Historiettes (1906)/Madame de Langey

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 278-286).

MADAME DE LANGEY

Le marquis de Courtaumer, qui fut tué à l’expédition du colonel Gassion, depuis maréchal de France, contre les Pieds-nuds, à Avranches, ne laissa qu’une fille, qui fut mariée fort jeune au fils unique d’un M. de Maimbray, homme de qualité du pays du Maine. Ce garçon s’appeloit Langey, du nom d’une terre. Il y avoit de grands procès dans la maison de cette héritière, à cause qu’elle avoit un oncle, cadet de feu de son père, à qui la mère avoit fait tout l’avantage qu’elle avoit pu. Langey et l’oncle eurent donc bien des choses à démêler. Au bout de trois ans, comme ils étoient à Rouen, sur le point de s’accommoder, il arriva du désordre entre le mari et la femme. Il l’accusoit d’être pour son oncle ; cela venoit de ce qu’il ne vouloit point qu’elle eût de trop de communication avec ses parents pour les raisons qu’on verra ensuite. Cela fit du bruit. Elle en écrivit à madame Le Cocq, veuve d’un conseiller huguenot sœur aînée de feue sa mère, et à M. Magdelaine, son grand-père maternel, afin qu’ils fissent tous leurs efforts pour la délivrer de la misère où elle étoit. Déjà, le bonhomme et la tante s’étoient aperçus de la mauvaise humeur du cavalier.

Durant deux misérables campagnes qu’il fit, il n’avoit jamais voulu permettre à sa femme d’aller chez madame la marquise de La Caze, sa mère ; au contraire, il l’avoit donnée en garde à madame de Maimbray. On avoit reconnu qu’il avoit mille bizarreries, et, en une occasion, la jeune femme avoit lâché quelques paroles qui donnoient lieu de soupçonner qu’il étoit impuissant. Avec cela, il étoit horriblement jaloux ; car ces sortes de gens-là savent bien que leurs femmes ne sauroient trouver pires qu’eux. Il la vouloit jeter dans la dévotion ; il lui lisoit et lui faisoit lire sans cesse la Sainte Ecriture.

En un voyage que Langey fit ensuite à la campagne chez le bonhomme Magdelaine, ancien conseiller huguenot, on fit avouer à sa femme qu’il n’avoit point consommé, et on prit ses mesures pour la faire venir à Paris sans lui.

Pour cela, sous prétexte qu’il n’étoit pas trop bien avec le bonhomme, et que pourtant ses affaires requéroient qu’il vînt à Paris, madame Le Cocq lui proposa d’y envoyer sa femme ; il y consentit. Elle parut bien dissimulée en cette rencontre ; car après avoir bien fait des façons pour le quitter, comme elle étoit déjà en carrosse, elle remonte, va encore l’embrasser, et lui dire qu’elle ne pouvoit se résoudre à le laisser, etc. Depuis, jusqu’au jour où il reçut l’exploit, elle lui écrivit les lettres les plus tendres du monde, et ici sa tante la mena au Cours et aux noces. Peut-être eût-on mieux fait de ne point faire tout cela. L’exploit le surprit, comme vous pouvez le penser ; il vient à Paris, demande à la voir ; on le lui refuse. Il y envoie M. du Mans (Lavardin), son parent, qui dit tout ce qu’il y avoit à dire là-dessus, et offrit le congrès en particulier, mais en vain ; le ministre Gasches offre la même chose, on passe outre.

M. Magdelaine, qui n’est habile homme que par routine, ne daigne pas s’informer comment il falloit agir ; il se fie à ce que sa petite-fille lui dit que Langey n’est point son mari, et il oublie d’exposer dans la requête qu’en quatre ans que cet homme a été avec elle, il n’a eu que trop de temps pour la mettre en état, soit avec les doigts, ou autrement, de ne passer plus pour fille. Après, elle offre de se laisser visiter, et on fit pour elle un factum si sale que depuis on a trouve à propos de le désavouer.

Après bien des procédures, on en vient à la visite chez le lieutenant civil, à cause que les parties étoient de la religion. Madame Le Cocq, pour s’excuser, dit qu’elle avoit vu le procès-verbal de la visite de mademoiselle de Soubise, aussi huguenote, et qu’il y avoit douze experts, au lieu qu’à l’ordinaire il n’y en a que quatre, tout au plus. « Mais n’en nommer que deux de chaque côte, disoit-elle, ce petit nombre se peut corrompre aisément ; il en faut quatre, puis la cour en nomme d’office. » Il y en eut donc douze entre lesquels il y avoit deux matrones.

Langey est bien fait et de bonne mine. Madame de Franquetot-Carquebut, en le voyant au Cours, dit : « Hélas ! à qui se fiera-t-on désormais ? » Cela donnoit de mauvaises impressions contre la demoiselle. Je ne sais combien de harengères et autres femmes étoient à la porte du lieutenant civil, et dirent en voyant Langey : « Hélas ! plût à Dieu que j’eusse un mari fait comme cela ! » Pour elle, elles lui chantèrent pouilles. La visite lui fut fort désavantageuse, car on ne la trouva point entière. Renevilliers-Galand, alors conseiller au Châtelet, disoit : « On ne pourra pas dire que Langey, durant ces quatre ans, n’a pas fait œuvre de ses dix doigts. » D’avoir été tâtée, regardée de tous les côtés par tant de gens et si long-temps, car cela dura deux heures, donna une si grande indignation à tout le sexe que depuis ce temps-là jusqu’au congrès, toutes les femmes furent pour Langey ; d’ailleurs, il ne disoit rien contre elle. Il se mit en ce temps-là beaucoup plus dans le monde qu’il n’avoit jamais fait, et on disoit que cette affaire lui avoit fait venir de l’esprit. S’il en eût eu, il lui étoit bien aisé de garder sa femme toute sa vie ; il n’avoit qu’à avouer, voyant la visite si désavantageuse pour elle, qu’il s’étoit effilé par les excès qu’il avoit faits en la servant. Au lieu de cela, il demanda le congrès. Tout le monde pourtant s’étonnoit de son audace. car il n’y avoit qui que ce fût qui pût dire : « Je l’ai vu en état. » On doutoit fort de sa vigueur. Le seul ministre Gache et le médecin L’Aimonon, qui est à M. de Longueville, soutenoient qu’il étoit comme il falloit, l’un se fioit à ce qu’il étoit trop craignant Dieu pour mentir, et l’autre disoit qu’il étoit de trop bonne race du côté de père et de mère. Menjot, le médecin, disoit plaisamment qu’ils étoient les deux c…… de Langey : M. L’Aimonon le droit et M. Gache le gauche.

Madame de Lavardin et madame de Sévigny[1], amies du lieutenant civil, étoient en carrosse à deux portes de là où il les alla trouver après ; on les entendoit rire du bout de la rue. On prétendit que le lieutenant civil avoit été favorable à Langey à cause de madame de Lavardin.

Il y eut bien des procédures pour cela, qui firent durer la chose près de deux ans ; on ne parloit que de cela partout Paris. Je me souviens que, sur le rapport des experts, des femmes disoient : « Jésus ! on disoit qu’elle étoit si bien faite ! Regardez ce qu’en disent ces gens-là. Elle est bien faite pourtant ! » Les femmes s’accoutumèrent insensiblement à ce mot de congrès, et on disoit des ordures dans toutes les ruelles. Une parente de la dame dit un jour de visite, parlant de Langey : « On a trouvé la partie bien formée, mais point animée. » Madame Le Cocq, au lieu d’ôter sa fille, la laissa coucher avec madame de Langey. Je pense qu’elle y aura appris de belles choses. Il est vrai qu’elle l’ôta quand on en vint au congrès ; mais il étoit bien temps. On en fit des vers, méchants à la vérité, mais qui disoient bien des saletés. Les vaudevilles ne chantoient autre chose, et madame Le Cocq alloit débitant tout ce qu’elle savoit là-dessus, car c’est la plus grande parleuse de France ; les paroles sortent de sa bouche comme les gens sortent du sermon. On l’appeloit, lui, le marquis de Congrès. Il avoit le portrait de sa femme, et montroit partout de ses lettres. Un jour qu’il disoit à madame de Gondran : « Madame, j’ai la plus grande ardeur du monde pour elle. — Hé ! Monsieur, gardez-la pour un certain jour, cette grande ardeur. » Madame de Sévigny lui dit un peu gaillardement : « Pour vous, votre procès est dans vos chausses. » Madame d’Olonne un jour disoit : « J’aimerois autant être condamnée au congrès. »

Cette madame de Langey ne témoigna pas beaucoup de cœur, car, dans une rencontre qui eût mis une autre personne au désespoir, elle jouoit aux épingles avec sa cousine Le Cocq, et n’a pas paru extrêmement touchée de toutes les indignités qu’on lui a fait souffrir. Les juges de l’édit étoient assez mal satisfaits d’elle, et si Langey n’eût point été si sot que de demander le congrès, elle eût été bien empêchée. Il ne tint qu’à lui de s’accommoder assez avantageusement. Pour peu qu’il y eût eu de galanterie du côté de madame de Langey, elle étoit perdue, car on ne trouva pas bon qu’elle fût allée en cachette, chez un des parents de sa tante, voir un feu d’artifice sur l’eau ; il est vrai que c’étoit au sortir de chez le rapporteur où Langey avoit permission de lui parler durant trois jours. Le père et la mère de Langey vinrent ici exprès pour le faire résoudre à s’accommoder ; ils n’en purent jamais venir à bout. On n’a jamais vu un tel esprit d’étourdissement.

Le jour qu’on ordonna le congrès, Langey crioit victoire vous eussiez dit qu’il étoit déjà dedans : on n’a jamais vu tant de fanfaronnades. Mais il y eut bien des mystères avant que d’en venir là. Il fit ordonner qu’on la baigneroit auparavant, c’étoit pour rendre inutiles les restringents, et qu’elle auroit les cheveux épars, de peur de quelque caractère[2] dans sa coiffure. Faute d’autre lieu, on prit la maison d’un baigneur au faubourg Saint-Antoine.

La veille lui et elle furent encore visités par quinze personnes, et, le jour, je pense qu’il avoit aposté de la canaille, la plupart des femmes, au coin de la rue de Seine, qui dirent quelques injures à la patiente. Plusieurs fois, il en a fait dire à madame Le Cocq, au Palais. Elle y alla bien accompagnée, et les laquais disoient à ceux qui demandoient qui c’étoit : « C’est M. le duc de Congrès. » Elle étoit fort résolue en y allant et dit à sa tante, qui demeura : « Soyez assurée que je reviendrai victorieuse ; je sais bien à qui j’ai affaire. » Là, il lui tint toute la rigueur, jusqu’à ne vouloir pas souffrir quand on la coucha, qu’on la coiffât d’une cornette que deux femmes des parentes de son grand-père avoient apportée ; il en fallut prendre une de celles de la femme du baigneur. En s’allant mettre au lit, il dit : « Apportez-moi deux œufs frais, que je lui fasse un garçon tout du premier coup. » Mais il n’eut pas la moindre émotion où il falloit ; il sua pourtant à changer deux fois de chemise : les drogues qu’il avoit prises l’échauffoient[3]. De rage, il se mit à prier. « Vous n’êtes pas ici pour cela, » lui dit-elle ; et elle lui fit reproche de la dureté qu’il avoit eue pour elle, lui qui savoit bien qu’il n’étoit point capable du mariage. Or il y avoit là, entre les matrones, une vieille madame Pezé, âgée de quatre-vingts ans, nommée d’office, qui fit cent folies ; elle alloit de temps en temps voir en quel état il étoit, et revenoit dire aux experts : « C’est grand’ pitié il ne nature point. » Enfin le temps expire, on le fit sortir du lit : « Je suis ruiné, » s’écria-t- il en se levant. Ses gens n’osoient lever les yeux, et la plupart s’en allèrent. Au retour de là, un laquais contoit naïvement à un autre : « Il n’a jamais pu se mettre en humeur. Pour mademoiselle de Courtaumer, elle étoit en chaleur ; il n’a pas tenu à elle. »

L’hiver suivant, il arriva une chose quasi semblable à Rheims : la femme, par grâce, accorda au mari toute une nuit. Les experts étoient auprès du feu ; ce pauvre homme se crevoit de noix confites. A tout bout de champ, il disoit : « Venez ; venez » ; mais on trouvoit toujours blanque. La femelle rioit et disoit : « Ne vous hâtez pas tant, je le connois bien. » Ces experts disent qu’ils n’ont jamais tant ri ni moins dormi que cette nuit-là.

Le lendemain, qui étoit la cène de septembre à Charenton, on ne fit que parler de l’aventure de Langey. Jamais on n’a dit tant d’ordures le jour du mardi gras. Le ministre Gache étoit si confus que vous eussiez dit que c’étoit à lui que cela étoit arrivé. Jusque-là, quand il marioit quelqu’un, il se tournoit vers le bonhomme Magdelaine, à l’endroit où il y a : Donc, ce que Dieu a joint, que l’homme ne le sépare point, et crioit à haute voix. Depuis, il a lu cela comme le reste. Les femmes qui avoient été pour Langey étoient déferrées : « C’est un vilain, disoient-elles, n’en parlons plus. »

Dès le lundi, une infinité de gens allèrent se réjouir chez madame Le Cocq ; elle leur dit une bonne chose : « Excusez ma nièce, leur disoit-elle ; elle est si fatiguée qu’elle n’a pu descendre. » Langey ne laissa pas de présenter encore requête, disant qu’il avoit été ensorcelé, qu’on l’avoit bassiné d’une autre eau qu’elle. Cela fut cause qu’on ne put avoir arrêt à ce parlement-là.

Depuis la Saint-Martin jusqu’à ce qu’il y eût eu arrêt, il alla partout à son ordinaire, et tout le monde en étoit embarrassé.

Au bout d’un an et demi, Langey prit des lettres en forme de requête civile, pour faire ôter de l’arrêt la défense de se marier ; mais M. le chancelier le rebuta, en disant : « A-t-il recouvré de nouvelles pièces ? “

Depuis la mort de sa grand’mère de Téligny, il se fit appeler le marquis de Téligny ; mais il ne laisse pas d’être Langey pour cela.

Au bout de quelques mois pourtant, Langey ne laissa pas de trouver qui le voulut ; il épousa une fille de trente ans, huguenote, nommée mademoiselle de Saint-Geniez, sœur de M. le duc de Navailles. Il a pris là une étrange poulette. Voici ce que j’en ai ouï dire à Tallemant, maître des requêtes. Comme il étoit intendant en Guienne, la goutte et la fièvre le prirent à Saint-Sever, en Limousin. On n’entroit pas dans sa chambre, lorsqu’un prêtre essoufflé vint prier madame Tallemant de le faire parler à M. l’intendant, et qu’il y alloit de la vie de deux hommes ; elle le fait entrer. C’étoit qu’une vieille mademoiselle de Navailles, tante du duc, ne pouvant avoir sa légitime, s’étoit emparée d’un château, où mademoiselle de Saint-Geniez, l’ayant forcée, l’avoit mise en prison dans une chambre, où il n’y avoit que les quatre murs, sans pain ni eau, et avoit enfermé deux gentilhommes de son parti dans une armoire qui étoit dans le mur, où l’on a accoutumé en ce pays de mettre du salé ; et ces trois personnes, depuis deux fois vingt-quatre heures, n’avoient ni bu ni mangé. L’intendant les envoya délivrer. Il y a apparence qu’elle salera Langey.

Madame de Langey a déjà eu un enfant, le mari en a triomphé à la province et ici ; beaucoup de gens doutent qu’il lui appartienne. Il faut donc qu’il soit supposé, ou qu’un je-ne-sais-qui en soit le père, car la dame est maigre, vieille et noire. Présentement, elle et son mari sont à Paris : elle est encore grosse, et dit que, pour la première fois, elle en a été bien aise, mais que, pour celle-ci, elle s’en seroit bien passée, et madame de Boesse ne devient point grosse.

J’ai vu Langey à Charenton faire baptiser son second enfant ; car il a fils et fille ; jamais homme ne fut si aise, il triomphoit. D’autre côté, on dit que sa première femme a aussi fait un enfant ; on ne médit point de sa seconde, et elle n’est brin jolie. Le temps découvrira peut-être tous ces mystères. J’espère qu’un de ces matins le cavalier présentera requête pour faire défense à l’avenir d’appeler les impuissants Langeys. On dit que mademoiselle des Jardins, pour s’éclaircir de la vérité, lui offrit le congrès. Elle est fille à cela ; elle en a bien fait pis ensuite.

Quand Langey eut des enfants, il s’en vantoit sans cesse. Un jour qu’il les montroit, Benserade lui dit : « Moi, Monsieur, je n’ai jamais douté que mademoiselle de Navailles ne fut capable d’engendrer. »

  1. La marquise de Sévigné.
  2. Quelques caractères magiques.
  3. On croit que les ch…p… qu’il a eues l’ont effilé. (T.)