Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVIII/Chapitre 36

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Texte établi par Jean Léonard Pellet, Jean Léonard Pellet (9p. 210_Ch36-212_Ch37).

XXXVI. Monnoies qui ont eu cours dans les colonies Angloiſes de l’Amérique Septentrionale.

À la naiſſance des colonies, les eſpèces y avoient la même valeur que dans la métropole. Leur rareté les fit bientôt hauſſer d’un tiers. Cet inconvénient ne fut pas réparé par l’abondance des eſpèces qui venoient des colonies Eſpagnoles, parce qu’on étoit obligé de les faire paſſer en Angleterre, pour y payer les marchandiſes dont on avoit beſoin. C’étoit un gouffre qui tariſſoit la circulation dans les colonies. Il falloit pourtant un moyen d’échange. À l’exception de la Virginie toutes les provinces le cherchèrent dans la création d’un papier-monnoie.

L’uſage qu’en firent les divers gouvernemens fut d’abord aſſez modéré. Mais les brouilleries avec les ſauvages ſe multiplièrent : mais on eut des guerres contre le Canada : mais des eſprits ardens formèrent des projets compliqués & vaſtes : mais le tréſor public fut confié à des mains rapaces ou peu exercées. Alors cette reſſource fut pouſſée plus loin qu’il ne convenoit. Inutilement, il fut créé, dans les premiers tems, des impôts pour payer l’intérêt des obligations, pour retirer, à des époques convenues, les obligations elles-mêmes. De nouveaux beſoins occaſionnèrent de nouvelles dettes. Les engagemens furent pouſſés preſque généralement au-delà de tous les excès. Dans la Penſilvanie ſeule, les billets d’état conſervèrent, ſans interruption leur valeur entière. Leur réputation fut altérée dans deux ou trois autres colonies, ſans y être tout-à-fait détruite. Mais dans les deux Carolines & dans les quatre provinces qui forment ce qu’on appelle plus particulièrement la Nouvelle-Angleterre, ils ſe trouvèrent tellement avilis par leur abondance, qu’ils n’y avoient plus de cours à aucun prix. Maſſachuſet, qui avoit pris l’Iſle-Royale ſur la France, reçut de la métropole en dédommagement 4 050 000 liv. Avec ce numéraire, il retira de ſon papier une ſomme douze fois plus forte ; & ceux qui reçurent l’argent crurent avoir fait un très-bon marché. Le parlement, qui voyoit le déſordre, fit quelques efforts pour y remédier. Jamais ces meſures ne réuſſirent que très-imparfaitement. Une combinaiſon plus efficace, que toutes celles qu’une politique bonne ou mauvaiſe enfanta, auroit été, ſans doute, de briſer les fers qui enchaînoient l’induſtrie intérieure, le commerce extérieur de tant de grands établiſſeniens.