Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVIII/Chapitre 26

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Texte établi par Jean Léonard Pellet, Jean Léonard Pellet (9p. 150_Ch26-153).

XXVI. Oiſeaux particulier à l’Amérique Septentrionale.

Parmi la multitude d’oiſeaux qui peuplent les forêts de l’Amérique Septentrionale, il en eſt un extrêmement ſingulier ; c’eſt l’oiſeau-mouche, qui tire ſon nom de ſa petiteſſe. Son bec eſt long, pointu comme une aiguille ; ſes pattes n’ont que la groſſeur d’une épingle ordinaire. On voit ſur ſa tête une huppe noire, d’une beauté incomparable. Sa poitrine eſt couleur de roſe, & ſon ventre eſt blanc comme du lait. Un gris bordé d’argent, & nuancé d’un jaune d’or très-brillant, éclate ſur ſon dos, ſur ſes ailes & ſur ſa queue. Le duvet qui règne ſur tout le plumage de cet oiſeau, lui donne un air ſi délicat, qu’il reſſemble à une fleur veloutée, dont la fraîcheur ſe fane au moindre attouchement.

Le printems eſt l’unique ſaiſon de ce charmant oiſeau. Son nid, perché au milieu d’une branche d’arbre, eſt revêtu en-dehors d’une mouſſe griſe & verdâtre, garni en-dedans d’un duvet très-mou, ramaſſé ſur des fleurs jaunes. Ce nid n’a qu’un demi-pouce de profondeur, ſur un pouce environ de diamètre. On n’y trouve jamais que deux œufs, pas plus gros que les plus petits pois. On a ſouvent tenté d’élever les petits de ce léger volatile : mais ils n’ont pu vivre que trois ou quatre ſemaines au plus.

L’oiſeau-mouche ne ſe nourrit que du ſuc des fleurs. Il voltige de l’une à l’autre, comme les abeilles. Quelquefois il ſe plonge dans le calice des plus grandes. Son vol produit un bourdonnement ſemblable à celui d’un rouet à filer. Lorſqu’il eſt las, il ſe repoſe ſur un arbre ou ſur un pieu voiſin ; il y reſte quelques minutes, & revole aux fleurs. Malgré ſa foibleſſe, il ne paroît pas méfiant ; les hommes peuvent s’approcher de lui, juſqu’à huit ou dix pieds.

Croiroit-on qu’un être ſi petit fût méchant, colère & querelleur ? On voit ſouvent ces oiſeaux ſe livrer une guerre acharnée, & des combats opiniâtres. Leurs coups de bec ſont ſi vifs & ſi redoublés, que l’œil ne peut les ſuivre. Leurs ailes s’agitent avec tant de viteſſe, qu’ils paroiſſent immobiles dans les airs. On les entend plus qu’on ne les voit. Ils pouſſent un cri ſemblable à celui du moineau.

L’impatience eſt l’âme de ces petits oiſeaux. Quand ils approchent d’une fleur, s’ils la trouvent fanée & ſans ſuc, ils lui arrachent toutes ſes feuilles. La précipitation de leurs coups de bec, décèle, dit-on, le dépit qui les anime. On voit, ſur la fin de l’été, des milliers de fleurs, que la rage des oiſeaux-mouche a tout-à-fait dépouillées. Cependant on peut douter que cette marque de reſſentiment ne ſoit pas une ſorte de faim, plutôt qu’un inſtinct deſtructeur ſans beſoin.

Tous les êtres ont une eſpèce ennemie. Celle de l’oiſeau-mouche eſt une groſſe araignée très-friande de ſes œufs, contre laquelle il ne les défend pas ſans peine. C’eſt l’épée que le tyran voit toujours ſuſpendue ſur ſa tête.

L’Amérique Septentrionale étoit autrefois dévorée d’inſectes. Comme on n’avoit ni purifié l’air, ni défriché la terre, ni abattu les bois, ni donné de l’écoulement aux eaux, cette matière animée avoit envahi, ſans obſtacle, toutes les productions de la nature, que nul être ne lui diſputoit. Aucune de ces eſpèces n’étoit utile à l’homme. Une ſeule aujourd’hui ſert à ſes beſoins : c’eſt l’abeille. Mais on croit qu’elle a été tranſportée de l’ancien-monde au nouveau. Les ſauvages l’appellent mouche Angloiſe ; on ne la trouve qu’au voiſinage des côtes. Ces indices annoncent une origine étrangère. On voit les abeilles errer dans les forêts en nombreux eſſaims ſur le nouvel hémiſphère. Elles s’y multiplient tous les jours. Leur miel s’emploie à différens uſages. Beaucoup de gens en font leur nourriture. La cire devient, de jour en jour, une branche conſidérable de commerce.