Histoire du Docteur Akakia/Édition Garnier

La bibliothèque libre.
Mémoire  ►

AVERTISSEMENT DE BEUCHOT.

Sous le titre d’Histoire du docteur Akakia et du natif de Saint-Malo parut, en 1753, une brochure in-8o de 44 pages. C’était la réunion de quelques opuscules publiés séparément, savoir : 1o Diatribe du docteur Akakia (comprenant le Décret de l’Inquisition, le Jugement des professeurs, et l’Examen des Lettres) ; 2o la Séance mémorable ; 3o le Traité de paix ; 4o la Lettre du docteur Akakia, etc. En réunissant ces pièces, on y ajouta un petit préambule, et entre chacune d’elles quelques phrases en forme de N. B., et auxquelles je conserverai ces initiales. C’est sous le titre, très-convenable à leur réunion, d’Histoire du docteur Akakia que ces pièces sont reproduites dans les diverses éditions du Siècle politique de Louis XIV. L’ouvrage se composant ainsi de plusieurs opuscules dont le premier est de 1752, et les autres de 1753, j’y ai mis le double millésime de 1752-1753. Ces opuscules, à chacun desquels j’ajouterai quelques notes, furent composés à l’occasion de la querelle de Maupertuis avec Koenig, sur laquelle on peut, dans la Correspondance, consulter la Réponse à un académicien de Berlin, du 18 septembre 1752.

B.

HISTOIRE DU DOCTEUR AKAKIA.

Le natif de Saint-Malo ayant été attaqué longtemps d’une maladie chronique appelée en grec philotimie, et par d’aucuns philocratie[1], elle lui porta si violemment au cerveau, et il eut de tels accès qu’il écrivit contre les médecins et contre les preuves de l’existence de Dieu[2]. Tantôt il s’imaginait qu’il perçait la terre jusqu’au centre, tantôt qu’il bâtissait une ville latine. Quelquefois même il avait des révélations sur la connaissance de l’âme en disséquant des singes. Enfin il en vint au point de se croire une fois plus grand qu’un géant du siècle passé, nommé Leibnitz[3], quoiqu’il n’eût pas tout à fait cinq pieds de haut. Un de ses anciens camarades, Suisse de nation[4], professeur à la Haye, touché de son triste état, alla le voir pour lui montrer sa juste mesure. Le natif de Saint-Malo, au lieu de reconnaître l’important service du Suisse, le déclara faussaire, et perturbateur de la Morotimie[5].

Le médecin Akakia[6], voyant que le natif de Saint-Malo était parvenu à son dernier période, composa pour sa guérison le petit remède anodin suivant, qu’il lui fit présenter secundum artem, avec toute la discrétion imaginable, pour ne pas effaroucher les humeurs peccantes.

DIATRIBE DU DOCTEUR AKAKIA, MÉDECIN DU PAPE[7].

Rien n’est plus commun aujourd’hui que de jeunes auteurs ignorés qui mettent sous des noms connus des ouvrages peu dignes de l’être. Il y a des charlatans de toute espèce. En voici un qui a pris le nom d’un président d’une très-illustre académie, pour débiter des drogues assez singulières. Il est démontré que ce n’est pas le respectable président qui est l’auteur des livres qu’on lui attribue, car cet admirable philosophe qui a découvert que la nature agit toujours par les lois les plus simples, et qui ajoute si sagement qu’elle va toujours à l’épargne, aurait certainement épargné, au petit nombre de lecteurs capables de le lire, la peine de lire deux fois la même chose dans le livre intitulé ses Œuvres, et dans celui qu’on appelle ses Lettres. Le tiers au moins de ce volume est copié mot pour mot dans l’autre. Ce grand homme, si éloigné du charlatanisme, n’aurait point donné au public des lettres qui n’ont été écrites à personne, et surtout ne serait point tombé dans certaines petites fautes qui ne sont pardonnables qu’à un jeune homme.

Je crois, autant qu’il est possible, que ce n’est point l’intérêt de ma profession qui me fait parler ici ; mais on me pardonnera de trouver un peu fâcheux que cet écrivain traite les médecins comme ses libraires. Il prétend nous faire mourir de faim. Il ne veut pas qu’on paye les médecins, quand malheureusement le malade ne guérit point. On ne paye point, dit-il[8], un peintre qui a fait un mauvais tableau. Ô jeune homme ! que vous êtes dur et injuste ! Le duc d’Orléans, régent de France, ne paya-t-il pas magnifiquement le barbouillage dont Coypel orna la galerie du Palais-Royal ? Un client prive-t-il d’un juste salaire son avocat, parce qu’il a perdu sa cause ? Un médecin promet ses soins, et non la guérison. Il fait ses efforts, et on les lui paye. Quoi ! seriez-vous jaloux, même des médecins ?

Que dirait, je vous prie, un homme qui aurait, par exemple, douze cents ducats de pension pour avoir parlé de mathématique et de métaphysique, pour avoir disséqué deux crapauds, et s’être fait peindre avec un bonnet fourré, si le trésorier venait lui tenir ce langage : « Monsieur, on vous retranche cent ducats pour avoir écrit qu’il y a des astres faits comme des meules de moulin ; cent autres ducats pour avoir écrit qu’une comète viendra voler notre lune, et porter ses attentats jusqu’au soleil même ; cent autres ducats pour avoir imaginé que des comètes toutes d’or et de diamant tomberont sur la terre : vous êtes taxé à trois cents ducats pour avoir affirmé que les enfants se forment par attraction dans le ventre de la mère[9], que l’œil gauche attire la jambe droite[10], etc. ? On ne peut vous retrancher moins de quatre cents ducats pour avoir imaginé de connaître la nature de l’âme par le moyen de l’opium, et en disséquant des têtes de géants, etc., etc. » Il est clair que le pauvre philosophe perdrait de compte fait toute sa pension. Serait-il bien aise après cela que nous autres médecins, nous nous moquassions de lui, et que nous assurassions que les récompenses ne sont faites que pour ceux qui écrivent des choses utiles, et non pas pour ceux qui ne sont connus dans le monde que par l’envie de se faire connaître ?

Ce jeune homme inconsidéré reproche à mes confrères les médecins de n’être pas assez hardis. Il dit que[11] c’est au hasard et aux nations sauvages qu’on doit les seuls spécifiques connus, et que les médecins n’en ont pas trouvé un. Il faut lui apprendre que c’est la seule expérience qui a pu enseigner aux hommes les remèdes que fournissent les plantes. Hippocrate, Boerhaave, Chirac et Senac, n’auraient jamais certainement deviné, en voyant l’arbre du quinquina, qu’il doit guérir la fièvre, ni en voyant la rhubarbe, qu’elle doit purger, ni en voyant des pavots, qu’ils doivent assoupir. Ce qu’on appelle hasard peut seul conduire à la découverte des propriétés des plantes, et les médecins ne peuvent faire autre chose que de conseiller ces remèdes suivant les occasions. Ils en inventent beaucoup avec le secours de la chimie. Ils ne se vantent pas de guérir toujours ; mais ils se vantent de faire tout ce qu’ils peuvent pour soulager les hommes. Le jeune plaisant qui les traite si mal a-t-il rendu autant de services au genre humain que celui qui tira, contre toute apparence, des portes du tombeau le maréchal de Saxe après la victoire de Fontenoy ?

Notre jeune raisonneur prétend qu’il faut que les médecins ne soient plus qu’empiriques[12], et leur conseille de bannir la théorie. Que diriez-vous d’un homme qui voudrait qu’on ne se servît plus d’architectes pour bâtir des maisons, mais seulement de maçons qui tailleraient des pierres au hasard ?

Il donne aussi le sage conseil de négliger l’anatomie[13]. Nous aurons cette fois-ci les chirurgiens pour nous. Nous sommes seulement étonnés que l’auteur qui a eu quelques petites obligations aux chirurgiens de Montpellier, dans des maladies qui demandaient une grande connaissance de l’intérieur de la tête et de quelques autres parties du ressort de l’anatomie, on ait si peu de reconnaissance.

Le même auteur, peu savant apparemment dans l’histoire, en parlant de rendre les supplices des criminels utiles, et de faire sur leurs corps des expériences, dit que cette proposition n’a jamais été exécutée[14] : il ignore ce que tout le monde sait, que du temps de Louis XI on fit pour la première fois en France, sur un homme condamné à mort, l’épreuve de la taille ; que la feue reine d’Angleterre fit essayer l’inoculation de la petite vérole sur quatre criminels, et qu’il y a d’autres exemples pareils.

Mais si notre auteur est ignorant, on est obligé d’avouer qu’il a en récompense une imagination singulière. Il veut, en qualité de physicien, que nous nous servions de la force centrifuge pour guérir une apoplexie[15] et qu’on fasse pirouetter le malade. L’idée, à la vérité, n’est pas de lui ; mais il lui donne un air fort neuf.

Il nous conseille[16] d’enduire un malade de poix résine, ou de percer sa peau avec des aiguilles. S’il exerce jamais la médecine, et qu’il propose de tels remèdes, il y a grande apparence que ses malades suivront l’avis qu’il leur donne de ne point payer le médecin.

Mais ce qu’il y a d’étrange, c’est que ce cruel ennemi de la Faculté, qui veut qu’on nous retranche notre salaire si impitoyablement, propose[17], pour nous adoucir, de ruiner les malades. Il ordonne (car il est despotique) que chaque médecin ne traite qu’une seule infirmité ; de sorte que si un homme a la goutte, la fièvre, le dévoiement, mal aux yeux, et mal à l’oreille, il lui faudra payer cinq médecins au lieu d’un ; mais peut-être aussi que son intention est que nous n’ayons chacun que la cinquième partie de la rétribution ordinaire : je reconnais bien là sa malice. Bientôt on conseillera aux dévots d’avoir des directeurs pour chaque vice, un pour l’ambition sérieuse des petites choses, un pour la jalousie cachée sous un air dur et impérieux, un pour la rage de cabaler beaucoup pour des riens, un pour d’autres misères. Mais ne nous égarons point, et revenons à nos confrères.

Le meilleur médecin, dit-il, est celui qui raisonne le moins[18]. Il paraît être en philosophie aussi fidèle à cet axiome que le père Canaye l’était en théologie[19] : cependant, malgré sa haine contre le raisonnement, on voit qu’il a fait de profondes méditations sur l’art de prolonger la vie. Premièrement, il convient avec tous les gens sensés, et c’est de quoi nous le félicitons, que nos pères vivaient huit à neuf cents ans.

Ensuite, ayant trouvé tout seul, et indépendamment de Leibnitz, que « la maturité n’est point l’âge de la force, l’âge viril, mais que c’est la mort », il propose de reculer ce point de maturité[20], « comme on conserve des œufs en les empêchant d’éclore ». C’est un beau secret, et nous lui conseillons de se faire bien assurer l’honneur de cette découverte dans quelque poulailler, ou par sentence criminelle de quelque académie.

On voit, par le compte que nous venons de rendre, que si ces lettres imaginaires étaient d’un président, elles ne pourraient être que d’un président de Bedlam[21], et qu’elles sont incontestablement, comme nous l’avons dit, d’un jeune homme qui s’est voulu parer du nom d’un sage, respecté, comme on sait, dans toute l’Europe, et qui a consenti d’être déclaré grand homme. Nous avons vu quelquefois au carnaval, en Italie, Arlequin déguisé en archevêque ; mais on démêlait bien vite Arlequin à la manière dont il donnait la bénédiction. Tôt ou tard on est reconnu ; cela rappelle une fable de La Fontaine (livre V, fable xxi) :

Un petit bout d’oreille échappé par malheur
         Découvrit la fourbe et l’erreur.

Ici l’on voit des oreilles tout entières.

[22]Tout considéré, nous déférons à la sainte Inquisition le livre imputé au président, et nous nous en rapportons aux lumières infaillibles de ce docte tribunal, auquel on sait que les médecins ont tant de foi.

Décret de l’Inquisition de Rome.

Nous, P. Pancrace, etc., inquisiteur pour la foi, avons lu la Diatribe de monsignor Akakia, médecin ordinaire du pape, sans savoir ce que veut dire Diatribe, et n’y avons rien trouvé de contraire à la foi ni aux décrétales. Il n’en est pas de même des Œuvres et Lettres du jeune inconnu déguisé sous le nom d’un président.

Nous avons, après avoir invoqué le Saint-Esprit, trouvé dans les œuvres, c’est-à-dire dans l’in-4o de l’inconnu, force propositions téméraires, malsonnantes, hérétiques et sentant l’hérésie. Nous les condamnons collectivement, séparément, et respectivement.

Nous anathématisons spécialement et particulièrement l’Essai de Cosmologie, où l’inconnu, aveuglé par les principes des enfants de Bélial, et accoutumé à trouver tout mauvais, insinue, contre la parole de l’Écriture[23], que c’est un défaut de providence que les araignées prennent les mouches, et dans laquelle Cosmologie l’auteur fait ensuite entendre qu’il n’y a d’autre preuve de l’existence de Dieu que dans Z égal à B C, divisé par A plus B[24]. Or ces caractères étant tirés du Grimoire, et visiblement diaboliques, nous les déclarons attentatoires à l’autorité du saint-siége.

Et comme, selon l’usage, nous n’entendons pas un mot aux matières qu’on nomme de physique, mathématique, dynamique, métaphysique, etc., nous avons enjoint aux révérends professeurs de philosophie du collége de la Sapience d’examiner les Œuvres et les Lettres[25] du jeune inconnu, et de nous en rendre un compte fidèle. Ainsi Dieu leur soit en aide.

Jugement des professeurs du collége de la Sapience.

1° Nous déclarons que les lois sur le choc des corps parfaitement durs sont puériles et imaginaires, attendu[26] qu’il n’y a aucun corps connu parfaitement dur, mais bien des esprits durs sur lesquels nous avons en vain tâché d’opérer.

2° L’assertion que « le produit de l’espace par la vitesse est toujours un minimum[27] » nous a semblé fausse : car ce produit est quelquefois un maximum, comme Leibnitz le pensait, et comme il est prouvé. Il paraît que le jeune auteur n’a pris que la moitié de l’idée de Leibnitz ; et en cela nous le justifions de n’avoir eu jamais une idée de Leibnitz tout entière.

3° Nous adhérons en outre à la censure que monsignor Akakia, médecin du pape, et tant d’autres, ont faite des œuvres du jeune pseudonyme, et surtout de la Vénus physique[28]. Nous conseillons au jeune auteur, quand il procédera avec sa femme (s’il en a une) à l’œuvre de la génération, de ne plus penser que l’enfant se forme dans l’utérus par le moyen de l’attraction ; et nous l’exhortons, s’il commet le péché de la chair, à ne pas envier le sort des colimaçons en amour, ni celui des crapauds, et à imiter moins le style de Fontenelle, quand la maturité de l’âge aura formé le sien.

Nous venons à l’examen des Lettres, que nous avons jugées contenir, par un double emploi vicieux, presque tout ce qui est dans les Œuvres ; et nous l’exhortons à ne plus débiter deux fois la même marchandise sous des noms différents, parce que cela n’est pas d’un honnête négociant comme il devrait l’être.

Examen des Lettres d’un jeune auteur déguisé sous le nom d’un président.

1° Il faut d’abord que le jeune auteur apprenne que la prévoyance[29] n’est point appelée dans l’homme prévision ; que ce mot prévision est uniquement consacré à la connaissance par laquelle Dieu voit l’avenir. Il est bon qu’il sache la force des termes avant de se mettre à écrire. Il faut qu’il sache que l’âme ne s’aperçoit point elle-même : elle voit des objets, et ne se voit pas ; c’est là sa condition. Le jeune écrivain peut aisément réformer ces petites erreurs.

2° Il est faux que « la mémoire nous fasse plus perdre que gagner[30] ». Le candidat doit apprendre que la mémoire est la faculté de retenir des idées, et que sans cette faculté on ne pourrait pas seulement faire un mauvais livre, ni même presque rien connaître, ni se conduire sur rien ; qu’on serait absolument imbécile : il faut que ce jeune homme cultive sa mémoire.

3° Nous sommes obligés de déclarer ridicule cette idée[31] que « l’âme est comme un corps qui se remet dans son état après avoir été agité, et qu’ainsi l’âme revient à son état de contentement ou de détresse, qui est son état naturel ». Le candidat s’est mal exprimé. Il voulait dire apparemment que chacun revient à son caractère ; qu’un homme, par exemple, après s’être efforcé de faire le philosophe, revient aux petitesses ordinaires, etc. Mais des vérités si triviales ne doivent pas être redites : c’est le défaut de la jeunesse de croire que des choses communes peuvent recevoir un caractère de nouveauté par des expressions obscures. 4° Le candidat se trompe quand il dit que l’étendue n’est qu’une perception[32] de notre âme. S’il fait jamais de bonnes études, il verra que l’étendue n’est pas comme le son et les couleurs, qui n’existent que dans nos sensations, comme le sait tout écolier.

5° À l’égard de la nation allemande, qu’il vilipende[33] et qu’il traite d’imbécile en termes équivalents, cela nous paraît ingrat et injuste : ce n’est pas tout de se tromper, il faut être poli ; il se peut faire que le candidat ait crut inventer quelque chose après Leibnitz, mais nous dirons à ce jeune homme que ce n’est pas lui qui a inventé la poudre.

6° Nous craignons que l’auteur n’inspire à ses camarades quelques petites tentations de chercher la pierre philosophale[34] : « car, dit-il, sous quelque aspect qu’on la considère, on ne peut en prouver l’impossibilité ». Il est vrai qu’il avoue qu’il y a de la folie à employer son bien à la chercher ; mais comme, en parlant de la somme du bonheur, il dit qu’on ne peut démontrer la religion chrétienne, et que cependant bien des gens la suivent, il se pourrait, à plus forte raison, que quelques personnes se ruinassent à la recherche du grand œuvre, puisqu’il est possible, selon lui, de le trouver.

7° Nous passons plusieurs choses qui fatigueraient la patience du lecteur et l’intelligence de M. l’inquisiteur ; mais nous croyons qu’il sera fort surpris d’apprendre que le jeune étudiant[35] veuille absolument disséquer des cerveaux de géants hauts de douze pieds, et des hommes velus portant queue, pour sonder la nature de l’intelligence humaine ; qu’avec de l’opium et des rêves il modifie l’âme ; qu’il fasse naître des anguilles grosses d’autres anguilles, avec de la farine délayée, et des poissons avec des grains de blé[36]. Nous prenons cette occasion de divertir M. l’inquisiteur.

8° Mais M. l’inquisiteur ne rira plus quand il verra que tout le monde peut devenir prophète : car l’auteur ne trouve pas plus de difficulté à voir l’avenir que le passé. Il avoue[37] que les raisons en faveur de l’astrologie judiciaire sont aussi fortes que les raisons contre elle. Ensuite il assure[38] que les perceptions du passé, du présent et de l’avenir, ne diffèrent[39] que par le degré d’activité de l’âme. Il espère qu’un peu plus de chaleur et d’exaltation dans l’imagination pourra servir à montrer l’avenir, comme la mémoire montre le passé.

Nous jugeons unanimement que sa cervelle est fort exaltée, et qu’il va bientôt prophétiser, nous ne savons pas encore s’il sera des grands ou des petits prophètes ; mais nous craignons fort qu’il ne soit prophète de malheur, puisque dans son traité du bonheur même il ne parle que d’affliction : il dit surtout que tous les fous sont malheureux[40]. Nous faisons à tous ceux qui le sont un compliment de condoléance ; mais si son âme exaltée a vu l’avenir, n’y a-t-elle pas vu un peu de ridicule ?

9° Il nous paraît avoir quelque envie d’aller aux terres Australes[41], quoique en lisant son livre on soit tenté de croire qu’il en revient ; cependant il semble ignorer qu’on connaît, il y a longtemps, la terre de Frédéric-Henri, située par delà le quarantième degré de latitude méridionale ; mais nous l’avertissons que si, au lieu d’aller aux terres Australes, il prétend[42] naviguer tout droit directement sous le pôle arctique, personne ne s’embarquera avec lui.

10° Il doit encore être assuré qu’il lui sera difficile de faire, comme il le prétend[43], un trou qui aille jusqu’au centre de la terre (où il veut apparemment se cacher de honte d’avoir avancé de telles choses). Ce trou exigerait qu’on excavât au moins trois ou quatre cents lieues de pays, ce qui pourrait déranger le système de la balance de l’Europe. On ne le suivra pas dans son trou, non plus que sous le pôle. Quant à la ville latine qu’il veut bâtir, nous sommes d’avis qu’on la mette au bord de ce trou.

Pour conclusion, nous prions M. le docteur Akakia de lui prescrire des tisanes rafraîchissantes ; nous l’exhortons à étudier dans quelque université, et à y être modeste.

Si jamais on envoie quelques physiciens vers la Finlande pour vérifier, s’il se peut, par quelques mesures, ce que Newton a découvert par la sublime théorie de la gravitation et des forces centrifuges ; s’il est nommé de ce voyage, qu’il ne cherche point continuellement à s’élever au-dessus de ses compagnons ; qu’il ne se fasse point peindre seul aplatissant la terre, ainsi qu’on peint Atlas portant le ciel, comme si l’on avait changé la face de l’univers, pour avoir été se réjouir dans une ville où il y a garnison suédoise ; qu’il ne cite pas à tout propos le cercle polaire.

Si quelque compagnon d’étude[44] vient lui proposer avec amitié un avis différent du sien ; s’il lui fait confidence qu’il s’appuie sur l’autorité de M. Leibnitz et de plusieurs autres philosophes ; s’il lui montre en particulier une lettre de Leibnitz qui contredise formellement notre candidat, que ledit candidat n’aille pas s’imaginer sans réflexion, et crier partout qu’on a forgé une lettre de Leibnitz pour lui ravir la gloire d’être un original.

Qu’il ne prenne pas l’erreur où il est tombé sur un point de dynamique, absolument inutile dans l’usage, pour une découverte admirable.

Si ce camarade, après lui avoir communiqué plusieurs fois son ouvrage, dans lequel il le combat avec la discrétion la plus polie, et avec éloge, l’imprime de son consentement, qu’il se garde bien de vouloir faire passer cet ouvrage de son adversaire pour un crime de lèse-majesté académique.

Si ce camarade lui a avoué plusieurs fois qu’il tient la lettre de M. Leibnitz, ainsi que plusieurs autres, d’un homme[45] mort il y a quelques années, que le candidat n’en tire pas avantage avec malignité, qu’il ne se serve pas à peu près des mêmes artifices dont quelqu’un[46] s’est servi contre les Mairan, les Cassini, et d’autres vrais philosophes ; qu’il n’exige jamais, dans une dispute frivole, qu’un mort ressuscite pour rapporter la minute inutile d’une lettre de M. Leibnitz, et qu’il réserve ce miracle pour le temps où il prophétisera ; qu’il ne compromette personne dans une querelle de néant, que la vanité vent rendre importante ; et qu’il ne fasse point intervenir les dieux dans la guerre des rats et des grenouilles. Qu’il n’écrive point lettres sur lettres à une grande princesse, pour forcer au silence son adversaire, et pour lui lier les mains, afin de l’assassiner à loisir[47].

Que dans une misérable dispute sur la dynamique il ne fasse point sommer, par un exploit académique, un professeur de comparaître dans un mois ; qu’il ne le fasse point condamner par contumace, comme ayant attenté à sa gloire, comme forgeur de lettres et faussaire, surtout quand il est évident que les lettres de M. Leibnitz sont de M. Leibnitz, et qu’il est prouvé que les lettres sous le nom d’un président n’ont pas été plus reçues de ses correspondants que lues du public.

Qu’il ne cherche point à interdire à personne la liberté d’une juste défense ; qu’il pense qu’un homme qui a tort, et qui veut déshonorer celui qui a raison, se déshonore soi-même.

Qu’il croie que tous les gens de lettres sont égaux, et il gagnera à cette égalité.

Qu’il ne s’avise jamais de demander qu’on n’imprime rien sans son ordre.

Nous finissons par l’exhorter à être docile, à faire des études sérieuses, et non des cabales vaines : car ce qu’un savant gagne en intrigues, il le perd en génie, de même que dans la mécanique ce qu’on gagne en temps on le perd en forces. On n’a vu que trop souvent des jeunes gens qui ont commencé par donner de grandes espérances et des bons ouvrages, finir enfin par n’écrire que des sottises, parce qu’ils ont voulu être des courtisans habiles, au lieu d’être d’habiles écrivains ; parce qu’ils ont substitué la vanité à l’étude, et la dissipation qui affaiblit l’esprit au recueillement qui le fortifie ; on les a loués, et ils ont cessé d’être louables ; on les a récompensés, et ils ont cessé de mériter des récompenses ; ils ont voulu paraître, et ils ont cessé d’être : car lorsque, dans un auteur, une somme d’erreurs est égale à une somme de ridicules, le néant vaut son existence[48].

N. B. Ce remède bénin fit un effet contraire à celui que toutes les facultés espéraient, comme il arrive assez souvent. La bile du natif de Saint-Malo en fut exaltée encore plus que son âme ; il fit brûler impitoyablement l’ordonnance du médecin, et le mal empira[49] : il persista dans le dessein de faire ses expériences, et tint à cet effet la mémorable séance dont nous allons donner un récit fidèle.

SÉANCE MÉMORABLE.[50]

Le premier des calendes d’octobre 1751[51], s’assemblèrent extraordinairement les sages, sous la direction du très-sage président. Chacun ayant pris place, le président prononça l’éloge d’un membre de la compagnie mûri[52] depuis peu, parce qu’on n’avait pas eu la précaution de lui boucher les pores, et de le conserver comme un œuf frais, selon la nouvelle méthode ; il prouva que son médecin l’avait tué pour avoir aussi négligé de le traiter suivant les lois de la force centrifuge ; et il conclut que le médecin serait réprimandé, et point payé. Il finit en glissant, selon sa coutume modeste, quelques mots sur lui-même ; ensuite on procéda avec grand appareil à la vérification des expériences par lui proposées à tous les savants de l’Europe étonnée.

[53] En premier lieu, deux médecins produisirent chacun un malade enduit de poix résine, et deux chirurgiens leur percèrent les cuisses et les bras avec de longues aiguilles. Aussitôt les patients, qui à peine pouvaient remuer auparavant, se mirent à courir et à crier de toutes leurs forces ; et le secrétaire en chargea ses registres.

[54] L’apothicaire approcha avec un grand pot d’opium, et le plaça sur un volume de la composition du président pour en redoubler la force, et on en fit prendre une dose à un jeune homme vigoureux. Et voici, au grand étonnement de tout le monde, qu’il s’endormit, et dans son sommeil il eut un rêve heureux qui fit peur aux dames accourues à cette solennité ; et la nature de l’âme fut parfaitement connue, comme M. le président l’avait très-bien deviné.

Ensuite se présentèrent tous les manœuvres de la ville pour faire vite un trou qui allât jusqu’au centre de la terre, selon les ordres précis de M. le président[55]. Sa vue portait jusque-là ; mais comme l’opération était un peu longue, on la remit à une autre fois ; et M. le secrétaire perpétuel donna rendez-vous aux ouvriers avec les maçons de la tour de Babel.

Aussitôt après, le président ordonna qu’on frétât un vaisseau pour disséquer des géants et des hommes velus à longue queue aux terres Australes[56] ; il déclara qu’il serait lui-même du voyage, et qu’il irait respirer son air natal ; sur quoi toute l’assemblée battit des mains.

On procéda ensuite par son ordre, et selon ses principes, à l’accouplement d’un coq d’Inde et d’une mule dans la cour de l’Académie ; et tandis que le poète du corps composait leur épithalame, le président, qui est galant, fit servir aux dames une superbe collation, composée de pâtés d’anguilles[57], toutes les unes dans les autres, et nées subitement par un mélange de farine délayée. Il y avait de grands plats de poissons qui se formaient sur-le-champ de grains de blé germé, à quoi les dames prirent un singulier plaisir. Le président, ayant bu un verre de rogomme, démontra à l’assemblée qu’il était aussi aisé à l’âme de voir l’avenir que le passé ; et alors il se frotta les lèvres avec sa langue, remua longtemps la tête, exalta son imagination, et prophétisa. On ne donne point ici sa prophétie, qui se trouvera tout entière dans l’almanach de l’Académie.

La séance se termina par un discours très-éloquent que prononça le secrétaire perpétuel[58]. « Il n’y a qu’un Érasme[59], lui dit-il, qui dût faire votre éloge. » Ensuite il éleva la monade du président jusqu’aux nues, ou du moins jusqu’aux brouillards. Il le mit hardiment à côté de Cyrano de Bergerac. On lui érigea un trône de vessies, et il partit le lendemain pour la lune, où Astolphe retrouva, dit-on, ce que le président a perdu[60].

N. B. Le natif de Saint-Malo ne partit point pour la lune, comme il le croyait ; il se contenta d’y aboyer. Le bon docteur Akakia, voyant que le mal empirait, imagina, avec quelques-uns de ses confrères, d’adoucir l’âcreté des humeurs, en réconciliant le président avec le docteur helvétien qui lui avait tant déplu en lui montrant sa mesure. Le médecin, croyant que l’antipathie était un mal qu’on pouvait guérir, proposa donc le traité de paix suivant :


TRAITÉ DE PAIX
CONCLU ENTRE M. LE PRÉSIDENT ET M. LE PROFESSEUR[61]
LE 1er JANVIER 1753[62].

Toute l’Europe ayant été en alarmes dans la dangereuse querelle sur une formule d’algèbre, etc., les deux parties principalement intéressées dans cette guerre, voulant prévenir une effusion d’encre insupportable à la longue à tous les lecteurs, sont enfin convenues d’une paix philosophique en la manière qui suit.

Le président s’est transporté au lieu de sa présidence, et a dit devant ses pairs :

« 1o Ayant eu le temps de reconnaître notre méprise, nous prions M. le professeur d’oublier tout le passé. Nous sommes très-fâché d’avoir fait beaucoup de bruit pour peu de chose, et d’avoir déclaré faussaire un grave professeur qui n’a jamais rien supposé que des monades et l’harmonie préétablie.

2o Nous avons signé des lettres patentes, scellées de notre grand sceau, par lesquelles nous rendons à la république des lettres la liberté ; et nous déclarons qu’il sera désormais permis d’écrire contre notre sentiment, sans être réputé malhonnête homme.

3o Nous demandons pardon à Dieu d’avoir prétendu qu’il n’y a de preuves de son existence que dans A plus B, divisé par Z, etc. Et si, contre toute apparence, un raisonnement de cette espèce avait séduit quelqu’un de nos lecteurs, nous lui donnons un bon conseil en l’invitant à s’occuper plus utilement et à revenir des idées qu’il aurait pu prendre sur cette matière, à laquelle nous n’entendons rien. MM. les inquisiteurs, qui ne l’entendent pas plus que nous, voudront bien à cet égard ne pas nous juger à toute rigueur.

4o Nous permettons dorénavant à tous les malades de payer leurs médecins, et aux médecins de traiter de plusieurs maladies ; attendu que si un malade attaqué de la colique envoyait chercher le médecin de la pierre, il se pourrait faire que celui-ci taillât son homme au lieu de lui donner un lavement : ainsi les choses resteront comme elles étaient.

5o Nous déclarons que, quand nous avons proposé d’établir une ville latine, nous avons bien prévu, à la vérité, qu’il faudrait que les cuisiniers, les blanchisseuses et les balayeurs des rues sussent préalablement le latin, et qu’il se pourrait faire alors que ces personnes voulussent enseigner la grammaire au lieu de faire la cuisine et de blanchir les chemises, ce qui pourrait cau- ser quelques cabales dangereuses ; mais aussi nous avons considéré que les écoliers et les régents pourraient se passer de chemises, comme les anciens Romains, et même de cuisinières ; et c’est ce que nous examinerons plus à loisir, quand nous aurons appris le latin à fond.

6o Si jamais nous traitons de l’accouplement et du fœtus, nous promettons d’étudier auparavant l’anatomie, de ne plus recommander l’ignorance aux médecins, de ne plus envier le sort des colimaçons et de ne plus leur dire ces douces paroles : « Innocents colimaçons, recevez et rendez mille fois les coups de ces dards dont la nature vous a armés ; ceux qu’elle a réservés pour nous sont des soins et des regards » ; attendu que cette phrase est fort mauvaise, et qu’un soin réservé n’est pas un dard, et que ces expressions ne sont point académiques.

7o Nous ne porterons plus envie aux crapauds, et nous n’en parlerons plus en style de bergerie, vu que Fontenelle, que nous avons cru imiter, n’a point chanté les crapauds, dans ses églogues,

8o Nous laissons à Dieu le soin de créer les hommes comme bon lui semble, sans jamais nous en mêler ; et chacun sera libre de ne pas croire que, dans l’utérus, l’orteil droit attire l’orteil gauche, ni que la main se mette au bout du bras par attraction.

9o Si nous allons aux terres Australes, nous promettons à l’Académie de lui amener quatre géants hauts de douze pieds, et quatre hommes velus avec de longues queues ; nous les ferons disséquer tout vivants, sans prétendre pour cela connaître mieux la nature de l’âme que nous ne la connaissons aujourd’hui ; mais il est toujours bon, pour le progrès des sciences, d’avoir de grands hommes à disséquer.

10o Si nous allons tout droit par mer au pôle arctique, nous ne forcerons personne à être du voyage, excepté M. De…[63], qui nous a déjà suivi dans des pays à lui inconnus.

11o À l’égard du trou que nous voulions percer jusqu’au noyau de la terre, nous nous désistons formellement de cette entreprise : car, quoique la vérité soit au fond d’un puits, ce puits serait trop difficile à faire. Les ouvriers de la tour de Babel sont morts. Aucun souverain ne veut se charger de notre trou, parce que l’ouverture serait un peu trop grande et qu’il faudrait excaver au moins toute l’Allemagne, ce qui porterait un notable préjudice à la balance de l’Europe. Ainsi nous laisserons la face du monde telle qu’elle est ; nous nous défierons de nous-même toutes les fois que nous voudrons creuser, et nous nous arrêterons constamment à la superficie des choses.

12o Nous reconnaissons qu’il est un peu plus difficile de prédire l’avenir que de savoir lire Tite-Live ou Thucydide. Nous réglerons notre âme, et nous ne l’exalterons plus ; nous avouons que nous n’avons pas encore le don de prophétie, quoique nous y ayons beaucoup de disposition, si la perspicacité peut servir à prédire ; et quand nous avons dit que c’est la même chose de savoir l’avenir et le passé, nous avons seulement donné à entendre que nous ne savons ni l’un ni l’autre.

13o Nous trouvons toujours bon qu’on vive huit à neuf cents ans, en se bouchant les pores et les conduits de la respiration ; mais nous ne ferons cette expérience sur personne, de peur que le patient ne parvienne tout d’un coup à l’âge de la maturité, qui est la mort.

14o Nous nous engageons à ne plus écrire tristement sur le bonheur, laissant d’ailleurs à chacun la liberté que nous avons déjà accordée de se tuer, ou d’être chrétien, etc.

15o Nous ne rabaisserons plus tant les Allemands, et nous avouerons que les Copernic, les Kepler, les Leibnitz, les Wolf, les Haller, les Gotsched, sont quelque chose, et que nous avons étudié sous les Bernouilli, et nous étudierons encore ; et qu’enfin M. le professeur Euler, qui a bien voulu nous servir de lieutenant, est un très-grand géomètre qui a soutenu notre principe par des formules auxquelles nous n’avons rien pu comprendre, mais que ceux qui les entendent nous ont assuré être pleines de génie, comme tous les autres ouvrages dudit professeur, notre lieutenant.

16o Et, comme nous avons à cœur de faire une paix stable et perpétuelle, nous promettons solennellement de faire notre possible pour ne plus violer, soit dans nos raisonnements, soit dans nos actions, les trois grands principes de la philosophie germanique, à savoir les principes de contradiction, de raison suffisante, et de continuité ; en conséquence de cet engagement, nous ne nous permettrons plus les contradictions[64] dans nos écrits, et nous tâcherons de mettre de la raison et de la suite dans notre conduite.

17o Pour ce qui est de M. Wolf, notre grand émule, comme ses ouvrages sont volumineux, et que nous ne lisons rien, nous ne saurions prendre la résolution d’en examiner le contenu, pour nous autoriser à pouvoir en décider. Ainsi, nous nous réservons toujours la prérogative que nous croyons due à un président d’académie, de pouvoir statuer librement du mérite des livres de science, sans se donner la peine de les étudier.

18o Néanmoins, pour donner encore en ceci une marque de notre condescendance, nous exhorterons les jeunes gens qui dépendent de nous à lire les livres de M. Wolf avant que de les mépriser ; et pour leur en donner l’exemple, nous entreprendrons nous-même d’étudier la petite logique de cet Allemand, d’autant qu’au régiment où nous servions en France dans notre jeunesse nous n’avons point eu d’occasion d’entendre parler de ces choses-là.

19o Enfin, pour donner la plus grande preuve possible du désir sincère que nous avons de rendre le repos à l’Europe littéraire, nous consentons que notre ennemi capital, M. de Voltaire, soit compris dans le présent traité de paix, nonobstant les puissantes raisons que nous aurions pour l’en excepter. Pourvu donc qu’il s’engage de ne plus nous mettre ni dans sa prose ni dans ses vers, nous promettons de ne plus cabaler contre lui ; de ne plus nous servir de l’exécuteur de la haute justice pour nous venger de ses plaisanteries ; de ne plus le menacer de notre bras plutôt que de notre esprit ; de ne plus prétendre qu’il tremble tant qu’il n’aura pas la fièvre, et enfin d’abandonner La Beaumelle à sa justice. »

[65]De plus, pour ne laisser aucun sujet de mécontentement à M. Koenig et à ceux qui se sont rangés de son parti, notre lieutenant général, Léonard Euler[66], déclare par notre bouche ce qui suit :

« I. Qu’il confesse ingénument de n’avoir jamais appris la philosophie, et qu’il se repent sincèrement de s’être laissé persuader par nous qu’on pouvait la savoir sans l’avoir étudiée. Que désormais il se contentera de la gloire d’être, de tous les mathématiciens de l’Europe, celui qui dans un temps donné peut jeter sur le papier le plus long calcul.

II. Nonobstant cette supériorité dans l’art de computer, ce grand homme promet encore, par notre bouche, d’étudier plus soigneusement qu’il n’a fait par le passé les principes de cet art, et la connexion de ces principes avec les éléments les plus évidents, afin de ne plus contredire Euclide, comme il reconnaît que malheureusement cela lui est arrivé quelquefois.

III. Que quoiqu’il soit le phénix des algébristes, il rougit et rougira toujours d’avoir révolté le sens commun et les notions les plus vulgaires, en concluant de ses formules qu’un corps attiré vers un centre par des forces qui accélèrent continuellement son mouvement s’arrêtera au plus fort de sa volée[67] ; que quelquefois il retournera immédiatement en arrière, sans aucune cause ; et, ce qui serait encore plus miraculeux que tout cela, que dans un certain cas ce corps s’évanouira subitement sans qu’on puisse dire ce qu’il est devenu[68]. Notre lieutenant général est très-fâché d’avoir tiré ces conclusions, dont M. Robins[69] lui a fait connaître le ridicule, et nous-même nous nous repentons de les avoir admirées autrefois, au grand scandale des géomètres.

IV. Qu’afin de radoucir un peu les philosophes allemands, il fera son possible pour ne plus captiver sa raison sous la foi d’une formule erronée. Il demande pardon à genoux à tous les logiciens d’avoir écrit à l’occasion d’un résultat contradictoire de son calcul : Hoc quidem veritati videtur minus consentaneum. Quidquid vero sit hic calculo potiusquam nostro judicio est fidendum[70]. « Cela ne paraît pas pouvoir être vrai. Mais, quoi qu’il en puisse être, il faut plutôt en croire le calcul que notre propre jugement. »

V. Que pour rentrer en grâce auprès des géomètres, il tâchera de mettre à l’avenir un peu d’élégance dans l’analyse qu’il leur offrira ; qu’il n’emploiera plus soixante pages de calcul pour arriver à une conclusion qu’on peut établir par un raisonnement de dix lignes ; item, que toutes les fois qu’il retroussera ses bras pour calculer trois jours et trois nuits de suite, il se donnera la patience de raisonner auparavant un quart d’heure sur le choix des principes qu’il conviendra d’employer. Et s’il trouve, comme on l’en assure, qu’il pourra se passer d’une bonne partie de son calcul, il nous gratifiera de ce qu’il a de trop, et dont il sait bien que nous avons besoin.

VI. Ce grand homme ne veut point que nous dissimulions qu’il est très-affligé d’avoir écrit que, dans le théorème de M. S’Gravesande, la quantité de la force vive différait de la quantité de l’action, et que la vitesse respective n’est point prise pour invariable dans la solution de notre problème ; et nous-mêmes enfonçons la tête dans notre lapmude[71], honteux d’avoir approuvé de si insignes sottises. Nous demandons pardon au professeur de la Haye d’avoir voulu les soutenir contre ses démonstrations, dont nous avions mal lu et mal rapporté les termes. M. Euler promet de lire une autre fois plus correctement les écrits qu’il voudra réfuter ; et nous ne manquerons jamais de mettre nos lunettes pour voir par nous-mêmes comment il aura lu, lorsqu’il sera question de souscrire à ses réfutations.

VII. Quant au jeune auteur des pièces singulières, qui s’est distingué par un zèle tout à fait particulier pour notre cause, quoiqu’il soit entièrement dégoûté des hautes réputations, nous ne pouvons cependant nous empêcher de faire mention de lui dans le présent traité. Nous voulons qu’il jouisse des avantages de cette paix aussi bien que nous ; et nous promettons qu’il ne la troublera plus par ses excursions dans la métaphysique. Il n’écrira plus sur le cogito, ergo sum[72]. Il ne prendra plus d’opium pour découvrir la nature de l’âme, selon notre méthode ; mais il essayera l’usage de l’ellébore, dont la dose sera réglée par M. Lieberkuhn[73], médecin de notre Académie ; ce qu’il perdra par là en gloire lui sera restitué en argent comptant de la caisse de cette Académie. »

Ce beau et sage discours fini, M. le secrétaire perpétuel lut à haute voix la déclaration de M. le professeur Koenig, laquelle contenait en substance :

1o Qu’ayant travaillé toute sa vie à soumettre son imagination, à l’empire de la raison, il se confessait incapable de concevoir des idées aussi brillantes que l’étaient celles que le génie de M. le président avait enfantées dans ses lettres ; qu’il lui cédait la palme, et qu’il se reconnaîtrait toujours son inférieure cet égard.

2o Mais que, pour épargner dorénavant à M. le président des soupçons désagréables, il serait plus circonspect dans ses citations ; qu’il n’avancerait aucun fait relatif aux sciences, sans pouvoir le prouver par la signature d’un notaire juré et quatre témoins, gens de bonne vie ; que dans les dissertations sur le minimum de l’action, il ne rapporterait plus des fragments de lettres sans en avoir en main les originaux ; qu’aussi, pour faciliter le présent accommodement, il passerait à M. le président le principe qu’un écrit dont on ne peut pas produire l’original est un écrit forgé, sans le soupçonner pour cela de manquer de foi aux livres de notre sainte religion.

3o Que pour le bien de la paix, et comme un équivalent de l’honneur d’être de l’Académie de Berlin (auquel ce professeur s’était vu obligé de renoncer), il accepterait une profession de philosophie dans la ville latine que M. le président voulait fonder, dès qu’il saurait qu’on y aurait commencé à prêcher, à plaider, et à jouer la comédie en latin[74] ; et qu’en ce cas, il s’appliquerait de toutes ses forces à parler et à écrire dans le style des Epistolæ obscurorum virorum[75], afin d’y établir autant qu’il sera possible une latinité que M. le président puisse entendre.

4o Qu’en attendant, il mettrait une monade ou être simple à côté de chaque géant que M. le président apporterait à l’Académie ; qu’on disséquerait les uns et les autres pour voir si c’est dans ceux-ci ou dans celles-là que l’on peut découvrir le plus facilement la nature de l’âme.

5o Qu’au surplus, il consentait de grand cœur que tout le reste fût déclaré comme non avenu ; que les combattants des deux partis, sans exception, avouassent de bonne foi que chacun a été trop loin des deux côtés, et qu’ils auraient dû commencer par où le public finit, c’est-à-dire par rire.

— L’Académie ayant entendu avec admiration le présent traité, elle a applaudi à tous ses articles, et en a garanti l’exécution : et afin que les fruits de cette heureuse réunion se fissent sentir par toute l’Europe, elle a voulu qu’il fût stipulé que tous les gens de lettres vivraient désormais en frères, à compter du jour où toutes les femmes qui prétendent à la beauté seraient sans jalousie.

Le tout ayant été ratifié convenablement, on devait chanter un Te Deum, mis en musique par un Français, et exécuté par des Italiens : et célébrer une grand’messe où un jésuite officierait, ayant un calviniste pour diacre et un janséniste pour sous-diacre ; et la paix eût été générale dans toute la chrétienté.

— Qui aurait cru qu’un projet de paix si raisonnable n’eût pas été accepté par M. le président ? Mais sur le point de signer et d’en remplir tous les articles, sa mélancolie et sa philocratie redoublèrent avec des symptômes violents. Il s’emporta contre son bon médecin Akakia, qui était alors malade[76] lui-même dans la cité de Leipsick en Germanie, et il lui écrivit une lettre fulminante, par laquelle il le menaçait de venir le tuer.

LETTRE DE M. LE PRÉSIDENT À SON MÉDECIN AKAKIA[77].

Je vous déclare que ma santé est assez bonne pour vous venir trouver partout où vous serez, pour tirer de vous la vengeance la plus complète. Rendez grâce au respect et à l’obéissance qui ont jusqu’ici retenu mon bras. Tremblez.

Signé : Maupertuis[78].

Depuis feu M. de Pourceaugnac, qui voulait voir son médecin, l’épée à la main, il ne s’était jamais trouvé de si méchant malade. Le docteur Akakia, tout épouvanté, eut recours à l’université de Leipsick, et lui présenta la requête ci-jointe :

« Le docteur Akakia, réfugié dans l’université de Leipsick, où il a cherché un asile contre les attentats d’un Lapon natif de Saint-Malo, qui veut absolument le venir assassiner dans les bras de ladite université, supplie instamment messieurs les docteurs et écoliers de s’armer, contre ce barbare, de leurs écritoires et canifs. Il s’adresse particulièrement à ses confrères ; il espère qu’ils purgeront ledit sauvage dès qu’il paraîtra, qu’ils évacueront toutes ses humeurs peccantes, et qu’ils conserveront, par leur art, ce qui peut rester de raison à ce cruel Lapon, et de vie à leur confrère le bon Akakia, qui se recommande à leurs soins. Il prie messieurs les apothicaires de ne le pas oublier en cette occasion. »

En vertu de cette requête, l’université donna un décret par lequel le natif de Saint-Malo devait être arrêté aux portes de la ville, lorsqu’il viendrait pour exécuter son dessein parricide contre le bon Akakia, qui lui avait servi de père.

Voici les ordres précis de l’université, tels qu’on les trouvera dans les Acta eruditorum.

Extrait du journal de Leipsick, intitulé Der Hofmeister[79].

Un quidam ayant écrit une lettre à un habitant de Leipsick, par laquelle il menace ledit habitant de l’assassiner, et les assassinats étant visiblement contraires aux priviléges de la Foire, on prie tous et un chacun de donner connaissance dudit quidam, quand il se présentera aux portes de Leipsick. C’est un philosophe qui marche en raison composée de l’air distrait et de l’air précipité, l’œil rond et petit, et la perruque de même, le nez écrasé, la physionomie mauvaise ; ayant le visage plein, et l’esprit plein de lui-même, portant toujours scalpel en poche pour disséquer les gens de haute taille. Ceux qui en donneront connaissance auront mille ducats de récompense assignés sur les fonds de la ville latine que ledit quidam fait bâtir, ou sur la première comète d’or et de diamant qui doit tomber incessamment sur la terre, selon les prédictions dudit quidam philosophe et assassin.

Cependant le médecin Akakia ne différa pas à faire réponse à son malade, et il tâcha encore de lui remettre l’esprit par cette lettre amiable.

Lettre du docteur Akakia au natif de Saint-Malo[80].
Monsieur le Président,

J’ai reçu la lettre dont vous m’honorez. Vous m’apprenez que vous vous portez bien, que vos forces sont entièrement revenues, et vous me menacez de venir m’assassiner si je publie la lettre de La Beaumelle. Quelle ingratitude envers votre pauvre médecin Akakia ! Vous ne vous contentez pas d’ordonner qu’on ne paye point son médecin, vous voulez le tuer ! Ce procédé n’est ni d’un président d’académie ni d’un bon chrétien, tel que vous êtes. Je vous fais mon compliment sur votre bonne santé ; mais je n’ai pas tant de forces que vous. Je suis au lit depuis quinze jours, et je vous prie de différer la petite expérience de physique que vous voulez faire. Vous voulez peut-être me disséquer ? Mais songez que je ne suis pas un géant des terres Australes, et que mon cerveau est si petit que la découverte de ses fibres ne vous donnera aucune nouvelle notion de l’âme. De plus, si vous me tuez, ayez la bonté de vous souvenir que M. de La Beaumelle m’a promis de me poursuivre jusqu’aux enfers ; il ne manquera pas de m’y aller chercher : quoique le trou qu’on doit creuser par votre ordre jusqu’au centre de la terre, et qui doit mener tout droit en enfer, ne soit pas encore commencé, il y a d’autres moyens d’y aller, et il se trouvera que je serai malmené dans l’autre monde comme vous m’avez persécuté dans celui-ci. Voudriez-vous, monsieur, pousser l’animosité si loin ?

Ayez encore la bonté de faire une petite attention : pour peu que vous vouliez exalter votre âme pourvoir clairement l’avenir, vous verrez que si vous venez m’assassiner à Leipsick, où vous n’êtes pas plus aimé qu’ailleurs, et où votre lettre est déposée, vous courez quelque risque d’être pendu, ce qui avancerait trop le moment de votre maturité, et serait peu convenable à un président d’académie. Je vous conseille de faire d’abord déclarer la lettre de La Beaumelle forgée et attentatoire à votre gloire, dans une de vos assemblées ; après quoi il vous sera plus permis, peut-être, de me tuer comme perturbateur de votre amour-propre.

Au reste, je suis encore bien faible ; vous me trouverez au lit, et je ne pourrai que vous jeter à la tête ma seringue et mon pot de chambre ; mais dès que j’aurai un peu de force, je ferai charger mes pistolets cum pulvere pyrio[81] ; et en multipliant la masse par le carré de la vitesse jusqu’à ce que l’action, et vous, soyez réduits à zéro, je vous mettrai du plomb dans la cervelle ; elle paraît en avoir besoin.

Il sera triste pour vous que les Allemands, que vous avez tant vilipendés, aient inventé la poudre, comme vous devez vous plaindre qu’ils aient inventé l’imprimerie.

Adieu, mon cher président.

Akakia.
POST-SCRIPTUM.

Comme il y a ici cinquante à soixante personnes qui ont pris la liberté de se moquer prodigieusement de vous, elles demandent quel jour vous prétendez les assassiner.

— On avait espéré que ce dernier cordial pourrait enfin opérer sur l’esprit revêche du natif de Saint-Malo ; qu’il se désisterait de ses expériences cruelles ; qu’il ne persécuterait plus les Suisses ni les Akakia ; qu’il laisserait les Allemands en repos, et qu’il pourrait même un jour, quand il serait parfaitement rétabli, rire des symptômes de sa maladie.

Mais le médecin Akakia, en homme prudent, voulut ménager encore la délicatesse du natif de Saint-Malo ; et, en s’adressant humblement au secrétaire éternel de l’académie dudit Malouin, il lui écrivit ainsi :

Monsieur le Secrétaire éternel[82],

Je vous envoie l’arrêt de mort que le président a prononcé contre moi, avec mon appel au public et les témoignages de protection que m’ont donnés tous les médecins et tous les apothicaires de Leipsick. Vous voyez que M. le président ne se borne pas aux expériences qu’il projette dans les terres Australes, et qu’il veut absolument séparer dans le Nord mon âme d’avec mon corps. C’est la première fois qu’un président a voulu tuer un de ses conseillers. Est-ce là le « principe de la moindre action » ? Quel terrible homme que ce président ! il déclare faussaire à gauche, il assassine à droite, et il prouve Dieu par A plus B, divisé par Z ; franchement on n’a rien vu de pareil. J’ai fait, monsieur, une petite réflexion : c’est que, quand le président m’aura tué, disséqué et enterré, il faudra faire mon éloge à l’Académie, selon la louable coutume. Si c’est lui qui s’en charge, il ne sera pas peu embarrassé. On sait comme il l’a été avec feu M. le maréchal Schmettau[83], auquel il avait fait quelque peine pendant sa vie. Si c’est vous, monsieur, qui faites mon oraison funèbre, vous y serez tout aussi empêché qu’un autre. Vous êtes prêtre, et je suis profane ; vous êtes calviniste, et je suis papiste ; vous êtes auteur, et je le suis aussi ; vous vous portez bien, et je suis médecin. Ainsi, monsieur, pour esquiver l’oraison funèbre, et pour mettre tout le monde à son aise, laissez-moi mourir de la main cruelle du président, et rayez-moi du nombre de vos élus. Vous sentez bien d’ailleurs qu’étant condamné à mort par son arrêt, je dois être préalablement dégradé. Retranchez-moi donc, monsieur, de votre liste ; mettez-moi avec le faussaire Koenig, qui a eu malheur d’avoir raison. J’attendrai patiemment la mort avec ce coupable.

.  .  .  .  .  .   Pariterque jacentes
Ignovere diis.

(Phars., II, 92-93.)

Je suis métaphysiquement, monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant
serviteur,
AKAKIA.
FIN DE L’HISTOIRE DU DOCTEUR AKAKIA.
  1. Le mot philocratie peut se traduire par amour du pouvoir ; celui de philotimie peut se rendre par amour des honneurs, ambition. (Cl.)
  2. Voyez, page 535 et suivantes, l’Extrait de la Bibliothèque raisonnée.
  3. Leibnitz (Godefroi-Guillaume), né le 3 juillet 1646, mort le 14 novembre 1716.
  4. Koenig (Samuel), né en 1712 à Buedingen ou Buedingue, ville d’Allemagne, à quatre lieues de Francfort, et deux lieues et demie de Hanau, n’était pas Suisse, comme le dit Voltaire ; il mourut en 1757.
  5. Mot qui signifie honneur, dignité des sots.
  6. Martin-sans-malice, médecin de François Ier et professeur au Collége de France, prit le nom d’Akakia, qui n’était que la traduction en grec de son nom. (B.)
  7. Si l’on en croit Maupertuis, la Diatribe du docteur Akakia fut imprimée tout à la fois en plusieurs endroits. Formey dit que Voltaire fit faire l’édition de Berlin en se servant de la permission d’imprimer qu’il avait obtenue pour la Défense de milord Bolingbroke (voyez page 517) ; mais que cette édition de Berlin ne fut pas mise en circulation. Le roi de Prusse fit brûler l’ouvrage par la main du bourreau, sur la place publique, le 24 décembre 1752. Les deux grands hommes, se brouillèrent tout à fait peu après, et Voltaire quitta Berlin. Lorsqu’en 1756 il fit comprendre la Diatribe dans la Collection de ses œuvres, il la fit précéder de la Préface que voici :

    « Cette plaisanterie a été si souvent imprimée qu’on n’a pas dû l’omettre dans ce recueil. C’est un badinage innocent sur un livre ridicule du président d’une académie, lequel parut à la fin de 1752.

    C’était une chose fort extraordinaire qu’un philosophe assurât qu’il n’y a d’autre preuve de l’existence de Dieu qu’une formule d’algèbre ; que l’âme de l’homme, en s’exaltant, peut prédire l’avenir ; qu’on peut se conserver la vie trois ou quatre cents ans en se bouchant les pores. Plusieurs idées non moins étonnantes étaient prodiguées dans ce livre.

    Un mathématicien de la Haye ayant écrit contre la première de ces propositions, et ayant relevé cette erreur de mathématique, cette querelle occasionna un procès dans les formes, que le président lui intenta devant la propre académie qui dépendait de lui ; et il fit condamner son adversaire comme faussaire.

    Cette injustice souleva toute l’Europe littéraire : c’est ce qui donna occasion à la petite feuille qui suit. C’est une continuelle allusion à tous les passages du livre dont le public se moquait. On y fait d’abord parler un médecin, parce que dans ce livre il était dit qu’il ne fallait point payer son médecin quand il ne guérissait pas. »

    Cette Préface de Voltaire n’est, comme on voit, relative qu’à la Diatribe du docteur Akakia, et ne concerne nullement la collection intitulée Histoire du docteur Akakia, etc. (B.)

  8. Page 124. (Note de Voltaire.)
  9. Dans les Œuvres et les Lettres de M. de Maupertuis. (Note de Voltaire.)
  10. Voyez la Vénus physique. (id.) — Dans toutes les éditions de la Diatribe du docteur Akakia, on lit comme ici : « que l’œil gauche attire la jambe droite ». C’est outrer les idées de Maupertuis, qui déjà ne sont pas rendues textuellement dans l’Extrait de la Bibliothèque raisonnée ; voyez, ci-devant, page 535.
  11. Page 205. (Note de Voltaire.)
  12. Page 119. (Note de Voltaire.)
  13. Page 120. (id.)
  14. Page 198. (id.). — Dans l'édition de 1752, in-4o, des Œuvres de Maupertuis, page 343, on lit : « qui est restée sans exécution ». La citation de Voltaire est donc exacte ; mais Maupertuis, trouvant juste son observation, mit dans l’édition de 1753 de ses Lettres, petit in-12 : « et qui cependant n’a presque jamais eu d’exécution ». (B.)
  15. Page 206. (Note de Voltaire.)
  16. Page 206. (Note de Voltaire.)
  17. Page 208. (id.)
  18. Maupertuis dit : « Le meilleur médecin est celui qui raisonne le moins et qui observe le plus. » Voyez page 347 de l’édition in-4o de ses Œuvres, dont il a été question page 535.
  19. « Point de raison ; c’est la vraie religion cela, point de raison » ; tel est le raisonnement du P. Canaye dans la Conversation du maréchal d’Hocquincourt, qui fait partie des Œuvres de Saint-Évremond.
  20. Page 76. (Note de Voltaire.)
  21. Les petites-maisons à Londres. (Note de Voltaire.)
  22. Cet alinéa ne fut ajouté qu’en 1756.
  23. Œuvres, page 9. (Note de Voltaire.)
  24. Page 45. (Note de Voltaire.)
  25. Je n’ai pu me procurer, des Lettres de Maupertuis, que les éditions de 1752 et 1753 ; de la Vénus physique, que l’édition de 1745 ; et j’avoue ne pas avoir trouvé textuellement tous les passages cités par Voltaire ; l’édition dont il cite les pages, sans en donner la date, est, pour le chiffre des pages, toute différente de celles que j’ai vues ; maison a vu (page 563, note 3) que Maupertuis a corrigé ses ouvrages d’après les reproches de Voltaire ; et il n’y a rien à conclure contre ce dernier de ce que je n’ai pas toujours trouvé dans les éditions que j’ai sous les yeux toutes les citations qu’il fait ; celles que je n’ai pas trouvées sont, au reste, en bien petit nombre. (B.)
  26. Page 44. (Note de Voltaire.)
  27. Page 4. (id.)
  28. Page 248. (id.)
  29. Page 3, Lettres du natif de Saint-Malo. (Note de Voltaire.)
  30. Page 5. (id.)
  31. Page 8. (id.)
  32. Page 15. (Note de Voltaire.)
  33. Pages 50 et 52. (id.)
  34. Page 85. (id.)
  35. Pages 232 et 233. (id.)
  36. Page 143. (Note de Voltaire.)
  37. Page 147. (id.)
  38. Page 151. (id.)
  39. Page 154. (id.)
  40. Page 9. (Note de Voltaire.)
  41. Page 172. (id.)
  42. Page 174. (id.)
  43. Page 186. (id.)
  44. Voyez, dans la Correspondance, la lettre à M. Koenig du 17 novembre 1752.
  45. Henzy, décapité à Berne.
  46. L’homme en question avait fort tourmenté à Paris MM. de Mairan et Cassini. (Note de Voltaire.)
  47. Il écrivit deux lettres à Mme la princesse d’Orange, pour la supplier d’imposer silence à son adversaire M. Koenig, bibliothécaire de cette princesse, lequel il avait fait condamner comme faussaire. (id.)
  48. L’auteur en question avait écrit que, supposé qu’un homme ait éprouvé autant de mal que de bien, le néant vaut son être. (Note de Voltaire.)
  49. C’est à la sollicitation de Maupertuis que Frédéric avait fait brûler la Diatribe du docteur Akakia, le 24 décembre 1752.
  50. L’édition séparée de cet opuscule est en huit pages in-8o.
  51. La date de 1er octobre 1751 me paraît avoir été mise sciemment ; l’Académie de Berlin tenait ses séances publiques en janvier et juin (et non en octobre). (B.)
  52. Page 76. Voyez les Lettres de M. le président. (Note de Voltaire.) — C’est-à-dire, décédé. (K.) — On trouve dans les Œuvres de Maupertuis, Dresde, 1752, in-4o, un Éloge de M. le maréchal de Schmettau (mort le 18 août 1751), qui avait été lu dans la séance de l’Académie de Berlin du 1er juin 1752, et dont le docteur Akakia parle dans la lettre qui termine cette Histoire. (B.)
  53. Page 206. (Note de Voltaire.)
  54. Page 223. (id.)
  55. Page 174. (Note de Voltaire.)
  56. Page 172. (id.)
  57. Pages 143 et 180. (Note de Voltaire.)
  58. Formey, que Voltaire un peu plus loin (voyez page 584) appelle secrétaire éternel. Il a fait les éloges de beaucoup de ses confrères. En 1760, il prononça et fit imprimer l’Éloge de Maupertuis. (B.)
  59. Qui, comme on sait, a fait l’Éloge de la Folie.
  60. Voyez le chant XXXIV du Roland furieux d’Arioste.
  61. Koenig, professeur à la Haye. (K.)
  62. Une édition séparée de cet opuscule, intitulée Traité de paix conclu entre M. le président de Maupertuis et M. le professeur Koenig, Berlin, 1753, in-8o de dix-neuf pages, est datée du 1er juin 1753, et a pour épigraphe ces mots d’Horace :

    Ridiculum acri
    Fortius ac melius.
    (B.)

  63. Je présume que Voltaire désigne ici Mérian, qui est cité indirectement plus bas, et auquel on donnait quelquefois le De. (Cl.) — Mérian (J.-B.), né à Bâle en 1723, à qui Maupertuis procura, en 1750, une petite pension et une place à l’Académie. Ses études spéciales étaient la métaphysique et la philologie ; et cependant il fut rapporteur à l’Académie de Berlin dans la querelle entre Koenig et Maupertuis sur un point de mathématiques, pays à lui inconnus. Il est mort le 12 février 1807. (B.)
  64. Je m’affranchis d’une gêne à laquelle je n’aurais pu me soumettre ; je ne suivrai aucun ordre, je parcourrai les sujets comme ils se présenteront à mon esprit ; je me permettrai peut-être jusques aux contradictions. Lettres de Maupertuis, page 1. (Note de Voltaire.) — Cette note, qui est dans une édition de 1753 du Traité de paix, fut supprimée dans l’Histoire d’Akakia, ainsi que l’alinéa auquel elle se rapporte, et les trois qui le suivent. Les éditeurs de Kehl ont restitué les quatre alinéas, mais non la note. ( B.)
  65. Cet alinéa et les huit qui le suivent n’existaient que dans une édition séparée du Traité de paix, 1753, in-8o, lorsqu’en 1825 ils ont été rétablis par M. Clogenson.
  66. Léonard Euler, né en 1707, mort le 7 septembre 1783, écrivit en faveur de Maupertuis dans la querelle avec Koenig. (Note de Voltaire.)
  67. Voyez Euleri Mechanica, tome 1er, page 208. (Note de Voltaire.)
  68. Ex quo sequitur postquam corpus in centrum pervenerit nusquam amplius reperiri, sed quasi annihilari. Item… Corpus statim ac in centrum pervenerit ibi evanescet, neque ultra centrum progredietur neque revertetur. Voyez page 276, item, page 315. (id.)
  69. Remarks on M. Euler treatise of motion, by Benjamin Robins. (id.)
  70. Voyez Euleri Mechanica, tome 1er, page 208. (id.)
  71. Ce mot, usité dans le Nord, signifie une robe de peau de renne. Voltaire s’est moqué plusieurs fois de l’accoutrement de Maupertuis, qui, à son retour de Tornéo, s’était fait peindre enveloppé de fourrures dans un traîneau. (Cl.)
  72. Mérian avait essayé en vain de se faire remarquer comme un être existant et pensant au moyen d’une rapsodie de quelques pensées de Locke sur le cogito, ergo sum ; c’est du moins en ces termes qu’on en parle dans l’Extrait d’une lettre d’un académicien de Berlin, in-8o de huit pages faisant partie du Maupertuisiana. (B.). — Voyez, sur Mérian, la note de la page 575.
  73. Jean-Nathanael Lieberkuhn, né à Berlin en 1711, et connu surtout comme anatomiste, mourut à la fin de 1756. (Cl.)
  74. Voyez Lettres de Maupertuis, page 187. (Note de Voltaire.)
  75. Voyez, sur les Epistolœ, la seconde des Lettres à Son Altesse monseigneur le prince de ***.
  76. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Voltaire à M. Roques, d’avril 1753.
  77. Il parut en 1753 : l’Art de bien argumenter en philosophie, réduit en pratique par un vieux capitaine de cavalerie travesti en philosophe, in-8o de huit pages, ayant pour épigraphe ces deux mots d’Ovide : Spectemur agendo, et ne contenant autre chose que la petite Lettre de M. de Maupertuis, et la Réponse de M. de Voltaire (qu’on trouve page 583, sous le titre de Lettre du docteur Akakia), précédées d’un Avertissement ainsi conçu : « Le public peut compter sur l’authenticité de ces lettres ; on est en état d’en produire les originaux. » Ce qu’on lit ici entre les deux lettres fut ajouté lors de l’impression de l’Histoire du docteur Akakia. (B.)
  78. Dans le tome III de la Nouvelle Bigarrure, mai 1753, on reproduisit l’Art de bien argumenter, c’est-à-dire le billet du président et la réponse d’Akakia, qui le composaient ; mais on mit à la suite la lettre entière de Maupertuis, datée du 3 avril 1753, et dans laquelle sont tous les mots transcrits par Voltaire, sauf cependant le dernier (tremblez). (B.)
  79. Le Gouverneur.
  80. Voyez les notes de la page 581.
  81. Pulvis pyrius est la poudre à canon.
  82. Le secrétaire perpétuel de l’académie de Berlin était Formey ; il fut presque éternel, car il ne mourut qu’en 1797, à quatre-vingt-six ans. (B.)
  83. Voyez la note 1 de la page 572.