Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre II/Chapitre 4

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IV. Établiſſement de la Compagnie des Indes.

Les États-Généraux réunirent, en 1602, ces différentes ſociétés en une ſeule, ſous le nom de compagnie des grandes Indes. On lui accorda le droit de faire la paix ou la guerre avec les princes de l’Orient, de bâtir des fortereſſes, de choiſir les gouverneurs, d’entretenir des garniſons, & de nommer des officiers de police & de juſtice.

Cette compagnie, ſans exemple dans l’antiquité, modèle de toutes celles qui l’ont ſuivie, commençoit avec de grands avantages. Les ſociétés particulières, qui l’avoient précédée, lui étoient utiles par leurs malheurs, par leurs fautes même. Le trop grand nombre de vaiſſeaux qu’elles avoient équipés, avoit donné des lumières certaines ſur toutes les branches du commerce ; avoit formé beaucoup d’officiers & de matelots ; avoit encouragé les bons citoyens à ces expéditions éloignées, en n’expoſant d’abord que des gens ſans aveu & ſans fortune.

Tant de moyens réunis, ne pouvoient reſter oiſifs dans des mains actives. Le nouveau corps devint bientôt une grande puiſſance.

Ce fut un nouvel état placé dans l’état même, qui l’enrichiſſoit, augmentoit ſa force au dehors ; mais qui pouvoit diminuer, avec le tems, le reſſort politique de la démocratie, qui eſt l’amour de l’égalité, de la frugalité, des loix & des citoyens.

Auſſi-tôt après ſon établiſſement, la compagnie fît partir pour les Indes, quatorze vaiſſeaux & quelques yachts, ſous les ordres de l’amiral Warwick, que les Hollandois regardent comme le fondateur de leur commerce, & de leurs puiſſantes colonies dans l’Orient. Il bâtit un comptoir fortifié dans l’iſle de Java ; il en haut un dans les états du roi de Johor ; il fit des alliances avec pluſieurs princes dans le Bengale. Il eut à combattre ſouvent les Portugais, & il remporta preſque toujours l’avantage. Dans les lieux où ils n’étoient que commerçans, il eut à détruire les préventions répandues contre ſa nation, qu’ils avoient repréſentée comme un amas de brigands, ennemis de tous les rois, & infectés de tous les vices. La conduite des Hollandois & celle des Portugais, apprit bientôt aux peuples d’Aſie laquelle des deux nations avoit ſur l’autre l’avantage des mœurs.

Elles ne tardèrent pas à ſe faire une guerre ſanglante.

Quel dut être l’étonnement des Indiens, témoins de ces grands combats ? Combien leur cœur devoit tréſſaillir de joie, en voyant leurs tyrans s’acharner à leur deſtruction mutuelle ? Avec quel tranſport ils devoient bénir une providence vengereſſe des maux qu’on leur avoit faits ? Juſqu’où ne devoit pas monter leur eſpérance, puiſque de quelque côté que le ſang fût répandu, c’étoit celui d’un oppreſſeur ou d’un ennemi ?