Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XI/Chapitre 29

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XXIX. De la culture du café.

Le cafier, originaire d’Arabie, où la nature avare pour les beſoins eſt prodigue pour le luxe, fut long-tems la plante chérie de cette terre heureuſe. Les tentatives inutiles que firent les Européens, pour en faire germer le fruit, leur firent croire que les habitans du pays le trempoient dans l’eau bouillante ou le faiſoient sécher au four, avant de le vendre, pour conſerver à jamais un commerce, qui faiſoit leur richeſſe principale. On ne fut détrompé de cette opinion que lorſqu’on eut porté l’arbre même à Batavia, & enſuite à l’iſle de Bourbon & à Surinam. L’expérience fît voir qu’il en étoit du cafier comme de beaucoup d’autres plantes, dont la ſemence ne lève point, ſi elle n’eſt miſe en terre toute récente.

Cet arbre, qui ne proſpère que ſous un climat où l’hiver ne ſe fait pas ſentir, a des feuilles liſſes, entières, ovales & aiguës comme celles du laurier ; elles ſont de plus opposées & séparées à leur baſe par une écaille intermédiaire. Les fleurs, diſposées en anneaux, ont une corolle blanche, ſemblable à celle du jaſmin, chargée de cinq étamines, & portées elles-mêmes ſur le piſtil. Celui-ci, renfermé dans un calice à cinq diviſions, devient avec lui une baie d’abord verte, puis rougeâtre, de la groſſeur d’une petite ceriſe, remplie de deux noyaux ou fèves de ſubſtance dure & comme cornée. Ces noyaux, convexes à l’extérieur, aplatis & ſillonnés du côté par lequel ils ſe touchent, donnent, lorſqu’ils ont été rôtis & mis en poudre, une infuſion fort agréable, propre à écarter le ſommeil, & dont l’uſage, ancien dans l’Aſie, s’eſt répandu inſenſiblement dans la plus grande partie du globe.

Le meilleur café, le café le plus cher eſt toujours celui d’Arabie : mais les iſles de l’Amérique & les côtes de ce Nouveau-Monde qui le cultivent depuis le commencement du ſiècle, en fourniſſent infiniment davantage. Il n’y a pas le même degré de bonté par-tout. Celui qui naît dans un ſol favorable, qui croît à l’expoſition du levant, qui jouit de la fraîcheur des rosées & des pluies, qui eſt mûri par une chaleur tempérée : celui-là eſt ſupérieur aux autres.

Les plants du cafier doivent être mis dans des trous de douze à quinze pouces, & à ſix, ſept, huit ou neuf pieds de diſtance, ſuivant la nature du terrein. Naturellement ils s’élèveroient à dix-huit ou vingt-pieds. On les arrête à cinq, pour pouvoir cueillir commodément leur fruit. Ainſi étêtés, ils étendent ſi bien leurs branches qu’elles ſe confondent.

Tantôt cet arbre récompenſe les travaux du cultivateur dès la troiſième année, & tantôt ſeulement à la cinquième ou à la ſixième. Quelquefois il ne produit pas une livre de café, & d’autres fois il en donne juſqu’à trois ou quatre. En quelques endroits, il ne dure que douze ou quinze ans, & en d’autres vingt-cinq ou trente. Ces variations dépendent ſinguliérement du ſol où il eſt placé.

Le café de l’Amérique reſta long-tems dans un état d’imperfection qui l’aviliſſoit. On ne lui accordoit alors aucun ſoin. Cette négligence a diminué peu-à-peu. Ce n’eſt qu’après avoir été bien lavé ; qu’après avoir été dépouillé de ſa gomme ; qu’après avoir reçu toutes les préparations convenables, qu’il eſt aujourd’hui porté au moulin.

Ce moulin eſt composé de deux rouleaux de bois, garnis de lames de fer, longs de dix-huit pouces ſur dix ou douze de diameſſe ; ils ſont mobiles ; & par le mouvement qu’on leur donne, ils s’approchent d’une troiſième pièce immobile qu’on nomme mâchoire. Au-deſſus des rouleaux eſt une trémie dans laquelle on met le café, qui tombant entre les rouleaux & la mâchoire, ſe dépouille de ſa première peau, & ſe diviſe en deux parties dont il eſt composé, comme on le voit par la forme du grain, qui eſt plat d’un côté, & arrondi de l’autre. En ſortant de cette machine, il entre dans un crible de laiton incliné, qui laiſſe paſſer la peau du grain à travers ſes fils, tandis que le fruit gliſſe, & tombe dans des paniers, d’où il eſt tranſporté dans un vaiſſeau plein d’eau, où on le lave, après qu’il y a trempé une nuit. Quand la récolte eſt finie & bien séchée, on remet le café dans une machine qu’on appelle moulin à piler. C’eſt une meule de bois qu’un mulet ou un cheval fait tourner verticalement autour de ſon pivot. En paſſant ſur le café ſec, elle en enlève le parchemin, qui n’eſt autre choſe qu’une pellicule qui s’étoit détachée de la graine, à meſure que le café séchoit. Débarraſſé de ſon parchemin, on le tire de ce moulin, pour être vanné d’un autre, qu’on appelle moulin à van. Cette machine, armée de quatre pièces de fer blanc posées ſur un eſſieu, eſt agitée avec beaucoup de force par un eſclave ; & le vent que font ces plaques nettoie le café de toutes les pellicules qui s’y trouvoient mêlées. Enſuite il eſt porté ſur une table où les nègres en séparent tous les grains caſſés, & les ordures qui pourraient y reſter. Après ces opérations, le café peut ſe vendre.

Son prix fut d’abord médiocre. La paſſion que prit l’Europe entière pour cette boiſſon délicieuſe, en augmenta beaucoup la valeur. Cette raiſon en fît trop vivement pouſſer la culture, après la pacification de 1763. La production ſurpaſſa bientôt la conſommation. Depuis quelques années, tous les planteurs ſont ruinés. Leur ſort ne changera que lorſque l’équilibre ſera rétabli. Il ne nous eſt pas donné de fixer l’époque de cette heureuſe révolution.