Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre IX/Chapitre 16

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XVI. État du gouvernement de Para.

Le gouvernement de Para eſt le plus ſeptentrional de tous. Il comprend la partie de la Guiane qui appartient au Portugal ; le cours de l’Amazone, depuis le confluent de la Madeire & du Mamoré ; & à l’Eſt tout l’eſpace qui s’étend juſqu’à la rivière des Tocantins. C’eſt la contrée la plus ſtérile & la moins ſaine de ces régions.

Dans la Guiane, on ne peut demander des productions qu’à la rivière Noire, dont les bords élevés ſeraient très-propres à toutes les denrées qui enrichirent les meilleures colonies de l’Amérique. Mais le pays n’eſt habité que par des Indiens que la pêche de la tortue occupe preſqu’uniquement, & qu’on n’a pu encore déterminer qu’à la coupe de quelques bois de marqueterie. Cette rivière reçoit celle de Cayari, où l’on découvrit, en 1749, une mine d’argent que des raiſons de politique ont, ſans doute, empêché d’exploiter.

Du côté du Nord, les rives de l’Amazone ſont preſque généralement noyées. Le peu de terrein ſec qu’on y rencontre, eſt continuellement dévoré par des inſectes de toutes les eſpèces.

Quoique le Sud de l’Amazone ſoit marécageux par intervalles, le ſol y eſt communément plus ſolide & moins infecté de reptiles. Les grandes & nombreuſes rivières, qui s’y jettent, offrent de meilleures reſſources encore pour les cultures, ſans qu’il s’y en ſoit établi aucune.

Les navigateurs Portugais n’étoient pas entrés dans l’Amazone avant 1535. Ayres d’Acunha & ceux qui le ſuivirent y firent preſque tous naufrage. Ce ne fut qu’en 1615 que François Caldeira jeta ſur ſes rives les fondemens d’une ville, qui reçut le nom de Belem. Le gouvernement donna, en 1663, à Bento Maciel Parente le territoire de Macapa, & plus tard, l’iſle de Joannes à Macedo : mais ces deux conceſſions furent depuis réunies à la couronne, la première par l’extinction de la famille qui l’avoit obtenue, & la ſeconde par des échanges.

Pendant long-tems, les Portugais ſe bornèrent à faire des courſes, plus ou moins prodigieuſes, pour enlever quelques Bréſiliens. C’étoient des ſauvages inquiets & hardis qui cherchoient à aſſervir d’autres ſauvages moins forts & moins courageux. Ces fatigues meurtrières, ces cruautés inutiles duroient depuis un ſiècle, lorſque des miſſionnaires entreprirent de civiliſer les Indiens errans. Ils en ont réuni un allez grand nombre dans ſoixante-dix-huit bourgades, mais ſans pouvoir les fixer entièrement. Après quatre ou cinq mois d’une vie oiſive & sédentaire, ces hommes, entraînés par leurs anciennes habitudes, quittent leur demeure & leur famille pour aller cueillir dans les forêts des productions d’une nature brute, qu’avec très-peu de travail, ils pourroient obtenir près de leurs foyers, ou remplacer par des productions meilleures. Ce que ces courſes deſtructives & renouvelées chaque année donnent de cacao ſauvage, de vanille, d’écaille de tortue, de crab, de ſalſe-pareille, d’huile de coupau, de laine végétale, eſt porté à Belem, chef-lieu du gouvernement.

Cette ville bâtie à vingt lieues de l’océan & ſur un terrein qui s’élève treize pieds au-deſſus du niveau de la mer, ne fut longtems que l’entrepôt des ſauvages richeſſes qu’on y portoit de l’intérieur des terres. Des noirs qu’elle s’eſt enfin procurés ont fait croître à ſon voiſinage un peu de coton qui eſt fabriqué dans le pays même, quelques cannes à ſucre dont le mauvais produit eſt converti en eau-de-vie : ils ont cultivé pour l’exportation, du café, du riz & du cacao. La vente des troupeaux qui paiſſoient dans l’iſle de Marajo fut long-tems une de ſes reſſources. À peine y reſte-t-il maintenant aſſez de bœufs pour ſa propre conſommation.

Avant 1755, cet établiſſement voyoit arriver tous les ans de la métropole treize à quatorze navires. Depuis qu’un miniſtère trompé ou corrompu l’a aſſervi au monopole, il ne reçoit plus que quatre ou cinq bâtimens. La valeur de ce qu’ils exportent s’élève rarement au-deſſus de 600 000 liv. Ce foible produit n’eſt que peu groſſi par les bois de conſtruction que le gouvernement fait acheter & emporter par ſes vaiſſeaux. La population de la colonie eſt de quatre mille cent vingt-huit blancs, de neuf mille neuf cens dix-neuf nous eſclaves ou mulâtres libres ; & de trente-quatre mille huit cens quarante-quatre Indiens.

Cette contrée qui, en 1778, a été débarraſſée des entraves inséparables d’un privilège excluſif, mettra, ſans doute, à profit ſa liberté. Le port de Belem, appelé Para, nom qu’on donne auſſi quelquefois à la ville, n’oppoſe pas au ſuccès d’auſſi grands obſtacles qu’on le croit communément. L’approche en eſt, à la vérité, difficile. Des courans, en ſens contraires, occaſionnés par une multitude de petites iſles rendent la marche des bâtimens incertaine & lente : mais arrivés à la rade, ils mouillent dans un fond de vaſe, ſur quatre, cinq & ſix braſſes d’eau. Cependant le canal qui y conduit diminue tous les jours de profondeur. Dans peu, il ne ſera plus praticable ſi, comme il faut le croire, les eaux continuent à y dépoſer autant de terre qu’ils y en ont entraînée depuis un ſiècle.