Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre I/Chapitre 7

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VII. Antiquité de l’Indoſtan.

Telle eſt la liaiſon entre les loix phyſiques & morales, que le climat a jetté par-tout les premiers fondemens des ſyſtèmes de l’eſprit humain, ſur les objets importans au bonheur. Ainſi les Indiens, ſur l’imagination deſquels la nature fait les plus profondes impreſijons, par les plus fortes influences du bien & du mal, par le ſpectacle continuel du combat des élémens ; les Indiens ont été placés dans la poſition la plus féconde en révolutions, en événemens, en faits de toute eſpèce. Auſſi la philoſophie & l’hiſtoire ſe ſont long-tems occupées des célèbres contrées de l’Inde, & leurs conjectures ont prodigieuſement reculé l’époque de l’exiſtence de ſes premiers habitans. En effet, ſoit que l’on conſulte les monumens hiſtoriques, ſoit que l’on conſidère la poſition de l’Indoſtan ſur le globe, tenant par une chaîne de hautes montagnes au plateau le plus élevé du continent & le plus éloigné des invaſions de la mer, on conviendra que c’eſt le séjour le plus aſſuré pour ſes habitans, & le pays le plus anciennement peuplé. L’origine de la plupart de nos ſciences va ſe perdre dans ſon hiſtoire. Les Grecs alloient s’inſtruire dans l’Inde, même avant Pythagore. Les plus anciens peuples commerçans y trafiquoient pour en rapporter des toiles, qui prouvent combien l’induſtrie y avoit fait de progrès.

En général, ne peut-on pas dire que le climat le plus favorable à l’eſpèce humaine, eſt le plus anciennement peuplé ? Un climat doux, un air pur, un ſol fertile, & qui produit preſque ſans culture, ont dû raſſembler les premiers hommes. Si le genre humain a pu ſe multiplier & s’étendre dans des régions affreuſes, où il a fallu lutter ſans ceſſe contre la nature ; ſi des ſables brûlans & arides, des marais impraticables, des glaces éternelles, ont reçu des habitans ; ſi nous avons peuplé des déſerts & des forets, ou il falloit ſe défendre contre les élémens & les bêtes féroces : avec quelle facilité n’at-on pas dû ſe réunir dans ces contrées délicieuſes, où l’homme, exempt de beſoins, n’avoit que des plaiſirs à déſirer ; où jouiſſant, ſans travail & ſans inquiétude, des meilleures productions & du plus beau ſpectacle de l’univers, il pouvoit s’appeller, à juſte titre, l’être par excellence & le roi de la nature ? Telles étoient les rives du Gange & les belles contrées de l’Indoſtan. Les fruits les plus délicieux y parfument l’air, & fourniſſent une nourriture ſaine & rafraîchiſſante ; des arbres y préſentent des ombrages impénétrables à la chaleur du jour. Tandis que les eſpèces vivantes qui couvrent le globe ne peuvent ſubfiſter ailleurs qu’à force de ſe détruire ; dans l’Inde, elles partagent avec leur maître l’abondance & la ſûreté. Aujourd’hui même, que la terre devroit y être épuisée par les productions de tant de ſiècles, & par leur conſommation dans des régions éloignées, l’Indoſtan, ſi l’on en excepte un petit nombre de lieux ingrats & ſablonneux, eſt encore le pays le plus fertile du monde.