Historiettes et fantaisies/Tous chinois !

La bibliothèque libre.

TOUS CHINOIS !



COMBIEN sommes-nous de blancs dans l’Amérique du Nord ? Quel nombre de Chinois faudra-t-il pour nous absorber ?

Les États-Unis et le Canada n’ont, ensemble, que 70 millions d’âmes, tout au plus.

La Chine renferme 300 millions d’êtres humains, assure-t-on. Il suffirait d’une petite émigration de 50 millions de faces jaunes pour nous enfoncer jusqu’au cou, ne laissant que la tête au-dessus de l’eau. Et il resterait encore dans le Céleste Empire de bons ménages… qui enverraient des colonies à l’Amérique du Sud.

Nous pourrions bien un jour devenir Chinois.

N’avons-nous pas du terrain en abondance ? Cent millions d’hommes ne le couvriraient point. La Chine est comble. Elle tend à se dégonfler… et conséquemment le Chinois se dirige sur nous.

Que ferons-nous de lui ? ou plutôt que fera-t-il de nous ? car il sera le maître, cela va sans dire.

Invasion sur toute la ligne !

Il faut, dit-on, repousser la race mongole, la chasser, lui fermer nos territoires.

Arrêtez ! Depuis deux siècles nous cherchons à ouvrir la Chine à notre commerce. Pourquoi ne pas admettre les Chinois parmi nous, puisque nous voulons que ce peuple nous reçoive chez lui ?

Mais, s’écrie-t-on, le Chinois vit trop économiquement : il se contente d’un salaire beaucoup moindre que celui des blancs.

Alors, c’est nous qui sommes dans le tort. Nous dépensons trop ; nous avons des exigences ruineuses.

Oui, c’est cela, la lutte va se faire entre notre civilisation et celle des races jaunes. Si l’Amérique admet ces dernières il est facile de voir que nous serons écrasés.

Tous Chinois, je vous le dis !

Un bout de comparaison. Les Sauvages qui habitaient notre Canada à l’époque de sa découverte étaient clairsemés, attendu que les familles qui vivent de chasse demandent de vastes espaces pour s’approvisionner. Nous sommes venus nous établir au milieu d’elles, mettre leurs terres en culture et former des villes. Notre envahissement était irrésistible. L’homme rouge a reculé — il a péri. Nous nous contentons de peu d’espace mais nous sommes nombreux et le malheureux Sauvage étouffe à nos côtés.

Maintenant, c’est à notre tour de plier nos tentes ou de subir le joug. Ce que nous étions pour les nomades que nous avons supplantés, les Chinois le sont à notre égard. Exigeant moins de place, ils peuvent se grouper en plus grand nombre sur un point donné. Vivant sans luxe, ils dépensent moins que les blancs. Imbus d’une idée nationale très tenace, ils s’entr’aident partout et en toute occasion. Qu’allons-nous devenir devant ces moyens formidables ? Sera-ce le jaune ou le blanc qui l’emportera ?

Chinois ! tous Chinois, je le répète !

L’Amérique du Nord est présentement aux Anglais, aux Espagnols, aux Irlandais, aux Écossais, aux Français, aux Allemands, aux Nègres — mais nous sommes tous divisés.

Que ferons-nous en présence de la marée montante des fils du Soleil ? Nous nous livrerons à des plaintes amères… et après ?

Après, nous aurons le vote chinois, le costume chinois, la cuisine chinoise, les mœurs chinoises, les lois chinoises.

Ces affreux magots de la Chine s’empareront du continent. On les entendra chanter :


Bonhomme, bonhomme,
Tu n’es pas maître en ta maison
Quand nous y sommes !


Ils viendront par la Colombie anglaise, par le Saint-Laurent, par la baie d’Hudson ! Les enfants de Japhet seront subjugués. Sem régnera. Nous serons pris entre les descendants de Cham, nègres indolents, et les Chinois industrieux. La balance penchera vers ces derniers.

Tous Chinois, et pour toujours !