Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 24

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CHAPITRE XXIV.

DU CHANCELIER DE L’HOSPITAL, DE L’ASSASSINAT DE FRANÇOIS DE GUISE.

On croit bien que toutes ces cruautés ne furent point sans représailles ; les protestants firent autant de mal qu’on leur en faisait, et la France fut un vaste théâtre de carnage. Le parlement de Toulouse fut partagé. Vingt-deux conseillers tenaient encore pour les édits de pacification, les autres voulaient que les protestants fussent exterminés. Ceux-ci se retranchèrent dans l’hôtel de ville : on se battit avec fureur dans Toulouse : il y périt trois à quatre mille citoyens, et c’est là l’origine de cette fameuse procession qu’on fait encore à Toulouse tous les ans, le 10 mars, en mémoire de ce qu’on devrait oublier. Le chancelier de L’Hospital, sage et inutile médecin de cette frénésie universelle, cassa vainement l’arrêt qui ordonnait cette funeste cérémonie annuelle[1].

Le prince de Condé cependant faisait une véritable guerre. Son propre frère, le roi de Navarre, après avoir longtemps flotté entre la cour et le parti protestant, ne sachant s’il était calviniste ou papiste, toujours incertain et toujours faible, suivit le duc de Guise au siége de Rouen, dont les troupes du prince de Condé s’étaient emparées ; il y fut blessé à mort, en visitant la tranchée le 13 octobre 1562[2] : la ville fut prise et livrée au pillage. Tous les partisans du prince de Condé qu’on y trouva furent massacrés, excepté ceux qu’on réserva au supplice. Le chancelier de L’Hospital, au milieu de ces meurtres, fit encore publier un édit par lequel le roi et la reine sa mère ordonnaient à tous les parlements du royaume de suspendre toute procédure criminelle contre les hérétiques, et proposaient une amnistie générale à ceux qui s’en rendraient dignes.

Voilà le troisième arrêt de douceur et de paix que ce grand homme fit en moins de deux ans ; mais la rage d’une guerre à la fois civile et religieuse l’emporta toujours sur la tolérance du chancelier.

Le parlement de Normandie, malgré l’édit, fit pendre trois conseillers de ville et le prédicant ou ministre Marlorat, avec plusieurs officiers.

Le prince de Condé à son tour souffrit que dans Orléans, dont il était maître, le conseil de ville fît pendre un conseiller du parlement de Paris, nommé Sapin, et un prêtre qui avait été pris en voyageant ; il n’y avait plus d’autre droit que celui de la guerre.

Cette même année se donna la première bataille rangée entre les catholiques et les huguenots, auprès de la petite ville de Dreux, non loin des campagnes d’Ivry, lieu où depuis le grand Henri IV gagna et mérita sa couronne.

D’un côté on voyait ces trois triumvirs, le vieux et malheureux connétable de Montmorency ; François de Guise, qui n’était plus lieutenant général de l’État, mais qui, par sa réputation, en était le premier homme ; et le maréchal de Saint-André, qui commandait sous le connétable.

À la tête de l’armée protestante était le prince Louis de Condé, l’amiral de Coligny, et son frère d’Andelot : presque tous les officiers de l’une et de l’autre armée étaient ou parents ou alliés, et chaque parti avait amené des troupes étrangères à son secours.

L’armée catholique avait des Suisses, l’autre avait des reîtres. Ce n’est pas ici le lieu de décrire cette bataille : elle fut, comme toutes celles que les Français avaient données, sans ordre, sans art, sans ressource prévue. Il n’y eut que le duc de Guise qui sut mettre un ordre certain dans le petit corps de réserve qu’il commandait. Le connétable fut enveloppé et pris, comme il l’avait été à la bataille de Saint-Quentin. Le prince de Condé eut le même sort. Le maréchal de Saint-André, abandonné des siens, fut tué par le fils du greffier de l’Hôtel de Ville de Paris, nommé Bobigny. Ce maréchal avait emprunté de l’argent au greffier : au lieu de payer le père, il avait maltraité le fils. Celui-ci jura de s’en venger, et tint parole. Un simple citoyen qui a du courage est supérieur, dans une bataille, à un seigneur de cour qui n’a que de l’orgueil.

Le duc de Guise, voyant les deux chefs opposés prisonniers, et tout en confusion, fit marcher à propos son corps de réserve, et gagna le champ de bataille : ce fut le 20 décembre 1562. François de Guise alla bientôt après faire le siége d’Orléans. Ce fut là qu’il fut assassiné, le 18 février 1563, par Poltrot de Méré[3], gentilhomme angoumois. Ce n’était pas le premier assassinat que la rage de religion avait fait commettre. Il y en avait eu plus de quatre mille dans les provinces ; mais celui-ci fut le plus signalé, par le grand nom de l’assassiné et par le fanatisme du meurtrier, qui crut servir Dieu en tuant l’ennemi de sa secte.

J’anticiperai ici un peu le temps pour dire que, quand Charles IX revint à Paris après sa majorité, la mère du duc de Guise, Antoinette de Bourbon, sa femme Anne d’Este, et toute sa famille, vinrent en deuil se jeter aux genoux du roi, et demander justice contre l’amiral Coligny, qu’on accusait d’avoir encouragé Poltrot à ce crime.

Le parlement condamna Poltrot, le 18 mars, à être déchiré avec des tenailles ardentes, tiré à quatre chevaux et écartelé, supplice réservé aux assassins des rois. Le criminel varia toujours à la question, tantôt chargeant l’amiral Coligny et d’Andelot, son frère, tantôt les justifiant. Il demanda à parler au premier président, Christophe de Thou, avant que d’aller au supplice. Il varia de même devant lui. Tout ce qu’on put enfin conjecturer de plus vraisemblable, c’est qu’il n’avait d’autre complice que la fureur du fanatisme. Tels ont été presque tous ceux à qui l’abus de la religion chrétienne a mis dans tous les temps le poignard à la main, tous aveuglés par les exemples de Jaël, d’Aod, de Judith, et de Mathathias qui tua dans le temple l’officier du roi Antiochus, dans le temps que ce capitaine voulait exécuter les ordres de son maître, et sacrifier un cochon sur l’autel. Tous ces assassinats étant malheureusement consacrés, il n’est pas étonnant que des fanatiques absurdes, ne distinguant pas les temps et les lieux, aient imité des attentats qui doivent inspirer l’horreur, quoique rapportés dans un livre qui inspire du respect.


    mourant il désavoue d’avoir projeté le tumulte de Vassy ? D’ailleurs, le style de la déclaration qu’on nous a transmise n’est ni d’un mourant, ni du duc de Guise : c’est une pièce évidemment fabriquée ; et quand il serait vrai qu’on l’eût fait adopter ou signer à ce duc mourant, on sent combien cette circonstance ôterait encore de force à son témoignage. (K.)

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1766, l’Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven.
  2. Voyez la note sur le vers 88 du chant II de la Henriade, tome VIII, page 69.
  3. Voyez tome XII, page 505 ; François de Guise ne mourut que six jours après ses blessures.