Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre VIII/Chapitre 35

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XXXV. La domination Eſpagnole a-t-elle une baſe ſolide dans le Nouveau-Monde ?

Les Hollandois furent les premiers qui oſèrent tourner leurs armes contre le Pérou. Ils y envoyèrent, en 1643 une foible eſcadre qui s’empara ſans peine de Valdivia, le ſeul port fortifié du Chili & la clef de ces mots paiſibles. Leurs navigateurs dévoroient dans leur cœur les tréſors de ces riches centrées, lorſque la diſette & les maladies ébranlèrent leur eſpoir. La mort d’un chef accrédité augmenta leurs inquiétudes, & les forces qu’on envoya de Callao contre eux achevèrent de les déconcerter. Leur courage mollit dans cet éloignement de leur patrie, & la crainte de tomber dans les fers d’une nation dont ils avoient ſi ſouvent éprouvé la haine, les détermina à ſe rembarquer. Avec plus de confiance, ils ſe feraient maintenus vraiſemblablement dans leurs conquêtes juſqu’à l’arrivée des ſecours qui ſeraient partis de Zuiderzée, lorſqu’on y aurait appris leurs premiers ſuccès.

Ainſi le penſoient ceux des François qui, en 1595, unirent leurs fortunes & leur audace pour aller parler les côtes du Pérou & pour former, à ce qu’on croit, un établiſſement dans la partie du Chili, négligée par les Eſpagnols. Ce plan eut l’approbation de Louis XIV, qui, pour en faciliter l’exécution, accorda ſix vaiſſeaux de guerre. L’eſcadre vogua très-heureuſement, ſous les ordres du brave de Gènes, juſques vers le milieu du détroit de Magellan. On croyoit toucher au ſuccès ; lorſque les navigateurs, opiniâtrement repouſſés par les vents contraires & aſſaillis de toutes les calamités poſſibles, ſe virent réduits à reprendre la route de l’Europe. Ces aventuriers, toujours avides de périls & de richeſſes, s’occupoient à former une nouvelle aſſociation : mais les événemens donnèrent aux deux couronnes les mêmes intérêts.

L’Angleterre avoit, avant les autres peuples, jeté des regards avides ſur cette région. Ses mines la tentèrent dès 1624 : mais la foibleſſe du prince, qui tenoit alors les rênes de l’empire, fit diſſoudre une aſſociation puiſſante qu’un ſi grand intérêt avoit formée. Charles II reprit cette idée brillante. Il fit partir Norboroug pour obſerver ces parages peu connus & pour eſſayer d’ouvrir quelque communication avec les ſauvages du Chili. Ce monarque étoit ſi impatient d’apprendre le ſuccès de cette expédition, qu’averti que ſon confident étoit de retour aux Dunes, il ſe jetta dans ſa berge, & alla au-devant de lui juſqu’à Graveſend.

Quoique cette tentative n’eût rien produit d’utile, le miniſtère Britannique ne ſe découragea point. L’élévation du duc d’Anjou au trône d’Eſpagne alluma un incendie univerſel. L’Angleterre, qui s’étoit miſe à la tête de la confédération formée pour dépouiller ce prince, vit par-tout proſpérer ſes armes, mais cette gloire lui fut chèrement vendue. La nation gémiſſoit ſous le poids des taxes, & cependant le fiſc avoit contracté des engagemens immenſes. Il paroiſſoit difficile de les remplir & de continuer la guerre, lorſqu’on eut l’idée d’une aſſociation qui auroit excluſivement la liberté de naviguer vers la mer du Sud & d’y former des établiſſemens, mais à condition qu’elle ſe chargeroit de liquider la dette publique. Telle étoit l’opinion qu’on avoit alors des richeſſes du Pérou & des grandes fortunes qu’il ſeroit aisé d’y faire, que les régnicoles & les étrangers versèrent avec enthouſiaſme leurs capitaux dans cette entrepriſe. L’adminiſtration en fut confiée au grand tréſorier Oxford, auteur du projet, & il employa aux dépenſes de l’état des fonds deſtinés pour tout autre uſage.

Alors, les actions de la nouvelle ſociété tombèrent dans le plus grand aviliſſement : mais elles ne tardèrent pas à ſe relever. À la paix, la cour de Londres obtint de celle de Madrid que la compagnie du Sud pourroit enfin remplir ſa deſtination. Le commerce du Pérou lui fut ſolemnellement livré. Elle s’enrichiſſoit tranquillement, lorſqu’une guerre ſanglante changea la ſituation des choſes. Une eſcadre commandée par Anſon, remplaça ces négocians avides. Il eſt vraiſemblable qu’elle auroit exécuté les terribles opérations dont elle étoit chargée, ſans les malheurs qu’elle éprouva pour avoir été forcée par des arrangemens vicieux à doubler le cap de Horn dans une ſaiſon où il n’eſt pas praticable.

Depuis la dernière paix, les François ont entrepris, en 1764, & les Anglois en 1766 de former un établiſſement, non loin de la côte des Patagons, ou à cinquante & un degrés trente minutes de latitude auſtrale, dans trois iſles que les uns ont appellées Malouines & les autres Falkland. L’Eſpagne alarmée de voir des nations étrangères dans ces parages, a obtenu aisément de la cour de Verſailles le ſacrifice de ſa foible colonie : mais les plus vives inſtances n’ont rien produit à celle de Londres qui n’avoit pas les mêmes motifs de ménagement & de complaiſance. Les eſprits ſe ſont aigris. Le port d’Egmont, nouvellement occupé, a été inopinément attaqué & pris ſans réſiſtance. On alloit encore voir les deux hémiſphères inondés de ſang, ſi l’agreſſeur ne ſe fut enfin déterminé à reſtituer un poſte dont il n’auroit pas du s’emparer dans un tems où l’on avoit ouvert des négociations pour l’éclairciſſement des droits réciproques. L’Angleterre s’eſt depuis engagée, par une convention verbale du 22 janvier 1771, à laiſſer tomber peu-à-peu ce foible, inutile & diſpendieux établiſſement. Il n’y reſtoit plus, en effet, que vingt-cinq hommes, lorſqu’on l’évacua, au mois de mai 1774, en y laiſſant une inſcription qui atteſtât aux ſiècles à venir que ces iſles avoient appartenu & n’avoient pas ceſſé d’appartenir à la Grande-Bretagne. En s’éloignant, ces navigateurs, occupés de la dignité de leur nation, inſultent à la puiſſançe rivale. C’eſt par condeſcendance & non par crainte qu’ils veulent bien ſe déſiſter de leurs droits. Lorſqu’ils promettent à leur empire une durée éternelle, ils oublient que leur grandeur peut s’évanouir auſſi rapidement qu’elle s’eſt élevée. De toutes les nations modernes, qu’eſt-ce qui reſtera dans les annales du monde ? Les noms de quelques illuſtres perſonnages ? les noms d’un Chriſtophe Colomb, d’un Deſcartes, d’un Newton. Combien de petits états, avec la prétention ridicule aux grandes deſtinées de Rome !

Sans le ſecours de cet entrepôt ni d’aucun autre, Anſon croyoit voir des moyens pour attaquer avec avantage l’empire Eſpagnol dans l’Océan Pacifique. Dans le plan de ce fameux navigateur, douze vaiſſeaux de guerre partis d’Europe avec quatre ou cinq mille hommes de débarquement, tourneroient leurs voiles vers la mer du Sud. Ils trouveroient des rafraîchiſſemens à Bahia, à Rio-Janeiro, à Sainte-Catherine, dans tout le Bréſil qui déſire avec paſſion l’abaiſſement des Eſpagnols. Les réparations, qui pourroient devenir néceſſaires dans la ſuite, ſe feroient avec sûreté ſur la côte inhabitée & inhabitable des Patagons, dans le port Déſiré, ou dans celui de Saint-Julien. L’eſcadre doubleroit le cap de Horn ou le détroit de Magellan, ſuivant les ſaiſons. En cas de séparation, on ſe réuniroit à l’iſle déſerte de Socoro, & l’on ſe porteroit en force ſur Valdivia.

Cette fortification, la ſeule qui couvre le Chili, emportée par une attaque bruſque & impétueuſe, que pourroient, pour la défenſe du pays, des bourgeois amollis & inexpérimentés contre des hommes vieillis dans les exercices de la guerre & de la diſcipline ? Que pourroient-ils contre les Arauques & les autres ſauvages, toujours diſposés à renouveler leurs cruautés & leurs ravages ?

Les côtes du Pérou feroient encore moins de réſiſtance. Elles ne ſont protégées que par Callao, où une mauvaiſe garniſon de ſix cens hommes ne tarderoit pas à capituler. La priſe de ce port célèbre ouvriroit le chemin de Lima, qui n’en eſt éloigné que de deux lieues & qui eſt abſolument ſans défenſe. Les foibles ſecours qui pourroient venir aux deux villes de l’intérieur des terres, où il n’y a pas un ſoldat, ne les ſauveroit pas ; & l’eſcadre intercepteroit aisément tous ceux que Panama pourroit leur envoyer par mer. Panama lui-même, qui n’a qu’un mur ſans foſſé & ſans ouvrages extérieurs, ſeroit obligé de ſe rendre. Sa garniſon, continuellement affoiblie par les détachemens qu’elle envoie à Châgre, à Porto-Belo, à d’autres poſtes, ſeroit hors d’état de repouſſer le moindre aſſaillant.

Anſon ne penſoit pas que les côtes, une fois ſoumiſes, le reſte de l’empire pût balancer à ſe ſoumettre. Il fondoit ſon opinion ſur la molleſſe, ſur la lâcheté, ſur l’ignorance des peuples dans le maniement des armes. Selon ſes lumières, un ennemi audacieux ne devoit avoir guère moins d’avantage ſur les Eſpagnols qu’ils en eurent eux-mêmes ſur les Américains, à l’époque de la découverte.

Telles étoient, il y a trente ans, les idées d’un des plus grands hommes de mer qu’ait eu l’Angleterre. Tiendroit-il aujourd’hui le même langage ? Nous ne le penſons point. La cour de Madrid, réveillée par les humiliations & les malheurs de la dernière guerre, a fait paſſer au Pérou des troupes aguerries. Elle y a confié ſes places à des commandant expérimentés. L’eſprit des milices eſt entièrement changé dans cette partie du Nouveau-Monde. Ce qui peut-être étoit poſſible ne l’eſt plus. Une invaſion deviendroit ſur-tout chimérique, ſi dans cette région éloignée, les forces de terre étoient appuyées par des forces maritimes proportionnées. On ne craindra pas même d’aſſurer que la réunion de ces deux moyens en écarteroit infailliblement le pavillon de toutes les nations.

Les opérations de l’efcadre ne devroient pas ſe borner à combattre ou à éloigner l’ennemi. Les vaiſſeaux, qui la compoſeroient, ſeroient utilement employés à faire naître ou à recueillir ſur ces côtes des denrées qui n’y croiſſent pas ou qui s’y perdent par la difficulté des exportations. Ces facilités tireroient vraiſemblablement les colons d’une léthargie qui dure depuis trois ſiècles. Aſſurés que le produit de leurs cultures arriveroit ſans frais à Panama & y ſeroit embarqué ſur le Châgre pour paſſer en Europe avec des frais médiocres, ils aimeroient des travaux dont la récompenſe ne ſeroit plus douteuſe. L’activité augmenteroit, ſi la cour de Madrid ſe déterminoit à creuſer un canal de cinq lieues qui achèveroit la communication des deux mers, déjà ſi avancée par un fleuve navigable. Le bien général des nations, l’utilité du commerce exigent que l’iſthme de Panama, que l’iſthme de Suez, ouverts à la navigation, rapprochent les limites du monde. Depuis trop long-tems, le deſpotiſme oriental, l’indolence Eſpagnole privent le globe d’un ſi grand avantage.

Si de la mer du Sud nous paſſons dans celle du Nord, nous trouverons que l’empire Eſpagnol s’y prolonge depuis le Miſſiſſipi juſqu’à l’Orenoque. On voit dans cet eſpace immenſe beaucoup de plages inacceſſibles, & un plus grand nombre encore où un débarquement ne ſerviroit de rien. Tous les poſtes regardés comme importans : Vera-Crux, Châgre, Porto-Belo, Carthagène, Puerto-Cabello ſont fortifiés, & quelques-uns le ſont dans les bons principes. L’expérience a cependant prouvé qu’aucune de ces places n’étoit inexpugnable. Elles pourroient donc être forcées de nouveau : mais qu’opéreroient ces ſuccès ? Les vainqueurs, auxquels il ſeroit impoſſible de pénétrer dans l’intérieur des terres, ſe verroient confinés dans des fortereſſes, où un air dangereux dans toutes les ſaiſons & mortel durant ſix mois de l’année pour des hommes accoutumés à un ciel tempéré, creuſeroit plus ou moins rapidement leur tombeau.

Quand même, contre toute probabilité, la conquête ſeroit achevée, peut-on penſer que les Eſpagnols Américains, idolâtres par goût, par pareſſe, par ignorance, par habitude, par orgueil, de leur religion & de leurs loix, ne romproient pas, un peu plutôt un peu plus tard, les fers dont on les auroit chargés ? Que ſi, pour prévenir la révolution, on ſe déterminoit à les exterminer, ce cruel expédient ne ſeroit pas moins inſensé en politique qu’horrible en morale ? Le peuple qui ſe ſeroit porté à cet excès de barbarie ne pourroit tirer parti de ſes nouvelles poſſeſſions qu’en leur ſacrifiant ſa population, ſon activité, ſon induſtrie, & avec le tems toute ſa puiſſance.

Tant d’obſtacles à l’envahiſſement de l’Amérique Eſpagnole avoient, dit-on, fait naître en Angleterre durant les dernières hoſtilités, un ſyſtême étonnant pour le vulgaire. Le projet de cette puiſſance, alors maîtreſſe de toutes les mers, étoit de s’emparer de la Vera-Crux, & de s’y fortifier d’une manière redoutable. On n’auroit pas proposé au Mexique un joug étranger, pour lequel on lui connoiſſoit trop d’éloignement. Le plan étoit de le détacher de ſa métropole, de le rendre arbitre de ſon ſort, & de le laiſſer le maître de ſe choiſir un ſouverain ou de ſe former en république. Comme il n’y avoit point de troupes dans le pays, la révolution étoit aſſurée ; & elle ſe ſeroit également faite dans toutes les provinces de ce vaſte continent qui avoient les mêmes motifs de la déſirer, les mêmes facilités pour l’exécuter. Les efforts de la cour de Madrid pour recouvrer ſes droits devoient être impuiſſans ; parce que la Grande-Bretagne ſe chargeoit de les repouſſer, à condition que les nouveaux états lui accorderoient un commerce excluſif, mais infiniment moins défavorable que celui ſous lequel ils avoient ſi long-tems gémi.

S’il étoit vrai que de pareilles idées euſſent jamais occupé sérieuſement le cabinet de Londres, il doit avoir renoncé à ces vues ambitieuſes depuis que la cour de Madrid a pris le parti d’entretenir des troupes régulières & Européennes dans ſes poſſeſſions du Nouveau-Monde. Ces forces contiendront les peuples, elles repouſſeront l’ennemi, appuyées comme elles le ſont maintenant par une marine reſpectable.

Les Eſpagnols eurent à peine découvert un autre hémiſphère, qu’ils ſongèrent à s’en approprier toutes les parties. Pour donner de l’éclat à leur adminiſtration, les chefs des grands établiſſemens déjà formés, tentoient tous les jours de nouvelles entrepriſes ; & les particuliers, paſſionnés pour la même renommée, ſuivoient généralement ces traces brillantes. Les calamités inséparables d’une carrière ſi peu connue n’avoient pas encore altéré ce courage actif & infatigable ; lorſque des navigateurs hardis & entreprenans osèrent tourner leurs voiles vers des régions interdites à toute autre nation qu’à celle qui les avoit conquiſes. Les ſuccès qui couronnèrent cette audace firent juger à Philippe II qu’il étoit tems de mettre des bornes à ſon ambition ; & il renonça à des acquiſitions qui pouvoient expoſer ſes armes ou ſes eſcadres à des inſultes. Cette politique timide ou ſeulement prudente eut des ſuites plus conſidérables qu’on ne l’avoit prévu. L’enthouſiaſme s’éteignit ; l’inaction lui ſuccéda.

Il ſe forma dans les Indes une nouvelle race d’hommes. Les peuples ſe plongèrent dans une molleſſe ſuperbe, & ceux qui les gouvernoient ne s’occupèrent plus qu’à accumuler des tréſors dont on acheta les diſtinctions autrefois réſervées aux talens, au zèle, aux ſervices. À cette époque s’arrêta la navigation en Amérique ; à cette époque, elle s’arrêta en Europe.

Il ne ſortit plus des ports de la métropole que peu de vaiſſeaux mal conſtruits, mal armés, mal équipés, mal commandés. Les coups terribles que lui portoient ſes ennemis, les vexations ruineuſes qu’elle éprouvoit de la part de ſes alliés : rien ne tiroit l’Eſpagne de ſa léthargie.

Enfin, après deux ſiècles d’un ſommeil profond, les chantiers ſe ſont ranimés. La marine Eſpagnole a acquis une vraie force. Soixante-huit vaiſſeaux, depuis cent quatorze juſqu’à ſoixante canons, dont cinq ſont en conſtruction ; quatre-vingt-huit bâtimens, depuis cinquante-ſix juſqu’à douze canons, la forment au tems où nous écrivons. Elle compte ſur ſes regiſtres cinquante mille matelots. Un grand nombre d’entre eux ſervent dans les armemens que le gouvernement ordonne. La navigation marchande de la Biſcaye, de Majorque, de la Catalogne en occupent beaucoup auſſi. Il en faut pour une centaine de petits navires deſtinés régulièrement pour les iſles d’Amérique qui en voyoient ſi peu autrefois. Ils ſe multiplieront encore, lorſque les expéditions au continent de l’autre hémiſphère ſe feront avec toute la liberté qu’annoncent de premiers arrangemens. Les mers, qui séparent les deux mondes, ſe couvriront d’hommes robuſtes, actifs, intelligens, qui deviendront les défenſeurs des droits de leur patrie, & rendront ſes flottes redoutables.

Monarques Eſpagnols, vous êtes chargés des félicités des plus brillantes parties des deux hémiſphères. Montrez-vous dignes d’une ſi haute deſtinée. En rempliſſant ce devoir auguſte & ſacré, vous réparerez le crime de vos prédéceſſeurs & de leurs ſujets. Ils ont dépeuplé un monde qu’ils avoient découvert ; ils ont donné la mort à des millions d’hommes ; ils ont fait pis, ils les ont enchaînés ; ils ont fait pis encore, ils ont abruti ceux que leur glaive avoit épargnés. Ceux qu’ils ont tués n’ont ſouffert qu’un moment ; les malheureux qu’ils ont laiſſé vivre ont dû cent fois envier le ſort de ceux qu’on avoit égorgés. L’avenir ne vous pardonnera que quand les moiſſons germeront de tant de ſang innocent dont vous avez arrosé les campagnes, & qu’il verra les eſpaces immenſes que vous avez dévaſtés couverts d’habitans heureux & libres. Voulez-vous ſavoir l’époque à laquelle vous ſerez peut-être abſous de tous vos forfaits ? C’eſt lorſque reſſuſcitant par la pensée quelqu’un des anciens monarques du Mexique & du Pérou, & le replaçant au centre de ſes poſſeſſions, vous pourrez lui dire : Vois l’état actuel de ton pays & de tes sujets ; interroge-les, & juge nous.

Fin du huitième Livre.