Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 42

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Charpentier (p. 207-214).
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XLII

En 1834, paraît le premier livre des Cent Vues du Fouzi-yama, Fougakou Hiakkei, un premier livre suivi d’un second, d’un troisième volume, et où Hokousaï a apporté dans ses dessins une science, un art, une observation humoristique tout à fait supérieure, et dont les gravures, exécutées par Yégawa, le graveur préféré par Hokousaï, sont de petits chefs-d’œuvre.

Cette célébration par l’illustration du grand artiste, de la montagne vénérée du Japon, de la montagne aux 12450 pieds, n’est pas tant une représentation des ascensions qui ont lieu, chaque année, pendant les grandes chaleurs, que cent fois la montre de la montagne, vue de Yédo, et des campagnes au nord, au sud, à l’est, à l’ouest du Fouzi-yama.

La première planche, est la figuration de la déesse du Japon, Konohana-Sakouya-himé (princesse de la fleur épanouie), la divinité du Fouzi-yama : dessinée, sa noire chevelure épandue dans le dos, et tenant d’une main un miroir, de l’autre une branche d’arbuste, dans une ample robe, dont les cassures font à ses pieds comme des vagues.

La seconde planche nous fait voir des groupes de Japonais, accroupis ou agenouillés, se montrant dans la stupéfaction, la grande montagne, là, où il n’y en avait pas : planche faisant allusion au jaillissement de la montagne sous l’empereur Kôrei (285 ans avant Jésus-Christ), au moment, où à cent lieues de là, se creusait le lac Biwa.

Dans la troisième planche, c’est le premier ascensionniste de la montagne, le prêtre bouddhique Yenno-guiôja, tenant contre un bras le bâton à la poignée noire, ayant l’autre enlacé dans un chapelet, et représenté dans les nuages du sommet de la montagne.

Et commencent les planches de la première série. Dans celle-ci, la montée en une gorge étroite, d’une armée de pèlerins, dont on ne voit que les grands chapeaux de jonc, portant deux caractères signifiant Fouzi, et dans celle-là, leur descente vertigineuse sur les grands bâtons, en une dégringolade mouvementée.

C’est suivi d’une planche, représentant, avec une furia extraordinaire, une éruption de 1707, semblable à l’explosion d’une mine, et jetant dans le noir du ciel, des poutres, des tonneaux, des cadavres brisés.

Cette éruption qui a fait pousser sur la droite du Fouzi-yama un petit mamelon, amène une planche caricaturale, où un Japonais explique à un Japonais, affligé d’une énorme loupe à la joue, qu’il est arrivé à la montagne, ce qui est arrivé à sa joue. Et cela est dit dans un groupe de Japonais, qui se tordent de rire.

Puis des planches, où commence la représentation de vues actuelles : la vue du Fouzi-yama vu dans le brouillard, une planche merveilleuse d’effet, comparable à la planche du brouillard de Gakoutei. Et c’est la vue du Fouzi-yama, à travers le grêle feuillage de saules pleureurs, — la vue du Fouzi-yama, entrevue une fois du petit balcon existant sur le toit de toutes les habitations de Yédo, pour observer les incendies, entrevue au milieu d’un ciel coupé par les banderoles de la fête des Étoiles ; entrevue, une autre fois, d’une rue de Yédo, emplie de la promenade joyeuse des Manzaï, un premier Jour de l’An ; — la vue du Fouzi-yama, d’Ohmori, de la baie de Yédo, au-dessus des roseaux de la Soumida ; — la vue du Fouzi-yama, d’une hutte de la campagne pour surveiller et éloigner les oiseaux ; — la vue du Fouzi-yama, avec le coucher d’un soleil, au rayonnement remplissant le ciel ; — la vue du Fouzi-yama, parmi la floraison des cerisiers du printemps, sous lesquels, à la porte d’une maison de thé, une Japonaise fait de la musique, au milieu d’une collation en plein air ; — la vue du Fouzi-yama, à travers les champs de riz de l’automne.

Dans le second volume, il est des compositions, où des noirs rembranesques, admirablement rendus par le graveur, en font des planches du plus grand caractère. Ainsi, la navigation dans un de ces curieux bateaux primitifs, sur un lac de la province de Shinano, ainsi, l’ascension du dragon montant au ciel pendant l’orage, ainsi « la Vague » avec, pour ainsi dire, les griffes de sa crête, ainsi le faucon étripant un faisan, ainsi l’averse, avec un éclair mettant son zigzag dans la nuée qui va crever, ainsi le Fouzi-yama dans la nuit, au-dessus d’un chien hurlant à la lune.

Et, opposées à ces planches de nuit et de pénombre, les jolies planches de clarté lumineuse, comme celle qui a pour titre : Les trois blancs : le blanc du Fouzi-yama, le blanc d’une grue, le blanc de la neige sur les sapins.

Et encore le paysage du dessous des grands bambous, le paysage des sept ponts, le paysage maritime de Shimada-ga-hana aux pilotis pittoresques si spirituellement croqués ; enfin la planche curieuse, où bien certainement Hokousaï s’est représenté, en train de peindre le Fouzi-yama, accroupi sur un carton, pendant que deux de ses compagnons ouvrent des caisses, et qu’un troisième fait chauffer du saké, dans un chaudron accroché à trois bambous noués dans le haut.

Et au milieu de ces paysages, de savantes études d’hommes et de femmes : l’étude des bûcherons, attachés par le milieu du corps à des branches d’arbres, qu’ils coupent au-dessus de leurs têtes ; l’étude de ces deux Japonais, dont l’un montre à l’autre par un châssis relevé, une vue du Fouzi-yama, étude qui a pour titre : La première idée d’un kakémono ; l’étude des pèlerins, dans une des grottes du haut du Fouzi-yama, servant d’endroit à coucher pour l’ascension ; l’étude du poète antique s’inspirant devant la célèbre montagne, et assis sur un terrain, à la végétation de fantaisie toute différente du réel paysage du fond ; l’étude puissante de Nitta tuant le sanglier monstre ; enfin l’étude charmante de ce Japonais fatigué de la lecture, regardant, la tête renversée entre l’étirement de ses deux bras, la reposante montagne.

Et toutes ces représentations vous donnant à voir, dans chaque planche, le Fouzi-yama de tous les côtés, et à travers des filets, des grillages, une toile d’araignée, et non seulement dans son altitude droite, mais encore dans le renversement de cette altitude. Ainsi, dans le premier volume, une planche le montre, la tête en bas dans les eaux d’un lac, où une troupe d’oies sauvages est en train de prendre son vol. Dans ce second volume, ce renversement a fourni à l’imagination du peintre, un motif tout à fait joli. Un Japonais qui va boire une coupe d’eau, s’arrête un moment étonné et charmé devant le microscopique cône de la montagne, reflété dans l’eau qu’il porte à ses lèvres.

La première planche du troisième volume, c’est la lutte corps à corps, au iie siècle, des deux guerriers, Kawazou et Matano, en vue du Fouzi-yama. Et tout le volume continue à être la représentation de la montagne, à l’aube, par la pluie, par la brume, par la tombée de la neige, et vue de la grande cascade, et vue d’un monument sinthoïste, où jaillit du creux d’un arbre, l’eau pour la purification de la prière, et vue de l’observatoire de Yédo, et vue enfin, de la Corée.

Et dans ces planches : le beau dessin d’un cerf bramant ; le dessin mouvementé de la cavalcade de l’ambassade coréenne, apportant son tribut ; le dessin curieux de ces deux gigantesques sapins de la province Yashiû, se rejoignant dans le ciel, et sur la tête desquels, par la neige, se fait un chemin parcouru par des voyageurs, trouvant au milieu de la route une auberge ; et la dernière planche, comme le dit l’inscription en tête : c’est le Fouzi-yama fait d’un seul coup de pinceau.

Le premier volume de la première édition, appelée l’édition à la plume de faucon, par suite de la représentation d’une plume de cet oiseau sur la couverture, édition rare, a paru en 1834, le second volume en 1835. De cette édition, on ne connaît pas le troisième volume.

Cette première édition était tirée en noir, mais peu de temps après, paraissait une édition, alors composée des trois volumes, où le tirage en noir était teinté d’une teinte bleuâtre, dont le léger azurement sur le papier crème du Japon fait le passage le plus harmonique des blancs aux noirs des gravures.

Les deux éditions sont signées : le Vieillard fou de dessin, précédemment Hokousaï I-itsou, âgé de 75 ans.