Histoire des Abénakis/3/02

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CHAPITRE DEUXIÈME.

révolution des colonies anglaises de l’amérique.
— descente sur le canada.
— les abénakis reprennent les armes.

Pendant la guerre de sept ans, les Abénakis avaient presque toujours été dans l’armée. Mais, aussitôt après la capitulation de Montréal, ils mirent bas les armes et se soumirent. Bientôt, la paix la plus profonde règna parmi eux. Ils vivaient si paisiblement, qu’on ne se serait pas aperçu qu’ils sortaient d’une longue guerre, n’eussent été les ravages que les combats et les épidémies avaient faits parmi eux. Cependant, ils espéraient encore que la France n’abandonnerait pas le Canada, et qu’ils reviendraient sous la domination française. Après trois longues années d’attente, ils virent s’évanouir cette espérance. Le traité de Paris fixa leur destinée d’une manière irrévocable, en les mettant pour toujours sous la domination de l’Angleterre.

Pendant que les Abénakis vivaient en paix et se soumettaient volontiers aux ordres de leurs nouveaux maîtres, il se passait dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-York des évènements, qui devaient amener une révolution, contre la métropole, et remettre les sauvages du Canada sous les armes.

Les colonies anglaises avaient, depuis longtemps, des sujets de mécontentements contre la métropole. En 1732, l’Angleterre, après avoir passé la loi de navigation, qui nuisait beaucoup à la marine des colonies, avait passé une autre loi, qui nuisait considérablement à leur commerce. Cette loi défendait l’exportation des chapeaux et des tissus d’une province à l’autre. En 1733, la métropole ne permit l’importation du rum, du sucre et de la melasse qu’avec des droits considérables. En 1750, elle établit à son profit des usines de laminage, et se réserva la coupe des pins et des sapins[1].

Les colonies, voyant que l’Angleterre les gouvernait avec une autorité absolue, demandèrent une législature indépendante[2], représentant qu’il leur était souvent fort préjudiciable de se soumettre à des lois arbitraires[3]. Mais cela leur fut refusé.

Alors, la Nouvelle-Angleterre ne voulut pas paraître soumise aux lois de la métropole. Lorsqu’elle acceptait une loi du parlement impérial, elle lui donnait un caractère particulier en la publiant, comme si elle eût été passée dans la province, Les autres provinces avaient les mêmes sentiments à l’égard des lois de la métropole. Elles s’y soumettaient, parcequ’elles étaient trop faibles pour y résister[4].

Après le traité de Paris, l’Angleterre devint encore plus exigeante à l’égard des colonies. Elle voulut les taxer pour l’aider à payer l’intérêt de sa dette, qui avait beaucoup augmenté pendant la guerre. Le ministre Walpole refusa de souscrire à cette injuste proposition disant « qu’il avait déjà contre lui la vieille Angleterre et qu’il ne voulait pas que la jeune devint aussi son ennemie ». Mais, le ministre Grenville, pour plaire à Georges III, proposa cette loi, qui fut adoptée sans opposition, dans le mois de Mars, 1764[5].

Les colonies protestèrent contre les exigences de la métropole, prétendant qu’elles ne pouvaient être taxées que par leurs représentants, qu’elles n’étaient pas représentées dans le parlement anglais, et que la chambre des Communes cherchait à prélever des impôts sur elles, pour se soulager elle-même.

L’Angleterre, voyant une si forte opposition à cette loi, établit alors dans les colonies, au lieu de la taxe, une armée permanente, et augmenta considérablement le salaire des juges, afin de diminuer, par là, l’indépendance des provinces[6]. On y envoya un grand nombre d’hommes ruinés de fortune, dissolus et ignorants, qui ne pouvaient être employés en Angleterre. Ces hommes étaient largement salariés par les colonies, pour n’y faire que du mal. C’est ce qui fait dire à Bancroft « que les colonies étaient alors l’hopital-général de la Grande-Bretagne »[7]. Il y avait d’ailleurs déjà longtemps que les hommes ruinés de l’aristocratie anglaise émigraient aux colonies, pour y occuper les premières places.

En 1765, l’Angleterre, malgré l’opposition qu’elle rencontrait dans les colonies contre les taxes, passa la loi du timbre, pour établir en Amérique les mêmes droits de timbre que dans la Grande-Bretagne. Franklin, qui avait été envoyé à Londres par le Massachusetts, écrivit alors à ses concitoyens : « Le soleil de la liberté est passé sous l’horizon, il faut que vous allumiez les flambeaux de l’industrie et de l’économie »[8].

Cette loi souleva de graves mécontentements, dans toutes les provinces, et les Américains résolurent de ne faire aucun usage des marchandises estampillées des Anglais. Il y eut des émeutes, en différents endroits. À Boston, on démolit le bureau du timbre. À Philadelphie, lorsque le vaisseau portant le papier timbré entra dans le port, les bâtiments hissèrent leurs pavillons à mi-mâts et toutes les cloches de la ville firent entendre des sons lugubres, pendant tout le jour.

Il y eut à New-York un congrès, composé de députés envoyés par presque toutes les provinces. Ce congrès annula la loi du timbre[9], et vota des pétitions au parlement anglais contre les prétentions de la métropole. Les provinces, qui n’avaient pas envoyé de députés au congrès, approuvèrent tout ce qui s’y était passé. L’opposition à la loi du timbre devint si générale que les officiers, qui avaient été envoyés d’Angleterre pour faire exécuter cette loi, furent obligés de renoncer à leurs charges et de retourner en Europe.

Le parlement Anglais persista encore quelque temps à soutenir son droit de taxer les colonies. Mais l’opposition et la résistance devinrent de plus en plus fortes en Amérique. Enfin, en 1765, l’Angleterre, voyant ce mécontentement général dans les colonies, abrogea la loi du timbre[10].

L’abrogation de cette loi fut reçue avec une grande joie, en Angleterre comme en Amérique[11]. Mais cette satisfaction générale ne dura pas longtemps. Le roi regarda cette abrogation comme une faiblesse et une complaisance, qui auraient de funestes conséquences. Grenville tomba sous ces circonstances, et les nouveaux ministres, qui avaient voté contre la loi du timbre, imposèrent aux colonies, en 1767, de nouvelles taxes arbitraires. Ces taxes furent imposées sur le verre, le thé et le papier, importés dans les colonies[12], et, dans le but d’effrayer les colons, on enleva au corps législatif de la Nouvelle-York le droit de législater.

Ces mesures rencontrèrent encore plus d’opposition dans les colonies que la loi du timbre. Les patriotes de Massachusetts donnèrent les premiers l’exemple de la résistance, et exprimèrent hardiment leur indignation. Ils formèrent une convention générale contre les prétentions de la métropole. L’Angleterre envoya alors des renforts de troupes, pour faire cesser ces mouvements. Les troupes firent cesser un instant les démonstrations des patriotes de Massachusetts ; mais l’excitation était entretenue par les associations qui s’étaient formées dans toutes les provinces. Chaque province prétendait que la métropole n’avait pas le droit de contrôler son corps législatif[13].

Les Américains résolurent encore une fois de suspendre leurs relations commerciales avec les Anglais. L’alarme fut si grande parmi les marchands anglais que le ministère fut forcé d’abroger la nouvelle loi d’impôt, à l’exception de l’article qui regardait le thé. Cette mesure ne fut pas un remède aux maux qui existaient ; car elle fit connaître la faiblesse du ministère anglais et laissa une germe de discorde.

Ce fut alors que des difficultés sérieuses éclatèrent à Boston, entre les troupes et les citoyens. L’alarme fut donnée dans toutes les provinces, et les colons étaient entièrement décidés à défendre leurs droits par les armes. Ils s’organisaient partout pour résister.

L’Angleterre voulut punir les Bostonnais de cette résistance si tenace. Il fut en conséquence décidé de tenir leur ville en état de blocus. Des troupes et des vaisseaux de guerre furent envoyés et placés près des quais de Boston[14].

Telles étaient les difficultés qui existaient entre les anciennes colonies de l’Amérique Septentrionale et leur métropole.

Ces difficultés protégèrent les Canadiens. En 1764, l’Angleterre leur était très-hostile ; mais, dix ans après, les choses étaient bien changées. Lorsqu’elle se vit à la veille d’une révolution avec ses colonies, elle pensa qu’elle devait tâcher de s’attirer l’estime des Canadiens, afin qu’ils lui demeurassent fidèles. Elle passa alors une loi pour reconnaître le catholicisme comme religion établie en Canada. Elle avait songé à abolir la langue et les lois des Canadiens, mais ses difficultés avec ses colonies l’avait engagée à retarder le règlement de cette question. Lorsqu’elle se vit obligée de sévir contre le Massachussetts et les provinces du Sud, elle rétablit en Canada la langue et les lois françaises. Par cette mesure, elle s’attacha le clergé et les hautes classes. Elle passa aussi une loi concernant les limites du Canada, et recula, de toutes parts, vers les colonies anglaises, celles qui avaient été données à la province de Québec, dix ans auparavant. Cependant, elle refusa d’accorder aux Canadiens une chambre élective, parcequ’elle considéra comme imprudent d’établir une assemblée législative qui serait composée exclusivement de catholiques.

En 1774, Sir Guy Carleton fut envoyé une seconde fois comme gouverneur du Canada. Il avait ordre de bien traiter les Canadiens et de travailler à s’attirer l’estime des sauvages. Ce gouverneur envoya des députés chez tous les sauvages du pays. On promit des récompenses aux Abénakis, s’ils demeuraient fidèles à leur souverain. On leur promit, entr’autres choses, d’agrandir leurs possessions, s’ils consentaient à reprendre les armes pour la défense de leur pays, dans le cas que le Canada serait attaqué par les Américains. Les Abénakis n’hésitèrent pas à promettre de combattre, au premier ordre, pour la défense des droits de leur nouveau souverain, comme ils l’avaient toujours fait pour le roi de France.

Le mécontentement dans les colonies anglaises allait toujours en augmentant. Un comité fut nommé, dans le but de convoquer un congrès général, pour décider ce qui devait être fait. Ce congrès s’assembla à Philadelphie, au mois de Septembre, 1774, et passa un grand nombre de résolutions ; il envoya une adresse au roi, une autre au peuple d’Angleterre, et une troisième aux Canadiens. Mais le mépris que les Américains faisaient, dans cette adresse, de la religion catholique irrita les Canadiens contr’eux, et les attacha à la cause de leur souverain. Le clergé et les Canadiens des hautes classes résolurent de défendre leur pays pour le conserver à l’Angleterre, dans la crainte d’exposer leur religion et leur nationalité en s’unissant à des colonies qui montraient tant de fanatisme.

Au printemps, 1775, les colonies anglaises prirent les armes et attaquèrent Lexington et Concord. Les troupes régulières perdirent 300 hommes. Les forts de Ticondéroga et de Crown-Point furent pris. La guerre était donc déclarée à l’Angleterre. De nouvelles troupes furent aussitôt envoyées en Amérique, et bientôt, les généraux Howe, Burgoyne et Clinton y arrivèrent avec des renforts.

Pendant ce temps, Carleton apprenant la descente des insurgés sur le lac Champlain, fit réunir les guerriers abénakis et quelques autres sauvages, et les envoya au fort Saint-Jean, sous les ordres des frères Lorimier, pour défendre cette place, qui avait déjà été attaquée par un détachement d’insurgés.

Le congrès de Philadelphie se réunit de nouveau, le 10 Juin, et le général Washington fut nommé commandant-en-chef de l’armée.

Ce fut pendant que le congrès siégeait qu’eut lieu la célèbre bataille de Bunker’s hill, où les insurgés firent des prodiges de valeur. Cette affaire causa des pertes considérables aux Anglais, et ranima le courage des Américains. Il fut résolu d’envahir le Canada. Les Américains pensaient que les Canadiens les recevraient comme des libérateurs[15].

Le congrès ordonna au général Schuyler de s’emparer de Saint-Jean et de Montréal, tandis que quelques détachements de troupes iraient, par les rivières Kénébec et Chaudière, attaquer Québec.

Schuyler et Montgomery débarquèrent à Saint-Jean, dans le mois de Septembre, avec environ 1,000 hommes. Les Abénakis, commandés par les frères Lorimier, sortirent aussitôt du fort pour les repousser. Il y eut plusieurs escarmouches, et les Américains furent forcés de se retirer sur l’Île-aux-Noix[16].

Carleton n’avait que 800 hommes de troupes pour repousser l’invasion des Américains. Il fit alors un appel aux Canadiens ; mais un grand nombre de ceux-ci refusèrent de se rendre à cet appel ; quelques uns voulurent rester dans la neutralité, d’autres se déclarèrent en faveur du congrès, et peu prirent les armes. La plupart des Anglais, alors dans le pays, étaient aussi en faveur du congrès, mais d’une manière secrète. Carleton s’adressa alors aux sauvages. Les guerriers Abénakis avaient répondu à son premier appel, et déjà ils étaient presque tous sous les armes à Saint-Jean. Chez les Iroquois, les vieillards s’opposèrent à ce que leurs jeunes gens prissent les armes, parcequ’ils considéraient cette guerre comme un juste châtiment pour tous les maux que les Européens leur avaient fait souffrir, et, qu’en conséquence, ils ne devaient pas y prendre part. « Voilà », disaient-ils, « la guerre allumée entre les hommes de la même nation. Ils se disputent les champs qu’ils nous ont ravis. Pourquoi embrasserions-nous leurs querelles, et quel ami, quel ennemi aurions-nous à choisir ? Quand les hommes rouges se font la guerre, les hommes blancs viennent-ils se joindre à l’un des partis ? Non, ils laissent nos tribus s’affaiblir et se détruire l’une par l’autre ; ils attendent que la terre, baignée de notre sang, ait perdu ses habitants pour la saisir. Laissons les, à leur tour, épuiser leurs forces et s’anéantir ; nous recouvrerons, quand ils ne seront plus, les montagnes et les lacs qui appartenaient à nos ancêtres »[17].

Cependant, Carleton parvint à gagner les jeunes gens. On prodigua des présents, et bientôt, l’on engagea aussi la plupart des Chefs à descendre à Montréal pour prendre les armes.

Mais les efforts de Carleton furent inutiles. Il se vit bientôt abandonné par les milices qu’il avait réunies. À Montréal, aux Trois-Rivières et à Chambly on se déclara en faveur du congrès. Les forts Saint-Jean et Chambly furent lâchement livrés aux Américains. Alors, les Abénakis, indignés d’une pareille trahison, se retirèrent dans leurs villages. Le gouverneur fut obligé de descendre à Québec.

Bientôt, Montgomery s’empara de Montréal et des Trois-Rivières ; puis, il se mit en marche vers Québec.

Pendant ce temps, Arnold, choisi par le général Washington pour aller faire une descente sur Québec, pénétrait par les rivières Kénébec et Chaudière. Après six semaines de marche, il arriva devant Québec, avec 650 hommes seulement, ayant été obligé de renvoyer une partie de ses troupes dans le voyage. Il traversa au Foulon, et, le 13 Novembre, il était sur les plaines d’Abraham. Comme il n’avait pas assez de troupes pour attaquer Québec, il alla attendre Montgomery à la Pointe-aux-Trembles, et, dans les premiers jours de Décembre, les Américains, au nombre de 1,000 à 1,200, investirent Québec[18].

Carleton ordonna à ceux des citoyens qui n’étaient pas sincèrement attachés à la cause du roi de sortir de la ville. Quelques uns se retirèrent à l’île d’Orléans, d’autres, à Charlesbourg. Le gouverneur envoya inviter les Abénakis à venir aider à la défense de la ville. Environ 100 de ces sauvages se rendirent à cette invitation[19].

En arrivant à Québec, Montgomery fit occuper Beauport, la Canardière et Sainte-Foye. Son dessein n’était pas de faire un siége en règle, mais de tâcher d’enlever la ville par un coup de main. Il attendit l’occasion favorable. Il choisit la nuit du 31 Décembre, pour effectuer son projet. Il divisa ses troupes en quatre bandes. La première, comptant plus de 750 hommes, dont il s’était réservé le commandement, devait s’avancer du Foulon, par l’Anse-des-Mères ; la seconde, sous les ordres d’Arnold, devait attaquer du côté du Saut-au-Matelot ; les deux autres, eurent ordre de simuler des attaques à la porte Saint-Jean et à la citadelle.

Montgomery se mit en marche, à 2 heures du matin. Il s’avança hardiment par un chemin rendu extrêmement difficile par la glace, que la marée y avait accumulée, et par la neige qui tombait en grande abondance. Le chemin était si étroit que deux soldats n’y pouvaient marcher de front. Montgomery s’empara d’une première barrière, et s’avança à l’attaque d’une seconde. Les Canadiens, qui gardaient ce poste, laissèrent approcher les assaillants jusqu’à 25 verges, puis ils firent feu sur eux avec tant d’effet qu’ils les forcèrent de retraiter précipitamment. Plusieurs assaillants tombèrent, et Montgomery fut parmi les morts.

Pendant ce temps, Arnold faisait son attaque du côté du Saut-au-Matelot. Il fit prisonnière la garde placée à la première barrière, puis il s’avança pour attaquer la seconde barrière. Il reçut alors une blessure grave qui le mit hors de combat. Cependant, l’attaque se continua, sous les ordres du capitaine Morgan. Les Canadiens tinrent fermes. Mais Morgan réussit à s’emparer d’une partie des maisons, entre les deux barrières, et il eût probablement emporté la seconde barrière si les Canadiens n’eussent été secourus par un renfort de miliciens. Après un rude combat, les Américains furent forcés de se rendre, Vingt-deux officiers et 427 soldats furent faits prisonniers. Arnold se retira alors, et alla prendre position à environ trois milles de la ville.

Voici comment furent divisés les Abénakis pendant l’attaque de la ville. Quelques uns furent placés à la seconde barrière de l’Anse-des-Mères ; d’autres furent employés comme éclaireurs, dans les environs de la ville, pendant que l’ennemi se préparait à l’attaque ; les autres furent placés dans la ville. Quelques uns de ces sauvages, étant sur la citadelle, aperçurent les signaux des Américains, et donnèrent l’alarme à la garnison.

Au commencement de Janvier, 1776, les Américains étaient pour ainsi dire maîtres de la plus grande partie du pays : ils étaient maîtres de Montréal, des Trois-Rivières, de Sorel, de Chambly, de Saint-Jean et du lac Champlain. Ils étaient répandus dans presque toutes les campagnes, et s’efforçaient de gagner les Canadiens à leur cause, leur disant qu’ils voulaient les délivrer de la tyrannie du roi d’Angleterre et les rendre libres et indépendants. Les Canadiens, aveuglés par la haine qu’ils avaient pour les Anglais, se rangeaient, en grand nombre, du côté du congrès américain. Cependant, le clergé, les seigneurs et la plupart des hommes de profession demeurèrent fidèles à leur souverain. Le clergé ne put convaincre le peuple, mais il put le maintenir dans la neutralité jusqu’à l’arrivée de secours d’Angleterre.

Les Abénakis ne suivirent pas l’exemple des Canadiens, et demeurèrent fidèles à leur roi. D’ailleurs, leur haine n’était pas, comme celle des Canadiens, contre toute la nation anglaise, elle était principalement dirigée, depuis longtemps, contre les habitants de la Nouvelle-Angleterre.

Le congrès américain apprenant la défaite de Montgomery, se hâta de lever des troupes pour le Canada, et y envoya trois commissaires, Benjamin Franklin, M. Chase et Charles Caroll, pour engager les Canadiens à embrasser sa cause. Franklin fut froidement accueilli à Montréal. Bientôt, ces commissaires devinrent si impopulaires en Canada qu’ils furent forcés de se retirer.

Arnold, ayant reçu des secours, se rapprocha de Québec. Ses troupes étaient devenues très-indisciplinées. Les Canadiens, qui l’avaient rejoint, en grand nombre, se plaignirent de cet état de choses, puis ils se retirèrent peu-à-peu.

Dans le même temps, M. de Beaujeu, ayant réuni ses censitaires, était venu au secours de la ville, à la tête de 350 hommes. Il se plaça sur la rive droite du Saint-Laurent, et, avec l’aide d’un détachement, envoyé par le gouverneur, il interceptait les secours envoyés aux Américains.

Arnold fut remplacé, le 1 Avril, par le général Wooster, qui, à son tour, fut remplacé, au mois de Mai, par le général Thomas. Les Américains n’avaient alors, à Québec, que 1,000 hommes en état de faire le service. Ils n’avaient des vivres que pour six jours, et l’éloignement toujours croissant des Canadiens rendait les approvisionnements fort difficiles. Le général Thomas, sachant que Carleton attendait, de jour en jour, des secours d’Angleterre, vit de suite qu’il lui était impossible de continuer le siège de la ville. C’est pourquoi il résolut de se retirer. À peine avait-il embarqué son artillerie et ses malades, que les vaisseaux anglais furent signalés à Québec. C’était le général Burgoyne qui y arrivait avec une flotte, portant 7,000 à 8,000 hommes de troupes.

Carleton sortit aussitôt de la ville, avec 1,000 hommes, y compris ses fidèles Abénakis, pour poursuivre les Américains. Il atteignit leur arrière-garde, qui, après quelque résistance, fut forcée de s’enfuir, laissant aux troupes anglaises son artillerie, ses vivres et 400 prisonniers. Les Américains furent alors obligés de se diviser en plusieurs bandes pour trouver leur subsistance. Quelques uns s’égarèrent dans leur fuite ; d’autres furent poursuivis et massacrés par les Abénakis. Le général périt dans la route. Ceux qui purent s’échapper se rendirent à Sorel, où ils furent ralliés par le général Sullivan, qui y arrivait avec 4,000 hommes.

L’armée anglaise, qui venait d’arriver à Québec, s’échelonna aussitôt sur le bord du Saint-Laurent, entre Québec et Trois-Rivières. Le corps le plus avancé occupait cette dernière ville. Les Abénakis y furent placés.

Sullivan, ayant résolu de s’emparer des Trois-Rivières, envoya pour cette expédition le général Thompson, avec 1,800 hommes. Thompson traversa le lac Saint-Pierre, de Saint-François à la Pointe-du-Lac ; puis, il s’achemina vers les Trois-Rivières. La nouvelle de ce mouvement des Américains fut apportée dans cette ville, le 8 Juin, à 4 heures du matin, par un habitant de la Pointe-du-Lac. Aussitôt, les troupes qui s’y trouvaient, avec un certain nombre de volontaires canadiens et les Abénakis, marchèrent à la rencontre de l’ennemi. Les royalistes rencontrèrent les Américains, à environ un mille et demie de la ville, et les attaquèrent de suite. Après un combat assez vif, les Américains furent mis en fuite. Thompson et 200 hommes tombèrent entre les mains des vainqueurs. Le reste de l’armée américaine parvint avec peine, après plusieurs jours de marche, à se rendre à Sorel.

Les Abénakis se distinguèrent dans cette rencontre, et poursuivirent longtemps les fuyards, à travers les terrains marécageux du côté Nord du lac Saint-Pierre. Ils les rejoignirent, entre la Pointe-du-Lac et Yamachiche, et en massacrèrent un grand nombre.

Le 14 Juin, les royalistes s’avancèrent jusqu’à Sorel que Sullivan évacua en se retirant vers Chambly. Ils le poursuivirent, accompagnés des Abénakis. Sullivan, se voyant pressé, mit le feu au fort Chambly et se retira à Saint-Jean, où Arnold arrivait, avec la garnison de Montréal. Les Américains brûlèrent le fort Saint-Jean, puis se retirèrent successivement à l’Île-aux-Noix, à Crown-Point et à Ticondéroga, étant toujours poursuivis par les royalistes.

C’est ainsi que les Américains furent repoussés, en 1776 ; et le congrès renonça au projet de s’emparer du Canada.


  1. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 418.
  2. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 3-5.
  3. Idem. Vol. III. 59, 60.
  4. Idem. Vol. III. 90-226.
  5. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. IV. 58-78.
  6. Idem. Vol. 59-61.
  7. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 15.
  8. Idem. Vol. IV. 162-179.
  9. Bancroft. Hist of the U. S. Vol. IV. 245-250.
  10. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. IV. 296-303.
  11. Idem, Vol, IV. 308-332.
  12. Idem. Vol. V. 5.
  13. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. V. 9-31.
  14. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. V. 144, 146.
  15. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 437.
  16. Idem. Vol. I​I. 437.
  17. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 439.
  18. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 444.
  19. Nous avons appris ces détails par la tradition chez les Abénakis. Il y a encore, à Saint-François et à Bécancourt, des sauvages dont les pères allèrent défendre le fort Saint-Jean et demeurèrent à Québec pendant le temps du siège de 1775. D’ailleurs, nous voyons par une délibération du grand conseil des Abénakis, que ces sauvages prirent part à la guerre de 1775. Voici cette délibération. « Pour leurs terres de seigneurie les Abénakis prient leur père de ne point diminuer leurs possessions et de se ressouvenir qu’au contraire, lors de la dernière guerre, il leur avait été promis de les agrandir, si par leurs services ils s’en rendaient dignes, ce qu’ils ont tâché de faire. » (Délibérations d’un grand conseil. 1781.)