Aller au contenu

Horizons/Les roses

La bibliothèque libre.

Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Les Roses.
HorizonsEugène Fasquelle (p. 49-50).
Songerie  ►

LES ROSES

À la Comtesse Jacques de Chabannes la Palice.


Nous savons que la vie encombre le lointain
De sa dangereuse marée.
Et pourtant, à travers la fenêtre carrée,
Vois le beau temps de ce matin !

Le jardin mûr frémit, plein de choses écloses,
Mais les rosiers, mais les rosiers !
Ce jour sera comme un brasier
Où vivra la fraîcheur émouvante des roses.

Quand nous nous pencherons pour respirer leur cœur,
Elles nous mouilleront la bouche ;
Elles pleurent quand on les touche,
Car un peu d’eau nocturne est dans leur profondeur.


Elles ont le contour lisse des belles joues ;
Elles ont du soufre et de l’or.
Les rouges ont troué tout le vert du décor
De leurs impérieuses roues.

Les froides blanches vont mourir de pureté
En leur douceur de lingerie,
Mais la passionnée et pâle rose-thé
Embaume encore défleurie,

Et si la chaleur rend vineux
Le sang moins délicat des larges roses roses,
L’une d’elles va choir sans causes,
Lourde, au bout d’une tige où s’en balançaient deux…

— Toutes, nous vous prendrons en boutons ou vieillies,
Et nous presserons sur nos cœurs,
Inégales de taille, humides et cueillies,
Vos verdures et vos couleurs,

Roses, chair végétale ineffablement creuse
Pleine de sucre et de parfum,
Par qui, si vous comblez nos paumes amoureuses,
Nous oublions la vie et son sens importun !