Histoire des Abénakis/2/10

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CHAPITRE DIXIÈME.

suite du précédent.

1701-1713.

En 1708, il y eut à Montréal une grande réunion de Chefs sauvages. Les Abénakis, les Iroquois, les Hurons et les Algonquins y étaient représentés. Or décida dans ce conseil de faire une expédition contre la Nouvelle-Angleterre. Portsmouth, New-Hampshire, était le point qu’on devait attaquer. Plus de 100 Canadiens et 300 sauvages furent mis sous les ordres de M. M. de Saint-Ours Deschaillons et Hertel de Rouville, pour cette expédition[1]. Mais au moment du départ, les Iroquois et les Hurons refusèrent de marcher[2]. Les Abénakis persistèrent dans leur résolution. Cent de leurs guerriers s’unirent aux Canadiens et se mirent en marche, dans les premiers jours d’Août. Ils remontèrent la rivière Saint-François, pénétrèrent dans la Nouvelle-Angleterre, et se rendirent au lac Winnipiseogee[3], ils devaient rejoindre les Abénakis de l’Acadie. Mais ces derniers ne se trouvèrent pas au rendez-vous. Deschaillons et Hertel, privés de ce secours, furent forcés de renoncer au projet d’aller attaquer Portsmouth, et résolurent de marcher sur Haverhill, village situé sur la rivière Merrimack[4], à environ 450 milles de Québec.

Les Anglais venaient d’envoyer des troupes dans ce village ; conséquemment, il était sur ses gardes, et les Français ne pouvaient compter sur une surprise. Ces derniers arrivèrent vers la nuit dans le voisinage du village ; ils s’y arrêtèrent et passèrent la nuit dans la forêt. Le lendemain, ils rangèrent leurs gens en bataille, et les exhortèrent à combattre courageusement. Alors, les Abénakis se mirent à genoux au pied des arbres, prièrent avec ferveur, marchèrent ensuite résolument à l’attaque du village, et s’en emparèrent, après un rude combat. Tout y fut pillé et saccagé[5].

Bientôt, un renfort de troupes arriva au secours des habitants, et cerna les assiégeants. Il s’ensuivit un terrible combat. La victoire fut longtemps disputée. Enfin, les Abénakis et les Canadiens repoussèrent les Anglais. Deux braves officiers français, Hertel de Chambly et Verchères, restèrent sur le champ de bataille[6]. Presque tous les Anglais furent tués ou faits prisonniers[7].

Un Abénakis, du nom de Naskânbi8it, qui avait été en France, et d’où il était revenu l’année précédente, combattit courageusement à côté de son commandant. Il tua beaucoup d’Anglais, avec un sabre que Louis XIV lui avait donné. Au milieu du combat il reçut une blessure au pied[8]. Ce sauvage jouissait d’une haute réputation parmi les siens. Le nom que les Abénakis lui avaient donné le prouve clairement ; car ce mot « Naskânbi8it » veut dire : « celui qui est si important et si haut placé par son mérite qu’on ne peut atteindre, par la pensée même, à sa grandeur. »

Cependant, les Hurons et les Iroquois du Saut Saint-Louis, honteux d’avoir refusé de marcher contre les Anglais et mortifiés du mépris que le Marquis de Vaudreuil affectait de leur témoigner, formèrent plusieurs partis, auxquels s’unirent les Abénakis de Bécancourt et plusieurs de ceux de Saint-François, et se dirigèrent vers la Nouvelle Angleterre, où ils ravagèrent plusieurs établissements[9].

Ces expéditions répandirent le désespoir dans les colonies anglaises. Aussi, le colonel Schuyler crut devoir faire les plus vives représentations au Marquis de Vaudreuil, afin de l’engager à retenir ses sauvages. « Je crois, » disait-il, « qu’il est de mon devoir envers Dieu et envers mon prochain de prévenir, s’il est possible, ces cruautés barbares. Mon cœur est rempli d’indignation quand je pense qu’une guerre entre des princes chrétiens, soumis aux lois de l’honneur et de la générosité, dont leurs ancêtres leur ont donné de si beaux et si brillants exemples, est dégénérée en une boucherie sauvage et sans limites. Ces choses ne sont pas propres à mettre un terme à la guerre »[10].

Tandis que le colonel Schuyler reclamait, au nom de l’humanité, contre les prétendus excès des Abénakis, il intriguait lui-même auprès des Iroquois et des sauvages alliés des Français, afin de les engager à prendre les armes contre le Canada. Il voulait les engager à commettre contre les Canadiens les excès dont il se plaignait. Aussi, le gouverneur lui répondit, qu’il devait savoir ce qui s’était passé depuis cinquante ans ; que conséquemment il devait savoir que les Anglais eux-mêmes avaient mis le Canada dans la pénible nécessité d’autoriser ces descentes des Abénakis et des autres alliés sur la Nouvelle-Angleterre ; qu’il ne devait pas ignorer les horreurs commises par les Iroquois, à la sollicitation des Anglais ; qu’à Boston les Français et les Abénakis, retenus comme prisonniers, étaient traités avec une barbarie qui ne le cèdait nullement à celle dont il se plaignait ; que les Anglais avaient plusieurs fois violé le droit des gens, ainsi que certaines négociations arrêtées et signées ; qu’enfin tous les prisonniers qui venaient des colonies anglaises étaient bien traités par les Français et les sauvages.

Tel fut le résultat du message du colonel Schuyler auprès du Marquis de Vaudreuil.

Les Anglais, irrités, résolurent d’employer tous moyens possibles pour exterminer les Abénakis. Ils offrirent des récompenses pour chaque prisonnier ou chevelure de ces sauvages. On offrit £10, £20 et même £50, sterling, pour chaque chevelure[11].

Cependant les colonies anglaises, humiliées par tant d’échecs, comprirent que l’unique moyen de prévenir le retour de ces humiliations était de s’emparer de toute la Nouvelle-France. Elles firent des représentations au Cabinet de Londres dans ce sens. Et voici ce qui fut résolu, en 1709. Une flotte et une armée seraient envoyées d’Angleterre ; le Massachusetts et le Rhode-Island fourniraient 1,200 hommes, pour aider à la conquête de Québec ; les provinces centrales donneraient 1,500 hommes, pour assaillir Montréal ; et, dans une seule saison, on s’emparerait du Canada, de l’Acadie et de l’Île Terreneuve[12].

On leva alors des troupes dans les colonies, et l’on plaça sur le lac Saint-Sacrement une armée de 4,000 hommes, sous le commandement du gouverneur Nicholson. Il y avait dans cette armée un grand nombre d’Iroquois et de Mohicans.

M. de Vaudreuil apprenant ces nouvelles, assembla son conseil de guerre, où il fut résolu de marcher immédiatement vers la Nouvelle-York, pour s’opposer aux mouvements de l’ennemi sur le lac Saint-Sacrement, afin que la colonie, rassurée de ce côté, pût réunir toutes ses forces contre la flotte anglaise qui devait attaquer Québec.

Le gouverneur donna 1,500 hommes à M. de Ramsay, gouverneur de Montréal, pour marcher vers le lac Champlain. Ramsay partit de Montréal, le 28 Juillet. Son avant-garde, sous les ordres du capitaine de Montigny, était composée de 50 soldats, 200 Abénakis et 100 Canadiens, commandés par Hertel de Rouville. Ramsay marchait ensuite, à la tête de 100 soldats et 500 Canadiens, commandés par M. M. de Saint-Martin, des Jordis, de Sabrevois, de Lignery et Deschaillons. Les Iroquois du Saut et d’autres sauvages formaient l’arrière-garde[13].

L’armée fit 120 milles en trois jours. Bientôt, la mésintelligence se mit entre le commandant et les officiers, et l’insubordination se répandit parmi les troupes ; ce qui fit manquer une entreprise dont le succès paraissait certain.

Déjà les Abénakis avaient mis en déroute un détachement ennemi, lorsqu’on apporta la nouvelle que 5,000 Anglais n’étaient pas éloignés, et qu’ils étaient bien retranchés. Alors, les sauvages refusèrent d’avancer, disant qu’il était imprudent d’aller si loin pour attaquer un ennemi qui avait eu tout le temps nécessaire pour fortifier son camp, et qui pouvait être facilement secouru par de nouveaux renforts. Le conseil de guerre fut assemblé, et il fut décidé qu’on devait se retirer[14].

Vers le milieu de Septembre, M. de Vaudreuil apprenant que les Anglais faisaient mine de s’avancer, monta aussitôt à Montréal, réunit un corps considérable de troupes, de Canadiens et d’Abénakis, et alla se placer à Chambly, où il demeura quelque temps sans entendre parler de l’ennemi. Il envoya en découverte des détachements de Canadiens et d’Abénakis, sous les ordres de Deschaillons et de Montigny. Ces deux officiers approchèrent les retranchements des ennemis. Montigny se rendit, avec deux Abénakis, assez près pour compter et mesurer leurs canots. Quelques Abénakis tuèrent deux Anglais, entre deux forts[15].

M. de Vaudreuil, voyant que les Anglais ne faisaient aucun mouvement vers le Canada, se retira. Bientôt après, Nicholson abandonna le lac Saint-Sacrement et se retira aussi. Voici quelle fut la cause de sa retraite.

Quatre cantons iroquois s’étaient déclarés en faveur des Anglais ; mais ils ne prétendaient pas aider leurs alliés à chasser les Français du Canada. Les Agniers avaient dit à un Abénakis qu’ils se trouvaient forcés de prendre part à cette guerre, mais qu’ils y demeureraient simples spectateurs. Un missionnaire, le P. Mareuil, avait compris, dans un conseil d’Onnontagués, que les Anglais ne retiraient pas un grand avantage de leur alliance avec les Iroquois.

En effet, ces sauvages, loin de favoriser Nicholson, prirent des moyens pour le décourager. Voici ce qu’ils firent. Comme ils passaient presque tout leur temps à la chasse, ils jetèrent tous les animaux qu’ils tuèrent dans une petite rivière, qui coulait près du camp anglais. Bientôt, cette eau devint très-infectée. Les anglais, sans défiance de ce côté, continuèrent à boire de cette eau, ce qui causa dans l’armée une affreuse maladie, qui fit mourir plus de 1,000 hommes[16]. Nicholson fut alors forcé d’abandonner son expédition et de se retirer à Albany, où il apprit que la flotte que l’Angleterre avait destinée pour attaquer Québec n’était pas venue à Boston qu’elle avait été employée en Europe.

L’année suivante, 1710, les Anglais résolurent de faire une nouvelle tentative contre Port-Royal.

Le gouverneur de l’Acadie, M. de Subrecase, s’était allié à des corsaires, pour empêcher les Anglais de faire la pêche sur les côtes de ce pays. Il retirait de grands profits de ce commerce ; ce qui lui donnait des moyens de récompenser les Abénakis pour les services qu’ils lui rendaient sans cesse. Les corsaires l’abandonnèrent, mais les Anglais demeurèrent dans l’inquiétude, craignant toujours le retour de ces pirates, qui avaient causé un dommage considérable à leur commerce. D’un autre côté, les ravages que les Abénakis et les Canadiens continuaient de faire dans la Nouvelle-Angleterre, ruinaient les colons. Ces considérations achevèrent de décider l’Angleterre à chasser les Français de Port-Royal.

Dans cette circonstance, il y eut quelque chose d’assez incompréhensible dans la conduite du gouverneur de l’Acadie, Informé depuis longtemps du danger qui le menaçait, il avait demandé du secours à la cour de France et à M. de Vaudreuil. On lui envoya ce qu’il demandait ; mais, lorsqu’il était le plus menacé, il renvoya ces troupes, sous prétexte qu’il ne pouvait s’entendre avec les officiers. Ces officiers, la garnison même et les habitants portèrent plaintes contre lui. Si les Anglais eussent connu ce qui se passait alors à Port-Royal, ils eussent pu épargner plus de la moitié des frais qu’il firent pour s’en emparer[17].

Dans le mois d’Août, trois vaisseaux anglais s’approchèrent de Port-Royal et le tinrent bloqué. Le 6 Octobre, cinquante autres vaisseaux ennemis entrèrent dans le Bassin, avec 3,400 hommes, sous les ordres de Nicholson. Le 6, l’ennemi débarqua des deux côtés de la rivière, sans être nullement troublé. Subercase ne pouvant compter, ni sur les soldats, ni sur les habitants, ne fit pas occuper les passages difficiles, où il aurait pu arrêter l’ennemi. Les Anglais, ne rencontrant point d’obstacles, marchèrent droit au fort. Lorsque le gouverneur les vit sous ses batteries, il fit diriger sur eux un si grand feu qu’il les arrêta et les força de reculer un peu. Le lendemain, le 7, les Anglais traversèrent un ruisseau, que le gouverneur avait négligé de faire occuper et où 260 hommes seulement auraient pu les repousser. Quelques habitants et sauvages attaquèrent les premiers qui y passèrent, mais ils furent bientôt forcés de s’enfuir dans le bois. Le 8, les Anglais, fatigués par le feu de l’artillerie du fort, furent obligés de retraiter un peu, après avoir perdu beaucoup d’hommes. Le 9 et le jour suivant, la canonnade se continua des deux côtés. Enfin, le 11, Subercase, voyant qu’il ne pouvait résister plus longtemps, demanda à capituler. Le 16, Port-Royal fut livré à Nicholson, et la garnison française sortit du fort[18].

Les Anglais donnèrent alors à Port-Royal le nom « d’Annapolis », en l’honneur de la reine Anne.

Bientôt, l’Angleterre prétendit que toute la province de l’Acadie lui appartenait, tandis que la capitulation ne parlait que de Port-Royal. Les habitants reclamèrent et refusèrent de se soumettre. Alors, les Anglais résolurent de les soumettre par la force, et envoyèrent, en différents endroits, des détachements de troupes pour punir les rebelles. En cette circonstance, les Abénakis rendirent de grands services aux Acadiens, en les sauvant de cruelles persécutions. Ces sauvages, commandés par leur nouveau Chef, le jeune Saint-Castin, poursuivaient avec persévérance ces détachements de troupes ; cantonnés, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, ils couraient sus aux Anglais, les attaquaient à l’improviste, les mettaient presque toujours en fuite et leur faisaient parfois subir des pertes considérables[19].

Dans cette difficulté, le colonel Livingston fut député en Canada pour s’entendre avec le Marquis de Vaudreuil ; mais celui-ci exigea que le traité de capitulation de Port-Royal fut suivi à la lettre, Livingston se plaignit aussi des prétendues cruautés des Abénakis, et dit que si ces barbares continuaient leurs massacres, les Anglais seraient obligés de mettre à mort un grand nombre d’habitants de l’Acadie, M. de Vaudreuil répondit que si les Anglais mettaient cette menace à exécution, il userait de représailles contre les prisonniers de leur nation. Loin de désapprouver la conduite du jeune Saint-Castin, il le nomma son lieutenant en Acadie[20], lui enjoignant de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour maintenir les habitants de ce pays dans l’obéissance à la France.

Cette marque de confiance de la part du Marquis de Vaudreuil toucha vivement Saint-Castin, et l’attacha encore plus à la cause des Acadiens. Aidé de ses intrépides bandes abénakises, il continua avec encore plus d’activité qu’auparavant à poursuivre les troupes anglaises. Bientôt, M. de Vaudreuil lui envoya des détachements de Canadiens et d’Abénakis. Aidé de ces renforts, il pénétra jusqu’à Annapolis, en 1711. Il est fort probable qu’il serait parvenu à s’emparer de ce fort, sans la présence de la flotte de Hovenden Walker dans le Saint-Laurent, ce qui força M. de Vaudreuil d’interrompre ces exploits[21].

Aussitôt après la prise de Port-Royal, Nicholson passa en Angleterre pour engager le cabinet de Londres à faire la conquête du Canada et pour appuyer les démarches du colonel Schuyler, député en Angleterre l’année précédente dans le même but. Le cabinet de Londres se rendit aux sollicitations de Nicholson, et confia cette nouvelle expédition au Chevalier Hovenden Walker, avec une flotte de quatre-vingt-huit vaisseaux et transports. Walker arriva à Boston, le 26 Juin 1711. Les colonies lui fournirent deux régiments, ce qui porta son armée au nombre de 6,500 hommes. Il partit de Boston pour Québec, le 30 Juillet.

De son côté, Nicholson s’avança jusqu’à Albany, avec une armée de 400 soldats et 600 Iroquois. Il devait aller attaquer Montréal, par le lac Champlain, tandis que Walker assiégerait Québec. C’était le projet d’invasion que les Anglais formaient depuis 1690.

Le Canada paraissait perdu. Cependant M. de Vaudreuil ne perdit pas courage. Il réunit à Montréal 400 sauvages de l’Ouest et 400 Abénakis, Hurons, Iroquois et Algonquins. Il donna un grand festin à ces 800 alliés, qui, à la suite de ce repas, jurèrent fidélité aux Français, levèrent la hache, entonnèrent le chant de guerre et promirent de verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang, pour repousser leur ennemi commun. Les Abénakis surtout, comme toujours, montrèrent un extrême désir de combattre[22].

Alors M. de Vaudreuil descendit à Québec avec les Abénakis, laissant les autres sauvages pour la défense de Montréal[23].

On était assuré de la fidélité des Abénakis. Dans cette circonstance, ils en donnèrent une nouvelle preuve. Ils envoyèrent leurs femmes et leurs enfants aux Trois-Rivières, pour faire voir, disaient-ils, qu’ils n’avaient pas d’autre intérêt que celui des Français. Ils se prêtèrent ensuite de bonne grâce à tout ce qu’on souhaitait d’eux. Des Abénakis de l’Acadie vinrent se joindre à eux, pour aller défendre Québec. Ces sauvages furent emmenés en Canada par le P. de la Chasse[24].

M. de Vaudreuil trouva tout en bon ordre à Québec. Il assigna à chacun son poste, dans la ville et dans les environs. Les Abénakis et les Hurons jurèrent de n’abandonner le leur qu’avec la vie. On était dans une espèce d’impatience de voir paraître la flotte anglaise[25].

La Providence sauva encore le Canada. Walker remontait le Saint-Laurent, sans s’occuper le moins du monde du siége qu’il allait faire. Il ne croyait pas qu’on osât se défendre à Québec Mais un affreux désastre vint bientôt le retirer de son indifférence et le convaincre qu’il avait compté trop vite sur la conquête du Canada. Un gros vent du Sud-Est, accompagné d’une épaisse brume, enveloppa sa flotte, qui se trouva bientôt dans le danger le plus imminent, au milieu d’îles et de récifs. Huit transports se brisèrent sur les Sept-Îles, et près de 3,000 hommes se noyèrent[26]. Effrayé de ce désastre, Walker rebroussa chemin et abandonna son projet.

Dès que la nouvelle de la retraite de la flotte anglaise fut apportée à Québec, M. de Vaudreuil renvoya M. de Ramsay à Montréal, avec 600 hommes, et s’y rendit lui-même bientôt après, avec ses fidèles Abénakis et un certain nombre de Canadiens. Il forma une petite armée de 3,000 hommes, — où figuraient les Abénakis, — qu’il plaça à Chambly, pour s’opposer à la marche de Nicholson. Mais ce commandant, ayant appris le désastre de la flotte de Walker, s’était retiré avec son armée, renonçant pour la seconde fois à son projet d’invasion[27].

Alors les craintes du Canada passèrent dans les colonies anglaises, et la terreur se répandit sur les frontières. Quelques bandes d’Abénakis, profitant ce cette circonstance, firent alors quelques descentes sur la Nouvelle-Angleterre.

Le seul avantage que les Anglais retirèrent, après de si grandes dépenses, fut de conserver l’Acadie.

La Cour de France désirait alors recouvrer cette province, après l’avoir négligée si longtemps. Les efforts réitérés des Anglais pour s’en emparer, et surtout leur succès, avaient enfin ouvert les yeux aux Français, qui comprenaient alors la grandeur de la perte qu’ils avaient faite. Voici ce qu’écrivait M. de Pontchartrain à M. de Beauharnais à ce sujet. « Je vous ai fait assez connaître combien il est important de reprendre ce poste (Port-Royal) avant que les ennemis y soient solidement établis. La conservation de toute l’Amérique Septentrionale et le commerce des pêches le demandent également ».

M. de Pontchartrain voulait engager le Marquis de Vaudreuil à se charger de cette entreprise avec ses seules troupes, les milices canadiennes et les Abénakis. Le gouverneur ne demandait, pour en assurer le succès, que deux vaisseaux et quelques renforts de troupes. Mais la France ne put lui envoyer ce faible secours. Cependant, malgré le manque de secours, les Abénakis et les habitants de l’Acadie tinrent Port-Royal bloqué jusqu’à la nouvelle de l’approche de la flotte anglaise.

Tandis qu’on délibérait en France et en Canada sur les moyens de recouvrer l’Acadie, quarante Abénakis seulement furent sur le point de faire exécuter ce projet. Soixante soldats anglais s’étaient éloignés de Port-Royal, pour aller brûler les maisons des Acadiens. Quarante Abénakis, en ayant eu connaissance, se partagèrent en deux bandes, et allèrent se mettre en embuscade sur leur passage. Les Anglais, ne se doutant de rien, tombèrent dans cette embuscade et furent tous tués. Il ne put s’échapper même un seul homme pour porter cette nouvelle au fort.

Les habitants, encouragés par ce succès, prirent les armes et se mirent en marche, avec un grand nombre d’Abénakis, pour aller investir le fort. Mais comme ils n’avaient pas de chefs, ils renoncèrent bientôt à leur projet, et se retirèrent[28].

En 1712, le bruit se répandit que l’Angleterre préparait encore une expédition contre le Canada ; mais cette fausse nouvelle ne servit qu’à donner aux Canadiens et aux Abénakis l’occasion de prouver encore une fois leur dévouement pour les Français.

Cependant, la guerre en Europe touchait à sa fin. Elle fut terminée par le traité d’Utrecht, signé le 11 Avril 17183. Par ce traité, la France renonça à ses droits sur le pays des Iroquois, et laissa à Angleterre la Baie d’Hudson, l’Île Terreneuve et l’Acadie. Alors la paix fut rétablie dans la Nouvelle-France.


  1. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 33.
  2. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 851.
  3. De 8nebisag8a, lac que l’on traverse sur des planches ou des arbres.
  4. Haverhill se nommait autrefois Hewreuil.
  5. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 36.
  6. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 851 — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 32.
  7. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 36.
  8. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 36.
  9. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 39.
  10. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I, 852, 853.
  11. Bancroft. Hist. of the U. S. vol. I​I. 853.
  12. Bancroft. Hist. of the U. S. vol. I​I. 853.
  13. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV.
  14. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 52.
  15. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France Vol. IV. 53.
  16. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 54, 55.
  17. P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N., France. Vol. IV. 60, 61.
  18. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 62, 65.
  19. Garneau, Hist. du Canada. Vol. I​I. 47.
  20. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 854.
  21. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 72.
  22. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 75. 76.
  23. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 50.
  24. Le P. de Charlevoix. Hist. de la N. France. Vol. IV. 77.
  25. Idem. Vol. IV. 80.
  26. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV 82.
  27. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 858.
  28. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France Vol. IV. 90-91.