Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre I/Chapitre 3

La bibliothèque libre.

III. Voyages des Portugais au continent de l’Afrique.

Après la découverte de Madère, les Portugais tournèrent leur pavillon vers les régions occidentales de l’Afrique. On croit allez généralement que ce furent les premiers Européens qui abordèrent à ces côtes barbares. Cependant il paroit prouvé que les Normands les avaient précédés d’un ſiècle ; & que ces navigateurs, trop peu connus, avoient formé quelques petits établiſſemens qui ſubſiſtèrent juſqu’en 1410. À cette époque, les calamités qui déſoloient la France, ne permirent plus de s’occuper d’intérêts ſi éloignés.

Les premières expéditions des Portugais, dans la Guinée, ne furent que des pirateries. Ces hardis & féroces navigateurs, couverts de fer, armés de la foudre, arrachoient à des peuples étonnés, diviſés & lâches, ce que la nature ou le haſard leur avoient donné. Les brigandages, pouſſés à ce monſlrueux excès, eurent un terme ; & ce fut lorsqu’on put s’entendre. Alors le commerce prit la place de la violence ; & il ſe fit quelques échanges, mais rarement fondés ſur une liberté entière & ſur une juſtice exacte. Enfin, la Cour de Lisbonne crut qu’il convenoit à ſes intérêts ou à ſa gloire d’aſſujettir à ſa domination les parties de cette vaſte contrée qu’on croyoit les plus fertiles, ou dont la poſition étoit la plus heureuſe ; & l’exécution de ce projet, plus brillant peut-être que ſage, n’éprouva que peu de contradictions. Pour donner de la ſtabilité à ces conquêtes, on crut devoir multiplier les fortereſſes, répandre la religion de l’Europe, & perpétuer les naturels du pays dans leur ignorance.

Sous le règne de Jean II, prince éclairé, qui, le premier, rendit Lisbonne un port franc, & fit faire une application nouvelle de l’aſtronomie à la navigation, les Portugais doublèrent le cap qui eſt à l’extrémité de l’Afrique. On l’appela alors le cap des Tempêtes ; mais le prince, qui prévoyoit le paſſage aux Indes, le nomma le cap de Bonne-Eſpérance.