Histoire des églises et chapelles de Lyon/Religieuses de Jésus-Marie

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H. Lardanchet (vol. IIp. 126-131).

RELIGIEUSES DE JÉSUS-MARIE

La grande Révolution avait, ou le sait, produit un bouleversement complet aussi bien dans l’ordre religieux que dans l’ordre politique. Le doute et l’impiété s’étaient glissés peu à peu dans l’esprit du peuple privé pendant plusieurs années d’éducation religieuse. Aussi, dès que le calme fut rétabli, vit-on des personnes de dévouement s’occuper à remédier à cet état d’esprit, en cherchant à assurer à la société où elles vivaient le bienfait d’une instruction chrétienne. C’est dans ce but de régénération sociale que se formèrent diverses associations, et particulièrement celle qui, dans la suite, prit le nom de Congrégation de Jésus et de Marie. Quelques détails sur la personne qui devait jouer un rôle important dans la fondation de cet institut ne seront pas ici sans intérêt : ils permettront de remonter à l’origine de la congrégation et d’en suivre les premiers développements.

Mlle Claudine Thévenet naquit à Lyon, le 30 mars 1774, d’une famille riche et honorable de négociants en soieries. Ses parents furent cruellement éprouvés dans les désordres révolutionnaires : on sait, en effet, que Lyon révolté contre les excès de la Convention, fut entouré d’une armée de 60.000 Jacobins, et qu’après un siège héroïque, il fallut céder au nombre. Maîtres de la ville, les révolutionnaires se vengèrent en pratiquant les fusillades en nombre, dont furent victimes deux frères de Claudine Thévenel. Celle-ci, loin de concevoir pour la populace un ressentiment certes bien justifié, ne songea qu’à soulager les misères physiques et surtout morales des pauvres qui l’entouraient ; elle se prit à les instruire et à leur apprendre à supporter les peines, bien mieux à les ennoblir par la pensée de Dieu et du devoir. Des amies de Claudine Thévenet suivirent son exemple, et toutes s’efforcèrent de soulager les misères qu’elles rencontraient. De temps à autre elles se réunissaient pour se concerter sur les moyens à prendre pour mieux atteindre le but proposé. Les principales collaboratrices de l’œuvre étaient, en plus de Mlle Thévenet, Catherine Laporte, Clotilde Revel, Victoire Ramié et Pauline-Marie Jaricot, future fondatrice de la Propagation de la foi. Elles s’étaient mises sous la direction du prêtre zélé dont il a été question plus haut, l’abbé Coindre, qui, de son côté, poursuivait le même but social et chrétien. Toutefois, il comprit vite que pour mener à bien une telle entreprise et lui faire produire des fruits abondants, il était nécessaire de se réunir, au lieu de travailler isolément comme on l’avait fait jusque-là. Sur sa proposition, on décida de fonder une petite maison ou providence où on recueillerait quelques enfants, pour les instruire religieusement et leur apprendre un métier. Des cellules furent louées dans l’ancien cloître des Chartreux ; on reçut quelques enfants et on établit un atelier de fleurs artificielles, destiné à occuper les heures libres, et à subvenir aux frais d’entretien. Les fondatrices de l’œuvre ne pouvaient malheureusement pas s’en occuper d’une manière assidue ; elles appartenaient encore à leur famille et devaient se soumettre à certaines exigences sociales de leur position. Aussi l’œuvre naissante fut-elle confiée aux sœurs Saint-Joseph chargées de s’occuper de plus près des enfants.

L’Association des Sacrés-Cœurs, c’était le nom donné par M. Coindre à la petite société des âmes d’élite, continuait toujours à exister en dehors de la Providence. Le nombre pourtant des zélatrices diminua ; les unes contrariées par leur famille dans leur noble dessein, avaient dû y renoncer ; les autres quittèrent l’œuvre pour s’engager dans des voies différentes. Le prêtre comprit que pour maintenir l’œuvre et la consolider, il était nécessaire de lui donner une autre forme et une nouvelle direction.

Dans une des réunions, il proposa à ses dirigées de se réunir en communauté, et leur traça les grandes lignes de la règle qu’elles devraient observer. Mlle Thévenet, installée comme directrice, vit se grouper autour d’elle des bonnes volontés, des dévouements ; voici les noms de ses premières compagnes, maintenant ses filles ; ce sont : Mlles Ramie, Laporte, Dioque, Chippier, .Jubeau, Planut, Ferrand et Chardon. Dans la même réunion, on décida de commencer un ouvroir où l’on recueillerait de pauvres ouvrières, auxquelles on donnerait une éducation chrétienne. À cet effet, on loua un appartement au lieu dit : les Pierres-Plantées, non loin du faubourg de la Croix-Rousse. Les débuts furent modestes : l’ouvroir se composait seulement d’une ouvrière en soierie et d’une orpheline, suivie peu après, il est vrai, de plusieurs autres. Bientôt de pieuses ouvrières, désireuses de se vouer à Dieu tout en continuant leur industrie, se présentèrent spontanément ; et plusieurs dans la suite se firent religieuses. Mlle Thévenet visitait souvent la petite communauté, sans pouvoir s’y fixer définitivement, en raison des difficultés suscitées par sa famille : ce ne fut que quelque temps après qu’elle put quitter les siens pour se retirer définitivement.

Petit à petit le nombre des orphelines augmentait et on se trouva à l’étroit : le travail des métiers dépassait le résultat prévu et les commandes abondaient. Pour ces raisons, il parut opportun d’échanger l’humble logis, premier berceau de l’œuvre, contre une maison plus vaste et plus convenable. Une propriété située sur la place de Fourvière et appartenant au père de Pauline Jaricot était en vente ; par l’intermédiaire de cette dernière, le domaine fut vendu à la communauté de Jésus-Marie. Cette maison se nommait l’Angélique, parce qu’elle avait appartenu autrefois à M. Nicolas de L’Ange, magistrat distingué et homme de lettres éminent. Le nouveau local s’adaptait d’une façon parfaite à l’usage auquel on le destinait : en plus de la maison assez vaste et soigneusement conservée de nos jours, il comprenait un vignoble d’une grande étendue, la vaste salle d’ombrage, qui existe encore aujourd’hui. La position offrait un coup d’œil incomparable sur la ville et les environs.

Donc, dans le courant de 1820, la communauté de Jésus-Marie quitta définitivement la maison des Pierres-Plantées, qui l’avait abritée pendant deux ans, pour venir se fixer à l’Angélique. Le nombre des enfants augmentant sans cesse, il fallut, dès l’année suivante, pourvoir à une organisation plus complète. Les bâtiments furent exhaussés, et on construisit une annexe, séparée des autres maisons, qu’on nomma Providence ; là habitèrent les orphelines, occupées surtout à la couture et à la fabrication des étoffes, et à qui on donnait une instruction élémentaire. Dans un local séparé, se trouvait le pensionnat où l’on recevait les jeunes filles de familles aisées qui recevaient une instruction conforme à leur position sociale : le pensionnat était pour la communauté une source de revenus et on espérait faire des recrues parmi les jeunes filles qui s’y trouvaient.

Cependant la communauté, bien que n’ayant pas encore reçu l’autorisation et l’institution canoniques, continuait à se développer. En 1822, elle comprenait une cinquantaine de sujets, en plus des orphelines et des pensionnaires ; elle put dès lors songer à installer de nouveaux établissements. Des dames qui dirigeaient un pensionnat de jeunes filles à Belleville, demandèrent l’aide des sœurs de Jésus-Marie. Deux d’entre elles, envoyées à Belleville, apportèrent au pensionnat une sève nouvelle ; toutefois, en 1829, elles durent se retirer devant des autres religieuses appelées dans la même localité pour s’occuper de l’éducation de la jeunesse.

En 1823, un nouvel établissement fut fondé à Monistrol à la suite de circonstances qu’on va rappeler. M. l’abbé Coindre avait été nommé Supérieur des Missions du diocèse de Saint-Flour qui comprenait aussi le département de la Haute-Loire ; ses nouvelles occupations ne l’empêchèrent pourtant point de s’intéresser à la Congrégation dont il avait dirigé les débuts : il demanda à l’autorité ecclésiastique la permission d’établir dans le diocèse les Dames de Jésus-Marie. La demande fut favorablement accueillie, et en 1822, cinq religieuses partirent de Fourvière pour fonder l’établissement de Monistrol. L’année suivante, profitant de la bonne impression produite par ces dames, l’abbé Coindre écrivit à Mgr l’évêque de Saint-Elour pour lui demander l’autorisation d’ériger les dames en Congrégation régulière ; et, dans ce but, adressait au prélat un exemplaire du règlement. La réponse ne se fit pas attendre : elle accordait toutes les permissions nécessaires : M. Coindre était nommé Supérieur de la Congrégation et autorisé à recevoir les vœux des sœurs. La bonne nouvelle fut vile communiquée à la maison de Lyon, et quelques jours après, Mlle Thévenet et ses compagnes se mettaient en route pour Monistrol. À la suite d’une retraite, elles prononcèrent les vœux et revêtirent le costume religieux. Cette institution canonique donnée aux constitutions de la Congrégation fut authentiquement approuvée, en 1848, par Mgr de Pins, administrateur du diocèse de Lyon.

Cependant l’établissement de Monistrol prospérait et devenait important : Mgr de Bonald, alors évêque du Puy, témoin du bien accompli par les religieuses, les invita à venir s’établir dans la ville épiscopale. Les sœurs déférèrent au désir du prélat et dans le courant de 1823, prirent possession de la superbe résidence préparée par l’évêque protecteur. Celui-ci estimait avec raison qu’elles seraient à même de faire plus de bien, et que leur pensionnat prendrait plus d’importance, s’il était placé dans une ville populeuse. Le nombre des pensionnaires devint, en 1834, si considérable que le vaste local occupé jusqu’alors, fut insuffisant. Avec l’assentiment de Mgr de Bonald, qui s’intéressait sérieusement à cette œuvre d’éducation de la jeunesse, une propriété fut achetée avec un vaste enclos qui permettait toutes les constructions nécessaires.

À l’exemple de la maison du Puy, celle de Lyon voyait augmenter le nombre des pensionnaires et des orphelines. À une certaine époque, il y eut même trois pensionnats distincts, et la maison de Fourvières acquit une réelle réputation pour l’éducation soignée qu’on y donnait. En plus des langues étrangères, on y cultivait le dessin, la peinture et la musique. L’orphelinat possédait, de son côté, une juste renommée pour la fabrication des étoiles de soie, et les commandes y affluaient. Les ressources, fruits de la prospérité, permirent l’érection d’une nouvelle chapelle, celle qui existe aujourd’hui.

Quelques années plus tard, on construisit dans l’enclos un vaste bâtiment destiné aux orphelines, appelé, pour ce motif, la Providence : on sépara ainsi complètement celles-ci des pensionnaires.

La petite communauté ne jouit pas toujours de la vie calme qu’on serait tenté de croire ; il survint divers événements qui mirent en péril non seulement son développement, mais son existence même. On a vu le rôle important joué par l’abbé Coindre dans la fondation et la prospérité de la Société de Jésus-Marie, ainsi que le résultat de ses démarches auprès de l’évêque de Saint-Flour. Ce prêtre vénérable avait été nommé vicaire général de Blois, puis directeur du Grand Séminaire. Épuisé par des travaux excessifs, il ne remplit pas longtemps ses nouvelles fonctions et fut emporté par une fièvre pernicieuse. Les religieuses des Sacrés-Cœurs comprirent l’étendue de la perte qu’elles venaient d’éprouver : leurs constitutions étaient à peine ébauchées et le règlement loin d’être définitif. Qui donc allait continuer l’œuvre commencée ? Mgr de Bonald, qui s’était tant intéressé à l’œuvre, la prit sous sa protection et, durant le temps qu’il occupa le siège archiépiscopal de Lyon, il ne cessa de donner à la Congrégation des témoignages de sa sollicitude. Par ailleurs, M. l’abbé Rey, aumônier de la maison, continua l’œuvre entreprise, et lorsqu’il s’éloigna pour fonder à Oullins une œuvre similaire de jeunes gens, il emporta les regrets unanimes de l’institut.

Une nouvelle cause de trouble et d’alarme pour la société fut la situation politique qui survint à cette époque. Si l’institut n’eut pas à souffrir de la révolution toute pacifique de 1830, il éprouva, en revanche, les effets de l’émeute de 1834. Les troupes régulières pénétrèrent dans l’enclos, s’établirent dans le monastère et de là délogèrent facilement les insurgés campés sur la place de Fourvière. La maison fut occupée pendant trois semaines, parce qu’on craignait un retour offensif des émeutiers. De plus, les autorités militaires appréciant Fourvière comme point stratégique éminent, songeaient à y établir des fortifications et à convertir la place en forteresse redoutable, par sa position qui dominait la ville. Les offres pécuniaires, fort avantageuses d’ailleurs, faites à la communauté et aux propriétaires voisins, furent refusées, et le projet abandonné. On comprend facilement l’émoi que ce projet avait soulevé dans la communauté, qui déjà s’occupait de chercher un autre asile en cas d’expropriation.

Un événement d’un autre ordre alarma également la petite société et en particulier celle qui en avait la direction. Des personnes appartenant à la communauté conçurent le projet de réunir leur congrégation à celle des religieuses du Sacré-Cœur dans le but, sans doute, de consolider l’une et l’autre. C’était, pour la première, perdre l’autonomie et s’éloigner du but qu’elle s’était assignée dès l’origine. Aussi Mlle Thévenet eut-elle assez de bons sens et d’énergie pour refuser cette proposition qui eût été la mort de la congrégation. L’incident fit comprendre les désagréments résultant de la similitude des noms ; c’est pourquoi on résolut de changer de vocable, et depuis 1842, la communauté, dite, jusque-là, des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, fut uniquement désignée sous le nom de Congrégation de Jésus-Marie. Quelques années plus tard, en 1837, mourut Mlle Thévenet, en religion mère saint Ignace ; elle avait fondé la société et l’avait dirigée avec une intelligence remarquable. Mlle Victoire Ramié fut élue pour lui succéder ; on a vu plus haut qu’elle avait été une des premières à s’unir à la fondatrice.

L’année 1841 marque une époque glorieuse dans l’histoire de l’institut. C’était l’époque où d’intrépides missionnaires commençaient l’évangélisation des Indes. Mgr Borghi, évêque d’Agra, avait envoyé une circulaire dans laquelle il faisait aux religieuses de France un pressant appel pour aller seconder les efforts des missionnaires. Les sœurs de Jésus-Marie s’empressèrent d’y répondre, d’autant plus que le but de la Congrégation correspondait parfaitement au désir exprimé dans la lettre : l’éducation chrétienne de la jeunesse. Abandonnant leur famille, leur pays, la maison où elles avaient longtemps vécu, six religieuses partirent pour ces contrées lointaines. Leur correspondance avec la maison-mère de Lyon fait connaître les privations qu’elles eurent à endurer pendant un voyage qui dura dix mois. Elles se jugèrent amplement récompensées de toutes leurs peines par le bien qu’elles procurèrent autour d’elles par la suite : après quatre mois d’existence, le pensionnat qu’elles fondèrent comptait déjà une trentaine d’élèves, et depuis lors, il n’a cessé de s’accroître : c’est dire qu’il n’a pas peu contribué à la propagation de la religion dans ces pays éloignés. Quelques années après, un nouvel établissement était fondé dans les montagnes des Vosges, à Remiremont ; et le pensionnat qui y fut établi ne tarda pas à acquérir une juste célébrité.

L’installation de ces divers établissements affirma la vitalité de la congrégation, toujours prête à envoyer ses membres où on les demandait. Peu de communautés ont, comme elle, un caractère apostolique et se sont répandues dans autant de diverses contrées : n’est-ce pas là un de ses plus beaux titres de gloire ? Ce n’est pas seulement aux Indes orientales qu’on retrouve les religieuses de Jésus-Marie : les unes s’établirent au Canada et aux États-Unis, d’autres foulèrent le sol de l’Espagne, d’autres se sont rendues en Suisse et en Angleterre, toutes pour semer, chez les pauvres comme chez les riches, le bienfait de l’éducation chrétienne.

Il est temps de dire quelques mots de la chapelle dont la façade se dresse vis-à-vis la basilique de Fourvière. Une chapelle provisoire avait été élevée en 1822, mais, trop exiguë, elle n’eut qu’une durée éphémère. C’est en 1832 que la première pierre de la chapelle actuelle fut solennellement posée. La Providence semblait avoir réuni à l’avance, dans l’enclos même, une partie des matériaux nécessaires à la construction de son temple. Déjà, en préparant les fondations des bâtiments antérieurs, on avait trouvé des débris de murs, des amas de pierres ; et maintenant les nouvelles fouilles mettaient à découvert de vraies richesses en ce genre : tout indiquait qu’on était en présence de constructions romaines. On trouva des citernes, des restes d’aqueducs, un souterrain qui s’étend sous l’une des salles d’arbres ; bien plus, en continuant les fouilles on découvrit une salle recouverte de marbres ; plusieurs pièces mises à jour étaient parfaitement conservées, elles ont servi à former le maître-autel. La voûte de la chapelle était commencée lorsque l’émeute de 1834 vint suspendre le travail, qui, pourtant, fut repris peu après et terminé en deux ans.

La chapelle est sans apparence extérieure. À l’intérieur, elle se compose d’un vaisseau de style roman, à une seule nef, éclairé de quatre fenêtres. L’autel est en marbre de couleurs, simple et sans sculpture, il est surmonté d’une statue très ordinaire du Sacré-Cœur. De chaque côté, à la naissance de la nef, sont deux autels, érigés en 1887, dédiés à la sainte Vierge et à saint Joseph. Dans le chœur se trouvent trois peintures qui représentent les monogrammes réunis de Jésus et de Marie, symbole de la congrégation ; l’Agonie de Notre-Seigneur, enfin les Pèlerins d’Emmaüs. Dans la nef, deux autres peintures représentant Jésus bénissant les enfants, et la Présentation de Marie au temple ; toutes ces peintures sont l’œuvre de quelques sœurs ; si ces toiles ne sont pas d’une habileté artistique exceptionnelle, elles constituent du moins un témoignage de l’activité intellectuelle et de la bonne volonté développées dans la communauté.

Aujourd’hui la chapelle n’entend plus l’office, que récitaient autrefois les religieuses, maintenant exilées en Suisse ; la prière n’y a pourtant point cessé, car les sœurs ont laissé leur vaste établissement à un pensionnat prospère, dont les élèves continuent à fréquenter la chapelle.