Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XI/Chapitre 14

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XIV. Quels ſont les cultes établis en Guinée.

La religion chrétienne & la religion mahométane ſemblent tenir par les deux bouts la partie de l’Afrique Occidentale, fréquentée par les Européens. Les muſulmans de la Barbarie ont porté leurs dogmes aux peuples du cap Verd, qui, eux-mêmes, les ont étendus plus loin. À meſure que ces dogmes ſe ſont éloignés de leur ſource, ils ſe ſont ſi fort altérés, que chaque royaume, chaque village, chaque famille en a de différens. Sans la circonciſion, qui eſt d’un uſage général, à peine ſoupçonneroit-on les peuples de profeſſer le même culte. Il ne s’eſt tout-à-fait arrêté qu’au cap de Monté, dont les habitans n’ont point de communication avec leurs voiſins.

Ce que les Arabes avoient fait au nord de la ligne pour l’alcoran, les Portugais le firent dans la ſuite au ſud pour l’évangile. Ils établirent ſon empire vers la fin du quinzième ſiècle, depuis le pays de Benguela juſqu’au Zaïre. Un culte, qui préſentoit des moyens sûrs & faciles pour l’expiation de tous les crimes, ſe trouva du goût des nations qui avoient une religion moins conſolante. S’il fut proſcrit depuis dans pluſieurs états, ce furent les violences de ſes promoteurs qui lui attirèrent cette diſgrâce. On l’a même tout-à-fait défiguré, dans les contrées où il s’eſt maintenu. Quelques pratiques minutieuſes ſont tout ce qui en reſte.

Les côtes, placées au centre, ont conſervé des ſuperſtitions locales, dont l’origine doit être fort ancienne. Elles conſiſtent dans le culte de cette foule innombrable de divinités ou de fétiches que chacun ſe fait à ſa mode & pour ſon uſage, dans la foi aux augures, aux épreuves du feu & de l’eau bouillante, à la vertu des gris-gris. Il y a des ſuperſtitions plus dangereuſes : c’eſt la confiance aveugle qu’on a dans les prêtres qui en ſont les miniſtres & les propagateurs. Le commerce, qu’ils ſont ſupposés avoir avec l’eſprit mal-faiſant, les fait regarder comme les arbitres de la ſtérilité, de la fertilité des campagnes. À ce titre on leur offre toujours les premiers fruits. Toutes les autres erreurs dirigent l’homme vers une fin ſociale, & tendent à le rendre plus doux & plus paiſible.