Illyrine/3/Lettre 110

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(3p. 22-23).



LETTRE CX.

Julie à son ami.


Je suis bien aise que tu t’ennuies, je suis de même ; tout va ici de mal en pire ; M. ne me parle plus ; je ne vois personne : ma vie ici est fort triste. Ce n’est pas qu’à Paris, comme tu sais, je goûte les plaisirs bruyans ; mais je suis près de ce que j’aime, et cela me tient lieu de tout. Jeudi je me rendrai sans faute à Paris : envoye Barthelemi à la diligence. Je serai bien aise de voir madame P… et son amant : elle a été bientôt consolée de toi ; je suis curieuse de voir ton successeur. Je suis enchantée que tu ayes trouvé à placer Adélaïde, et Estelle : je les irai voir ; comptes sur mes soins pour elles.

Adieu, mon bel ange ; tout me déplaît tant ici, que j’en suis toute malade. Adieu, je te baise les yeux, la bouche, incontinent, incontinent….

À propos, hier en passant rue des Cordeliers, j’ai rencontré M. P… qui m’a abordé et dit : — Madame, vous m’avez reconnu sans me reconnaître ; aujourd’hui me connaissant, me reconnaitriez-vous ? Je le regarde : — Oh ! c’est vous, monsieur : comment vous portez-vous ? comment se porte madame ? — À merveille. — Voulez-vous bien vous charger de mille choses honnêtes de ma part ? Je compte aller à Paris jeudi prochain, et avoir le plaisir de la voir chez M. Q — Avec grand plaisir ; elle compte s’y rendre la semaine prochaine avec un de nos amis. Je l’engageai à venir me voir ; il m’en fit ses excuses ; qu’il se faisait tard, et qu’il allait coucher chez lui : nous nous quittâmes.

Ce grand benêt !… un de leurs amis emmener sa jolie petite femme à Paris. Oh ! pour lui, il m’a l’air d’être un mari commode avec une naïveté !…

Bon soir ; je suis au lit ; je baise ton portrait en attendant l’original. À jeudi.

Ta Lili.