Malgré ces raisonnements, il restait bien démontré qu’une foule de réformés ne se pliaient que par une contrainte évidente à l’observation compulsoire du rit romain ; et c’était là le point délicat qui blessait le clergé. Le procureur général allait au-devant de la difficulté par cette observation : « On sait bien que les évêques diront qu’une espèce de notoriété publique, le refus d’aller à l’église, d’y présenter les enfants pour le baptême, et leur concours aux assemblées où l’on baptise et où l’on marie, sont des circonstances de fait qui détruisent cette présomption portée par la déclaration de 1715 et de 1724, que tous les sujets du roi ont embrassé la religion catholique, apostolique et romaine. » (Mém., p. 154.) Sous ce rapport, les évêques avaient indubitablement raison. Mais l’administration combattait leurs scrupules en disant que la notoriété publique n’existait pas en France, à moins qu’elle ne fût fondée sur un jugement, et que le catholicisme des nouveaux convertis était fondé sur une présomption de fait à laquelle les curés devaient se soumettre ; que les nouveaux convertis ayant été en tout assimilés aux anciens catholiques, les évêques n’avaient nullement le droit d’établir à leur égard une nouvelle discipline ; qu’enfin, exiger, soit la communion, soit une profession de foi, soit un acte d’abjuration par écrit, ne pouvait servir qu’à faire faire des mariages de mauvaise foi, et à entretenir de semblables pratiques dans des assemblées interdites. D’autres faits, cités par Joly de Fleury, font encore mieux apprécier la position des protestants dans le Languedoc. D’après un mémoire transmis par un ecclésiastique au cardinal de Fleury, le curé languedocien affirmait que, lorsque des nouveaux convertis venaient à lui pour se confesser, à l’effet de contracter mariage, alors même qu’il leur refusait l’absolution, le secret de la confession le forçait à donner un certificat de l’acte de pénitence, sur lequel ils étaient ensuite admis au mariage. L’abus si fréquent d’une dissimulation contre laquelle le clergé ne pouvait absolument rien faire, détermina les évêques en 1733, 1739 et 1743, à proposer que les protestants pour se marier devaient toujours rapporter les certificats de l’accomplissement du devoir pascal, et actes d’abjuration ; mais les magistrats du Parlement rejetèrent cette prétention, comme abusive et insolite. Jamais ces formalités n’avaient été jugées nécessaires ; « pourquoi donc les demander, disait Joly de Fleury, dans un temps où les religionnaires sont plus aigris et plus agités ? » D’ailleurs, il n’en est pas du mariage comme des autres sacrements, dont le prêtre seul est le ministre. L’essence du sacrement de mariage est dans le consentement des deux contractants. La bénédiction du prêtre, quoique fort ancienne dans la loi évangélique, n’a été établie que par un usage, et n’est pas de forme essentielle, originaire et primitive. Au surplus, suivant le sage conseil de Joly de Fleury, ce principe, qui est exact, ne devait pas toutefois être mis devant les yeux des évêques, qui, peu instruits des véritables principes et jaloux uniquement de leur autorité, contestent les principes les plus assurés ; il n’en est pas besoin pour autoriser les juges royaux d’en connaître, si le clergé s’obstine abusivement à soumettre le mariage à la nécessité de la communion et de l’abjuration par écrit. L’ancien procureur général concluait enfin que le prêtre devait compte de son refus au juge royal ; que les contractants avaient droit, s’il refusait, de lui faire des sommations, attendu que nul évêque ou curé n’a le droit d’introduire dans l’administration du mariage, « dont la notoriété est toute temporelle, » aucune forme ou condition non expressément autorisée par les lois de l’église ou de l’État ; qu’enfin, en ce qui concernait le Languedoc, le procureur général du roi au parlement de Toulouse avait le droit d’obtenir devant la cour arrêt enjoignant au curé de passer outre, sous peine de saisie du temporel.

Nous avons cru devoir faire connaître avec quelques détails cette consultation de Joly de Fleury, moins pour exposer des principes dont aujourd’hui tous les jurisconsultes ont reconnu la justesse, que pour démontrer combien les mesures de l’édit de tolérance de Louis XVI existaient alors en germe dans les meilleurs esprits, et pour faire mieux apprécier, par ce tableau non suspect, la position des protestants français. Quant à leurs intérêts et à la possibilité de constater leur état civil, même par des concessions déguisées que la sévérité des édits excuse peut-être suffisamment, il y avait lutte ouverte et formelle entre le clergé et le gouvernement. Il est également évident que la question ne présentait de tous les côtés qu’un expédient sans issue. Le gouvernement cherchait uniquement à sauver la paix publique, et se contentait d’exiger l’exécution de la lettre des édits, sans prétendre pénétrer plus avant ; le clergé visait à en faire exécuter l’esprit, et se voyait, avec un dégoût d’ailleurs fort naturel, exposé à être chaque jour l’impuissant témoin et même l’officieux complice de cérémonies commandées impérieusement par les lois, mais sans action et de nulle valeur au fond des consciences. Le clergé fit un effort pour sortir de cette fausse position ; tentative funeste, que nous aurons à raconter, et qui faillit amener de très-grands malheurs.

Sur ces entrefaites, les églises du midi, comme si elles eussent prévu le nouvel orage qui allait fondre sur elles, avaient recours à divers moyens pour conjurer le danger. Tous furent impuissants. Cependant, vers 1750, et en général depuis la paix d’Aix-la-Chapelle, les protestants du midi jouissaient d’une certaine tranquillité ; dans le nord également, le culte se réveillait et prenait plus de consistance ; le ministre Préneuf passa à Jersey, après avoir courageusement servi la province de Normandie, où il eut pour successeur le ministre Gautier, touchant lequel Court écrivait ainsi aux églises du midi ; « Gautier fait des merveilles en Normandie ; sans ce jeune homme, cette province serait à présent abandonnée, ce qui serait un grand mal ; il y est fort chéri, et un cri public a demandé sa consécration, qui lui a été accordée par un colloque génevois. » (Lett. à P. Rab., 26 avril 1750.) Le calme succédant à une persécution si constante, elles se flattaient de voir leur religion fleurir à l’ombre de la tolérance, quelque incomplète qu’elle fût. C’est à cette époque qu’il faut faire remonter l’origine d’une intrigue qui se présenta plusieurs fois. Les églises avaient songé à s’adresser aux puissances étrangères professant leur communion, pour obtenir la délivrance des galériens condamnés à perpétuité pour fait de s’être trouvés à des assemblées religieuses. Le prince stathouder de Hollande leur fît savoir « qu’il ne négligerait rien pour faire procurer aux pauvres frères la liberté, étant porté d’inclination et d’un vrai zèle à cette bonne œuvre. » Le synode wallon, assemblé à Amsterdam, joignit ses instances à celles des protestants de France. Mais il paraît que quelques serviteurs trop officieux des églises, qui résidaient probablement à Paris, avec mission intéressée sans doute en cette affaire, écrivirent à leurs frères, à Marseille et à Lausanne, qu’ils eussent à lever une contribution de douze mille à quinze mille livres, jugée nécessaire pour rompre les chaînes des confesseurs. La proposition fut fort sagement rejetée, surtout par les conseils du ministre A. Court, à Lausanne. Les églises pensèrent qu’il était très-dangereux d’offrir de l’argent pour la délivrance des galériens ; que c’était ouvrir la porte à la cupidité, et fournir aux gens en crédit, qui aimeraient à s’enrichir aux dépens de l’innocence, un appât pour faire augmenter le nombre et la rigueur des arrêts criminels. Nous verrons cependant qu’on eut quelquefois recours avec succès à ce moyen vénal.

D’autres projets plus utiles et plus vastes furent proposés. Les états de la province de Languedoc étaient assemblés. Les grandes questions qui divisèrent toujours l’État et l’église s’y présentèrent, de même que devant l’assemblée du clergé à Paris, la même année. Il s’agissait de l’immunité des biens ecclésiastiques. Les évêques regardaient l’intendant de la province, comme un ennemi chargé de faire contribuer aux dépenses du royaume un riche corps ecclésiastique, qui ne voulait y contribuer que par ses prières. Le débat fut porté au point, entre la cour et la représentation provinciale, que le roi cassa, avec censure, les délibérations de la chambre du clergé comme ayant sacrifié les intérêts de la province à ses vues particulières. La difficulté portait spécialement sur l’octroi de l’imposition foncière du vingtième. Les protestants résolurent de suivre une marche tout opposée. Ils adressèrent au comte de Saint-Florentin (17 mars) et à l’intendant du Languedoc Lenain (3 mars), une déclaration signée, dans le placet remis à ce dernier, des pasteurs Defferre, Pradel, Gal, Paul Rabaut, Simon Gibert, Molines, par laquelle ils protestaient, au nom des églises, qu’elles étaient prêtes à payer le nouvel impôt sans murmure. Cette pièce rappelait aussi la conduite loyale des réformés, lorsque les Autrichiens étaient sur la ligne du Var, et demandait quelque allégement à la persécution. (Lettr. Mss. P. R.) Il paraît que le clergé, qui avait refusé le vingtième, découvrit cette modeste requête des églises, et qu’il tenta d’en neutraliser l’effet. Il parut craindre que la soumission des réformés aux désirs de la cour n’ouvrît les voies à une tolérance prochaine. Aussi la même lettre que l’archevêque de Toulouse fit parvenir au gouvernement, au nom des vingt évêques du Languedoc, dans laquelle il proteste de sa soumission et de celle de ses collègues, déclarant qu’ils n’ont rien fait qui ne soit du privilège essentiel des états de la province, contient aussi le passage suivant qui mérite d’être rapporté : « La sainteté de leur caractère, et leur position au milieu de tant de brebis égarées du sein de l’Église, dit le prélat, rend la justification plus nécessaire. En effet, comment pourront-ils souffrir sans se plaindre un reproche si propre à les rendre plus odieux à ces frères séparés, dont on a tout lieu de craindre que l’apparence de soumission, qu’on fait tant valoir en cette circonstance, ne cache le pernicieux objet qu’ils n’ont jamais perdu de vue de faire au moins tolérer ou dissimuler le service de leur religion. » (29 mars 1750.) Singulière requête de ces prélats, qui, tandis qu’ils refusaient les subsides publics, s’effrayaient que les protestants les accordassent, et qui se montraient, dans cette circonstance, aussi prodigues en conseils d’intolérance qu’ils étaient économes en votes d’argent !

Cependant la conduite des églises ; qui déclarèrent, par la voie des cinq pasteurs que nous avons cités, qu’elles consentaient à l’imposition, n’eut point des suites heureuses. Cette démarche, qui formait contraste avec celle du clergé, redoubla son aigreur contre les réformés, qui n’avaient pas craint de sacrifier les privilèges de la province à l’espoir d’un adoucissement à leur sort. C’était aussi l’époque où toute la correspondance des intendants révélait leurs débats avec les évêques sur la question des nouveaux convertis, où le conseil était fort divisé sur la marche qu’il fallait suivre, où il ressortait évidemment de la situation des protestants que leur nombre restait à peu près le même, et que le code des édits les plus rigoureux était annulé chaque jour par une adhésion feinte qu’il était impossible de combattre. Il paraît que l’influence du clergé sur la haute administration s’exerça habilement dans cette situation nouvelle, où les démarches des réformés du Languedoc avaient paru faire le procès aux siennes sur la question de l’imposition provinciale. Le clergé ayant représenté au conseil que la guerre pouvait recommencer à chaque instant, que dès lors les troupes ne seraient plus disponibles, que les religionnaires constituaient toujours un noyau de révolte inquiétant pour la paix publique, et que d’ailleurs leur souplesse devant les édits de conversion prouvait plus de complaisance que de conviction, n’eut point de peine à porter le conseil à lui donner satisfaction en adoptant des mesures plus fortes, et à profiter d’un intervalle où la paix durait encore. Nous verrons toutefois qu’ici la lutte recommença entre l’administration et le sacerdoce, et que la première essaya maintes fois de tempérer la rigueur de l’exécution des ordonnances, sans cependant avoir pu empêcher les choses d’être poussées très-loin.

Deux gouverneurs, M. de Saint-Jal, qui commandait en Provence, et l’intendant Lenain en Languedoc, occupés uniquement d’assurer la tranquillité publique, fermaient les yeux sur le fait des assemblées, que toutes les rigueurs de la déclaration de 1724 ne parvenaient pas à prévenir. Ils faisaient plus ; ils correspondaient avec les ministres, quand ils jugeaient à propos de manifester leurs craintes ou leurs volontés aux populations protestantes[111]. C’est ainsi que le pasteur Paul Rabaut correspondait avec l’intendant Lenain, touchant son séjour en Languedoc, et pour garantir que l’esprit soumis des fidèles ne permettait de concevoir aucune inquiétude sur de prétendus projets de révolte. L’intendant Lenain mourut ; alors on envoya son successeur en Languedoc avec ces deux missions : l’une, de faire exécuter avec rigueur tous les anciens règlements, et l’autre, de tâcher de faire entrer les évêques du Languedoc dans les vues de l’administration concernant les baptêmes et les mariages, c’est-à-dire d’obtenir qu’ils n’exigeassent point de signatures et autres actes d’abjuration extra-disciplinaires. Comme l’observe très-bien le Mémoire que nous citons, de cette double mission, le premier article était cruel, le second inutile. Aucun ne réussit ; encore une fois ni la force ni les négociations ne purent ruiner les églises.

Toutes les questions, tant celles des cérémonies spirituelles protestantes qui perpétuaient les églises, et qui annulaient toutes les espérances des évêques, que celles des assemblées qui effrayaient sans cesse le gouvernement, tenaient à un seul point, l’existence des ministres. C’étaient eux qui principalement ralliaient les troupeaux, qui maintenaient la ferveur religieuse, et qui empêchaient les communautés de se fondre lentement dans la masse catholique.

Pour bien faire apprécier, à la moitié du siècle, après tant de persécutions, l’organisation ecclésiastique des églises, nous ajouterons plus bas le texte complet des minutes du Synode National de 1756, parce que c’est le seul de notre nombreuse collection mss. avec celui de 1763, qui donne, selon l’ancien usage, le rôle complet des pasteurs qui desservaient les églises du désert. On sera sans doute bien aise de lire textuellement un de ces documents, avec toutes ses dispositions disciplinaires, et d’avoir sous les yeux la liste officielle de ces hommes dignes de mémoire, qui étaient sans cesse proscrits par les édits de Louis XIV (Pièc. Just. n. viii).

D’ailleurs, l’habile et sévère organisation synodale depuis la guerre des Camisards, organisation en tout semblable à celle des anciens temps, qui avaient donné tant de puissance au parti calviniste ; les prédications fréquentes ; le séminaire de Lausanne où de nouveaux sujets se formaient chaque jour ; enfin la correspondance officielle de cinq ministres avec l’intendant : tels furent sans doute les motifs de ce redoublement de persécution, qui vint fondre sur les églises de France, et qui commença pour elles un nouvel intervalle d’environ douze ans de malheurs plus ou moins constants, entrecoupés de périodes de calme plus ou moins prolongées, dans l’espace desquelles elles comptèrent leurs derniers martyrs. Nous verrons comment la guerre des Camisards faillit se rallumer.

Le tableau de ces derniers événements jusqu’à l’édit de l’état civil, si lentement élaboré par le conseil des rois, remplira la seconde partie de cet ouvrage. Seulement, en jetant les yeux sur l’espace que nous venons de parcourir et sur les choses que nous venons de raconter, ne pourrait-on pas logiquement en induire quelques préjugés légitimes, selon le mot de Nicole, en faveur d’une foi qui sut inspirer tant de puissance, tant de résignation, tant d’articles de sage organisation et tant de piété, au milieu de ses malheurs et de ses continuels orages.

Cette dernière considération touche au fond de la doctrine des églises réformées françaises ; c’est une question de conviction et non une question de fait ; elle sort dès lors du strict domaine de l’histoire et nous ne devons pas nous y arrêter. Nous aurons, d’ailleurs, de nombreuses occasions de relever l’originalité des faits, que nous avons déjà indiqués, et qui résultent de cette histoire. On ne verra pas aujourd’hui sans étonnement le tableau de ces croyances, source de tant de malheurs pour leurs disciples et si chères à leur foi, de ces croyances qui, au milieu du siècle des Voltaire et des Montesquieu, s’estimèrent heureuses de pouvoir célébrer leurs rites en plein jour et de renoncer au mystère de la nuit. On se rappellera qu’après le synode national de 1744 elles furent obligées de retourner aux cavernes et aux ténèbres ; après cela, on découvre, avec un vif mouvement de surprise, que cette religion proscrite et réprimée, comme une secte sauvage et immonde, du temps de Louis XV, était simplement la foi chrétienne réformée, la foi d’une grande et puissante partie du monde chrétien. Le philosophe ne manquera pas de remarquer combien est contraire aux analogies, et à beaucoup de théories reçues de nos jours, le fait de ces églises du désert, appartenant à une race tout à fait méridionale, et cependant ayant conservé si obstinément et si longtemps leur culte et leur croyance, sans aucun temple ni signe extérieur qui pût faire appel aux imaginations. Le symbolisme n’est donc point nécessaire à un culte fervent et profond, même au milieu des populations du midi de l’Europe. Ce fait remarquable peut déjà être conclu des nombreux renseignements que nous avons insérés touchant la vie intérieure et dogmatique des églises du désert. Il sera pleinement confirmé par la suite de leurs annales, lorsque, étendant le cercle de nos recherches domestiques et ecclésiastiques, nous appellerons en témoignage les archives administratives et inédites du gouvernement de Louis XV. Nous verrons alors combien la foi du désert, si tenace et si simple, si dénuée de toute force externe et si riche de la puissance du dedans, fut un objet aussi embarrassant qu’il était incompréhensible pour les évêques, pour les commandants et pour les hommes d’état.

Seulement, en terminant cette première partie des annales du désert, il nous est difficile de ne pas dire un mot de la position philosophique de leur temps. Il nous est difficile de ne pas tâcher au moins d’y trouver l’explication de cette lutte, à la fois glorieuse et déplorable, dont nous avons fait connaître quelques uns des principaux traits, dont nous avons mentionné quelques unes des plus généreuses victimes. On ne comprend guère la position des églises du désert et les sévérités qui s’y passaient, au milieu d’une époque aussi éclairée que celle du milieu du xviiie siècle, en présence des lumières philosophiques qui affluaient et de la cour et de Paris. Il est vrai que, dans ce temps de l’histoire de France, le conseil de nos rois, servile conservateur des édits de Louis XIV, resta trop fidèle à ses funestes traditions. La plus notable amélioration sortit du cœur d’un soldat. Elle fut suggérée sans doute par les souvenirs d’une guerre qui se rattache à l’époque que nous avons parcourue. En 1746, le maréchal de Belle-Isle avait été chargé de repousser les Autrichiens des plaines de la Provence ; il avait vu de près les églises du désert ; il avait été témoin de leur fidélité. Il s’en souvint lorsque, plus tard, il signala son passage au ministère de la guerre 1759.
21 juillet.
par la création de l’ordre du Mérite militaire, pour les officiers protestants que l’obligation de prêter un serment tout catholique éloignait de la croix de Saint-Louis. Ce fut la seule mesure du gouvernement de Louis XV, où le monarque parut faire un pas vers la reconnaissance officielle de quelques droits chez des protestants au service de France. Encore cette tardive justice fut-elle restreinte à de braves étrangers qui combattaient sous les lys, tels que les Nassau-Saarbruck et les Wurmser, tandis que les militaires et la noblesse protestante française ne purent pas encore aspirer à ce prix du sang versé pour leur patrie. Nos anciennes familles nationales, restées fidèles à la réformation, telles que les Ségur-Pardaillan, et tant d’autres, durent se contenter de leur épée pour décoration d’honneur. Mais, au moins, l’on doit reconnaître, que, dans cette fondation de l’illustre général, qui acquit la Lorraine à la France, il y eut une pensée d’égalité pour ses camarades de l’autre foi.

Des idées de ce genre ne parurent point s’offrir aux plus illustres philosophes du temps. Au milieu des sauvages dévastations par lesquelles les commandants pour le roi réprimèrent les espérances des églises du désert, après la mort de Louis XIV, on jouait à Paris l’Œdipe de Voltaire (1716), avec ses déclamations contre un sacerdoce ambitieux. L’année qui suivit la cruelle déclaration de 1724, où les églises furent si impitoyablement proscrites par M. le duc de Bourbon, fut aussi celle d’un très-notable événement littéraire ; la publication du poème de la Henriade, où Voltaire entreprit une trop longue réfutation systématique du fanatisme de la Ligue, sans s’être douté que son épopée était de l’histoire pour les provinces du désert, où l’on évoquait les édits de Louis-le-Grand. Les tirades républicaines du Brutus se débitaient en 1730, entre les supplices des ministres Alexandre Roussel et Pierre Durand. Les gracieuses et transparentes allégories des Lettres persanes furent sans cesse polies et retouchées par leur auteur, magistrat dans cette province de Guyenne, où des familles entières furent ajournées et poursuivies ; cependant Montesquieu jugeait la foi dominante avec une complète sévérité (Lett. pers., no 118) ; il connaissait et il appréciait la foi du désert, comme le montre son admirable épître sur la Bible au pasteur Vernet ; il dominait de toute la hauteur de son génie le bigotisme mesquin, comme le prouvent les paroles presque protestantes de son dernier soupir : « Je veux tout sacrifier à la religion, mais rien aux jésuites. » Cependant on ne voit pas que les événements, qui alors désolaient les églises du désert, aient obtenu de ce philosophe instruit et humain un mot de sympathie ou même d’attention. Il ne mena point son censeur Usbeck jusqu’à la tour solitaire de Constance.

Un fait aussi singulier méritait d’être indiqué. Ce fut un résultat de l’esprit général du siècle. Les églises du désert étaient très-peu connues. Elles jetaient un éclat privé, qui se perdait dans les masses populaires qui les composaient. Le peu de noblesse languedocienne, qui y restait, attachée, se maintenait dans une obscurité prudente. Elles furent poursuivies par les intendants ; elles furent condamnées par les magistrats ; elles furent ignorées par les beaux esprits. Déjà Rousseau composait ses brillants paradoxes contre l’utilité des sciences (1751), et D’Alembert appliquait la méthode de Descartes aux projets encyclopédiques de Bacon (1752) ; mais ni l’un ni l’autre ne songeaient à descendre de leurs hauteurs intellectuelles, pour s’enquérir des droits des Français persécutés. Il fallut, bien plus tard, la terrible aventure du vieux Calas pour remuer les philosophes. C’est que, d’une part, les pasteurs du désert étaient invisibles et proscrits aux yeux de la loi, et, par conséquent, obscurs et introuvables ; et que, d’autre part, ils étaient profondément religieux, ce qui les éloignait d’autant de la philosophie du jour. Nous trouverons en effet dans la correspondance des pasteurs du désert, durant le reste du siècle, des plaintes nombreuses et des remarques très-fines sur les progrès de l’esprit incrédule, qui était alors une affaire de mode irrésistible. Nous verrons même qu’ils furent un peu gênés de l’appui de Voltaire, et qu’ils craignirent d’être exposés à payer sa haute protection un peu trop cher.

Des circonstances politiques et légales, plus simples encore, expliquent cette obscurité. Il n’y avait alors en France aucun journal politique, aucune liberté de presse quelconque, ni pour les protestants, ni pour personne. De ce vaste corps, dont la surface était si brillante, aucune partie ne pouvait ressentir vivement ce qui faisait souffrir les autres régions.

Il faut encore ajouter que l’intérêt des réfugiés français, à l’étranger, pour leurs frères du désert languedocien, ne pouvait être aussi vif après un demi-siècle d’exil, et Saurin n’était plus là pour entretenir l’image d’une patrie qui s’effaçait. De nouveaux liens, une nationalité toujours plus intime, se contractaient dans les pays d’asile. Toutes ces colonies ne tardèrent pas à oublier plus ou moins complètement une métropole lointaine et souffrante, d’autant plus que le précieux établissement de Lausanne, joint aux soins et à l’activité extrêmes du pasteur Antoine Court, jusqu’à sa mort, en 1760, concentrait et suppléait tout l’intérêt et toutes les sympathies, que les étrangers protestants eussent été disposés à accorder aux églises du désert. Aussi, nous verrons, dans la vaste correspondance de Paul Rabaut, que les affaires des églises se traitaient principalement entre le bas Languedoc, l’agence de Lausanne, et les chapelains de l’ambassade de Hollande à Paris. C’était là le cercle fervent où elles se renfermaient ; on conçoit assez bien, dès lors, comment elles eurent peu de relations, soit avec les pays protestants de l’Europe, soit surtout avec les cercles philosophiques de la capitale.

Leur isolement, pour ainsi dire, au milieu de l’Europe, au milieu des beaux esprits de la France, est un des traits singuliers de leur histoire[112]. Cet isolement nous prive de pouvoir montrer l’impression que faisaient leurs malheurs et leur sort sur le public. Nous ne le pouvons, puisque les écrivains n’en parlent aucunement pour ainsi dire. Nous ne pouvons apprécier ce qu’en pensaient les esprits du jour. Les brillants écrivains de la France philosophique du xviiie siècle, par une raison de silence qui remplaça l’égoïsme de Dangeau, ont été encore moins explicites que ce courtisan frivole sur les aventures des hérétiques français. Ils ne se sont pas informés du sort de tant de leurs compatriotes, qui se tenaient obstinément hors de la loi commune, acceptant, par respect pour leur foi, de vivre comme les parias d’une nation civilisée. Nous ferons voir, dans la suite de cet ouvrage, que la position de la race qui ressembla le plus dans toute l’Europe à celle des protestants français, celle des catholiques irlandais à l’égard du gouvernement britannique anglican, ne saurait aucunement se comparer, sous le point de vue civil et de culte, à celle des protestants du désert vis à vis des édits de nos rois. Il faut donc avoir recours aux pièces inédites et aux brèves indications jetées dans la correspondance secrète du désert, pour deviner, autant que cela est possible aujourd’hui, le jugement des contemporains et l’impression générale, quant aux lois compliquées et iniques qui pesaient sur les sujets protestants. On découvre alors assez clairement, et non sans quelque satisfaction, que ces lois ne furent jamais populaires. La cour, excitée par des conseils dévots et funestes, engagea et arrêta pendant bien longtemps nos lois religieuses dans une voie déplorable et féconde en malheurs de tous genres ; mais la nation française n’approuva point toutes ces choses ; il n’y eut jamais chez elle de haine ni de fureur d’oppression contre ses frères protestants. Les lois qui régissaient les églises du désert ne furent pas plus populaires en France, que ne l’avaient été celles de la révocation de l’édit de Nantes[113]. Nous prouverons cette assertion par une foule d’exemples. Nous nous bornerons cette fois à deux remarques consolantes, honorables pour l’esprit français, et qui font quelque bien au cœur après toute cette série d’injustices que nous avons été forcés de peindre. Il ne faut pas oublier que ce fut du milieu des parlements les plus acharnés à la ruine des églises du désert, ceux de Grenoble et d’Aix, que s’élevèrent bientôt, par les écrits et les sages harangues des Ripert de Monclar et des Servan, les protestations les plus éloquentes en faveur des Français protestants persécutés et de leur état civil foulé et méconnu. Il faut surtout se rappeler que, jusqu’à la veille de la révolution française, les édits intolérants ne furent point abolis ; qu’ils formaient toujours la législation du temps ; et que, toutefois lentement et par le seul effet des lumières, ils étaient devenus absolument inexécutables. Tombés en une désuétude complète, ils furent enfin totalement abandonnés par les magistrats comme par l’administration, et il y avait longtemps que la verge des oppresseurs s’était flétrie lorsque Louis XVI acheva de la briser. Il faut donc reconnaître que l’opinion publique de la France, dès qu’elle put agir au xviiie siècle, répudia sans hésiter le monstrueux héritage des édits de Louis XIV. Plus tard, la France, agissant enfin librement par ses représentants, rétablit l’édit de Nantes ; elle fit mieux encore ; elle fit une chose et plus sage et plus sainte ; elle décréta l’égalité de tous les cultes devant la loi civile. En écrivant ces dernières lignes, nous anticipons sur la conclusion de notre ouvrage ; mais nous avons encore bien des mauvais temps à raconter ; condamnés à rentrer dans cette nuit d’oppression sans fanatisme, nous nous plaisons à y prévoir l’instant religieux, tant souhaité par les protestants du désert, où le jour de la tolérance devra se lever.




PIÈCES JUSTIFICATIVES.



No I.[114]
QUESTION POLITIQUE.
doit-on conserver ou abolir les lois pénales contre
les prostestants de france ?

Il n’est besoin ici ni d’art ni d’éloquence pour répondre à cette question ; il suffit de faire un catalogue de ces lois. L’humanité y est insultée de la manière la plus outrageante, la plus vulgaire politique y est violée ; elles sont si visiblement impraticables, qu’en général elles restent sans exécution, mais elles n’en déshonorent pas moins la nation qui les conserve et qui s’en sert comme d’un glaive toujours nu, pour effrayer des sujets utiles. Elles sont l’opprobre de la France ; et s’obstiner à les garder, c’est se moquer ouvertement de l’équité, et s’offrir en dérision à l’Europe entière.

Professions dont les protestants sont exclus par ces lois.
4 Mars 1685, 19 janvier 1684. — Offices de la maison du roi et des autres maisons royales. Secrétaires du roi ; leurs veuves protestantes également déchues de leurs privilèges.
Règlement des fermes du 11 juin 1680. — Fermes générales. Les protestants ne peuvent être fermiers du roi. Adjudicataires participes ou intéressés ; sous-fermiers, directeurs des fermes, capitaines, contrôleurs commis, brigadiers, archers, gardes ni employés.
17 Août 1680. — Ils ne peuvent être receveurs-généraux des finances, ni employés en aucune manière au recouvrement des deniers du roi.
27 Septembre 1682, — Ni officiers des maréchaussées, receveurs des consignations et saisies réelles.
6 Novembre — 1679, 11 janv. 1680, 23 août 1680, 2 déc. 1680, 25 juin 1685, 20 novembre 1685, — Ni officiers de justice, aux parlements, dans les cours inférieures, dans les justices des seigneurs, ni des consuls dans les communautés.
28 Juin 1681, 21 février 1682, 16 juillet 1682, 11 juillet 1685, 8 novembre 1685, 17 novembre 1685, 10 juillet 1685. — Ils ne peuvent être avocats, procureurs, notaires, greffiers, procureurs postulants, huissiers, sergents, recors, élèves de juges, avocats ou autres.
9 Juil. 1685, 22 janv. 1685, 6 août 1685, 15 septembre 1685. — Ils ne peuvent être libraires, imprimeurs, épiciers, médecins, apothicaires, chirurgiens.
9 Juin 1685. — Ils ne peuvent prendre les biens ecclésiastiques à ferme.
21 Août 1684. — On ne doit point les prendre pour experts.
9 Mars 1682. — On doit préférer les catholiques pour louer les chevaux.
20 Février 1680. — Les femmes protestantes ne peuvent faire les fonctions de sages-femmes.
20 Décembre 1682. — Une loi particulière au diocèse de Castres, c’est que les artisans protestants ne pourront y être plus du tiers : les protestants remplissaient le pays.
3 Juillet 1685. Les protestants ne peuvent servir de domestiques chez les protestants.
12 Janvier 1685. — Ni les catholiques non plus ; en sorte que les protestants ne pouvaient se faire servir.
13 Mai 1681. — Les protestants ne peuvent prendre des apprentis de leur secte.
13 Décembre 1698. — Dans aucune charge publique, et pour prendre les degrés en droit ou en médecine, on ne pourra se dispenser d’apporter un certificat de catholicisme. Ces certificats sont exigibles dans toutes les corporations d’artisans, dans les corps du commerce pour y être syndic, etc., etc.

Ces terribles lois interdisent donc l’eau et le feu ; elles ôtent le pain et la subsistance. J’avoue qu’on s’en affranchit par des sacrilèges, qu’on obtient un certificat de catholicité pour un écu ; et c’est ainsi que des lois vicieuses multiplient les vices et corrompent les sujets. Mais, dit-on, ces lois sont tombées en désuétude. Qu’en faites-vous donc ? Pourquoi les garder, s’il est absurde et atroce de les exécuter. D’ailleurs, elles sont souvent invoquées, et il arrive que les plus vertueux des protestants, ne pouvant se résoudre à des actes d’hypocrisie, sont privés d’entrer dans plusieurs professions et punis de leur vertu.

Lois ridicules.
17 Juin 1681. — Celle qui permet aux enfants de se convertir à l’âge de sept ans ; elle est injuste de plus en ce qu’elle les autorise à quitter leurs parents et force ceux-ci à leur faire une pension hors de la maison paternelle.
25 Janvier 1683. — Celle qui veut que les mahométans ou idolâtres qui voudraient embrasser la religion protestante ne le puissent, mais qu’ils se fassent catholiques.
Août 1685. — Celle qui défend aux ministres de parler directement ou indirectement de la religion catholique.
16 Juin 1681. — Celle qui leur défend, ainsi qu’aux anciens, d’empêcher les protestants de se faire catholiques.
..... — Celle qui défend aux écuyers protestants de donner des leçons d’équitation.
..... — Celle qui défend aux protestants de louer des chevaux, de faire des souliers, etc., etc.
Lois qui attentent à l’autorité paternelle.

J’en ai cité quelques-unes ; il y en a d’autres qui ordonnent :

6 Septembre 1683. — Que les enfants nés avant le mariage d’un père protestant lui seront enlevés pour être catholiques ;
12 Juillet 1685. — Que les enfants des veuves protestantes seront catholiques ;
Janvier 1686. — Que les femmes et veuves protestantes seront déchues de leurs droits, et leurs enfants soustraits à leur autorité ;
2 Mai 1686. — Que les enfants qui n’iront point aux instructions publiques seront enlevés à leurs pères ;
Édit révocatif. Octobre 1685. — Que les protestants ne pourront avoir des écoles.
Lois barbares.
 4 Septembre 1684. — Celle qui défend aux protestants de recevoir chez eux des pauvres malades.
19 Novembre 1680, 7 avril 1681, 29 avril 1684. — Celle qui ordonne aux juges ordinaires syndics et marguilliers de se transporter chez les malades pour s’informer s’ils veulent embrasser la religion catholique ; celle qui fait traîner nus, sur la claie, les cadavres des protestants qui ont refusé de se convertir ;
21 Août 1684. — Celle qui enlève aux pauvres des protestants leurs biens pour les appliquer aux hôpitaux ;
30 Juillet, 1689. — Celle qui veut que les pères, frères et autres parents de ceux des réfugiés qui servent dans les pays étrangers soient bannis du royaume ;
Octobre 1685. — Celle qui, après avoir permis aux protestants de rester dans le royaume, leur conservant la jouissance des droits civils, leur défend d’en sortir ;
12 Octobre 1687. — Celle qui condamne à la mort ceux qui facilitent leur évasion.
20 Août 1685, 14 juillet 1682. — Celles qui donnent la moitié des biens des fugitifs à leurs dénonciateurs et autorisent ainsi la délation, l’érigent en vertu.
1724. — Celle qui condamne aux galères l’homme honnête qui loge un ministre.
Octobre 1685, 13 mai 1679, 22 mars 1690. — Celles qui punissent les relaps, c’est-à-dire les protestants qui, ayant feint de se convertir, en ont du regret ; celles qui appellent ce remords un crime.
Lois qui attentent à la liberté naturelle des consciences.
Octobre 1685, 1715, 1724. — Celles qui défendent aux protestants d’adorer Dieu à leur manière et les contraignent d’être catholiques ; celles qui excluent leur culte, condamnent à la mort les ministres du culte ; qui ordonnent aux protestants de prendre les sacrements qu’ils refusent, et aux prêtres catholiques de les leur administrer et de commettre des sacrilèges.

Et, pour abréger, toutes ces lois gênent la conscience des protestants, en les obligeant de renoncer à leur croyance ; elles sont souverainement vicieuses, si elles se contentent d’en faire des hypocrites.

Voilà un effroyable code, et il y a loin de cette législation à celle de la Pensylvanie et de Massachusets-Bay. Il est cependant en France des gens qui ne voient pas la nécessité de les abroger ; cette subversion de toute justice ne les étonne point. D’autres disent froidement qu’elles sont tombées en désuétude. D’abord, cela n’est pas vrai ; il s’en exécute toujours quelqu’une quelque part ; car il suffit qu’un homme lâche et bas les invoque, pour que des juges formalistes, surtout dans les tribunaux inférieurs, ne veuillent ou n’osent se refuser à leur exécution. Mais ne voit-on pas qu’elles effraient les protestants, qu’elles détournent les étrangers de s’établir en France et les fils des réfugiés d’y rentrer ; qu’elles contrastent avec la politique européenne et la douceur française ; qu’il ne faut qu’un ministère faible ou dur pour les remettre en vigueur ; que si elles sont tombées en désuétude, il faut les abroger comme inutiles ; que si elles n’y sont pas tombées, il faut les abroger, parce qu’elles sont atroces ; qu’il y a mille raisons pour les abolir, et pas une pour les conserver.

Je n’ai rien dit des horreurs qu’a occasionnée l’exécution de ces lois frappant à tort et à travers sur deux millions d’hommes : les galères ont été longtemps remplies de protestants, les cachots de prisonniers, les maisons fortes de femmes et filles rasées ; les émigrations n’ont cessé qu’en 1755 et 1756. Les amendes rigoureusement exigées monteraient à des sommes exorbitantes, si on les calculait. Il n’y a guère plus de vingt-cinq ans qu’on ne tire plus à brûle-pourpoint sur les protestants assemblés pour prier Dieu. Voilà les cruautés que l’on laisse à nos neveux le pouvoir d’exécuter encore, si on leur conserve les lois pénales. — Nous avons en horreur la Saint-Barthélemi ; les étrangers le croiront-ils, s’ils nous voient garder un code fait par le même génie infernal, et qui pendant soixante ans a entretenu en France une Saint-Barthélemi perpétuelle. S’ils ne pouvaient pas nous appeler le plus barbare de tous les peuples, ils seraient fondés à juger que nous en sommes le plus inconséquent[115].


No II.[116]

La lettre qu’on va lire, émanée de l’intendant du Languedoc, Baville, en 1698, fut adressée par lui sans doute à un ecclésiastique qui demandait la grâce de quelques prisonniers, et peut-être à Fléchier, l’évêque de Nîmes. Nous plaçons ici un passage de l’Histoire des Camisards, par Antoine Court, passage historique, qui explique suffisamment à quelle occasion l’intendant du Languedoc écrivit la lettre que nous citons ci-après. On verra que, sauf quelques variantes dans les chiffres, il y a un entier accord entre les détails du pasteur et ceux du cruel intendant. Il faut d’abord remarquer que Louis XIV, immédiatement après la paix de Ryswick, rendit une déclaration qui défendait aux protestants du Languedoc ou Cévennes de s’établir à Orange et d’y faire aucun exercice de la religion (23 nov. 1697). « Les protestants persécutés pour leurs assemblées (du désert) coururent en foule à Orange, dès que la paix y eut rétabli l’exercice de leur religion ; on venait de retirer les gardes qu’on avait placés sur les frontières, pour empêcher les réformés d’aller dans cette principauté ; et le bruit s’était répandu qu’on pouvait s’y rendre sans crainte. Ils arrivèrent en effet à Orange sans obstacle. Leur âme était dans le ravissement de voir et d’entendre encore une fois des ministres en liberté : mais leur joie ne fut pas de longue durée. Les habitants de Caderousse les attendaient au passage ; ils se jetèrent sur eux, les maltraitèrent, les volèrent, les mirent en chemise, et dans cet état les conduisirent aux prisons du château de Roquemaure, d’où de Baville, intendant du Languedoc, les fit transférer à Montpellier. Quatre-vingt-dix-sept hommes et trente-huit femmes ou filles y furent conduits, attachés deux à deux ; et dès le 26 septembre (1698), soixante-onze hommes furent condamnés aux galères perpétuelles et leurs biens confisqués, et dix-neuf personnes du sexe renfermées dans le château de Sommières. Cet événement, qui mit plus de quatre cents familles en deuil, plongea tous les réformés de la province dans la plus vive affliction ; mais il ne fut pas capable d’arrêter le cours des assemblées. » (Vol. l, p. 9-10.)


« J’ai les mains trop liées, Monsieur, pour faire grâce à personne. Je fus réveillé avant-hier par un courrier de M. de Châteauneuf, qui m’a apporté l’ordonnance du roi ci-jointe, avec ordre de ne faire grâce à personne ; de juger quatre-vingts hommes et une femme suivant la rigueur de l’ordonnance. J’avais proposé de faire décimer ces malheureux, et que l’exemple se fît omnium metu, paucorum pœnâ, en les faisant tirer au billet, comme j’ai vu faire une fois à Nîmes. Mais le maître ne l’a pas voulu et a été sensiblement indigné. Voilà un grand exemple, et qui doit rendre sages ces gens-là, s’ils le peuvent être ; joint à cela toutes les précautions que nous avons prises, de faire entourer de partis gardés dans le comtat toute la principauté d’Orange, et de mettre encore une seconde ligne de gardes dans le Languedoc, tout le long du Rhosne. Je fais publier partout l’ordonnance que je vous envoie. Vous verrez qu’avec tous ces ordres, Lenquet passera mal son temps avec un nommé Ribes, qui est encore plus riche que lui. J’ai ordre de juger quatre-vingts prisonniers ; il s’en trouve quatre-vingt-seize ; mais j’ai été obligé d’en épargner seize, qui m’ont paru les moins coupables par leur jeunesse, étant au-dessoubs de dix-huit ans ; les lois voulant que ce soit une cause pour modérer la peine et ces seize jeunes garçons ne sont que des paysans. Ainsi j’ai fermé l’oreille à toute recommandation. Vous avez fait votre métier et j’ai fait le mien.

« Mon fils vous assure de ses respects et vous remercie de l’honneur de votre souvenir.

« L’exemple d’Orange rabattra peut-être la fierté de vos gens ; il n’y a que Dieu qui sache ce que deviendra l’affaire de la religion, et je crois que ceux qui y travaillent ont encore des idées bien confuses. Il serait pourtant bien facile d’y donner une forme qui serait sans inconvénient. Je suis avec respect votre très-humble et très-obéissant serviteur.

« Delamoignon de Basville
À Montpellier, 24 septembre 1698.
« Tournés.

« J’ai condamné ce matin soixante-seize malheureux aux galères, dont Ribes et Lanquet sont les premiers. Ils sont inexcusables ; je souhaite que cet exemple soit le dernier. Si les docteurs de Paris savaient la peine que nous donne l’affaire de la religion, ils nous laisseraient faire à notre mode. »


On peut se borner à remarquer, à propos de ce doux post-scriptum de l’intendant Baville, que ce fut à force de donner des exemples de ce genre, que lui, et les administrateurs qui partageaient ses vues, réussirent à faire éclater l’effroyable guerre religieuse des Camisards, avec laquelle il fallut négocier et qui faillit embraser tout le midi du royaume.

No III.

Les listes que nous donnons ici sont de l’année 1707 ; elles sont extraites des registres officiels des églises wallonnes (françaises) des provinces unies de Hollande. Si on les compare aux listes détaillées du grand ouvrage de Benoît (Hist. de la rév. de l’Édit de Nantes, tom. iii, addit.) de l’année 1695 et à celles que nous donnons ci-après, qui répondent à l’année 1734 et suivantes jusqu’en 1760, on aura une statistique fidèle et assez complète des noms des protestants qui furent détenus sur les galères royales de Marseille, de Toulon et de Dunkerque, sous Louis XIV et Louis XV, pour crime de religion. En comparant les listes de 1695 avec celles de 1707, nous trouvons plusieurs noms communs sur les mêmes galères, ce qui n’a rien d’étonnant ; la répétition montre seulement qu’en 1707 plusieurs de ces infortunés étaient déjà dans le bagne depuis douze années. D’après les listes du pasteur Élie Benoît, il y avait aussi des galériens protestants sur les chiourmes de Brest, de Saint-Malo et de Bordeaux ; nous pensons que plus tard, c’étaient les seules galères de Toulon qui recevaient les condamnés par suite des peines prononcées par les édits de Louis XIV contre les Français protestants.

EXTRAIT DES ARTICLES DU DERNIER SYNODE
DES ÉGLISES WALLONNES DU PAYS-BAS,
Tenu à Gouda le 19 avril et jours suivants 1708.
ARTICLE XXXI.

À la lecture de l’article 36e du synode précédent, la compagnie, qui est toujours vivement touchée des souffrances continuelles de nos frères confesseurs sur les galères, et qui ne cesse, en admirant la constance et la grâce de Dieu en eux, de présenter des prières ardentes au père des miséricordes pour leur consolation et leur délivrance, ayant appris que les sources des charitez ont beaucoup diminué depuis un an, et qu’ils ont été plus dénuez de secours ; elle renouvelle fortement son exhortation aux églises pour les obliger à s’élargir de plus en plus en faveur de nosdits frères. Elle loue celles qui l’ont fait nouvellement, et elle recommande à toutes les autres de ne se point relâcher en bienfaisant, vu que le nombre de ces fidèles va au-delà de trois cent quatre-vingts, et qu’ils ont besoin d’une continuelle assistance. Elle charge tous les députez du synode de remercier, chacun dans leur ville, MM. nos très-honorez frères les pasteurs flamands des charitez qu’ils ont déjà si généreusement et si libéralement fournies, et de les exhorter à continuer encore leurs soins, tant dans leurs consistoires que dans leurs classes et dans leurs synodes, pour exciter les compassions des églises flamandes et en obtenir de nouveaux secours qui seront fidèlement envoyez à ces dignes athlètes du Seigneur, comme ils l’ont été jusqu’icy, selon que cela a paru encore dans cette assemblée par les contes que les églises d’Amsterdam et de Rotterdam ont rendus par leurs députez.

Au-dessous est écrit :
G. Baux, président,
J. Guillebert, Scribe.
Concordat originali, quod attestor.
Signé Abrahamus Signard,
Pastor ecclesiæ Gallicanæ Medioburgensis.
LISTE DES CONFESSEURS DE LA RELIGION RÉFORMÉE QUI SONT DANS
LES CACHOTS ET SUR LES GALÈRES À MARSEILLE.
Prisonniers dans
le château d’Yf.


Pierre Saire.
Jean Saire.
Jean-Bapt. Bansillon.
Élie Morin.
Les 2 frères Carière.

Jean Maunier de La Croix
Jean Favan


Dans le château de
St.-Nicolas.

Pierre Buleau de Lansonnière, mort en 1707 aux prisons de l’hôpital.
Desalgas (le baron)
Sur la galère
La vieille Réale
André Valet.

Jean Garnier.
Philippe Alix.
Pierre Peraud.
Cardin Guilmod.
Jean Senegat.
Antoine Astrueq.
Jean-Franç. Malblanq.
Étienne Bertrand.
Charles Meton.
Isaac Petit.
Jean Dodé.
Jean Piron.

Claude Audon.
Étienne Bernard.
Philippe Turc.
Daniel Cors.
Antoine Beauvière.
Pierre Diedier.
Jean Jullien.
Anthoine Mejavel.
Pierre Ramond.
Louis Capelier.
Pierre Paloyer.
Jean Prunier.
Abraham Janoir.
Jean Billaud.
Joachim Lotre.
Henry Benton.
Étienne Michel.
Anthoine Penard.
Daniel Conte.
Jean Jacques Chebert.
Jacques Gandouin.
Étienne Tardieu.
Pierre Touril.
Jacques Morel.
Jean Maruege.
Daniel Rouselin.
David Reboul.
Pierre Lucas.
Claude Lambastier.
Jean Le Febvre.
Jean Mesebergue.
Simon Pineau.
Pierre Boyer.
Pierre Lauzet.
Jean Gallien.
Jean Vilvaret.
Étienne Arnalle.
Nicolas Rollinnie.
Jean Sabourin.
Jean Flotte.
Jean Destample.
Claude Villarette.
Jean Royer.
Jean Imbert.
Jean Fesquet.
Claude Joussaud.
Louis Manuel.
Daniel Bourget.

Sur la galère
Esclatante.

Jean Muston.
Estienne Salle.
André Pellecœur.
Michel Chabrit.
Pierre Boulonge.


Sur la galère
La Grande Réale.

Abel Damouin.
Clément Patron.
Estienne Damouin.
Pierre Gay.
Jean Morin.
Jacques Buland.
Abel Comenaud.
Jean Bonelle.
Pierre Sylvin.
Thomas Boller.


Sur la galère
Fière

André Piers.
Jacques Soulerot.


Sur la galère
Magnifique.

David Laget.
Gabriel Can.
Marc-Anthoine Reboul.
Jean-Pierre Dintre.


Sur la galère
l’Ambitieuse.

Marc-Anthoine Damouin.
Jean Beautias.
Jean Gachon.
Jean Comère.
Estienne Pescheu.
Pierre Bastide.
Pierre Menadier.
Josué Chesnau.
André Archibaud.
Anthoine Perier.
Pierre de Paux.
Samuel de Bedat.
Jean Bourdier.
Pierre Legues.
Benjamin Germain,
André Meunier.
David Pons.
Abraham Plantefère.


Sur la galère
Galante.

Elle Pichot.
Jean Soulage.
Jean Durand.
Jean Lostalet.
Pierre Augerau.
Pierre l’Orfelin.


Sur la galère
Souveraine.

Pierre Peridier.
Isaac Beaumont.
Claude Pavie.
Pierre Moulin.
Anthoine Platon.
Louis Du Claux.


Sur la galère
Forte.

Jean Liron.
Jean Vestiau.
Jacques Morot.
Anthoine Chabert.
Daniel Arsacq.
Louis Cochet.
Jacques Castanier.
Gabriel Laurant.


Sur la galère
la Valeur.

Pierre Alix.
David Fesier.
Étienne Gout.
Pierre Bertaud.
Jean Galien.
François Rocheblime.
Jean Cazal.
Salomon Bourget.


Sur la galère
Superbe.

François Courtesaire.
Jacques Bruzin.
Jacques Vigne.
Pierre Preval.
Marc-Anthoine Capduc.
Jonas Fournachon.


Sur la galère
Madame.

Moyse Renaud.
David Conte.
Jean Raugeron.
Jean Bernard.
Louis Ysoire.
Israël Bouchet.

Sur la galère
Héroïne.

Pierre Maillé.
Pierre Garnier.
Étienne Corps.
Claude Savilet.
Charles Sabatier.
Jean David Petit.
Piere de Bled.
Louis Marles.
Jean Pierre.
Jean-Jacques Gras.
Anthoine Prujat.


Sur la galère
la Perle.

François Auger.
Jacques Piedmarin.
Jacques Martel.
Allexandre Brunel.
Étienne Gelabert.


Sur la galère
la Fleur-de-Lis.

Étienne Fer.
Jacques Chau.


Sur la galère
Dauphine.

Jacques Faucet.
Anthoine Falon.
Jean Bereu.
Thomas Bernard.
Matthieu Deunis.
André Rechias.
Bertrant Aurèle.


Sur la galère
la France.

Charles Bouin.
Jean-Pierre Clerq.


Sur la galère
Amazone.

Joseph Bois de la Tour.
Jean Laurand.
Jean Semenes.
Bartholemy Rossignol.
Jacques du Four.
Jean Dodé.
Jaques Gaigneux.
Jean Molle.
Philippe Hauch.
Nicolas Julien.
Anthoine Mercier.
Daniel Aubet.
François Sabatier.
Jaques Serguieres.
Jean Rouvière.
Pierre Martinangue.


Sur la galère
La Magnanime.

Allexandre Asier.
Jean Martin.
Pierre Roumegeon.
Guillaume Bonhoste.


Sur la galère
la Princesse.

Pierre du Maes.
Pierre Caplan.
Jacques Blanc.
Jean Giraud.
Jacques du Pont.
Daniel Rayau.
Pierre Misaule.
Jean Viaud.


Sur la galère
la Réale.

Antoine Privat.


Sur la galère
la Couronne.

André Gazau.


Sur la galère
la Conquérante.

Jacques Cochet.
Pierre Richard.
David Volle.
Pierre Bonet.


Sur la galère
la Gloire.

Marc Audout.
Jean Gansse.
Étienne Sermes.
Joseph Serbière.
Jean Vincent.
Pierre Chapelle.
Jean Chapelle.
Jacques Brujat.
David Bersot.


Sur la galère
Favorite.

Pierre Mazet.
David Douvier,
Élie-Franç. Le Doux.


Sur la galère
l’Invincible.

François Quintin.
Guillaume Roux.
Jean Marcelin.


Sur la galère
la duchesse.

David Fessonnière.
Abraham Fouverin.
Jacques Durand.


Sur la galère
la fidèle.

Jacques Péridier.
Joseph Guigne.


Sur la galère
la guerrière.

Jean Lardant.


DUNKERQUE.
Sur la galère
la marquise.

Élie Heruat.
Philippe Fardieu.
Jean Naigre.
David Puche.
David Loret.
Jean Jacques.
Jean Espase.
Zacharie Massip.


Sur la galère
la martiale.

Jean Severacq.
Pierre Quiet.

Sur la galère
Émeraude.

Étienne Grange.
Antoine Aguillon.
Isaac Aposlolie.
Matthieu Pelanchon.
Pierre Gasuel.
Paul Lorier.
Isaac Lunadier.



Sur la galère
la Palme.

Pierre Baraqua.
Jean Bancillon.
Jean Barte.
Pierre Nadat.


Sur la galère
l’Heureuse.

Daniel Le Gras.
Pierre Blanc.
Jean Barbier.


Sur la galère
la Triomphante.

André Bousquet.
Pierre Montasier.
Jean Bourlié.
Pierre La Fond.
Michel Gascuet.
Pierre Soulerot.

Sur la présente liste on trouvera qu’il y a des confesseurs dans les cachots de Marseille
9  personnes.
Sur trente galères qui sont à Marseille
222​ — ​
Sur six galères qui sont à Dunkerque
30​ — ​
Auquel nombre il faut ajouter les noms de ceux qui sont venus en galère depuis l’année 1702, qui se monte à
58​ — ​
Le tout
319  personnes.
NOMS DE CEUX QUI SONT VENUS EN GALÈRE
DEPUIS l’année 1702.

Jacques Brun.
Jean Malbernard.
Roustand Gleise.
Pierre Foussatie.
Denin Ustin.
Paul Aumedes.
Charles Pau.
Pierre Cervière.
François Bourier.
Jean Favas.
Jacques Colas.
Jacques Fontanelle.
Jean Manuel.
Anthoine Chabrol.
Daniel Puche.
Jean Fabre.
Louis Bourguet.
Anthoine Noé.
Pierre Valgaliere.
Pierre Cors.
Jean Rampon.
Julien Capelier.
François Bigot.
Jacques Thomas.
Noël Biesot.
Jacques Olivier.
Jean Pierre.
François Martinel.
Pierre Lebat.
Adrien Jenar.
Louis Brugière.
Jacques Roquelle.
Jean Mommegan.
Jacques Brier.
Pierre Fournelle.
Israël Bernard.
Louis Coste.
Jean Lacombe.
André Roux.
Adam Castan.
Jacques Brunelle.
Foulcanan Soulier.
Jean Planque.
Pierre Pontier.
Claude Aguillon.
Jean Baradon.
Jean Roussin.
Jacques Fabre.
Jean Lequel.
Jean Fusiès.
Marc Foucar.
Jacques Cordile.
Jean Lantierez.
Joseph Ricard.
David Mafre.
André Metger.
Antoine Cordile.
Jacques Cors.



No IV.
Tableau de la tournée du pasteur Antoine Court parmi les
églises du bas Languedoc et des Cévennes en 1728.
1728. Lieu de départ Lieu de l’assembl. Dist. du lieu de départ à celui de l’assemblée.
Mai 4
Nîmes
x
1 lieue
5
x
Calvisson
1 1/4
7
Calvisson
Lunel
2
9
Lunel
Vauvert
3
21
Vauvert
Saint-Hyppolite
9
23
Saint-Hyppolite
Vendras et Lussan
2 1/2
24
Vendras et Lussan
Saint-Laurent, Saint-Quintin
3
26
Saint-Quintin
Uzès
» 1/2
27
Uzès
Guarrigues
1 1/2
30
Guarrigues
Nîmes
3 1/2
31
Nîmes
Saint-Geniès
4
Juin. 1
Saint-Geniès
Ledignan
1 3/4
3
Ledignan
Brenoux
5 1/2
5
Brenoux
Chamborigaud
3 1/2
Dimanc. 6
Chamborigaud
Pont-de-Mont-Vert
8
7 — — — — — ibid. 1
8
Pont-de-Mont-Vert
Florac
5
9
Florac
Saint-Germain de Calberte
5
12
Saint-Germain de Calberte
Barre
3
13
Barre
Saint-André de Valborgne
2
14
Saint-André de Valborgne
Valleraugue
2
16
Valleraugue
Meyrueis
4
18
Meyrueis
Vigan
5
19
Vigan
Roquedur
1 1/2
20
Roquedur
Saint-Hyppolite et Ganges
3 1/2
21
Ganges
Quissac
2 1/2
22
Quissac
Lezau
2
26 ibid. ibid. 0
29
Lezan
Saint-Paul la Coste
3
Juillet, 2
Saint-Paul la Coste
Saint-Roman
4
4
Saint-Roman
Anduze
4
5
Anduze
Sauve
3
32 Assemblées au désert.
Total
98 1/2 l.



No V.

Nous insérons d’après l’ouvrage du pasteur Antoine Court (Le Patriote français et impartial, p. 530)[117], la liste des pasteurs, qui furent exécutés par arrêt des intendants de province ou des parlements, depuis l’année qui suivit la révocation de l’édit de Nantes jusque vers la fin du règne de xv. Nous avons rectifié et complété ce triste catalogue d’après nos pièces. Cette liste n’est pas complète : elle donnera cependant le nombre approché des pasteurs du désert, qui furent exécutés uniquement pour le crime d’avoir exercé leurs fonctions. Plusieurs cependant furent jugés de plus pour révolte ou pour prétendues menées politiques. On remarquera que notre liste ne renferme que les pasteurs officiellement ordonnés suivant la discipline des églises de France, à l’exclusion des pasteurs, dits prédicants, des Cévennes et bas Languedoc, dont Baville ordonna les nombreux supplices.

Condamnés par arrêt de l’intendant Lamoignon de Baville.
Les Pasteurs :
1. Fulcran Rey, ministre du bas Languedoc, exécuté à Beaucaire le 8 juillet 1686.
2. Manuel Dalgue de la Faldeur, idem à Nîmes, le 25 juin 1687.
3. David Bertezène, de Valeraugues, idem à Saint-Hyppolite, janvier 1689.
4. Jean-Pierre Poisson, idem à Nîmes, le 15 novembre 1689.
5. Dombres, idem à Nîmes, le 15 novembre 1689.
6. Mazel dit Olivier, idem à Montpellier, le 11 février 1690.
7. David Quet, idem à Montpellier, le 17 juin 1690.
Condamnés par l’intendant Lamoignon de Baville.
(On ne parle pas du nombre considérable de prédicants de la guerre des Camisards que le même intendant fit exécuter).
8. Bonnemère, proposant de Montpellier, exécuté le 17 juin 1690.
9. Roussel de Sainte-Croix de Caderles, exécuté à Montpellier, le 3 janvier 1691.
10. Étienne et Paul Plans, frères, exécutés à Montpellier, le 16 juin 1692.
11. Colognac, exécuté à Marsillargues, le 13 octobre 1693.
12. Papus, exécuté à Montpellier, le 8 mars 1695.
13. La Porte, exécuté à Montpellier, le 27 février 1696.
14. Henri Guérin, exécuté à Montpellier, le 22 juin 1696.
15. Pierre Plans, exécuté à Montpellier, en 1697.
16. Claude Brousson, exécuté à Montpellier, le 4 novembre 1698.
17. Étienne Arnaud, exécuté à Alais, le 22 janvier 1718.
Condamnés par l’intendant du Languedoc, Bernage
de Saint-Maurice.
(On ne parle pas de plusieurs ministres, tels que Jean Vesson, qui furent déposés par les synodes du désert. Voyez, sur ce dernier, l’Évangéliste, 1840, p. 136).
18. Alexandre Roussel, exécuté à Montpellier, le 30 novembre 1728.
19. Pierre Durand, exécuté à Montpellier, le 22 avril 1732.
Condamnés par le parlement de Grenoble.
20. Louis Ranc, exécuté à Die, le 3 mars 1745.
21. Jacques Roger, exécuté à Grenoble, le 22 mai 1745.
Condamné par l’intendant du Languedoc, chevalier Lenain.
22. Mathieu Majal, dit Desubas, exécuté à Montpellier, le 2 février 1746[118].
Condamnés par l’intendant du Languedoc, Guignard
de Saint-Priest.
23. François Benezet, exécuté à Montpellier, le 27 mars 1752.
24. François Teissier, dit Lafage, exécuté, à Montpellier, le 17 août 1754.
Condamné par le parlement de Toulouse.
25. François Rochette, exécuté à Toulouse, le 19 février 1762.

Pour compléter les renseignements précédents et aussi ceux qui vont suivre, il n’est pas inutile de rappeler quels furent les magistrats et les commandants militaires qui gouvernèrent le Languedoc pendant les années dont nous avons parcouru l’histoire. Durant les années même de la révocation de l’édit de Nantes, pendant toute la fin du siècle, y compris la période complète de la guerre des Camisards, jusqu’après la mort de Louis XIV, Lamoignon de Baville, conseiller du Roi, fut intendant de police, justice et finances. Il gouverna la province, de 1685 à 1718, c’est-à-dire pendant trente-trois ans. À la même époque, et en vertu du privilège de la province qui avait stipulé, lors de sa réunion, qu’elle ne pourrait être gouvernée que par un prince du sang royal, le duc du Maine, fils légitime de France, eut le gouvernement du Languedoc, de 1682 à 1736. Son fils, le prince de Dombes, lui succéda. En effet, nous avons vu un certain nombre de placets adressés, par les églises du désert, à ce prince du sang. Le duc de Maine n’exerça jamais en Languedoc qu’un commandement nominal. Les vrais gouverneurs furent, pendant ce même intervalle, avec l’intendant Baville, les marquis de la Trousse et de Noailles, les maréchaux de Montrevel, de Villars, et le maréchal-de-camp du Deffand de Lalande ; ensuite le commandement militaire du Languedoc fut exercé par le maréchal de Berwick ; sous la régence, par le duc de Roquelaure ; et plus tard, par le lieutenant-général marquis de La Fare (1729) ; à ce dernier, le duc de Richelieu succéda en 1739 ; en son absence, le gouvernement militaire fut exercé par le maréchal-de-camp de La Devèze. Nous verrons que la douceur au moins comparative du duc de Richelieu fut remplacée, et beaucoup étendue, par un autre homme de qualité qui tendit une main secourable aux protestants, et qui a laissé une mémoire en bénédiction chez les églises du désert du Languedoc et de la Guyenne ; ce fut le prince de Beauvau.

Après Lamoignon de Baville, les intendants du Languedoc qui administrèrent la province pendant l’intervalle que nous avons parcouru, furent successivement :

Louis Basile de Bernage, chevalier, seigneur de Saint-Maurice, conseiller du roi, maître des requêtes, depuis l’an 1723 jusqu’en 1742 ; il eut deux subdélégués, qui furent très-souvent en contact avec les églises du désert : le subdélégué du Vigan, le chevalier Jean Daudé, seigneur d’Alzon ; et le subdélégué de Nîmes, le conseiller Raimond Novi de Caveirac, de la même famille nîmoise que le prieur de Cubierètes, l’abbé de Caveirac, si connu par ses ouvrages célèbres en faveur de l’intolérance et des lois de Louis XIV ;
Le maître des requêtes, Lenain, baron d’Asfeld, intendant du Languedoc, depuis 1745 jusqu’en 1751[119] ;
Le chevalier Guignard de Saint-Priest, intendant du Languedoc en 1751, de la même famille dauphinoise que le ministre de Saint-Priest, illustre par la constance de son attachement à la cause de Louis XVI.

Dans la province du Dauphiné, les églises du désert se trouvaient surtout en présence des autorités suivantes ; le duc de Medavid, commandant pour le roi en 1720, et plus tard, le lieutenant-général M. de Marrieux ; le subdélégué de l’intendant absent, le conseiller Chais ; le premier président au parlement, de Piolens ; le conseiller de Tréviol, commissaire départi en la cour dans la grande instruction des mariages au désert de 1745. Il faut citer encore l’avocat général au parlement de Toulouse, du Saget ; l’intendant de Guyenne, de Tourny ; l’intendant d’Auch ; l’intendant de Montauban, Lescalopier ; l’intendant de Roussillon, Bajin ; l’intendant de La Rochelle, de Barentin, et l’intendant de Poitiers, de Beaumont. Nous avons cru devoir donner en cette note l’indication concise des principales autorités qui régirent les églises du désert, dans la période d’environ quarante années que nous avons parcourues, depuis la mort de Louis XIV, en 1715, jusqu’à la fin de l’intendance du chevalier Lenain, en 1750, au milieu du siècle.



No VI.
Rôle des forçats condamnés à vie et à temps limité pour cause de religion, détenus aux galères de Toulon, le 26 septembre 1753[120].
543.
1. Jacques Martin, boulanger au lieu de Ribaute, en Cévennes, diocèse d’Alais, en Languedoc, condamné à vie par M. de Bernage, intendant, le 8 mars 1748, pour avoir apporté de la ville de Genève cent volumes de livres à l’usage de la religion, âgé de soixante-cinq ans.
943.
2. Jacques Puget, cardeur de laine, du lieu de Sauzet, en Cévennes, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. de Bernage, intendant du Languedoc, le 27 mars 1734, pour avoir donné retraite à M. Claris, âgé de soixante-dix-sept ans.
1010.
3. Matthieu Allard, de la Petite-Vachère, diocèse de Die, en Dauphiné, condamné à vie par arrêt du parlement de Grenoble, le 16 février 1735, pour avoir été à l’école des ministres, âgé de trente-cinq ans.
1141.
4. Jacques Clergues, laboureur, du lieu de Pierre-Gourde, en Vivarais, condamné à vie par M. de Bernage, intendant du Languedoc, le 1er mars 1737, pour assemblée, âgé de soixante-dix-huit ans.
1417.
5. Jean-Pierre Espinas, procureur, du lieu de Saint-Félix-de-Châteauneuf, en Vivarais, condamné à vie par M. de Bernage, intendant du Languedoc, le 9 février 1740, pour avoir donné retraite à un ministre, âgé de quarante-deux ans.
1418.
6. Mathieu Morel, de Saint-André-des-Effingas, en Vivarais, condamné à vie par M. Bernage, intendant du Languedoc, le 8 février 1740, pour avoir suivi M. Morel, son oncle, âgé de vingt-sept ans.
1784.
7. Alexandre Chambon, laboureur, du lieu de Praules, en Vivarais, condamné à vie par M. Bernage, intendant du Languedoc, le 31 juillet 1741, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-huit ans.
2208.
8. Jacques Guillot, voiturier, du lieu de Minglon, en Dauphiné, condamné à dix ans, par arrêt du parlement de Grenoble, 26 août 1744, pour avoir introduit des livres à l’usage de la religion, âgé de cinquante-un ans.
2228.
9. Pierre Sabatier, drapier, du lieu de Mazamet, diocèse de Lavaur, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 6 avril 1745, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-sept ans.
2229.
10. Jean Molinier, marchand, du lieu de Hautpoul, diocèse de Lavaur, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 6 avril 1745, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-sept ans.
2230.
11. Alexis Corbière, tisserand, du lieu de la Sarvarie, diocèse de Castres, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 6 avril 1745, pour avoir été aux assemblées, âgé de quarante-trois ans.
2237.
12. Jean Allier, tonnelier, du lieu de Tresclau, diocèse de Gap, en Dauphiné, condamné à vie par arrêt du parlement de Grenoble, le 12 mai 1745, pour contravention aux édits du roi concernant la religion, âgé de quarante-six ans.
2340.
13. Antoine Riaille, tailleur, du lieu d’Oste, diocèse de Die, en Dauphiné, condamné à vie par arrêt du parlement de Grenoble, le 26 février 1745, pour contravention aux édits du roi concernant la religion, âgé de quarante-huit ans.
2472.
14. Paul Achard, cordonnier, du lieu de Châtillon, diocèse de Die, en Dauphiné, condamné à vie par arrêt du parlement de Grenoble, le 26 février 1745, pour avoir évité l’arrestation d’un ministre, âgé de trente-cinq ans.
2552.
15. Jean Meniet, dit Larachette, du lieu de Mazel, de Saint-Grève, en Vivarais, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 1er février 1746, pour avoir donné retraite à M. Majal (le pasteur Desubas, exécuté le 2 février à Montpellier), âgé de quarante-trois ans.
2709.
16. Pierre Lamy, du lieu de Saint-Dizier, diocèse de Die, en Dauphiné, condamné à dix ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 15 octobre 1745, pour contravention aux édits du roi concernant la religion, âgé de quatre-vingt-un ans.
2922.
17. Isaac Grenier de Lasterme, gentilhomme, du lieu de Gabre, diocèse de Rieux, eu Languedoc, condamné à vie par M. l’intendant d’Auch, le 5 février 1746, pour avoir été aux assemblées religieuses, âgé de soixante-seize ans.
3450.

18. Paul Garry, du lieu de Bellegarde, diocèse de Cahors, condamné à vie par M. l’intendant de Montauban, le 2 février 1747, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente ans.

3451.
19. Raymond Gaillard, du lieu de Lauzac, diocèse de Cahors, condamné à vie par M. l’intendant de Montauban, le 2 février 1747, pour avoir été aux assemblées, âgé de quarante-huit ans.
3453.
20. Jacob Caussade, du lieu de Lauzac, diocèse de Cahors, condamné à vie par M. l’intendant de Montauban, le 2 février 1747, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-quatre ans.
3454.
21. Jean Moussier, du lieu de Fau, diocèse de Montauban, condamné à vie par M. l’intendant de Montauban, le 2 février 1747, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-six ans.
4141.
22. Pierre-Paul Mercier, bourgeois de la ville du Mas-d’Azil, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 24 mars 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-huit ans.
4142.
23. Étienne Laborde, perruquier, du Mas-d’Azil, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 27 mars 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-un ans.
4143.
24. Paul Laborde, serrurier, du Mas-d’Azil, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 24 mars 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-sept ans.
4388.
25. Jean-Pierre Bouvilla, maréchal, du lieu de Sabarat, comté de Foix, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 22 juillet 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-trois ans.
4389.
26. Jean Lafont, dit Rey, fournier, du lieu de Sabarat, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 22 juillet 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-trois ans.
4390.
27. François Lafond, marchand de bœufs, de la ville du Mas-d’Azil, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 22 juillet 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-cinq ans.
4639.
28. André Bernard, du lieu de Vendras, paroisse de Lussan, diocèse d’Alais, condamné à vie par M. l’intendant du Languedoc, le 17 janvier 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-deux ans.
4640.
29. Henri Martel, laboureur, du lieu de Font, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 17 janvier 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente ans.
4641.
30. Étienne Chapellier, tireur, du lieu de Saussines, paroisse de Bousquet, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 17 janvier 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-huit ans.
5438.
31. Jean Garagnon, cardeur, du lieu de Rozan, diocèse de Gap en Dauphiné, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 24 décembre 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-huit ans.
5439.
32. Louis Nègre, du lieu de Courlognes, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. l’intendant du Languedoc, le 24 décem. 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de quarante-un ans.
5440.
33. Jacques Bouquieran, cardeur, du lieu de Bourdy, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 24 décembre 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-un ans.
5442.
34. Pierre Rambert, laboureur, du lieu d’Auzillac, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 24 décembre 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-sept ans.
5463.
35. Paul Matthieu, maréchal, de la ville de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard (de Saint-Priest), intendant du Languedoc, le 15 mars 1751, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-sept ans.
5464.
36. Antoine Mortier, fabricant de bas, du lieu de Calvisson, habitant à Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 15 mars 1751, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-douze ans.
5581.
37. Claude Chaumond, de Genève, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 24 mai 1751, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-quatre ans.
5621.
38. Jean Gros, du lieu de Toumeyer, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans, par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-cinq ans.
5622.
39. Jean-Antoine Haillon, du lieu de Vercheny, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de 29 ans.
5623.
40. Pierre Maillefond, du lieu de Lavarde, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-cinq ans.
5624.
41. Pierre Pinet, du lieu de Luzereau, paroisse de Menglou, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-huit ans.
6525.
42. Jacques Muletier, de Gigors, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-sept ans.
6889.
43. Jean Say, du lieu de Lezan, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir gardé chez lui des effets des ministres, et avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-six ans.
6190.
44. André Guirard, du lieu de Clarensac, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-deux ans.
6191.
45. Jacques Compan, du lieu de Clarensac, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-six ans.
6192.
46. Louis Trigon, du lieu de Verais, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de quarante-cinq ans.
6193.
47. Jean Roque, du lieu de Beauvoisin, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-un ans.
6863.
48. Joseph Barnier, du lieu de Mont, en Dauphiné, diocèse de Vezon, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 17 juin 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante ans.

Nous, soussignés, certifions le présent rôle véritable, et prions tous ceux à qui il sera communiqué d’y ajouter foi : Mercier, Lasterne, E. Laborde, J. Molinier, P. Laborde, Meniet, Ant. Riaille, Garagnon, Compan, P. Achard, P. Matthieu, Puget, Allard, Raillon, Barnier, C. Chaumond, J. Bouqueiran, Sabatier, Espinas, signés.

Collationné, Lafond, pasteur de Provence.


No VII[121].

État des prisonnières qui sont déténues captives dans la tour de Constance, château d’Aiguesmortes, en Provence, pour fait de la religion protestante et réformée (1754).
11. Anne Saliége, fille de feu Antoine Saliége, travailleur de terre, et de Marguerite Palatau, native du lieu de Bébron, paroisse de Florac, diocèse de Mende, par ordre du roi, prise dans sa maison pour fait de religion, âgée de soixante-cinq ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1719.
12. Anne Gaussaint, veuve de feu André Gros, matelassier, native de la ville de Sommière, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise dans une maison pour avoir prié Dieu, âgée de soixante-seize ans, par jugement de M. de Bernage (intendant du Languedoc), captive depuis l’an 1723 ; elle a un enfant.
13. Marie Bereaud, fille de feu Pierre Bereaud, et de Suzanne Porte, dit Robert, du lieu de Mours, paroisse de Gluras, diocèse de Viviers, aveugle depuis l’âge de quatre ans, par ordre du roi, prise dans sa maison pour fait de religion, âgée de quatre-vingts ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1727.
14. Marie Robert, veuve de Frisol Jaq, travailleur de terre, du lieu et paroisse de Saint-Césaire, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise dans une société où l’on y priait Dieu, âgée de soixante-neuf ans, par jugement de M. de La Fare (le marquis de La Fare, commandant militaire du Languedoc) ; captive depuis l’année 1728.
15. Marie Durand, fille de feu sieur Étienne Durand, greffier consulaire, et de Claudine Gammonet, du lieu de Bouchet, paroisse de Praules, diocèse de Viviers, par ordre du roi, prise dans sa maison par rapport au ministère de son frère, âgée de trente-neuf ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1730.
16. Marie Rey, veuve de Jean Goutes, tisserand, du lieu et paroisse de Saint-Georges, diocèse de Valence, par ordre du roi, prise dans sa maison pour avoir été accusée d’avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de cinquante-sept ans, par jugement de M. de Bernage ; captive depuis l’an 1737 ; elle a trois enfants.
17. Marie Néviliad, veuve de Daniel Sauzet, ménager, du lieu de la Combe, paroisse de Praules, diocèse de Viviers, par ordre du roi, prise dans sa maison pour avoir fait bénir son mariage par un ministre, âgée de soixante ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1737 ; elle a trois enfants.
18. Marie Nidal, femme de Daniel Durand, ménager, du lieu et paroisse de Meyras, diocèse de Viviers, par ordre du roi, prise dans sa maison pour avoir fait bénir son mariage par un ministre, âgée de soixante ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’année 1738 ; elle a deux enfants.
19. Anne Soleyrol, fille de feu Louis Soleyrol, boulanger, et de Suzanne Comba, de la ville d’Alais, par ordre du roi, prise pour avoir été accusée d’avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, par jugement de M. de Bernage ; traduite au couvent de Mende ; trois ans après transférée dans cette tour, par lettre de cachet, l’année 1738 ; âgée de trente-neuf ans.
10. Madeleine Ninard, veuve d’Antoine Savanier, maître maçon, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-cinq ans, par jugement de M. de Bernage ; captive depuis l’an 1739 ; elle a quatre filles.
11. Catherine Rouvière, veuve de Jean Marsel, ouvrier en bas de laine, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-cinq ans, par jugement de M. de Bernage ; captive depuis l’année 1739.
12. Suzanne Bousiges, veuve de Pierre Bourette, ouvrier en bas de laine, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de trente-cinq ans, par jugement de M. de Bernage ; traduite au couvent de la Providence, à Nîmes ; deux ans après transférée dans cette tour, par lettre de cachet ; captive depuis l’année 1739.
13. Anne Fauguière, veuve de feu André Goutes, tisserand en étoffes de laine, du lieu et paroisse de Breau, diocèse d’Alais, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de trente-neuf ans, par jugement de M. de Bernage ; captive depuis l’an 1742 ; elle a une fille.
14. Marie Roux, veuve de Louis Chassafière, maçon du lieu et paroisse de Geneyrac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise dans la maison pour fait de religion, âgée de cinquante ans ; par lettre de cachet, captive depuis l’an 1745 ; elle a trois enfants.
15. Domergue Clair, femme de Louis Martin Poissonnier, du lieu et paroisse de Saint-Quentin, diocèse d’Uzès, par ordre du roi prise dans une assemblée à prier Dieu, âgée de quarante-huit ans, par jugement de M. Lenain ; captive depuis l’an 1750 ; elle a deux filles.
16. Françoise Barre, veuve de François Nonton, travailleur de terre, du lieu de Samedin, paroisse de Monterent, diocèse d’Uzès, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante ans, par jugement de M. Lenain ; captive depuis l’année 1750 ; elle a trois enfants.
17. Gabrielle Gingues, femme de Paul Mathieu, ouvrier en bas de laine, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-cinq ans, par jugement de M. de Saint-Priest : captive depuis l’an 1751 ; elle a trois enfants.
18. Jeanne Brémond, fille de feu Claude Brémont, ouvrier en bas, et de Anne Argeillère, du lieu et paroisse de Clarensac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgé de cinquante ans ; par jugement de M. de Saint-Priest, captive depuis l’année 1752.
19. Jeanne Auguière, veuve de Jaan Bastide, ménager, du lieu et paroisse de Clarensac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-dix huit ans, par jugement de M. de Saint-Priest ; captive depuis l’année 1752 ; elle a quatre enfants.
20. Suzanne Séguin, veuve de Firmin Vedet, travailleur de terre, du lieu et paroisse de Clarensac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-dix-huit ans, par jugement de M. de Saint-Priest, captive depuis l’année 1752 ; elle a un fils.
21. Isabeau Maumejean, veuve d’André Armingaud, cordonnier, du lieu et paroisse de Clarensac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-cinq ans, par jugement de M. de Saint-Priest ; captive depuis 1752 ; elle a un fils.
22. Marie Picard, veuve de Jean Cabanis, messager, du lieu et paroisse de Saint-Cosmes, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-dix ans, par jugement de M. de Saint-Priest ; captive depuis l’année 1752 ; elle a un fils.
23. Madeleine Pilot, veuve de Jean-Louis de Sensens, capitaine d’infanterie, du lieu et paroisse de Marsillargues, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise dans sa maison pour fait de religion, âgée de cinquante ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1752 ; elle a une fille.
24. Françoise Sarrud, femme de Jean Coldier, de la ville de Bedarieux, diocèse de Béziers, par ordre du roi, prise dans sa maison pour avoir été accusée d’avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de cinquante ans, par jugement de M. de Saint-Priest ; captive depuis l’an 1754 ; elle a trois filles.
25. Suzanne Pagez, fille de feu Pierre Pagez, jardinier, et de Marie Blancher, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de trente-cinq ans, par jugement de M. de Bernage, traduite au couvent de la Providence, à Nîmes, deux ans après transférée dans cette tour, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1739.

On trouvera aussi une liste des prisonnières de la tour de Constance, Mémoire historique de 1741, P. 253. Elles sont au nombre de vingt-quatre, depuis 1719 jusqu’à 1741. La liste est bien d’accord avec celle que nous avons transcrite, hormis qu’elle comprend un moindre espace de temps, et qu’elle est moins complète.

Ce ne sera pas trop anticiper sur la suite de notre histoire que d’ajouter ici un tableau bien connu, mais qui est le supplément pour ainsi dire obligé de la liste précédente ; c’est la description de la visite que fit, en 1768, le chevalier de Boufflers à la tour de Constance. L’auteur de cet ouvrage se rappelle très-bien d’avoir entendu, dans les années du régime impérial, le très-aimable et spirituel chevalier de Boufflers, alors vénérable académicien, confirmer de vive voix ses souvenirs de la prison d’Aiguesmortes.

« Je suivais, dit le chevalier de Boufflers, M. de Beauvau dans une reconnaissance qu’il faisait sur les côtes du Languedoc. Nous arrivons à Aiguesmortes, au pied de la Tour de Constance ; nous trouvons à l’entrée un concierge empressé, qui, après nous avoir conduits par des escaliers obscurs et tortueux, nous ouvre à grand bruit une effroyable porte sur laquelle on croyait lire l’inscription du Dante : Lasciate ogni speranza, o voi ch’intrate. Les couleurs me manquent pour peindre l’horreur d’un aspect auquel nos regards étaient si peu accoutumés, tableau hideux et touchant à la fois, où le dégoût ajoutait encore à l’intérêt. Nous voyons une grande salle ronde, privée d’air et de jour ; quatorze femmes y languissaient dans la misère et dans les larmes ; le commandant eut peine à contenir son émotion, et pour la première fois sans doute ces infortunées aperçurent la compassion sur un visage humain. Je les vois encore à cette apparition subite tomber toutes à la fois à ses pieds, les inonder de pleurs, essayer des paroles, ne trouver que des sanglots ; puis, enhardies par nos consolations, nous raconter toutes ensemble leurs communes douleurs. Hélas, tout leur crime était d’avoir été élevées dans la même religion que Henri iv. La plus jeune de ces martyres était âgée de plus de cinquante ans ; elle en avait huit lorsqu’on l’avait arrêtée, allant au prêche avec sa mère, et sa punition durait encore[122]. » Il est presque inutile d’ajouter qu’après cette affreuse découverte, le prince de Beauvau obtint la délivrance de ces prisonnières.


No VIII.

Nous plaçons ici le Synode National du 4 mai 1756, dont nous possédons les deux minutes originales (Mss. P. R. fol.Mss. Ls. fol.) ; nous reproduisons cet acte textuellement, tant pour montrer la forme et le genre d’objets de ces assemblées du désert, que pour enregistrer le document statistique qui le suit, et qui est important pour notre histoire : c’est le rôle officiel et complet des pasteurs, proposants et étudiants des églises réformées du désert en 1756. Nous donnerons plus tard le synode national de 1763, par la même raison, attendu la liste semblable qui y est adjointe. De toutes nos pièces synodales, qui sont au nombre de plus de cent, ce sont les seules qui présentent ces particularités statistiques, qu’il importe de recueillir.

Si l’on compare les diverses époques principales du personnel des pasteurs réformés français, on trouve les chiffres suivants :


Synode national de Gap, en 1603, sous Henri IV, après l’édit de Nantes ; pasteurs, 476.
Synode national d’Alençon, en 1637, vers la fin de Louis XIII ; pasteurs, 647[123].
Synodes du Dauphiné et du Languedoc, de 1716 à 1717, immédiatement après les édits de Louis XIV et la guerre des Camisards ; renaissance ; signés de pasteurs, 6[124].
Synode national de 1756, au désert ; Louis XV ; pasteurs et proposants, 65.
Synode national de 1763, au désert ; Louis XV; pasteurs et proposants, 97.
Réorganisation des cultes réformés ; Bonaparte, premier consul (Loi du 18 germinal an x), 1807 (ancienne France), pasteurs, 171.
Charte constitutionnelle de 1814 ; Louis XVIII et Charles X, 1828 ; pasteurs, 305.
Charte constitutionnelle de 1830 ; Louis Philippe, roi des Français, 1840 ; places de pasteurs, 404.

Le dernier mot statistique que semblent nous donner ces listes est remarquable ; si l’on compare le chiffre total des pasteurs réformés français sous Henri IV, en 1603 (476), à celui des mêmes sous notre gouvernement actuel (404), en faisant attention que dans l’origine les églises étaient bien moins étendues, et embrassaient un ressort moins considérable, on trouve qu’après deux siècles et plus de proscriptions, d’exils, de persécutions et de culte du désert, le chiffre du personnel des églises des nouveaux convertis n’est pas très-loin d’être revenu au total primitif qu’on a tant cherché à déraciner ; si l’on pouvait ajouter à ce total le chiffre de toutes les églises françaises du refuge, qui se sont transportées chez les peuples étrangers, il serait fort possible qu’on arrivât à cette conclusion inattendue : en somme, la révocation de l’édit de Nantes n’a point diminué le nombre des protestants.


AU NOM DE DIEU, AMEN.
Actes du synode national des églises réformées de France, assemblé sous la protection divine, au désert, dans les hautes Cévenes, depuis le mardi quatrième mai mille sept cens cinquante-six jusques à ce jourd’hui dixième du même mois, auquel ont assisté en qualité de députés :
Pour la province des hautes Cévenes,

MM. Jean Roux et Jacques Gabriac, pasteurs, avec deux anciens.

Pour la province de Xaintonge, païs d’Aunis, Angoumois,
bas Périgord et bas Agenois,

M. Jean-Louis Gibert, pasteur, et M. Louis Figuière, proposant, avec deux anciens.

Pour la province du haut et bas Vivarais, Velai et Forest,

MM. Pierre Peyrot et Alexandre Vernet, pasteurs, avec deux anciens.

Pour la province du bas Languedoc,

MM. Paul Rabaut et Jean Pradel, pasteurs, avec deux anciens.

Pour la province du haut Languedoc, haute Guienne,
haut Agenois, Bordelois et comté de Foix,

MM. Jean Sicard et François Viala, pasteurs, avec deux anciens.

Pour la province de Provence,

M. Jean Betrine, pasteur, avec un ancien.

Pour la province du Dauphiné, et principauté d’Orange,

MM. Pierre Rozan et Alexandre Ranc, pasteurs, avec deux anciens.

Pour la province des basses Cévenes,

MM. Jean Gal et Paul Dalgue, pasteurs, avec deux anciens,

Pour la province de Normandie,

MM. Jean Godefroy et Louis Campredon, pasteurs.

Lesquels députés ayant présenté leurs lettres d’envoy, elles ont été luës et aprouvées.

M. Figuières, proposant, a été admis en qualité de député, sans conséquence pour l’avenir.

Après l’invocation du saint nom de Dieu, on a élu à la pluralité des sufrages, pour modérateur[125] M. Pierre Peyrot, pasteur ; pour modérateur adjoint, M. Paul Rabaut, pasteur ; pour secrétaire, M. Jean Pradel, pasteur ; pour secrétaire adjoint, M. Jean Roux, pasteur.

Article I.

L’assemblée, jugeant nécessaire de régler le rang que les provinces doivent tenir dans les synodes nationaux, a arrêté qu’on suivra tour à tour l’ordre selon lequel elles sont placées cy-dessus, et que celle qui aura été la première sera la dernière à chaque nouveau synode national.

II.

La fidélité et l’obéissance au souverain ayant toujours été un point capital de la doctrine des réformés, tous les membres du synode ont protesté, tant en leurs noms qu’en ceux de leurs provinces, qu’ils persévèrent dans cette créance, et qu’ils seront toujours prêts à tout sacrifier pour le service de Sa Majesté.

III.

Chaque province présentera au roy une très-humble requête dans laquelle on fera un tableau racourci de nos misères, et l’on supliera Sa Majesté d’en avoir compassion, et d’y remédier selon que sa sagesse et sa bonté jugeront convenable.

IV.

L’union des églises a été renouvelée et confirmée sous la très-humble obéissance due au roy par tous les députés, tant en leurs noms qu’en ceux de leurs provinces, union qui consiste dans la conformité de la foy, du culte, de la discipline, et dans une exacte correspondance entre les provinces, soit en tems de persécution, soit en tems de calme, comme aussi dans la contribution aux dépenses que l’on est obligé de faire pour le bien de la cause commune.

V.

L’assemblée n’a pas jugé à propos de continuer le jeûne annuel prescrit par l’article 11 du synode national de mil sept cens quarante-huit ; mais éfrayée à la veuë de l’extrême corruption qui règne dans le monde, des terribles fléaux qui se promènent sur la surface de la terre, et des maux qui nous affligent depuis si long-tems, elle ordonne que, pour apaiser la colère de Dieu et attirer sa faveur, il soit célébré dans toutes nos églises un jour de jeûne et d’humiliation extraordinaire, qu’on a fixé au dixième octobre prochain.

VI.

Les provinces où les assemblées se tiennent de nuit, sont exortées à se conformer à celles où elles se font de jour, autant que la prudence le permettra.

VII.

Reconnaissant que les cantiques sont très-propres à entretenir la dévotion, surtout dans le tems de solemnités, on a délibéré de prier un ami de faire un choix de ceux qui conviendront le mieux à l’état des églises de ce royaume.

VIII.

Sur la question proposée par les députés de la province du bas Languedoc, s’il convenait de lire ou de ne pas lire les psaumes avant de les chanter dans les assemblées religieuses : l’assemblée est d’avis que, vu l’édification que retirent de cette lecture les personnes illitérées, l’usage en sera continué.

IX.

Les députés de Xaintonge ayant représenté le peu de soin qu’on remarque en diverses provinces, de sanctifier les jours de dimanche, la compagnie, touchée d’une vive douleur et voulant faire cesser toute profanation de ces jours sacrés, recommande l’observation du règlement fait à ce sujet au synode national tenu à Loudun en mil six cens cinquante-neuf, qui, pour détourner les jugemens de Dieu que s’attirent les profanateurs, « exorte tous les fidèles à employer ces saints jours à la fin à laquelle ils sont destinés en s’adonnant aux exercices de piété publics et particuliers, à la prière, à l’ouïe et lecture de la parole de Dieu ; en s’abstenant religieusement, non seulement du travail ordinaire, mais principalement des compagnies et divertissemens qui peuvent détourner les esprits du service divin et de la dévotion, à quoi nous sommes obligés particulièrement en ces jours-là.

X.

Vû les grandes difficultés qu’il y a d’envoyer aux lieux dont on était convenu les registres des mariages et baptêmes du désert, la compagnie dispense les pasteurs d’exécuter l’art. 20 du synode national de mil sept cens quarante-huit, et ordonne, sous peine de censure, à tous les consistoires, d’avoir des registres tant pour le passé que pour l’avenir auquel on puisse recourir en tout tems dans le besoin, enjoint en outre aux pasteurs et anciens d’y tenir la main.

XI.

Les pasteurs qui passeront d’une province à l’autre, seront obligés, avant leur départ, de laisser leurs registres ou d’en donner une copie pour l’usage des églises dans lesquelles ils auront exercé leurs ministères.

XII.

L’assemblée, convaincue que le séminaire a été, jusqu’à présent, d’une grande utilité aux églises réformées de ce royaume, et espérant qu’il le sera de même à l’avenir, a délibéré d’écrire à messieurs les respectables directeurs dudit séminaire pour les remercier de leurs soins charitables, et les prier de veiller de plus en plus sur la conduite de nos séminaristes, et de leur donner toujours des professeurs ortodoxes.

XIII.

Les étudiants envoyés au séminaire par une province ne pourront aller exercer le ministère dans une autre sans la permission de celle dont ils dépendent, et seront tenus d’y revenir lorsqu’elle les y rappellera,

XIV.

En répondant à la question de la province de Xaintonge, qui demande si l’on doit interdire tout commerce civil avec les excommuniés, la compagnie déclare qu’on doit seulement défendre tout commerce familier avec ces pécheurs scandaleux.

XV.

Ceux d’entre les protestants qui enlèveront ou feront enlever des enfants de leurs parents ou amis pour les faire baptiser dans l’église romaine, seront suspendus de la communion pour deux ans, et obligés ensuite de faire une réparation publique ; mais, en cas de maladie dangereuse, il sera permis à leurs consistoires d’abréger le tems de leur pénitence.

XVI.

S’il survenoit quelque différent entre les ministres, ils s’abstiendront d’en porter plainte à nos amis des païs étrangers, et ceux qui contreviendront à cette défense seront censurés.

XVII.

Les ministres sont chargés de recommander aux fidelles de bons livres, mais il leur est bien expressément défendu d’en vendre pour leur profit particulier.

XVIII.

La discipline ecclésiastique avec ses observations et les conformités de M. de La Roque sera imprimée en bon papier et beau caractère, et chaque province se charge d’en prendre un nombre d’exemplaires ; savoir :

La province des hautes Cévenes
80
La province du bas Languedoc
200
La province des basses Cévenes
80
La province du Dauphiné
60
La province de Provence
12
La province de Xaintonge
60
La province du haut Languedoc
200
La province du Vivarais
60
La province du Poitou
48
800
XIX.

Pour accélérer l’exécution de l’article cy-dessus, la compagnie donne commission au colloque de l’Agenois de faire choix d’un imprimeur, et après avoir convenu avec lui du prix de l’impression, d’en donner avis aux provinces, qui, par la pluralité de suffrages, authoriseront ou suspendront la convention.

XX.

Les anciens et diacres assemblés qui n’auront point de pasteur à leur tête, ne pourront élire de modérateur, ni décerner aucune peine canonique contre les pécheurs ; encore moins contre leurs collègues.

XXI.

Vû le peu de soin qu’ont eu certaines provinces de ne mettre que des choses importantes dans leurs mémoires pour le synode national, la compagnie recommande l’observation de l’art. vi du chapitre ix de la discipline ecclésiastique.

XXII.

Conformément à l’art. iii du chapitre ix de notre discipline, les lettres et mémoires des députés au synode national seront signés par le modérateur et le scribe des synodes provinciaux qui les envoyeront, faute de quoi on n’y aura aucun égard.

XXIII.

Les députés des provinces ayant tour à tour fait rapport de ce que chacune fournit pour l’entretien de ses pasteurs, la compagnie exhorte celles de ces provinces dont les pasteurs souhaiteront une augmentation, de leur accorder pour le moins quatre cens livres par an.

XXIV.

Le synode touché des souffrances de nos chers frères confesseurs sur les galères, et de celles des autres captifs pour cause de religion, et très-édifié de leur constance, les recommande instamment aux prières et à la charité des fidèles.

XXV.

On a aprouvé et confirmé l’article viii du dernier synode des hautes Cevenes conçu en ces termes : « L’assemblée, informée que certains protestans, par un scrupule mal fondé, font batiser leurs enfants dans l’église romaine quand ils sont en danger de mort, a trouvé leur conduite extrêmement blâmable à cet égard, et elle les exorte à ne plus tomber dans de pareilles fautes sous quelque prétexte que ce soit, sous peine d’être poursuivis selon la rigueur de la discipline. »

XXVI.

L’assemblée, apprenant que, dans les provinces, il y a plusieurs personnes qui, en prêtant de l’argent, exigent un intérêt excessif, enjoint aux pasteurs d’exorter leurs troupeaux à s’abstenir de cette odieuse pratique, et recommander à tous les particuliers l’observation de l’article xxii du chapitre xiv de la discipline concernant l’usure.

XXVII.

Les députés du bas Languedoc ayant proposé d’ériger en province le Rouergue avec les églises de Bedarieux, Faugeires et Grayssessac, à condition que le corps des pasteurs dudit bas Languedoc donnera un pasteur, et le corps des pasteurs des basses Cevenes en fournira un autre pour le service de cette nouvelle province, la compagnie aprouve et confirme ladite proposition dans toutes ses parties.

XXVIII.

Les hautes et basses Cevenes continueront à former deux provinces, et cependant entretiendront entr’elles la plus parfaite union.

XXIX.

À la réquisition des députés de la province des hautes Cevenes, la compagnie donne et unit à la province du bas Languedoc le cartier qui comprend Saint-Ambrois, Payremate, les Van, la Gorée, Vallon, Salava, Avejan et Saint-Jean de Maruejol.

XXX.

Les provinces du Vivarais et Dauphiné sont chargées de procurer des pasteurs à l’église de Lyon et ses annexes.

XXXI.

Les députés des églises de Provence, ayant demandé que leur province fût jointe à une autre, la compagnie ne trouvant pas à propos d’accorder leur demande, les renvoye en cas de différent, à quelques-unes des provinces voisines, conformément à ce que la discipline ordonne.

XXXII.

Lesdits députés de Provence ayant encore exposé le besoin qu’elle aurait d’un ministre ou d’un proposant, la compagnie lui donne le sieur Joseph Picard, étudiant au séminaire.

XXXIII.

La même province de Provence jouira du droit dont jouissent les autres provinces d’envoyer des étudians au séminaire.

XXXIV.

L’ami à qui certaines personnes ont envoyé une somme, la renvoyera quand il en sera requis.

XXXV.

Sur les plaintes portées par les députés du haut Languedoc, d’une part, et l’apel de M. Grenier de Barmont, avec la demande de MM. les anciens de l’église de Bordeaux, d’autre part, la compagnie a jugé que, dans trois mois, ledit M. de Barmont ira subir la censure décernée contre lui par le synode provincial de ladite province, et sera cependant cédé à l’église de Bordeaux pour une année, qui prendra son commencement le jour de l’exécution des articles 1 et 11 du dernier synode de sa province, et qu’au surplus on lui écrira une lettre pour l’exorter à se mieux conformer à l’ordre de la discipline à l’avenir.

XXXVI.

M. Louis Campredon n’est pas aprouvé d’avoir disposé de son ministère en faveur de la province de Normandie, sans en avoir obtenu l’agrément de la province des basses Cevenes, mais parce que cette dernière ne l’a pas rappelé comme elle était en droit de le faire, et qu’il paraît d’ailleurs que ledit M. Louis Campredon a exercé son ministère avec beaucoup de fruit dans ladite province de Normandie, l’assemblée la lui affecte, et fait des vœux très-ardens pour le succès de sa nouvelle mission.

XXXVII.

La province du Béarn se trouvant sans ministre, celle des basses Cevenes lui prêtera pour deux ans, M. Jean Journet, pasteur.

XXXVIII.

L’assemblée prenant en considération l’apel de M. Dugas, pasteur, et répondant favorablement à la demande des députés de la province de Xaintonge et Périgord, accorde pour trois ans ledit M. Dugas à cette province.

XXXIX.

Les députés de la province de Normandie ayant demandé le sieur Antoine Gai, proposant, ont été renvoyés à la province des basses Cevenes à qui ce proposant appartient, et qui aura tel égard qu’elle jugera à propos à la demande desdits députés.

XL.

Le synode enjoint très-expressément à la province de Xaintonge de se conformer aux règlemens de la discipline ecclésiastique et aux actes des synodes nationaux des églises réformées de France.

XLI.

Sur les plaintes portées par les députés de la province de Xaintonge contre les anciens de la ville de Coignac, au sujet d’une collecte, la compagnie manquant de moyens pour éclaircir ces plaintes, charge M. Dugas, pasteur, de procéder à l’information des faits sur lesquels elles roulent, de concert avec trois anciens, qu’il prendra d’autant de consistoires voisins, et donne pouvoir à lui et au colloque de ladite province d’en juger définitivement.

XLII.

MM. Jean-Louis Gibert, Jean Sicard, Jaques Sol, François Viala, et Pierre Dugas, pasteurs, procéderont à l’examen de M. Figuières, et s’ils le trouvent capable, ils l’installeront au susdit ministère, pour la province du Xaintonge et Périgord.

XLIII.

Les députés de la province du Dauphiné demandent quelle est la conduite qu’on doit tenir envers une femme qui s’est séparée de son mari et refuse de se joindre avec lui ; il a été décidé que si cette femme continue dans son refus, elle sera poursuivie selon la rigueur de la discipline.

XLIV.

Sur les représentations et les demandes faites par M. Court, au sujet des dépenses auxquelles il a été exposé pour le bien de nos églises, l’assemblée prie MM. les illustres économes d’acorder à ce digne représentant l’indemnisation qu’ils jugeront convenable.

XLV.

La compagnie, informée que M. Court a reçu plusieurs étudians au séminaire, sur des recommandations particulières, elle l’avertit de n’en plus recevoir à l’avenir qui ne soient envoyés par les provinces.

XLVI.

L’église de Saint-Jean de Gardonnenque après avoir rendu de bons témoignages à son pasteur, ayant demandé d’être séparée de la province des basses Cevennes, pour faire corps avec celle des hautes, elle a été renvoyée au synode de la province.

XLVII.

Conformément à l’article 13 du dernier synode provincial des basses Cevenes, les deniers du ministère qui se collecteront dans les églises du Rouergue, serviront à défrayer l’église de Saint-Jean de Gardonnenque des avances qu’elle a faites pour la province des basses Cevenes, et au cas que ces derniers ne puissent être collectés, ce sera à ladite province à faire le remboursement.

XLVIII.

La province des basses Cevenes est chargée de la convocation du prochain synode national, comme aussi d’indiquer le jeûne général si les circonstances le demandent, et qu’elle en soit requise par les provinces. Ainsy conclu et arrêté cejourd’hui dixième may mil sept cens cinquante-six.

Pierre Peyrot, pasteur et modérateur ;
Jean Pradel, pasteur et secrétaire ;
Jean Roux, pasteur et secrétaire adjoint ;
Paul Rabaut, pasteur et modérateur adjoint.

ROLLE DES MINISTRES, PROPOSANS ET ÉTUDIANS,
DU ROYAUME DE FRANCE, LA COURANTE ANNÉE 1756.
HAUTES CEVENES.

Pasteurs.MM. Jean Roux, Jean-Pierre Gabriac, Henry Cavalier, Jacques Gabriac, Jean Mejanelle, Jean Martin.

Proposans. — MM. Jean Rouvière, Jean Pic, Louis Vallat.

Étudians. — MM. Rourbon, Pierredon.

XAINTONGE.

Pasteurs. — MM. Jean-Louis Gibert, Pierre Dugas.

Proposans. — MM. Louis Figuière, Étienne Gibert.

Étudiant. — M. Taluchaud.

VIVARAIS.

Pasteurs. — MM. Pierre Peyrot, Jean Blachon, François Costey Alexandre Vernet.

Proposans. — M. Jean Maurin.

Étudians.M. Pierre Fauriel.

BAS LANGUEDOC.

Pasteurs. — MM. Paul Rabaut, Simon Gibert, Jean Pradel, Pierre Redonnel, Louis Fayet, Pierre Encontre, Henry Bastide, Pierre Saussine, François Saussine, Jean Guizot, Pierre Alègre, Jean-Pierre Lafont, Paul Vincent, Jacques Matthieu.

Proposans. — MM. Teissier, Puget, Theyron, Pierre Paris.

HAUT LANGUEDOC.

Pasteurs. — MM. MM. Jean Sicard, Grenier de Barmont, Jacques Sol, François Viala, Paul Lafont.

Proposans. — MM. MM. Duval, Rochette[126], Armand.

PROVENCE.

Pasteur. — M. Jean Betrine.

Proposant. — M. Joseph Picard.

DAUPHINÉ.

Pasteurs. — MM. Pierre Rozan, François Descourt, Alex. Ranc.

Proposans. — MM. Marcel, Béranger.

BASSES CEVENES.

Pasteurs. — MM. Jaques Boyer, Gral, Jean Gal, Paul Dalgue, Paul Marazel, Jean Journet, David Vesson, Marc Portai, Ducros.

Proposant. — M. Gal.

POITOU.

Pasteur. — M. Moinier.

NORMANDIE.

Pasteurs.MM. Jean Godefroy, Louis Campredon.


MÉMOIRE DU NOMBRE DES ÉTUDIANS
QUE LES PROVINCES ONT ENVOYÉS AU SÉMINAIRE, DEPUIS 1748
JUSQU’À LA COURANTE ANNÉE 1756.
HAUTES CEVENES.

MM. Gibert, 1 an ; Durantes, 2 ans ; Dugas, 5 ans ; Pic, 2 ans ; Vallat, 2 ans.

BASSES CEVENES.

MM. Rampon, 1 an ; Ducros, 1 an ; Journet, 1 an ; Teissier, 1 an ; Julien, 1 an ; Campredon, 3 ans ; Chabran, 3 ans ; Soulier, 2 ans ; Gai, 2 ans ; Noguier, 2 ans.

HAUT LANGUEDOC.

MM. de Barmont, 2 ans ; Pajon, 3 ans ; de L’Isle, 3 ans ; Armand, 2 ans ; Duval, 1 an.

VIVARAIS.

M. Maurin, 4 ans.

DAUPHINÉ.

MM. Olivier, 3 ans ; Beranger, 2 ans.

BAS LANGUEDOC.

MM. Puget, 1 an ; Paris, 3 ans ; Picard, 3 ans.

XAINTONGE.

M. Étienne Gibert, 1 an.

POITOU.

MM. Moinier, 1 an. Dechamp.

NORMANDIE.

M. Merlin, qui avait été prêté à ladite province, y demeura 2 ans.

Les rolles ci-dessus ont été dressés par ordre du synode national.


Nous aurons occasion d’examiner les règlements de ce Synode et ceux d’une foule d’autres, lorsque nous tracerons plus bas l’esquisse de la discipline calviniste presbytérienne des églises réformées de France, au xviiie siècle. Nous verrons alors comment elles se conduisirent en présence de cette discipline, malgré le désordre momentané que les persécutions durent occasionner. Nous reviendrons aussi sur le personnel des pasteurs du désert, en même temps que nous signalerons les nombreuses localités du Languedoc où les réformés sont encore en très-forte majorité, en dépit de si constantes persécutions, et que nous présenterons un tableau biographique de ce que nos pièces nous ont appris sur tous les pasteurs ou ministres qui ont paru dans les églises de France durant le cours du siècle.

Séparateur
NOTICE
sur les
MANUSCRITS ET PIÈCES HISTORIQUES
CITÉS DANS CE VOLUME.

Nous ferons connaître, par une note analogue annexée à notre second volume, plusieurs autres documents manuscrits. Ici nous donnons l’énumération seulement des collections dont nous avons dû profiter pour ce premier volume, avec l’indice des abréviations très-simples dont nous nous sommes servis.

NOTRE COLLECTION.

Mss. P. R. Manuscrits du pasteur Paul Rabaut. Ils s’étendent depuis 1740 jusqu’en 1790. C’est la collection mêlée des papiers, actes, notes, et correspondance touchant les églises du désert en général, et l’édit de l’état civil rendu par Louis XVI, qui furent conservés par Paul Rabaut, et par ses deux fils les pasteurs Rabaut-Saint-Étienne et Rabaut-Pomier. Sauf quelques cas évidents, d’après les affaires traitées ou d’après l’écriture, nous n’avons pas pu distinguer toujours les pièces ayant appartenu au père, de celles de ses deux fils : mais la très-grande majorité de ces manuscrits proviennent de Paul Rabaut ; en voici la description sommaire, selon notre arrangement :

I. papiers rabaut. — pièces historiques.
A. xviie siècle. 1 vol. in-fol.
B. xviiie siècle. 1700 à 1737, 1 vol. in-fol.
C. id. 1738 à 1756, id.
D. id. 1757 à 1769, id.
E. id. 1770 à 1779, id.
F. id. 1780 à 1790, id.
G. id. 1750 à 1760.
 
Pièces concernant les
condamnés pour fait de religion id
H. id. Synodes nationaux de 1744, 1756, 1758, 1763, 1 vol. in-fol.

Huit volumes ou portefeuilles in-fol. de pièces diverses[127].

II. Journal de Paul Rabaut. — A-B. 2 cahiers de poche, parchemin ; livres de notes. 1750-1756. in-18.
III. Correspondance de Paul Rabaut, avec les pasteurs du désert et autres ; en général toutes lettres à lui adressées avec noms en anagrammes pour échapper aux poursuites. — par ordre de dates.
A. Lettres de 1740-1760, 1 vol. in-4o.
B. Lettres deid. 1761-1763, 1 vol. in-4oid.
C. Lettres deid. 1764-1768, 1 vol. in-4oid.
D. Lettres deid. 1769-1774, 1 vol. in-4oid.
E. Lettres deid. 1775-1778, 1 vol. in-4oid.
F. Lettres deid. 1779-1782, 1 vol. in-4oid.
G. Lettres deid. 1783-1790, 1 vol. in-4oid.
H. Lettres de Paul Rabaut à Court de Gebelin, 1763 — 1783. Liasse de lettres que de Gebelin rendit sans doute à son correspondant.
— Idem.
Huit volumes ou portefeuilles in-4o.
papiers rabaut dupuis.
IV. A. Notice historique sur la situation des églises chrétiennes réformées en France, depuis leur établissement jusqu’à ce jour, 1806 : travail historique rédigé ; s’étend jusqu’à l’an 1744 ; offre peu de ressources pour l’histoire. 1 vol. in-fol.
B. — Correspondance et documents du Répertoire ecclésiastique de 1807 ; beaucoup de renseignements et de lettres intéressantes rangées par ordre de départements. — 4 vol. ou portefeuilles in-4o de lettres, notes et pièces.


Mss. Fab. Lic. 1 vol. in-fol.

Ces pièces ont été remises pour notre collection à M. E. Frossard, pasteur, par M. Fabre Lichaire ; elles proviennent du lieu d’Audabias, commune de Saint-Jean-du-Pin, arrondissement d’Alais, département du Gard. Cette commune est formée de la réunion de plusieurs petits villages, et parmi les catholiques qui la composent, plusieurs n’ont pas perdu le souvenir que leurs ancêtres étaient protestants. On y compte encore environ deux cents cinquante protestants, qui de la position de nouveaux convertis qu’ils étaient à l’époque des persécutions, sont revenus à la foi réformée. Ils habitent presque tous le même village de Plos. À peu de distance de ce lieu, se trouve la métairie d’Audabias, appartenant encore aux descendants de Jean et Denis Fabre, qui furent plusieurs fois emprisonnés pour avoir assisté aux assemblées religieuses. Il existe encore dans une des étables de la ferme, une cachette pratiquée dans l’épaisseur d’un mur, et destinée à abriter le ministre dans le temps des persécutions.

Collection très-intéressante ; pièces très-variées ; copies authentiques d’édits ; fragments de prières ; correspondance officielle ; affiches ; pièces de Baville, de Du Deffant de la Lande et autres ; deux complaintes.

Rég. Aff. 1 vol in-4o. — Registre ou cahier broché d’affiches, mandements, expéditions officielles, placards imprimés d’ordonnances et jugements, soit des parlements, soit des intendants, pour faits de religion. Ces placards officiels sont très-rares. Je dois cette collection, très-utile pour l’historique des jugements dont la foi du désert fut frappée, à M. le pasteur E. Frossard.

Mss. Veg. — Notices historiques extraites des papiers du pasteur Antoine Court. — Plusieurs lettres grand in-4o de M. de Vegobre, ancien juge au tribunal de Genève, ancien membre du comité français de Genève pour les églises du désert, 1835-1836. Ce respectable protestant y a placé beaucoup de détails sur Antoine Court et sur la marche des églises du désert : les lettres sont seulement signées de M. de Végobre.

Mss. V.Complaintes sur la prise de certains pasteurs protestants ; un cahier petit in-4o (voy. plus haut, p. 314) ; probablement du lieu d’Aumessas, faisant partie de la consistoriale du Vigan (Gard) ; il serait possible que ce recueil eût été copié sur des mss. plus anciens en 1803, par le pasteur Fimiels, à Saumène. Notre collection s’est enrichie de ce cahier extrêmement curieux, par les soins de M. le pasteur Vors.

Mss. Ls. Lettre autographe de l’intendant Baville, et minute originale du synode national de 1756, avec le rôle officiel des pasteurs du désert au milieu du xviiie siècle ; nous sommes redevables de ces deux pièces, dont la seconde est très-importante, à M. le pasteur Lanthois.

Mss. Mar. Pièces historiques des papiers et correspondance du pasteur P.-H. Marron. 2 vol. in-folio, dossier original de l’affaire du galérien Bernadou, présenté à l’assemblée nationale ; beaucoup de pièces et lettres ayant trait aux affaires des protestants de Paris, à l’époque de l’édit de tolérance de Louis XVI ; nous en profiterons pour la suite de cette histoire.

MANUSCRITS COMMUNIQUÉS.

Mss. Cast. — Un vol. in-4o déposé aux archives de l’église consistoriale de Castres, département du Tarn. Recueil de pièces originales, synodes, lettres et mémoires, depuis 1735 jusque vers la fin du siècle. Nous y avons reconnu avec certitude plusieurs pièces de la main de Court de Gebelin, qui probablement les transcrivit lorsqu’il accompagnait son père, Antoine Court, dans les visites du haut Languedoc. Registre d’un grand intérêt historique ; le plus important de tous ceux que nous avons vus, sauf la grande collection des Mss P. R. On y trouve une foule de pièces remarquables sur les églises du désert du haut Languedoc, et à la suite de l’une d’elles, la signature, extrêmement rare, du dernier pasteur martyr, François Rochette. Nous avons pu faire de nombreux extraits de ce registre, grâce aux soins de M. le pasteur P.-L. Durand.

Mss. Nag. — Registre synodal, petit in-4o déposé aux archives du consistoire de Nages, église consistoriale de Calvisson (Gard), renferme les actes des synodes provinciaux du bas Languedoc, depuis 1716 et 1717 jusqu’au 30 avril 1793, an ii de la rép. franc. En partie, actes collationnés par Encontre fils. Registre fort intéressant pour l’histoire. Les pièces qui le composent existent presque toutes, dans notre collection, Mss P. R. et dans un recueil fort précieux (1 vol. in-4o) d’actes synodaux, que M. le pasteur Lombard a bien voulu nous adresser ; nous le citerons souvent dans la suite de cette histoire. Communiqué par l’obligeance de M. le secrétaire du cons. de Nages, et par l’intervention de M. le pasteur E. Frossard.

Les manuscrits de Castres et de Nages sont conservés dans les archives consistoriales de ces deux églises.

Abréviations.

Min. Or. — or. — La minute originale d’un acte ou pièce, revêtu des signatures en original ; notre collection renferme beaucoup de pièces de ce genre.

Cop. certif. — La copie d’un acte synodal, lettre ou autre pièce, certifiée authentique par la signature en original d’un pasteur, secrétaire ou autre.

Corr. P. R. — ou Lett. P. R. signifie une lettre de notre titre iii Mss. P. R. de la Correspondance de Paul Rabaut avec les pasteurs du désert, ses collègues, ou autres personnes, concernant les affaires des églises ; ce sont toujours les lettres originales.

FIN DU TOME PREMIER.

TABLE DES CHAPITRES.


 vii


LIVRE I.
Plan de l’ouvrage ; — mort et dernières mesures de Louis XIV ; première renaissance du culte réformé après la guerre des Cévennes ; — premières lois disciplinaires et premiers synodes. 
 1
Législation générale de Louis XIV touchant les affaires de la religion réformée. 
 37
Assemblées des églises sous la croix ; — prières du culte privé et du culte public. 
 88
Situation des églises sous la régence d’Orléans ; — projets pour l’abolition des lois pénales et le rappel des fugitifs. 
 115
Édit de 1724 contre les églises réformées ; — principes et conséquences de ce code de lois. 
 143
Tournées évangéliques du pasteur Antoine Court ; — fondation du séminaire français de Lausanne. 
 172
Ministère du cardinal de Fleury ; — arrêt du parlement de Rouen sur une question d’état des protestants ; — ordonnances de 1729 — capture et interrogatoire du pasteur Claris ; — son évasion. 
 212
Lettre de Saurin aux églises ; — mesures des synodes ; — requêtes des cures des Cevennes à la cour ; — réponse de l’intendant du Languedoc ; — incendie de livres protestants ; — applications de l’édit de 1724. 
 238


LIVRE II.
Esprit parlementaire contre les protestants ; — renaissance du culte dans le haut Languedoc, la Guyenne, le Poitou, la Normandie et le pays de Foix. 
 277
Influence du synode national de 1744 ; — complaintes sur la mort des pasteurs du désert ; — complaintes du ministre Alexandre Roussel ; — martyres d’Étienne Arnaud et de Pierre Durand ; — lettres pastorales de Michel Viala ; — arrêts du parlement de Grenoble ; — martyre du pasteur Louis Ranc. 
 312
Ministres de Louis XV ; — faux édit de tolérance et faux cantique ; — lettre de Paul Rabaut au duc de Richelieu ; — capture et martyre du pasteur Roger ; — églises du haut Languedoc et de la Guyenne ; — lettre pastorale de Michel Viala ; — le consul Fabre ; — placet des églises au roi ; — correspondance de l’intendant du Languedoc avec les églises du désert ; — demandes de corps militaires. 
 336
Capture et exécution du pasteur Désubas ; — ballade sur sa mort ; — événements de Vernoux ; — juridiction des intendants ; — lettre de Paul Rabaut à l’intendant du Languedoc ; — placet des églises au roi ; — persécutions contre les mariages à Montauban. 
 373
Antoine Court et Paul Rabaut ; — persécutions générales de 1740 ; — peines corporelles et confiscations ; — listes et correspondance des galériens pour cause de religion ; — liste des femmes prisonnières à la tour de Constance du château d’Aiguesmortes. 
 403
Requête des églises auprès du congrès d’Aix-la-Chapelle ; — abjuration d’un ministre ; — progrès des églises du haut Languedoc. 
 444
Mémoires présentés au conseil sur les églises du désert ; — Joly de Fleury ; — situation générale des églises du désert au milieu du xviiie siècle. 
 462


Question politique sur la législation de Louis XIV touchant les protestants, par Rabaut Saint-Étienne. 
 493
Lettre de l’intendant Baville sur l’affaire d’Orange. 
 498
Liste des galériens des églises du désert en 1707. 
 501
Tableau de la tournée du pasteur Court en 1728. 
 506
Liste des pasteurs du désert exécutés de 1686 à 1762. 
 507
Liste des forçats des églises du désert en 1753. 
 512
Liste des prisonnières pour la religion du désert détenues à la tour de Constance. 
 519
Synode national de 1756 (texte). 
 526
Rôle officiel des pasteurs du désert, proposants et étudiants. 
 537


fin de la table des chapitres.

TABLE DES MATIÈRES.



Aguesseau (d’), le chancelier ; son jugement sur la sévérité de son père envers les réformés français, p. 74-76. — Est nommé chancelier, 117. — L’esprit janséniste le porte à la persécution des protestants, 128. — Mauvais plans de ce magistrat, 129. — Sa disgrâce, 134. — Prend beaucoup de part à la funeste déclaration de 1724, 161. — Ses motifs, 162. — Approuvait presque, selon Rulhière, le supplice de la claie, 161. — Influence de ses maximes sur les églises, 280-281.
Aguesseau (d’), le conseiller, intendant du Languedoc, p. 74. — Croyait que les lois devaient être rigoureusement interprétées envers les protestants, ib. — Démolit les temples, ib.-75. — Recommande la douceur en Languedoc, ib. — Fait rouer le ministre Homel, note, ib.
Anciens des consistoires du désert ; ils devront poser des sentinelles, p. 103, — Ils feront le service à défaut des pasteurs, 105. — Dans toutes les églises il doit en être établi, ib. — Ils devront approuver le choix des fidèles, 102. — Ils pourront, selon l’urgence, recevoir et nommer seuls les pasteurs, ib. — Feront la liste des communiants, 200. — S’assembleront un fois tous les mois, 286. — Leurs devoirs, 311.
Arnaud (Étienne), pasteur du désert ; aux synodes de 1716 et 1717, p. 82. — Exécuté à Alais ; sa fin édifiante, 37. — Le seul qui pouvait donner quelque espérance aux églises en 1720, 193-325.
Assemblées du désert ; elles commencèrent à la révocation, p. 63. — Premières assemblées surprises, 64. — Lieux où elles se passèrent et premiers fidèles martyrs en 1686, ib. — Elles eurent lieu sous la régence, 93. — N’être point averti de s’y rendre était une peine disciplinaire, 105. — Tableau et caractère de ces assemblées dans le Vivarais, 110. — Poésie de ce culte, ib. — Réunions nocturnes, 111. — Précautions, 112, 113. — Premières assemblées sous la régence. — Elles sont dispersées, 136 ; — en Dauphiné par le duc de Médavy, en Languedoc par le duc de Roquelaure, ib. ; — en Guyenne par le duc de Berwick, 137. — Mal jugées par Lemontey, note, ib. — Premières surprises d’assemblées, d’après les manuscrits de Rabaut Dupuis, 141, 142. — Punies des galères perpétuelles d’après la déclaration de 1724, 167. — Inspectées par les soldats, 179. — Dispersées par la pluie et ralliées par le chant des psaumes, 180. — Frayeur d’un soldat, 181. — Les orages, 182. — Poursuivies par le curé de Vebron, 183. — Empressement des fidèles, 186. — Réunion de trois mille fidèles pendant la nuit, 187. — Tableau d’une tournée de près de cent lieues pour les assemblées, pièc. justif., no 4. — Caractère des tournées missionnaires, 189. — Obligation d’y assister, 201. — Comment elles se convoquent, selon l’interrogatoire du pasteur Claris, 230. — Définition des assemblées, selon les curés des Cévennes, 260. — Précautions contre la foule, 286. — Elles seront tenues de jour, 290. — Sévèrement interdites par les ordonnances de 1745, 298, 299. — On les poursuivait spécialement, 309. — Elles sont obligées de se réassembler seulement de nuit, 328. — Doivent être fréquentées sous peine d’excommunication de la cène, 329. — Leur défense par Paul Rabaut, 354. — Ne pouvaient pas être secrètes, 373. — Ordonnances sévères, 400. — Assemblées surprises, 418. — Pourquoi condamnées, 424. — Arguments des fidèles en leur faveur, 420. — Leur nom en dialecte languedocien, note, 427. — Pourquoi se tiennent en plein air, ib. — Leur caractère et pourquoi elles inquiétaient la cour, 128, 429. — Assemblées armées, 429, 455.


Ballades sur le martyre des pasteurs du désert, p. 314. — Ressemblent aux ballades écossaises publiées par Walter Scott, 319. — Genre de leur poésie, 320, 386.
Baptême ; celui de l’Église catholique déclaré bon par un synode du désert, p. 102. — Conféré à cinq enfants dans une seule assemblée, 180 ; — devant l’Église romaine, 200. — Selon les curés des Cévennes, 261. — cinq baptêmes au synode national de 1744, note, 290, 298.
Basnage (Jacques), pasteur réfugié, reçoit une lettre du premier synode de 1719, publiée par l’Évangéliste, p. 29. — Sa réponse, 30, 69. — Ses entrevues avec les agents du régent Philippe d’Orléans, 91. — Il les renvoie au pasteur Court, ib. — Sa lettre pastorale aux églises du désert, 92. — son Histoire de l’Église, 241.
Baville (Lamoignon de), intendant du Languedoc, p, 76. — Post-scriptum condamnant soixante-seize protestants aux galères, note, 77. — Sa lettre sur l’affaire d’Orange, pièc. just., no 2. — Sa devise rapportée par Saint-Simon, 76. — Sa fin sans remords, 120. — Son calme en présence des supplices, ib. — Jugé d’un mot par madame de Sévigné, note, 120. — Consulté dans ses derniers jours par l’évêque de Tressan, 148, 278. — Une lettre sur l’affaire d’Orange, 499. — Un doux post-scriptum, 500 ; 507, 508.
Bernage de Saint-Maurice, intendant du Languedoc, p. 227, 257. — Sa lettre à l’évêque d’Alais sur l’état des églises du désert, 264. — Condamnation pour avoir secouru un malade, 275 ; 278, 284, 489, 508, 510.
Berwick (le maréchal de) ; son jugement sur la portée politique de l’insurrection des camisards, p, 95.
Betrine (Jean), prédicateur, reçu au synode de 1718, p. 102, 174 ; collègue du pasteur Court, avec les ministres Rouvière et Bourbounous, ib., et le ministre Pierredou, ib., 178, 197 ; — envoyé en Poitou comme une victime, 198, 235.
Bourbon (le duc de), premier ministre de Louis XV, p. 143. — Son gouvernement funeste aux églises, 144, — Position de la maison de Condé, ib. — Son portrait par Lemontey, 145. — Mené par deux prêtres, 146. — Son exil, 223.
Boyer (Jacques), pasteur du désert. — Sa déposition, p. 236. — Exécuté en effigie, 270. — Scission à laquelle il donne lieu, 290. — Est réinstallé dans ses fonctions, 293.


Camisards ; conséquence de leur guerre pour la province des Cévennes, p. 22. — Leur exaltation, note, 76. — Continuation de leur fanatisme, 93. — Leurs prophètes, en 1709, distribués en corps d’armée mystique, ib. ; Leurs tribus, d’après Charles Pourtalès, note, 94. — Jugés par le maréchal de Berwick, 95. — On n’oublia jamais leurs rapports possibles avec les puissances étrangères, 96. — Leur guerre faillit se rallumer en 1752, à cause des enlèvements d’enfants, 412, 465.
Cévennes (province des). Réunions religieuses après la mort de Louis XIV, p. 19. — Position par suite de la guerre religieuse, 22. — Ne furent calmées qu’en 1713, 93 ; 100, 257, 284, 410, 412.
Crotte (Jean), pasteur, aux synodes de 1716 et 1717, p. 32. — Reçoit charge d’administrer la cène, 35.
Chant sacré, écoles chez les églises du désert, p. 255. — Leçons de chant punies, 418.
Claris ( Barthélémy), pasteur du désert ; acompagne Antoine Court, p. 179, 196. — Capturé en 1728, 227. — Renfermé à la citadelle d’Alais, 228. — Son interrogatoire textuel, par Novi de Caveirac, subdélégué, 228, 235. — Ses fonctions, ses études, 229, 233. — Ses habits, 232. — Étudie en Suisse, 233. — Ses sermons et analyses saisis, 235. — Il s’évade de la citadelle d’Alais, 237, 252. — Sa mort tranquille, 454.
Clergé catholique ; blâmé par le chancelier à cause de sa lenteur à exécuter les édits de Louis xiv, 67. — Extrait de la circulaire de Pontchartrain, 68. — Ses curés résistent à plusieurs édits, 69. — Déclare à Louis XIV que ses bienfaits sont ses seules armes envers les protestants, 79. — Se plaint que les réformés portaient un masque catholique, 110. — Eut des observateurs soudoyés, 113. — Se fatigue d’appliquer la déclaration de 1724, 164. — Obligé de visiter les malades protestants, d’après l’édit de 1724, 170. — Son esprit, 305. — Mandement de l’évêque de Valence, 374 ; 375-413. — Ses principes, 463. — Ne veut plus marier les nouveaux convertis, 467. — Est lui-même victime des Édits de Louis XIV, 477. — Veut exiger l’abjuration pour les mariages, 475. — Combat l’offre du vingtième par les églises du désert, 480.
Complaintes populaires du Languedoc sur le supplice des ministres du désert, 314. — Une seule porte un nom d’auteur, ib. — Liste de ces poésies, note, ib. — Quelle confiance doit-on y attacher, 315. — Leur caractère, 318. — Leur physionomie littéraire, 319. — Complainte sur la prise de M. Roussel, pasteur du désert, exécuté à Montpellier en 1718, 320. — Imprécations lyriques qui la terminent, 321. — Complainte de Desubas, 377 ; 382, 386.
Consul protestant de Saint-Jean-du-Pin, p. 355, — Fréquente les assemblées du désert, 357.
Condamnations. Listes de 1752. — Les gentilshommes verriers, p. 417. — À mort, contre Élie Vivien, 419. — Capitales, contre les ministres, 425. — Leur esprit, 430. — Leur nombre, 431. — On en exécutait un tiers, 432. — La France les eût fait cesser, 443, 455. — Pour avoir donné asile à un soldat malade, 256.
Consistoires. Pourront-ils empêcher les pécheurs d’approcher de la cène, p. 295. — Leurs devoirs, 311.
Contrebande défendue, excepté celle des livres de religion, p. 204.
Corteis (Pierre), pasteur du désert, auteur des premières consécrations régulières, p. 101, 174. — Seconda efficacement Antoine Court, 193, 196, 236. — Nommé député au comté de Foix, 311. — Condamné à mort par contumace, 351, 370, 391. — Beau certificat qu’il obtient, 461.
Court (Antoine), pasteur du désert. Son origine et ses premiers travaux, p. 21. — Sa personne et son caractère, ib. — Mérite le titre de restaurateur du protestantisme français, 22. — Dessein qu’il forme à dix-sept ans, ib. — Son mémoire sur l’état de la religion en France en 1715, 24. — Ses quatre moyens pour rétablir l’Évangile, 25. — Ses efforts contre les prophètes, 26. — Premières convocations, 26. — Réprime les prédicateurs sans mission, ib. — Premier synode de 1715, 28. — Fait adopter cinq articles fondamentaux, ib. — Caractère de ses desseins à la mort de Louis XIV, 30-31. — Réunit les synodes de 1716 et 1717, 32. — Détermine cinq pasteurs à faire revivre les anciens synodes, ib. — Minute de cette délibération, 33. — Reçoit charge d’administrer la cène, 35. — Ses pourparlers avec les agents politiques du régent d’Orléans, 91. — Refuse de sortir de France, 92. — Réunit les églises dans les grottes et les granges, 99. — Il pourvoit les églises de ministres réguliers, 100. — Son style oratoire à l’âge de vingt-quatre ans, fragment d’invocation, 109. — Rétablit la discipline dans le Vivarais, 111. — Sa tournée missionnaire de 1728, de près de cent lieues, 176. — Tableau géographique, pièc. justif., no 4. — Il se défend de négliger ses devoirs à cause de l’amour de sa Rachel, ib. ; — et de trop aimer la chasse, ib. — Célèbre quinze mariages et quinze baptêmes dans sa tournée de 1728, 187. — Fait des quêtes pour les églises du désert, 191. — Démarches pour le séminaire de Lausanne, 192, 195, 196. — Député général des églises, 203. — Concilie les églises au synode national de 1744, 291. — Prêche devant dix mille personnes, 293. — Fait partie du comité de Lausanne, 296. — Écrit aux églises sur la crainte d’un soulèvement contre les persécuteurs, 394. — Esquisse de sa vie, 404. — Sa dernière démarche en faveur des galériens, 440. — Réflexions sur l’abjuration d’un ministre, 453. — Sa lettre à Paul Rabaut sur les persécutions, 456. — Tableau de sa tournée de 1728, 506. — Son Patriote français et impartial, note, 507.
Culte domestique. Ses premiers règlements, p. 33. — public. Il était mystérieux, p. 106. — Fragment d’une prière de ce culte prononcée au désert par A. Court, en 1720, 107. — Son éloquence touchante au milieu des dangers, 108. — Tableau de ce culte dans les assemblées nocturnes du Vivarais, 110-111. — Le culte missionnaire, 174. — Se célébrait dans de vastes tournées pastorales, 176. — Précède les prédications des missionnaires catholiques, 177. — Devra être célébré pendant le jour, 290.


Danse interdite dans les temps d’affliction des églises, p. 201. — Danseurs interdits et anciens censurés, 312.
Daudé (le chevalier), subdélégué de l’intendant du Languedoc, en 1728, P. 166. — Rencontre les assemblées de protestants à la promenade, 185. — Sa lettre aux officiers de justice, 223-227. — Verbalise à propos de l’évasion du pasteur Claris, 238, 257.
Dauphiné. Les assemblées continuent en dépit des édits de Louis XIV, p. 57. — Fidèles surpris et passés au fil de l’épée, 75. — À l’idée des écoles ambulantes, 203. — S’élève contre la prééminence du Languedoc, ib. — Agitation touchant les faux édits de tolérance, 343 ; 390, 409, 416. — Gouverneurs, 511.
Déclaration de 1669, contemporaine du Tartuffe, p. 41. — Premier pas vers la révocation de l’édit de Nantes, ib. — Ses minutieuses dispositions, 52. — de 1724, œuvre de monsieur le duc et de l’évêque de Tressan, 146-148. — Préambule de l’édit, 149. — Texte des articles, 152-158. — Elle prodigue les supplices et les galères contre les pasteurs et les fidèles, 158, — Ses motifs dogmatiques et administratifs expliqués par Joly de Fleury, 160. — En partie l’œuvre du chancelier d’Aguesseau, 159-162. — Ses résultats avortés, 161. — Comment les protestants du désert réussirent à en casser
les dispositions, 163, — Elle ne fut jamais rigoureusement appliquée, 165. — Les malheurs qu’elle amena, 167. — Résumé de cette législation, ib. — Ses recherches de la mémoire des morts, 168. — Galères, confiscations et amendes, 170. — Elle fait du relaps une présomption légale, 171.
Deffère (Étienne), pasteur du désert, p. 284-292.
Désert (Églises du). Épisode de l’histoire générale de France, p. 2. — Elle n’a pu être écrite que sur des manuscrits secrets, 3. — Caractère et poésie de ce culte, 19. — Ses assemblées et leur définition, 20. — Elles tendent à détruire l’organisation ecclésiastique, 19. — Première discipline contre les inspirés, 36. — Esprit huguenot et patriote des églises manifesté par Saurin, 63. — Leur premier sort sous la régence d’Orléans, 88. — Influence sur elles des alliances du régent avec les états protestants, 89. — On tâche de les soulever contre le régent d’Orléans, 91. — Troublées par les restes du fanatisme des Camisards, 93. — Leur premier culte est privé, 96. — Leur état à la mort de Louis XIV, 98-99. — Toutes devront contribuer à réparer les malheurs de chacune, 105. — Faisaient des dons aux galériens martyrs, 112, — Comment elles accueillirent la déclaration de 1724, 143 ; 164. — Leur système d’assurance générale, 204. — Leur placet au roi en 1745, 305. — Tableau de leur état, 306, 309, — Leur placet de 1746, note, 335.
Désert (Églises du) ; leur Mémoire de plaintes, extrait, p. 348. — Leurs réunions surprises, 349. — Condamnations en masse, 351. — Consultées sur leurs dispositions vis-à-vis de l’étranger, 366. — Interrogées sur le nombre de soldats qu’elles pourraient fournir, 367. — Sommées de déclarer leurs dispositions en cas de guerre, 371. — Leurs requêtes sans réponse, 394. — Leur position en 1746, 398. — Leur état, 445. — Adressent une requête au congrès d’Aix-la-Chapelle, 446. — Leurs malheurs, 447. — Articles de leurs demandes, 449. — Il eût été à craindre qu’elles ne se révoltent, 451. — Requête sans succès, 452. — Leur état dans le haut Languedoc avant la renaissance du culte, 460. — Situation générale au milieu du xviiie siècle, 485.
Désubas (Mathieu Majal, dit), pasteur du désert, député au synode national de 1744, p. 288, 349, 377. — Capture, 378. — Les fidèles essaient de le délivrer, 379. — Massacre de Vernoux, ib. — Il calme la sédition, 380. — Complainte, 382. — Condamné à mort, 384. — Son exécution, 385. — Roulement de tambour, note, 386. — Ballade sur ses derniers instants, 387. — Son supplice n’intimide point les assemblées, 389. — Lettres publiées par l’Évangéliste, note, 509.
Duperron (le ministre), contumace, condamné à mort par le parlement de Grenoble, p. 334. — Il abjure, page.
Duplan, gentilhomme, d’Alais. — Son zèle pour les églises du désert. — Ses discussions avec Antoine Court, p. 24. — Lettre de Court sur sa tournée de 1728, 176, 191.
Durand (Pierre), pasteur du désert ; aux synodes de 1716 et 1717, p. 32. — Reçoit charge d’administrer la cène, 35. — Exécuté à Montpellier, 37, 198. — Son nom sur un acte, avec le sceau des églises du désert, 199, 325. — Est le sujet d’une complainte, 324. — Signataire des premiers synodes de 1716, ib. — Caractère de son apostille, 325 ; 326. — On essaie vainement de le faire abjurer, ib.


Enlèvements d’enfants. — Germe de cette pratique dans un édit de Louis XIV, p. 56. — En Normandie, 410.
Escalopier (Charles l’), intendant de Montauban, p. 327. — Ses titres, note, 401. — Condamne les mariages de Montauban, 402. — Frais qu’il prononce, ib.
Étudiants au séminaire de Lausanne, p. 196. — Peuvent se faire consacrer à l’étranger, ib., 206. — Leur régime, note, 210.


Fanatisme. — Régnait en Vivarais, après la mort de Louis XIV, p. 22, 173, 190.
Femmes prisonnières, 433. — Liste écrite par Marie Durand à la tour de Constance, ib. — Liste des captives, 441. — Description de la tour de Constance du château d’Aiguesmortes, 442-443. — Liste des détenues à la tour de Constance, au nombre de vingt-cinq, par Marie Durand, p. 519, — Visite du chevalier de Boufflers et du prince de Beauvau, 524.
Foix (comté de). Organisation du culte, p, 311, 390, 414.


Galériens pour crimes de culte du désert. — Quête à leur profit dans les églises du haut Languedoc, 361, 368. — Listes diverses, 432. — Lettre de Jean Molinier, 434, 513. — On leur imposait des navigations, ib. — Lettre de Mercier, 435, 515. — Lettre du sieur de Lasterme, 435, 514. — Leur résignation, leurs peines, 436. — La famille Bernadou, 438. — Acte mortuaires, confiscations, 439. — Lettre de Jean Raymond, 440. — Le cousin de Paul Rabaut, note, ib. — On cherche à les convertir, 441. — Souscriptions pour rompre leurs chaînes, 479.
— Liste des galériens de 1708, extraite des registres officiels des églises wallonnes de Hollande, 501. — Récapitulation, 505.
— Liste des galériens de 1753, au nombre de quarante-huit, dressée par eux-mêmes, 512.
Guerres du règne de Louis XV. — Succession d’Autriche, p. 282. — Influence sur les églises du désert, 284, 313, 369, 444.
Guignard (vicomte de Saint-Priest), intendant du Languedoc, p. 412. — Manque de faire soulever la province, ib., 430, — Instructions qu’il reçoit après la mort de l’intendant Lenain, 509.
Haut Languedoc (province du). Restauration du culte, 285, — Circulaire sur le culte persécuté, 310. — Requête au roi et à ses ministres, 358. — Demande l’exil comme une faveur, 360-361. — Demande le pasteur Grenier de Barmont, 460.
Homel (Isaac), le pasteur, roué en Languedoc, par arrêt du conseiller d’Aguesseau, p. 75. — Manuscrit qui le concerne, note, ib, — On croit entendre son âme chanter en quittant son corps, note, 76.
Huc (Jean), pasteur, au synode de 1715, 1716 et 1717, p. 29, 32. — Fait une mauvaise fin, 29. — Se fait catholique ; exécuté à Montpellier, 36.


Inquisition d’Espagne. Elle allume ses feux devant la princesse d’Orléans, p. 133. — Sacrifices humains, ib. — Listes des auto-da-fé sous Philippe de Bourbon, note, 133.
Intendants des provinces. Leur juridiction sommaire, d’après un édit de 1689, p. 58. — Institution des intendants proconsuls, 70. — Leur zèle pour surprendre les assemblées, 113. — Ils font interroger les ministres captifs, 232, 264. — Leurs fonctions rivales des parlements, 278. — Leur manière de gouverner les églises, 372. — Tableau de leur juridiction, note, 389, 419-420. — Punissent ceux qui se font protestants, note, 420.


Jeunesse. Efforts pour la convertir à l’église catholique, p. 254. — Son état dans les églises du désert, 261. — Sa conduite en présence des édits, 267. — Liste des enfants, sous peine d’amendes, 273. — Veut s’armer dans les assemblées du désert, 407.
Joly De Fleury, conseiller d’état, ne peut expliquer les lois de Louis XIV, p. 39. — Procureur général au parlement de Paris, 158. — Sa consultation sur l’état des réformés, 159 ; — ib., 281. — Son opinion sur l’état civil des religionnaires, 465, 467. — Son jugement sur la conduite des églises du désert, 469. — Ses principes sur les mariages et sa réfutation de l’avis du clergé, 472, 476.
Jurieu (Pierre), le pasteur, auteur des Soupirs de la France, livre critique du gouvernement de Louis XIV, p. 5. — Son traité de l’histoire des dogmes, 240.


La Fare (maréchal, marquis de), commandant du Languedoc, p. 227, 257, 267.
Fleury (le cardinal de), p. 66 — reçoit la pourpre romaine deux ans après l’édit de 1724 contre les protestants, 172, 257.
La Fontaine loue Louis XIV de ses victoires contre l’hérésie, p. 78.
France protestante ; de quoi elle se composait en 1733, p. 252. — État du nord pour le culte religieux, 253. — Le Poitou n’y figure que dix ans plus tard, 253. — Ses provinces en 1744, 238.
Lausanne (séminaire de) ; première idée de cet établissement par le pasteur Antoine Court, p. 175. — Pourquoi on choisit cette ville, 191. — L’archevêque Wake favorise l’établissement, note, 192, 195. — Démarches pour le fonder, 194, 197, 204. — Précéda la faculté de Montauban, 205. — On brûlait les lettres qui y avaient rapport, ib. — Direction et comité Genevois, 206. — Les premiers professeurs, 207. — Le pasteur Turretini, ib. — Professeurs des derniers temps, Durand, Levade, Secretan, Bugnon, Chavannes, — Nombre des étudiants, note, 208. — Régime intérieur d’après l’abbé Lenfant, jésuite, note, 209. — Secours aux étudiants, 210, 233. — Force des études, 458.
Languedoc. Ses états provinciaux sans protestants, p. 7. — Sa position religieuse après la mort de Louis XIV, 18. — Ses églises affectent la supériorité, 202. — Développement industriel qui inquiète la cour, 225, 284, 373. — Ses impositions provinciales, 424. — Intendants, 510. — Commandants et gouverneurs, 509, 510.
Législation de Louis XIV contre les protestants, p. 39. — Pourquoi il faut la retracer, ib. — Elle n’eut aucun principe arrêté, 38. — Sur les confiscations, 47. — Législation sous le rapport religieux, 51. — Ses conséquences générales, 87.
Lenain (le chevalier), intendant du Languedoc. — Condamne les livres protestants, p. 350 ; 355, 358, 363. — Sonde les dispositions des églises en face de l’invasion ennemie, 365. — Reçoit la réponse du haut Languedoc, ib. — Sa seconde lettre semi-officielle aux églises, 369, 372. — Sa parenté, note, 383. — Versa des larmes en condamnant à mort le ministre Desubas, 384, note ; ib., 390, 396, 411. — Fait exécuter Jean Desjours, 411, 414, note, 420. — Ses amendes systématiques, note, 423. — Sa mort, 509. — Ami de Montesquieu, note, 510.
Livres protestants de théologie. — Édit qui les supprime, p. 59, — Peines contre les libraires, ib. — Le parlement de Paris en fait dresser une liste, 60. — Pourquoi ils sont rares encore, ib. — Ordonnance contre les livres, 270, 271. — Auto-da-fé de livres protestants à Beaucaire, 272, 357. — Condamnés au pilori, 418.
Lois contre les protestants français ; collection officielle de 181 édits paraphée par le procureur du roi à Meulan, p. 39. — On n’y trouve aucun plan suivi, ib. — Lois contre les émigrations, 40, 41. — Lois contre les contrats de vente et les voyages, 41. — Peine de mort contre les émigrés, 43. — Cette disposition est adoucie, 44. — Lois touchant leur état civil et politique, ib. — Touchant la confiscation des biens des religionnaires fugitifs, 46, — Il leur est défendu de vendre leurs biens sans la permission du roi, 48. — Loi qui permettait aux enfants de sept ans d’abjurer, 53. — Sur les malades protestants, ib. — Loi capitale contre tout ministre, 57, — et même contre tout fidèle, ib. — Il fallut modifier cette dernière, 57. — Loi qui condamne les fidèles présents aux assemblées, à mort, et absents, aux galères, 57. — Dernière loi de Louis XIV contre les malades et les agonisants de la religion réformée, 58. — Cadavres traînés sur la claie, 59. — Contre les livres, ib. — Dernier édit de 1715, déclarant que tous les Français sont catholiques, 99. — Ne furent jamais populaires, 491.
Louis XIV amena la seconde époque de l’histoire des protestants de France, p. 6, — Il proscrivit les religionnaires, et prépara la révolution française, ib. — Impulsion dévote de sa cour, 8. — Son système politique, 12. — Sa position au commencement du dix-huitième siècle, ib. — Il rêve l’unité religieuse de l’Europe, ib. — Ses désastres et sa mélancolie, 13. — Comment il reçoit des propositions déshonorantes, ib. — Il signe le traité d’Utrecht, p. 14. — Sa dévotion est dépouillée de but politique, 15. — Ses derniers moments, 16. — Ses paroles en mourant, ib. — Ses funérailles, 17. Ne réussit point dans ses desseins, 18. — Sa solitude au milieu de la France, 71. — Conséquences du pouvoir absolu, ib. — Son siècle était frivole, 73 ; — était dur, note, 76. — Comment on peut expliquer ses mesures envers les protestants, 81. — Établit une régie de spoliation des religionnaires, ib. — Les vœux que lui adresse Saurin, 61, 63. — Sa seconde apothéose, 81. — Son dernier édit de 1715 contre les protestants, 99. — Trahi à son lit de mort, note, 115.
Loire ( Jean-Baptiste), pasteur du désert, p. 287. — Consacré à Lausanne, ib., 288, 302. — Son opinion sur les faux édits de tolérance, 334, 458.
Louis XV. — Son enfance, p. 117. — Devait épouser l’infante d’Espagne, 132. — Reçoit une ceinture de la Vierge par les mains de l’abbé Dubois, ib. — Nomme le duc de Bourbon premier ministre, 143. — Divers ministres du roi lors de la promulgation de l’édit de 1724, 150. — Politique et guerre de 1743, 277. — Ses ministres, 280. — Réprime les églises de Montauban, 298. — Résumé de ses lois contre le culte public, 301. — Amendes et encouragements aux délateurs, 302. — Nouvelle de sa maladie au synode de 1744, 313. — Ses ministres secrétaires d’état en 1745, les frères d’Argenson, 337. — Le bien-aimé, 448.


Malesherbes ( Lamoignon de). — Son opinion sur les lois de Louis XIV, p. 89. — Succède enfin au comte de Saint-Florentin, 42. — Mot gracieux sur les souvenirs de son aïeul Baville, 77. — Il ne faut point conclure de Paris à toutes les provinces, 163.
Mariages célébrés au désert, p. 180, 181. — 15 mariages célébrés par Antoine Court dans sa tournée de 1728, 188, 200. — Selon les curés des Cévennes, 261, 263, 267, 312. — Épreuves exigées des fidèles du désert, 413, 455. — Confusion de leur état dans le Languedoc, 477.
Manuscrits. — Notre collection, p. 541. — De Paul Rabaut. — Pièces historiques ; correspondance ; journaux de notes. — De Rabaut Saint-Étienne, de Rabaut Dupuis, — Ms. Fab. Lic. — Mss. des complaintes. — Mss. Ls. — Reg. affiches. — Mss. Lomb. — Mss. Mar. — Mss. Veg. Mss. communiqués. — Mss de Castres, de Nages. — Avis pour leur conservation, préf. — Pour leur description, note, 509.
Migault (André), dit Préneuf, pasteur du désert, en Normandie, p. 287. — Au synode national de 1744, 288. — Se plaint des enlèvements d’enfants, 410, 452. — Passe à Jersey, 478.
Modérateur — Sens de cette expression selon la discipline calviniste, note, p. 527.
Montauban. — Églises condamnées par l’intendant du Languedoc, 269. — Ordonnances de Louis XV contre les églises de cette généralité, en 1745, 297, 298, 328. — Persécutions, 400.
Montesquieu. — Ne peut expliquer les lois de Louis XIV contre les protestants, p. 38, — Ami du ministre de Maurepas, 338, 415. — Lettres persanes. — Ami de l’intendant Lenain, note, 510.
Montpellier (la citadelle de), surnommée la maison des fidèles dans les complaintes populaires, 320, 321, 389.


Normandie (province de) ; entre en rapport avec le haut Languedoc, p. 287. — Représentée pour la première fois au syn. nat. de 1744, 288, 410, 411. — Ses députés, 452. — Reçoit les visites du pasteur Gautier, 478. — Ses pasteurs du désert, 542.


Ordre du Mérite militaire, fondé par le maréchal de Belle-Isle, p. 486.
Ostervald (le pasteur) ; son catéchisme adopté par les églises du désert, 296. — Il protège les protestants français, note, ib.


Parlements ; leur esprit, 215, 463. — Combattent les ultramontains et les protestants, 216. — Parlement de Rouen décide une question d’état touchant un mariage du désert, 219. — Moyens des parties, arrêt, 222. — Ne toléraient pas les actes des ministres, note, 221. — Collatéral condamné, 222. — Sont jaloux des pouvoirs des intendants, 278. — Leur opposition au clergé, 305. — Parlement de Grenoble, 304. — Sa conduite en 1745, 331, 417, 431, 508. — Ses jugements barbares, 333, 416, — Fait exécuter le pasteur L. Rang, 334. — Condamne sept ministres à mort, ib, 408. — Parlement de Toulouse, 374, 509. — Parlement de Bordeaux, 415.
Pasteurs du désert. — Leurs obligations, leur discipline, p. 35. — Récompense promise à leurs délateurs, 47. — Tout pasteur saisi, condamné à mort par l’édit de 1686, 57. — Exception pour les chapelains des ambassadeurs, ib. — Premières consécrations régulières au désert, 100, 101. — Leurs premiers honoraires de soixante-dix livres, 103, — Ils communiqueront leurs sermons, ib. — Ne fréquenteront pas les maisons où il y aura quelque jeune fille qu’ils auront le soupçon d’aimer, ib. — Ils devront être toujours élus par les anciens, 104. — Leurs lettres signées avec des anagrammes, 112. — Les émissaires qui les guidaient, ib. — Travestissements, ib. — Courses des soldats, ib. — Leurs changements de demeures, 113. — Condamnés à mort, d’après la déclaration de 1724, pour des fonctions quelconques, 168. — Correspondaient avec les intendants, 169. — Ils deviennent missionnaires par la force des choses, 174. — Une tournée au désert, 175. — Un ministre congédié, 185. — Fonctions multipliées des pasteurs, 188. — Leur rareté, 190.
Pasteurs du désert. — Parmi quelles classes ils furent d’abord choisis, p. 193. — Les pasteurs réfugiés ne veulent pas rentrer, 194. — Leurs fonctions d’après l’interrogatoire du ministre Claris, 229. — Leurs précautions, 231. — Leur vie errante, ib. — Exemples que M. de Bernage en fait, 266. — Impôts en leur faveur, ib. — Règlements de leurs fonctions, 294. — Certificats exigés, 311. — Sans cesse poursuivis, 376. — Étaient la meilleure garantie de l’ordre, ib. — Abjuration du pasteur Duperron sous la menace du gibet, 452.
Pasteurs du désert, exécutés depuis 1685 jusqu’en 1762, liste d’après Antoine Court, complétée. Pièc. just. no V. — Leurs députés au synode national de 1756, 527. — Rôle général, 537.
Pères de famille. — Leurs devoirs dans le culte domestique, p. 33.
Persécutions (tableau général des) ; de 1740 à 1750, p. 408, 417. — Leur jurisprudence générale, 424, 431, 433, 443, 454, 455.
Piolens (de), premier président du parlement de Grenoble, p. 331. — Offre la vie au martyr Louis Ranc, s’il veut abjurer, 334. — Informe contre le ministre Roger, 340.
Philippe d’Orléans ; résumé de son gouvernement politique, p. 89, 90, 96. — Son système touchant les églises, 115. — Laisse paraître le Télémaque et Athalie, 117. — Ses embarras, 118. — S’allie aux états protestants, 119. — Laisse exécuter les confiscations contre les protestants et M. de Laforet, 120. — Eut le projet de rendre la liberté de conscience aux protestants, 122. — Combattu par Saint-Simon, 122, 125. — Ses raisons politiques pour céder à cet avis, 126. — Déclaration du régent en 1716 contre le rétablissement de la tolérance, 127. — Cherche vainement à réduire au silence les partis religieux 130, 131. — Laisse décorer l’abbé Dubois du chapeau, 134. — Réprime le zèle fanatique de Berwick, 137. — Influence générale du gouvernement sur les églises, 139.
Politique de la France sous le cardinal de Fleury, p. 112. — Conduite envers les églises, 214. — Miracles de Saint-Médard, 215 ; 238, 277.
Prière privée du culte du désert ; extrait d’un Mss. p. 97. — Reproduite dans la liturgie de 1758, note, ib. — Désapprouvée par Saurin, ib. — Petites réunions chez les chefs de famille, 113.
Prière du culte public du désert par le pasteur Antoine Court, 167, 168.
Procès à la mémoire ; outrages aux cadavres, p. 274, 275. — À Cadenet, à Alais, 421 ; 431.
Protestants du désert, blâmés par les pasteurs, p. 44. — Leur sort a blessé tous les Français, note, 70. — Se répandent dans toute l’Europe protestante, note, 83. — Se défendent de tout esprit séditieux, 373. — Leur imprudence à l’affaire de Vernoux, 379. — Prêtent des ornements pour la Fête-Dieu, 393. — Consentent à accorder au roi l’imposition du vingtième, 479. — Conséquences de cette démarche, 481.
Provence (royaume de) ; sa littérature polie, ses arts ; il succombe sous les massacres de la croisade Albigeoise, p. 7. — La peste de 1720 met une trêve aux persécutions, 140, 409.


Rabaut (Paul), pasteur du désert, va étudier à Lausanne, p. 284. — Député au synode national de 1744, 288. — Est nommé pasteur de l’église de Nîmes, 294, 297. — Sa lettre au duc de Richelieu sur un cantique calomnieux, 358. — Adresse une déclaration de son ministère à l’intendant Lenain, 395. — Esquisse de sa vie, 405, — Les premières années sont incertaines, 406. — Sa liaison avec le pasteur Court, ib. — Il condamne les assemblées armées, 407, 410. — Ses manuscrits, préf.
Rabaut (Saint-Étienne) ; son Vieux Cévenol, p. 39. — Son tableau résumé de tout le code de Louis XIV contre les protestants, note, 60 ; 490. — Lois ridicules, 495. — Lois barbares, 496.
Racine. — Sa pièce d’Esther jouée un peu avant l’édit de 1689, qui condamna les fidèles du désert à mort et aux galères, p. 58. — Travaille au dictionnaire dans le seul but d’encenser Louis XIV, 77. — Déclare le roi le plus parfait de tous les hommes, 78. — Passage imité dans une requête des protestants, 450.
Ranc (Louis), pasteur du désert. — Capturé à Livron, 334. — Interrogé par le subdélégué Chais, ib. — Exécuté sur un gibet à Die en 1745, ib. — Tableau de sa fin courageuse, 335. — Ses restes sont outragés, ib.
Réformés (les Français), reparaissent après la paix d’Utrecht, p. 15. — Caractère des lieux où ils se réunissent, 19. — À quelles professions ils étaient réduits, 109. — Levant les amendes contre leurs frères excommuniés, 200. — Excommuniés s’ils vont à la messe, ib. — Ne se rendirent jamais coupables de sédition, 310.
Réfugiés français à l’étranger. — Leurs sentiments pour leurs frères de France, 60, 61. — Leurs colonies, 81. — Vont jusqu’au Nouveau-Monde et en Afrique, ib. — L’électeur Frédéric leur nomme un directeur et protecteur, ib. — Louis XIV leur nomme un régisseur des spoliations, ib. — Sympathie et secours qu’ils trouvent chez l’étranger, 82. — Leurs martyrs galériens secourus par les Hollandais. 8 » — Leur population, impossible à déterminer, ib. — Liste approchée des églises françaises qu’ils fondèrent en Europe, note, 83. — Se confondent avec les nations étrangères, 82, 83. — On ne saurait les distinguer aujourd’hui, ib. — Agissent pour leurs frères de France lors de la paix d’Utrecht, 94. — Leurs rapports avec les négociants du Languedoc, 225. — Ordonnance du duc du Maine contre leurs voyages, 226.
Révocation de l’édit de Nantes. — Caractère des calvinistes qui la bravèrent p. 6. — Ordonne la saisie des biens des réformés, 46. — Fut lentement préparée, note, 44. — Ses cruautés, note, 43. — Collection de ses lois, note, 39. — Ses effets, tracés par Saurin, note, 51. — Édit de révocation ; son préambule ; ses articles, 55. — Elle fut prononcée par mesure administrative, 70. — Déclarée le comble de la gloire de Louis XIV, 79. — Statue de bronze qui la célèbre, 80. — Comment elle fut jugée par les magistrats, les beaux-esprits, le clergé, et les ruelles de l’hôtel de Rambouillet, 72, 80. — Ses effets quant aux réfugiés, 83. — Liste des colonies françaises qu’elle produit en Europe, note, 83. — Les hommes de génie qu’elle exila, 84. — Denis Papin, Huyghens, Lemery, Duquesne. — Liste des savants qu’elle chassa de leur patrie, 87. — Ses suites irréparables, ib. — Sa commémoration par les protestants, note, 97, 287.
Révocation de l’édit de Nantes. — Éloge et justification de cette mesure, par le duc de Saint-Simon, 124, 125.
Richelieu (le duc de). — Arrive en Languedoc comme commandant de la province, p. 352. — Cadeau d’un régiment, 353, 409. — Prévient un renouvellement de la guerre des Camisards, 412. — Ami de Voltaire, 454.
Roger (Jacques), pasteur du désert. — Ordonne les premiers ministres, p. 100, 191, 197. — Député au synode national de 1744, 288, 297. — Accusé d’avoir fabriqué un faux édit de tolérance, 332. — Dénoncé par Louis XV au parlement de Grenoble, 340. — Se défend par une épître au comte d’Argenson, 341. — Pièces fabriquées, note, 342. — Il écrit à Louis Ranc, 345. — Saisi à Crest et condamné à mort, ib. — Il exhorte les fidèles, 346. — Sa fin héroïque, 347 — Sa vie, ses services, ib. — Il a conservé la filiation de l’ordination pastorale dans les églises de France, 348.
Roussel (Alexandre), proposant du désert, à Uzès, exécuté à Montpellier, p. 227, 256. — Complainte dont il est le sujet, 315. — Complainte de la mère de Roussel, 315. — Sa mère implore le duc d’Uzès, 324.
Roux, pasteur du désert, est rappelé par un synode de 1728, p. 184 ; 196, 236, 288.


Sages-Femmes (profession de), interdite aux personnes de la religion réformée, p. 48. — Motifs de cette loi, ib.
Saint-Florentin (le comte de), ministre des affaires de la religion réformée, 274. — Son caractère, note, 338. — Ses propos sur les assemblées du désert, 373.
Saint-Simon (le duc de). — Dernières paroles qu’il attribue à Louis XIV, p. 17. — Son avis sur le chancelier Pontchartrain, 43. — Montre que la famille régnante d’Angleterre est issue de réfugiés français, 118. — S’oppose aux projets de tolérance de Philippe d’Orléans, 123. — Il calomnie les huguenots, 124. — Son ignorance des vœux des églises du désert, 125, — La question du bonnet fait du tort aux protestants, 126, 127, 129. — Son jugement sur la dévotion des Espagnols, note, p. 133.
Saurin (Jacques). — Ses réflexions sur les lois contre les protestants, p. 40. — Sermon sur le trafic de la vérité ; exilés de France, 43. — Coups portés aux églises de France, 44. — Pourquoi les réfugiés ont fui leur patrie, note, 46. — Tableau des malheurs de la révocation, note, 51. — Résumé des principaux édits de Louis XIV, note, 53. — Sur les enlèvements d’enfants, note, 56. — Vœux adressés à Louis XIV et à la France, en 1710, 61, 62, 63. — Son jugement sur les réfugiés, 82. — Peste de Marseille, 140. — Sa mort, 239. — Son influence, 240. — Antagoniste de Bayle, 241. — Caractère de son éloquence, 242. — Est de la grande école littéraire, 243. — Son dogmatisme, ib. — Ses Sermons, note, 244. Sa liberté de parole, 245. — Ses lettres sur l’état du christianisme en France, 245. — Réfute les miracles du cardinal de Noailles, 246. — Son apostrophe aux catholiques de France, 247. — Condamne les temporiseurs, 248. — S’élève contre l’usage du culte privé, 249. — Ses conseils aux églises du désert, 250, 264. — Incendie de ses sermons, 272.
Sceau des églises sous la croix, p. 198. — La gravure et l’exergue, 199. — Second sceau ; une barque battue par les flots, ib.
Sévigné (Madame de). Ses jugements sur la chasse que fait M. de Grignan aux réformés dauphinois, p. 72. — Sur les missionnaires dragons, ib. — Ses éloges sur la révocation de l’édit de Nantes, 73. — C’est la plus belle chose qu’on ait exécutée ou imaginée, ib. — Ses badinages sur les roues et les potences de la Bretagne, note, 76. — La penderie lui paraît un rafraîchissement, note, ib. — Analogie de son style avec celui de l’intendant Baville, note, 77, note, 120.
Statistique des pasteurs aux époques mémorables, de 1603 à 1840, p. 525. — Conséquences de ces nombres, 526.
Synodes du Dauphiné en 1716, et du Languedoc en 1717, p. 32. — Articles qui doivent être observés par toutes les églises, 33-34. — Leurs treize articles fondamentaux, 34. — Les six articles réglementaires, 35. — On n’accordera aucun secours aux téméraires, ib. — Synode de 1718 sur les qualités requises chez les pasteurs, 101. — Synodes de 1720, réglant la pose des sentinelles aux assemblées, 103. — Synodes de 1723. On ne pourra assister aux baptêmes de l’Église romaine, 104. — En cas d’infraction à la discipline, les fidèles seront punis en n’étant point avertis des jours des assemblées, 105. — Synode national de 1726, sur la longueur des sermons, 198. — Synode national de 1744, le premier avec désignation des provinces protestantes, 288. — Ses députés, ib. — Renouvelle le serment de fidélité au roi, 289. — Interdit la prédication des points de controverse, 289. — Ordonne que le culte public sera célébré de jour, 290. — Époque mal choisie pour le synode de 1744, 312, 326.
— Celui de 1744 se défend d’avoir ordonné des réunions armées, 327. — Renouvelle les anciens règlements contre les jeux et divertissements, 391. — Condamne les charivaris, 392. — On devra rendre les sommes extorquées, ib. — Règlements contre la comédie, les fêtes des saints et le carnaval, ib. — Contre les maléfices, 393. — Contre le prêt de tapis pour la Fête-Dieu, ib. — Composés de laïcs en grande majorité, ib. — Synode national de 1756, avec le rôle officiel des pasteurs du désert, 526.


Tourny (l’intendant de), en Guyenne, p. 302. — Sa lettre aux curés, 303. — Admoneste les protestants de Sainte-Foi, 304. — Ses sages mesures, ib., 354.


Viala (Michel), pasteur du désert, p. 252. — Envoyé dans le haut Languedoc, 285. — Est consacré à Zurich, 286, 288. — Modérateur au synode national de 1744, 292, 297. — Sentence pour relever les danseurs de l’excommunication, 312. — Ses honoraires, 328. — Veut se retirer de la province à cause de la persécution, 329. — Ses regrets patriotiques, 330. — Sa lettre circulaire aux églises du désert, 362. — Calomnie qu’il réfute, 363. — Trouve ridicule d’offrir des soldats au roi, 367-370, 458.
Vivarais (province du). Antoine Court y exerce les fonctions de lecteur, p. 22. — Les réunions nocturnes, ib. — Ses prophètes réfutés par Antoine Court, 26, — Les assemblées continuent, en dépit des édits de Louis XIV, 57, 75, — Description des assemblées sous la voûte du ciel, 110, 409.

  1. Les rapports secrets du nonce Prosper de Sainte-Croix, depuis cardinal de Pie IV, envoyé en France, de 1562 à 1565, auprès de Catherine de Médicis, ne laissent aucun doute sur les dispositions de ce pays à demi huguenot (questo regno mezzo-ugonotto). La lettre cinquième écrite au cardinal Borromée paraît considérer un changement général de religion en France comme chose imminente et désespérée. Plus tard, si le nonce se rassure, il paraît sans cesse craindre que la France ne devienne protestante en masse. Une dépèche chiffrée datée de Blois, le 13 mars 1563, contient ce passage : « Il est certain que ce royaume est maintenant dans une situation où je ne vois pas qu’il puisse devenir tout huguenot, si ce n’est avec beaucoup d’artifice et une longue révolution des temps. » (Voy. Lettr. du cardinal de Sainte-Croix, dans Aymon. Synodes, vol. i, p. 21-218-283.) Au premier siècle de la réforme française, on trouve déjà dans la Franco-Gallia du jurisconsulte, zélé calviniste, François Hotman, une théorie complète, aussi logique que savante, des droits des états généraux et de la souveraineté nationale (voyez la trad. franç. de Simon Goulard, dans les Mém. de l’estat de France, ii, 577). Plus tard, on voit dans le livre très-remarquable de Jurieu, Les soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté, Amsterdam, 1689, précisément un siècle avant notre grande révolution, la critique la plus complète et la plus sensée de tous les abus de la monarchie absolue, sous les points de vue de l’Église, des parlements, de la noblesse, de l’armée, du peuple, des finances, de la politique intérieure et extérieure. Si la France eût pu alors comprendre ces esprits d’élite, la charte de nos libertés serait aujourd’hui âgée de plusieurs siècles et toute l’Europe eut accompli des progrès incalculables.
  2. Souv. de madame de Caylus, petite-fille d’Arth. d’Aubigné et du marquis de Villette, et nièce de la duchesse de Maintenon.
  3. Souv. de madame de Caylus.
  4. Nouv. Mém. de Dangeau, 22 août 1704.
  5. Daugeau. Lemontey, nouv. art., p. 310.
  6. Mém., ann, 1715.
  7. Notice sur le rétablissement du culte protestant en France après la révocation de l’édit de Nantes, tirée principalement des manuscrits de feu M. Antoine Court, ministre du désert, par M. de Végobre. Genève (mss. veg.), 1715-1760. Cette pièce très-intéressante a été imprimée ainsi que la lettre de Court sur sa périlleuse tournée pastorale de 1728 (Mélanges de Religion, tome v, p. 177 ; Religion et Christianisme, tom. ii, p. 139, par le pasteur Samuel Vincent). Nous possédons aussi ces pièces dans notre collection manuscrite, et nous n’avons pu omettre de profiter de documents aussi essentiels pour notre sujet.
  8. Mss. P. R., 16 p. in-4e, avec attestations des membres du comité près le séminaire protestant français de Lausanne, signées Louis de Cheseaux, le prof. Polier, le major de Montrond, 18 janv. 1732. — On voit que la date de ce Mémoire est de beaucoup postérieure aux événements dont nous insérons le récit ci-dessus. Voici à quelle occasion il fut écrit. M. Duplan, d’Alais, avait été nommé par une assemblée synodale de 1725, député général des églises de France auprès des puissances protestantes pour en solliciter des subventions, et pour les décider à intervenir auprès de la cour, en faveur des malheureux religionnaires persécutés. M. Duplan résidait principalement à Londres. Il avait rendu beaucoup de services aux églises. Il avait assisté à divers synodes. Il avait contribué au rétablissement de la discipline. Il avait écrit des lettres aux puissances et des lettres pastorales aux fidèles. Il avait fait des prières et des exhortations dans les assemblées particulières et publiques, dans les villes et à la campagne, et avait composé des écrits apologétiques. Il avait consolé les affligés, les pauvres, les malades, les galériens ; enfin, à l’exception des sacrements qu’il n’eut jamais charge d’administrer, il n’est rien qu’il ne fit pour les églises sous la croix. Un seul trait gâta tous ces généreux efforts. Il paraît que Duplan, qui avait vu toutes les scènes des Cévennes, ne put renoncer entièrement aux habitudes de fanatisme, dont il avait été le témoin. À Londres, il fréquentait les prétendus prophètes et les inspirés. Il indisposa ainsi le cabinet anglais contre lui et indirectement contre les églises. Le ministère britannique alla même jusqu’à menacer de retirer toute protection et tout secours. Ces excès, si éloignés de la sagesse d’esprit du ministre Court, qui avait été lui-même nommé député des églises en 1744, furent avec raison condamnés par ce dernier ; Duplan se plaignit qu’on voulait le noircir pour le supplanter. Il en résulta une vive controverse et des jugements devant des arbitres, auxquels le ministre Court adressa ce Mémoire, dans lequel il se justifie. Nous ne faisons mention de ces débats si peu intéressants pour l’histoire générale que parce qu’ils fournirent l’occasion au ministre Court de tracer ce précis de la renaissance du culte.
  9. Cette lettre a été récemment retrouvée et publiée dans le journal religieux l’Évangéliste, par le pasteur Fontanès. 1837. On conçoit combien de pareilles pièces durent être tenues secrètes dans le temps, puisqu’elles étaient en opposition flagrante avec les édits.
  10. Il a été publié des recueils nombreux et détaillés des lois de Louis XIV contre les protestants. On en trouvera une liste textuelle, immense et effrayante, formant pièces justificatives du grand ouvrage sur l’Histoire de l’édit de Nantes (1695. Delft, 5 vol. in-4o, par Élie Benoît, ministre exilé d’Alençon). Pour les temps immédiatement antérieurs à la révocation, de 1685 et jusqu’en 1695, cette collection offre trois cent trente-trois édits, déclarations et arrêts. Mais beaucoup d’entre eux concernent des espèces particulières. Nous avons fait notre travail analytique sur les recueils plus officiels concernant la rel. prél. réf., imprimés avec privilège du roi, et contenant la série des édits, déclarations et arrêts du Conseil depuis 1669 jusqu’en 1729, i vol. in-12 de 456 p. Le volume contient cent quatre-vingt-un édits ou arrêts, tous non abrogés et devant servir de manuel de poche aux magistrats persécuteurs. J’ai travaillé sur l’exemplaire annoté et paraphé de M. Challan, procureur du roi à Meulan, parl. de Paris. Ces volumes sont plus instructifs et donnent plus à penser que le roman d’ailleurs fort agréable de Rabaut-Saint-Étienne, publié en 1782, où il montre un vieux Cévenol se débattant sous les suites de toutes les incapacités légales dont les édits avaient frappé les protestants ; ce livre spirituel n’a d’autre défaut que celui de donner la forme d’une nouvelle à des faits qui réclament toute la sévérité de l’histoire.
  11. « Combien de ceux qui nous écoutent ont des personnes qui leur sont chères, enveloppées dans ce malheur. Où est la famille de nos exilés qui ne puisse s’appliquer ces paroles d’un prophète : ma chair est à Babylone ; mon sang est parmi les habitants de la Chaldée (Jérémie, 51, 35). Ah ! honte de la réformation ; ah ! souvenir digne d’ouvrir une source éternelle de larmes. Rome, qui nous insultes et nous braves, ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces galères que tu remplis de nos forçats, dont tu aggraves les peines par les chaînes dont tu les accables, par le bâton dont tu les abats, par le vinaigre que tu verses dans leurs plaies. Ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces cachots noirs et puants, inaccessibles à la lumière, et dont tu augmentes l’horreur en laissant les corps morts avec les corps vivants ; mais lieux changés en délices par les influences de la grâce que Dieu verse dans l’âme des prisonniers et par les cantiques d’allégresse qu’ils ne cessent de faire retentir à sa gloire. Ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces maisons ruinées, ces familles dispersées et ces troupes fugitives par tous les lieux de l’univers : ces objets sont notre gloire, et tu fais notre éloge en nous insultant. Veux-tu nous couvrir de confusion ; montre, montre-nous les âmes que tu nous as enlevées ; reproche-nous, non que tu as extirpé l’hérésie, mais que tu as fait renier la religion ; non que tu as fait des martyrs, mais que tu as fait des déserteurs de la vérité. C’est ici véritablement notre endroit sensible ; c’est ici où il n’y a point de douleur égale à notre douleur. » (Saurin, Sermon sur le trafic de la vérité.)
  12. « Mille et mille coups furent portés à nos malheureuses églises avant celui qui devait les réduire en poudre et, s’il est permis de parler ainsi, on aurait dit que ceux qui s’étaient armés contre nous, non contents du plaisir de voir notre ruine, voulaient encore avoir celui de la savourer. » (Saurin, Sermon pour la consécration du temple de Voorburg.)
  13. « Dieu a répondu d’une manière plus directe au but dont nous étions animés, lorsque nous pûmes nous résoudre à dire un adieu peut-être éternel à notre patrie. Ce qui nous porta à nous en bannir, ce ne fut point l’espérance de trouver ailleurs une société plus douce, des climats plus aimables, des établissements plus solides. Des motifs de tout autre genre nous animaient. Nous avons vu réduire en poussière les édifices où nous avions accoutumé d’entonner à Dieu des cantiques ; nous avons entendu les enfants d’Édom, armés de cognées, criant sur ses maisons saintes : Qu’elles soient rasées jusqu’aux fondements (Psaume cxxxvii, 7). Puissiez-vous, sujets naturels de ces provinces, au milieu desquels il a plu au Seigneur de nous conduire, ignorer à jamais les horreurs d’un pareil état. Puissiez-vous du moins ne les jamais connaître que par l’expérience de ceux à qui vous avez donné de si puissants moyens pour les soutenir. Nous ne pûmes survivre à la liberté de notre conscience ; nous allâmes la chercher, dût-ce être dans les antres et dans les déserts. Le zèle donnait du mouvement au vieillard que les années avaient rendu comme immobile. Les pères et les mères chargeaient sur leurs épaules des enfants qui ne pouvaient pas encore connaître la grandeur du péril auquel on voulait les arracher, et chacun, content d’avoir sa vie pour butin, ne demandait que cette précieuse liberté qu’il avait perdue. Nous la trouvâmes au milieu de vous, nos généreux bienfaiteurs ; vous nous reçûtes comme vos frères, comme vos enfants, et aujourd’hui vous permettez encore à une poignée de nos exilés de bâtir eux-mêmes un temple au Dieu que nous adorons avec vous… Ah ! sans doute, ceux de nos compatriotes qui ont encore présente à l’esprit l’idée de ces temples dont la perte nous cause tant de regrets, n’auront pas une joie toute pure. — Les chefs, les pères, qui ont vu la première maison, pleureront à haute voix, de sorte qu’on ne pourra distinguer la voix de l’allégresse de celle de la douleur. Mais pourtant louons aujourd’hui tous ensemble ce Dieu, qui se souvient d’avoir compassion. » (Saurin, Sermon pour la consécration du temple de Voorburg.)
  14. Michel Letellier, chancelier de France, succéda à d’Aligre, de 1677 à 1685 ; ce fut ce ministre qui scella la révocation en entonnant le cantique de Siméon, et auquel on attribue, ainsi qu’à son fils Louvois et au père La Chaise, une grande part à cet acte, qui fut toutefois l’objet des éloges éloquents de Bossuet et de Fléchier.
  15. « Il vous est permis aujourd’hui de donner un libre cours à vos plaintes et de dire à la face du ciel et de la terre les maux que Dieu vous a faits. Mon peuple, que t’ai-je fait ? (Michée, 6, 1-3). Ah ! Seigneur, que de choses tu nous as faites. Chemins de Sion, couverts de deuil, portes de Jérusalem désolées, sacrificateurs sanglotants, vierges dolentes, sanctuaires abattus, déserts peuplés de fugitifs, membres de Jésus-Christ, errants sur la face de l’univers, enfants arrachés à leurs pères, galères regorgeantes de confesseurs, sang de nos compatriotes répandu comme de l’eau, cadavres vénérables puisque vous servîtes de témoins à la vérité, mais jetés à la voirie et donnés aux bêtes des champs et aux oiseaux des cieux pour pâture, masures de nos temples, poudre, cendre, tristes restes des maisons consacrées à notre Dieu, feux, roues, gibets, supplices inouïs jusqu’à notre siècle, répondez et déposez ici contre l’Éternel. Mais si nous considérions Dieu comme juge, quelle foule de raisons ne pourrions-nous pas alléguer pour justifier ces coups dont il vous a frappés ! Vous le savez et ne le savez que trop, la facilité avec laquelle on jouit de la présence de Dieu diminue souvent à nos yeux le prix de cet avantage. — Rappelez à votre mémoire ce temps, qui lui est si cher, ce temps où la religion était prêchée dans les lieux de notre naissance, et où Dieu par une bonté admirable nous accordait en même temps les biens spirituels et les prospérités terrestres. J’en atteste vos consciences : connaissiez-vous alors tout ce que valaient ces faveurs. N’étiez-vous jamais dégoûtés de cette manne, qui tombait chaque jour à vos portes. » (Saurin. Sermon pour le jeûne de 1706.) Il faut remarquer que ce passage, l’un des plus sombres du grand orateur, fut prononcé sous l’impression récente de la guerre camisarde, lorsque les cruautés inouïes et les supplices de Baville épouvantaient encore la province natale de Saurin.
  16. « Tantôt on publiait des édits contre ceux qui, prévoyant les maux qui allaient fondre sur nos églises et ne pouvant les détourner, allaient chercher la triste consolation de ne pas en être les témoins. — Tantôt on permettait aux enfants de l’âge de sept ans d’embrasser une doctrine dans la discussion de laquelle on soutient que les adultes mêmes sont incapables d’entrer. — Quelquefois même on nous enlevait la gloire de confirmer dans la vérité ceux que nous avions instruits dès leur enfance. — Quelquefois on nous chassait du royaume et quelquefois on nous défendait sous peine de mort d’en sortir. Ici, vous auriez vu des trophées dressés à la gloire de ceux qui avaient trahi leur religion ; là, vous auriez vu traîner sur l’échafaud, sur la galère ou dans les cachots, ceux qui avaient le courage de la confesser ; là, des corps morts traînés sur la claie pour avoir expiré en la confessant. Ailleurs vous auriez vu un mourant aux prises avec les ministres de l’erreur, partagé dans la crainte de l’enfer s’il persistait dans son apostasie, et la crainte de laisser ses enfants sans pain s’il employait ses derniers moments que les trésors de la Providence et de la longue attente de Dieu lui laissaient encore pour s’en relever ; dans un autre endroit, des pères et des mères s’arracher à des enfants, sur lesquels la crainte d’être séparés d’eux dans l’éternité leur faisait répandre des larmes plus amères que celles de s’en voir séparés pour cette vie. Ailleurs des familles entières arrivant dans des pays protestants le cœur pénétré de joie de revoir des temples et trouvant dans ces objets de quoi adoucir ce qu’il y avait de plus amer dans le sacrifice qu’ils avaient fait pour les posséder. » (Saurin. Serm. pour la consécrat. du temple de Voorburg.)
  17. Il est assez curieux de remarquer, d’après les notes contemporaines d’un des plus véridiques courtisans de Versailles, que dans ces deux mois de septembre et d’octobre 1685, signalés par la révocation définitive de l’édit de Nantes, les villes dont on apprit la conversion entière à Louis XIV furent Montauban, Castres, Montpellier, Nîmes et Uzès ; après un siècle et demi, elles figurent encore parmi les villes du royaume où la population protestante est proportionnellement la plus forte. (Dangeau, Éd. Lemontey, p. 18-19).
  18. « Nous, nous avons sur nos enfants le pouvoir que nous donnent la nature, la société et la religion ; nous pouvons nous promettre pour eux et pour nous la protection des lois, tandis que nous respecterons ces lois et que nous leur apprendrons à les respecter ; mais nos compatriotes, quand ils sortent de leurs demeures pour quelques moments, ne savent pas s’ils y trouveront à leur retour ces chères parties d’eux-mêmes, ou si on les aura enlevées, enfermées dans des couvents ou jetées dans des cachots. » (Saurin, Sermon sur la cons. du temple de Voorburg.)
  19. Nous ajoutons plus bas un résumé bien pressant de toutes ces lois, tableau concis de la composition de Rabaut-Saint-Étienne. (Voy. Pièc. justNo I). C’est le premier jet de son roman le vieux Cévenol.
  20. Voy. les Pièces justifie, du Mémoire historiq. de 1744, p. 280, à la suite du traité de la Nécessité du culte public, par Arm. de la Chapelle. Francfort (Amsterdam, 1747). C’est le tableau le plus détaillé qui ait été imprimé des persécutions d’une seule époque du xviiie siècle, celle de 1744 et 1745 ; il fut sans doute communiqué au pasteur de La Haye par le comité de Lausanne et Antoine Court.
  21. Souv. de madame de Caylus.
  22. Mém. de la cour de France, 1688, 1689, par madame de La Fayette.
  23. Ibid.
  24. Mémoires, ann. 1715.
  25. « Après cette cassation qu’y aurait-il, je vous prie, désormais de ferme et d’inviolable en France, je ne dis pas seulement pour les fortunes des particuliers et pour celles des maisons, mais encore pour les établissements généraux, pour les autres lois, pour les compagnies souveraines, pour l’ordre de la justice et de la police, et en un mot pour tout ce qui sert de base et de fondement à la société, pour les droits même inaliénables de la couronne et pour la forme du gouvernement. Il y a dans le royaume un très-grand nombre de personnes éclairées, je ne parle pas de ces faiseurs de vers, qui pour le prix d’une douzaine de madrigaux ou de quelque panégyrique du roi, emportent les bénéfices et les pensions, ni de ces compositeurs de livres, à droite et à gauche, qui savent tout hormis ce qui serait bon qu’ils sussent, qui est, qu’ils sont de fort petites gens ; je parle de ces esprits sages, solides et pénétrants, qui voyent de loin les conséquences des choses et qui savent juger. Comment n’ont-ils pas vu dans cette affaire, ce qui n’est que trop visible, que l’état se trouve partout percé d’outre en outre par le même coup qui traverse les protestants, et qu’une révocation de l’édit faite avec tant de hauteur ne laisse plus rien d’immobile ou de sacré. — Il s’en fallait bien que l’aversion de notre religion fût générale dans l’esprit des catholiques, puisqu’il est certain qu’à la réserve de la faction des dévots, et de ce qu’on appelle les propagateurs de la foi, le peuple ni les grands n’avaient nulle animosité contre nous et qu’ils ont plaint notre infortune. » (Plaintes des prot. de France p. 140-143.) C’était en 1686 que Claude écrivait ces lignes piquantes et presque prophétiques.
  26. Isaac Homel, pasteur de Soyon en Vivarais, exécuté à Tournon le 20 octobre 1683, à l’âge de 72 ans. Nous nous garderons de reproduire les détails épouvantables de ce supplice (V. Hist. de l’éd. de Nantes, tom. iii, 667). La mort de ce vieillard courageux, qui avait appuyé l’avis des armes et qui avait même prêché devant des assemblées de gens armés, laissa dans la contrée la mémoire d’un martyr populaire. Nous possédons dans nos pièces du XVIIe siècle un fragment manuscrit bien usé et fatigué, ayant pour titre : « Discours du grand Homel, ministre du saint évangile de notre Seigneur Jésus-Christ, sur la roue. » Nous ne rapporterons point ce morceau, dont la lecture est bien pénible, quoiqu’elle soit bien glorieuse pour la victime, Voici les dernières lignes, qui attestent toute l’exaltation où d’aussi déplorables spectacles jetaient des populations ferventes : « Après ces paroles on lui donna le coup de grâce ; beaucoup de gens assurent que son âme en quittant son corps a fait entendre dans les airs des cantiques à la religion, et même le bourreau assure l’avoir entendu. » (Collect. Fab. Lic.).
  27. Ce n’était pas seulement à l’égard des protestants que le grand siècle se montrait si dur. Prenons le plaisir de citer encore madame de Sévigné. Que penser de l’humanité d’un temps où ce modèle des gracieux écrivains, dans une missive toute remplie d’aimables riens pour madame de Grignan, intercale les phrases suivantes, à propos de la punition d’une révolte en Basse-Bretagne contre les gabelles : « Vous me parlez bien plaisamment de nos misères ; nous ne sommes plus si roués ; un en huit jours seulement pour entretenir la justice. Il est vrai que la penderie me paraît maintenant un rafraîchissement. » (24 nov. 1675, lett. 360.) — « On a pris à l’aventure vingt-cinq ou trente hommes que l’on va pendre. » (27 octob. 1675, lett. 352.) — « On a pris soixante bourgeois ; on commence demain à pendre. Cette province est d’un bel exemple pour les autres ; et surtout de respecter les gouverneurs et gouvernantes ; de ne point leur dire d’injures, de ne point jeter de pierres dans leur jardin. » (30 octob. 1675, lett. 353 ; édit de Paris : 1806.) Notre lettre de Baville du 24 septembre 1698, renferme cette phrase en post-scriptum : « J’ai condamné ce matin soixante-seize malheureux (protestants) aux galères. » (Mss, no  ii.) On voit qu’au style près il y a une certaine analogie entre ces deux genres épistolaires.
  28. Pour élever cette déification de Louis XIV vainqueur des réformes, comme les Romains sculptaient le marbre de leurs empereurs, vainqueurs d’Olympie, on avait retiré la statue du jeune roi foulant aux pieds la Fronde. C’est cette triste sculpture de Sarrazin qui fut remplacée par le bronze de Coysevox, et qui, sauvée par la maison de Condé, figure aujourd’hui dans le Musée français du Louvre, non loin des gracieuses nymphes de Jean Goujon, des émaux si vivants de Palissy et de l’admirable Jugement dernier de Jean Cousin.
  29. Nous jetterons ici quelques jalons pour ceux qui voudraient entreprendre une statistique européenne des églises françaises du refuge, en remontant jusqu’aux premières années de notre siècle, et en avertissant que nous n’indiquons que les églises principales et que notre liste est incomplète. Il faut remarquer que cette énumération renferme les églises calvinistes réformées au rit et langue française, qui se sont fondées ou qui se sont considérablement grossies par suite des lois de Louis XIV. Plaçons seulement pour mémoire l’accroissement notable des églises du canton de Vaud, de Neuchâtel, de Berne, de Zurich et de Genève. Église française d’Iverdun et de Bâle ; église française de Maestricht et environs ; égl. franç. de Nimègue, Venloo et Stevenswaart ; égl. franç. au Sas de Gand, Flandre hollandaise ; église franc. à Tournay ; égl. franç. à Deux-Ponts, ancien duché ; égl. franç. de Bienne, Haute-Alsace ; égl. franç. de Mulhausen ; égl. franç. de Saint-Imier, Corgemont, Bevillard, dépendant de l’ancien évêché de Bâle, du Jura et de Moutier ; égl. franç. à Stolberg ; égl. franç. du marquisat de Bareith et de Lunebourg ; égl. franç. de Francfort ; égl. franç. de Hambourg ; égl. franç. de la Prusse ou de l’ancien Brandebourg ; égl. franç. à Stettin ; à Kœnigsberg ; à Berlin ; égl. franç. wallonnes des provinces unies de Hollande ; égl. franç. à Amsterdam, à Groningue, à Breda, à Rotterdam, à Arnhem, à Deft, à Leyde, à Utrecht, à La Haye, à Middelbourg ; égl. franç. de Londres ; égl. franç. de Copenhague. Il y avait naguère des maisons des dames françaises réfugiées à Harlem, à Schiedam, à Deft, à La Haye, à Harderwick, à Rotterdam. Enfin la compagnie des Indes-Orientales hollandaises transporta au Cap des réfugiés français dont les descendants habitent encore cette colonie. Il faudrait avoir recours aux archives de tous ces lieux et de beaucoup d’autres encore pour composer une histoire un peu complète du refuge. En une foule de points ces communautés touchent à leur fin, étant de plus en plus absorbées par les masses nationales environnantes. Ce sont des enfants nombreux de la France irrévocablement acquis à l’étranger.
  30. Les biographes, qui ont nié que les édits de révocation aient pu déterminer la retraite de Huyghens, en 1681, ont négligé de rapprocher quelques dates significatives. Le grand ouvrage Horologium oscillatorium, une des plus nobles productions des sciences exactes, dédié à Louis XIV, est de 1673 ; mais l’année 1681, qui fut celle du retour du grand géomètre en Hollande, vit paraître la déclaration du 17 juin, portant que les enfants des protestants pourraient se convertir à l’âge de sept ans, et celle du 13 mai pour défendre à tous maîtres et artisans de la religion prétendue réformée de faire aucuns apprentis de ladite religion et d’en prendre « même de la religion catholique. » Cette même année (7 avril), Louis XIV ordonna à tous prêtres, et à leur défaut à tous syndics et marguilliers, de se transporter chez les malades de la rel. prét. réf., pour savoir s’ils voulaient mourir dans leur endurcissement. N’est-il pas plus que probable que Huyghens ne fut pas fort jaloux de s’exposer à de telles visites, ni de renoncer à former des ouvriers pour ses montres à ressort spiral.
  31. Monde Primitif, Dissertations mêlées, v et vi, 1781. On n’y trouvera pas une notice, mais seulement quelques pages où Court de Gebelin parle de ses études dans la maison paternelle.
  32. Nous possédons (coll. mss. P. R.) les lettres les plus singulières d’Élie Marion et de Charles Portalès sur cette classification des prophètes réfugiés, nommés dans les tribus par le ministère de la prophétesse Jeanne Roux et par le ministère d’Élie Marion. Comme il y eut plus de cent cinquante adeptes qui reçurent des nouveaux noms bibliques, selon les inspirations, on conçoit la difficulté de nommer tout ce monde. Aussi Charles Portalès fait de grands efforts pour concilier cette distribution avec les vrais noms qui se trouvent dans les Écritures. Nous ne rapportons ces hallucinations déplorables que pour faire sentir tous les obstacles encore récents qui se présentaient à l’œuvre de restauration de Court et de ses collègues. (Voy. sur David Flotard et Charles Portalès, Hist. des troubl. des Cévennes, par Court, t. iii, p. 128-293.)
  33. Mém. du maréch. de Berwick, tom. i, p. 282, publiés longtemps après, en 1798, par l’abbé Hook. Malheureusement, Lemontey, qui avait si soigneusement examiné les mémoires du temps, regarde ceux-ci comme fort suspects. Il est permis de supposer toutefois que les vues politiques du héros de Philipsbourg n’auront pas été trop altérées.
  34. Cette prière fut reproduite beaucoup plus tard dans la Liturgie pour les protestants de France, ou Prières pour les familles privées de l’exercice public de leur religion, Amsterdam, 1755, page 16. Sauf quelques légères variantes qui tiennent à la naïveté du vieux style, le dernier éditeur a bien conservé le caractère de simplicité extrême. D’après une note de notre copie mss, il serait possible que ce morceau fût même du xviie siècle et de l’époque de la mort du ministre Jean Homel. Il figurait d’ailleurs très-bien dans cette liturgie à l’usage des églises persécutées, où l’on trouve le service très-touchant et triste du Jour de jeûne en mémoire de la révocation de l’édit de Nantes, qui se célébrait un des derniers dimanches d’octobre. Nous ne voulons point prendre sur nous de décider s’il faut louer ou blâmer les églises réformées de France d’avoir renoncé à ces commémorations solennelles, bien douloureuses, il est vrai, mais qui ouvrent à la piété et aux souvenirs des ancêtres une source si féconde d’émotions religieuses et d’édification. On a attribué à Saurin la prière que nous insérons ; mais ce pasteur refusa constamment de prendre part à aucune composition du culte privé, de peur de favoriser l’interruption du culte public. (Voy. État du Christ. en France, 1725. Préf., p. 25.)
  35. Ce roi, qui, tout en affichant une loyauté altière dans ses relations avec l’Europe, possédait à volonté l’art de la dissimulation, était entouré de courtisans qui le lui rendaient bien. Avant qu’il expirât, les secrets de son testament étaient ceux de toutes ses antichambres ; ses faméliques suivants en cassaient déjà les articles fondamentaux. Le duc de Noailles fit défection le premier pour s’assurer les finances. Le duc de Guiche vendit les gardes française, et Reynolds les gardes suisses. Trois hommes, chargés des bienfaits du roi mourant, trahirent les secrets de son agonie ; c’étaient le maréchal de Villars, celui de Villeroi et le chancelier Voisins. Les confidents étaient dignes du maître. (Voy. Lemontey, Hist. de la rég., tom. I, p. 37-29.)
  36. Mém., ann. 1717.
  37. Saint-Simon, Mémoir., ann. 1717.
  38. Ibid. ann. 1718. Voy., Pièc. justific., no II, une lettre autographe de Baville, lors de son administration de la province qu’il gouverna en maître absolu, de 1685 à 1718, et comme étant « la terreur du Languedoc. » (Mme de Sévigné, Lett. du 2 octobre 1689.)
  39. Mém., ann. 1716.
  40. Mém., ann. 1716.
  41. M. de Maulevrier, envoyé de France à Madrid, pour négocier le double mariage, transmit au régent la note de quelques-uns des jugements rendus par l’inquisition, pendant son séjour. Le sommaire de celles que Lemontey a vues depuis le 7 avril 1720 jusqu’au 22 février 1724, présente un total de cent neuf personnes brûlées (les femmes figurent pour moitié) en moins de quatre ans et dans sept villes seulement. Sous le règne de Philippe V, l’inquisition dévora par le feu, dans la seule Espagne d’Europe, 2,346 victimes, et en condamna 11,730 à d’autres peines. Dans l’auto-da-fé de Séville (14 déc. 1721), il y eut 42 personnes condamnées au feu ou à d’autres peines ; de ce nombre, 28 femmes. On voit que le duc d’Anjou exécutait scrupuleusement les conseils de Louis XIV en faveur du Saint-Office. Un seigneur de la suite du régent, Saint-Simon, ne trouvait, pour blâmer de telles mœurs, que des critiques grossières émanées de la bile de son esprit cynique. Le 22 février 1720, 11 victimes, dont 5 femmes, furent brûlées à Madrid, et le même jour le duc écrit au régent : « Je n’ai point de confiance en ces barboteurs de chapelet-ci, tous mangeurs d’ail, d’huile puante et de madones. » Les protestants de France avaient-ils tort de redouter toute alliance de leur patrie avec cette cour féroce. (Voy. Lemontey, Hist, de la rég. Ch. XII. Liorente, Hist. de l’Inquis., tome iv.)
  42. Lemontey, l’historien le plus judicieux et de la régence et de la minorité de Louis XV, a écrit d’après les pièces officielles du gouvernement ; mais il n’a pu avoir accès aux documents privés des églises. L’absence de ces témoins nécessaires lui a fait commettre quelques erreurs dans le chap. xvi de son histoire, qui offre cependant le résumé véridique et touchant du sort des églises protestantes sous le ministère du duc de Bourbon et le règne de Louis XV. Il répète, d’après les registres, suivant les avis que donnaient les ducs de Médavy et de Roquelaure, que les assemblées reprises avaient disparu, en Languedoc, vingt-trois jours après la mort de Louis XIV, et que les sévérités exercées dans la Guyenne, avaient été suivies de la totale abolition du culte. Nos pièces, prouvant au contraire que jamais le culte ne fut extirpé de ces deux provinces, donnent un démenti formel aux dépêches intéressées des commandants. Il a également tort de prétendre que le peuple protestant dauphinois « plus intéressé que religieux, entra en accommodement. » Rien ne justifie cette opinion sur le caractère d’une province où, plus tard, un ministre monta sur l’échafaud plutôt que d’abjurer, et dont les nombreux martyrs fatiguèrent la jurisprudence barbare du parlement de Grenoble. J’ai à relever ces légères inexactitudes des jugements de mon ancien ami, feu Lemontey, parce que l’estime publique a attaché beaucoup d’autorité à son livre.
  43. Mém. histor. de 1744. Supplém. « Trois furent condamnés à servir de corbeaux pour enterrer les morts de la ville d’Alais, affligée alors de la contagion, et où ils trouvèrent eux-mêmes leur tombeau, p. 297 (par A. Court).
  44. Lemontey a mis hors de doute que Lavergne de Tressan, l’évêque de Nantes, fut le principal auteur de l’édit de 1724 ; il nous paraît cependant qu’il faut réunir toutes les autres circonstances pour concevoir la promulgation inopinée de cette mesure rigoureuse, sans ombre de motifs apparents, et sans que la minute de la déclaration ait porté le rapport préliminaire, selon l’usage.
  45. Mémoire sur le mariage des protestants. 1785.
  46. Copie faite sur l’original d’une lettre de M. Antoine Court, ministre du désert, adressée du désert en Languedoc, à son ami M. Duplan. Juillet 1728. (Mss de Végobre.)
  47. Terme languedocien ; district ou ravin inculte et écarté.
  48. Il serait fort possible que plusieurs personnes aujourd’hui ne comprissent plus ce terme d’une théologie un peu ancienne, qui fait allusion à ce docteur de la loi et pharisien, dont parle saint Jean, à ce Nicodème, qui, convaincu par les miracles du Christ, n’osait cependant le suivre ouvertement, et ne venait le trouver que de nuit. « Le nom de Nicodème sert à désigner la foi qui se cache, faiblesse dont il a donné le premier exemple et qui n’a trouvé que trop d’imitateurs. Faire un secret de sa croyance est une sorte de mensonge d’autant plus coupable qu’il est de tous les moments. Quiconque croit, doit professer sa croyance, ou sa foi ne compte pas. » Biographie sacrée, par A. Coquerel, pasteur de l’église réformée de Paris, p. 432. Sans doute le pasteur Antoine Court avait une idée pareille du Nicodémisme lorsqu’il flétrit de cette sorte la prudence des tiédes.
  49. Voy. Pièc. justif. no iv le tableau général de cette tournée, extrait de nos pièces, à l’aide duquel on pourra suivre cette expédition du pasteur du désert, sur la carte du Languedoc.
  50. William Wake, savant théologien anglais, homme conciliant et plein de douceur, fut promu, en 1716, au siège archiépiscopal de Cantorbéry. Ce fut lui qui essaya, de concert avec le savant docteur en Sorbonne, Dupin, de mener à fin l’impossible projet de la fusion entre les églises anglicanes et romaines. Il avait accompagné à Versailles comme chapelain l’envoyé extraordinaire, lord Preston, en 1682 ; il put juger les mesures préparatoires à la révocation de l’édit de Nantes, et ce fut dans ce spectacle qu’il puisa sans doute l’intérêt pour les protestants français, qu’il montra plus tard au pasteur Court.
  51. Le pasteur Étienne Arnaud, condamné au gibet et exécuté à Alais, le 22 janvier 1718, sous la régence de Philippe d’Orléans.
  52. Le professeur Polier, père de Mme de Montolieu, auteur de l’article Messie, de l’Encyclopédie.
  53. Dans les dernières années de l’existence du séminaire français de Lausanne, on doit citer les professeurs Samuel Secretan, ancien doyen ; Frédéric Bugnon ; Daniel Levade, pendant trente ans professeur de théologie et de morale ; E. A. Chavannes, mort en 1800, professeur pendant quinze années ; le ministre Verrey-Francillon, ancien doyen ; C. F. Chavannes-Bugnon, professeur pendant quinze ans. Les jeunes séminaristes français à Lausanne recevaient dans l’origine, du comité de Genève, 24 liv. suisses par mois (35 fr.). Quant au nombre total des étudiants admis depuis la fondation, M. de Végobre estimait ce nombre à environ cent ministres, qui seraient sortis du séminaire, de 1740 à 1809 ; chiffre qui s’accorde assez bien avec les listes que nos pièces fournissent sur le personnel des églises pendant le xviiie siècle. Le pasteur et professeur C.-F. Chavannes estimait avoir vu cent jeunes gens pendant les quinze années de son professorat ; ce qui aurait fourni une consécration de sept sujets par an pour les églises du désert ; mais nous croyons ce dernier chiffre au-dessus de la vérité. (Lett. du prof. Chav. Bug., mss, 1835.)
  54. Discours à lire au Conseil en présence du roi, par un ministre patriote, sur le projet d’accorder l’état civil aux protestants. 1787, p. 154, ouvrage où tous les arguments en faveur de l’intolérance sont reproduits avec une logique perfide, attribué à l’abbé Lenfant, qui périt si malheureusement sous les coups des assassins des prisons, en septembre 1792. Ce jésuite, comptant l’existence du séminaire de Lausanne au nombre de ses griefs contre les protestants français, avait pris des informations sur cet établissement redoutable auprès d’un confident de l’évêque de Lausanne, de Lentzbourg. « C’est un secret dont je n’avais jamais ouï parler, dit le prélat, et je ne puis comprendre comment il est venu à votre connaissance. Ce n’est apparemment que le bon Dieu qui l’a fait parvenir jusqu’à vous pour le bien de la religion. » Voici maintenant les découvertes de l’évêque, qu’il transmet au père Lenfant ; on y verra un tableau assez exact du séminaire de Lausanne. « Il existe à Lausanne un séminaire distinct en tous points de l’Académie qui est pour les Suisses. Là se trouvent vingt ou vingt-quatre Français protestants, qui doivent avoir des églises dans leur pays. Ils y restent trois ans, font des cours de morale, philosophie, théologie, Écriture sainte, sous des professeurs distincts de ceux de l’Académie, sans en porter le titre. Les uns sont consacrés par ces maîtres en chambres privées ; les autres, après avoir été examinés et après avoir obtenu un acte de capacité, surtout les Languedociens, retournent chez eux et sont consacrés et prennent les ordres des mains mêmes du Synode de la province. Un comité de sept à huit personnes, laïcs et ecclésiastiques, souvent les plus comme il faut de la ville de Lausanne, soignent les personnes, mœurs, intérêts de ces jeunes gens, les placent eux-mêmes en diverses pensions, et leur donnent environ 40 ou 36 livres de France par mois. Ils ne disent point d’où ils tirent tous ces fonds et gardent un profond secret. M. de B, (Bottens), qui en était jadis chef, dit un jour à un de ces jeunes Français, qui lui demandait d’où provenait cet argent : Que vous importe, pourvu que vous l’ayez régulièrement ? Voilà quelques renseignements sur cet établissement auquel la France réformée doit peut-être plus de deux cents pasteurs, et qui est à Lausanne sans nulle approbation ni protection du canton, qui ne s’en mêle point, n’en demande aucun compte et est censé en ignorer l’existence. » Conçoit-on que le jésuite Lenfant ait déduit de cette confidence la conclusion, qu’il ne fallait point souffrir en France de sujets protestants, ni à plus forte raison des séminaires français ?
  55. « Enjoignons à nosdits sujets réunis à l’église, d’observer, dans les mariages qu’ils voudront contracter, les solennités prescrites par les saints canons et notamment par ceux du dernier concile et par nos ordonnances, nous réservant de pourvoir sur les contestations qui pourraient être intentées à l’égard des effets civils de ceux qui auront été contractés par eux depuis le 1er novembre de l’an 1685, lorsque nous serons plus exactement informé de la qualité et des circonstances des faits particuliers. » (Déclaration du 13 déc. 1698.) Ce fut principalement cet article qui ouvrit un vaste champ à l’interprétation et à la justice des magistrats. Il permit de faire fléchir la rigueur précise de l’édit de révocation, ordonnant (art. viii) que tous les enfants de ceux de ladite religion prétendue réformée devaient être baptisés par les curés, sous peine de cinq cents livres d’amende. Cette inscription devant l’ordinaire constituait la légalité de l’État. Telle était évidemment la lettre précise de la loi. Mais l’article de 1698, que nous venons de citer, permettait de la modifier d’une manière presque illimitée dans les espèces, selon l’équité naturelle des juges.
  56. Le retrait de cette pièce du dossier montre qu’elle consistait en un certificat du ministre protestant, et l’avocat de la défenderesse y consentait. Ce ne fut que bien plus tard que l’on vit les cours sanctionner la production en justice d’un acte civil et religieux, signé d’un pasteur ; les magistrats du premier tiers du xviiie siècle n’étaient pas encore arrivés à ce point d’équité.
  57. Nous donnons ici comme exemple le texte d’une de ces petites pièces du fisc des consciences. « J’ay receu du sieur Fabre, collecteur de Saint-Sébastien, la somme de dix-sept livres un sol trois deniers, pour les amendes prononcées contre les nouveaux convertis, dont les enfants ont manqué d’assister aux messes et instructions pendant les mois de janvier, février, avril, mai et juin de ladite année 1733. À Alais, le 18 juillet 1737. Silvain. » (Mss. Fab. Lic. or.)
  58. Interrogatoire du 29ème jour d’aoust 1732 ; vingt feuillets paraphés à chaque page. Caveirac et Claris. Mss. P. R, or.
  59. Nous n’avons pas le dessein de donner une liste des plus beaux discours de Saurin ; seulement, pour prouver notre dire, quant à la hardiesse des sujets qu’il aimait à traiter, nous citerons les questions impliquées dans les sermons suivants : L’uniformité de Dieu dans sa conduite ; sur la conduite de Dieu ; sur l’éternité de Dieu ; sur le ministère des anges ; sur l’impeccabilité du fidèle ; sur la méthode des prédicateurs ; sur les tourments de l’enfer ; sur l’immensité de Dieu ; sur les profondeurs divines ; sur la nature, sur la peine du péché irrémissible ; sur le trafic de la vérité, le plus original peut-être, comme les discours sur l’aumône et sur les compassions divines sont les plus tendres de tous les sermons de Saurin. C’est dans ce dernier surtout que l’on trouve les ressources les plus pathétiques de l’éloquence, et au premier rang, cette exclamation si simple et d’une sensibilité si admirable : Vous m’aimez, et je meurs ! C’est un des plus beaux mouvements qui soient jamais sortis du fond de l’âme d’un homme éloquent.
  60. L’état du Christianisme en France, divisé en trois parties, ou Lettres adressées aux catholiques romains, aux protestants temporiseurs et aux déistes. La Haye, in-8o
  61. Le Mémoire historique de 1744, qui est d’Antoine Court, nous apprend qu’en 1747 le ministre Hollard était pasteur à Christian Erlang.
  62. Mém. hist. de 1744, pag. 368. — Le Patriote français et impartial, pag. 251.
  63. Cet article 9 du synode national est interrompu dans la pièce originale par une parenthèse naïve que nous avons voulu reproduire ici : « Pendant la séance du synode, ayant été présenté un enfant, fils naturel et légitime d’Antoine Dombre et de Madelaine Hugon, né le 10 août 1744, M. le modérateur (le pasteur Michel Viala) l’a baptisé, et lui a donné le nom Pierre-Paul ; ses parrains ont été MM. Paul Rabaut et Pierre Peirot, ministres du saint Évangile. »
  64. (Mss. Veg.) Nous puisons ces intéressants détails, sauf l’acte même du synode qui fait partie des Mss P. R., dans une lettre étendue que le vénérable M. de Végobre, du comité français de Genève, nous fit parvenir le 20 février 1836. Ce zélé protestant, fort digne d’avoir été le collègue des protecteurs des églises du désert sous Louis XV, était parvenu à l’âge de quatre-vingt-trois ans ; ses forces étaient passées, sa vue éteinte ; mais ses idées avaient encore toute la netteté et toute la verve de l’ami inviolable de Court de Gebelin, fils du vénérable pasteur Antoine Court.
  65. Il est bien probable que Jean-Frédéric Ostervald entra en communications fréquentes avec les comités de Lausanne et de Genève et avec Antoine Court, sur les affaires des églises du désert. En même temps, ses amis et collègues, les savants théologiens Ott, de Zurich ; Samuel Werenfels, de Bâle ; Louis Tronchin, Alphonse Turettini, Jalabert, de Genève ; Berger, de Lausanne, et plusieurs autres, correspondaient activement avec lui et avec l’archevêque Wake, qui, de son côté, s’appuyait sur le crédit de la cour d’Angleterre : « En employant leur crédit, M. Ostervald a fait délivrer des galères des personnes qui y étaient détenues pour la religion, procuré des secours considérables à ceux qui étaient persécuté pour cette cause, et rendu des services essentiels à des personnes qui le méritaient. » (Mém. mss. Chaufepié, Dict., mot Ostervald.) L’article de Jean-Frédéric Ostervald, un des plus illustres et féconds théologiens du xviiie siècle, a été oublié dans notre dernière grande biographie. (Biographie universelle, par Michaud. 1811-1828.)
  66. Complainte sur la prise de M. Roussel (Alexandre Roussel, exécuté à Montpellier, le 30 novembre 1728), vingt-deux couplets. Complainte sur la prise de M. Dezubac (Matthieu Majal, dit Desubas, exécuté à Montpellier, le 2 février 1746), soixante-cinq couplets. Complainte sur la prise de M. Benezet (François, exécuté à Montpellier, le 27 mars 1752), trente-sept couplets. Complainte sur la prise de M. Lafage (François Tessier, dit Lafage, exécuté à Montpellier, le 17 août 1754), quatre-vingt treize couplets. Complainte de la mère de Roussel, vingt-trois couplets. Ce recueil est un cahier petit in-4o, de 45 p., d’une écriture assez ancienne ; il paraît venir du lieu d’Aumessas, actuellement consistoriale du Vigau (Gard), et porte cette suscription : Finiels, pasteur, Sumène (consistor. de Valleraugue, Gard), 1803. (Mss. V.) — Chanson de M. Durand, ministre du Vivarès, trente couplets, cahier in-4o, très-ancienne écriture (Pierre Durand, exécuté à Montpellier, le 22 avril 1732). Mss. Fab. Lic.
  67. Charles-Emmanuel, duc d’Uzès, pair de France, prince de Soyon, né en 1707, gouverneur de Saintonge et d’Augoumois, en survivance de son père, en 1720. On ne voit pas cependant, d’après nos pièces, que les seigneurs de la maison de Crussol aient appuyé, au xviiie siècle, les mesures souvent impitoyables des intendants du Languedoc.
  68. Voy. cette liste complétée. Pièc. just., no v.
  69. Chanson de M. Durand. Mss. Fab. Lic. Cette complainte en trente couplets est une des moins soignées de notre recueil ; c’est tout à fait un pont-neuf pour le style et les répétitions. Elle respire d’ailleurs les sentiments d’une bien vive piété.
  70. Voici la répartition de la taxe des églises du haut Languedoc, suivant délibération du colloque de sept. 1744 : Revel, 125 liv. ; Puylaurens, 125 liv. ; Castres, 100 liv. ; Roquecourbe, 110 liv. ; Réalmont, 110 liv. ; Mazamet 160 liv. ; Saint-Amans, 90 liv. ; Montredon, 90 liv. ; 110 liv. ; Viane, 120 liv. ; Lacaune, 100 liv. ; Castelneau, 90 liv. Les honoraires du pasteur Viala furent fixés à 600 liv. Mss. Cast., p. 15 et 16.
  71. Mém. histor de 1744.
  72. Ce fait déplorable est attesté dans le Placet au roi, et mémoire de Plaintes, que nous possédons (in-folio, 4 3 p. mss. P. R.), qui fut adressé au chancelier pour être mis sous les yeux de Louis XV, en décembre 1746, et qui contient, touchant les malheurs des églises, 1745-1746, une longue série de faits nécessairement fort authentiques, attendu que toujours les arrêts et très-souvent les noms des victimes y sont cités, et que toute imposture dans un mémoire officiel eût été facile à démasquer et eût nui aux plaignants. Dans les Mémoires de plaintes, l’exagération peut porter sur les réflexions générales, mais non sur les faits avec les jugements à l’appui.
  73. Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, fils du marquis de la Vrillière, né en 1705, succéda à son père dans le département des églises en 1725, et se démit de tous emplois en juillet 1775 ; ministre pendant cinquante-deux ans. Les mémoires du temps prétendent qu’il touchait annuellement un fort subside sur la caisse générale du clergé, en récompense du zèle qu’il montrait à réprimer les assemblées du désert ; ils ajoutent que ces fonds servirent à défrayer la magnifique demeure de l’hôtel Saint-Florentin dans la rue qui porte encore le nom de ce confident de Louis XV. Nous n’avons rien trouvé dans nos pièces qui confirmât l’existence de cette rente des persécuteurs. Il faut même remarquer que ce ministre, qui fut créé duc de la Vrillère, en 1770, reçut très-souvent avec bonté Court de Gebelin, qui était alors, à Paris, l’agent bien connu des intérêts des protestants français ; notre correspondance atteste maintes fois ces relations presque amicales entre le fils d’Antoine Court et le fils du secrétaire d’État de Louis XIV.
  74. Mém. histor., depuis 1744 jusqu’en 1752, du Patriote français et impartial, p. 28, par Antoine Court. On trouvera dans ce mémoire toutes ces pièces fabriquées, telles qu’elles furent publiées en 1744, et répandues en Dauphiné. Elles consistent en un décret de Louis XV, daté de Metz, du 15 août 1744 ; d’une lettre de M. d’Argenson ; d’un édit du dauphin de France, revêtu du pouvoir en l’absence du roi, par lequel les assemblées étaient permises ; donné à Versailles, le 30 septembre 1744. Toute cette ténébreuse intrigue paraît avoir égaré la perspicacité administrative du comte de Saint-Florentin, à moins qu’il n’en fût plutôt le complice que la dupe ; ce dont nos pièces ne fournissent cependant aucune démonstration.
  75. Mém. hist. de 1744. Armand de La Chapelle, p. 227.
  76. Le manuscrit de Castres, p. 37, donne ces détails : « Plus de trente de ces malheureux y ont perdu la vie, et un plus grand nombre y ont été blessés si dangereusement, que la plupart sont morts de leurs blessures. »
  77. Voyez ce cantique cité. Mém. hist. de 1744, p. 228.
  78. Nous ne trouvons dans nos pièces aucune trace de ce cadeau bizarre, bien que, dans la suite de cette guerre acharnée, les églises fussent bien réellement consultées par l’intendant baron d’Asfeld, sur leurs ressources militaires.
  79. Mém. hist. de 1744.
  80. Le prince de Dombes, fils aîné du duc du Maine, légitimé de France, était homme d’esprit et brave officier ; il avait été élevé par sa mère dans les sociétés brillantes de Sceaux, et ainsi que le prince de Conti, il avait accordé quelques marques d’intérêt aux protestants, au moins en paroles.
  81. Ces réponses du haut Languedoc sont entièrement conformes pour l’esprit à celles qui furent adressées à la même date (1746) par deux autres ministres, à l’intendant Lenain, desquelles le pasteur A. Court a donné l’analyse dans son Patriote français et impartial, p. 254-257. Villefranche (Genève), 1752.
  82. Mém. hist. de 1744, p. 272, 273.
  83. « Complainte et récit véritable de la mort de M. Lubac, ministre du saint Évangile dans les églises du Vivarès.

    Où tu verras, cher lecteur,
    L’humilité, la patience,
     La foy avec l’ardeur
     De ce divin pasteur. »


    (65 couplets, Mss. Coll. Fab. Lic. — Coll. v.)

  84. Desubas était le nom du lieu de la naissance du ministre, paroisse de Vernoux, diocèse de Viviers.
  85. Mém. hist. de 1744. On y trouvera la liste de ceux qui périrent dans cette déplorable affaire. Après l’avoir discutée, l’auteur (le pasteur Antoine Court) ajoute ces mots : « Tout ce que l’on peut dire de plus vrai sur le compte des protestants du Vivarais, c’est que trop de confiance dans la justice de leur cause, dans l’humanité et dans les compassions de leurs concitoyens dans l’effet de leurs prières et de leurs larmes, et trop de zèle pour leur pasteur, les fit agir, dans cette occasion, fort inconsidérément et sans réflexion, » p. 319.
  86. M. Pons, de Nîmes, dans une notice sur Paul Rabaut, publiée en 1808, raconte assez longuement les efforts de ce pasteur pour calmer les populations lors du trajet du ministre Desubas ; il a donné un fragment de l’allocution que le ministre du désert prononça dans cette conjoncture ; nous n’avons rien trouvé dans les mss. P. R. qui confirmât cette anecdote, d’ailleurs fort probable.
  87. Jean Lenain, chevalier d’Asfeld, conseiller du roi, maître des requêtes, intendant de justice, police et finances, en la province du Languedoc, fils de Lenain de Guignonville, avocat général au parlement de Paris, d’une famille de robe ancienne et considérée, petit-neveu de Lenain de Tillemont, le savant historien des empereurs, l’ami d’Arnauld et de Dufossé. Le sévère et vigilant intendant du Languedoc aurait dû se souvenir que les jésuites bouleversèrent, en 1711, le tombeau du sage solitaire de Port-Royal-des-Champs, et qu’ils troublèrent ses cendres. Les restes du plus illustre de ses ancêtres avaient éprouvé la rancune sacrilège des persécuteurs.
  88. Les Mémoires de 1744 ajoutent que tous les juges pleuraient, et que l’intendant pleurait aussi. Sur quoi Antoine Court fait cette remarque : « On doute beaucoup que M. l’intendant ait versé des larmes en cette occasion ; il ne passe pas pour être si tendre : mais des lettres venues de Montpellier assuraient le fait, » p. 207. Sans doute M. l’intendant chevalier Lenain aurait bien mieux fait de pleurer moins et de ne pas envoyer au gibet un homme aussi parfaitement innocent et estimable que ce jeune ministre du désert. Mais dans l’application de ces édits abominables de Louis XIV et de Louis XV, on est encore fort heureux de trouver quelques mouvements de sensibilité chez les magistrats de ces funestes époques ; nous devons donc enregistrer ici que notre ballade populaire, qui n’est pas suspecte de flatterie pour les persécuteurs, célèbre aussi en termes naïfs la tristesse de l’intendant, obligé de signer cette sentence très-inique, quoique très-conforme aux lois (coupl. 56).
  89. Cette précaution raffinée, qui avait pour but d’empêcher le pasteur d’exhorter l’assistante, fut presque constamment suivie lors du supplice des ministres. Elle rentrait d’autant mieux dans le plan des persécuteurs, que ces ministres marchaient au supplice en présence d’un peuple où il y avait une foule de leurs fidèles. On a beaucoup parlé de l’odieux roulement de tambours qui étouffa les dernières paroles de l’infortuné Louis XVI ; bizarre destinée de ce monarque humain, qui rendit les droits civils aux protestants, et qui lui-même subit à sa dernière heure l’outrage que tant de pasteurs du désert avaient enduré.
  90. La juridiction des intendants fut celle qui fut surtout fatale aux églises. Ce fut une des institutions les plus influentes du génie despotique de Louis XIV, et il n’est pas très-facile, du milieu de nos idées actuelles sur la justice, de s’en former une idée nette. L’intendant de province, outre sa qualité administrative, était une sorte de commissaire permanent pour l’exercice de la justice ; il jugeait en dernier ressort, sans appel, au grand criminel, comme en affaire de simple police. En juridiction ordinaire, l’intendant, selon les ordonnances, ne pouvait juger en dernier ressort qu’assisté d’officiers ès-lois, gradués, au nombre de sept au moins. Mais par les ordonnances du roi des 1er et 16 février 1745, il fut dérogé à la juridiction ordinaire en matière de crimes d’assemblées ; et le pouvoir fut donné aux intendants de juger « sans autre forme ni figure de procès ; » alors ce seul magistrat prononçait en dernier ressort. En juridiction ordinaire, les intendants, assistés des sept gradués assesseurs, et signant les jugements avec eux, avaient toute cour, juridiction et connaissance ; par ordonnance d’attache, commettaient parmi les sept gradués, un procureur du roi, un juge instructeur, et un greffier. La cour d’intendance ainsi constituée délibérait sur plaintes ou conclusions de son procureur du roi, assignait par exploits de témoins, informait dans les autres provinces devant les subdélégués, décrétait de prise de corps ou d’ajournement personnel, récolait les dépositions, confrontait les témoins, jugeait sur requête d’élargissement provisoire, après un soit-montré à son procureur du roi, faisait tous interrogatoires, procédait contre les défaillants, et enfin, après tous actes d’instruction, rendait arrêts après conclusions de son procureur du roi sur rapport de son juge instructeur. D’ailleurs, comme devant les parlements, les accusés n’avaient point de défenseurs, n’étaient point ouïs dans leurs moyens, et le texte des édits entraînant condamnation n’était pas cité à peine de nullité. On n’appelait point du jugement de l’intendant aux cours souveraines. Il était exécutoire sur-le-champ. On est heureusement dispensé aujourd’hui de critiquer pareil système de justice ; comme il fut très-souvent appliqué aux églises du désert, nous avons cru devoir en donner cette esquisse, qui attestera les immenses progrès de la procédure depuis un siècle.
  91. Gaspard-César-Charles L’Escalopier, chevalier, conseiller du roi, maître des requêtes, intendant de justice, police et finances, et commissaire départi pour l’exécution des ordres de Sa Majesté en la généralité de Montauban. Charles de L’Escalopier, de Paris, maître des requêtes, vécut de 1709 à 1769, enthousiaste de l’Aminta du Tasse, qu’il traduisit, et auteur du Traité sur les vers à soie. Nous n’oserions cependant garantir que ce conseiller pastoral fut bien positivement l’intendant farouche, qui porta la terreur sur les bords du Tarn.
  92. On remarquera, sur ce chiffre de 1 847 liv., que l’intendant jugeait tout seul, et que tout seul aussi il tarifa et liquida ces frais ; il faut sans doute attribuer la part qu’il s’adjugea à un excès de zèle pour donner une direction orthodoxe aux finances des hérétiques.
  93. Il reste de l’incertitude sur les premières années, et sur le premier ministère de Paul Rabaut. Nous avons préféré donner ici quelques dates authentiques au lieu de répéter des détails que nous considérons comme douteux. Chose singulière, il y a beaucoup de confusion dans les dates de la vie de Paul Rabaut, telles que nous les rapporte son troisième fils, Rabaut Dupuis, Répert. ecclés. des égl. réform., 1807, p. 88. Il y est dit que Paul Rabaut était allé étudier à Lausanne, et qu’il avait reçu la consécration à la fin de 1739 ; nos pièces prouvent qu’en 1740 il n’était pas encore parti pour le séminaire suisse. Nous avons une lettre très-intéressante du pasteur Antoine Court à Paul Rabaut (Mss. P. R.) du 7 mars 1740, écrite de Lausanne, où il y a ce passage : « Un article qui m’a fait un grand plaisir, c’est que vous pourrez venir ici bientôt. Je l’ai demandé pour vous et je l’ai obtenu. Il ne s’agit que d’attendre qu’un des jeunes me-sieurs qui sont ici soient partis, et cela sera, pour la plupart ce printemps. Ainsi vous pouvez déjà prendre vos mesures et commencer à faire votre malle. Je me félicite par avance de l’heureux moment qui me procurera le plaisir de vous connaître et de vous dire de vive voix une partie des choses que je sens pour vous, aus-i bien que vous offrir tout ce qui sera en mon pouvoir et qui pourra vous être utile. « Il est impossible, d’après ce témoignage certain, qui prouve qu’en 1740, Antoine Court n’avait pas fait la connaissance de Paul Rabaut, d’admettre ce qui a été répété dans toutes les notices, que le premier choisit en quelque sorte le jeune proposant du désert chez son père, à Bédarieux, et qu’il se fit accompagner par lui dans toutes ses courses périlleuses de 1728. On ne peut concilier ces détails avec la lettre originale que nous possédons. (Voy. Notice biographique sur Paul Rabaut, Archives du christianisme, juillet, 1826.) Nous pensons plutôt que les deux pasteurs ne se virent qu’en Suisse, à la fin de 1740, et que leurs premières relations furent des relations épistolaires où Antoine Court chargeait le jeune proposant de recueillir des documents pour l’histoire des Camisards qu’il projetait, et qui ne fut publiée par lui et par son fils qu’en 1760.
  94. Voy. Mémoire historique de 1744 à 1752, par Antoine Court ; Patriote français et impartial, p. 12-17, de grands détails sur cette calomnie.
  95. Voyez cet arrêt remarquable, Mém. hist. de 1751, par Ant. Court, avec les listes et noms des trente-deux mariages condamnés en 1749, par le parlement de Bordeaux, Patriote français et impartial, p. 86-89.
  96. Parmi ces arrêts, on remarque celui du 6 nov. 1745, du parlement de Grenoble, qui frappa principalement la paroisse de Bournat, en Dauphiné ; parmi les prétendus dégradés de leur noblesse pour crime d’assemblées religieuses, on distingua des membres très-nombreux des familles de Bouillane et de Richaud. L’intendant d’Auch se fit remarquer par son ardeur contre les gentilshommes verriers du pays de Couserans ; il voulut aussi dégrader les familles anciennes et industrieuses des de Moner, des de Gassion, des de Bousquet, des de Prade, des Grenier de Lastermes, des de Courtalas, des de Barmont. Les familles Perminjat, Cleissa, Mitifiot, Roumeyer, Tromparen, Bernadou, Souchon, Fargues, Mercier, Laborde, Lafont (du Mas d’Azil), les Mariette, les Tachard, les Delpon (de Montauban), subirent aussi des condamnations variées. Il faut remarquer que le jugement prodigieux de l’intendant fut prononcé contre des accusés dont la grande majorité étaient en état de contumace.
  97. Les intendants de ces provinces devaient être fort affairés ; nous voyons (Mém. hist. de 1752, p. 124), que le chevalier Lenain, non content de sévir de toutes les manières contre les protestants et leurs ministres, est obligé, par ordonnances rendues à Montpellier, 27 avril et 26 octobre 1748, de condamner au bannissement et à l’amende honorable deux personnes de Castres et d’Uzès « pour avoir abandonné la religion romaine et embrassé la protestante. »
  98. On est frappé du ton de vérité et de la naïveté des plaintes de ces pauvres protestants de la Javelière, paroisse de Montcoutan, bas Poitou. Ils se représentent dans leur mémoire « comme ayant déménagé leurs maisons, abandonné leurs fabriques de petites étoffes, leurs bœufs, leurs charrues, toutes leurs affaires, et prêts à passer dans les pays étrangers pour y chercher un repos qu’ils ne trouvaient point dans leur patrie ; en attendant, ils erraient dans la campagne et couchaient en plein air. » (Mém. de 1752, p. 137.)
  99. Mém. hist. de 1752, p. 95. Le compte général depuis 1744 jusqu’en 1752, offre un effectif de 119,260 livres d’amendes, plus 38,348 liv. de frais. Ces chiffres concernent le Languedoc ; quant au Dauphiné, A. Court estime que la somme totale fut bien plus forte encore, vu les ressources de la province. Il est surabondamment constaté que les édits de Louis XIV étaient devenus entre les mains des intendants un moyen pour battre monnaie. L’intendant Lenain condamna, le 26 septembre 1748, la femme Oranger Fesquet, de Ganges, à 3,000 liv. d’amende pour avoir fait le métier d’accoucheuse. Étienne Gidès de Lussan, près d’Uzès, ayant jugé à propos de faire sortir sa fille du royaume, fut condamnée, par ordonnance de M. Lenain, en 1745, à 6,000 livres d’amende, sous contrainte de garnisaire à 4 liv. par jour, et à charge de rappeler sa fille sous peine de pareille amende, et de plus grande, s’il échoit. Ce jugement est moins celui d’un magistrat catholique que d’un percepteur judicieux.
  100. En dépit de ces persécutions continuelles, qui devaient évidemment nuire au développement de l’industrie et effrayer les capitaux, on trouve qu’en 1759, de tous les pays d’états celui de Languedoc fournissait plus en impositions provinciales, sans compter sa part dans les trois ordres généraux d’impôts sous l’ancien régime, les fermes générales (impôt indirect), les recettes générales et les vingtièmes (impôt foncier). La Bretagne produisait alors 3,700,000 liv. ; la Bourgogne, 1,700,000 liv. ; la Provence, 1,600,000 liv. ; le Languedoc, 5,100,000 liv. Cette province avait à peu près la même superficie que la Bretagne. On remarque aussi, dans son budget provincial, que les frais de garnisons ordinaires dépassaient sensiblement ceux des autres pays d’états, et qu’ils s’élevaient à 193,000 liv., et les frais de milices à 377,000 liv. On voit qu’il en coûtait fort cher pour avoir sans cesse des détachements prêts à disperser les assemblées religieuses (Voy. les Comptes-rendus présentés à l’assemblée des notables, par Calonne, 1787.)
  101. Apologie des protestants du royaume de France sur leurs assemblées religieuses, p. 56, excellente et politique défense, qui fut très-probablement encore de la plume du pasteur Ant. Court. (Voyez le Livre d’Arm. de la Chapelle, déjà cité, tome II.) Les raisons exposées dans cet ouvrage ont une couleur toute locale ; elles laissent voir combien l’habitude de l’assemblée religieuse en plein air était profondément enracinée dans les mœurs des réformés du Languedoc. Encore aujourd’hui, sur plusieurs points, le culte est célébré en plein air ; et l’édification ni le bon ordre n’en souffrent. Pour ne citer qu’un exemple, il y a fort peu d’années, dans la riche consistoriale de Saint-Ambroix (Gard), où les protestants ont bâti, de leurs propres deniers, un temple presque somptueux à Saint-Jean-de-Marvejols, on pratiquait encore sur plusieurs points le vrai culte du désert. Sans craindre cette fois les surprises des détachements et les galères, on allait à l’église, sous le ciel, quand il faisait doux ; sous de gros arbres, quand le soleil dardait. On avait un chantre, un lecteur, une chaire ambulante, des pliants pour s’asseoir. Ces usages religieux sont empreints dans le dialecte du Languedoc. L’église, la réunion des fidèles pour le culte, se dit, la societat, l’assemblada, ou l’assemblado. De même, selon les idées des habitants, la gleisa (l’église), lou capelan (le prêtre) sont des mots catholiques, tandis que, lou templé, lou ministré, on lou pastur, sont des expressions protestantes. Il est vrai que dans l’antique catéchisme des Vaudois, de l’an 1100, mss. des bib. de Genève et de Cambridge, l’expression romane, la gliesa du Krist, est prise dans le sens de la véritable église ; mais ce terme indique la pureté de la foi dans ces vallées solitaires, qui n’ont jamais eu besoin de la réforme de Luther ni d’aucune autre.
  102. Nous possédons dans notre collection, mss. P. R., trois tableaux détaillés des galériens de Toulon, pour cause de condamnation religieuse, de 1752 à 1759 ; nous insérons à la fin de ce volume l’un de ces tableaux, dressé et certifié par les captifs eux-mêmes (Pièces justificatives, No vi).
  103. Allusion qui prouve combien ces protestants condamnés étaient versés dans les Écritures. Elle concerne la iie épître de saint Paul aux Cor. ch. viii, où il est fait mention à plusieurs reprises des quêtes abondantes, au profit des chrétiens malheureux, qui furent recueillies par le disciple de l’apôtre, Tite, dans son voyage de charité au milieu des églises de la Macédoine.
  104. Ce douloureux détail est cependant intéressant, parce qu’il montre les aumônes des églises pour cet article seulement. D’autres pièces portent à 8 ou 9 livres l’aumône journalière des églises du désert envers leurs martyrs des bagnes. Il paraît toutefois que ce secours n’était pas toujours dépensé pour l’objet spécial qu’il avait en vue de guérir : il y avait des galériens qui consacraient ce petit subside à d’autres dépenses ; ceci nous laisse concevoir le nombre considérable de galériens qui sont désignés, « comme n’ayant pas un sol pour se faire déferrer. »
  105. On sera peut-être curieux de connaître la forme des actes des bagnes pour ces galériens, martyrs de la liberté de conscience ; nous insérerons ici l’acte mortuaire de David Bernadou, tel qu’il est annexé aux pièces présentées à l’Assemblée nationale : « Extrait des registres du bureau général des chiourmes des galères du roi, au port de Marseille, no 20,898. David Bernadou père, fils de feu Daniel et de feu Marthe Armengau, veuve de Rachel Delinas, marchand fabricant, natif de Mazamet, diocèse de Lavaur, âgé de soixante-quinze ans, taille petite, cheveux, barbe et sourcils gris, visage ovale, les yeux gris, nez petit, condamné à Montpellier, par jugement de M. Lenain, intendant du Languedoc, du 6 avril 1745, pour assemblée illicite, à vie : Cy, à vie. Venu en galère le 12 avril 1745. Mort à l’hôpital des chiourmes, certifions le présent extrait véritable, et à ycelui avons fait apposer le sceau royal des galères. À Marseille, le 15 juillet 1745. Fauneng. (Mss. Mar.) Cette famille infortunée offrit aussi un singulier exemple de la rapacité du fisc. Le jugement qui la condamnait prononçait la confiscation des biens, distraction faite d’un tiers au profit de la femme et des enfants. Les deux autres tiers de l’immeuble furent livrés à la régie des biens des Français religionnaires. Louis XV fit don pur et simple à un courtisan, le chevalier de Villefort, des biens acquis à l’État, de David Bernadou ; confisqués et donataires moururent ; les créanciers s’en mêlèrent et firent vendre : les frais et intérêts s’étaient accumulés ; sur 13,000 liv. que valait le bien, la veuve, tutrice des enfants, et les créanciers inscrits eurent pour leur part totale 7,000 liv. La noble demoiselle de Villefort, aux droits de son frère, ne dédaigna pas d’accepter 6,000 liv. sur les dépouilles de tant de générations proscrites. Ces faits résultent du dossier authentique présenté à l’Assemblée nationale (Mss. Mar.) ; nous les rapportons comme un exemple des spoliations auxquelles les protestants du désert furent livrés.
  106. Nous ne devons pas omettre de signaler particulièrement parmi ces confesseurs, Jean Bonnafous, de Bédarieux, cousin de Paul Rabaut, condamné à vie par l’intendant de Montpellier, pour assemblée religieuse, le 9 octobre 1754. Il était encore au bagne en septembre 1757. Mais la position et la parfaite innocence de ce respectable père de famille intéressèrent en sa faveur plusieurs personnes puissantes, et notamment M. de M. — (Mirepoix ?) et il sortit peu de temps après. (Lett. à Paul Rabaut, Mss.) Il paraît aussi que les galériens avaient la faculté de travailler à un métier qui pouvait être lucratif, sans sortir du bagne, et que c’était seulement à défaut de ce métier qu’ils étaient contraints d’aller « à la fatigue des arsenaux où journellement il s’estropie quelqu’un. » (Lett. de J.-P. Espinas, de Saint-Félix de Châteauneuf, en Vivarais, au past. Lafond, 1753. Mss. P. R.)
  107. Tour de Constance, château vieux d’Aiguesmortes : hauteur, 27 mètres ; largeur, 22 mètres ; épaisseur des murs, 6 mètres. Voy. le Tableau de Nîmes et de ses environs, tom. ii, p. 215, album grave et piquant, où le pasteur E. Frossard, auteur du texte et des dessins, a réuni la description des lieux les plus intéressants du Languedoc, avec des vignettes esquissées avec facilité ; on y trouvera des vues d’Aiguesmortes, de la Tour de Constance et des tristes salles où habitaient les prisonnières pour cause de religion. M. di Pietri a donné une excellente notice sur Aiguesmortes et sur la tour de Constance.
  108. Il y a une bien frappante analogie entre cette énergique pensée du mémoire en faveur des protestants, présenté au congrès d’Aix-la-Chapelle, et les beaux vers de Racine, où Burrhus donne les mêmes leçons au jeune tyran, son élève.

    Mais si de vos flatteurs vous suivez la maxime,
    Il vous faudra, seigneur, courir de crime en crime,
    Soutenir vos rigueurs par d’autres cruautés,
    Et laver dans le sang vos bras ensanglantés.
    Et laver dans le sang vos bras ensan(Britannicus.)

  109. Cependant la constance de ces communautés et le soin avec lequel elles avaient conservé leur foi en l’absence de tout sacerdoce, fait voir qu’il y eut dans l’histoire de la conscience des positions où le théorème de Bayle fut convaincu de fausseté : « Ôtez à l’Église ses assemblées publiques, son rituel, son formulaire, sa discipline, vous prenez le chemin de la perdre avant la troisième génération… Art. Bourignon. Bayle oubliait qu’il y a une chose qu’on ne peut ôter à l’Église, et qui remplace toutes ses pertes ; cette seule chose, c’est le cœur des fidèles.
  110. Mémoire de M. Joly de Fleury, imp. 59 p. p. vers 1752 ; l’auteur avait soixante-dix-sept ans.
  111. Mémoire sur le mariage des protestants, fait en 1785.
  112. Cet isolement s’est même prolongé longtemps après le triomphe de la tolérance. En voici un exemple assez frappant. Le professeur Lacretelle a écrit l’Histoire du xviiie siècle (6 vol. in-8) ; c’est l’histoire la plus estimée et la plus populaire que l’on possède, touchant cette époque. Lacretelle, pour ainsi dire, ne parle point des protestants français. Sauf quelques lignes sur l’édit de 1724, sur Calas et sur l’édit de Louis XVI, les églises du désert sont comme non avenues, pour cet historien estimable, moral, et à l’abri de tout esprit de parti. De toutes les mesures, délibérations, condamnations que nous avons racontées, aucune n’est mentionnée dans cette histoire, réputée complète, de la France au xviiie siècle. Cependant, même sous le point de vue purement politique, les négociations des intendants avec les églises du désert, lors des guerres de 1740-1748, forment un épisode à la fois grave et inattendu. Il y aura donc une lacune à remplir dans les histoires de France qui ont aspiré à raconter le xviiie siècle. On reconnaîtra que les causes qui ont un pied populaire peuvent tenir et peuvent même croître, sans faire parler d’elles, luttant contre la rigueur des lois et l’oubli des contemporains.
  113. On peut au moins affirmer, d’après les rapports des intendants eux-mêmes, et surtout d’après les mémoires défensifs des magistrats, que sous le règne de Louis XV, la cour fut bien avertie et fut nettement mise en demeure de changer les lois funestes, qui composaient la révocation de l’édit de Nantes. Des conseils plus sages remplacèrent les inépuisables flatteries des courtisans de Louis XIV, et on ne put appliquer à la France du xviiie siècle ce que Bayle disait avec tant de vivacité d’esprit de celle du grand siècle : « Jamais prince n’a été plus digne que Louis-le-Grand d’avoir de fidèles amis, parce qu’il a fait du bien à une infinité de personnes ; cependant il ne s’est trouvé aucun, parmi tant de créatures, qui lui ait osé représenter qu’on avait surpris sa religion, et qu’il donnait trop d’autorité à des gens qui ne devaient se mêler que de leur bréviaire. Ni ministre, ni conseiller d’État, ni maréchal de France, ni duc, ni pair, ne s’est soucié de donner un bon avis à un grand maître qui eût été fort capable d’en profiter, si on s’y fût pris de bonne heure, et comme il faut. Tous ces courtisans infidèles et flatteurs ont applaudi à l’esprit de bigoterie, et au lieu de lui disputer le terrain comme ils auraient dû faire, ils ont fait semblant d’en être eux-mêmes malades. » (Ce que c’est que la France toute catholique sous le règne de Louis-le-Grand. Œuvres, tom. ii, 336.) Nous verrons de plus en plus combien ce déplorable masque de l’esprit dévot s’effaça lentement au profit des églises du désert dans le cours du xviiie siècle.
  114. Mss. Rab.-Saint-Ét., 4 p. p. in-4. Cette note curieuse et concise de la législation de Louis XIV, touchant les protestants, fut rédigée probablement vers 1780, pour les conférences qui eurent lieu entre l’auteur et les ministres de Breteuil et Malesherbes sur le projet de rendre l’état civil aux protestants.
  115. À ces tableaux des lois, si l’on veut joindre le tableau des malheurs personnels des familles, il faut lire le Journal de Jean Migault, nom que nous verrons reparaître dans l’Histoire de l’Église du désert ; c’est un tableau très-touchant des malheurs d’une famille protestante du Poitou, à l’époque de la révocation. (Voy. l’Édition de Niort, 1840, par le pasteur de Bray.) On souhaiterait plus de certitude, quant à l’origine et à l’existence du manuscrit authentique ; mais les détails et les scènes du récit sont d’une exactitude parfaite. Tout cela paraît vrai à force de paraître vraisemblable.
  116. Mss. Ls. M. le pasteur Lanthois a bien voulu enrichir notre collection de cette lettre autographe, très-curieuse et caractéristique, de l’intendant Baville.
  117. Le Patriote français et impartial ou réponse à la lettre de M. l’évêque d’Agen (de Chabannes) à M. le contrôleur-général (de Machault) contre la tolérance des Huguenots, en date du 1er mai 1751. (Deux édit., 1751 et 1753.) À Villefranche (Genève) chez Pierre Chrétien, in-12, 564 p. p. Cet ouvrage défensif des droits des églises du désert fut écrit à Lausanne par le pasteur Antoine Court. C’est un plaidoyer historique et religieux en faveur de la tolérance ; pour nous aujourd’hui, il traite une question épuisée et résolue. Le principal intérêt actuel de cet ouvrage, ce sont les renseignements historiques qui y sont donnés incidemment, surtout le « Mémoire historique de ce qui s’est passé de plus remarquable au sujet de la religion réformée en plusieurs provinces de France, depuis 1744 jusqu’aux années 1751 et 1752. » (149 p. p.) C’est à beaucoup près le travail historique le plus important qui ait été publié encore sur l’état intérieur des églises dans le désert ; nous avons désigné plus haut ce mémoire capital sous le titre de Mémoire historique de 1752.
  118. Voyez les lettres écrites par le ministre Desubas, après sa captivité, à sa mère et à sa sœur, l’Évangéliste, 4e année, 1840, p. 158. Ces lettres sont très-touchantes et présentent un grand air de vérité. Cependant on désirerait plus de détails sur les manuscrits originaux qui paraissent exister à Livron. Nous ferons à ce sujet une remarque générale. Dès qu’on publie des pièces mss. inédites, il est indispensable de les décrire, d’indiquer le propriétaire actuel et l’état des documents, ainsi que la filiation de transmission des actes. Ces soins sont de première importance pour établir l’authenticité. Il faut aussi nécessairement indiquer si ce sont des originaux ou des copies.
  119. L’intendant Lenain a compté parmi les amis, non sans doute intimes, de Montesquieu. Le philosophe en parle plusieurs fois avec considération dans sa correspondance. « J’ai eu aussi l’honneur de connaître M. Lenain, à La Rochelle, où j’étais allé voir M. le comte de Matignon. Je vous prie de vouloir bien lui rafraîchir la mémoire de mon respect. On dit ici qu’il a chassé les ennemis de Provence par ses bonnes dispositions économiques, et que nous lui devons l’huile de Provence. » (Lett. à l’abbé de Guasco, Paris, le 1er mars 1747.) Nous n’avons pu éclaircir cette dernière plaisanterie de l’auteur des Lettres persanes. D’autres lettres de Montesquieu nous dépeignent l’intendant Lenain (Lett. 27 et 30) honoré de l’envoi du Temple de Guide, par l’illustre écrivain, qui se moque de l’idée d’adresser un ouvrage si frivole à un conseiller d’État. Montesquieu se fût étonné plus encore, s’il eût bien su que les fadeurs voluptueuses de Themire et d’Aristée servaient de délassement à l’intendant rigoureux, qui gouverna tant de fois les églises du désert par le gibet ou par les chaînes des bagnes.
  120. Mss. P. R. Ce rôle, signé et certifié par dix-neuf des galériens pour cause de religion, fut adressé par tous au pasteur Lafond, qui desservait les églises de Provence et dans le ressort duquel était la ville et port de Toulon. La copie que nous reproduisons est attestée et collationnée en original par ce pasteur du désert.
  121. Mss. P. R. Liste des prisonnières, de la main de l’une d’elles (no 5.), Marie Durand, sœur du pasteur Pierre Durand, qui fut exécuté à Montpellier, en 1752. Nous possédons beaucoup de lettres de Marie Durand, écrites de Constance, à Paul Rabaut, et que nous ferons connaître ; il n’y a aucun doute sur l’identité des écritures. Seulement la pauvre prisonnière écrivait cette liste après 24 ans de captivité, et nous ne garantissons pas que nous ayons bien exactement lu tous les noms propres qu’elle traça d’une main affaiblie.
  122. Cette description de M. de Boufflers, sauf quelques erreurs, concerne très-probablement l’infortunée prisonnière qui écrivit notre catalogue, Marie Durand ; elle était en effet la plus jeune des captives, lors de la tournée du commandant ; en 1768, Marie Durand avait cinquante-trois ans ; elle avait été incarcérée, non à l’âge de huit ans, mais à l’âge de quinze ans.
  123. On prend en général à tort ce chiffre comme celui de la liste existant à l’époque de la révocation en 1685.
  124. Les six signataires de ces actes que nous avons transcrits plus haut, d’après l’original (Mss. P. R.) furent : Pierre Durand, pasteur et modérateur (condamné à mort et exécuté) ; Antoine Court, pasteur ; Jean Crotte, pasteur ; Jean Vesson et Jean Huc, pasteurs (condamnés à mort et exécutés ; ) et Étienne Arnaud, pasteur (condamné à mort et exécuté.)
  125. Cette expression remarquable de modérateur, pour désigner le chef de la séance d’un synode, fut inventée par la discipline calviniste pour éviter le terme de président, qui semble, selon la grammaire, indiquer une préséance et une supériorité de position ou de rang. L’égalité absolue de tous les ministres entre eux, la présence des laïcs volants dans les synodes, et la parfaite compétence des laïcs pour juger en matières dogmatiques à l’égal du clergé, forment les bases essentielles de la discipline calviniste presbytérienne.
  126. Martyr, exécuté à Toulouse le 19 février 1762.
  127. Nous réparons ici une omission commise plus haut (p. 219). L’arrêt du parlement de Rouen, sur la question d’état d’une famille protestante, en 1731, nous est connu par une copie appartenant aux Mss. P. R. : elle faisait partie d’une petite liasse de lettres adressées de Normandie au bas Languedoc, de 1748 à 1763 ; nous ne manquerons pas d’analyser dans la suite de notre ouvrage ces lettres à M. Rouhier, à M. Levillain, de Rouen, ainsi que celles des pasteurs du désert en Normandie, Préneuf (André Migault), 1748 ; Lacombe (Alexandre Ranc, du Dauphiné, frère du martyr), 1762 ; Campredon, 1763 ; et Dutilh Godefroy). Préneuf, Lacombe et Dutilh étaient des surnoms destinés à tromper les persécuteurs. Alexandre Ranc, dit Lacombe, desservit l’église de Bolbec, en 1761. Il faut ajouter encore les pasteurs Gautier et Maurin, en 1763. Nous reviendrons sur ces documents, fort rares, puisqu’ils concernent les églises du nord de la France, où le culte était alors infiniment plus secret que dans le Languedoc.