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Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 6

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CHAPITRE VI.


Affaires de l’Acadie.


Le 12 juin 1611, deux jésuites, les pères Masse et Biart, arrivèrent au Port Royal, avec M. de Poutrincourt, pour apprendre la langue des naturels du pays, et leur prêcher ensuite l’évangile.

Cependant, la marquise de Guercheville, qui s’intéressait fort à la conversion des Sauvages, et qui s’était associée avec M. de Poutrincourt, dans la vue de le rendre favorable aux missionnaires, mais qui n’y avait pas réussi à son gré, se brouilla avec lui, et fit armer un bâtiment à ses propres frais. Elle en donna le commandement à un sieur de la Saussaye, avec ordre d’y embarquer tout ce qui serait nécessaire pour fonder une nouvelle colonie. La Saussaye arriva, le 6 mai 1613, dans le port de la Hève, et y arbora les armes de Madame de Guercheville. De là il passa au Port Royal, où il prit les deux missionnaires, et rangea la côte jusqu’à la rivière de Pantagoet, qui coule plus de quarante lieues au sud-est de celle de Saint-Jean, sur un territoire reclamé dès lors par la couronne d’Angleterre. M. de la Saussaye débarqua sur la rive septentrionale de cette rivière, et y fit, à la hâte, un petit fort, auquel il donna le nom de Saint-Sauveur. Tout son monde se montait à vingt-cinq personnes. L’équipage de son navire, qui était de trente-cinq hommes, se joignit aux nouveaux colons, pour élever des maisons ou des cabanes. Lorsqu’on fut logé, on se mit à cultiver la terre ; mais à peine la colonie commençait à se former, qu’un orage imprévu la renversa de fond en comble. Samuel Argall, qui escortait, avec un vaisseau de quatorze canons, une dixaine de bateaux pêcheurs partis de la Virginie, apprit, en route, que des étrangers s’établissaient à Pantagoet, et ne doutant pas que ce ne fussent des Français, il crut qu’il était de son devoir de les en chasser. Quoique la Saussaye ignorât le dessein des Anglais, il crut devoir se préparer à tout événement : il demeura à terre, pour défendre son fort, et chargea Lamotte-le-Villain, son lieutenant, de la défense du navire, qui était en rade ; mais ni l’un ni l’autre n’avaient de canons. Argall s’attacha d’abord au retranchement, et après l’avoir canonné quelque temps d’assez loin, il s’en approcha de plus près, et fit un grand feu de mousquetterie, qui tua beaucoup de monde. La Saussaye voyant qu’une plus longue résistance lui ferait perdre inutilement un plus grand nombre d’hommes, prit le parti de se rendre, et Lamotte-le-Villain fut bientôt contraint d’en faire autant.

Argall, maître de l’habitation, alla visiter les coffres de la Saussaye, y trouva sa commission, et l’enleva, sans que personne s’en apperçût. Le lendemain, la Saussaye étant allé rendre visite à son vainqueur, celui-ci le somma de présenter la commission qu’il avait lui-même soustraite. La Saussaye l’ayant cherchée en vain, Argall le traita d’homme sans aveu et de pirate, et livra l’habitation et le navire au pillage. Ensuite, par un singulier mélange de bassesse et de générosité, il offrit aux Français une espèce de barque ou chaloupe pontée, pour s’en retourner dans leur pays ; et cette chaloupe s’étant trouvée trop petite, il proposa à ceux qui savaient quelque métier d’aller avec lui en Virginie, leur promettant une entière liberté de conscience, et la faculté de repasser en France, au bout d’un an. Plusieurs acceptèrent ces offres, et le sieur Lamotte, le P. Biart, et deux autres jésuites, que M. de la Saussaye avait amenés de France avec lui, voulurent les suivre. Ce qui restait de Français s’embarqua sur la chaloupe, avec la Saussaye et le P. Masse. Ils traversèrent la Baie Française, et rencontrèrent, au port de la Hève, un navire qui les reçut tous, et les conduisit heureusement à St. Malo.

Ceux qui avaient suivi le capitaine Argall en Virginie n’eurent pas autant de bonheur : à leur arrivée à Jamestown, le gouverneur-général les condamna à mort, comme pirates. Argall eut beau lui représenter qu’il leur avait donné sa parole qu’on les traiterait bien, et qu’ils demeureraient libres, et qu’ils ne l’avaient suivi volontairement qu’à cette condition, le gouverneur lui répondit qu’il avait outre-passé ses pouvoirs ; que leur chef n’ayant point eu de commission, il ne pouvait s’empêcher de les regarder comme des forbans. Il ne restait à Argall d’autre moyen de les sauver que d’avouer sa supercherie à l’égard de leur commandant, et il eut assez de probité pour le faire.

La vue de la commission du sieur de la Saussaye désarma le gouverneur de la Virginie ; mais il prit, sur le champ, la résolution de chasser les Français de toute l’Acadie. Argall fut chargé de cette expédition. On lui donna trois vaisseaux. Il arbora les armes d’Angleterre au même endroit où avaient été celles de Madame de Guercheville ; puis il alla à Sainte-Croix, où il ruina tout ce qui restait de l’établissement de M. de Monts. Il fit la même chose au Port Royal, où il ne rencontra personne ; et en quelques heures, le feu consuma tout ce que les Français possédaient dans une colonie où l’on avait dépensé beaucoup d’argent, et travaillé pendant plusieurs années, sans songer à se mettre en état de soutenir un coup de main.