Histoire politique des États-Unis/Tome 1/Leçon 9

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Charpentier (1p. 209-240).
NEUVIÈME LEÇON.
suite de l’histoire des colonies de la nouvelle-angleterre.
4. connecticut, new-haven (suite).
Messieurs,

Nous avons commencé l’histoire des plantations de New-Haven et de Connecticut ; il nous reste quelques mots à dire pour terminer ce qui nous intéresse dans les annales de cette dernière colonie.

Après la restauration de Charles II, la colonie de Connecticut, inquiète de la validité de son titre, députa vers le roi le jeune Winthrop, fils de l’ancien gouverneur du Massachussets. Il était chargé de déclarer au nouveau roi que les planteurs avaient préféré se passer de charte plutôt que d’implorer un prince illégitime. Grâce à cette déclaration de loyalisme, et grâce au zèle qu’il déploya dans cette affaire, Winthrop obtint, en avril 1662, une charte de territoire et de gouvernement.

Cet acte, dont les dispositions libérales furent dictées, comme pour Rhode-Island, moins par une bienveillance particulière que par la jalousie qu’inspiraient à la royauté les puritains du Massachussets (en ce moment même on essayait en vain de les soumettre), cet acte concédait les privilèges les plus larges, et confirmait pleinement le régime démocratique, tranchons le mot, la république établie par les émigrants.

La forme de gouvernement était celle des autres colonies de la Nouvelle-Angleterre : gouverneur, assistants, assemblée, élus par le suffrage universel des freemen[1]. C’est un système qui maintenant nous est familier. Mais ce qui donne à la charte du Connecticut un caractère particulier, c’est que la métropole ne s’y réservait pas même un droit de surveillance.

La charte donnait aux colons un pouvoir absolu pour se gouverner eux-mêmes. La nomination du gouverneur et des assistants, qui, dans les provinces royales, appartenait au souverain, comme nous l’avons vu pour la Virginie, fut abandonnée aux planteurs du Connecticut. On leur reconnaissait le droit d’élire leurs officiers, d’établir les lois qui leur convenaient, de rendre la justice sans appel au roi d’Angleterre ; en d’autres termes le roi concédait aux habitants la suprême autorité législative, administrative et judiciaire.

Loin de garder un veto sur les actes de la colonie, Charles II n’avait pas même exigé qu’on lui soumît les lois rendues par la cour générale ; nulle réserve n’était faite pour autoriser en quelques circonstances l’intervention du gouvernement.

Il ne faut pas, du reste, s’y tromper : si Charles II s’était montré si libéral, ou, pour mieux dire, si prodigue, c’était moins par dessein prémédité que par indifférence pour une poignée d’hommes établis par delà les mers. Le roi, comme Clarendon son ministre, avaient cru beaucoup moins favoriser un État naissant que protéger une simple corporation.

La charte se taisait sur la religion, c’est-à-dire qu’en laissant tout pouvoir à la colonie, elle autorisait tacitement toutes les exclusions, toutes les jalousies puritaines.

Personne en effet ne pouvait établir une église dans le Connecticut sans l’aveu de la cour générale et l’approbation des églises voisines. Les dissidents n’avaient aucun droit à la protection des lois ; les quakers, les adamites et autres hérétiques notoires (ce sont les termes de la loi}, devaient être emprisonnés ou chassés de la colonie par l’ordre du gouverneur et des assistants. Le zèle et l’intolérance ne cessèrent que lorsque la liberté de conscience, passant les mers, fut introduite dans les colonies par la métropole. Ce fut un statut célèbre de la première année du règne de Guillaume et de Marie qui mit fin à cet odieux esprit d’exclusion.

Jacques II, dans sa croisade contre les chartes coloniales, attaqua la patente que son frère avait accordée au Connecticut. En 1687, sir Edmond Andros, gouverneur de New-York, célèbre dans l’histoire de l’Amérique par la triste mission dont il fut chargé, vint à Hartford, la capitale du Connecticut, et au nom de la couronne déclara le gouvernement dissous. À cette époque, on attachait une importance extrême aux chartes, comme s’il y avait dans ces parchemins, dans le sceau qui les consacrait, on ne sait quelle vertu mystérieuse qui subsistait encore après la révocation de l’acte. « Une donation royale, sous le grand sceau, est la plus grande sûreté qu’on puisse avoir dans les affaires humaines, » disait en 1664 le Massachussets défendant sa liberté contre les prétentions de Charles II[2]. Andros demanda donc que la charte lui fût remise ; elle fut apportée par le gouverneur, qui, en présence des planteurs, plaida longtemps pour cet acte précieux, consacré par le sang des martyrs ( c’était sans doute des victimes des Indiens qu’il parlait), et qui avait valu à la colonie des jours d’alcyons. Le soir vint pendant ce discours ; une troupe nombreuse des rudes fermiers du Connecticut suivait avec des yeux inquiets le talisman qu’on allait lui ravir ; tout à coup les lumières s’éteignent, et dans le premier moment de tumulte, la charte est enlevée et cachée dans le creux d’un chêne plus vieux que la colonie, et qu’aujourd’hui encore on montre avec respect.

Andros se fit apporter les registres de la plantation, et de sa main écrivit, après le dernier procès-verbal, le mot finis, mais à la révolution de 1688 le Connecticut reprit sa charte et son gouvernement. Les successeurs des Stuarts le souffrirent en silence, et, comme Rhode-Island, la colonie garda la constitution que lui avait donnée Charles II, non-seulement jusqu’à la révolution de 1776, mais longtemps après la victoire. C’est seulement en 1818 qu’on modifia légèrement cet acte qui, dès 1662, avait accordé au Connecticut tous les privilèges de la souveraineté, tous les droits d’une république, et encore a-t-on douté si la démocratie n’avait pas perdu à ce remaniement.

5. new-hampshire, maine.

Pour compléter l’histoire de la colonisation de la Nouvelle-Angleterre, il nous reste à parler des deux provinces de New-Hampshire et de Maine ; c’est un récit de peu d’intérêt, mais indispensable pour achever nos connaissances en ce point.

Ces deux établissements se sont formés sous une double influence, et en quelque façon par un double courant d’émigration. D’une part il y a eu concession faite par le roi à de grands propriétaires, qui entreprenaient à leurs frais la colonisation, en tirant d’Angleterre des gens que l’intérêt et non la religion poussait au delà des mers, et qui pour la plupart appartenaient à l’Église établie. D’autre part, il y a eu des essaims d’émigrants qui sont sortis du Massachussets pour occuper librement ces territoires déserts, et y fonder des communautés indépendantes, communautés qui, plus tard, en se réunissant, se sont rattachées à la grande colonie puritaine, dont elles propageaient les croyances, les lois et les mœurs.

Cette seconde émigration, plus considérable que la première, a donné à ces provinces leur véritable caractère, et a décidé ainsi de leur destinée ; elles ont toujours été des appendices, des satellites de Boston, des membres de la Nouvelle-Angleterre.

Voici en peu de mots l’histoire des concessions du New-Hampshire et du Maine :

En parlant de la première plantation du Massachussets, nous avons dit que le grand conseil de Plymouth, après quelques essais infructueux de colonisation, avait fait argent de sa patente, en vendant des territoires. Parmi ceux qui se présentèrent pour entreprendre ces expéditions chanceuses, deux des plus persévérants furent le capitaine Mason et Sir Ferdinando Gorges, tous deux membres du grand conseil de Plymouth. Réunis avec d’autres associés, sous le titre de compagnie de Laconia (c’était le nom qu’on avait donné au nouveau territoire), ils essayèrent, dès 1622, d’un premier établissement ; les villes de Dover, Bristol, Portsmouth, furent ainsi fondées par des émigrants appartenant à l’Église établie, et à ce titre mal vues des puritains du voisinage.

En 1635, le grand conseil partagea la province de Laconia entre Gorges et Mason. On attribua au premier la partie située à l’est de la rivière Piscataqua, et qui, dans la langue du pays, s’appelait Sagadahoc, ; c’est ce qu’on a nommé plus tard le Maine, en l’honneur de la reine Henriette[3], fille de Henri IV, femme de Charles Ier. L’ouest du pays fut accordé à Mason, qui l’appela New-Hampshire, du nom du comté qu’il habitait en Angleterre.

Mason mourut dès la première année de l’entreprise, et sa veuve, hors d’état de continuer une affaire coûteuse et difficile, abandonna l’établissement aux ouvriers qui avaient suivi son mari en Amérique. Dès lors, ni roi, ni propriétaires, ne s’inquiétèrent, au moins pour quelque temps, du New-Hampshire, qui fut abandonné au premier occupant.

Ce fut du Massachussets que vinrent les émigrants. À la suite de la querelle et de l’exil des antinomiens, un des sectateurs les plus ardents d’Anne Hutchinson, John Wheelwrigt, acheta des Indiens une étendue de terre considérable, sur laquelle il fonda la ville d’Exeter. C’était une petite république de plus dans le désert, établie, comme ses sœurs, par un contrat mutuel entre les premiers habitants.

De nouvelles communautés indépendantes se fixèrent bientôt sur ce territoire sans maître, chacune d’elles se gouvernant selon ses lois particulières ; mais comme elles se trouvaient trop faibles pour résister aux Indiens, ou pour se défendre contre les prétentions possibles du premier concessionnaire, elles demandèrent leur annexion à la colonie de Massachussets, qui du reste, en vertu de sa charte assez mal définie, se prétendait légitime souveraine du New-Hampshire.

Cette offre fut acceptée, mais après mûre délibération ; et en effet il y avait une difficulté sérieuse, c’était la différence des religions. Le système exclusif du Massachussets n’était point de mise pour un pays où l’on trouvait des puritains, des anglicans et des sectaires. Enfin, en 1642, la cour générale décida l’incorporation du New-Hampshire au Massachussets, mais avec cette réserve qu’on n’exigerait ni des électeurs, ni des députés du New-Hampshire, d’appartenir à l’Église puritaine. Ainsi fut établie l’union, quoique la différence d’origine distinguât longtemps les deux provinces.

Cette annexion amena entre la colonie et les héritiers de Mason d’interminables procès qui pour nous n’ont aucun intérêt. Tout ce qu’il nous importe de savoir, c’est qu’en 1679 Charles II, qui voulait raviver les droits des propriétaires du New-Hampshire et du Maine, pour faire rentrer la colonie sous sa suzeraineté, et favoriser, dit-on, un projet du duc de Monmouth[4], sépara le New-Hampshire du Massachussets, et en même temps décida que la concession faite à Mason ne comprenant pas le droit de souveraineté, c’est à la couronne qu’appartiendrait désormais le gouvernement de la colonie.

New-Hampshire devint donc province royale. Ce fut la première qu’on établit dans la Nouvelle-Angleterre, et elle garda ce caractère jusqu’à la révolution de 1776. C’était le roi qui nommait le président et le conseil chargés du pouvoir exécutif. Quant au pouvoir législatif, il était exercé par le président, le conseil, et un certain nombre de représentants élus par la colonie. Du reste, l’action de la royauté était faible, car les lois votées et les taxes imposées par l’assemblée, avaient pleine vigueur tant que le roi ne les avait point changées ou annulées ; et à Londres on fut bien longtemps avant de s’occuper des plantations. Leur obscurité même faisait leur liberté.

Je ne dis rien de la législation ni des usages du New-Hampshire ; le fort de la population était puritain ; c’était donc le même esprit, les mêmes coutumes, les mêmes institutions qu’au Massachussets. Quand le pays devint province royale, le premier acte de l’assemblée nouvelle fut de voter des remercîments au Massachussets, et de lui demander des prières pour des frères séparés de leurs frères ; le second fut une déclaration de droits qui fut rejetée en Angleterre comme inconvenante et absurde, car le premier article portait cette assertion toute républicaine :

« Nul acte, loi ou ordonnance ne seront validés sinon qu’ils soient faits par l’assemblée et approuvés par le peuple. »

La seule différence qu’il y eût entre le New-Hampshire et l’État dont il était sorti, fut tout à l’avantage de la colonie royale. La liberté de conscience y fut accordée à tous les habitants. On n’excepta que les catholiques ; c’étaient les moins redoutables de tous les dissidents, mais l’Église d’Angleterre les poursuivait de cette haine toute particulière qui anime l’usurpateur contre l’héritier légitime, et comme si elle redoutait un voisinage qui eût trahi la ressemblance des deux communions.

L’histoire du Maine est à peu près celle du New-Hampshire.

Tandis que, sur la demande du grand conseil de Plymouth, le roi concédait à Mason le territoire de la première colonie, il créait sir Ferdinando Gorges lord palatin de la province de Maine, avec tous les pouvoirs, juridiction et droits royaux appartenant à l’évêque du comté palatin de Durham. La charte était faite sur le modèle commun, mais elle réservait la suzeraineté de la couronne, et stipulait expressément en faveur de l’Église anglicane.

Sir Ferdinando Gorges envoya son neveu Thomas Gorges prendre la direction de la colonie ; et en 1640 on tint une cour générale à Saco, sous les auspices du lord propriétaire, qui avait dressé un plan de gouvernement complet sur papier, avec des députés et des conseillers, un trésorier, des chanceliers, tout l’appareil d’un empire pour une poignée de paysans ! La même année, un bourg de trois cents habitants devint la ville de Georgiana[5], et on lui donna toujours sur le papier l’organisation de Londres : maire, aldermen, cour de chancellerie, sergents, huissiers, et le reste. Il eût fallu plus d’un siècle, et une émigration qui n’existait pas, pour réaliser cette imagination d’un vieillard. La guerre civile ruina bientôt les derniers projets de cet infatigable promoteur de la colonisation américaine. Fait prisonnier en 1645, à la reddition de Bristol aux troupes parlementaires, sir Ferdinand mourut peu après, ne laissant à son héritier que des procès sans nombre avec d’autres concessionnaires, et surtout avec un adversaire redoutable, le Massachussets.

En 1652, cette colonie réclama la plus grande partie du territoire du Maine, comme étant compris dans les limites de sa patente, et elle établit son empire sur l’État naissant, malgré la protestation du gouverneur, et la résistance d’une partie des habitants.

En 1665, après la restauration, les commissaires envoyés par Charles II dans la Nouvelle-Angleterre déclarèrent que le roi prenait le Maine sous sa protection, et instituèrent une administration provisoire ; mais à peine avaient-ils quitté l’État, que les puritains du Massachussets, soutenus dans la colonie par une minorité résolue, rétablirent leur autorité par la force des armes.

On fit alors revivre en Angleterre le droit du premier propriétaire, et à la requête de Ferdinando Gorges, petit-fils du fondateur de la colonie, la province de Massachussets fut citée devant le roi. Les droits de Gorges furent formellement reconnus ; mais les puritains n’entendaient point se dessaisir du Maine, et leurs agents avaient reçu l’ordre de traiter avec sir Ferdinando dans le cas où la décision lui serait favorable. Ces agents saisirent habilement l’occasion, et achetèrent les droits du propriétaire pour la somme insignifiante de douze cent cinquante livres sterling (trente mille francs). Ce fut une vive contrariété pour les habitants du Maine ; ce ne fut pas un moins grand déplaisir pour le roi. Il avait rêvé qu’avec le Maine et le New-Hampshire on pourrait faire un apanage et presque un empire américain pour le duc de Monmouth son fils naturel[6], ce prince qu’une folle ambition conduisit à l’échafaud.

Après cet achat, le Massachussets, laissant de côté ses anciennes prétentions, et agissant désormais comme cessionnaire du propriétaire primitif, comme seigneur féodal, établit une administration séparée pour le Maine, qui jusque-là avait été considéré comme un district, une portion de l’État. Le Massachussets fut le souverain du Maine comme avant 1789 Berne était le souverain de Vaud. Ce furent les puritains qui nommèrent le président et le conseil, comme eût fait le roi ou le seigneur ; les habitants eurent seulement le droit d’élire l’assemblée générale.

En 1691, quand sous l’empire d’une charte nouvelle le Massachussets devint province royale, le Maine ne fut plus qu’un comté de la province. Après la conquête de l’indépendance, il est resté partie du Massachussets, quoique les anciens souvenirs ne fussent pas éteints, et enfin, en 1820, il est redevenu un État séparé.

Nous en avons fini avec ces faits peu intéressants qui entourent le berceau des colonies de l’est. Il ne nous reste plus, pour achever l’histoire de la Nouvelle-Angleterre, qu’à conduire le Massachussets jusqu’à la révolution de 1688. Nous l’avons laissé de côté pour suivre cet essaim de colonies qui sortit de son sein.

Mais, avant de rentrer dans cette étude particulière, constatons le résultat de nos recherches : c’est que toutes ces colonies, animées d’un même esprit, soutenues par une même croyance, élevées dans les mêmes idées, dévouées aux mêmes institutions, forment bien réellement un peuple d’un caractère prononcé et d’une physionomie distincte. Malgré des nuances dans le gouvernement, c’était bien une seule et même race qui habitait toute la Nouvelle-Angleterre. Partout nous avons trouvé ces puritains jaloux de leur religion et de leur liberté, esclaves de la coutume, indépendants de l’autorité, habitués dès le premier jour à se gouverner eux-mêmes, n’attendant rien de la mère patrie, et se défiant même de sa protection ; en somme un peuple tout républicain par ses mœurs et ses institutions, plus d’un siècle avant que le nom même de république fût prononcé.

S’il fallait une preuve de l’unité de la Nouvelle-Angleterre, et en même temps de cet esprit d’indépendance qui en faisait dès le premier jour une nation à part, et ne tenant à la mère patrie que par un lien plus nominal que réel, on la trouverait dans ce fait bien remarquable d’une Union des colonies puritaines dès l’année 1643[7].

En 1637, après la victoire remportée sur les Indiens Pequods, qui disputaient aux émigrants le sol du Connecticut, les magistrats et les anciens de cette colonie naissante, réunis en synode à Boston, avaient parlé d’une confédération. C’était une idée qui était familière aux puritains, car la Hollande, d’où étaient sortis les premiers pèlerins, était à cette époque un objet d’études et d’admiration comme Église et comme État. L’absence des députés de New-Plymouth fit ajourner ce projet. Il fut repris l’année suivante, mais les députés du Connecticut, offusqués de certaines prééminences que réclamait le Massachussets, insistèrent pour qu’on accordât à chacune des colonies un veto sur les décisions prises par la confédération. On s’y refusa, car il était évident qu’avec cette réserve on n’arriverait à rien.

Il est curieux de voir qu’à cette époque la jalousie d’un petit État amena les mêmes obstacles que la constitution devait rencontrer un siècle et demi plus tard. On sait que l’opposition des petits États manqua de tout faire échouer en 1787, et qu’on ne put parvenir à un résultat durable qu’en donnant dans le sénat une représentation égale à chacun des États, sans égard à la population ni à la richesse. C’était le même esprit d’indépendance toujours vivant, toujours inquiet, et qui encore aujourd’hui n’a rien perdu de son énergie, après que soixante ans d’expérience ont prouvé les bienfaits du gouvernement central.

Le voisinage inquiétant de la colonie hollandaise des bords de l’Hudson décida bientôt les planteurs du Connecticut à renouer des projets d’alliance avec le Massachussets, seule province assez puissante pour résister à des rivaux menaçants ; et en 1663, les colonies unies de la Nouvelle-Angleterre (c’est le nom qu’elles prirent) devinrent toutes comme une seule et même colonie, suivant l’expression d’un contemporain.

Résister aux empiétements des Hollandais et des Français, arrêter les invasions des sauvages, maintenir dans toute leur pureté et toute leur étendue les libertés de l’Évangile, tels furent les motifs d’une confédération qui dura près d’un demi-siècle, et qui, alors même qu’elle fut détruite en 1686, à la confiscation des chartes coloniales, laissa après elle un grand souvenir et l’espoir d’une nouvelle et plus solide union.

Cette confédération comprenait le Massachussets, New-Plymouth, le Connecticut et New-Haven ; mais, faite dans un intérêt général, elle ne touchait en rien à la souveraineté locale ; les droits des États étant reconnus il y a deux cents ans comme aujourd’hui.

Les affaires de l’Union étaient remises à une commission de deux membres pour chaque colonie ; Massachussets, qui à lui seul était supérieur à tous les autres États en territoire, en population, en richesse, n’avait pas un plus grand nombre de votes que la communauté naissante de New-Haven. Être membre de l’église puritaine était la seule condition requise pour être élu. Les commissaires, qui devaient se réunir une fois par an, ou plus souvent si les circonstances l’exigeaient, avaient droit de délibérer sur tout ce qui intéressait la confédération. Les questions de paix ou de guerre, et surtout les affaires indiennes, étaient de leur ressort exclusif ; en outre on les chargeait de faire rendre bonne et prompte justice à tout membre de la confédération, en quelque lieu qu’il se trouvât. Ils pouvaient aussi s’occuper des améliorations d’un intérêt général, et on répartissait les dépenses communes suivant le chiffre de la population[8].

Toutefois il faut bien le remarquer (et nous retrouverons le même défaut dans la première organisation fédérale), ces commissaires n’étaient qu’un corps délibérant ; ils n’avaient point d’action, et s’ils pouvaient décréter la guerre, c’était aux États seuls qu’il appartenait de donner la vie à cette décision.

Dans l’acte d’union, il y avait une réserve faite par les nouveaux membres qui désireraient entrer dans la confédération, mais cette clause fut sans effet. Les colons du New-Hampshire et du Maine ne furent point admis, parce qu’ils suivaient une voie différente de celle des puritains, aussi bien dans le ministère que dans l’administration civile. La requête de Rhode-Island fut rejetée parce que Plymouth réclamait cette petite province, comme étant comprise dans sa patente et sujette à sa juridiction.

Cette confédération se maintint malgré la jalousie du parlement, fut favorisée par Cromwell, et tolérée par les Stuarts, qui n’y virent sans doute qu’un moyen de défense contre les attaques extérieures ou les surprises des Indiens, et de fait c’était bien là le principal objet. Les colonies, d’ailleurs, étaient si faiblement peuplées, que leur union ne pouvait inquiéter l’Angleterre, trop occupée de la guerre civile pour songer aux affaires du dehors. On estime qu’en 1641, au moment de la réunion du long parlement, le nombre d’émigrants passés en Amérique ne dépassait pas vingt-quatre mille personnes. C’en était assez cependant pour exciter la jalousie de l’évêque Laud et de l’Église épiscopale, et en 1637 ils obtinrent un ordre du roi qui défendit l’émigration des puritains.

On ne parlerait pas de cette défense, qui ne dura que quelques jours, si elle ne donnait l’occasion de mettre en garde contre une erreur historique généralement reçue, et qui cependant n’a aucun fondement. On voit partout que Cromwell et Hampden faisaient partie d’un convoi d’émigrants qui se rendait en Amérique, que la proclamation de 1637 les arrêta déjà embarqués dans le port, et qu’ainsi le malheureux roi retint ses ennemis au moment même où il allait en être délivré pour jamais.

La vérité est, et Bancroft l’a démontré suffisamment, qu’il n’existe pas la moindre preuve que Hampden et Cromwell fussent parmi les passagers qu’on arrêta quelques jours dans la Tamise ; et d’ailleurs si Cromwell eût voulu s’exiler, quelle difficulté légale eût arrêté cet homme qui avait pris pour devise nulla vestigia retrorsum, et qu’on n’effrayait pas aisément ?

Ce qui est vrai, c’est que Charles Ier, inquiet de cette émigration d’hommes unis par la foi et par un amour de l’indépendance religieuse et politique poussé jusqu’au fanatisme, avait attaqué la charte du Massachussets, et commencé un procès pour en obtenir la révocation. Ce qui est vrai aussi, et bien remarquable, c’est que cette poignée d’hommes, se confiant dans son éloignement, et remarquant en style biblique que David exilé pouvait parler plus librement à Saül à cause du vaste espace qui les séparait, repoussait en termes menaçants les prétentions du roi.

La révocation de la charte, c’était, disaient-ils, un manque de foi gros de malheurs pour eux et leurs voisins. En décourageant tout esprit d’entreprise à l’avenir, cet acte fortifierait d’autant les plantations des Français et des Hollandais. « Enfin, ajoutaient-ils, si la charte nous est enlevée, les peuples comprendront que Sa Majesté les a rejetés, et que désormais ils sont affranchis de toute fidélité et de toute sujétion ; ils s’uniront sous un nouveau gouvernement, pour leur salut et leur subsistance commune, ce qui sera d’un dangereux exemple pour les autres plantations, et périlleux pour nous qui encourrons le déplaisir de Sa Majesté. »

La révolution, faite au profit des puritains, mit fin aux inquiétudes de la colonie. Le Massachussets comptait assez d’amis dans le long parlement pour qu’on l’encourageât à s’assurer de nouveaux privilèges ; mais la crainte de compromettre l’indépendance de la plantation rendit ses magistrats méfiants, et, avec une sagesse et une prudence extrême, ils ne voulurent point sortir de l’obscurité qui les protégeait.

« Après la grande liberté que le roi a laissée au parlement, écrivait Winthrop[9], quelques-uns de nos amis nous ont offert de solliciter pour nous auprès du parlement, nous donnant l’espoir d’obtenir beaucoup. Mais en y réfléchissant, nous avons décliné leur offre, par cette considération qu’en nous rangeant sous la protection du parlement, nous nous soumettons ainsi à toutes les lois qu’il pourra faire, et tout au moins à toutes celles qu’il lui plaira de nous imposer. Cela pourrait nous devenir très-préjudiciable. »

Cette opinion du premier magistrat de la colonie est remarquable, car, ainsi qu’on le verra, la cause principale de la révolution des colonies fut l’indépendance qu’elles prétendaient à l’égard du parlement.

Les puritains ne se montrèrent pas moins jaloux de leur liberté religieuse, et quand des lettres d’Angleterre invitèrent les églises coloniales à envoyer des députés au synode de Westminster, la même sagacité leur fit décliner la proposition. Hooker lui-même, le fondateur de Hartford, déclara qu’il n’aimait pas le bruit, et qu’il préférait rester tranquille et obscur avec son peuple du Connecticut plutôt que d’aller en Europe faire de la propagande en faveur des indépendants. Tout ce qu’accepta le Massachussets, ce fut quelque franchise commerciale.

Cette modération, inspirée par la défiance, tenait au fond même des idées américaines. Les puritains du Massachussets se considéraient comme unis à la métropole, par un lien pareil à celui qui rattachait les villes hanséatiques à l’Empire ; c’était un état de subordination plus nominal que réel. L’Amérique (c’était une de leurs comparaisons ) dépendait de la mère patrie, comme le duché de Normandie, quand il était possédé par le roi d’Angleterre, dépendait autrefois du roi de France. Ils se croyaient si bien indépendants, qu’en 1652 ils frappèrent monnaie à Boston, au nom de la province, ce qui a toujours été considéré comme une des prérogatives de la souveraineté.

Cependant, l’esprit d’intolérance compromit la souveraineté qu’affectait la colonie ; les dissidents exclus du gouvernement en appelèrent au parlement qui d’abord se montra favorable à leur demande. Les planteurs résistèrent avec une énergie nouvelle à une prétention qui menaçait leur indépendance. « Si le parlement d’Angleterre, disait Edmond Winslow, l’agent de la colonie à Londres, peut nous imposer des lois, à nous qui n’avons pas de représentants dans la chambre des communes, et qu’on ne peut y appeler à cause de l’éloignement, nous perdrons les libertés et les franchises des Anglais. »

Voici, du reste, leur lettre au parlement ; elle est d’un ton qui contraste avec la réponse rude et sévère qu’ils avaient adressée à Charles Ier ; mais elle contient plus d’un enseignement. C’est un avis pour nous, qui tenons toujours à ce gouvernement à distance, quoiqu’il ait empêché la fortune de nos anciennes colonies, quoiqu’il entrave encore la prospérité de l’Algérie.

« Un ordre venu d’Angleterre, disent-ils[10], est préjudiciable aux libertés que nous donne notre charte, et à notre prospérité dans cette partie reculée du monde. Les temps peuvent changer, car toutes choses ici-bas sont passagères, et il peut s’élever d’autres princes et d’autres parlements. Ne donnez pas aux générations qui viennent l’occasion de se plaindre, et de dire : « L’Angleterre a envoyé nos pères avec d’heureuses libertés dont ils ont joui pendant plusieurs années, nonobstant l’inimitié de l’épiscopat et d’autres puissants adversaires, et cependant ces libertés ont été perdues au moment où l’Angleterre même a reconquis la sienne. » Nous avons surmonté les dangers de la mer, périrons-nous dans le port ?

« Nous n’avons pas admis d’appel à votre autorité, persuadés que l’appel est incompatible avec la liberté et les droits que nous donne notre charte, et qu’il serait destructif de tout gouvernement. Ces considérations ne sont pas nouvelles pour la haute cour du parlement ; ses registres témoignent de la sagesse et de la constance de nos ancêtres dans ce grand conseil. Dans un temps de ténèbres, alors qu’on reconnaissait la suprématie des évêques de Rome, on voit cependant nos parlements défendre les appels à Rome dans toutes les affaires ecclésiastiques.

« La sagesse et l’expérience de ce grand conseil, le parlement d’Angleterre, le rendent sans doute bien plus capable de prescrire des règles de gouvernement, et de juger des affaires, que ne peuvent le faire de pauvres paysans tels qu’en nourrit un désert ; mais la vaste distance qui sépare l’Angleterre de ce pays détruit l’effet des plus puissantes influences. Vos avis, vos jugements ne peuvent être assez bien calculés, ou appliqués assez à propos pour nous être utiles, ou pour vous être un titre au grand jour du jugement. Si au contraire il nous arrive quelque erreur pendant que nous avons le gouvernement dans nos mains, l’État d’Angleterre n’en répondra pas.

« Continuez votre faveur à ces plantations naissantes, faites que nous puissions nous réjouir encore et bénir notre Dieu sous votre ombre, que nous puissions encore être nourris de la chaleur et de la rosée du ciel. Confirmez nos libertés, découragez nos ennemis, qui troublent notre paix sous le prétexte de notre injustice. Un témoignage gracieux de votre faveur nous obligera nous et notre postérité. »

La colonie trouva un défenseur dans Henri Vane, qu’elle avait assez maltraité dans la querelle des antinomiens ; et le parlement, qui regardait la république de Massachussets comme un modèle, rejeta l’appel des dissidents.

Cromwell se montra très-favorable aux planteurs de la Nouvelle-Angleterre ; c’étaient des coreligionnaires qui avaient droit à toute son affection, et avec lesquels il entretint une correspondance suivie. Deux fois il eut la singulière idée de leur faire quitter la colonie pour les établir dans une meilleure condition ; une première fois pour les placer en Irlande, d’où il voulait chasser toute la population celtique ; une seconde fois, après la conquête de la Jamaïque, pour leur partager ce beau domaine. « Le peuple de Dieu, disait-il, doit être, suivant la promesse divine, non pas à la queue mais à la tête des nations. » On a la réponse de la cour générale de Boston, en date du 24 octobre 650 ; les puritains refusèrent cette proposition séduisante, estimant le gouvernement qu’ils s’étaient donné le plus sage et le plus heureux qui fût au monde[11].

La restauration regarda de façon différente ces colonies peuplées de puritains ; elle avait peu de goût pour ces hommes âpres et fiers qui avaient tué le roi et fondé la république. Les prétentions d’indépendance furent mal accueillies et par les cours de justice et par le parlement, dont l’autorité et l’ambition grandissaient chaque jour. La cour de Westminster déclara que, selon la constitution et la loi commune, les plantations étaient subordonnées au parlement, et liées par ses actes, soit qu’on les nommât dans la loi, soit qu’elles y fussent désignées implicitement. C’est sur ce précédent que s’appuya lord North pour imposer aux colonies les droits qui amenèrent la révolution de 1776. Quant au parlement, l’acte de navigation qu’il confirma et développa sous Charles II ne fut pas moins défavorable à la Nouvelle-Angleterre qu’à la Virginie.

Ce fut alors que l’assemblée du Massachussets, menacée des appels à la métropole, publia en 1661 une déclaration de droits où elle établissait que :

« Les libertés que la colonie tient de Dieu et de la charte sont de nommer elle-même le gouverneur[12], le lieutenant gouverneur, et les représentants ; c’est encore d’admettre des freemen aux conditions qu’il lui plaît de fixer ; d’établir toutes sortes d’officiers supérieurs et inférieurs, et de déterminer leur pouvoir et leur rang ; d’exercer par des magistrats et des députés annuellement élus toute autorité législative, exécutive et judiciaire ; de se défendre par la force des armes contre toute agression, et de rejeter, comme une infraction de ses droits, toute mesure ordonnée par le parlement ou le roi qui serait préjudiciable au pays, et contraire à un acte régulier de la législation coloniale. » C’était l’acte de navigation contre lequel la plantation protestait avec tant d’énergie.

Ainsi, les devoirs de la colonie envers la métropole étaient réduits à un petit nombre de points qui ne conféraient ni profit ni puissance au souverain.

En 1664, quand Charles II envoya une expédition contre la colonie hollandaise des bords de l’Hudson, il y joignit quatre commissaires chargés d’examiner comment avaient été exécutées les chartes de la Nouvelle-Angleterre, avec « pleine autorité de pourvoir à la paix du pays, conformément aux instructions royales, et à leur propre discrétion. »

La colonie plus que jamais effrayée adressa au roi la lettre suivante[13] :

« Souverain redouté, les premiers entrepreneurs de cette plantation obtinrent une patente qui leur accordait, plein et absolu pouvoir de gouverner le peuple de ce lieu par des hommes choisis d’entre eux, et suivant les lois qu’il leur conviendrait d’établir. Une donation royale sous le grand sceau est la plus grande sûreté qu’il y ait dans les affaires humaines. Par l’encouragement et sous la protection de cette charte royale, le peuple s’est transporté sur l’Océan et à ses propres frais avec femmes et enfants ; il a acheté la terre des indigènes, il a planté la colonie avec des labeurs, des dangers, des frais, des difficultés infinis, luttant pendant longues années avec les misères du désert et les charges d’un établissement nouveau, ayant ainsi depuis plus de trente ans joui du privilège de se gouverner par lui-même, comme d’un droit certain à la vue de Dieu et des hommes. Être gouvernés par des administrateurs de notre choix, et par nos propres lois, c’est le privilège fondamental de notre charte.

« Une commission sous le grand sceau, qui donne à quatre personnes (dont l’une est notre ennemi déclaré) le pouvoir de recevoir et de terminer toute plainte et tous appels à leur discrétion, nous soumet au pouvoir arbitraire d’étrangers, et finira par notre entière subversion.

« Si l’on se propose de gratifier quelques personnes de pensions et de revenus, le but sera manqué par la pauvreté du pays. Quand tous les revenus annuels de l’État seraient mis ensemble, puis doublés et triplés, cela ne ferait point encore un traitement considérable pour un seul de ces gentilshommes. Le peuple n’y pourra rien fournir, et il sera difficile de trouver un autre peuple qui puisse supporter en ce pays quelque charge considérable, car c’est une terre où l’on ne peut subsister que par un rude travail et une grande frugalité.

« Dieu sait que notre plus grande ambition est de vivre d’une vie tranquille dans ce coin du monde. Nous ne sommes pas venus dans le désert pour y chercher la fortune ; et si quelqu’un y vient dans cet espoir, il sera déçu. Nous restons dans notre ligne ; et il est loin de nos cœurs de méconnaître notre juste dépendance, notre sujétion envers Votre Majesté, conformément à notre charte. Nous ferons volontiers tout ce qui sera en notre pouvoir pour acheter la continuation de vos bonnes grâces ; mais c’est un grand malheur qu’on ne nous demande d’autre témoignage de notre loyauté que de sacrifier nos libertés qui nous sont bien plus chères que la vie, car pour les obtenir nous avons volontairement risqué plus d’une fois nos jours et passé au travers de mille morts.

« Ce fut le mérite de Job, quand il siégeait comme roi parmi son peuple, d’être un père pour le pauvre. Un pauvre peuple, dénué de tout secours extérieur, sans richesse, sans puissance, crie maintenant vers le roi son seigneur. Daigne Votre Majesté regarder notre cause et maintenir notre droit ; ce sera pour lui un honneur durable dans l’avenir. »

Les commissaires, repoussés de toutes parts, revinrent sans avoir agi, et la mollesse de Charles II négligea cette offense et oublia la plantation rebelle. Peut-être même la colonie eût-elle échappé aux dangers qui la menaçaient, si l’intérêt des marchands anglais, blessé par l’inobservation de l’acte de navigation, n’eût ranimé toute la jalousie de la métropole.

Un procès fut intenté pour obtenir l’annulation de la charte ; en vain le Massachussets essaya-t-il de résister en offrant l’abandon du Maine, en essayant de corrompre le roi lui-même par des présents, en acceptant l’acte de navigation, non point comme une loi anglaise (c’eût été renoncer à ses privilèges), mais comme une loi coloniale librement votée par la cour générale ; tout fut inutile ; le roi, poussé par un parti, voulait une soumission absolue.

Cette soumission, la colonie s’y refusa, car c’était pour elle un crime que de renoncer à la liberté.

« Les franchises de la Nouvelle-Angleterre, s’écriait-on, sont une part de l’héritage de nos pères ; y renoncerons-nous ? On nous dit que c’est nous exposer à de grandes souffrances ! Plutôt souffrir que pécher. Il vaut mieux mettre notre confiance dans le Dieu de nos pères que dans les princes. Si nous souffrons parce que nous ne nous accommodons pas à la volonté des hommes contre la volonté de Dieu, nous souffrirons pour la bonne cause, et nous serons comptés comme martyrs par la génération prochaine et au grand jour du jugement. »

Et sur le registre de la colonie, les représentants écrivirent : « Les députés ne consentent pas, mais s’en tiennent à leurs résolutions précédentes[14]. »

Il fallut céder néanmoins devant un arrêt, et ainsi tomba, en 1684, la charte que l’expédition de Winthrop avait apportée sur les rivages de l’Amérique, acte précieux qu’on avait défendu au travers de toutes les vicissitudes, et sur quoi reposait tout l’édifice des libertés de la Nouvelle-Angleterre. Désormais plus de barrière entre le peuple du Massachussets et la volonté absolue de la cour d’Angleterre, plus de garantie pour la religion, plus de sécurité pour le commerce, ni même pour la propriété.

L’avènement de Jacques II aggrava la situation de la colonie. Dès 1686, le gouvernement fut remis à une commission ayant un pouvoir arbitraire ; et le fameux Andros renversa ce qui restait de liberté. La représentation populaire fut abolie, et l’Église anglicane introduite ; on établit des impôts arbitraires ; les planteurs perdirent à la fois leurs privilèges de colons et leurs droits de citoyens anglais. « Est-ce que vous vous imaginez que les lois anglaises vous suivront au bout du monde ? disait un juge à un accusé qui invoquait l’habeas corpus, — Vous n’avez d’autre privilège que de n’être pas vendus comme esclaves, » répondait un des commissaires à un planteur qui réclamait ses droits[15]. Voilà ce que la restauration avait fait de l’Amérique.

Un pays habitué à trente ans d’indépendance ne pouvait accepter une telle situation, et sans doute une sédition eût éclaté, quand tout à coup la nouvelle de la révolution atteignit la colonie. La Nouvelle-Angleterre se souleva tout entière et redemanda sa charte. Cette conduite fut approuvée par le roi Guillaume ; mais les plantations ne retrouvèrent pas leur ancienne liberté. Au lieu du despotisme des Stuarts, on rencontra la souveraineté du parlement, la jalousie d’une aristocratie commerçante ; et alors s’engagea entre l’Amérique et la métropole une lutte où la Nouvelle-Angleterre devait jouer le principal rôle, et qui en moins d’un siècle devait amener, avec l’aide de la France, l’émancipation glorieuse des colonies, la fondation du puissant empire des États-Unis.


  1. On commença comme partout, par une seule chambre, et on s’aperçut bientôt aussi de l’inconvénient d’un pareil système. En 1698, la division en deux chambres est un fait accompli.
  2. Bancroft, II, 81.
  3. La reine avait sans doute quelque droit ou quelque titre féodal dans la province française du Maine, mais je n’ai trouvé aucune indication à ce sujet.
  4. Bancroft, II, 70.
  5. Aujourd’hui elle se nomme York.
  6. Bancroft, II, 113.
  7. Bancroft, I, p. 421.
  8. Bancroft, I, 421. Story, § 102.
  9. Bancroft, I, 416.
  10. Bancroft, I, 441.
  11. Bancroft, I, 444. Everelt, Orations and speeches, t. II, p. 122.
  12. C’est un droit que n’avaient pas les provinces royales.
  13. Bancroft, II, 79.
  14. Bancroft, II, 127.
  15. Bancroft, II, 427.