Historiettes (1906)/Vandy

La bibliothèque libre.
Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 151-152).

VANDY[modifier]

Feu Vandy étoit un homme qui rencontroit assez bien. Son oncle, le comte de Grandpré, avoit été son tuteur, et on accusoit ce tuteur d’avoir un peu pillé son pupille ; il lui dit un jour : « Mon neveu, vous faites trop de dépense ; assurément, vous vous ruinerez. — Mon oncle, répondit Vandy, comment me ruinerois-je, si vous, qui avez plus d’esprit que moi, n’avez pu venir à bout de me ruiner  ? »

Un gentilhomme de ses voisins lui demandoit une attestation pour faire déclarer son frère fou : « Mais, Monsieur, lui disoit-il, donnez-le-moi bien ample. — Je vous la donnerai si ample, répondit Vandy, qu’elle pourra servir pour votre frère pour vous. » Il étoit un homme fort froid, et il ne sembloit pas qu’il songeât à ce qu’il disoit. Un jour qu’il dînoit chez ce même comte de Grandpré, on servit devant lui un potage, où il n’y avoit que deux pauvres soupes qui couroient l’une après l’autre ; Vandy voulut en prendre une ; mais comme le plat étoit fort grand, il faillit son coup ; il y retourne et ne peut l’attraper ; il se lève de table et appelle son valet de chambre : « Un tel, tire-moi mes bottes. — Que voulez-vous faire, mon cousin  ? lui dit M. de Joyeuse ; je crois que vous êtes fou. — Souffrez qu’il me débotte, dit froidement Vandy, je veux me jeter à la nage dans ce plat pour attraper cette soupe. »

Il étoit brave, mais n’alloit jamais à la guerre sans donzelles, et il disoit ordinairement : « Point de p…, point de Vandy. » On dit qu’étant à une foire de village il y rencontra une mignonne qu’il avoit entretenue autrefois ; il en vouloit user à la manière de Diogène, qui plantoit des hommes en plein marché ; la demoiselle le rebuta : « Hé quoi ? lui dit-il, ne sait-on pas que tu f… et moi aussi  ? » Il avoit épousé une nièce du maréchal de Marillac.

Le cardinal de Richelieu voulut qu’il fît son testament ; lui s’en défendoit, disant qu’il n’avoit pas de biens ; enfin l’éminence l’emporta. « Ecrivez donc, dit-il, je donne mon âme à Dieu, mon corps à la terre, ma femme et mon fils à M. le cardinal (il fut son page), et ma fille au public. »

Une fois qu’il venoit de la guerre avec un de ses amis, il lui dit : « Nous irons descendre chez une dame bien faite, avec laquelle vous verrez que je ne suis pas mal ; mais je n’en suis point jaloux ; je vous laisserai ensemble avant que vous en partiez : vous pousserez votre fortune. » C’étoit chez sa femme qu’il fut descendre ; il lui présenta son ami. On dîna : après le dîner, il entra avec elle dans un cabinet, et ensuite il s’alla promener dans le jardin. Cet homme, demeuré seul avec elle, se mit à lui en conter, et après il lui voulut baiser la main. « Monsieur, pour qui me prenez- vous’ ? — Hé, Madame, M. de Vandy m’a tout dit. » Enfin, elle fut contrainte d’appeler M. Vandy par la fenêtre. Cet homme, voyant qu’on l’avoit fait donner dans le panneau, monta à cheval et s’enfuit.

Une autre fois qu’il couroit la poste, en passant par Lyon, on l’obligea à aller parler à feu M. d’Alincourt, père de M. de Villeroy, qui exerçoit cette petite tyrannie sur les courriers. Il y fut ; M. le gouverneur, sans autrement le saluer, lui dit : « Mon ami, que disoit-on à Paris quand vous en êtes parti ? — Monsieur, on disoit vêpres. — - Je demande ce qu’il y avoit de nouveau  ? — Des pois verts, Monsieur. » Alors se doutant que ce n’étoit pas ce qu’il pensoit, il lui ôte le chapeau, et lui dit : « Monsieur, comment vous appelez-vous ? — Cela n’est pas réglé, reprit Vandy, tantôt mon ami, tantôt monsieur. » Et il s’en va. On dit après à M. d’Alincourt qui c’étoit. Il envoya après, mais en vain ; Vandy le laissa la pour ce qu’il étoit.