Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XI/Chapitre 16

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XVI. À quoi ſe réduiſoit anciennement le commerce dans la Guinée.

En Guinée le commerce n’a jamais pu faire une grande révolution dans les mœurs. Il ſe bornoit autrefois à quelques échanges de ſel & de poiſſon séché que conſommoient les nations éloignées de la côte. Elles donnoient en retour des pièces d’étoffe faites d’un fil, qui n’eſt autre choſe qu’une ſubſtance ligneuſe, collée ſous l’écorce d’un arbre particulier à ces climats. L’air la durcit, & la rend propre à toute forte de tiſſure. On en fait des bonnets, des eſpèces d’écharpes, des tabliers pour la ceinture, dont la forme varie ſelon la mode que chaque nation a adoptée. La couleur naturelle du fil eſt le gris lavé. La rosée qui blanchit nos lins, lui donne une couleur de citron que les gens riches préfèrent. La teinte noire qui eſt à l’uſage du peuple, vient de l’écorce même de ce fil, ſimplement infusé dans l’eau.

Les premiers Européens qui fréquentèrent les côtes occidentales de l’Afrique, donnèrent de la valeur à la cire, à l’ivoire, aux gommes, aux bois de teinture, qui avoient eu juſqu’alors aſſez peu de prix. On livroit auſſi en échange à leurs navigateurs quelques foibles parties d’or, que des caravanes parties des états Babareſques enlevoient auparavant. Il venoit de l’intérieur des terres, & principalement de Bambouk, ariſtocratie ſituée ſous le douzième & treizième degrés de latitude ſeptentrionale, & où chaque village eſt gouverné par un chef nommé Farim. Ce riche métal eſt ſi commun dans la contrée, qu’on en peut ramaſſer preſque indifféremment par-tout, en raclant ſeulement la ſuperficie d’une terre argileuſe, légère & mêlée de ſable. Lorſque la mine eſt très-riche, elle eſt fouillée à quelques pieds de profondeur, & jamais plus loin, quoiqu’on ait remarqué qu’elle devenoit plus abondante, à meſure qu’on creuſeit davantage. Les peuples ſont trop pareſſeux pour ſuivre un travail qui deviendront toujours plus fatigant, & trop ignorans pour remédier aux inconvéniens que cette méthode entraîneroit. Leur négligence & leur ineptie ſont pouſſées ſi loin, qu’en lavant l’or pour le détacher de la terre, ils n’en conſervent que les plus groſſes parties. Les moindres s’en vont avec l’eau qui s’écoule par un plan incliné.

Les habitans de Bambouk n’exploitent pas les mines en tout tems, ni quand il leur plaît. Ils ſont obligés d’attendre que des beſoins perſonnels ou publics aient déterminé les Farims à en accorder la permiſſion. Lorſqu’elle eſt annoncée, ceux auxquels il convient d’en profiter, ſe rendent au lieu déſigné. Le travail fini, on fait le partage. La moitié de l’or revient au ſeigneur, & le reſte eſt réparti entre les travailleurs par portions égales. Les citoyens qui déſireroient ces richeſſes dans un autre tems que celui de la fouille générale, les iroient chercher dans le lit des torrens où elles ſont communes.

Pluſieurs Européens cherchèrent à pénétrer dans une région qui contient tant de tréſors Deux ou trois d’entre eux qui avoient réuſſi à s’en approcher, furent impitoyablement repouſſés. M. David, chef des François dans le Sénégal, imagina en 1740 de faire ravager par un prince Foule les bords du Felemé, d’où Bambouk tiroit tous ſes vivres. Ce malheureux pays alloit périr, au milieu de ſes monceaux d’or, lorſque l’auteur de leurs calamités leur fit propoſer de leur envoyer des ſubſiſtances du fort Galam qui n’en eſt éloigné que de quarante lieues, s’ils conſentoient à le recevoir & à permettre aux ſiens d’exploiter leurs mines. Ces conditions furent acceptées, & l’obſervation en fut de nouveau jurée à l’auteur du projet lui-même, qui quatre ans après ſe tranſporta dans ces provinces. Mais le traité n’eut aucune ſuite. Seulement, le ſouvenir des maux qu’on avoit ſoufferts, & de ceux qu’on avoit craints, détermina les peuples à demander des productions à un ſol qui n’avoit été fécond qu’en métaux. Il paroît qu’on a perdu l’or de vue, pour s’occuper uniquement du commerce des eſclaves.