Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 4

La bibliothèque libre.
◄  Chapitre 3 Chapitre 5   ►



CHAPITRE IV.
DU PROCÈS DES TEMPLIERS.

Lorsque Philippe le Bel institua la juridiction suprême du parlement de Paris, il ne paraît pas qu’il lui attribua la connaissance des causes criminelles : et en effet on n’en voit aucune jugée par lui dans ces premiers temps. Le procès des templiers, cet objet éternel de doute et d’infamie, est une assez forte preuve que le parlement ne jugeait point alors les crimes. Il y avait plus de clercs que de laïques dans cette compagnie ; il y avait des chevaliers et des jurisconsultes ; rien ne lui manquait donc pour être en état de juger ces templiers, qui étaient à la fois sujets du roi et réputés un ordre ecclésiastique : cependant ils ne furent jugés que par des commissaires du pape Clément V.

(13 octobre 1307) D’abord le roi fit arrêter les templiers par ses baillis et par ses sénéchaux. Le pape lui-même interrogea[1], dans la ville de Poitiers, soixante et douze de ces chevaliers, parmi lesquels il est à remarquer qu’il y avait des prêtres : ils furent gardés au nom du pape et du roi. Le pape délégua, dans chaque diocèse, deux chanoines, deux jacobins, deux cordeliers, pour condamner, suivant les saints canons, ces guerriers qui avaient versé leur sang pour la religion chrétienne, mais qui étaient accusés de quelques débauches et de quelques profanations. Le roi lui-même, croyant faire un acte d’autorité qui éludait celle du pape, en se joignant à lui, fit expédier, par son conseil privé, une commission à frère Guillaume Parisius, inquisiteur du pape en France pour assister à l’interrogatoire des templiers, et nomma aussi des barons dans la commission, comme Bertrand de Agassar, chevalier, le sénéchal de Bigorre, le sénéchal de Beaucaire.

(1308) Le roi convoqua une grande assemblée à Tours, pour résoudre, en la présence du pape et en la sienne, quel usage on ferait du bien des templiers mis en séquestre. Plusieurs hauts-barons envoyèrent des procurations. Nous avons encore à la Bibliothèque du roi celle de Robert, comte de Flandre ; de Jeanne de l’Isle, dame de Mailly ; de Jean, fils aîné du duc de Bretagne ; d’Élie de Talleyrand, comte de Périgord ; d’Artus, comte de Richemont, prenant depuis le titre de duc de Bretagne ; d’un Thibaut, seigneur de Rochefort ; enfin de Hugues, duc de Bourgogne.

À l’égard du jugement prononcé contre les templiers, il ne le fut que par les commissaires du pape, Bernard, Étienne, et Landulphe, cardinaux, quelques évêques et des moines inquisiteurs. Les arrêts de mort furent portés en 1309, et non en 1307 : les actes en font foi, et la Chronique de Saint-Denis le dit en termes exprès. On dit que l’Église abhorre le sang ; elle n’a pas apparemment tant d’horreur pour les flammes. Cinquante-neuf chevaliers furent brûlés vifs à Paris, à la porte Saint-Antoine, tous protestant de leur innocence, tous rétractant les aveux que les tortures leur avaient arrachés.

Le grand-maître Jacques Molai, égal par sa dignité aux souverains, Gui, frère du dauphin d’Auvergne, furent brûlés dans la place vis-à-vis laquelle est aujourd’hui la statue de Henri IV. Ils prirent Dieu à témoin, tant qu’ils purent parler, et citèrent au jugement de Dieu le roi et le pape.

Le parlement n’eut aucune part à ce procès extraordinaire, témoignage éternel de la férocité où les nations chrétiennes furent plongées jusqu’à nos jours. (1312) Mais lorsque Clément V, dans le concile général de Vienne, abolit l’ordre des templiers, de sa seule autorité et malgré la réclamation du concile entier, dans lequel il n’y eut que quatre évêques de son avis ; lorsqu’il fallut disposer des biens-fonds des chevaliers ; lorsque le pape eut donné ces biens aux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, le roi ayant accédé à cette donation, le parlement mit en possession les hospitaliers par un arrêt rendu en 1312, le jour de l’octave de Saint-Martin, arrêt dans lequel il n’est parlé que de l’ordre du roi, et point du tout de celui du pape : il ne participa ni à l’iniquité des supplices, ni à l’activité des procédures sacerdotales ; il ne se mêla que de la translation des biens d’un ordre à un autre ; et on voit que dès ce temps il soutint la dignité du trône contre l’autorité pontificale, maxime dans laquelle il a toujours persisté sans aucune interruption.



  1. Voyez tome XI, page 523.