Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVI/Chapitre 4

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IV. Les François s’établirent dans le pays arrosé par le Miſſiſſipi, & l’appellent Louyſiane

Entre le fleuve & Penſacole que les Eſpagnols venoient d’élever dans la Floride, eſt une côte d’environ quarante lieues d’étendue, où aucun bâtiment ne peut aborder. Le ſol en eſt ſablonneux & le climat brûlant. On n’y voit que quelques cèdres, quelques pins épars. Dans ce grand eſpace eſt un canton nommé Biloxi. Cette poſition, la plus triſte, la plus ſtérile de ces contrées eſt celle qu’on choiſit pour fixer le petit nombre d’hommes qu’Iberville avoit amenés ſous l’appât des plus grandes eſpérances.

Deux ans après arrive une nouvelle peuplade. On retire la première des ſables arides où elle avoit été jetée, & toutes deux ſont réunies ſur les bords de la Maubile. Cette rivière n’eſt navigable que pour des pirogues ; les terres qu’elle arroſe ne ſont pas fertiles. C’étoient des motifs ſuffiſans pour abandonner l’idée d’un pareil établiſſement. Il n’en fut pas ainſi. On décida que ces déſavantages ſeroient compenfés par la facilité des communications avec les ſauvages voiſins, avec les Eſpagnols, avec les iſles Françoiſes & avec l’Europe. Le port, qui devoit former ces liaiſons, ne tenoit pas au continent. Un haſard heureux ou malheureux l’avoit placé à quelques lieues de la côte, dans une iſle déſerte, ingrate & ſauvage, qu’on décora du grand nom d’iſle Dauphine.

Une colonie, fondée ſur de ſi mauvaiſes baſes, ne pouvoit proſpérer. La mort d’Iberville qui, en 1706, termina ſa carrière devant la Havane, en ſervant glorieuſement ſa patrie dans la marine, acheva d’éteindre le peu d’eſpoir qui reſtoit aux plus crédules. On voyoit la France trop occupée d’une guerre déſaſtreuſe, pour en pouvoir attendre des ſecours. Les habitans ſe croyoient à la veille d’un abandon total ; & ceux qui ſe flattoient de pouvoir trouver ailleurs un aſyle, s’empreſſoient de l’aller chercher. Il ne reſtoit que vingt-huit familles, plus misérables les unes que les autres, lorſqu’on vit avec ſurpriſe Crozat demander en 1712 & obtenir pour quinze ans le commerce excluſif de la Louyſiane.

C’étoit un négociant célèbre, qui, par de vaſtes entrepriſes ſagement combinées, avoit élevé l’édifice d’une fortune immenſe. Il n’avoit pas renoncé à augmenter ſes richeſſes, mais il vouloit que ſes nouveaux projets contribuâſſent à la proſpérité de la monarchie. Une ambition ſi noble tourna ſes regards vers le Miſſiſſipi. Le ſoin d’en défricher le ſol fertile ne l’occupa pas. Son but étoit d’ouvrir par terre & par mer des communications avec l’ancien & le nouveau Mexique, d’y verſer des marchandiſes de toutes les eſpèces, & d’en tirer le plus qu’il pourroit de métaux. La conceſſion qu’il avoit déſirée lui paroiſſoit l’entrepôt naturel & néceſſaire de ſes vaſtes opérations ; & les démarches de ſes agens furent dirigées ſur ce plan magnifique. Mais diverſes tentatives, toutes infructueuſes, l’ayant déſabusé de ſes eſpérances, il ſe dégoûta de ſon privilège & le remit, en 1717, à une compagnie dont le ſuccès étonna toutes les nations.