Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XI/Chapitre 33

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XXXIII. Avantages des nations qui poſſèdent les iſles de l’Amérique.

L’expérience a changé ſur ce point l’opinion publique. À meſure que ces colonies ont pouſſé leurs cultures, elles ont eu plus de moyens de dépenſer. Ces facultés nouvelles ont ouvert à la patrie principale, des débouchés qui lui étoient inconnus. La maſſe des exportations n’a pas pu augmenter ſans une augmentation de travail. Avec les travaux ſe ſont multipliés les hommes, comme ils ſe multiplieront par-tout où ils trouveront plus de moyens de ſubſiſter. Les étrangers même ſe ſont portés en foule dans des empires qui ouvroient un vaſte champ à leur ambition, à leur induſtrie.

Non-ſeulement la population s’eſt accrue dans les états propriétaires des iſles, mais elle y eſt devenue plus heureuſe. Le bonheur eſt en général le réſultat des commodités ; & il doit être plus grand, à meſure qu’on peut les varier & les étendre. Les iſles ont procuré cet avantage à leurs poſſeſſeurs. Ils ont tiré de ces régions fertiles des productions agréables, dont la conſommation a ajouté à leurs jouiſſances. Ils en ont tiré qui, échangées contre les denrées de leurs voiſins, les ont fait entrer en partage des douceurs des autres climats. De cette manière, les empires que le haſard, le bonheur des circonſtances, ou des vues bien combinées, avoient mis en poſſeſſion des iſles, ſont devenus le séjour des arts & de tous les agrémens, qui ſont une ſuite naturelle & néceſſaire d’une grande abondance.

Ce n’eſt pas tout. Ces colonies ont élevé les nations qui les ont fondées, à une ſupériorité d’influence dans le monde politique ; & voici comment. L’or & l’argent qui forment la circulation générale de l’Europe, viennent du Mexique, du Pérou & du Bréſil. Ils n’appartiennent pas aux Eſpagnols & aux Portugais, mais aux peuples qui donnent leurs marchandiſes en échange de ces métaux. Ces peuples ont entre eux des comptes, qui, en dernier réſultat, vont ſe ſolder à Liſbonne & à Cadix, qu’on peut regarder comme une caiſſe commune & univerſelle, C’eſt-là qu’on doit juger de l’accroiſſement ou de la décadence du commerce de chaque nation. Celle qui eſt en équilibre de vente ou d’achat avec les autres, retire ſon intérêt entier. Celle qui a acheté plus qu’elle n’a vendu, retire moins que ſon intérêt ; parce qu’elle en a cédé une partie, pour s’acquitter avec la nation dont elle étoit débitrice. Celle qui a plus vendu aux autres nations qu’elle n’a acheté d’elles, ne retire pas ſeulement ce qui lui eſt dû par l’Eſpagne & le Portugal, mais encore ce que lui doivent les autres nations avec leſquelles elle a fait des échanges. Ce dernier avantage eſt ſpécialement réſervé aux peuples qui poſſèdent les iſles. Ils voient groſſir annuellement leur numéraire, par la vente des riches productions de ces contrées ; & cette augmentation de numéraire aſſure leur prépondérance, les rend arbitres de la paix & de la guerre. Mais dans quelles proportions chaque nation a-t-elle augmenté ſa puiſſance par la poſſeſſion des iſles ? C’eſt ce qu’on développera dans les livres ſuivans.

Fin du onzième Livre.