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Histoire populaire du Christianisme/Texte entier

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AVANT-PROPOS


Les quatre Évangiles qui portent les noms de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean, ont été adoptés par l’Église à l’exclusion d’un très-grand nombre de recueils semblables dont l’autorité était unanimement reconnue par les Chrétiens primitifs. Les raisons de ce choix ne nous ont pas été données. Nous ne savons ni par qui, ni comment, ni à quelle époque précise ces Évangiles ont été composés ; mais il importe peu que nous le sachions. Le fait essentiel est qu’ils nous révèlent la naissance et la mort miraculeuses de Jésus-Christ, Fils de Dieu, né d’une Vierge par l’opération du Saint-Esprit, mort sur la croix, enseveli, ressuscité et déclaré par le Concile de Nicée, trois cent vingt-cinq ans après, Dieu lui-même, de même substance que son Père et éternel comme lui. Ces vérités, on le voit, sont clairement exprimées et ne sauraient être discutées. D’ailleurs, les personnes qui veulent soumettre les origines du Christianisme à l’examen de la raison et de la science, oublient trop ces paroles décisives de Tertullien qui démontre, comme il suit, le peu que valent la raison et la science en matière de religion :

« Le Fils de Dieu est mort : cela est croyable précisément parce que c’est inepte. Enseveli, il est ressuscité : cela est certain parce que c’est impossible. » Mortuus est Dei filius : prorsus credibile est quia ineptum est. Et sepultus resurrexit : certum est quia impossibile est.

Notre histoire résumée du Christianisme n’est pas un travail de critique et de discussion. Quel meilleur témoignage que celui de l’Église elle-même pourrions-nous invoquer en entreprenant d’exposer les vérités singulières qu’elle enseigne et les faits particuliers dont elle affirme l’authenticité ?

HISTOIRE POPULAIRE
DU
CHRISTIANISME


PREMIER SIÈCLE.



Lan 33 de la naissance de Jésus-Christ, après l’Ascension, saint Pierre réunit à Jérusalem les cent vingt disciples, afin de donner un successeur à Judas qui s’était pendu de désespoir. Le sort désigna Matthias. Saint Jean Chrysostôme blâma plus tard les Apôtres d’avoir employé ce mode d’élection. Cependant, il voulut bien les excuser, attendu qu’ils n’avaient pas encore reçu le Saint-Esprit. Celui-ci descendit sur eux, le jour de la Pentecôte, et ils parlèrent aussitôt toutes les langues. Ce miracle leur permit de prêcher l’Évangile aux nations étrangères, car le patois syro-chaldaïque dont ils se servaient n’y eût pas suffi.

En ce temps-là, d’après le livre des Actes, un magicien, nommé Simon, reçut le baptême, à Samarie, des mains de saint Philippe. Immédiatement, il déclara qu’il était la Vertu de Dieu. Il allait de ville en ville, accompagné d’une courtisane qui était sa pensée incarnée et par laquelle il avait créé les Anges et les Puissances. Cette doctrine lui attira de nombreux disciples. Néanmoins, les facultés merveilleuses dont il était doué ne lui suffirent pas, car il voulut acheter de saint Pierre et de saint Jean le pouvoir de conférer le Saint-Esprit. Les Apôtres s’y étant refusés, Simon persista dans les prodiges qu’il opérait, mais uniquement à l’aide de sa science magique, ce qui était bien différent. L’Église a donné depuis le nom de simonie au trafic des choses saintes.

Dans l’intervalle, le pharisien Saül, qui persécutait cruellement les disciples du Christ, fut frappé d’une lumière soudaine sur le chemin de Damas, renversé et aveuglé. Une voix lui dit : « Pourquoi me persécutes-tu ? » Ces paroles le convertirent instantanément. Il reçut le baptême des mains d’Ananias et prit le nom de Paul.

Saint Paul devint l’Apôtre des Gentils. L’Église lui attribue des épîtres célèbres adressées à divers peuples et à diverses personnes sur des questions de foi et de discipline. Ce fut un grand voyageur et un grand organisateur. Il nous apprend qu’ayant été ravi au troisième ciel, il y fut initié à des secrets qui ne peuvent être révélés, de sorte qu’on les a toujours ignorés.

Vers l’an 41, l’empereur Claude venant de succéder à Caligula, saint Pierre se rendit à Rome afin d’y établir le Saint-Siège. L’Église enseigne qu’il y résida vingt-cinq ans. On s’est permis d’émettre quelques doutes sur l’authenticité de ce fait, sous prétexte que le livre des Actes n’en dit rien, d’une part, et que, d’autre part, le chef des Apôtres, d’après les historiens ecclésiastiques, ouvrit en personne le Concile de Jérusalem, en 50 ou 51 de l’Ère chrétienne. On ne réfute pas de telles objections. Il est infiniment plus important de croire que saint Pierre vint fonder la papauté à Rome et gouverna en effet l’Église sans interruption jusqu’à sa mort. Sa présence au Concile de Jérusalem n’en est pas moins indubitable, ainsi que le prouve la célèbre contestation qui s’éleva entre lui et saint Paul, au sujet des rites prescrits par Moïse, et dont le nouvel Apôtre demandait l’abolition. Le Concile décida que la circoncision et les autres observances judaïques seraient désormais rejetées, et sa déclaration commença par ces paroles : Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous.

Peut-être serait-il légitime de s’étonner que le premier pape infaillible, de qui procèdent tous les autres papes également infaillibles, se fût trompé dans une question de foi, au point de reconnaître publiquement son tort, si Origène, Tertullien et saint Jean Chrysostôme, ne nous affirmaient que cette contestation ne pouvait être qu’une simple feinte des deux Apôtres, afin d’arracher par ruse les Juifs à la loi de Moïse.

Le cardinal Baronius eût mieux fait, plus tard, quand il examina cette grave question dans ses Annales ecclésiastiques, de s’en tenir à l’explication lumineuse que lui fournissaient Origène, Tertullien et saint Jean Chrysostôme, que de s’enfermer dans un dilemme auquel il lui est imposible d’échapper malgré ses louables efforts : « Il faut nécessairement, dit-il, que Pierre fût coupable si Paul avait raison de le trouver répréhensible, ou que Paul fût coupable s’il avait tort de reprendre Pierre. Il faut donc que Pierre ait péché ou que Paul ait menti. »

Voilà où l’abus de la logique entraîne ce savant cardinal. Ceci prouve qu’il ne faut jamais raisonner en de telles matières, car le poète Dante fait dire au Diable : « Et moi aussi je suis logicien ! »

Nous nous permettrons, en dernier lieu, de faire remarquer cette singularité que le prince des Apôtres, le premier chef de l’Église catholique, c’est-à-dire universelle, voulut restreindre au seul peuple juif l’enseignement de la vérité. Sans doute il renonça à son erreur, mais beaucoup de Juifs récemment convertis persistèrent à croire que l’Évangile ne devait être prêché, selon la parole du maître, qu’aux brebis égarées du troupeau d’Israël ; de sorte qu’il y eut en ce temps-là deux écoles, celle de saint Paul et celle de saint Pierre. Il entrait dans les desseins de la Providence que la contestation qui s’engagea entre les deux Apôtres fût une feinte, et que cette feinte n’atteignît pas le but qu’ils s’étaient proposé.

Ce premier Concile fut présidé par le frère de Jésus, saint Jacques, évêque de Jérusalem, qui, d’après saint Épiphane, fut martyrisé à l’âge de quatre-vingt-seize ans, encore vierge, ne s’étant jamais coupé les cheveux et ne s’étant jamais baigné. Selon toutes les probabilités, l’expression consacrée : « Mourir en odeur de sainteté » fait allusion à cette coutume pieuse de saint Jacques.

En 65, parut la secte hérétique des Nicolaïtes. Ils se disaient disciples de Nicolas, un des sept diacres de l’Église de Jérusalem, qui avait l’habitude d’enseigner, ainsi que nous l’apprend saint Clément d’Alexandrie, qu’il fallait exercer la chair. Il entendait par là qu’il fallait la mortifier et la dompter. Ses disciples crurent qu’il leur ordonnait d’en abuser dans un tout autre sens ; ce qu’ils firent par suite du respect erroné qu’ils professaient pour la maxime de leur maître.

Le 29 juin, an 66, dans la douzième année du règne de Néron, saint Pierre et saint Paul furent martyrisés à Rome, l’un crucifié la tête en bas, l’autre décapité en sa qualité de citoyen romain. Saint Lin succéda à saint Pierre.

N’oublions pas de rappeler un dernier miracle opéré par le prince des Apôtres avant son martyre.

Les pères et les historiens du IVe siècle affirment que Simon le Magicien, étant venu à Rome, engagea une lutte de prodiges avec saint Pierre, en présence de Néron et du peuple romain. Tandis qu’il planait dans le ciel aux acclamations de la foule, saint Pierre le précipita d’en haut par une courte prière, et Simon mourut de sa chute. « Ce fait incontestable, dit l’abbé Guyot, dans son Dictionnaire des Hérésies, témoigne de l’attention de la Providence à fournir aux hommes les moyens de découvrir l’erreur et de s’en déprendre. » Cette réflexion prodigieuse de l’abbé Guyot est très-édifiante et nous dispense de tout commentaire.

Le pape saint Lin mourut le 23 septembre, an 67. Saint Clément lui succéda.

L’hérésie des Ébionites se manifesta vers 72, deux ans après la prise et le sac de Jérusalem par Titus. Le mot ébion signifie pauvre en hébreu. Les Ébionites étaient des juifs chrétiens attachés à la loi de Moïse. Ils niaient la divinité de Jésus et enseignaient qu’il s’était élevé par sa vertu au titre purement nominal de Fils de Dieu, de sorte que les écrivains ecclésiastiques en conclurent qu’ils étaient polygames et qu’ils se livraient aux plus honteuses débauches. Les personnes privées des lumières de la foi ne pensent pas que la conséquence soit inévitable, mais elles se trompent évidemment. L’hérésie des Ébionites offre une grande analogie avec celle de Cérinthe d’Antioche, chrétien judaïsant, contemporain des Apôtres, partisan de la circoncision et des observances de la Loi. En outre, celui-ci croyait que Dieu avait créé l’univers non par lui-même, mais par l’intermédiaire d’Esprits plus ou moins parfaits. Le dieu juif Iahvèh, était un de ces Esprits. Quant à Jésus, ce n’était qu’un homme doué d’une sagesse et d’une sainteté très-supérieures à celles des autres hommes. Enfin, Jésus avait souffert parce que le Christ qui était descendu sur lui sous la forme d’une colombe l’avait quitté au moment de la Passion, car le Christ, étant Dieu, ne pouvait souffrir.

Cette doctrine de Cérinthe fut réfutée victorieusement par les lettres attribuées à saint Jean, et dans lesquelles il est écrit que celui qui prétend que Jésus n’est pas le Christ est l’Antéchrist. L’argument était sans réplique.

Le pape saint Clément abdiqua le 3 décembre, an 76. Saint Clet lui succéda le 16 février, an 77, et mourut le 26 avril, an 83. Saint Anaclet fut élu le 7 septembre, an 84.

L’apôtre saint Jean, auteur du quatrième Évangile évidemment composé, disent les libres penseurs, par un Juif platonicien d’Alexandrie, étant à Rome, vers l’an 95, sous le règne de Domitien, fut plongé dans une chaudière d’huile bouillante près de la Porte Latine. Il en sortit sain et sauf pour être exilé dans l’île de Pathmos où il écrivit l’Apocalypse.

Que saint Jean soit sorti miraculeusement, sain et sauf, de l’huile bouillante, rien de plus simple ; mais qu’il y ait été plongé, sous le règne de Domitien, près de la Porte Latine, voilà le fait douteux, car aucun historien romain n’en a jamais parlé. Quant à l’Apocalypse, les Chrétiens du IIe siècle, si nous en croyons saint Denys d’Alexandrie, affirmaient que ce livre extraordinaire et merveilleusement obscur était de l’hérésiarque Cérinthe. Depuis, l’Église a décidé qu’il était l’œuvre de saint Jean et que l’Apôtre l’avait écrit sous l’inspiration du Saint-Esprit.

Le pape saint Anaclet mourut le 13 juillet, an 96. Saint Évariste lui succéda.

L’Apôtre saint Jean mourut le 27 décembre, an 100, âgé de cent ans, sous le règne de Trajan.



Fin du premier siècle.

DEUXIÈME SIÈCLE.




Les Caïnites parurent dans la première année du IIe siècle. On les nomma ainsi parce qu’ils honoraient Caïn, Ésaü, Coré, Judas et les Sodomites. Ces hérétiques raisonnaient ingénieusement. Convaincus qu’il existait un Dieu plus puissant que le créateur lahvèh, ils prétendaient que Caïn était fils du premier, tandis qu’Abel avait été produit par le second ; que Judas, doué d’une science supérieure, avait livré Jésus-Christ, sachant le bien qui en résulterait pour l’humanité ; qu’il fallait rendre grâces à tous les hommes qui s’étaient révoltés contre lahvèh, et que la suprême vertu consistait à détruire les œuvres de ce dernier. Leur livre sacré, intitulé l’Ascension de saint Paul, contenait les révélations faites à l’Apôtre dans son ravissement au troisième ciel. Il y a tout lieu de croire que ce livre était l’œuvre d’un imposteur.

Peu après, un Arabe d’origine juive, nommé Helcésaï, soutint qu’on pouvait dissimuler sa foi et adorer les idoles, pourvu que le cœur n’y eût point de part. Cette doctrine fut mise en pratique, plus tard, par les Jésuites, en Chine. Helcésaï enseignait aussi que le Saint-Esprit était du sexe féminin, parce que le mot rouach, qui signifie esprit, est féminin en hébreu. Il ne faut avoir d’autre opinion à cet égard que celle de l’Église, bien qu’elle ne l’ait pas exprimée.

Le pape saint Évariste fut mis à mort, l’an 108, sous Trajan. Saint Alexandre lui succéda le 3 décembre de l’année suivante.

Papias, évêque de Hiérapolis en Phrygie, écrivit, vers cette époque, ses cinq livres de l’Exposition des discours du Seigneur. Il enseigna que les justes ressusciteraient et régneraient mille ans sur la terre avec Jésus-Christ. De là vint l’hérésie des Millénaristes. Le cardinal Baronius prétend que cette erreur était peu dangereuse. Nous le voulons bien ; cependant l’Église, qui avait cru au Millénarisme jusqu’au Ve siècle, le condamna depuis d’une façon définitive. Elle mit Papias au nombre des saints tout en rejetant ceux qui avaient eu foi en lui. Ce fut une juste compensation, car l’Église est toujours équitable.

Dans la dixième année du IIe siècle, Basilide d’Alexandrie dogmatisa en Égypte. Il donna à ses disciples le nom de Gnostiques, c’est-à-dire intelligents, illuminés. Sa doctrine, qui alliait les principes philosophiques de Pythagore et de Platon aux dogmes du Christianisme, est extrêmement compliquée et savante. Nous nous contenterons d’indiquer celles de ses idées qui concernent particulièrement Jésus-Christ.

Selon Basilide, l’Esprit Iahvèh qui avait été chargé de protéger les Juifs et qui avait accompli tant de miracles en leur faveur, voulut par ambition soumettre tous les autres Esprits qui avaient inspiré aux peuples qu’ils gouvernaient une haine violente contre la nation juive. Mais le Dieu suprême, voyant que cette jalousie réciproque des Esprits causait de grands maux aux hommes, envoya l’Intelligence, son fils, sous le nom de Jésus-Christ, pour délivrer de cette oppression ceux qui croiraient en lui. Le Fils de Dieu, n’ayant que les apparences d’un homme, prit la figure de Simon le Cyrénéen et lui donna la sienne. Les Juifs crucifièrent Simon au lieu de Jésus-Christ qui les regardait faire et se moquait d’eux. Basilide enseignait aussi que les âmes avaient péché antérieurement à leur union avec les corps et qu’elles expiaient ainsi leurs fautes. L’année ayant trois cent soixante-cinq jours, il en concluait que ce nombre était le plus agréable à Dieu ; c’est pourquoi il choisit dans l’alphabet les lettres dont la série formait ce nombre et il en retira le mot abraxas, lequel, gravé sur une pierre, devint un talisman qui attirait les grâces divines sur ceux qui le portaient. Nous devons à saint Clément d’Alexandrie ce qu’on sait de Basilide et de sa doctrine, car il n’est rien resté des vingt-quatre livres de commentaires qu’il avait écrits sur les Évangiles.

Le pape saint Alexandre fut mis à mort le 3 mai, an 117. Sixte Ier lui succéda le 7 juin de la même année, et deux mois après l’empereur Trajan mourut.

Carpocrate, chef d’une autre branche du Gnosticisme, parut vers l’an 120. Son hérésie, comme celle de Basilide, consistait en un mélange des idées de Pythagore et de Platon. Il croyait à la vie antérieure des âmes parmi lesquelles celle de Jésus-Christ tenait le premier rang. Selon Carpocrate, le vrai Gnostique était celui qui se maintenait au-dessus de la douleur et de la volupté. Aussi, disent les écrivains ecclésiastiques, les Carpocratiens se livraient-ils à toutes les débauches imaginables, sous prétexte que l’âme ne pouvait en être souillée ; mais il est probable que cette accusation n’est qu’une pieuse calomnie.

Le pape Sixte Ier mourut le 3 avril, an 127, sous Adrien. Télesphore lui succéda.

En 130, on vit de nouveaux hérétiques qui se donnaient le nom d’Adamites. Croyant posséder la pureté primitive d’Adam et d’Eve, ils allaient tout nus, hommes et femmes. Dans leurs assemblées, dit saint Épiphane, lorsque l’ancien qui leur lisait la Genèse prononçait ces mots : « Croissez et multipliez », il se produisait des scènes extraordinaires dont nous ne pouvons donner les détails, mais que ce même saint Épiphane décrit minutieusement avec le plus effroyable cynisme. À propos de la nudité des Adamites, nous lisons dans la 432e lettre d’un saint moderne, François de Sales, à la mère de Chantal, ces deux lignes singulières : « Ô ma mère, qu’Adam et Ève étaient heureux tandis qu’ils n’eurent point d’habits ! »

Le pape Télesphore mourut le 5 janvier, an 138. Hygin lui succéda.

L’Égyptien Valentin, le plus célèbre des Gnostiques, vint à Rome, vers 140, afin d’y enseigner sa doctrine. Elle est infiniment plus compliquée que celle de Basilide et fort intéressante pour les personnes qui se plaisent aux conceptions transcendantes de la métaphysique ; mais, ne pouvant l’exposer ici avec les développements nécessaires, nous n’en indiquerons que ce qui concerne Jésus-Christ.

Valentin enseignait que le Démiurge Iahvèh, ou Jéhovah, l’organisateur du monde visible, était aussi l’auteur de la Loi mosaïque qui avait été annulée par le Christ, ennemi de Jéhovah et réformateur de son œuvre imparfaite. Le Christ était la première émanation céleste manifestée sous une forme humaine pour annoncer aux hommes la pensée divine du père inconnu. Il avait encouru par là la haine du Démiurge et des autres Esprits qui excitèrent contre lui les Juifs et les païens. Mais le Rédempteur, n’ayant qu’un corps fantastique, n’a souffert et n’est mort qu’en apparence. Quant à l’humanité, elle se partageait en trois classes : Les hyliques ou matériels, les psychiques ou sensitifs, et les pneumatiques ou spirituels. Les matériels, dépourvus de raison propre et incapables de s’instruire, sans volonté et sans personnalité, périssent avec la matière ; les psychiques sont doués de raison, mais ils ne s’élèvent jamais au-dessus des choses sensibles ; leur plus haute conception est le Démiurge Jéhovah. Enfin, les spirituels ou pneumatiques possèdent la vision et le sens de la vérité et se conforment librement à leurs destinées sublimes.

Les Pères de l’Église ont reproché une immoralité profonde aux Valentiniens ainsi qu’à tous les autres Gnostiques. Dans notre impartialité, nous engageons fortement les esprits libres à n’ajouter aucune foi aux calomnies probables des Pères, et les Catholiques à croire pieusement qu’ils ont dit vrai.

En 141, le Syrien Cerdon vint aussi à Rome. Il était dualiste, c’est-à-dire qu’il croyait en deux principes, en deux origines de toutes choses, l’un excellent, l’autre mauvais. Le premier avait créé les Esprits et engendré Jésus-Christ ; le second avait produit le monde matériel. Cerdon rejetait l’Ancien Testament et n’admettait dans le Nouveau que l’Evangile de saint Luc dans lequel il choisissait ce qui lui convenait.

Le pape Hygin mourut le 6 janvier, an 142, sous Adrien. Pie Ier lui succéda.

Marcion, fils d’un évêque du Pont, ayant été excommunié par son père, embrassa la doctrine de Cerdon, en 144, et fit de si nombreux prosélytes que son nom est resté attaché à cette hérésie. De là, les Marcionites. Les Pères de l’Église ont beaucoup écrit contre Marcion, entre autres, saint Théophile d’Antioche, saint Denys de Corinthe et surtout Tertullien.

Vers cette époque, Héracléon répandit ses erreurs, particulièrement en Sicile. Il enseignait que l’âme était mortelle et corruptible. L’Église a cette doctrine en abomination, et cependant elle a été soutenue par beaucoup de Pères. Non-seulement Tertullien croit à la matérialité de l’âme, mais encore il soutient que Dieu lui-même est corporel. « Dieu, dit-il, qui a créé tant de substances corporelles, a nécessairement une substance pareille. Rien n’est incorporel, si ce n’est ce qui n’est pas. » Nihil est incorporale, nisi quod non est.

Le pape Pie Ier mourut le 11 juillet, an 150, sous Antonin. Anicet lui succéda.

En 151, environ, parut l’hérésie des Marcosiens dont le chef était un nommé Marc, disciple de Valentin. Il réforma sur plusieurs points la doctrine de son maître et enseigna que le Dieu souverain était une Quaternité composée de l’Ineffable, du Silence, du Père et de la Vérité. Cette conception séduisit principalement les femmes, sans qu’on ait jamais pu savoir pourquoi. Il est vrai que Marc opérait beaucoup de prodiges et faisait boire aux femmes, dit saint Irénéé, des potions qui les rendaient extatiques.

Le pape Anicet mourut le 17 avril, an 161, sous Marc-Aurèle et Lucius Verus. Soter lui succéda l’année suivante. Ce pape étant mort le 22 avril, an 171, sous Marc-Aurèle, Éleuthère lui succéda.

L’hérésie des Montanistes date de l’an 172. Montan était un eunuque Phrygien qui, ayant des attaques d’épilepsie, annonça qu’il était prophète. Sa morale et sa discipline étaient excessivement austères ; il refusait aux prêtres et même aux évêques le droit d’absoudre ceux qui avaient commis de grands crimes. C’est pourquoi l’Église rejeta les Montanistes de son sein, les regardant comme de vrais possédés, et blâma le pape Éleuthère et son successeur Victor de leur avoir donné des lettres de communion. Montan avait converti à sa doctrine deux dames de haute naissance, Priscilla et Maximilla, qui prophétisaient comme lui.

Le pape Éleuthère mourut le 26 mai, an 185. Victor I lui succéda, sous Commode.

Deux ans après, Praxéas écrivit, à Rome, contre les Montanistes et contre le pape Victor qui leur avait été favorable. Après quoi Praxéas tomba lui-même dans l’hérésie en soutenant que Dieu le Père avait été crucifié aussi bien que Jésus-Christ dans la personne de ce dernier. De leur côté, Séleucus et Hermias enseignèrent, en Galatie, que la matière était éternelle et qu’il n’y avait d’autre résurrection que la génération ordinaire.

Le pape Victor fut martyrisé, le 28 juillet, an 197, sous Sévère. Zéphirin lui succéda.

Tertullien de Carthage, prêtre et marié, écrivit an 200, son Apologie du Christianisme. Il attaqua violemment dans tous ses ouvrages les Gnostiques et les doctrines sur la foi empreintes de l’esprit grec et oriental. Il croyait que Dieu avait un corps et que les âmes étaient matérielles. Nous avons cité son opinion singulière sur la mort et la résurrection du Fils de Dieu, faits qu’il faut croire réels, uniquement, dit-il, parce qu’ils sont absurdes et impossibles. On trouve dans son traité de la Pénitence cette phrase qui contient toute la morale de l’Église : « On doit obéir à la volonté de Dieu, non parce que ce qu’il ordonne est bon, mais parce qu’il l’ordonne. » Non quia bonum est, sed quia Deus præcepit. Nous devons en conclure qu’il n’y a ni bien, ni mal en soi, quoiqu’en dise notre conscience, mais seulement la volonté de Dieu ; car Gerson, l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, nous dira plus tard : « Les choses étant bonnes parce que Dieu veut qu’elles soient telles, il voudrait leur contraire que cela même deviendrait le bien. »

Tertullien devint Montaniste vers la fin de sa vie et traita les Catholiques d’animaux.



Fin du deuxième siècle.

TROISIÈME SIÈCLE.




Ce fut en 206 qu’Origène, fils de Léonide, évêque et martyr, se mutila pour éviter les tentations, ayant pris à la lettre le précepte de Jésus-Christ de se châtrer pour le royaume des cieux. C’était l’homme le plus savant et le plus éloquent de son temps. Il n’admettait pas la divinité du Christ. « Nous n’élevons ni temples, ni statues à Jésus-Christ qui nous a défendu d’adorer rien de matériel et d’humain. Nous n’adorons pas Jésus-Christ, nous l’admirons. » Il croyait, ainsi que saint Clément d’Alexandrie, son maître, à la préexistence des âmes et à leurs transmigrations successives, ainsi qu’à l’éternité de la matière ; et il enseignait que les étoiles avaient des âmes, méritaient et déméritaient. Ces idées sont exposées-dans son Périarkhon, ou traité des principes, dont il ne reste qu’une traduction latine. L’Église le considère encore comme un des plus grands défenseurs de la foi, bien qu’il ait erré dans le Périarkhon, probablement parce qu’elle professait, au IIIe siècle, beaucoup de dogmes qu’elle a rejetés depuis. Toujours est-il qu’Origène mourut, vers 253, en communion avec l’orthodoxie d’alors. Saint Pamphile écrivit son apologie et saint Grégoire le Thaumaturge son panégyrique.

En ce temps-là, Théodote le Banquier fonda la secte des Melchisédéciens. Ayant lu dans un psaume : « Tu es prêtre selon l’ordre de Melchisédec» et dans l’Épître aux Hébreux de saint Paul que Melchisédec était sans père, ni mère, ni généalogie, ces hérétiques en concluaient que Melchisédec était fort au-dessus de Jésus-Christ qui avait un père, une mère et deux généalogies.

Le pape Zéphirin mourut le 26 juillet, an 217, sous Macrin. Calixte lui succéda. En 222, mort de Calixte. Urbain lui succéda.

Origène entreprit, dit-on, vers 229, ses éditions des Écritures en six et en huit langues, sous le titre d’Hexaples et d’OctapIes. Il corrigea et modifia le texte grec du Nouveau-Testament.

Disons ici pour n’y plus revenir que le Nouveau-Testament n’a été que trop souvent modifié, non seulement dans la forme mais aussi dans le sens lui-même. Nous en donnerons quelques preuves inconestées. Ainsi, à la fin du IIIe siècle, les Évangiles sont revus et amendés par Hésychius et Lucien. Au commencement du VIe, l’empereur grec Anastase fait examiner, critiquer, expurger et amender de nouveau les quatre Évangiles qui, dit saint Victor, dans l’état où ils étaient, semblaient avoir été composés par des évangélistes idiots : Tanquam ab idiotis evangelistis composita. Dans les dernières années de son règne, Charlemagne fait corriger les quatre Évangiles du Christ par des savants grecs et syriens : Quatuor Evangelia Christi, cum græcis et syris optime correxerat. Enfin, le pape Sixte-Quint corrige à son tour les Écritures, à deux reprises. La première révision produit la correction de plusieurs milliers de passages ; de la seconde résultent plus de deux mille corrections nouvelles.

Certes, les saintes Écritures, Ancien et Nouveau Testaments, sont le bien propre de l’Église, et elle en use comme elle l’entend ; mais si les fidèles s’imaginent qu’elle en a toujours respecté la première rédaction, ils sont plongés dans une pieuse erreur.

Le pape Urbain mourut le 23 mai, an 230, sous Alexandre Sévère. Pontius lui succéda. Celui-ci, étant mort six ans après, eut pour successeur Fabien.

Les Valésiens, ou Eunuques, parurent en 240. Ces hérétiques étaient particulièrement attachés à la chasteté. Ils n’admirent d’abord dans leur communion que ceux qui se mutilaient volontairement ; mais bientôt, poussés par un plus vif sentiment de charité, ils mutilaient à l’envi tous ceux qu’ils pouvaient saisir. On les craignait beaucoup. Cette secte s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Elle existe encore en Russie.

Le pape Fabien fut martyrisé à Rome, le 10 mars, an 250, sous Décius. Corneille lui succéda l’année suivante.

Décius avait rendu son édit de persécution en 249. Il y eut des apostasies sans nombre dans l’Église. La persécution cessa en 251.

Félicissime, chef de ceux qui avaient apostasié en Afrique pour sauver leur vie, demanda leur pardon ; mais s’étant refusé à l’enquête ordonnée par saint Cyprien, évêque de Carthage, il fut excommunié. Cette question amena le schisme de Novatien, chef des Kathares, les purs, qui niait que l’Église eût le pouvoir d’absoudre les apostats. Le Concile de Carthage, présidé par saint Cyprien, excommunia, en 251, soixante-dix évêques partisans de Novatien. Les apostats purent rentrer dans l’Église après trois ans. Le pape Corneille approuva la décision du Concile. Dans une autre assemblée tenue à Carthage en 252, on admit les apostats immédiatement.

Le pape Corneille mourut cette année-là, le 14 septembre. Lucius lui succéda en 253, fut martyrisé deux mois après et eut pour successeur saint Étienne.

Une lutte très-vive s’engagea, en 256, entre ce pape et l’évêque Cyprien, à propos de la coutume de rebaptiser les hérétiques qui abjuraient leurs erreurs, coutume soutenue par Cyprien et repoussée par Étienne. Les deux saints se traitèrent fort mal l’un l’autre. Un Concile donna raison à Cyprien, mais l’Église lui donna tort.

Le pape Étienne fut martyrisé le 2 août, an 257. Sixte II lui succéda.

Saint Cyprien fut décapité en 258, à Carthage, tandis qu’à Rome on tranchait la tête du pape Sixte II. Denys lui succéda un an après.

Vers 260, Sabellius, de Ptolémaïs en Lybie, enseigna que la Trinité ne consistait pas dans la triplicité des personnes divines, Père, Fils et Saint-Esprit, mais dans la manière triple d’en considérer une seule. Ainsi, disait-il, le Père étant la substance du soleil, le Fils serait la lumière et le Saint-Esprit la chaleur. Paul de Samosate, évêque d’Antioche, soutint une doctrine identique, en 262, à cette exception près qu’il déclarait Jésus un pur homme auquel la sagesse divine s’était communiquée.

Lamennais, de nos jours, a reproduit sous des formes particulières, dans son Esquisse d’une philosophie, l’hérésie de Sabellius et de Paul de Samosate. Celui-ci prêcha ouvertement sa doctrine, en sa qualité d’évêque, jusqu’au troisième Concile d’Antioche qui le déposa.

Le pape Denys mourut le 26 décembre, an 269. Félix lui succéda.

En 270, saint Antoine se retira au désert. Il était extrêmement ignorant, ayant toujours refusé d’apprendre à lire et à écrire. Il avait vécu quinze ans dans un sépulcre, en Égypte, avant d’aller au désert. On ne saurait mener une vie plus édifiante.

Le pape Félix fut martyrisé le 22 décembre, an 274, sous Aurélien. Eutychien lui succéda.

Manès, ou Manichée, commença à enseigner sa doctrine en 277. C’était un Persan né dans l’esclavage, puis affranchi, et qui hérita des richesses d’une femme de Ctésiphon. Il était profondément instruit dans toutes les sciences des Mages. Ne pouvant exposer ici ses idées dans leur ensemble, nous dirons, sans plus insister, qu’il croyait à l’existence de deux principes coéternels, l’un bon, l’autre mauvais. Selon lui, la fin de l’homme consistait à dégager la lumière des ténèbres, c’est-à-dire, la substance divine de la matière à laquelle elle est incorporée. Les Manichéens, de même que les Buddhistes, avaient le plus grand respect pour tout ce qui était vivant. Ils condamnaient la procréation des enfants, parce que c’était mettre des âmes en captivité. L’Ancien Testament leur semblait l’œuvre du mauvais principe et ils n’admettaient que certaines parties du Nouveau. Le Manichéisme se répandit d’Orient dans tout l’Occident. Manès étant retourné en Perse, le roi Sapor le fit écorcher vif, parce qu’il n’avait pas réussi à guérir le fils du despote.

Le pape Eutychien mourut le 7 décembre, an 283, sous Carus. Caius lui succéda.

Hiérax était un médecin, né à Léontium, en Égypte, et qui donna son nom aux Hiéracites. Saint Épiphane nous apprend que Hiérax niait la résurrection de la chair et n’admettait qu’une résurrection spirituelle des âmes, que cet hérétique condamnait le mariage comme un état inférieur permis sous l’Ancien Testament mais criminel depuis Jésus-Christ, et qu’il défendait à ses disciples toute autre société que celles des moines, des célibataires, des vierges et des veuves. Les Hiéracites croyaient que les enfants morts avant l’âge de raison n’allaient pas au ciel, n’ayant pas mérité le paradis par leurs bonnes œuvres. Ils admettaient bien que le Fils a été engendré par le Père, et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, ce qui est évident ; mais, par malheur, leur maître Hiérax tenait beaucoup à ce que Melchisédec fût le Saint-Esprit revêtu d’un corps humain. Ils avaient aussi, dit saint Épiphane, une horreur superstitieuse pour la viande et le vin, oubliant que, selon saint Paul, toute créature de Dieu est bonne à manger. Nous présumons que l’Apôtre ne conseillait pas l’usage de l’anthropophagie.

Le pape Caius mourut le 22 avril, an 296, sous Dioclétien. Marcellin lui succéda.



Fin du troisième siècle.

QUATRIÈME SIÈCLE.




Dioclétien rendit son édit de persécution, en 303, à Nicomédie. Outre les condamnations qu’elle amena, la persécution causa de grands troubles dans l’Église d’Afrique. Des évêques et des prêtres s’étaient soumis à l’édit en livrant les vases et les livres sacrés. Ceux qui s’étaient montrés forts dans le danger flétrirent du nom de traditeurs ceux qui avaient cédé à la crainte. Ce fut l’origine du schisme de Donat qui excita un certain nombre d’évêques à casser l’élection de Cécilien au siège épiscopal de Carthage, parce que ce prêtre avait été nommé par des évêques traditeurs.

Il y eut un Concile à Elvire, en Espagne, en 305. Dans le trente-troisième canon de ce Concile, il est dit que les évêques, les prêtres et les clercs doivent s’abstenir de leurs femmes pendant qu’ils sont dans le service sacré. Nous n’en conclurons que ceci, c’est que les évêques et les prêtres étaient pour la plupart mariés à cette époque.

Le pape Marcellin était mort, le 24 octobre, an 304. Marcel ne lui succéda que trois ans après, Licinius étant empereur et Constantin auguste. Le pape Marcel mourut le 16 janvier, 310. Eusèbe lui succéda et mourut la même année. Miltiade fut élu en 311.

Fleury, dans son histoire ecclésiastique, rapporte à l’an 312 la vision de Constantin. Dans sa marche contre Maxence, il vit une croix dans le ciel, en plein midi, plus brillante que le soleil, et sur laquelle étaient inscrits ces mots : Par ce signe tu vaincras ! Constantin, qui était encore païen, persuada aisément à son armée que le miracle était réel, les trois quarts de ses soldats étant Chrétiens et habitués aux prodiges

Le pape Miltiade mourut le 10 janvier, 314. Sylvestre lui succéda.

L’Arianisme date de 319. Arius, prêtre d’Alexandrie, enseigna que le Fils est engendré, bien qu’il l’ait été avant les temps ; qu’il est d’une substance différente de celle du Père ; qu’il est variable de sa nature et capable de vice et de vertu. « Il fut conduit à cette hérésie, dit l’abbé Guyot, par la difficulté d’expliquer l’accord de l’unité et de la trinité en Dieu. »

Le mot difficulté nous semble une expression trop mitigée. « Comment, continue le savant abbé, trois personnes distinctes peuvent elles exister dans une substance simple ? La seule issue possible était d’admettre trois êtres distincts dans une substance unique, ce qui est incompréhensible mais non contradictoire. » L’abbé Guyot nous stupéfie. Son raisonnement est aussi fort que celui-ci : Comment admettre que ce qui est carré est rond ? en admettant que ce qui est rond est carré.

Arius appuyait sa doctrine sur les passages des Évangiles où Jésus-Christ se dit inférieur à son Père et soumis à sa volonté. Plusieurs évêques se rallièrent à l’Arianisme et le défendirent, Eusèbe de Nicomédie, entre autres. Il y avait longtemps d’ailleurs que beaucoup d’Églises étaient Ariennes avant Arius. Saint Denys d’Alexandrie professait l’inégalité des deux premières Personnes et ne considérait le Saint-Esprit que comme une simple créature. De sorte que l’Arianisme se répandit rapidement en Égypte, en Lybie et dans la Thébaïde supérieure. Tout l’Orient fut agité par les discussions théologiques.

Constantin, voyant que les fidèles étaient troublés par l’anarchie qui s’était emparée des Églises, se hâta de réunir un grand Concile général à Nicée, en Bithynie, l’an 325. Deux mille quarante huit évêques s’y rendirent ; mais comme il s’agissait de statuer sur la divinité du Christ, on renvoya mille sept cent trente d’entre eux qui n’y croyaient pas. Il n’en resta donc que trois cent dix-huit seulement. Ces pères de Nicée, dit l’évêque Sabinus qui recueillit les actes du Concile, étaient aussi ignorants qu’ils étaient grossiers. Ces débats furent donc très-violents et les évêques se dirent beaucoup d’injures. Enfin, Athanase, qui avait suivi comme diacre l’évêque Alexandre d’Alexandrie, proposa le mot consubstantiel pour expliquer la relation du Père au Fils.

Le Concile accepta définitivement le symbole suivant sur lequel est fondée la foi de l’Église catholique. Nous citons textuellement :

« Nous croyons en un Dieu, père tout-puissant, qui a fait toutes les choses visibles et invisibles, et en un Seigneur Jésus-Christ, fils unique de Dieu, engendré par le Père, c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu et lumière de lumière, véritable Dieu de Dieu véritable, engendré et non fait, consubstantiel au Père, par lequel toutes choses ont été faites au ciel et sur la terre, qui est descendu, s’est incarné et s’est fait homme pour nous et pour notre salut, qui a souffert, qui est ressuscité le troisième jour, qui est monté au ciel, et qui viendra juger les vivants et les morts. Et nous croyons au Saint-Esprit. »

Puis, le Concile ajouta cette imprécation : « L’Église de Dieu, catholique et apostolique, anathématise ceux qui disent : Qu’il y avait un temps où le Fils de Dieu n’existait pas, ou qu’il n’existait pas avant d’avoir été engendré, ou qu’il a été fait de rien, ou qu’il est d’une autre substance ou essence que son Père, ou qu’il est créé et sujet au changement. »

Arius et les évêques qui lui restèrent fidèles furent excommuniés. Quant à Constantin, il condamna tout livre de l’hérésiarque aux flammes, et à la peine capitale toute personne qui en posséderait une copie.

En 328, il changea d’opinion et rappela Arius ainsi que les évêques Ariens. On vit cette année-là, à Alexandrie, saint Antoine l’anachorète. Ce grand saint qui, nous l’avons dit, était d’une ignorance fabuleuse et ne savait absolument ce dont il était question, excommunia néanmoins les Ariens et s’en retourna comme il était venu.

Hélène, mère de Constantin, retrouva à Jérusalem la croix sur laquelle Jésus-Christ avait été crucifié. Les clous, qu’on retrouva aussi, furent envoyés à l’Empereur qui en mit une partie à son casque et le reste au mors de son cheval. On ne sait naturellement, ni comment cette croix avait été conservée, ni si elle était la vraie croix, ni même s’il y avait jamais eu une vraie croix. L’essentiel est que l’impératrice Hélène la retrouva.

Saint Athanase, le chef des Consubstantialistes au Concile de Nicée, et qui avait été élu au siège épiscopal d’Alexandrie, fut accusé, en 335, d’avoir violé une vierge, tué un évêque et brisé un calice. On le déposa au Concile de Tyr et l’Empereur l’exila dans les Gaules.

Le pape Sylvestre mourut à Rome, le 31 décembre de cette année. Marc lui succéda.

En 336, Arius fut trouvé mort, à Constantinople dans un lieu d’aisances. Les Ariens accusèrent les Consubstantialistes de l’avoir fait périr par leurs maléfices, et les Consubstantialistes proclamèrent que la vengeance divine, l’avait frappé.

Le pape Marc mourut le 7 octobre de cette année. Jules lui succéda.

Constantin ne tarda pas à suivre Arius. Il mourut le 22 mai 337. Ce fut Eusèbe de Nicomédie, évêque arien, qui le baptisa au dernier moment. Ce premier empereur chrétien fut un des plus grands misérables qui aient jamais existé. Nous en reparlerons ailleurs.

Les empereurs Constance et Constant convoquèrent les évêques d’Orient et d’Occident au Concile de Sardique, dans la nouvelle Dacie. Il en vint cent d’Occident et soixante-dix d’Orient, selon saint Athanase ; trois cents occidentaux et soixante-seize orientaux, selon Nicéphore Calliste. Le pape Jules envoya deux prêtres et un diacre pour l’y représenter. Les évêques d’Orient qui étaient Ariens refusèrent de siéger avec Athanase que soutenaient ceux d’Occident ; de sorte que ceux-ci, beaucoup plus nombreux, déposèrent, excommunièrent et anathématisèrent les orientaux. Ceux-ci, retirés à Philippopolis, excommunièrent de leur côté Athanase et le pape Jules. Le Concile général de Sardique, où les évêques latins tentèrent pour la première fois d’asseoir la suprématie du siège de Rome, ne réussit qu’à envenimer les haines, et il rompit en fait toute communication religieuse entre l’Orient et l’Occident. Quant au dogme de la consubstantialité, il n’y fut rien changé à Sardique. On y rédigea bien un symbole plus long que celui de Nicée qui fut approuvé par Jules, mais il ne nous est pas parvenu.

Le pape Jules mourut le 12 avril 352. Libère lui succéda. Athanase fut de nouveau condamné au Concile d’Arles, en 353, et au Concile de Milan, en 355, par trois cents évêques latins. Le pape Libère n’ayant pas souscrit à cette condamnation, fut exilé par l’Empereur Constance ; mais, en 357, fatigué de l’exil, Libère revint sur sa décision et reconnut ainsi l’Arianisme. C’est ce qu’on nomme dans l’Église, la chute de Libère.

En 360, Julien, proclamé Empereur à Paris, renonça au Christianisme.

L’hérésie des Macédoniens date de l’année suivante. Ils étaient ainsi nommés de Macédonius, évêque déposé de Constantinople, qui attaqua la divinité du Saint-Esprit. Il eut beaucoup de sectateurs en Thrace et en Bithynie. Les Grecs donnèrent aux Macédoniens le nom de pneumatomaques, ou ennemis de l’Esprit.

L’Empereur Julien, que l’Église a surnommé l’Apostat, était doué de grandes qualités morales et de beaucoup d’esprit. Au lieu de persécuter les Chrétiens, il se contenta de critiquer leurs idées et leurs actes et de se moquer d’eux. L’Église l’a particulièrement en horreur. Il fut tué d’un coup de lance dans un combat contre les Perses, en 363.

Le pape Libère mourut le 24 septembre 366, sous Valentinien. Damase lui succéda.

Comme la possession du siège épiscopal de Rome procurait d’immenses richesses et une grande autorité, elle excitait naturellement l’ambition de tous les prêtres. « Celui qui parvient à ce but, dit Ammien Marcellin, est sûr de s’enrichir, quand ce ne serait que des offrandes des matrones. Il ne se montre plus en public que sur un char, magnifiquement vêtu, et ses repas somptueux l’emportent sur les tables des rois. Eorum convivia regales superant mensas.

Par suite de brigues opposées, le prêtre Damase et le diacre Ursicinus furent élus et ordonnés simultanément.

Les deux partis en vinrent aux mains sur les places et dans les Églises. On releva en un seul jour cent trente-sept cadavres dans la Basilique Sicinienne qui fut réduite en cendres. La victoire étant restée aux partisans de Damase, les historiens ecclésiastiques ont décidé que l’élection de celui-ci était seule canonique et légitime. Maximien, préfet de Rome, voyant la bataille terminée, fit mourir avec impartialité, de part et d’autre, ceux qui avaient pris une part trop vive à l’affaire, prêtres ou séculiers.

En 368, sous Valentinien, il y eut un Concile à Laodicée en Phrygie. Les canons de ce Concile nous donnent quelques détails intéressants sur les mœurs et les croyances du temps. Le trente-sixième prohibe, pour les prêtres et les clercs, l’étude de la magie et des mathématiques ; un autre défend de prier les Anges au lieu de Jésus-Christ. Enfin, le soixantième dresse la liste des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament qu’on doit seuls considérer comme sacrés. Or, on n’y trouve ni Judith, ni Tobie, ni la Sagesse, ni l’Ecclésiastique, ni les Macchabées, ni l’Apocalypse.

Un édit de Valens, Empereur d’Orient, soumit tous les moines au service militaire, en 376. Il y en avait, surtout en Égypte, une prodigieuse multitude. Dans la seule ville d’Oxyrinque, on comptait trente mille moines et religieuses. Saint Pacôme rassemblait deux fois par an cinquante mille moines dans le monastère de Tabesse. L’abbé Sérapion, près d’Arsinoë, gouvernait dix mille moines. Ils étaient plus de cent mille dans les deux Thébaïdes, haute et basse. La mort de Valens empêcha d’exécuter l’édit.

L’hérésie d’Apollinaire de Laodicée fut condamnée à Rome, en 377. Les Apollinaristes soutenaient que Jésus-Christ n’avait ni un corps, ni une âme semblables aux nôtres ; que son corps était impassible et que son âme était sans entendement, pareille à l’âme sensitive de Platon, que celui-ci distingue de l’âme raisonnable.

Le deuxième Concile général se réunit à Constantinople, en 383, sous Théodose, pour régler les affaires de l’Église et statuer définitivement sur la doctrine orthodoxe. Le résultat le plus important des délibérations fut un symbole semblable à celui de Nicée, mais auquel on ajouta une déclaration nouvelle au sujet de la divinité et de la procession du Saint-Esprit. Celui-ci fut déclaré Seigneur vivifiant qui procède du Père, et prit place dans la Trinité consubstantielle. Dans les premiers temps, le Saint-Esprit n’était guère qu’un mot abstrait. Saint Jérôme rapporte que Lactance n’y voyait qu’une expression propre à signifier la sainteté du Père et du Fils : Sanctificationem utriusque personæ. Cependant le concile de Constantinople ne fit procéder le Saint-Esprit que du Père. La troisième Personne de la Trinité devait attendre encore quatre siècles avant de procéder du Père et du Fils.

Priscillien fut condamné au Concile de Bordeaux en 384, sous Maxime. Les Priscillianistes étaient des hérétiques qui mêlaient les erreurs des Manichéens à celles des Gnostiques.

Le pape Damase mourut le 11 décembre de cette même année. Sirice lui succéda.

Saint Jérôme quitta définitivement Rome vers cette époque. C’était un esprit inquiet et violent. Il avait parcouru la Thrace, le Pont, la Bithynie et la Cappadoce, s’était retiré au désert et en était sorti pour venir à Rome servir de secrétaire au pape Damase. À la mort de ce dernier, il retourna en Orient. Il traduisit le premier la Bible de l’hébreu en latin.

En 389, les Jovinianistes furent condamnés à Rome. Ils soutenaient que l’abstinence et la sensualité étaient choses indifférentes en soi ; que la virginité n’était pas un état plus parfait que le mariage ; que la mère de Jésus n’était plus vierge après l’enfantement, et que Jésus-Christ n’avait eu qu’une chair fantastique.

Le pape Sirice mourut le 20 novembre 398, sous Honorius. Anastase Ier lui succéda.

Il y eut vers ce temps là une révolte générale des moines d’Égypte contre Théophile, évêque d’Alexandrie. Ils lui en voulaient extrêmement parce qu’il ne croyait pas que Dieu eût un corps. Ces moines, sans savoir pourquoi, partageaient l’opinion de Tertullien à cet égard. Théophile, à qui ils n’auraient pas laissé le temps d’argumenter, prit le parti de leur déclarer qu’en les voyant il croyait voir le visage même de Dieu. Les moines en conclurent que si Dieu avait un visage, il avait aussi un corps et que Théophile était orthodoxe, de sorte qu’ils renoncèrent à leur pieux dessein de le massacrer.

Ce fut au Concile de Tolède, en 400, qu’on donna pour la première fois le titre de pape à l’évêque de Rome. Si nous le lui avons donné nous-même jusqu’ici, ce n’a été que pour nous conformer à l’usage de l’Église.

Parmi les canons du Concile de Tolède, il en est un qui permet d’avoir une femme légitime ou une concubine, au choix des personnes. D’ailleurs, l’Église, pendant les huit premiers siècles, a eu des idées peu arrêtées sur le mariage. L’Empereur Valentinien était ouvertement bigame. Il était permis dans certains cas au mari et à la femme de disposer l’un de l’autre en faveur d’un tiers. Saint Augustin rapporte qu’Acyndinus, devant une somme au fisc, et menacé d’être pendu, prêta, pour s’acquitter, sa femme à l’agent du fisc. Saint Augustin le loue de cette action. D’ailleurs, selon le diacre Paul, l’Église laissait au pouvoir civil le soin de fixer les conditions et la forme du mariage, sans doute par suite du mépris qu’elle a toujours eu pour la femme, comme il nous serait facile de le démontrer par d’innombrables citations.



Fin du quatrième siècle.

CINQUIÈME SIÈCLE.




Le pape Anastase mourut le 27 avril 402, sous Théodose le Jeune, en Orient, et Honorius en Occident. Innocent Ier lui succéda.

La rivalité de Saint Grégoire de Naziance et de Maxime, tous deux simultanément évêques de Constantinople, causa de grands troubles dans cette dernière ville. Saint Grégoire donna à son rival les noms de fantôme égyptien, scélérat enragé, chien, Mars, mal muet, monstre cruel, blond, noir, crépu, à cheveux plats, sodomite actif et passif. Le même Saint publia dans la suite tout un livre à la louange de ce Maxime, car il est permis, dit saint Jérôme, de louer et de blâmer le même homme selon la différence des temps ; « eumdem laudare et vituperare pro tempore. »

En 405, Pélage, moine de Bangor, dans le pays de Galles, vint à Rome. C’était un homme savant et austère, ami de saint Paulin et de saint Augustin. Sa doctrine sur le libre arbitre et la volonté humaine consistait en ceci : que le germe de toutes les vertus est dans l’homme et que vouloir le bien c’est le pouvoir. Il niait donc le péché originel, c’est-à-dire que le péché d’Adam et d’Ève eût été transmis à leur postérité. Selon lui, le premier couple avait été créé mortel, et l’état d’innocence ne l’eût pas empêché de mourir ; les enfants naissent purs de toute faute, et le baptême ne leur est pas donné pour effacer en eux aucune tache. Seulement, bien que ceux d’entre eux qui meurent non baptisés aient la vie éternelle, ils n’entrent pas dans le royaume des cieux, mais dans un lieu particulier. Quant au libre arbitre, il est aussi plein et entier en chacun de nous qu’en Adam avant sa faute, et il permet à l’homme, même païen, de s’élever à la plus éminente perfection.

Pélage s’attacha, à Rome, un moine écossais nommé Céleste qui devint le plus ferme appui de sa doctrine ; mais il se suscita un ennemi acharné qui fut saint Augustin.

Celui-ci était né à Tagaste, en Numidie, l’an 354, du décurion Patrice et de Monique, canonisée depuis. Il avait été Manichéen dans sa jeunesse, jusqu’en 387, époque à laquelle saint Ambroise le convertit et le baptisa à Milan. Prêtre en 391, il attaqua les Manichéens ses premiers maîtres, et fut élu évêque d’Hippone, en Afrique, en 393.

Saint Augustin a exercé une immense autorité dans l’Église, pendant sa vie et depuis, jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Nous citerons de ses ouvrages les extraits qui exposent ses idées essentielles. Qu’il nous suffise de dire que le véritable esprit du Catholicisme est là tout entier.

Nous lisons dans sa 157e lettre, adressée à Optât :

« La masse entière de l’humanité, depuis Adam, est prédestinée à la damnation. Si donc il se trouve en elle des vases de colère, ce n’est là qu’une conséquence de la peine méritée depuis la naissance. Dieu est encore fort bon ; il dispose la malice des méchants de façon à ce qu’elle serve d’avertissement aux bons, afin que ceux-ci sachent qu’ils doivent rendre grâce à Dieu de ce qu’il a bien voulu les juger dignes de sa miséricorde, eux qui étaient aussi corrompus que le reste et aussi dépourvus de mérite.

« Cela se prouve surtout par les enfants régénérés par la grâce du Christ et qui meurent : ils passent immédiatement à la Vie éternelle, tandis que les enfants privés de cette grâce meurent damnés avec la masse entière des hommes.

« Ceux qui sont sauvés doivent savoir avant tout qu’ils n’avaient aucun droit de l’être, qu’ils le sont exclusivement par la miséricorde de Dieu, gratuitement, et qu’aucun tort ne leur aurait été fait s’ils avaient été damnés avec les autres.

« Ceux qui sont damnés n’ont à se plaindre d’aucune injustice : ils étaient nés pour être damnés et avaient mérité de l’être. Toute la masse du genre humain serait équitablement punie de la damnation éternelle, si le Potier, non-seulement juste, mais surtout miséricordieux, n’y prenait de quoi fabriquer des vases de gloire, par une grâce particulière. »

Nous laissons au lecteur le soin de décider ce qu’il doit penser de cette douce doctrine du saint Docteur.

« Il est hors de doute, dit-il dans son treizième Traité de l’Évangile de saint Jean, que, non-seulement les hommes qui ont atteint l’âge de raison, mais encore les enfants et les fétus eux-mêmes qui ont vécu dans le sein de leurs mères, s’ils meurent sans avoir été baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, seront éternellement punis après leur mort par le supplice du feu, supplice mérité, non par le péché dont eux-mêmes ne sont point coupables, mais par le péché originel que leur conception charnelle et leur naissance leur ont fait contracter. »

Saint Augustin dit encore :

« Qu’un homme ait d’excellentes mœurs, sans la foi elles ne peuvent lui apporter aucun avantage. Qu’un autre au contraire ait des mœurs beaucoup moins bonnes, mais qu’il possède la foi, il obtient le salut auquel le premier ne peut arriver. » On lit cela dans l’écrit intitulé : Contre deux lettres des Pélagiens. — Contra duas epistolas Pelagianorum.

Dans son traité : de l’Utilité de croire, de Utilitate credendi, le même saint Augustin dit :

« Les imbéciles — stulti — manquant d’intelligence, ne donnent prise sur eux que par les sens. Un miracle est ce qui est extraordinaire, et par conséquent rare. Rien n’est plus propre à agir sur les sens de la multitude et des imbéciles — stultorum. »

Les personnes qui croient aux miracles sont averties. Une lettre du même Docteur contient aussi cette opinion curieuse :

« Les infidèles et les hérétiques ne possèdent qu’injustement ; tout appartient de droit aux fidèles et aux saints. »

Enfin, l’Augustinien saint Isidore de Damiette professe textuellement cette doctrine peu rassurante :

« Il y a une double prédestination, celle des Élus au repos éternel, et celle des Réprouvés à la mort.

« L’une et l’autre proviennent d’une sentence divine qui fait que les Élus tendent toujours aux choses spirituelles, et qui permet que les Réprouvés ne se plaisent qu’aux choses matérielles.

« C’est une disposition admirable de la Providence d’en haut, celle qui tantôt ajoute aux mérites du juste et aux souillures de l’impie, tantôt change le méchant en bon, et le bon en mauvais. Celui-ci veut être bon, et n’y réussit pas ; celui-là veut être méchant, et il ne lui est pas accordé de périr. »

Nous retrouverons souvent l’occasion de citer saint Augustin et ceux de son école.

Le Concile de Carthage condamna, en 412, Pélage et Céleste.

Le pape Innocent Ier mourut le 12 mars 417, sous Théodose d’Orient et Honorius d’Occident. Zosime lui succéda. Ce pape mourut le 26 décembre 418. Boniface Ier lui succéda. En 422, 25 octobre, mort de Boniface dont le successeur est Célestin.

L’hérésie des Nestoriens date de 428. Nestorius, évêque de Constantinople, soutint que Marie, étant une créature humaine, ne pouvait être appelée Mère de Dieu, car Dieu ne pouvait naître d’une femme, et que, par conséquent, il y avait deux Christ, l’un fils de Dieu, l’autre fils de Marie. Le Concile général d’Éphèse condamna les Nestoriens qui, loin de se soumettre, répandirent leur doctrine en Mésopotamie et en Perse, où ils ont encore des églises de nos jours.

Le pape saint Célestin mourut le 6 avril 432. Sixte III lui succéda. Celui-ci étant mort en 440, le 28 mars, Léon lui succéda.

En 448, parut l’hérésie d’Eutychès. C’était un prêtre, abbé d’un monastère près de Constantinople. Par suite de son aversion pour Nestorius qui reconnaissait deux natures en Jésus-Christ, il n’en admettait qu’une, la nature divine. Il fut excommunié et déposé, la vraie doctrine étant celle-ci : Jésus est parfait dans sa divinité et parfait dans son humanité, consubstantiel à Dieu, d’une part, et à l’humanité, d’autre part, et ces deux natures sont unies dans la même Personne égale en tout à Dieu et en tout à l’humanité,— ce qui est limpide.

Théodose le Jeune mourut en 450. Ce fut surtout sous les deux Théodose que les Chrétiens détruisirent le plus de temples, de statues et de manuscrits. Des bandes de moines démolissaient et pillaient. Après le temple de Sérapis, qu’il avait fait raser, l’évêque Théophile incendia la célèbre bibliothèque d’Alexandrie qui renfermait tous les trésors de l’intelligence antique. Six siècles après, les Chrétiens ont attribué ce crime aux Arabes du khalyfe Omar ; mais c’est une calomnie évidente, car le patriarche Eutychios, qui a raconté en détail la conquête d’Alexandrie par les Arabes, n’en dit pas un mot. N’oublions pas de rappeler qu’en 415, au commencement du règne de Théodose le Jeune, Hypatie, jeune femme célèbre par sa beauté, sa vertu, son éloquence et sa science, avait été massacrée affreusement par ordre de saint Cyrille d’Alexandrie. On l’attacha nue à une colonne et on la déchira avec des écailles d’huître.

Le Concile général de Chalcédoine qui condamna à la fois les deux doctrines opposées de Nestorius et d’Eutychès n’empêcha pas les partisans des deux hérétiques et les orthodoxes de se quereller et de se massacrer, en Égypte, en Palestine et à Constantinople.

Le pape saint Léon mourut le 11 avril 461, sous Marcien d’Orient et Sévère d’Occident. Hilarius lui succéda.

Protérius, évêque d’Alexandrie, fut assassiné, en ce temps-là, tandis qu’il priait dans le baptistère d’une église, un vendredi saint, par un moine nommé Timothée, qui fut sacré évêque immédiatement. Ces aventures étaient très-ordinaires dans le monde chrétien et attiraient peu l’attention.

Le pape Hilarius mourut le 17 septembre 467, sous Anthémius. Simplicius lui succéda.

À cette époque, tout l’Occident et l’Afrique appartenaient aux Barbares qui professaient l’Arianisme, à l’exception des Franks et des Anglo-Saxons qui conservaient encore leurs religions nationales.

Le pape Simplicius mourut le 2 mars 483. Félix lui succéda. Celui-ci mourut le 25 février 492, et eut pour successeur Gélase. Du temps de ce pape, les Goths achevèrent la conquête de l’Italie. Ils étaient Ariens et très-tolérants.

Gélase étant mort le 19 novembre 496, Anastase II lui succéda. Cette année-là, Khlodowig, roi des Franks, fut baptisé à Reims par l’évêque saint Remi. Beaucoup de chefs et de guerriers franks suivirent l’exemple de Khlodowig. Lamennais a dit : « On menait ces brutes au baptême comme les bestiaux à l’abreuvoir. »

Le pape Anastase mourut le 15 novembre 498. Symmaque lui succéda.



Fin du cinquième siècle.

SIXIÈME SIÈCLE.




Vers la trentième année du Ve siècle, tandis que les Vandales envahissaient l’Afrique, saint Augustin écrivait :

« L’Église et le clergé d’Afrique sont livrés à la débauche et à la crapule. On commet toute espèce d’impuretés, on s’enivre dans les cimetières, sur les tombeaux des martyrs et en leur honneur. »

Nous ne devons donc pas nous étonner que, depuis Genserik, tous les rois Vandales, conquérants Ariens et les plus violents d’entre les Barbares, sauf les Franks, aient presque anéanti le Catholicisme africain, jusqu’à l’arrivée de Bélisaire. Il n’en fut pas de même en Italie, où les mœurs n’étaient pas meilleures, mais que possédaient les Goths plus civilisés et plus doux. Ainsi, en 501, le roi Théodorik apaisa, en réunissant un Concile catholique, la querelle qui s’était élevée entre le pape Symmaque et son concurrent le diacre Laurent. Le dogme consubstantialiste fut enseigné et professé ouvertement, et les conquérants n’intervinrent que pour pacifier les troubles qu’excitait l’ambition des évêques, mais sans jamais attenter à leur liberté de conscience.

Les Catholiques reconnaissants citent même comme un très-beau trait de Théodorik l’atrocité abominable que voici : le roi Goth avait en très-grande amitié un jeune diacre consubstantialiste qui, pour plaire à son maître, embrassa l’Arianisme ; mais Théodorik, Arien très-convaincu cependant, lui coupa la tête de ses propres mains, sous prétexte qu’un homme infidèle à ce qu’il croyait être son Dieu ne pouvait être fidèle à son ami.

En 503, un Concile réuni à Rome par Symmaque décida pour la première fois, sur la proposition du diacre Ennodius, que le Saint-Siège rend impeccables ceux qui y montent et qui sont ainsi prédestinés à devenir saints.

En 507, le Frank catholique Khlodowig conquit l’Aquitaine sur Alarik, afin, disent les historiens ecclésiastiques, de détruire l’Arianisme dans les Gaules. Il est plus probable que le désir du pillage fut la cause première de l’expédition ; mais les évêques Gaulois mettaient à juste titre les intérêts de la foi bien au-dessus des scrupules ordinaires, et ils sanctifiaient ainsi la ruse, l’iniquité et la violence, puisque les convoitises des Barbares aidaient de cette façon au triomphe de la vérité.

Le pape Symmaque mourut le 19 juillet 514, sous Théodorik. Hormisdas lui succéda.

Il y eut en Espagne, vers 517, un Concile dont le trente-deuxième canon défend à la veuve d’un prêtre ou d’un diacre de se remarier.

En 525, Théodorik, qui laissait une pleine liberté aux Catholiques italiens, envoya le pape Jean, successeur de Hormisdas, demander à Justin, Empereur d’Orient, qu’il cessât d’opprimer les Ariens Orientaux, sous peine de représailles contre les consubstantialistes d’Italie. Le cardinal Baronius nous apprend que le saint évêque Jean, tout en feignant de remplir sa mission, excita de toutes ses forces, dans un louable esprit d’orthodoxie, la colère de l’Empereur grec contre les hérétiques. Théodorik, peu satisfait, fit emprisonner Jean, dès le retour de celui-ci ; mais le châtiment du roi Goth ne devait pas tarder, car il est incontestable qu’un solitaire des îles Lipari vit, quatre-vingt-dix jours après, l’âme de Théodorik précipitée dans le volcan par les papes Symmaque et Jean.

Le pape Jean mourut en prison, le 25 mai 526. Félix III lui succéda.

L’ordre des Bénédictins fut fondé, au mont Cassin, en 529, par saint Benoît. De tous les ordres religieux, celui des Bénédictins fut le plus utile. On lui doit, depuis le VIe siècle, de très-remarquables travaux d’histoire civile et ecclésiastique, entre autres la collection des histoires de France.

Le pape Félix III mourut, le 12 octobre, 529. Boniface II lui succéda.

En 530, l’empereur Justinien, qui était fort orthodoxe, confisqua les biens de tous ceux qui passaient pour païens ou hérétiques. Or, tout l’Orient, à cette époque, était peuplé d’hérétiques, les uns tenant pour Eutychès, les autres pour Nestorius, d’autres enfin pour une multitude de doctrines mixtes. Ce fut une abondante ressource pour le trésor impérial. Remarquons d’ailleurs que Justinien, fanatique et ignare au point de ne pouvoir écrire son nom, d’après l’historien Procope, était fidèle à l’opinion de saint Augustin qui avait déclaré que les infidèles et les hérétiques ne possédaient qu’injustement. Le même docteur avait écrit aussi : « La persécution des impies contre l’Église est injuste, mais celle de l’Église contre les impies est juste. » Or, s’il était permis à Justinien de prendre la vie des impies, à plus forte raison pouvait-il confisquer leurs biens, et c’est ce qu’il fit.

Le pape Boniface II mourut en décembre 531. Il avait désigné pour son successeur le diacre Vigile, mais les évêques élurent Jean II qui mourut le 26 avril 535. Agapet lui succéda et mourut un an après à Constantinople. Silvère fut élu par la protection du roi goth Théodahat ; mais, Bélisaire ayant pris Rome, le diacre Vigile fit chasser Silvère qu’on relégua en Lycie. Ce Vigile, pour se ménager l’appui de l’impératrice Théodora qui était Eutychienne, embrassa pour le moment cette hérésie, de sorte que le cardinal Baronius lui donne les noms de loup dévorant, de voleur et d’Antéchrist, ce qui n’empêche pas que, Justinien ayant renvoyé Silvère à Rome, le pape Vigile envoya son concurrent en exil à l’île de Palmérie où saint Silvère fut soumis à la faim et à toutes sortes de tourments. Enfin Vigile le fit égorger par deux sicaires en 540.

Telles étaient les mœurs évangéliques des papes au VIe siècle et fort longtemps après, comme nous le verrons.

Le pape Vigile mourut le 10 janvier 555, à Syracuse. Pélage lui succéda.

En 553, le Concile général de Constantinople avait décrété qu’on pouvait anathématiser ceux qui étaient morts dans la communion de l’Église. Ce fut le prétexte de grands troubles en Italie. Beaucoup d’évêques, entre autres Paulin d’Aquilée et Vitalis de Milan, s’opposèrent à l’acceptation du cinquième Concile général. Pour les contraindre autrement que par l’excommunication qui n’était pas assez efficace, le pape Pélage s’adressa à l’eunuque Narsès qui commandait les armées grecques en Italie : « Ne ménagez rien, écrivait-il, ne craignez pas d’être appelé persécuteur ; il n’y a que les schismatiques qui persécutent. Nos rigueurs à nous seront de la pure bienveillance. »

Les évêques, insensibles à la bienveillance de Pélage et de Narsès, les excommunièrent tous deux dans un Concile réuni en 558.

Le pape Pélage mourut le 2 mars 559. Jean III lui succéda.

Vers 568, les Lombards étant entrés en Italie, les dissensions furent momentanément absorbées par le trouble général, de sorte que, le pape Jean III étant mort le 13 juillet 572, le Saint-Siège resta vacant dix mois. Benoît Ier fut élu le 16 mai 573. Celui-ci mourut le 31 juillet 577, et Pélage II lui succéda.

Les évêques schismatiques devinrent alors si puissants sous la protection des Lombards, qu’ils se réunirent malgré Pélage II et condamnèrent solennellement le cinquième Concile général de Constantinople. Le pape eut recours à Smaragdus, Exarque de Ravenne, qui, à force de mauvais traitements, contraignit deux évêques, Élie et son successeur Sévère, de se rétracter. L’écrivain Paul Diacre suppose, à ce propos, que Pélage était légitimement possédé du Diable.

En 579, le Concile de Châlons-sur-Saône déposa deux évêques, Salonius d’Embrun et Sagittaire de Gap. C’étaient deux frères. Ils furent condamnés tous deux pour homicides et adultères. Il est probable qu’ils n’eussent été ni accusés ni condamnés pour si peu ; mais, le roi Gontran l’ayant voulu, cela fut fait.

Ce même Gontran fit décider, en 585, par un Concile qu’il réunit à Mâcon, que tout laïque serait tenu désormais de saluer les prêtres, moines et diacres qu’il rencontrerait. Il paraît que les laïques se dispensaient de rendre cet hommage aux ecclésiastiques.

Le pape Pélage mourut le 8 février 590. Le diacre Grégoire, depuis saint Grégoire le Grand, lui succéda.

Ce grand pape fit abattre les statues, les arcs de triomphe et autres monuments de l’ancienne Rome. Il brûla la bibliothèque Palatine fondée par Auguste et tous les exemplaires de Tite-Live qu’il put découvrir. Aucun des conquérants Barbares qui s’étaient emparés de l’Italie ne fit plus de mal que lui à l’intelligence humaine. Il n’était pas non plus très-doux pour les schismatiques. « Quelque vertueux que puisse être un schismatique, dit-il dans une lettre à Secundinus, brûler éternellement est le seul lot qu’il ait à attendre. »

Jean le Jeûneur, évêque de Constantinople, ayant pris le titre d’évêque universel, Grégoire écrivit contre cette prétention en faisant remarquer que le titre d’évêque universel réduisait tous les évêchés à un seul ; que lui, Grégoire, rejetait bien loin, en ce qui le concernait, un honneur qui diminuerait les honneurs, les droits et la dignité de ses frères, attendu que rien n’était plus contraire à l’Évangile et aux canons ; et qu’il fallait conclure de cette prétention de Jean le Jeûneur que le règne de l’Antéchrist était proche : Propinqua jam Antechristi esse tempora.

Les successeurs de saint Grégoire le Grand n’ont 
point partagé son opinion.



Fin du sixième siècle.

SEPTIÈME SIÈCLE.



En 602, le centurion Phocas, proclamé empereur par l’armée, fit égorger l’empereur Maurice et toute sa famille.

Peu après, saint Grégoire le Grand lui écrivit en ces termes, dans sa trente et unième lettre : « À Phocas, empereur, — ad Phocam, imperatorem.

« Gloire à Dieu dans le ciel, à Dieu qui, comme il est écrit, change les temps et transfère les couronnes ! Que les cieux se réjouissent, que la terre frémisse de plaisir, et que le corps tout entier de la République universelle (l’Église catholique) partage la joie de vos actes cléments ! »

Le pape saint Grégoire mourut le 12 mars 604. Sabinien lui succéda en septembre de la même année. Mort de Sabinien, le 2 février 605. Boniface III, élu le 25 février 606, mourut le 12 novembre suivant, Boniface IV lui succéda le 18 septembre 607.

En 608, parut le prophète arabe Mahomet qui se nommait en réalité : Mohhammed ben-A’bd-Allah-al-Qoraysch, c’est-à-dire Mohhammed, fils d’A’bd-Allah, de la tribu Qoraysch.

La religion fondée par le prophète Mohhammed pouvant, à la rigueur, être considérée comme une sorte d’hérésie à la fois juive et chrétienne, nous dirons ici en peu de mots en quoi elle consistait. Mohhammed enseignait qu’il n’y avait qu’un Dieu unique, absolument parfait, créateur de l’univers et n’ayant ni fils ni filles. Dieu avait envoyé déjà beaucoup de prophètes aux hommes, Abraham, Moïse, entre autres, et enfin, le plus grand de tous, Jésus, fils de Marie, mais non fils de Dieu. Les Juifs ne firent point mourir Jésus, parce que Dieu le sauva. Les Juifs et les Chrétiens ayant altéré la vérité, Dieu avait envoyé Mohhammed pour l’enseigner de nouveau. Il fallait donc reconnaître Mohhammed pour le prophète suprême, croire en la résurrection, au jugement universel, à l’enfer où les méchants et les infidèles brûleront à jamais, et au paradis qui est un jardin de délices où les bons et les croyants jouiront de toutes les félicités imaginables, en compagnie de femmes éternellement jeunes et belles.

Le prophète ordonna, dans le livre que lui dicta l’ange Gabriel et qu’il nomma le Koran, de prier cinq fois par jour, à certaines heures, en se tournant toujours vers le temple de la Mekke où les Arabes gardaient une pierre noire très-vénérée ; de se laver régulièrement le visage, les mains et les pieds ; de ne point boire de vin ; de ne pas manger de porc et de jeûner pendant tout un mois particulier. Il recommanda aussi de faire, au moins une fois dans sa vie, le pèlerinage de la Mekke, et de répandre beaucoup d’aumônes. Il ordonna enfin d’exterminer tous les idolâtres et enseigna que tous les hommes étaient soumis à la fatalité ou prédestination. Ce dernier dogme réunit dans un assentiment commun saint Paul, saint Augustin, Mohhammed, Calvin et les Jansénistes.

En ce temps-là, Boniface IV, avec la permission du pieux assassin Phocas, dédia le Panthéon à la Vierge et à tous les martyrs.

Le pape Boniface mourut le 25 mai 614, sous Héraclius. Deusdedit lui succéda. Celui-ci mourut le 8 novembre 617. Il eut pour successeur Boniface V.

Mohhammed s’enfuit de la Mekke en 622. Cette date devint le commencement de l’Ère mahométane, de l’Hégire, c’est-à-dire la fuite.

Boniface V mourut cette année-là, le 25 octobre. Honorius lui succéda en 626.

En 630, le roi frank Dagobert ordonna de baptiser de force la population du pays de Gand, ce qui se fit aisément, car les premiers venus pouvaient être chargés de l’opération. Saint Augustin dit, en effet, dans son traité du Baptême, « de Baptismo » : « Ce sont les mots sacramentels qui font l’effet requis au baptême. Que le baptême soit administré par un saint, par un hypocrite ou par un impie, peu importe ; le baptisé n’en est pas moins sanctifié en Jésus-Christ. »

L’hérésie des Monothélites date de 633 ; elle est due dans son origine à Sergius, patriarche de Constantinople. Monothélisme signifie volonté unique.

Les Monothélites soutenaient donc que l’unité personnelle impliquait nécessairement l’unité de volonté distincte, car deux volontés, deux principes d’action, supposent deux personnes. Or, la divinité et l’humanité formant une seule personne en Jésus-Christ qui, d’après l’Église, est à la fois Dieu et homme, il s’en suit qu’il n’y a en Jésus-Christ qu’une unique volonté que ces hérétiques, excellents logiciens d’ailleurs, nommaient Théandrique, c’est-à-dire à la fois divine et humaine. Ils se séparaient en cela de l’hérésie d’Eutychès qui, nous l’avons vu, ne reconnaissait qu’une seule nature en Jésus-Christ. C’est pourquoi le Monothélisme sembla à l’empereur Héraclius une théorie mixte à l’aide de laquelle les Catholiques, les Nestoriens et les Eutychiens pourraient s’accorder et mettre un terme aux désordres effroyables qui troublaient tout l’Orient.

Sergius, patriarche de Constantinople, fit adopter la nouvelle doctrine dans un Concile d’Alexandrie, en 633, et l’empereur l’imposa par un édit ; mais saint Sophrone, évêque de Jérusalem, assembla un autre Concile, en 634, dans lequel il fit condamner comme hérétique le dogme d’une seule volonté en Jésus-Christ.

« Malheureusement, dit l’abbé Guyot, dans son Dictionnaire des hérésies, le pape Honorius, à qui saint Sophrone avait écrit, s’était laissé séduire par une lettre artificieuse de Sergius qui, sans nier distinctement les deux volontés en Jésus-Christ, semblait soutenir seulement qu’elles étaient une. »

Nous ne pouvons certainement concevoir comment Sergius admettait qu’il n’y eût qu’une seule volonté, sans nier cependant qu’il y en eût deux. Le pape Honorius répondit donc à Sergius ces paroles imprudentes : « Confessons une seule volonté dans le Christ, parce que la divinité n’a pas pris notre péché, mais notre nature telle qu’elle était avant d’avoir été corrompue par le péché. »

Il est vrai que ce malheureux pape écrivit une seconde fois au patriarche de Constantinople qu’il fallait laisser cette chicane à l’oisiveté des grammairiens ; mais cette facilité et cette tolérance d’Honorius lui attirèrent, longtemps après sa mort, les qualifications désagréables d’hérétique et de fauteur d’hérésies. Trois Conciles généraux le condamnèrent ouvertement et nominativement, ce qui nous semble en contradiction avec le dogme de l’infaillibilité papale.

Le cardinal Baronius a beau s’écrier : « Les papes n’ont jamais erré ; j’en appelle aux papes eux-mêmes ! » cette exclamation singulière n’empêche pas que trois Conciles généraux, le sixième, le septième et le huitième, n’aient condamné Honorius. Or, il est impossible que le Saint-Esprit, qui dicte les décisions des Conciles généraux, ait tort, et que le cardinal Baronius ait raison. Le cardinal Baronius était un savant homme, mais le Saint-Esprit en savait plus long que lui.

L’empereur Héraclius défendit, par un édit, de parler à l’avenir de la nature simple ou des deux natures de Jésus-Christ, de sa volonté unique ou double. Comme cet édit était on ne peut plus sage et raisonnable, il révolta tout le monde. Héraclius fut regardé comme un hérétique par tous les partis.

Le pape Honorius mourut en 638. Sévère lui succéda dix-huit mois après. Sévère mourut presque immédiatement et eut pour successeur Jean IV.

En 641, l’impératrice Martine et le patriarche Pyrrhus empoisonnèrent Constantin, fils d’Héraclius, qui n’était pas monothélite, et voulurent couronner Héraclius, second fils de Martine ; mais le sénat fit arracher la langue à l’impératrice et couper le nez à Héracléon, qui n’avait que dix ans. Puis Constant II, fils de Constantin, fut proclamé empereur, et l’hérétique Paul devint patriarche.

Jean IV assembla à Rome un Concile qui anathématisa les Monothélites, leurs fauteurs et leurs partisans.

Ce pape mourut le 12 octobre 642. Théodore lui succéda.

Vers 648, l’ex-patriarche Pyrrhus vint à Rome présenter au pape Théodore une profession de foi catholique, en lui demandant de l’aider à reprendre possession du Siège de Constantinople. Théodore le reçut dans la communion de l’Église, mais ne fit rien de plus, par l’excellente raison qu’il lui était radicalement impossible d’agir en Orient par des ordres ou par des prières. Pyrrhus, peu satisfait, s’étant mis à l’abri sur le territoire grec, à Ravenne, renonça avec un égal empressement au Catholicisme pour reprendre ses opinions monothélites. L’historien Théophanes dit à ce sujet que le patriarche de Constantinople retourna à ce qu’il avait vomi, comme un chien qu’il était.

L’empereur Constant publia à cette époque le Type, ou ordonnance, qui défendait de s’occuper à l’avenir de disputes théologiques ; mais Théodore déclara que le Type n’était qu’une subtilité abominable. L’expression est singulière, car rien n’était moins subtil que l’ordonnance de Constant. Il est vrai que rien n’était plus inutile, car personne n’en tint compte.

Le pape Théodore mourut le 13 mai 649. Martin Ier lui succéda.

Le nouveau pape, à peine élu, convoqua un Concile de cent cinquante évêques qui anathématisèrent solennellement Pyrrhus, le patriarche Paul, le Monothélisme et le Type de Constant.

L’empereur ordonna, en 653, à l’Exarque de Ravenne d’enlever le pape Martin et l’abbé Maxime qui avait converti Pyrrhus. Le pape et l’abbé furent transportés à Constantinople. On traîna le premier dans les rues, nu, un carcan de fer au cou ; le second eut la langue et la main coupées. Tous deux furent exilés.

Dans l’intervalle, Constant ordonna de donner un successeur à Martin, du vivant de celui-ci. Eugène fut élu, et Martin le reconnut pour pape légitime, bien que cette élection fût anticanonique, puisqu’elle constituait un double pontificat.

Le pape Martin mourut en exil, le 14 septembre 655, et le pape Eugène le 2 juin 658. Vitalien lui succéda.

Il y eut, en ce temps-là, un mouvement extraordinaire parmi les peuples d’Orient et d’Occident. Les villes et les campagnes peuplaient les monastères qui se multipliaient de toutes parts. Les enfants que leurs parents y conduisaient avec eux devenaient forcément moines, dès qu’ils atteignaient l’âge de raison. Constant, qui voulut s’opposer à cette émigration insensée, devint tellement odieux aux Orientaux qu’il forma le projet de transporter de nouveau en Italie le siège de l’Empire. Il vint en effet à Rome, vers 663, mais il se contenta de piller la ville et de faire enlever le toit d’airain de l’église Sainte-Marie-des-Martyrs. À son retour il fut assassiné à Syracuse.

Le pape Vitalien mourut le 27 janvier 672. Adéodat lui succéda. Mort d’Adéodat, 17 juin 676. Il eut pour successeur Donus, le 2 novembre de la même année. Celui-ci mourut le 11 avril 679. Agathon lui succéda.

En 680, Constantin Pogonat résolut de faire adopter le Catholicisme romain par tout l’Orient, et il crut que rien ne serait plus efficace pour atteindre ce but que de convoquer le sixième Concile général. Deux cents et quelques évêques aimables, ainsi qu’ils furent qualifiés dans les actes, se réunirent à Constantinople. Ils anathématisèrent le Monothélisme, le pape Honorius qui avait pactisé avec l’hérésie vers 633, et l’évêque d’Antioche, Macaire, qui, poussé à bout, déclara que, loin de reconnaître deux volontés en Jésus-Christ, il ne lui en reconnaissait même plus une seule. On maudit Macaire qui fut enfermé dans un monastère, et le Concile se sépara.

Le pape Agathon mourut le 10 février 682. Léon II lui succéda. Celui-ci, étant mort le 17 août de l’année suivante, eut pour successeur Benoît II. Le 8 mai 685, mort de Benoît II. Son successeur Jean V étant mort le 2 août 686, Conon lui succéda. En septembre 687, Sergius succéda à Conon.

Le troisième Concile de Saragosse décida, en 691, que les veuves des rois seraient régulièrement enfermées dans un couvent pour le reste de leur vie.

En 695, le patrice Léonce et le patriarche Callinique, s’étant saisis de l’empereur Justinien II que les prêtres et les moines détestaient, lui coupèrent le nez et l’exilèrent ; mais, en 696, Apsimare coupa le nez du patrice Léonce, qui s’était fait proclamer empereur, et prit sa place.

C’était alors la coutume à Constantinople de couper le nez des personnes détrônées. Parfois aussi on leur crevait les yeux, mais le plus souvent on faisait l’un et l’autre.



Fin du septième siècle.

HUITIÈME SIÈCLE.




Le pape Sergius mourut le 8 septembre 701. Jean VI lui succéda.

En 703, Justinien Rhinotmète, c’est-à-dire qui a le nez coupé, revint en vainqueur à Constantinople. Il se fit amener en plein cirque Apsimare et Léonce et les foula aux pieds ; puis il ordonna de leur couper la tête. Quant au patriarche Callinique, il le relégua à Rome après lui avoir crevé les yeux.

Le pape Jean VI mourut le 11 janvier 705. Jean VII lui succéda. Mort de Jean VII, le 18 octobre 707. Il eut pour successeur Sisinnius, le 19 janvier 708, et Constantin, le 25 mars de la même année.

Philippique, empereur en 711, ayant fait couper la tête de Justinien Rhinotmète, convoqua un nombreux Concile d’évêques et d’abbés qui rétablirent le Monothélisme. En 712, il y eut un autre Concile, réuni par Jean, patriarche de Constantinople, et par un eunuque nommé Germain, qui décida dans le même sens.

En 715, l’eunuque Germain fut nommé patriarche et chassé en 716 par l’empereur Théodose qui se prononça contre le Monothélisme, qui finit par être oublié. Le pape Constantin mourut cette année-là, le 9 avril. Grégoire II lui succéda.

Ce fut sous Théodose que parut l’hérésie des 
Iconoclastes ou briseurs d’images. Il est avéré que 
les Chrétiens ne connaissaient à l’origine ni temples 
ni simulacres d’aucune espèce. Tertullien, Origène, 
Lactance, Minutius Félix, Arnobe en font foi. Le 
fait même d’allumer des cierges était regardé 
comme un reste de paganisme. « Les païens, dit 
Lactance, allumaient des cierges comme si Dieu 
était dans les ténèbres. »

Les premiers Chrétiens avaient en horreur toute espèce d’images et surtout les statues : « Nous n’adorons les croix ni ne désirons les voir, dit Minutius Félix. » Mais les choses avaient bien changé, et l’Église était devenue Iconolâtre, c’est-à-dire adoratrice d’images ; donc, les briseurs d’images, bien que tous les anciens Pères fussent de leur avis, étaient et sont restés hérétiques.

En 722, l’empereur Léon, qui était Iconoclaste,
 ordonna aux Juifs et aux Montanistes de se faire
 baptiser. Alors, Juifs et Montanistes se réunirent et 
se brûlèrent solennellement pour échapper à l’apos
tasie.

Une singulière décrétale du pape Grégoire II, en 724, permit au mari dont la femme était malade d’en prendre une autre.

Ce pape mourut le 12 février 731. Grégoire III lui succéda. Cependant l’empereur Léon faisait briser de tous les côtés les figures de Jésus-Christ, de la Vierge, des anges et des saints, et il ordonna à Grégoire de les détruire aussi à Rome et dans toute l’Italie ; mais celui-ci se révolta très-nettement et signifia à l’empereur que les papes seuls étaient les arbitres de la chrétienté. « Nous aurions, comme étant l’autorité et la puissance de saint Pierre, lui écrivit-il, prononcé des peines contre vous, mais, puisque vous vous êtes donné à vous-même la malédiction, qu’elle vous demeure. »

En second lieu, pour se mettre à l’abri des entreprises de Léon, le pape contracta alliance avec le Frank Karl Martel, à qui il promit d’ouvrir l’Italie dès que le Barbare serait disposé à y venir.

Le pape Grégoire III mourut le 28 novembre 741 ; Zacharie lui succéda.

Ce fut à ce pape que l’archevêque de Mayence, saint Boniface, écrivit contre un prêtre nommé Virgile qui enseignait l’existence d’un autre monde ayant un soleil et une lune comme le nôtre. Le pape répondit à saint Boniface que, si Virgile persistait dans une doctrine aussi perverse, il fallait le chasser aussitôt de l’Église, ce qui fut fait.

En 750, le chef Frank Peppin envoya Pévêque de Vurzbourg, Burkard, au pape Zacharie pour lui demander si l’homme qui ne remplissait pas les fonctions de roi devait en garder le titre. Zacharie répondit que cela ne se devait pas. C’est pourquoi Peppin fit tondre les Mérovingiens Hildérik et Thierry, son fils, et, les ayant enfermés chacun dans un cloître, fut proclamé roi des Franks.

Le pape Zacharie mourut le 15 mars 752. Étienne lui succéda, mais, celui-ci étant mort quatre jours après, on nomma un autre Étienne.

Les Lombards, qui jusqu’alors avaient ménagé les papes, assiégèrent Rome en 753. Le pape Étienne alla dans les Gaules demander des secours à son allié le roi Peppin qui passa en Italie l’année suivante, battit les Lombards et fit donation à l’Église romaine de quelques villes qu’on nomma le Domaine utile. Les papes ne devinrent souverains que longtemps après.

Vers cette époque, il y eut dans tout l’Orient persécution des Iconolâtres et destruction des images. Constantin Copronyme, ainsi nommé parce qu’il avait souillé les fonts pendant son baptême, incendia les monastères, ordonna d’abattre toutes les croix plantées sur les églises et abrogea toutes les prières à la Vierge et aux saints. Il punit comme impie et sacrilège quiconque porterait des reliques ou en conserverait dans sa maison ; et, par surcroît, il voulut forcer tous les moines à se marier sans délai. Le plus grand nombre obéit ; ceux qui s’y refusèrent eurent les yeux crevés, le nez et la langue coupés.

Le pape Étienne II mourut le 26 avril 757. Le diacre Paul lui succéda.

En 758, saint Khrodegand, évêque de Metz, fit une règle pour les chanoines. On y trouve pour la première fois l’obligation de payer pour faire dire une messe. Cette règle pour les chanoines était fort dure : on les fouettait quand le supérieur le jugeait à propos.

Le pape Paul mourut le 29 juin 767. Un laïque, nommé Constantin, s’étant fait tonsurer, fut sacré pape, sur l’ordre du duc de Népi, par un Concile réuni pour la circonstance. Les Romains élurent de leur côté un nommé Philippe, puis Étienne. En 768, le primicier du Saint-Siège, à la tête de soldats lombards, s’empara de Rome et se saisit de Constantin. On commença par lui arracher les yeux ; puis les évêques italiens, auxquels s’étaient joints douze évêques franks, se réunirent pour le juger. Après lui avoir reproché le crime qu’il avait commis de s’être fait sacrer pape étant un simple laïque, les Pères du Concile l’accablèrent de coups et le jetèrent dehors. On décida ensuite qu’un tribut de respect et de vénération devait être rendu aux images et on anathématisa les Conciles Orientaux qui avaient décrété le contraire.

Ce fut au roi Peppin que l’Église dut le payement régulier de la dîme. « Ordonnez de notre part, écrivit-il à l’archevêque de Mayence, que chacun paye sa dîme, qu’il le veuille ou non. »

Le pape Étienne III mourut le 1er février 772. Adrien lui succéda.

Karl le Grand, nommé vulgairement Charlemagne, passa les Alpes en 773. Il battit les Lombards qui s’étaient emparés du Domaine utile, c’est-à-dire des villes données à l’Église par Peppin ; puis il assiégea Pavie. La ville fut prise l’année suivante, et Karl devint roi des Franks et des Lombards.

En 775, Constantin Copronyme mourut après un des règnes les plus sanglants que les peuples d’Orient eussent subis. Les adorateurs d’images avaient été poursuivis et massacrés pendant plusieurs années, presque sans interruption. D’ailleurs, les Iconolâtres persécutaient à leur tour les Iconoclastes dès qu’ils en avaient le pouvoir, et avec une égale fureur. Ainsi, l’impératrice Irène, régente pendant la minorité de Constantin Porphyrogénète, c’est-à-dire né dans la pourpre, s’empressa de rendre aux Iconoclastes tout le mal que son beau-père Copronyme et son mari Léon IV avaient fait aux Iconolâtres.

Vers 786, Irène et le patriarche Taraise, avec l’assentiment du pape Adrien, convoquèrent un Concile général à Constantinople ; mais les Pères étaient à peine réunis que tout le peuple s’insurgea, menaçant de massacrer l’assemblée qu’il soupçonnait d’être favorable au culte des images. Le Concile fut donc transféré à Nicée, en 787.

Trois cent cinquante évêques et abbés, présidés par le Patriarche de Constantinople, en présence des légats du pape Adrien, anathématisèrent trois fois les Iconoclastes. Puis, le canon ou décret des décisions prises fut traduit en latin et communiqué au pape, qui l’approuva.

À la même époque, un synode tenu dans le Northumberland, en Angleterre, décréta qu’il ne fallait ni attenter à la vie du roi, ni couper la queue aux chevaux.

En 788, Karl le Grand défendit par un capitulaire, sous peine de mort, de manger de la viande en carême. Deux ans après, il fit examiner par ses évêques les actes du Concile de Nicée et les rejeta comme étant contraires à la coutume d’Occident. Il convoqua enfin à Francfort, en 794, un autre Concile général d’Occident, composé de trois cents évêques franks, germains, italiens et espagnols, qui, sans tenir compte des décisions du Concile de Nicée et de l’approbation papale, déclarèrent le culte des images impie et condamnèrent tous ceux qui l’avaient autorisé. Karl envoya les actes du synode de Francfort au pape Adrien, qui jugea prudent de ne pas se quereller avec son puissant contradicteur et ne répondit point.

Adrien mourut le 26 décembre 795. Léon III lui succéda.

Dans l’intervalle, l’impératrice Irène avait été contrainte de remettre le pouvoir à son fils Constantin Porphyrogénète, qui ne partageait point ses idées au sujet du culte des images. Mais, le jeune empereur ayant négligé de faire tuer sa mère, selon l’usage du temps, celle-ci, à l’aide d’un grand nombre de prêtres et de moines, réussit à s’emparer de son fils, en 797, et lui fit crever les yeux avec tant de barbarie, que celui-ci expira en quelques jours des suites de l’opération.

En 799, il y eut à Rome une aventure curieuse, en ce sens qu’elle établit en fait la suprématie juridique du roi des Franks dans les affaires de l’Église. Le primicier et le sacellaire de la cour pontificale, ayant enlevé le pape, le séquestrèrent dans un couvent, d’où il put s’évader et se réfugier auprès du roi Karl qui le renvoya à Rome avec des troupes. Là, on chargea sept évêques et trois comtes d’examiner la valeur des accusations intentées par le primicier et le sacellaire contre Léon III. Faute de preuves produites, les accusateurs furent arrêtés et déportés, et Léon fut remis en possession du Saint-Siège. Nous avons déjà vu certains papes jugés par des Conciles généraux ; en voici un autre acquitté par une commission royale, après un procès régulier. En ce temps-là, le dogme de l’infaillibilité papale était absolument ignoré.

En 800, le roi Karl vint à Rome. Quelques jours après son arrivée, il réunit de nouveau les évêques et leur demanda d’examiner une seconde fois l’affaire du pape. Les évêques, oubliant de la façon la plus absolue ce qu’ils avaient fait l’année précédente, déclarèrent qu’il ne leur appartenait pas de juger le Siège apostolique, chef de toutes les églises. La demande du roi et la réponse des évêques étaient probablement convenues, car il ne fut plus jamais question de l’affaire.

Seulement, le roi Karl, étant venu entendre la messe le jour de Noël, priait debout devant l’autel, le front incliné, quand le pape lui mit une couronne sur la tête, aux acclamations de la foule qui emplissait l’église et criait : « À Charles Auguste, couronné de la main de Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »

Depuis cette cérémonie, Karl le Grand porta le titre d’empereur d’Occident,

La querelle des Iconoclastes et des Iconolâtres, qui avait été le grand événement religieux du VIIIe siècle, n’était pas apaisée. Nous avons vu le pape Grégoire III excommunier quiconque s’opposerait au culte des images, puis le septième Concile général de Constantinople l’abolir, puis le septième Concile également général de Nicée le rétablir, puis le Concile de Francfort l’abolir de nouveau avec l’assentiment de Karl le Grand. Ces tergiversations du Saint-Esprit sont au-dessus de la raison humaine. Nous verrons enfin les Orientaux, qui furent les premiers briseurs d’images, se rallier à l’Iconolâtrie latine, au moment même où ils se sépareront de l’Église catholique sur la question Eucharistique et sur la procession du Saint-Esprit.



Fin du huitième siècle.

NEUVIÈME SIÈCLE.




En 802, le patrice Nicéphore, s’étant emparé de l’empire d’Orient, relégua l’impératrice Irène à Lesbos où elle mourut l’année suivante ; c’est-à-dire que les Iconoclastes se remirent à massacrer les Iconolâtres.

À cette époque, Karl le Grand était le maître absolu de tout l’Occident. Il avait fait de larges concessions à l’Église, mais en réservant sa propre suprématie dans toute son étendue. Il défendit aux évêques de chasser, de verser le sang des Chrétiens ou même des païens, d’épouser plusieurs femmes (plures uxores), d’user de fraudes pieuses et d’opérations magiques, de porter des armes, d’exciter des querelles, d’entretenir des femmes étrangères et de s’enivrer. Ces différentes prohibitions donnent une idée singulière des mœurs courantes de l’épiscopat.

On voit que les Capitulaires de l’empereur décidaient toutes les questions religieuses, non-seulement celles qui étaient de discipline ecclésiastique, mais aussi celles qui touchaient au dogme. Ainsi, le Concile réuni à Aix-la-Chapelle, en 809, ayant pris, au sujet de la procession du Saint-Esprit, une décision contraire à l’opinion de la cour romaine, il fut ordonné aux évêques gaulois de ne point se conformer à la doctrine du pape, ce qui ne surprit ni le pape ni les évêques. Léon III ne protesta en aucune façon, et les évêques obéirent.

Karl le Grand mourut en 814. Il avait épousé quatre femmes à la fois, tout en gardant cinq concubines ; mais l’Église, par reconnaissance sans doute, ne lui en fit jamais aucun reproche. D’ailleurs, la polygamie n’était pas un fait extraordinaire en ce temps-là, puisque le même empereur l’avait défendue aux évêques.

Ce fut en 816, sous Louis le Débonnaire, que l’institution des chanoines fut étendue à toutes les églises des Gaules, d’Allemagne et d’Italie.

Le pape Léon III mourut le 12 juin de cette même année. C’était un homme très-cruel et très-rapace. Sous prétexte de conspiration contre sa personne, il avait décimé, en 815, les principales familles de Rome, et les supplices s’étaient tellement multipliés que l’empereur avait été contraint d’intervenir. Par les taxes, les confiscations et les pillages, il avait épuisé les villes et les campagnes, de sorte qu’il laissa en mourant des richesses immenses. Étienne IV lui succéda. Celui-ci, étant mort l’année suivante, eut pour successeur Pascal Ier.

Louis le Débonnaire confirma, en 817, les donations faites à l’Église par Peppin et Karl le Grand ; mais il inséra dans l’acte impérial une clause spéciale, portant que les villes et terres concédées au Saint-Siège resteraient soumises à la domination et sujétion de l’empereur.

Il arriva, en 824, que Théodore, primicier de l’Église, et le nomenclateur Léon, ayant eu les yeux crevés, furent décapités dans le palais de Latran. Le pape envoya deux légats à l’empereur pour nier qu’il eût pris part à ces meurtres ; mais, quand les commissaires impériaux vinrent à Rome demander qu’on leur livrât les assassins, le pape s’y refusa, attendu, dit-il, que les exécuteurs du meurtre étaient de la famille de saint Pierre. L’affaire n’eut donc pas de suite.

Pascal Ier mourut peu après, le 11 mai 824. Eugène II lui succéda.

Le Concile de Rome, tenu en 826, sous le pontificat d’Eugène II, ordonna de suspendre les sous-diacres, diacres, prêtres et prélats qui étaient incapables de remplir les fonctions de leur ministère, jusqu’à ce qu’ils se fussent fait instruire. La plupart en effet ne savaient pas un mot de latin, même à Rome, de sorte qu’ils ne comprenaient absolument pas les prières contenues dans l’office de la messe. Il y a des capitulaires qui ordonnent aux évêques contemporains de veiller à ce que les prêtres comprennent au moins l’Oraison dominicale, afin que chacun sache ce qu’il demande journellement à Dieu : Dominicam orationem ipsi intelligant, ut quisque sciat quid petat a Deo.

Le pape Eugène II mourut le 27 août 827. Valentin lui succéda pendant un mois. Grégoire IV fut élu le 5 janvier de l’année suivante, mais il ne fut consacré qu’après que les commissaires impériaux eurent examiné et approuvé son élection.

On tint quatre Conciles dans les Gaules en 828, pour la correction du clergé et du peuple. Il est bien entendu que les ecclésiastiques et les fidèles n’en restèrent pas moins, les uns ignares et corrompus, et les autres incurablement stupides.

En 830, les fils de Louis le Débonnaire, ayant déposé leur père et forcé l’impératrice Judith de prendre le voile, furent soumis presque aussitôt ; mais, par ordre du pape, on séquestra dans un monastère Hilduin, Elisakhare et Wala, abbés de saint Denys, de Centula et de la Vieille-Corbie, comme instigateurs et chefs de la révolte.

Trois ans après, le pape, s’étant rendu en France, appelé par Lothaire, fils de Louis, fut soupçonné de n’y être venu que pour frapper l’empereur des censures ecclésiastiques. Alors, les évêques firent savoir au pape que, s’il était venu pour excommunier, il s’en retournerait excommunié lui-même, ce qui effraya sensiblement Grégoire ; mais d’autres évêques le rassurèrent en lui promettant de leur côté d’excommunier ceux qui l’excommunieraient.

Lothaire assembla donc un Concile à Compiègne, où les Pères anathématisèrent l’empereur, le déclarant coupable d’homicides, de sacrilèges, d’adultères, et d’avoir fait la guerre pendant le carême. Puis on l’enferma dans un couvent. L’année suivante il se réconcilia avec l’Église et fut rétabli. Enfin, à Metz, en 835, on procéda à son entière réintégration, et sept archevêques lui donnèrent sept absolutions définitives pour les crimes dont ils le déclaraient, d’ailleurs, innocent.

Il ne faut pas oublier que ce fut en 835 qu’on entendit parler pour la première fois de saint Denys martyr, dont l’histoire fut écrite par l’abbé Hilduin. Celui-ci apprit donc au monde chrétien, qui ne s’en doutait pas, que saint Denys, prêchant l’Évangile dans les Gaules, sous Domitien, fut saisi, fouetté, brûlé, exposé aux bêtes, entonné dans un four, mis en croix, communié en prison de la main propre de Jésus-Christ, et finalement décapité ; puis, que son corps se releva, ramassa sa tête et la porta entre ses mains au milieu d’un cortège d’anges. Dans ce remarquable ouvrage, l’abbé Hilduin accuse de pure ineptie les personnes qui ne voudraient pas croire à la réalité de ces faits.

Le pape Grégoire IV mourut le 11 janvier 844. L’archiprêtre Sergius lui succéda. Celui-ci étant mort le 27 janvier 847, Léon IV lui succéda.

En 849, un moine bénédictin du diocèse de Châlons-sur-Marne, nommé Gotescalc, enseigna que Dieu a prédestiné, de toute éternité, les uns à la vie éternelle, les autres à l’enfer, indépendamment des mérites ou des démérites des hommes, et que, depuis le péché d’Adam, nous ne sommes plus libres pour faire le bien. Deux Conciles, celui de Mayence et celui de Quierzy-sur-Oise, condamnèrent comme hérétique la doctrine de Gotescalc. Il est malheureux que cette doctrine ne soit autre que celle de saint Paul, de saint Augustin, de saint Isidore et de toute leur école. Quelques évêques contemporains tentèrent bien de défendre le Bénédictin condamné en s’appuyant de l’autorité de saint Augustin, « mais, dit l’abbé Guyot, il n’était pas aisé de saisir, au IXe siècle, les vrais sentiments de ce saint docteur. » C’est pourquoi Gotescalc est un hérétique. L’abbé Guyot en prend son parti sans peine, mais le moine n’en fut pas moins fouetté publiquement, pour avoir partagé l’opinion du saint Docteur, et enfermé pour la vie dans l’abbaye de Hautvilliers.

Le pape Léon IV mourut le 17 juillet 855. Benoît III lui succéda, mais il y eut des troubles à Rome avant sa consécration. Il fut chassé du palais de Latran, dépouillé de ses habits pontificaux et battu outrageusement par son concurrent le prêtre Anastase. Puis on le consacra. La légende de la papesse Jeanne prit place plus tard entre Léon IV et Benoît III.

Celui-ci mourut le 10 mars 858. Nicolas Ier lui succéda.

Un an auparavant, l’empereur d’Orient Michel l’Ivrogne avait chassé le patriarche Ignace et nommé à sa place un homme d’un grand génie et d’une science profonde, nommé Photius. Les évêques le firent passer par tous les ordres en six jours. De cette façon, on le fit moine, lecteur, sous-diacre, diacre, prêtre, évêque et patriarche, et le Concile de Constantinople, en 861, le reconnut pour légitimement ordonné.

Le dépossédé Ignace se plaignit au pape Nicolas qui excommunia Photius en 862 ; mais ce dernier excommunia à son tour le pape Nicolas, prit le titre de patriarche universel et accusa d’hérésie tous les évêques de la communion romaine. Il leur reprocha : 1° de jeûner le samedi ; 2° de permettre l’usage du lait pendant le carême ; 3° d’empêcher les prêtres de se marier ; 4° de réserver aux seuls évêques l’onction du chrême ; et 5° d’avoir ajouté au symbole de Constantinople le mot filioque, pour exprimer que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.

Le pape Nicolas mourut le 13 novembre 867. Adrien II lui succéda.

Le huitième Concile général de Constantinople, en 869, condamna Photius comme intrus.

Le pape Adrien II mourut le 26 novembre 872. Jean VIII lui succéda.

En 879, un nouveau Concile de Constantinople reconnut Photius pour patriarche légitime, et le pape l’admit à sa communion. Cependant, c’est de cette époque que date le grand schisme d’Orient et que l’Église grecque orthodoxe se sépara définitivement de l’Église catholique romaine.

Le pape Jean VIII mourut le 15 décembre 882. Martin II lui succéda. Celui-ci mourut le 23 février 884, et eut pour successeur Adrien III. Mort d’Adrien III, en 885, le 8 juillet. Étienne V lui succéda.

L’empereur Léon le Philosophe déposa Pho
tius, en 886, et le fit enfermer dans un monas
tère.

Le pape Étienne V mourut le 7 août 891. Formose lui succéda.

Un moine de Flavigny fut accusé, au Concile de Châlons-sur-Saône, en 894, d’avoir empoisonné Adalgaire, évêque d’Autun. Il offrit de recevoir la communion pour prouver son innocence. On la lui donna, ce qui ne lui fit aucun mal. En conséquence, il fut déclaré innocent.

Le pape Formose mourut le 4 avril 896. Après l’antipape Boniface, dont le pontificat dura quinze jours, Étienne VI fut élu.

En 897, un Concile, réuni à Rome, condamna Formose, mort l’année précédente. Étienne VI fit déterrer le cadavre qu’on apporta dans la salle des séances et qui fut assis sur le siège papal, revêtu des habits pontificaux. Là, on l’interrogea. Il ne répondit rien et fut condamné. On le dépouilla, on lui coupa trois doigts et la tête, et on le jeta dans le Tibre. Cette même année, le pape Étienne VI fut étranglé au mois d’août. Romain lui succéda et mourut le 8 février 898. Il eut pour successeur Théodore II, qui fit enterrer de nouveau le corps de Formose trouvé par des pêcheurs. Théodore étant mort le 3 mars, Jean IX lui succéda.

Le 12 mars 899, mort de Jean IX, à qui succéda Benoît IV.



Fin du neuvième siècle.

DIXIÈME SIÈCLE.




Rome et la papauté offraient, à cette époque, le spectacle le plus curieux. Les mœurs générales n’étaient pas excellentes, mais celles de l’Église laissaient à désirer. Voici ce qu’en dit le cardinal Baronius dans ses Annales ecclésiastiques :

« Quel horrible aspect ne présentait pas alors la sainte Église romaine, lorsque d’infâmes courtisanes disposaient à leur gré des Sièges épiscopaux, et, ce qui est également terrible à prononcer et à entendre, lorsqu’elles plaçaient leurs amants sur le trône même de saint Pierre ! Qui pourrait appeler pontifes légitimes des intrus qui devaient tout à des femmes de mauvaise vie ? Car on ne parlait plus de l’élection du clergé : les canons, les décrets des papes, les anciennes traditions, les rites sacrés étaient ensevelis dans le plus profond oubli ; la dissolution la plus effrénée, le pouvoir mondain, l’ambition de dominer, avaient pris leur place. Le Christ, assurément, dormait alors d’un profond sommeil dans le fond de sa barque, et, ce qui est bien plus malheureux encore, les disciples du Seigneur dormaient plus profondément que lui. »

Après cet aperçu général présenté par un juge irrécusable, reprenons le détail des faits.

Le pape Benoît IV mourut le 20 octobre 904. Léon V lui succéda, mais celui-ci, chassé par l’antipape Christofle, mourut en prison deux mois après. Christofle étant mort lui-même presque immédiatement, Sergius III fut élu.

Le premier acte de Sergius fut de faire déterrer encore une fois le cadavre de Formose pour le maudire et le mutiler.

Aucun pape ne fut plus maltraité après sa mort que ce malheureux Formose. On l’inhumait et on l’exhumait sans relâche, et on en coupait un morceau à chaque condamnation nouvelle.

En 908, une dame romaine, Théodora, s’empara du gouvernement de Rome. Sa fille, Marozia, était la maîtresse du pape Sergius dont elle eut un fils, nommé Jean, qui devint pape plus tard.

En 911, l’empereur d’Orient, Alexandre, successeur de Léon le Philosophe, fit relever dans l’hippodrome de Constantinople les statues des Dieux et voulut qu’on leur offrît des sacrifices ; mais cette tentative ne réussit pas.

Le pape Sergius mourut le 6 décembre de cette même année. Le siège de Rome resta inoccupé pendant deux ans ; Anastase III fut élu en 913. Mort le 6 juin 914, Anastase fut remplacé par Landon.

En 915, Théodora, fille cadette de Théodora et sœur de Marozia, fit nommer Jean, son amant, archevêque de Ravenne. Le pape Landon étant mort le 25 avril de cette année, l’amant de Théodora fut élu sous le nom de Jean X.

Toutes les églises étaient, dans ce temps-là, aussi régulièrement menées que celle de Rome. Hébert, comte de Vermandois, ayant jugé à propos de faire sacrer archevêque de Reims son fils âgé de cinq ans, Jean X approuva l’élection.

Bien que Théodora fût la maîtresse du pape, elle n’était pas aussi puissante à Rome que sa sœur Marozia. Celle-ci avait épousé Guy, marquis de Toscane, qui menait rudement le peuple et le clergé, disposant à son gré des biens et de la vie de chacun, mais soumis le premier à la volonté de sa femme et n’agissant que par ses ordres. Marozia fit poignarder par son mari un frère du pape, nommé Pierre, dans le palais de Latran ; puis ils se saisirent de Jean X qui fut étouffé sous des coussins, le 2 juillet 928. Léon VI lui succéda. Ce dernier, étant mort l’année suivante, eut pour successeur Étienne VII qu’on laissa régner deux ans. Le 12 mars 931, le siège pontifical devint vacant, et Marozia fit sacrer, sous le nom de Jean XI, le fils qu’elle avait eu du pape Sergius ; c’est-à-dire qu’elle exerça toute l’autorité religieuse et civile.

Le pape Jean XI mourut le 14 février 936. Léon VII lui succéda. Mort de Léon VII, le 23 août 939. Il eut pour successeur Étienne VIII. Ce pape étant Allemand, les Romains le prirent en haine et le défigurèrent à coups de pierres. D’ailleurs, à défaut d’événements religieux ou politiques, les pillages et les luttes armées dans les rues et dans les maisons, les rapts de femmes et les meurtres occupaient tous les instants.

Le pape Étienne VIII mourut le 15 janvier 943. Martin III lui succéda. En 946, le 4 août, mort de Martin. Il eut pour successeur Agapet II.

Vincent de Beauvais rapporte que, vers cette époque, les moines du monastère de Glastemburg fouettaient régulièrement tous leurs disciples, le cinquième jour avant Noël, non, dit-il, pour les punir de quelque faute, mais uniquement parce que c’était l’usage.

Le pape Agapet II mourut le 18 mars 952. Ce fut le petit-fils de Marozia qui lui succéda. C’était un jeune homme de dix-huit ans nommé Octavien. Il prit le nom de Jean XII en montant sur le siège pontifical. La première intervention armée des empereurs d’Allemagne en Italie date de 961. Menacé par Bérenger qui se disait roi d’Italie, Jean XII demanda du secours à Othon qui se hâta de le lui amener en personne.

Les donations faites par Peppin et Karl le Grand furent solennellement confirmées et cinq villes de Lombardie ajoutées au domaine temporel, mais toujours avec l’ancienne clause : « Sauf notre puissance et celle de nos successeurs. » Ce qui déplut grandement au pape dont l’intention n’était pas de reconnaître la souveraineté tudesque en Italie. Aussi, l’empereur n’eut pas plus tôt quitté Rome que Jean XII engagea secrètement Adalbert, fils de Bérenger, à s’unir à lui pour se débarrasser d’Othon. Celui-ci, averti, revint promptement, en 963 ; mais le pape eut le temps de s’enfuir. On réunit un Concile qui accusa le pefit-fils de Marozia d’un assez grand nombre de crimes, faux ou avérés, et l’accusé fut invité à venir se justifier. Jean XII répondit aux Pères qu’il les excommunierait s’ils osaient nommer un pontife, ce qu’ils firent peu après en ordonnant Léon protoscriniaire de l’Église romaine.

En 964, Jean XII, étant rentré à Rome, fit mutiler le cardinal-diacre Jean, puis déposa Léon et ceux qui l’avaient élu. Les écrivains ecclésiastiques disent que les mœurs de Jean XII étaient horribles ; rien n’est plus probable, mais ses mœurs étaient celles de tous ses contemporains, et, selon saint Augustin, tout est au mieux pourvu qu’on ait la foi.

Le pape Jean XII mourut en mai 964. Benoît V lui succéda.

Othon le Grand assiégea Rome cette année-là et s’en empara par la famine ; puis il fit élire de nouveau Léon VIII qu’avait déposé Jean XII. Un Concile réuni en 965 dégrada Benoît de l’ordre de la prêtrise et l’exila. Les Pères, le pape Léon, le cierge et le peuple confirmèrent à l’empereur et à ses successeurs le droit d’établir le pape et de donner l’investiture aux évêques, sous peine, pour qui s’y opposerait, d’être excommunié, exilé, ou même puni de mort. Nous verrons que les papes ne voulurent jamais obéir aux décrets de ce Concile.

Léon VIII mourut en avril et Benoît V en juillet 965. Jean XIII fut élu le 1er octobre.

En 969, l’empereur d’Orient, Nicéphore, voulut contraindre les évêques de déclarer martyrs ceux qui étaient tués en combattant les Musulmans, auxquels on donnait le nom de Sarrasins. Notons en passant que Sarrasin vient du mot arabe Scharqyyn, qui signifie Orientaux. Nicéphore fut égorgé dans son lit, pendant qu’il dormait.

Le pape Jean XIII mourut le 6 septembre 972. Benoît VI lui succéda.

Ce fut cette année-là que Crescentius, fils de Théodora et de Jean X, enferma le pape au château Saint-Ange et fit élire Boniface VII. En 974, Benoît fut étranglé dans sa prison et Boniface fut chassé de Rome. Donus II lui succéda et mourut en octobre 975. Il eut pour successeur Benoît VII ; mais, celui-ci étant mort en 984, Boniface, qui s’était retiré à Constantinople, rentra à Rome, déposa Jean XIV qu’on avait élu dans l’intervalle, l’enferma au château Saint-Ange et l’y laissa mourir de faim. En ce temps-là, peu de Souverains pontifes finissaient régulièrement.

Boniface VII, le protégé de Crescentius, mourut en décembre 985. Jean XV lui succéda. C’était le fils d’un prêtre romain.

Le pape Jean XV étant mort le 30 avril 995, l’empereur Othon II fit élire un de ses neveux qui prit le nom de Grégoire V ; mais, deux ans après, Crescentius chassa Grégoire et nomma pape le grec Philagathe, évêque de Plaisance, Jean XVI. L’empereur revint, se saisit de Jean à qui on coupa le nez et la langue et on arracha les yeux. Puis Grégoire le fit promener tout sanglant par la ville, sur un âne dont il tenait la queue entre ses mains.

En 998, Othon, qui assiégeait Crescentius dans le château Saint-Ange, lui promit la vie sauve s’il se rendait, mais, dès qu’il le tint, il lui fit couper la tête. Cependant, pour expier le tort de n’avoir point tenu sa promesse, il prit pour concubine la veuve de Crescentius.

Le pape Grégoire V excommunia, cette année-là, le roi de France Robert qui avait épousé une de ses parentes sans dispense.

Voici quelques formules d’excommunication. Elles datent toutes du IXe au XIe siècle :

« Nous les frappons d’un anathème perpétuel. Qu’ils souffrent la colère du Juge suprême ; qu’ils soient relégués avec le Diable et ses ministres dans les tourments de la flamme vengeresse et d’une douleur sans fin. Qu’ils soient en horreur au ciel et à la terre. Qu’ils soient maudits dans leur habitation. Qu’ils soient maudits aux champs. Maudite soit la nourriture de leur corps, et maudit le fruit de leurs entrailles. Qu’ils n’aient d’autre sépulture que celles des ânes ! Amen. »

« Que leurs fils deviennent orphelins et leurs femmes veuves ; que leurs fils soient pourchassés et réduits à mendier leur pain ; qu’ils soient eux-mêmes arrachés à leurs habitations et que l’usurier spécule sur leur substance. Poursuis-les, mon Dieu, dans ta fureur ; couvre leur face d’ignominie. Amen. »

« Qu’ils soient maudits à la ville, aux champs et en tous lieux. Amen. »

« Qu’ils soient maudits lorsqu’ils sortent de chez eux et lorsqu’ils y rentrent. Amen. »

« Que le Seigneur les frappe de faim, de soif, de misère, de froid et de fièvre. Amen. »

« Que le Seigneur les frappe d’une plaie horrible, de la gale, de la rogne, de folie et d’aveuglement. Amen. »

« Qu’ils soient maudits toujours et partout ; qu’ils soient maudits la nuit, le jour et à toute heure, dormant et veillant, mangeant et jeûnant, parlant et se taisant, du sommet de la tête à la plante des pieds. Que toutes les parties de leur corps soient maudites. Qu’ils soient maudits debout, couchés, assis. Que leur sépulture soit celle des chiens et des ânes, et que les loups rapaces dévorent leurs cadavres. Amen. »

Le Xe siècle fut le plus ignare, le plus stupidement féroce et brutalement corrompu de tous les siècles de l’Ère chrétienne. Aucune hérésie ne s’y manifesta, parce qu’une hérésie suppose un travail intellectuel quelconque et que l’abrutissement général était absolu.

Le pape Grégoire V mourut le 11 février 999. Sylvestre II lui succéda.



Fin du dixième siècle.

ONZIÈME SIÈCLE.




Il se rencontra, à Ravenne, dans la première année du XIe siècle, un professeur de grammaire, nommé Vilgarius. Le fait est déjà extraordinaire en un temps où nul ne se souciait d’enseigner ou d’apprendre quoi que ce soit ; mais, ce qui est plus curieux, ce fut la doctrine soutenue par ce Vilgarius. Il enseigna que les poètes de l’antiquité grecque et romaine avaient tous été prophètes et que leurs œuvres contenaient la vérité absolue. Bien que cette opinion ne fût point une hérésie, puisque toute hérésie est essentiellement Chrétienne, on condamna Vilgarius.

Le pape Sylvestre II mourut le 12 mai 1003. Il avait introduit l’usage du chiffre arabe. C’était un homme instruit pour son temps ; aussi passait-il généralement pour magicien. Jean XVIII lui succéda.

Vers cette époque, on défendit aux moines Orientaux de laisser entrer des animaux femelles dans leurs couvents, à cause du danger qui pourrait en résulter pour leurs âmes. Nous n’insisterons pas sur cette prohibition.

En 1009, un Concile, réuni en Angleterre, ordonna à tous les prêtres et religieux de renvoyer leurs femmes, soit qu’ils en eussent plusieurs, ce qui était le plus ordinaire, soit qu’ils n’en eussent qu’une. Le Concile promit à ceux qui obéiraient qu’ils seraient faits nobles ; mais il n’excommunia nullement ceux qui repousseraient le célibat.

Le pape Jean XVIII mourut le 18 juillet de cette année. Sergius IV lui succéda. Celui-ci, étant mort le 13 juillet 1012, eut pour successeur Benoît VIII. Le peuple de Rome avait élu un nommé Grégoire et chassa Benoît, qui fut rétabli en 1014, par l’empereur Henry.

Ce Jean, évêque de Porto, qui était devenu Benoît VIII, ne manquait ni de bravoure, ni d’habileté militaire, si nous en croyons ce que rapporte l’abbé Fleury dans son Histoire ecclésiastique. Une expédition sarrasine, ayant fait, en 1016, une descente sur les côtes d’Italie, s’était répandue en Toscane. Le pape se mit à la tête de tous les évêques, des prêtres et de ceux qui voulurent s’armer, tomba sur les infidèles, les défit complètement et, leur ayant fait couper la retraite du côté de la mer, les massacra presque tous. Le chef de l’expédition, que Pabbé Fleury appelle le roi des Sarrasins, put se sauver ; mais une de ses femmes fut prise et décapitée. Le pape s’adjugea, pour sa part du butin, les ornements d’or et les pierreries qu’elle portait. Le roi sarrasin, très-irrité de cet accident, envoya au pape un sac de châtaignes, ce qui signifiait, paraît-il, qu’il reviendrait bientôt avec autant de soldats ; mais Benoît VIII, inspiré par le Saint-Esprit, lui renvoya un sac de millet, ce qui avertissait le circoncis qu’il rencontrerait autant de combattants prêts à le recevoir. Ce sac de millet donna à réfléchir au Sarrasin, qui ne revint pas.

On brûla à Orléans, en 1017, quelques hérétiques accusés de Manichéisme. Le Concile qui les condamna prétendit qu’ils avaient coutume de brûler vif un petit enfant, à certaines époques, et d’avaler ses cendres en guise de communion. Cette accusation, renouvelée des anciennes calomnies de saint Épiphane, était probablement fausse bien que les sectes Chrétiennes fussent capables de tout — en ce temps-là.

La fondation de l’ordre des Camaldules date de 1023. Saint Romuald, le fondateur, était animé d’un très-grand zèle pour les choses de Dieu. Nous en donnerons pour preuve la pieuse anecdote que voici :

Ce grand saint avait un père qui se nommait Sergius, lequel était entré dans un monastère. Au moment de prononcer ses vœux, et cette vie ne lui plaisant plus, Sergius prit la résolution de rentrer chez lui ; mais il avait compté sans son fils. En effet, saint Romuald, averti, se rendit au monastère où résidait son père, lui fit lier les pieds et les mains et se mit à le battre sans interruption jusqu’à ce que le malheureux, excessivement sensible à un tel zèle, eût promis de rester moine. Nous ne pouvons mieux faire que d’offrir l’exemple de Romuald et de Sergius aux fils pieux et aux pères irrésolus.

Le pape Benoît VIII mourut le 10 juillet 1024. Son frère, qui était laïque, lui succéda sous le nom de Jean XIX. Ce dernier, chassé en 1033 par les Romains et rétabli par l’empereur Conrad, mourut le 8 novembre de cette même année. Son neveu Théophylacte, âgé de douze ans, fut élu sous le nom de Benoît IX.

Le jeune pape, que le cardinal Baronius appelle le monstre Benoît, mena, jusqu’en 1044, une telle vie d’infamies de toutes sortes, rapines, débauches et meurtres, que les Romains le chassèrent et mirent à sa place Sylvestre III qui paya des sommes immenses un pontificat très-court, car Benoît reprit bientôt possession du Saint-Esprit. Mais, en 1045, il jugea à propos de vendre la papauté, pour quinze cents livres de deniers, à Jean Gratien, élu sous le nom de Grégoire VI, qui fut déposé l’année suivante et eut pour successeur Clément II. À la mort de ce dernier, en 1047, Benoît reprit possession du siège de Rome. Chassé de nouveau, il mourut en 1048. Damase II lui succéda pendant vingt-trois jours. Enfin, en 1049, Brunon, évêque de Toul, fut appelé au pontificat par tous les oiseaux et tous les chiens de Rome, qui ne cessaient de siffler, et d’aboyer miraculeusement : Léo Pontifex ! Ce fut Léon IX.

En 1050, le Concile de Rome condamna comme hérétique Bérenger, archidiacre d’Angers, modérateur de l’École de Tours, qui enseignait que le pain et le vin ne sont point détruits et changés en la substance du corps et du sang de Jésus-Christ, mais que le corps et le sang s’y unissent par la vertu des paroles de la consécration.

Les Bérengariens allaient d’ailleurs plus loin que leur maître, car ils rejetaient la présence réelle et soutenaient que le pain et le vin ne sont que la figure du corps et du sang de Jésus-Christ, s’appuyant sur ces paroles de saint Augustin qui fait dire à Jésus-Ghrist, dans sa quatre-vingt-dix-huitième dissertation : « Ce n’est pas le corps que vous voyez que vous devez manger, ni boire le sang que vont répandre ceux qui me crucifieront. Je n’ai voulu que vous laisser un sacrement, lequel, si vous comprenez son sens spirituel, vous vivifiera. S’il est nécessaire de le célébrer visiblement, il importe cependant qu’il soit toujours pris au figuré. Et si necesse est illud visibiliter celebrari, oportet tamen invisibiliter intelligi. »

Nous verrons plus tard Luther renouveler l’hérésie de Bérenger, et Calvin celle des Bérengariens.

En 1053, Léon IX excommunia les Normands du royaume de Naples et marcha contre eux ; mais ils le battirent, le firent prisonnier et le contraignirent de les absoudre. Après cette malencontreuse expédition, le pape revint à Rome où il mourut le 19 avril 1054. Victor II lui succéda l’année suivante. Celui-ci, étant mort le 28 juillet 1057, eut pour successeur Étienne IX. Mort d’Étienne, le 29 mars 1058. Un an après, Hildebrand, sous-diacre de l’Église romaine, élut Nicolas II.

En 1061, à la mort de Nicolas, Hildebrand, devenu archidiacre, fit élire Alexandre II.

Svein, roi de Danemark, ayant épousé vers 1069 Guda, sa parente éloignée, fut menacé d’excommunication par Adalbert, archevêque de Brême. Svein, pour rentrer dans la communion de l’Église, reprit les concubines auxquelles il avait renoncé en se mariant, et en eut quinze bâtards, ce qui apaisa l’archevêque.

Le pape Alexandre II mourut le 20 avril 1073. L’archidiacre Hildebrand lui succéda sous le nom de Grégoire VII.

C’était un homme d’un caractère très-ferme et d’un esprit absolu. Il voulut soumettre les rois et les peuples à la suprématie unique et sans contrôle de la Papauté. Ses lettres sont extrêmement remarquables par la hauteur et la netteté avec lesquelles il établit sa doctrine à cet égard. Dans son Commentaire sur les Décrétales, Fagnani a résumé, au XVIIe siècle, les idées de Grégoire VII en ces quelques lignes : « Le pape est la cause des causes. Personne ne peut dire au pape : Pourquoi agis-tu ainsi ? — Sa seule puissance est tenue pour cause, et qui en doute est censé douter de la foi catholique. » Papa est causa causarum. Nemo potest dicere papæ : Cur ita facis ? — Sola enim potestas est pro causa, et qui de hoc dubitat dicitur dubitare de fide catholica. »

En 1074, l’empereur Henry IV, déjà excommunié pour avoir vendu des bénéfices ecclésiastiques, écrivit au pape une lettre très-humble par laquelle il lui promettait d’aller délivrer les Chrétiens d’Orient. Ce fut le premier projet des Croisades. Cette même année, Grégoire ordonna aux évêques, prêtres et religieux, de se séparer de leurs femmes, ce qui amena une protestation universelle. Tout le clergé déclara qu’il était insensé de vouloir contraindre les hommes à vivre comme des anges ; mais le pape n’était pas facile à persuader.

Peu après il mit tout le royaume de France en interdit, c’est-à-dire qu’il n’y avait plus ni baptême, ni mariage, ni enterrement, ce qui rendit les populations folles de terreur.

Il y eut vers cette époque un combat furieux, à Rouen, dans l’église Saint-Ouen, entre les prêtres et les moines. Le peuple y prit part à son tour. On se battit à coups de chandeliers, de cierges, de croix, de pierres et de haches. Les moines furent vaincus et condamnés.

En 1075, l’empereur Henry fut cité à Rome, et on lui ordonna de comparaître sous peine d’être retranché du corps de l’Église ; mais, loin d’obéir, il convoqua un Concile à Worms pour juger Grégoire VII. Celui-ci, attaqué dans l’église de Sainte-Marie-Majeure et enlevé par Cencius, fils du préfet de Rome, allait être envoyé prisonnier en Allemagne, quand le peuple le délivra.

Le Concile de Worms le déposa, mais il riposta par l’excommunication solennelle et la déposition de l’empereur, qui fut immédiatement abandonné par les évêques, les seigneurs féodaux et les populations. Henry fut contraint de venir chercher l’absolution à Canossa, en Lombardie, où Grégoire s’était retiré sous la protection de Mathilde, comtesse de Toscane. Là, on fit jeûner trois jours le pénitent impérial, tête et pieds nus, en plein air, dans la cour extérieure de la forteresse. Puis on lui accorda l’absolution, sur sa promesse de reconnaître désormais la souveraineté absolue du pape. Dans l’intervalle, les seigneurs allemands couronnaient empereur Rodolphe, duc de Souabe.

La comtesse Mathilde donna, en ce temps-là, la Toscane et une partie de la Lombardie à l’Église romaine.

En 1080, un Concile tenu dans le Tyrol déposa Grégoire et nomma Guibert, archevêque de Ravenne, qui s’intitula Clément III ; puis Henry IV vint assiéger Rome, tandis que les Saxons faisaient empereur Hermann, duc de Luxembourg, attendu que Rodolphe de Souabe avait été tué dans une bataille.

Henry entra dans Rome en 1084 et fit sacrer Clément III.

Le pape Grégoire VII mourut à Salerne, le 25 mai 1085. Victor III lui succéda. Étant mort le 16 septembre 1087, il eut pour successeur Urbain II.

En 1092, Jehan Roscelin, chanoine de Compiègne, fit paraître sa Dissertation sur la Trinité, où on lit ceci :

« Si les trois Personnes sont une seule et même Essence, il s’en suit nécessairement que tout ce qui arrive à une Personne arrive aussi à l’autre ou à la Trinité ; car, si quelque chose de particulier arrive à une Personne plutôt qu’à une autre, alors il y trois Essences distinctes, non une seule. Or, la doctrine de l’Église enseigne aussi cette proposition que la seconde Personne s’est faite homme, et non pas la première, ni la troisième. Mais, si les trois Personnes ne forment qu’une seule Essence divine, la raison prononce que, non-seulement la seconde, mais aussi la première et la troisième sont, avec la seconde, devenues homme. »

Ce raisonnement, dont la conclusion est irréfutable, fut légitimement condamné par l’Église, car le dogme de la Trinité étant inintelligible de sa nature, on ne peut, sans péché, chercher à se l’expliquer.

En 1095, le pape Urbain II réunit un Concile à Clermont en Auvergne et y publia la Croisade. Adhémar, évêque du Puy, fut chargé de mener les pèlerins en Orient, à titre de légat, et Raymond de Toulouse fut nommé chef séculier de l’expédition.

L’année suivante, 260 000 hommes partirent de France et d’Allemagne sous la conduite de Gaultier, bientôt suivis de 40 000 autres menés par Pierre l’Hermite. Tout cela fut à peu près exterminé en Hongrie, après avoir beaucoup pillé et incendié. Enfin, une dernière armie de 200 000 hommes environ, commandés par Godefroi de Bouillon, duc de Lorraine, et par un grand nombre de princes, passa en Orient, prit Nicée en 1097, Antioche en 1098 et Jérusalem en 1099. Godefroi fut élu roi de Jérusalem et de Palestine.

Le pape Urbain II mourut le 29 juillet de cette année. Pascal II lui succéda.



Fin du onzième siècle.

DOUZIÈME SIÈCLE.




Pascal II renouvela, en 1102, dans un Concile de Rome, l’excommunication prononcée par Grégoire VII contre Henri IV d’Allemagne.

En 1111, Henri V renonça par un traité aux investitures épiscopales, et le pape, de son côté, renonça aux Régales, c’est-à-dire aux terres impériales dont l’Église s’était emparée ; mais quand il fallut mettre le traité à exécution, Henry, qui était venu à Rome, fit arrêter le pape, et le peuple massacra les Allemands qui s’enfuirent en emmenant Pascal. Celui-ci ne fut mis en liberté qu’en accordant par une bulle le droit d’investiture à l’empereur ; mais, en 1112, un Concile déclara la bulle de toute nullité et excommunia Henry.

Pascal II mourut le 18 janvier 1118. Gélase II lui succéda. Celui-ci, étant mort en 1119, eut pour successeur Calixte II.

Abélard fut censuré pour la première fois, en 1121, au Concile de Soissons qui condamna son Introduction à la Théologie chrétienne, œuvre dans laquelle les dogmes de la Trinité et du péché originel étaient gravement atteints, ce qui sapait les deux bases essentielles du Christianisme.

Abélard était un homme très-savant et très-éloquent et infiniment supérieur à son siècle. En outre, sa vie fut une longue aventure romanesque. Nous le retrouverons bientôt.

En 1122, le Concile de Worms conclut de nouveau la paix entre l’Église et l’empire. L’empereur renonça au droit d’investir les évêques par la crosse et l’anneau

Le pape Calixte II mourut le 12 décembre 1124. Honorius II lui succéda.

La première règle écrite fut donnée, en 1128, par le Concile de Troyes, à l’ordre des Templiers fondé depuis dix ans, à Jérusalem, sous le règne de Baudoin Ier.

Le pape Honorius II mourut le 14 février 1130. Il eut deux successeurs à la fois, Innocent II et Anaclet ; mais saint Bernard fit reconnaître Innocent en France, en Angleterre et en Allemagne.

Ce même saint Bernard, abbé de Clairvaux, fit condamner définitivement, au Concile de Sens, en 1139, la doctrine d’Abélard qui fut arrêté à Cluny et rigoureusement enfermé au monastère de Saint-Marcel, près de Châlons-sur-Saône, où il mourut en 1142. Son corps fut porté au Paraclet, abbaye qu’il avait fondée près de Nogent-sur-Seine, et où vivait la célèbre Héloïse, sa maîtresse, qui voulut être inhumée dans le même tombeau.

Le Concile de Latran condamna, cette même année 1139, Arnaud de Brescia qui refusait aux ecclésiastiques le droit de posséder, et rejetait le baptême des enfants, le sacrifice de la messe, les prières pour les morts et le culte de la croix.

Le pape Innocent II mourut le 24 septembre 1143. Célestin II lui succéda. Celui-ci, étant mort cinq mois après, eut pour successeur Lucius II, qui ne vécut pape qu’un an. Eugène III fut élu.

En 1146, saint Bernard prêcha la seconde croisade au Parlement de Vézelay, en Bourgogne. Une première armée de 70 000 hommes partit sous le commandement de Konrad, empereur d’Allemagne, bientôt suivie de 80 000 hommes conduits par le roi de France Louis VII. L’empereur de Constantinople, Manuel Comnène, beaucoup plus effrayé de la croisade que ne l’étaient les Sarrasins, fit tout ce qu’il put pour anéantir ses coreligionnaires qui, d’ailleurs, pillaient, violaient, massacraient et incendiaient tout sur leur passage. Il en revint fort peu en Europe.

En ce temps-là, un noble breton, nommé Éon, prétendait qu’il était fils de Dieu et juge des vivants et des morts. Il appuyait son opinion à cet égard sur ces paroles qui terminaient la formule des exorcismes : Per Eum qui judicaturus est, ce qui signifie : Par celui qui doit juger. Or, Eum voulant dire Celui, et cet ingénieux Breton se nommant Éon, il en concluait qu’il s’agissait évidemment de lui, ce qui, chrétiennement parlant, n’était pas plus insensé qu’autre chose ; mais le Concile de Reims ne l’en condamna pas moins. Il eut aussitôt d’innombrables disciples qui se laissaient plutôt brûler que d’avouer la non-identité d’Eum et d’Eon.

Le pape Eugène III mourut le 8 juillet 1153. Anastase IV lui succéda.

Une bulle du pape confirma, en 1154, les privilèges de l’ordre des Frères Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, connus depuis sous le nom de Chevaliers de Malte.

Le pape Anastase IV mourut le 2 décembre 1154. Adrien IV lui succéda.

L’empereur Frédéric Barberousse ayant livré au pape, l’année suivante, Arnaud de Brescia qui s’était réfugié en Lombardie, celui-ci fut brûlé solennellement à Rome. On jeta dans le Tibre les cendres du disciple d’Abélard.

L’origine de l’inimitié célèbre des Guelfes et des Gibelins nous est révélée par Othon, évêque de Frisingue, contemporain de Barberousse : « Deux familles puissantes existent dans l’empire romain : l’une, celle des Henrys de Guibelingue, et l’autre, celle des Guelfes d’Altdorf. Sous Henry V, le duc Frédéric épousa la fille de Henry le Noir, duc de Bavière, et il eut de ce mariage Frédéric Barberousse, actuellement régnant. »

Or, les ducs guelfes, toujours opposés aux empereurs gibelins, avaient naturellement embrassé la cause de l’Église quand celle-ci s’était élevée contre l’empire. Le parti papal fut donc confondu avec celui des Guelfes, et les intérêts des Gibelins demeurèrent attachés à ceux de la maison impériale.

À l’avènement de Barberousse, l’harmonie régnait entre la puissance religieuse et le pouvoir civil. L’empereur avait livré Arnaud de Brescia au pape, et le pape avait couronné l’empereur à Rome ; mais les haines de l’Église et de l’empire subsistaient, et les querelles, les insultes et les anathèmes ne tardèrent pas à recommencer.

En 1156, le pape eut une idée ingénieuse : il écrivit à Étienne, roi d’Angleterre, qu’il lui donnait l’Irlande à la condition de payer à saint Pierre un denier annuel par maison.

Le pape Adrien IV mourut le 1er septembre 1159. Victor III lui succéda, non sans qu’il y eût une sorte de schisme, car la moitié des cardinaux nomma un autre pape sous le nom d’Alexandre III. Ce ne fut que l’année suivante que le Concile de Pavie confirma l’élection de Victor ; mais la France, l’Angleterre et la Palestine ne voulurent reconnaître qu’Alexandre III, de sorte que Victor est compté parmi les antipapes. Ce dernier étant mort en 1164, les schismatiques élurent Pascal III par ordre de Barberousse, excommunié par Alexandre III, le vrai pape. Or, l’empereur prit Rome d’assaut en 1167 et y installa Pascal, qui mourut un an après. Ses partisans nommèrent un troisième antipape sous le nom de Calixte III ; mais, Barberousse ayant fait sa paix, en 1178, avec Alexandre, Calixte abjura le schisme qui s’éteignit avec Laudo, en 1180.

Le pape Alexandre III mourut le 30 août 1181. Lucius III lui succéda. Ce fut le premier pape élu par les cardinaux seuls, à l’exclusion du clergé et du peuple.

Le Concile de Vérone, en 1184, condamna l’hérésie des Kathares ou Vaudois. Kathare signifie pur. Les Vaudois proprement dits tiraient leur nom des vallées du Piémont, où ils s’étaient perpétués depuis le IXe siècle. Ils croyaient que la pauvreté évangélique était nécessaire au salut, et ils faisaient dépendre la validité des sacrements de la sainteté du ministre, ce qui semble fort ridicule à l’abbé Guyot, dans son livre des Hérésies. Par surcroît d’erreur, ils attribuaient le ministère sacré aux laïques dont la vie était pure ; mais le comble de l’abomination, de leur part, était de soutenir que l’Église avait cessé d’être unie à Jésus-Christ du jour où elle avait possédé des biens terrestres. Ils proscrivaient aussi le culte des saints et des images, le serment en justice, la guerre et la peine de mort. Bossuet dit textuellement d’eux, dans son Histoire des Variations, que, si leurs mœurs étaient très-pures, c’est que le Démon avait conservé parmi ces sectaires le mépris du luxe, la justice, la chasteté, la tempérance et les autres vertus morales comme un moyen pour séduire le peuple. De tels scélérats sont en effet extraordinaires.

Le pape Lucius III mourut le 24 novembre 1185 ; Urbain III lui succéda.

En 1187, Salahaddin prit Jérusalem, cent quatre-vingt-huit ans après la première croisade. Selon les historiens contemporains, la Terre-Sainte était à cette époque souillée par toute espèce de vices et de crimes, peu différente en cela, d’ailleurs, du reste de la Chrétienté.

Le pape Urbain III mourut cette même année. Son successeur, Grégoire VIII, étant mort peu après, Clément III lui succéda.

Troisième croisade en 1188, commandée par Philippe-Auguste de France, Richard d’Angleterre, l’empereur Frédéric et le duc de Souabe, son fils.

Le pape Clément III mourut le 25 mars 1191 Célestin III lui succéda.

Une bulle pontificale confirma, en 1192, le nouvel ordre militaire des chevaliers Teutoniques.

Mort de Célestin III, le 8 janvier 1198. Innocent III lui succéda. N’oublions pas de rappeler un trait du pape Célestin. Henry VI, fils de Barberousse, était venu recevoir la couronne impériale à Rome. Cette couronne était posée sur les marches du trône où le pape était assis. Or, comme l’empereur étendait le bras pour la prendre, Célestin la repoussa violemment avec le pied et la fit rouler dans la salle. C’était une façon de faire entendre au chef de l’empire qu’il dépendait de l’Église de donner et d’ôter les dignités temporelles. Henry, convaincu qu’une couronne est toujours bonne à prendre, courut après celle-ci et se la mit sur la tête. Célestin était un digne successeur de Grégoire VII, mais Innocent III se préparait à faire passer de plus rudes moments aux rois et aux peuples ; et, pour commencer, il excommunia Philippe-Auguste qui avait répudié Ingerburge pour épouser Agnès, fille du duc de Dalmatie. Le roi ayant refusé de reprendre sa première femme, l’interdit fut mis sur tout le royaume. Il n’y eut plus ni baptême, ni mariage, ni enterrement. Les cadavres restaient dans les maisons, dans les rues et sur les routes, et pendant huit mois la désolation fut générale. Enfin, Philippe céda, et le légat du Saint-Père leva l’interdit, le 28 septembre 1200.



Fin du douzième siècle.

TREIZIÈME SIÈCLE.




La quatrième croisade partit de Venise le 8 octobre 1202, et les Latins prirent Constantinople d’assaut le 12 avril 1204. Alexis Ducas fut détrôné, et Baudoin, comte de Flandres, couronné empereur d’Orient. Le pape approuva solennellement le fait accompli. Il est vrai que l’empire était enlevé à des princes schismatiques, au profit de l’Église romaine.

En 1208, Innocent III excommunia Raymond, comte de Toulouse, et fit publier une croisade contre les hérétiques du Languedoc et de la Provence, Albigeois, Vaudois, Kathares et Arnaudistes.

«  Le faste des évêques, dit l’abbé Guyot, les mœurs scandaleuses des prêtres et des clercs, leur ignorance égale à leurs vices, ne fournissaient aux hérétiques que des sujets trop réels de déclamations violentes. Car, du mépris des ministres, le peuple passa facilement au mépris de la religion. »

L’abbé Guyot dit dans un autre passage avec une singulière ingénuité : « Ces sectes avaient des erreurs particulières ; mais elles s’accordaient toutes à se déchaîner contre le clergé, à attaquer les cérémonies de l’Église, les reliques des saints, les sacrements, les indulgences, afin d’enlever aux ecclésiastiques la source de leur crédit sur l’esprit des peuples. »

Voilà, en effet, en quoi consistait le crime irrémissible des Albigeois.

Ils étaient Manichéens, mais ils avaient modifié le Manichéisme primitif en ce qu’ils admettaient que Dieu avait produit le mauvais principe, Lucifer, qui n’était, il est vrai, devenu tel qu’après sa révolte. Dieu avait alors créé Jésus-Christ pour combattre Lucifer, et la lutte entre eux devait être perpétuelle. Ce monde et ses habitants étant l’œuvre du mauvais principe, et les âmes étant des démons emprisonnés dans les corps, ils niaient la résurrection de la chair et condamnaient le mariage. Ils se partageaient cependant en deux ordres : les Parfaits et les Auditeurs. Les premiers professaient le spiritualisme et les mœurs les plus austères ; les autres aspiraient à l’initiation supérieure, mais n’y étaient point parvenus. On les massacra et on les brûla pendant dix-huit ans. Soixante mille Albigeois furent égorgés dans la seule ville de Béziers. On déchirait les victimes avec des tenailles, on déterrait les morts pour les couper en quartiers et les réduire en cendres. Saint Dominique se distingua particulièrement dans cette épouvantable boucherie. Il y eut des Albigeois jusqu’à la fin du XIVe siècle. Enfin, on les détruisit absolument par la continuité implacable des supplices.

Innocent III approuva, en 1210, la règle de François d’Assise, dans le temps même où le patriarche de Jérusalem en donnait une aux Carmes.

Ceux-ci prétendaient d’ailleurs que le prophète Élie avait été un moine de leur ordre.

En 1211, le pape déposa l’empereur d’Allemagne et le roi d’Angleterre, et, en 1212, il publia une croisade pour déposséder ce dernier. Ce fut vers cette époque qu’une innombrable multitude d’enfants partit pour la Terre-Sainte. Ils moururent tous de faim, de soif et de fatigue, dans les bois et par les chemins déserts.

Le douzième Concile général, quatrième de Latran, se réunit à Rome en 1215. Innocent y présenta soixante-dix canons tout faits qui ne parlaient qu’au nom du pape. Les Pères, voyant que leur présence était inutile, voulurent se retirer ; mais le pape ne leur permit de partir qu’en exigeant de chacun d’eux des sommes considérables.

Innocent III mourut le 16 juillet 1216 ; Honorius III lui succéda.

En 1220, une querelle s’éleva entre le pape et l’empereur Frédéric II qui n’avait point tenu sa promesse de passer en Terre-Sainte. On n’ignorait pas cependant quelle était la conduite des croisés en Orient. Nicétas, et, après lui, l’abbé Fleury disent que les bandes catholiques pillaient les églises, foulaient aux pieds les saintes images, jetaient les reliques dans les lieux immondes, et même répandaient par terre le corps et le sang du Seigneur ; mais les papes tenaient beaucoup aux croisades qui affaiblissaient et ruinaient l’empire. Enfin, après avoir obtenu délais sur délais, Frédéric fut excommunié en 1227.

Le pape Honorius mourut le 18 mars de cette année. Grégoire IX lui succéda.

Ce fut en 1229, au Concile de Toulouse, qu’on défendit aux laïques de lire l’Ancien et le Nouveau Testament en langue vulgaire.

L’empereur Frédéric, absous en 1230, fut excommunié de nouveau en 1239, pour avoir dit, selon l’accusation, que le monde avait été trompé par trois imposteurs : Moïse, Jésus-Christ et Mahomet. Cette même année une effroyable exécution eut lieu en Champagne devant le roi de Navarre, l’archevêque de Reims et dix-sept évêques : on brûla à petit feu cent quatre-vingt-trois Manichéens attachés ensemble.

Le pape Grégoire IX mourut presque centenaire, le 21 août 1241. L’historien contemporain Matthieu Paris dit de ce pape qu’il était d’une cupidité insatiable, et que, pour avoir de l’argent, il avait recours à la simonie et à l’usure. Nous verrons à ce sujet que Grégoire était fort honnête, comparé à Jean XXIII. Célestin IV lui succéda, mais il mourut seize jours après, et le Saint-Siège resta vacant pendant vingt mois. Innocent IV fut élu le 24 juin 1243.

En 1245, le pape convoqua à Lyon le treizième Concile général et prononça lui-même le discours d’accusation contre l’empereur Frédéric, qui fut déposé solennellement pour cause de parjure, de félonie, de sacrilège et d’hérésie. Puis le pape imposa des contributions énormes sur le clergé de France, d’Italie et d’Angleterre, ce qui sembla fort extraordinaire aux prêtres plus habitués à commettre des exactions qu’à en souffrir.

Louis IX, roi de France, partit pour la cinquième croisade en 1248.

Le pape adressa, en 1252, une bulle aux évêques de France, qui abolissait la coutume d’obliger les ecclésiastiques à prouver par le duel le droit qu’ils avaient sur les serfs des églises.

Innocent IV mourut le 7 décembre 1254. Alexandre IV lui succéda.

En 1259, un dominicain, nommé Reinier, prêcha les flagellations publiques pour désarmer la colère de Dieu. On vit alors dans toute l’Italie des processions de Flagellants de tout âge et de tout sexe qui se fouettaient en poussant des cris affreux, et qui frappaient à tour de bras tous ceux qu’ils rencontraient. Cette folie furieuse et stupide dura fort longtemps et se répandit dans toute l’Allemagne.

Le pape Alexandre IV mourut le 25 mai 1261. Urbain IV lui succéda. Ce fut ce dernier qui institua la Fête-Dieu en 1264. L’office en fut composé par saint Thomas-d’Aquin. Urbain IV mourut le 2 octobre de cette année. Clément IV lui succéda. En 1268, mort de Clément IV. Le Saint-Siège resta vacant deux ans, dix mois et vingt-sept jours.

Louis IX partit pour la sixième croisade le 15 mars 1270. Avant son départ parut la Pragmatique sanction en six articles. Il y est dit entre autres choses : « Nous ne voulons aucunement qu’on lève ou qu’on recueille les exactions pécuniaires et les charges très-pesantes que la cour de Rome a imposées ou pourrait imposer à notre royaume et par lesquelles il est misérablement appauvri. »

Saint Louis était un homme juste, généreux, plein d’honneur et d’héroïsme. C’est le plus beau caractère du XIIIe siècle. Ses grandes vertus lui étaient propres, ses vices étaient chrétiens.

Grégoire X fut élu le 1er septembre 1271. En 1274, le Concile général de Lyon fit la constitution définitive pour l’élection des papes. C’est l’époque de la fondation du Conclave.

Grégoire X mourut le 10 janvier 1276. Il eut pour successeurs, dans la même année, Innocent V, Adrien V et Jean XXI, et, l’année suivante, Nicolas III. Ce dernier étant mort en 1280, le 2 août, on élut Martin IV.

En 1282, les Siciliens égorgèrent tous les Français qui étaient dans l’île. On appela ce massacre les Vêpres siciliennes. Cette même année, le pape excommunia l’empereur de Constantinople Michel Paléologue.

Martin IV mourut le 28 mars 1285. Honorius IV lui succéda. Mort d’Honorius en 1287, le 3 avril. Il eut pour successeur Nicolas IV.

Les Chrétiens perdirent en 1291 tout ce qu’ils avaient conquis pendant les croisades qui avaient duré près de deux cents ans.

Nicolas IV étant mort le 24 avril 1292, le Saint-Siège resta vacant pendant deux ans et trois mois. Enfin, le Conclave élut Célestin V, qui se démit du pontificat la même année. Boniface VIII fut élu.

Boniface VIII est celui dont Benvenuto d’Imola a dit : « Il est monté sur la chaire de saint Pierre comme un renard, il a régné comme un lion, il est mort comme un chien. »

Le nouveau pape commença par faire enfermer son prédécesseur dans un cachot si étroit, qu’on ne pouvait s’y coucher que ployé en deux. Le malheureux n’en sortit plus.

En 1296, la bulle Clericis laïcos donna lieu aux longues querelles de Boniface et du roi de France Philippe le Bel. Cette bulle défendait aux ecclésiastiques, sous peine d’excommunication, de payer aucun subside aux princes sans l’autorisation du Saint-Siège. Philippe se paya de ses propres mains en saisissant les biens du clergé, ce qui mit le pape en fureur. C’était d’ailleurs son état normal.

Boniface VIII institua en 1300 les indulgences
 plénières centenaires qu’il nomma Jubilé ; mais ce 
Jubilé procura de tels profits à la caisse papale 
qu’on l’avança de cinquante ans.



Fin du treizième siècle.

QUATORZIÈME SIÈCLE.




En 1301, Boniface adressa la bulle Ausculta fili à Philippe le Bel, dans laquelle il lui disait : « Dieu nous a établi sur les rois et les royaumes pour arracher, détruire, perdre, dissiper, édifier et planter en son nom. Ne te laisse donc pas persuader que tu n’as point de supérieur et que tu n’es pas soumis au chef de la hiérarchie ecclésiastique. » Mais Philippe le Bel fit brûler à Paris par le bourreau la bulle Ausculta fili.

Cependant le pape ajouta, en 1303, une seconde couronne à la tiare pontificale qui n’en avait qu’une jusque-là, ce qui signifiait qu’il possédait les deux glaives, le spirituel et le temporel. Puis il envoya en France le cardinal Le Moine pour citer le roi à comparaître à Rome, afin de se justifier et de recevoir des ordres. Une assemblée d’archevêques, d’évêques et de nobles, réunie au Louvre, répondit à la citation par une requête au roi, qu’avait rédigée Guillaume de Nogaret, professeur de lois. Il y était dit « que Boniface n’était point pape, qu’il était hérétique manifeste, simoniaque horrible et chargé d’une infinité de crimes énormes. »

Le pape se hâta d’excommunier Philippe, qui convoqua une autre assemblée. Guillaume du Plessis y lut vingt-neuf chefs d’accusation contre Boniface, qui y était atteint et convaincu d’athéisme et d’assassinats. L’Université de Paris adhéra aux décisions de l’assemblée, et Guillaume de Nogaret se rendit en Italie avec Jean Mouschet et deux docteurs. Le pape, insulté à Anagni par Sciarra Colonna et Nogaret, prit la fuite du côté de Rome, où il mourut de colère le 11 octobre 1303. Benoît XI lui succéda et mourut un an après, non sans avoir absous Philippe le Bel.

Bertrand, archevêque de Bordeaux, fut élu à Lyon, sous le nom de Clément V, et fit arrêter, de concert avec le roi, tous les Templiers de France accusés de renoncer à Dieu et à Jésus-Christ en entrant dans l’ordre. En 1308, le pape ordonna de les poursuivre dans toute la chrétienté. Il est bien entendu qu’il s’agissait uniquement pour Clément et Philippe de se partager les riches dépouilles du Temple.

Le séjour définitif du pape à Avignon date de 1309.

En 1310, conquête de Rhodes par les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

Le pape Clément V mourut à Avignon le 20 avril de cette année. Le Saint-Siège resta vacant deux ans.

On brûla, en 1315, quelques centaines d’Allemands qui soutenaient que Satan et les autres démons avaient été injustement dépossédés du ciel et qu’ils y seraient rétablis un jour. Ils témoignèrent tous une grande joie de mourir pour une cause aussi juste.

Les cardinaux élurent enfin, à Lyon, l’evêque de Porto, qui prit le nom de Jean XXII et siégea à Avignon.

Le pape ayant déclaré par une bulle, en 1327, qu’il privait l’empereur Louis de Bavière de toutes ses dignités, celui-ci tint un parlement, à Rome, en 1328, qui déposa et dégrada Jean XXII, et qui lui donna pour successeur un moine de l’ordre des Frères mineurs, sous le nom de Nicolas V ; mais, deux ans après, cet antipape tomba aux mains de Jean qui l’enferma pour la vie.

Jean XXII mourut à Avignon, le 4 décembre 1334. Benoît XII lui succéda. On trouva, à la mort de Jean, dans le trésor de l’église, vingt-cinq millions de florins d’or.

Villani rapporte que Benoît XII dit aux cardinaux qui l’avaient nommé : « Mes frères, vous avez élu un âne. » Il mourut le 25 avril 1342. Clément VI lui succéda.

Ce fut Clément VI qui avança de cinquante ans le jubilé établi par Boniface VIII, et qui, en 1344, donna les îles Canaries à Louis d’Espagne. Il confirma par une bulle la condamnation prononcée contre Louis de Bavière par Jean XXII, tandis qu’il était lui-même dépossédé à Rome du pouvoir temporel par le plébéien Cola de Rienzo, qui s’intitulait Tribun auguste, Chevalier du Saint-Esprit, Libérateur de Rome et Protecteur de l’Italie.

Le pape acheta, de Jeanne, comtesse de Provence, Avignon, ses faubourgs et son territoire, pour la somme de 80 000 florins d’or, par autorisation de l’empereur Charles IV.

Le poète Pétrarque dit, dans ses lettres sine titulo, de la cour d’Avignon : « On trouve ici tout ce qu’on peut imaginer de confusion, de ténèbres et d’horreur ; c’est ici la demeure des larves et des lémures, la sentine de tous les vices et de toutes les scélératesses. — Je sais, par ma propre expérience, qu’il n’y a ici ni piété ni charité, aucune foi, rien de saint, rien de juste, rien d’humain. L’amitié, la pudeur, la décence y sont inconnues ; tout est plein de mensonges, l’air, la terre, les maisons, les places publiques, les temples, les tribunaux, le palais pontifical. L’espoir d’une vie future est considéré ici comme une illusion vaine, et Jésus-Christ est mis au rang des inventions puériles. La pudeur y est taxée de sottise, la prostitution mène à la célébrité. Je passe sous silence la simonie, l’avarice, l’insolence et la cruauté. » Les lettres de Pétrarque contiennent de tels détails qu’il nous est impossible de les reproduire.

Matthieu Villani parle d’une lettre fort curieuse qui fut adressée en ce temps-là par le Prince des ténèbres à Clément, pape, vicaire de Satan, et à ses dignes conseillers, les cardinaux, pour les louer, chacun de ses vices particuliers, et tous ensemble du zèle qu’ils mettaient à servir la cause du Diable. La lettre finissait par les compliments de la Superbe, de l’Avarice et de l’Impudicité.

Clément VI mourut le 6 décembre 1352. Innocent VI lui succéda. Celui-ci étant mort le 12 septembre 1362, Urbain V fut élu et revint à Rome en 1367. « Ce pape, dit le chroniqueur Corio, ne tenait point sa parole, parce qu’il était prêtre. » Il revint à Avignon et y mourut le 19 décembre 1370. Grégoire XI lui succéda. Ce pape revint aussi à Rome trois ans après.

Vers cette époque, Jean Wiclef dogmatisa en Angleterre. Il était curé de Lutterworth et professeur à Oxford. Sa doctrine peut se réduire à ceci : «Tout arrive par nécessité, Dieu lui-même y est soumis. La liberté morale et intellectuelle est pure illusion. Il y a des prédestinés et des réprouvés. La confession est inutile ; la hiérarchie est un mensonge ; le pape n’est pas vicaire de Jésus-Christ, et l’Église romaine est la synagogue de Satan. »

Grégoire XI mourut le 27 mars 1378. Le schisme d’Occident commença. Urbain VI fut élu à Rome et Clément VII à Avignon.

En 1380, le pape Urbain excommunia Jeanne de Naples et donna son royaume à Charles de Duras.

Le livre des Conformités de saint François, qui date de cette époque, nous apprend qu’il n’en coûtait pas plus à ce saint de ressusciter un mort que de boire un verre de vin.

En 1382, Wiclef et ses adhérents furent condamnés au Concile de Londres présidé par William de Courtenay, archevêque de Cantorbéry. Trente-deux ans après, le Concile de Constance ordonna que le corps de Wiclef fût exhumé et brûlé. Or, l’hérésiarque anglais étant mort en 1387, ce qui restait de lui devait consister en quelques ossements qu’on réduisit pieusement en cendres, et la sainte Église fut vengée.

Urbain VI était extrêmement féroce. Ayant fait arrêter six cardinaux qu’il soupçonnait de conspirer contre lui, il leur fit donner la question avec tant de cruauté que les tortureurs eux-mêmes en furent épouvantés. Pendant ce temps il lisait tranquillement son bréviaire. Après avoir été assiégé, dans le château de Nocera, par Charles de Duras qu’il excommuniait régulièrement quatre fois par jour, il se retira à Gênes, emmenant les cardinaux prisonniers, et il fit massacrer sur la route l’évêque d’Aquila qui ne marchait pas assez vite au gré de Sa Sainteté.

En 1388, il célébra le jubilé, mais, au lieu d’appeler les pèlerins à Rome, il fit vendre par des quêteurs, dans tous les pays, les indulgences plénières. Comme elles se vendaient fort cher, cela rapporta jusqu’à cent mille florins par province. Puis le Saint-Père condamna tous ses quêteurs à mort et hérita de leurs dépouilles.

Ce vicaire de Jésus-Christ mourut le 15 octobre 1389. Boniface IX lui succéda.

Le pape d’Avignon, Clément VII, mourut le 16 septembre 1394. Benoît XIII lui succéda. Les cardinaux avaient élu ce dernier parce qu’étant cardinal il était très-partisan d’une conciliation qui mettrait fin au schisme ; mais une fois élu, il changea absolument d’avis et ne voulut plus se démettre.



Fin du quatorzième siècle.

QUINZIÈME SIÈCLE.




Jean Huss, recteur de l’université de Prague, en Bohême, ayant étudié la théologie à Oxford, en rapporta les livres de Wiclef, au commencement du XVe siècle. Ce fut l’origine de sa propre hérésie.

Le pape de Rome, Boniface IX, mourut le 1er octobre 1404. Innocent VII lui succéda. Ce dernier étant mort le 6 novembre 1406, on lui donna pour successeur Ange Corrario qui prit le nom de Grégoire XII.

La bulle Admonet nos de Grégoire XII dit que, dans vingt-deux couvents de Frise, sous la juridiction de Brême, de Munster et d’Utrecht, le libertinage entre moines et nonnains, la corruption de la chair et beaucoup d’autres excès et vices qu’il est honteux de nommer, s’étaient multipliés d’une façon effrayante. Libido et corruptio carnis inter ipsos mares et noniales, nec non alia multa excessus et vitia quæ pudor est effari, per singula succreverunt. Beaucoup d’entre ces nonnes vivaient charnellement avec leurs supérieurs ecclésiastiques comme avec les moines, et elles accouchaient dans leurs couvents mêmes des fils et des filles qu’elles avaient dans leur commerce illégitime ou incestueux avec les moines et les prélats. Fornicantur etiam quam plures hujus modi nonialium cum eisdem prælatis ac monachis, et in eisdem monasteriis plures parturiunt filios et filias, quos ab prælatis ac monachis fornicarie seu incestuoso coitu conceperunt. Ce qu’il y a de plus déplorable, c’est que quelques-unes se font avorter, et que d’autres tuent leurs enfants déjà venus au monde. Quod miserandum est, nonnullæ aliquos fœtus earum mortificant et infantes in lucem editos trucidant.

Roderik, évêque de Zamora, dit, dans son Speculum vitæ humanæ, qu’au XVe siècle les chanoines avaient chacun leur maîtresse. C’étaient les plus réglés. Les autres entretenaient des concubines et des petites filles sans nombre. Concubinas et adolescentulas quarum non est numerus.

Enfin, Jean Gerson, l’auteur probable de l’Imitation, a dit : « Les cloîtres habités par les chanoines réguliers sont comme des places publiques et des marchés ; les couvents de religieuses, des espèces de lieux de prostitution, quasi prostibula ; les églises cathédrales, des cavernes de brigands et de voleurs, speluncæ raptorum et latronum. Les images se sont tellement multipliées qu’elles entraînent le peuple à l’idolâtrie. »

Nous nous arrêtons : les citations seraient innombrables.

Le Concile de Pise s’ouvrit le 25 mars 1409. Les papes Benoît VIII et Grégoire XII furent déposés et on élut Alexandre V. Celui-ci étant mort le 3 mai 1410, Balthazar Cossa lui succéda sous le nom de Jean XXIII. Ce cardinal avait amassé d’immenses richesses par la piraterie. C’était un des plus grands scélérats de l’époque, usurier, voleur, simoniaque, débauché et assassin. Ses crimes se multiplièrent dès qu’il fut pape. Une bulle qu’il publia en 1413 convoqua un Concile général à Constance pour la fin de l’année suivante. Les archevêques, évêques, patriarches, abbés d’ordre et docteurs s’y rendirent en nombre considérable et firent leur entrée dans la ville, suivis de neuf cents courtisanes.

Le premier soin des Pères fut de déposer Jean XXIII, comme atteint et convaincu de crimes si infâmes, dit la sentence, qu’il était impossible de les nommer. Puis on jugea Jean Huss qui avait été arrêté dès son arrivée au Concile, malgré le sauf-conduit de l’empereur Sigismund.

Voici le résumé de la doctrine pour laquelle Jean Huss fut brûlé vif.

« L’Église n’est qu’un corps mystique dont Jésus-Christ est le chef et dont les prédestinés sont les seuls membres ; d’où l’inutilité des excommunications, ainsi que des papes et des évêques qui ne peuvent discerner les élus des réprouvés. Jésus a seul le droit de lier et de délier ; donc, le péché est remis par la contrition, non par l’absolution du prêtre. L’Écriture, non l’autorité de l’Eglise, est la seule règle de conduite. La communion sous les deux espèces du pain et du vin doit être donnée à tous et non aux prêtres seulement. »

Cette doctrine fut déclarée hérétique et abominable, et on brûla Jean Huss le 6 juillet 1414. Jérôme de Prague, son disciple, subit héroïquement le même supplice en 1416.

Après la double déposition de Benoit XIII et de Jean XXIII et la cession volontaire de Grégoire XII, le Concile élut pour pape unique le cardinal Colonna, qui prit le nom de Martin V. Quant à Balthazar Cossa, le pape le fit doyen des cardinaux. Cependant les Hussites se soulevèrent sous la conduite de Jean de Trosnow, surnommé Zisca ou le Borgne. Monastères et moines, églises et prêtres, villes entières avec leurs populations, tout s’abîma dans le sang et dans les flammes. Zisca battit onze fois les armées impériales et mourut de la peste en 1424. Il ordonna qu’on fît de sa peau un tambour. Procope Raze, ou le Rasé, lui succéda dans le commandement des Taborites, nom que prirent les Hussites, de Tabor, qui signifie tente en bohémien, et non de Thabor, comme on l’écrit ordinairement.

Dans l’intervalle, Benoît XIII refusant absolument de se démettre, Martin V le fit empoisonner avec des confitures.

Martin V mourut le 20 février 1431. Eugène IV lui succéda. En 1436, le Concile de Bâle accorda la communion sous les deux espèces aux Hussites, ce qui mit fin à la guerre ; puis, dans sa trente-quatrième session, il déposa Eugène IV comme simoniaque et hérétique, et nomma à sa place Amédée, duc de Savoie, qui prit le nom de Félix V. À la mort d’Eugène, en 1447, on lui donna pour successeur Nicolas V. La cession de Félix mit fin au schisme, en 1449.

Les Turks de Mohhammed II prirent Constantinople en 1453. L’empire d’Orient avait duré onze cent vingt-trois ans.

Le pape Nicolas V mourut le 24 mars 1455. Calixte III lui succéda. Celui-ci étant mort en 1458, Æneas Sylvius lui succéda sous le nom de Pie II.

Il y eut une contestation, en 1462, entre les Cordeliers et les Dominicains, touchant le sang de Jésus-Christ au tombeau. Les premiers soutenaient que le sang avait été séparé de la divinité, et les seconds soutenaient le contraire. Cette importante question est toujours en suspens.

Le pape Pie II mourut le 14 août 1464. Paul II lui succéda. Celui-ci étant mort en 1471, on élut Sixte IV. Ce pape nomma archevêque de Saragosse, en 1473, un enfant de six ans, bâtard de Ferdinand d’Aragon.

La contestation entre Cordeliers et Dominicains se ralluma en 1483. Le pape, qui avait été cordelier, donna raison aux premiers, puis il décida que les seconds n’avaient point tort, ce qui accommoda les choses.

Sixte IV mourut le 13 août 1484. Innocent VIII lui succéda.

En 1486, la Faculté de Paris censura les propositions de lehan Laillier, licencié en théologie, qui soutenait que les commandements de l’Église n’étaient que de la papaille et qu’elle ne canonisait que les riches. Lallier prétendait aussi qu’il n’y a que saint Yves de sauvé parmi les avocats ; mais la Faculté trouva ceci raisonnable. Cependant, Laillier ayant dit que les apothicaires n’iront au paradis que s’ils y sont portés sur la queue d’un mulet, la Faculté trouva cette proposition présomptueuse.

Innocent VIII mourut le 25 juillet 1492. Borgia lui succéda sous le nom d’Alexandre VI. Ce pape est très-célèbre comme empoisonneur, simoniaque et incestueux. Il commit généralement tous les crimes connus et ceux qu’il est impossible d’imaginer.

Jérôme de Savonarole, dominicain, fut brûlé à Florence, en 1498, pour avoir voulu réformer les mœurs chrétiennes et avoir censuré particulièrement celles du pape.



Fin du quinzième siècle.

SEIZIÈME SIÈCLE.




Le pape et son fils César Borgia firent étrangler et empoisonner quelques cardinaux, en 1502, le cardinal Ferraro, entre autres, qui laissa à ses assassins 80 000 écus d’or. Les historiens contemporains prétendent que le pape l’avait fait passer par toutes les charges les plus lucratives, afin de le trouver plus gras quand il le ferait tuer.

Alexandre VI mourut le 18 août 1503, empoisonné par imprudence. Une bouteille de vin ayant été préparée pour quelques convives, on en servit au pape, ce qui l’emporta presque subitement. Pie III lui succéda pendant un mois ; puis on élut le cardinal de la Rovère, qui prit le nom de Jules II, en l’honneur de Jules César.

Jules II posa la première pierre de Saint-Pierre de Rome, le 18 avril 1506, sur l’emplacement de l’église bâtie par Constantin.

Les guerres continuelles et les excommunications du pape contre les Vénitiens, les Français, les Florentins, durèrent pendant tout son pontificat. Après avoir régné à cheval et le casque en tête, il mourut le 11 mars 1513. Julien de Médicis lui succéda sous le nom de Léon X.

En 1515, le pape et le roi de France François Ier signèrent le Concordat qui remit au roi le droit de nommer aux bénéfices de France et de Dauphiné. En 1516, Léon X publia les indulgences plénières qu’il fit vendre partout à l’exemple d’Urbain VI. Le dominicain Jean Tezel, inquisiteur de la foi, fut chargé de ce commerce en Allemagne. Il avertissait les fidèles qu’il avait le pouvoir de remettre les péchés, même de celui qui aurait violé la sainte Vierge et qui l’aurait rendue grosse. Si quis Virginem matrem vitiasset ac gravidam fecisset.

Le pape donna la Saxe à exploiter à sa sœur Madeleine, femme de Franceschetto Cibo, fils d’Innocent VIII, et Madeleine chargea de ses recouvrements un évêque nommé Arcemboldi. Ce fut alors que le moine augustin Martin Luther se mit à prêcher contre les indulgences. Il fut cité à Rome en 1518, mais il refusa de s’y rendre et en appela au futur Concile. Une année après, un cordelier vint prêcher le jubilé en Suisse. Il disait : « Apportez-moi de l’argent et vous serez sauvés. Il y a plusieurs places dans le ciel ; celui qui donnera le plus sera le mieux placé. »

Cette lumineuse doctrine déplut à Zwingle, curé de Zurich, qui attaqua le cordelier, le pape, le sacrement de la Pénitence, le péché originel, l’invocation des saints, la messe, les vœux, le célibat des prêtres et l’abstinence des viandes.

En 1520, une bulle du pape condamna au feu les livres de Luther qui, de son côté, brûla la bulle papale sur une place publique de Wittemberg ; et la rupture fut complète.

Voici les points principaux du Luthéranisme :

« Il est impossible qu’un autre que Dieu soit libre. La prescience et la providence divine, déterminent inévitablement toutes choses. Dieu fait en nous le mal comme le bien. La perfection de la foi consiste à croire que Dieu est juste, quoiqu’il nous rende nécessairement damnables par sa volonté.

« Jésus-Christ ne se change point en pain et en vin ; il est dans, sous, avec le pain et le vin : in, sub, cum.

« L’invocation des saints est condamnable ; 
l’ordination ne confère aucun caractère ; il n’y a 
ni sacerdoce, ni hiérarchie sacerdotale, ni célibat, 
ni peines canoniques.

« L’absolution ne remet pas les péchés, mais indique seulement qu’ils sont remis à ceux qui ont la foi, car les bonnes œuvres sont inutiles au salut. »

Sur ce dernier point, comme au sujet de la pré
destination, Luther était d’accord avec saint Paul 
et saint Augustin.

La Confession d’Augsbourg, dressée par Mélanchton, accorda cependant que les bonnes œuvres n’étaient pas tout à fait inutiles. Elle diffère aussi de la doctrine primitive de Luther en ce qu’elle reconnaît le libre arbitre dans l’homme, mais seulement comme préparation aux œuvres chrétiennes.

Le Luthéranisme se subdivisa pendant tout le cours du XVIe siècle en une multitude de sectes dont l’énumération serait interminable. Les Luthériens modernes, s’il en reste, admettent, comme les Catholiques, que l’impulsion de la grâce est accompagnée de la coopération de la volonté humaine.

Le pape Léon X mourut le 1er décembre 1521. Adrien VI lui succéda. Celui-ci étant mort le 24 septembre 1523, Clément VII lui succéda.

En 1527, le connétable de Bourbon fut tué en assiégeant Rome, qui fut prise d’assaut et pillée par les soldats de Charles-Quint qui, pendant ce temps, faisait faire des processions pour la délivrance du pape.

Jean Calvin fit paraître à Bâle son livre des Institutions chrétiennes. Il y est dit que nos vertus et nos crimes sont également l’ouvrage de Dieu, l’homme ne pouvant rien par lui-même et le libre arbitre étant une chimère ; qu’il n’y a ni indulgences, ni purgatoire, ni jeûnes nécessaires, ni abstinence ; qu’il n’existe que deux sacrements, le baptême et la communion ; que le baptême est la marque extérieure de l’union avec Jésus-Christ, et la communion une participation au corps et au sang de Jésus-Christ, non parce qu’ils s’unissent au pain et au vin, comme dit Luther, ou que le pain et le vin soient changés au corps et au sang, comme disent les Catholiques, mais en tant que symbole eucharistique ; que la messe est une idolâtrie et que l’Eucharistie ne doit point être offerte en sacrifice, ni adorée.

Fondation de l’ordre des Jésuites par Ignace de Loyola, en 1534.

Clément VII mourut le 25 septembre 1534. Paul III lui succéda. Ce pape excommunia Henry VIII d’Angleterre en 1535, et renouvela l’anathème en 1538. Une bulle papale confirma, en 1540, l’institut des Jésuites.

En 1545, le président d’Oppède fit brûler en Provence quatre mille hérétiques et vingt-deux villages. Cette même année, eut lieu l’ouverture du Concile général de Trente, qui ne fut clos qu’en 1563 et dura par conséquent dix-huit ans.

Le pape Paul III mourut le 10 novembre 1549. Jules III lui succéda. Celui-ci étant mort le 23 mai 1555, Marcel II lui succéda pendant vingt et un jours. On élut Paul IV.

Le premier synode Calviniste se réunit à Paris en 1559, mais, cette même année, on établit dans tous les Parlements de France une chambre ardente spécialement destinée à juger les hérétiques. Cette chambre fut ainsi nommée parce qu’elle ne condamnait qu’au feu.

Le pape Paul IV mourut le 18 août 1559. Pie IV lui succéda.

En 1560, la faculté de théologie de Paris censura dix-huit propositions de Michel Baïus, docteur de Louvain. Le Baïanisme fut la première forme du Jansénisme dont nous parlerons bientôt.

En 1561, parut l’hérésie des Sociniens. Ces hérétiques rejetaient tous les mystères chrétiens et n’admettaient qu’une seule personne en Dieu.

Un arrêt du Parlement de Paris ordonna à tous les fidèles de courir sus aux Calvinistes et de les tuer comme des gens enragés, ennemis de Dieu et des hommes. C’est pourquoi on les massacra d’un bout à l’autre du royaume.

Le pape Pie IV mourut le 9 décembre 1565, après avoir accordé aux Allemands la communion sous les deux espèces. D’autre part, il s’était constamment refusé à permettre le mariage des prêtres, malgré les instances des fidèles d’Allemagne. Pie V lui succéda.

La guerre entre les Catholiques et les Calvinistes continua en France avec une fureur croissante jusqu’en 1572, où il se fit une sorte d’accommodement à propos du mariage d’Henri de Bourbon et de Marguerite de Valois ; alors, sous le pape Grégoire XIII qui avait succédé à Pie V, tous les Calvinistes présents à Paris furent égorgés dans la nuit de la Saint-Barthélémy, le 24 août 1572. Les mêmes massacres eurent lieu dans presque toutes les provinces, avec l’approbation solennelle du pape, qui fonda même une fête particulière pour célébrer l’anniversaire de cette boucherie pieuse. Vers la même époque, les Espagnols tuèrent, écartelèrent ou brûlèrent plus de cent mille hérétiques dans les Pays-Bas.

En 1582, Grégoire XIII réforma le calendrier. Le calendrier Grégorien est adopté par toute l’Europe, à l’exception de la Russie et de la Suède qui emploient toujours l’année Julienne.

Grégoire XIII mourut le 7 avril, 1585. Sixte-Quint lui succéda. La première bulle du nouveau pape fixa à soixante-dix le nombre des cardinaux.

En 1587, Sixte-Quint donna l’Angleterre au roi d’Espagne, Philippe II, à condition qu’il recevrait ce royaume à foi et hommage du Saint-Siège ; mais il fallait prendre l’Angleterre. Philippe tenta l’aventure, et sa flotte qu’il avait nommée l’Armada, l’invincible, fut anéantie.

Les théologiens de la Sorbonne rendirent en 1590 un décret qui défendait de reconnaître Henri de Bourbon, même s’il se réconciliait avec l’Église.

Le pape Sixte-Quint mourut le 27 août 1590. Urbain VII lui succéda pendant treize jours et eut pour successeur Grégoire XIV qui mourut l’année suivante, ainsi qu’Innocent IX élu après lui. Clément VIII succéda à Innocent.

Henri IV, s’étant converti en 1593, fut reconnu par l’université, le clergé et les ordres religieux, à l’exception des Jésuites et des Capucins. Les Jésuites furent bannis en 1594, et on pendit le Père Guignard qui avait trempé dans l’attentat de Jean Chatel. Enfin, le pape procéda en 1595 à l’absolution de Henri IV. Il toucha de la baguette vindicta, qui affranchissait les esclaves dans l’ancienne Rome, messieurs d’Ossat et du Perron, et le roi fut délivré de la servitude du Diable.

En 1598, l’Édit de Nantes accorda aux Calvinistes le libre exercice de leur culte et la possibilité d’exercer certaines charges, entre autres celles de finance et de magistrature, que leurs précédents privilèges ne leur ouvraient pas.



Fin du seizième siècle.

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.




Le synode calviniste réuni à Gap, le 1er octobre 1603, établit comme article de foi que le pape était l’Antéchrist, le fils de la perdition, la Bête écarlate que le Seigneur déconfira.

Arminius, ministre d’Amsterdam et professeur en théologie à l’académie de Leyde, eut, vers cette époque, une contestation avec Gomar, professeur en théologie à l’académie de Groningue, sur le libre arbitre, la prédestination, la justification, la persévérance et la grâce.

Les Arminiens soutenaient qu’il n’y a en Dieu aucune résolution absolue de ne donner Jésus-Christ qu’aux seuls élus, et de n’accorder qu’à eux, avec la vocation efficace, foi, justification, persévérance et gloire ; mais qu’il a donné Jésus-Christ pour rédempteur commun à tout le monde, et à tous aussi les moyens suffisants pour être sauvés ; que l’élection de chacun n’a lieu que par la prescience divine de la foi et de la persévérance futures, ainsi que la réprobation en vue de la persévérance dans le mal ; que le prix payé par le Fils de Dieu est offert pour tous, et que nul n’est exclu du fruit de la Rédemption que par sa faute ; enfin que la grâce n’est pas irrésistible et que Dieu en offre une suffisante à tous ceux à qui l’Évangile est annoncé.

Les Gomaristes, au contraire, soutenaient que, par la chute d’Adam, le genre humain tout entier étant devenu une masse de perdition et de damnation, Dieu a résolu d’en tirer un certain nombre d’hommes et de les conduire par ses grâces au royaume éternel, pendant qu’il laisse les autres dans cette masse et leur refuse les grâces nécessaires pour se sauver. C’est la pure doctrine janséniste, comme nous le verrons.

Le pape Clément VIII mourut le 3 mars 1605. Paul V lui succéda.

En 1609, les princes protestants formèrent une confédération sous le nom d’Union évangélique dont l’électeur Palatin, Frédéric IV, fut le chef, et les princes catholiques en formèrent une autre qu’on nomma Ligue catholique où on admit le pape et le roi d’Espagne.

Le synode de Dordrecht, réuni le 13 novembre 1618, condamna la doctrine d’Arminius comme hérétique et impie. Les Arminiens furent privés de leurs places de ministres et de leurs chaires, retranchés de la commission comme maîtres d’erreur et corrupteurs de la foi. Les quatre-vingt-treize canons de Dordrecht furent reçus en France, au synode de Charenton, lieu dont le choix serait plus concevable aujourd’hui.

Les Arminiens modernes n’admettent plus le dogme de la Trinité, soutiennent que l’adoration du Saint-Esprit n’est commandée par aucun passage de l’Écriture et nient que Jésus-Christ soit égal à son Père. Ils sont absolument tolérants par principe et laissent à chacun d’entre eux le droit d’interpréter les textes sacrés à son gré.

En 1619, le 19 avril, Lucilio Vanini fut brûlé à 
Toulouse comme athée. On prétend que, dans 
l’excès de la douleur, il cria : « Ah ! mon Dieu ! »
 et qu’un moine lui dit : « Tu crois donc en Dieu
 maintenant ? » Ce à quoi Vanini répondit du milieu
 des flammes : « C’est une façon de parler. » Mais 
le fait est faux, car le philosophe avait eu la langue
 coupée avant d’être brûlé. D’ailleurs Vanini n’était
 point athée, mais panthéiste, ce qui est absolument 
le contraire.

Le pape Paul V mourut le 21 janvier 1621. Grégoire XV lui succéda.

Un édit du 26 mars chassa les Jésuites de Hol
lande en 1622.

Grégoire XV mourut le 8 juillet 1623. Urbain VIII lui succéda.

Une contestation très-grave s’éleva, en 1624, entre les Capucins et les Récollets sur la forme de leur capuchon. Le pape, après mûre délibération, et sur l’avis des cardinaux, décida, sous peine d’excommunication pour les contrevenants, que les Capucins le porteraient pointu, et les Récollets, obtus.

Le 12 juin 1633, l’Inquisition romaine condamna Galilée, pour avoir soutenu que la terre tournait autour du soleil, attendu, dit la sentence, que cela est erroné dans la foi et absurde en philosophie.

Les Ursulines de Loudun furent toutes possédées par le Diable en 1634 ; c’est pourquoi on brûla le curé de l’église Saint-Pierre, Urbain Grandier, comme impie et magicien. Il va sans dire que le Diable et Grandier étaient fort innocents de la nymphomanie des Ursulines.

Jansénius, évêque d’Ypres, mort en 1638, laissa en manuscrit un livre qui devait troubler bientôt l’Église. Cependant, il fut imprimé avec approbation en 1641.

L’année suivante, le Père Bauny, jésuite, publia la Somme des péchés du Père Bauny. L’assemblée générale du clergé censura, le 12 avril, cet ouvrage qui, dit la sentence, portait sensiblement à la corruption des mœurs.

Le pape Urbain VIII mourut le 29 juin 1644. Innocent X lui succéda.

En 1653, Nicolas Cornet tira de l’Augustinus de Jansénius cinq propositions qu’il déféra à la Sorbonne, qui les condamna. Soixante et onze docteurs en appelèrent au pape qui déclara hérétiques lesdites propositions que voici : 1° Les commandements de Dieu sont impossibles aux justes, si la grâce leur manque ; 2° On ne résiste jamais à la grâce ; 3° Une œuvre est méritoire ou déméritoire, bien qu’on l’accomplisse nécessairement ; 4° La volonté de l’homme ne peut résister à la grâce ; 5° Jésus-Christ n’est point mort et n’a point répandu son sang pour tous les hommes, mais uniquement pour les prédestinés.

Le système général de Jansénius est intitulé : Système de la délectation relativement victorieuse, ce qui, du reste, est absolument incompréhensible.

Les Jansénistes nièrent que les propositions fussent dans Jansénius, mais le docteur Arnaud ne les enseigna pas moins formellement.

Le pape Innocent X mourut le 7 janvier 1655. Alexandre VII lui succéda.

La première des dix-huit Lettres à un Provincial, de Blaise Pascal, parut le 23 janvier 1656. Ces lettres célèbres, chefs-d’œuvre de style et d’ironie, révélèrent les monstrueuses doctrines des casuistes Jésuites et couvrirent l’ordre tout entier d’un ridicule ineffaçable.

Les plus remarquables d’entre les Jansénistes sont Pascal, Antoine Arnaud, Sacy, Nicole, Lancelot, Sainte-Marthe, Le Tourneux, Hamon, Singlin et d’Andilly ; mais Pascal leur est infiniment supérieur. D’ailleurs, le même esprit farouche et désespéré les caractérisait tous, comme le lecteur peut en juger par ces paroles peu rassurantes de celui d’entre eux qu’on nommait le doux Nicole :

« Le monde entier est un lieu de supplices, où l’on ne découvre, par les yeux de la foi, que des effets effroyables de la justice de Dieu. — Figurons-nous un lieu vaste, plein de tous les instruments de la cruauté des hommes, rempli, d’une part, de bourreaux, et, de l’autre, d’un nombre infini de criminels abandonnés à leur rage. Représentons-nous que ces bourreaux se jettent sur ces misérables, qu’ils les tourmentent tous, et qu’il y en a seulement quelques-uns dont ils ont ordre d’épargner la vie, mais que ceux-ci mêmes, n’en étant point assurés, ont sujet de craindre pour eux-mêmes la mort qu’ils voient souffrir à tout moment à ceux qui les environnent, ne voyant rien en eux qui les en distingue. — Et, cependant, la foi nous expose un bien autre spectacle devant les yeux ; car elle nous fait voir les démons répandus par tout le monde, qui tourmentent et affligent tous les hommes en mille manières et qui les précipitent presque tous, premièrement dans les crimes, et ensuite dans l’enfer et dans la mort éternelle. »

Ce hideux cauchemar chrétien du doux Nicole nous prouve la vérité profonde de cette pensée de J.-J. Rousseau :

« Un saint qui croit vivre avec des damnés anticipe volontiers sur le métier du Diable. »

N’oublions pas non plus que, d’après l’historien catholique Ranke, on estime à plus de dix millions le nombre des victimes humaines égorgées par le Christianisme.

Le pape Alexandre VII mourut le 22 mai 1667. Clément IX lui succéda. Celui-ci étant mort le 9 décembre 1669, on élut Clément X. Le 21 septembre 1676, Innocent XI succéda à Clément X.

Trente-cinq archevêques ou évêques et autant d’ecclésiastiques du second ordre se réunirent en 1681 et formèrent l’assemblée du clergé de France. L’année suivante parut en quatre articles la déclaration qui établissait les libertés de l’Église Gallicane et qui peut se résumer ainsi : indépendance du pouvoir temporel royal, subalternité du pape dont l’autorité n’est ni absolue, ni infaillible sans le consentement de l’Église, c’est-à-dire suprématie des Conciles généraux. Innocent XI refusa des bulles aux évêques promus par le roi qui les mit néanmoins en possession de leurs sièges.

En 1685, Louis XIV révoqua l’Édit de Nantes qui assurait aux Calvinistes le libre exercice de leur culte, et fit massacrer tous ceux qui ne voulurent pas se convertir. Quelques-uns apostasièrent par crainte ou à prix d’argent ; mais le plus grand nombre prit la fuite ou fut égorgé.

Innocent XI mourut le 12 août 1689. Alexandre VIII lui succéda. Celui-ci, dont l’élection avait coûté trois millions à Louis XIV, annula, une fois élu, par une constitution du 4 août 1690, les délibérations et résolutions de l’assemblée de 1682.

Alexandre VIII mourut le 1er février 1691. Innocent XII lui succéda.

En 1693, les évêques non investis par Rome ayant déclaré que les quatre articles constituaient une simple opinion plutôt qu’un jugement doctrinal, le pape leur accorda l’institution canonique.

Vingt-trois propositions, tirées de l’Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, livre de Fénelon, archevêque de Cambrai, furent condamnées en 1699. L’auteur, sommé de se rétracter sous peine d’être déposé, obéit, tenant beaucoup plus à son archevêché qu’à son livre.

Le pape Innocent XII mourut le 12 juillet 1700.

Nous terminerons ici notre travail. — Le Christianisme, et il faut entendre par là toutes les communions chrétiennes, depuis le Catholicisme romain jusqu’aux plus infimes sectes protestantes ou schismatiques, n’a jamais exercé qu’une influence déplorable sur les intelligences et sur les mœurs. Il condamne la pensée, il anéantit la raison, il a perpétuellement nié et combattu toutes les vérités successivement acquises par la science. Il est inintelligible dans ses dogmes, arbitraire, variable, indifférent en morale. L’humanité a perdu la foi qu’elle avait en lui, et il ne peut plus inspirer que cette sorte de respect qu’on porte aux vieilles choses dont on s’est longtemps servi. C’est un objet d’art, puissamment conçu, vénérable par son antiquité, et dont la place est marquée dans le musée religieux de l’histoire.