Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre III/Chapitre 33

La bibliothèque libre.

XXXIII. La compagnie Angloiſe abandonne aux négocians particuliers le commerce d’Inde en Inde.

Un pareil inconvénient ne pouvoit pas empêcher la Compagnie Angloiſe de donner une grande extenſion à ſon commerce. Celui qu’on peut faire au-delà du cap de Bonne-Eſpérance & d’un port de l’Inde à l’autre, ne l’occupa pas long-tems. Elle fut de bonne heure aſſez éclairée pour comprendre que cette navigation ne lui convenoit pas. Ses agens l’entreprirent, de ſon aveu, pour leur propre compte ; & tous les Anglois furent invités à le partager ſous la condition qu’ils fourniroient une caution de 45 000 liv., qui garantiroit leur ſageſſe. Pour faciliter & accélérer des ſuccès qui devoient un jour augmenter les ſiens, la compagnie encouragea ces négocians, en prenant part à leurs expéditions, en leur cédant des intérêts dans ſes propres armemens, ſouvent même en ſe chargeant de leurs marchandiſes pour un fret modique. Cette conduite généreuſe, inſpirée par un eſprit national ſi oppoſé en tout au caractère du monopole, donna promptement de l’activité, de la force, de la conſidération aux colonies Angloiſes.

Le commerce particulier a augmenté avec les proſpérités de la puisſance qui lui ſert d’appui, & a contribué à ſon tour à lui donner plus de ſolidité. Il emploie actuellement de très-grands capitaux & occupe environ deux cens bâtimens, depuis cinquante juſqu’à deux cens tonneaux, tous montés par des matelots Indiens. Le nombre s’en ſeroit accru davantage, ſi la compagnie n’avoit exigé dans tous ſes comptoirs un droit de cinq pour cent ſur toutes les marchandiſes du commerce libre, & un droit de huit & demi pour cent ſur toutes les remiſes que les agens de ce trafic voudroient faire paſſer dans la métropole. Lorſque ſes beſoins ne la forcèrent pas à ſe relâcher de ce dernier arrangement, ces fonds particuliers furent livrés aux autres négocians Européens ou aux officiers Anglois qui n’étant pas proprement attachés à la compagnie, pouvoient travailler pour eux en navigant pour elle.