Impressions de voyage et d’art, souvenirs du Bourbonnais/08

La bibliothèque libre.
Impressions de voyage et d’art, souvenirs du Bourbonnais
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 12 (p. 632-659).
◄  07
09  ►
IMPRESSIONS
DE VOYAGE ET D'ART

VIII.
SOUVENIRS DU LYONNAIS ET DE L'AUVERGNE[1].


I. — VILLEGIATURE EN LYONNAIS. — LES CHÂTEAUX DE LA FLACHERE ET DE MOMMELAS. — LE CARDINAL DE TOURNON. — TARARE. — VILLEFRANCHE. — ARS.

Reprenant ces excursions à travers la France, interrompues par la maladie, au point même où je les avais laissées il y a plus d’une année, je veux continuer à chercher sur le sol de notre pays ce qui reste encore de vivant parmi les témoignages du passé, non pour en accabler le présent, mais pour lui donner au contraire des motifs de confiance et d’espoir. Vous rappelez-vous ce petit conte de Voltaire dont les personnages élèvent un temple au dieu Temps avec cette inscription : à celui qui console ? Cette inscription est vraie de plus d’une manière, car ce n’est pas seulement parce qu’il efface et fait oublier, c’est aussi parce qu’il conserve et force à se souvenir que le temps est consolateur. Oh oui ! sans doute, l’histoire est pesante et la tradition lourde aux nations dans leurs momens de prospérité et de gloire ; alors du passé on ne sent que la chaîne, des longs siècles on ne sent que l’écrasement. Volontiers il semble qu’ils ne se sont prolongés jusqu’à nous que pour faire obstacle à la généreuse activité du présent et le frustrer du résultat de ses efforts. Viennent cependant les jours de tristesse et d’épreuve, et il se trouvera que ce tyran, le passé, possède aussi ses baumes pour nos blessures, ses cordiaux pour nos découragemens, surtout ses caïmans pour nos irritations. Combien la fortune a de retours dans les récits qu’il nous fait ! combien le génie humain y montre de ressources ! combien la nature y opère de lentes guérisons et combien la Providence y créé de soudains miracles ! A tout le moins il est une consolation qu’il réussit toujours à nous donner, c’est de nous sauver du désespoir en nous montrant combien de fois les nations ont été désespérées, et ont eu raison de l’être en apparence. Pourquoi faut-il que la réciproque ne soit jamais vraie, et qu’il ne nous enseigne pas aussi sûrement la défiance, en nous montrant combien de fois les nations ont été confiantes et ont dû se repentir de l’avoir été ?

Au moment de quitter Lyon pour prendre le chemin de l’Auvergne, d’aimables amis m’enlevant, malgré ma résistance, me conduisirent au château de La Flachère, propriété de M. le comte de Chaponay, où je reçus la plus généreuse des hospitalités, et où j’eus le plaisir de dormir sous des rideaux d’une très belle perse parsemés de coqs fantastiques, amusante traduction emblématique du nom du propriétaire, perse expressément fabriquée pour lui, sur les dessins qu’il en a donnés[2]. Le château de La Flachère, situé sur une éminence sans raideur ni escarpemens, à quelque distance du gros bourg de Bois-d’Oingt, n’a rien à démêler avec le passé, si ce n’est pour les formes de son architecture, car il est de construction toute récente. Malheureusement inachevé encore, il n’en est pas moins une des plus jolies créations de M. Viollet-Le-Duc, qui a su y fondre avec un goût parfait les plus charmantes des architectures du XVIe siècle et de l’époque Louis XIII. Une élégante diversité règne dans cette construction soignée où l’on a accès par les quatre côtés, et qui présente ainsi comme quatre façades dont la moins belle est la principale ; mais que la façade de derrière est donc jolie avec son pont-levis en miniature aboutissant à une étroite entrée noyée dans l’ombre de deux gracieuses tourelles qui ont l’air de la refouler doucement, et que les deux rampes des escaliers des façades latérales sont d’un dessin heureux ! Aucun éclectisme dans cette diversité, c’est-à-dire aucune marqueterie, aucune juxtaposition de styles différens ; c’est comme un exquis consommé architectural où les formes variées dont l’artiste s’est souvenu ont disparu en se fondant les unes dans les autres et ne se révèlent que par leur saveur.

Les motifs d’excursion abondent aux environs du château de La Flachère. Ce château de Bagnols, encore en assez bon état de conservation, quoiqu’il soit passablement délabré, appartint jadis au maréchal de Saint-André, et fut honoré un siècle plus tard de la visite de Mme de Sévigné. Là-bas se présente modestement une maison que nul ne songerait à remarquer, si on ne prenait le soin de vous la désigner : ce fut la maison de campagne de Roland de La Platrière, le ministre girondin de Louis XVI, mari d’une femme plus grande que lui, mais, je le crains bien, moins foncièrement honnête. Ailleurs, sur une éminence qui domine la verdoyante vallée de l’Azergue, le château de Châtillon dresse fièrement ses restes superbes. Des différentes familles nobles qui ont possédé ce château, une seule, celle des Balzac, a laissé ici un souvenir. La pierre tombale qui recouvrit les restes de celui des Balzac qui fut serviteur de Charles VIII est encore scellée dans le pavé d’une ravissante chapelle entièrement restaurée dans ces dernières années. Hippolyte Flandrin a eu le temps d’en orner l’autel de peintures représentant les apôtres dont il a ingénieusement changé les types arrêtés par la tradition, c’est-à-dire qu’au lieu de représenter des hommes dans toute la plénitude de la maturité et portant les marques de la vie, il a donné à ses saints personnages le même âge qu’avait leur maître lorsqu’il se sépara d’eux, bien légère hardiesse, mais que l’orthodoxie si connue d’Hippolyte Flandrin ne permet point de ne pas remarquer, et qui ne laisse pas que de produire une impression quelque peu bizarre, tant l’imagination habituée aux types consacrés a de peine à se figurer un saint Paul sans fortes rides et sans sévérité d’aspect, et un saint Pierre autrement que chauve. Ces édifices et ces ruines sont encadrés dans un paysage qui vaut la peine d’être remarqué, car il a son originalité propre parmi tous les autres paysages des régions montagneuses. Il ne faut chercher ici ni les éminences isolées du Forez, qui semblent avoir jailli du sol tout exprès pour rompre la monotonie de la plaine, ni les enchaînemens des forteresses naturelles de l’Auvergne, ni les élévations modérées et alternant sagement, pour ainsi dire, avec la plaine, du Limousin et de la Marche, ni les cirques, les gorges profondes, et les entonnoirs au vert sombre des campagnes du Velay. Le Lyonnais surtout, dans la région où nous voici, présente un sol bosselé sur toute sa superficie d’éminences singulièrement inégales, presque sans alternances de plaines. Contemplée d’en haut, cette campagne ressemble à un interminable entassement de taupinières énormes étroitement serrées les unes contre les autres, ou mieux encore à une succession de ces gigantesques monumens funèbres connus sous le nom de tumuli et composés de terre et de gazon que les peuples barbares, élevaient jadis à leurs chefs et à leurs guerriers fameux. Un Grec des vieux âges y aurait vu sans trop d’efforts d’imagination un antique champ de bataille où quelque peuple de titans avait trouvé sa sépulture après y avoir sans doute trouvé la défaite. De cette quantité et de cette inégalité d’éminences qui se superposer les unes aux autres sans cependant se dominer, il résulte une illusion qui à certaines heures et surtout vers le soir a sa grandeur et sa beauté. Ces élévations ne formant nulle part aucune de ces formidables murailles aux fortes arêtes qui le circonscrivent despotiquement, l’horizon reste fluide, et l’œil plonge, pour ainsi dire, dans une mer de montagnes non-seulement aussi bleue et aussi brumeuse, mais aussi mouvante et moutonnante que la mer véritable. C’est une illusion bien connue, mais je doute qu’il se rencontre beaucoup de régions où elle soit à ce point identique à la réalité.

La ville toute moderne et tout industrielle de Tarare n’a rien qui puisse attirer bien fortement le curieux des choses de l’esprit, si ce n’est son nom singulier et pimpant qui rappelle le titre d’un conte d’Hamilton dont le héros n’a qu’à le prononcer pour qu’il lui arrive aussitôt les aventures les plus merveilleuses. Ne fût-ce qu’en souvenir de ce nom à l’influence malicieusement magique, nous aurions payé notre visite à cette ville, qui se trouvait d’ailleurs à nos portes. Dans les villages que nous traversons, chemin faisant, retentit partout le bruit, disons mieux, le heurt sec des métiers à tisser, et je retire de la conversation de mes hôtes quelques renseignemens sur la vie et les habitudes des populations ouvrières du Lyonnais. Ici, me dit-on, il y a presque autant de tisseurs qu’il y a de couteliers à Thiers, de chaudronniers à Saint-Flour, et de dentellières au Puy et dans les campagnes du Velay. L’ouvrier travaille isolément ou en famille ; les fabriques sont rares, et celui qui viendrait à Lyon par exemple pour y étudier les diverses opérations du tissage des étoffes de soie courrait risque de s’en retourner déçu, s’il ne s’adressait pas à ces intérieurs. Les moralistes de l’économie politique se plaisent à attribuer une influence corruptrice, à la vie en commun des manufactures ; cependant, si le peuple de Lyon est aussi perverti qu’on le dit par les doctrines pernicieuses, l’influence des manufactures n’y est certainement pour rien. Une particularité assez curieuse résultant de la nécessité du logement pour tant d’ouvriers exerçant tous la même industrie semblerait, il est vrai, compenser cette absence de manufactures. Les faubourgs de Lyon en effet se composent en grande partie de hautes maisons presque exclusivement occupées par des ménages d’ouvriers tisseurs ; mais ce rapprochement ne produit aucun travail en commun, autant d’étages, autant de métiers isolés. On pourrait croire ces maisons bien préparées, s’il en fut, pour être des phalanstères en miniature, et pour être acquises et régies selon les principes de l’association et de la solidarité : eh bien ! elles sont au contraire acquises et régies selon les lois de la propriété la plus stricte et les principes de l’individualisme le plus marqué, car il arrive fréquemment qu’elles sont possédées par dix ou quinze propriétaires à la fois, chaque habitant s’étant rendu acquéreur d’un étage ou d’une moitié d’étage. Voilà des immeubles qui doivent être assez difficiles à vendre et sur lesquels il doit être malaisé d’emprunter par hypothèque.

Tarare est une petite ville neuve, propre, presque jolie, presque élégamment assise au pied de sa montagne, et qui porte sans trop de désavantage son nom coquet et tapageur comme un commencement de fanfare. Nous n’y avons trouvé que ce qu’il faut y chercher, des mousselines ; mais plusieurs des apprêts de ces légères étoffes nous ont réellement intéressé. Savez-vous par exemple en quoi consiste l’opération du flambage ? Lorsque la mousseline est tissée, elle présente sur toute son étendue une multitude de petits points de duvet dont on chercherait vainement à la débarrasser par d’autres moyens que celui du feu. Une machine met en mouvement deux rouleaux, dont l’un cède progressivement la mousseline et dont l’autre la reçoit et l’enroule progressivement aussi. Pour aller de l’un à l’autre, la mousseline passe au-dessus d’une rampe de becs de gaz qui flambent l’étoffe sans la roussir ni la brûler, opération bien simple, mais qui ne laisse pas que de causer un certain étonnement à cause de l’extrême légèreté de l’étoffe, et aussi parce que le mouvement qui la déroule est loin d’être rapide. L’apprêt qui consiste à appliquer sur l’étoffe les broderies qui forment les dessins de fleurs ou d’autres ornemens est aussi fort amusant. Un papier huilé sur lequel est pointillé le dessin qu’on veut imprimer est appliqué sur la mousseline ; sur le revers de ce papier, on passe un rouleau chargé d’une sorte d’encre grasse qui marque le dessin que des ouvrières exécutent en quelques instans en cousant tout le long des lignes des bandes d’étroits lacets qui font sur l’étoffe si peu de saillie qu’ils ont souvent l’air d’avoir été tissés avec elle. Vient ensuite l’opération la plus délicate, celle des jours ou grilles qu’il faut ouvrir pour marquer le calice d’une fleur, la séparation des pétales, les nervures de ses feuilles, etc. Deux ou trois coups d’aiguille pour déchirer l’étoffe et croiser les fils, et le tour est exécuté par nos ouvrières de Tarare avec une rapidité et une adresse qui dépassent de beaucoup la rapidité et l’adresse, déjà si grandes d’ordinaire, des mains féminines. Autant d’opérations diverses, autant d’industries et d’ateliers ; Tarare ne possède véritablement qu’une seule grande fabrique, celle de M. Martin, et celle-là n’a pas pour objet la fabrication de la mousseline, mais celle du velours et de la peluche. M. Martin, qui a gardé reconnaissance à la Revue des Deux Mondes des mentions fréquentes dont son établissement a été l’objet, nous fit visiter avec l’obligeance la plus empressée ses ateliers et très particulièrement l’orphelinat qui leur est adjoint, et où 400 ou 500 jeunes filles font leur apprentissage en payant pour tous frais d’éducation, de logement, de nourriture, le mince salaire qui peut récompenser un travail encore inhabile ou d’exécution facile, comme le moulinage et le dévidage de la soie, qui sont ceux auxquels elles sont pour la plupart occupées. Tous comptes faits, les dépenses de l’orphelinat excèdent, me dit-on, chaque année d’environ 50,000 francs le produit du travail novice de ces jeunes filles. Nous n’avons rien à ajouter à l’éloquence de ce chiffre ; tout éloge d’un tel emploi de la fortune serait superflu, il suffit de le mentionner.

Après l’excursion à Tarare, mes hôtes de La Flachère voulurent me conduire au château de Monmelas, appartenant à M. le comte Philippe de Tournon, qui nous y reçut avec une courtoisie dont il serait difficile de perdre le souvenir. Parmi les choses précieuses que possède le château, on me montra divers objets qui conservent la mémoire du cardinal François de Tournon. Abbé de la Chaise-Dieu en Auvergne, évêque d’Embrun, puis de Bourges, puis archevêque de Lyon, puis cardinal, négociateur de François Ier et de Henri II auprès de l’Espagne et du saint-siège, président du décevant colloque de Poissy, il fut même un instant désigné pour la papauté à la mort du pape Caraffa, et faillit renouveler ainsi au profit de l’influence française l’histoire d’Adrien d’Utrecht, le précepteur de Charles-Quint. C’est un des hommes les plus illustres de sa maison et l’un des personnages les plus considérables du XVIe siècle. Un vieux tableau conservé à la galerie du château de Monmelas le représente présidant le colloque de Poissy ; mais, si nous voulons savoir dans quel esprit il exerça cette fonction et quelle fut la vraie nature de ses opinions, adressons-nous plutôt à ce rituel manuscrit et orné d’enluminures expressément copié pour lui par un moine relevant de son autorité. Ce manuscrit est contemporain du concile de Trente, dont les doctrines n’eurent pas de plus zélé partisan que le cardinal de Tournon. N’est-ce pas en effet la préoccupation de ces doctrines qui se laisse apercevoir dans ce symbole eucharistique choisi pour blason ecclésiastique par le cardinal, un calice sur lequel pleut la manne céleste avec cette devise : non que super terram ? C’est ce blason de sa foi qui forme le frontispice même du manuscrit de Monmelas. Que ce petit détail dit de choses pour celui qui se souvient du rôle du cardinal de Tournon dans nos troubles civils et religieux, et par exemple comme il éclaire avec vivacité la scène fameuse de la première séance du colloque de Poissy, quand Théodore de Bèze, arrivant, dans son exposé de la doctrine protestante, à la question de la transsubstantiation, déclara audacieusement que Jésus-Christ est aussi éloigné de l’eucharistie que le ciel l’est de la terre ! Alors, disent unanimement tous les contemporains, le cardinal, se levant en grand courroux, s’écria que l’orateur avait blasphémé et insulté par ses paroles à la présence de leurs majestés, puis il demanda le renvoi de la réponse à une autre séance. L’homme qui avait choisi un tel blason ecclésiastique pouvait difficilement en effet entendre sans frémir un pareil langage, car c’était plus qu’une négation de sa foi que Théodore de Bèze avait proféré, c’était une insulte à ses armes et comme une sorte d’injure personnelle. Grâce à ce frontispice, l’imagination pénètre dans la vie secrète de cette scène, elle entre dans l’âme même de l’un des principaux personnages et en touche en quelque sorte un des ressorts importans, Tel est en histoire le rôle de ces choses de l’art ; rarement elles apportent des documens nouveaux, elles ne disent que ce que l’on sait, mais elles le disent avec un accent de poésie ou de passion qui le fait comprendre avec intimité et ne permet plus de l’oublier..Continuons, pour mieux nous en convaincre, de feuilleter le manuscrit du château de Monmelas.

Voici les vignettes qui entourent les prières des morts à la fin du volume : qu’elles sont lugubres ! tout le mobilier du trépas, la bière, les flambeaux funèbres, la pioche, la bêche, le linceul, la tête de mort, forme autour de la page manuscrite la plus affreuse des guirlandes : on dirait véritablement la chanson du fossoyeur d’Hamlet traduite par l’enluminure ;

Une pioche et une bêche, une bêche,
Et un linceul pour vêtement,
Oh ! et une fosse d’argile,
C’est tout ce qu’il faut à un tel hôte.


Ces vignettes sont mieux que des enjolivemens ; elles marquent une date importante dans les transformations du sentiment religieux. C’est certainement une des premières expressions de ce tour lugubre d’imagination que le catholicisme issu du concile de Trente sut imprimer aux âmes religieuses ; on y surprend tout près de sa source encore ce sentiment simple et fort de la mort matérielle nécessaire pour parler à des âmes déjà remplies de doute et que ne toucheraient plus suffisamment les craintes et les espérances d’outre-tombe. Pour celui qui douterait, ou n’aurait souci de son éternité heureuse ou malheureuse, voici le cadavre et son dernier logement avec tous les outils qui servent à le construire. Voilà un fait au moins inniable ; que le bel esprit douteur essaie de bien rire en contemplant cet avenir qui est le sien ! En dépit de la vogue des danses macabres dans les deux derniers siècles du moyen âge, on ne trouverait certainement rien d’analogue aux vignettes dont je viens de parler dans les manuscrits des époques antérieures. Nous venons de rappeler la chanson du fossoyeur d’Hamlet ; le violent mauvais goût de ces images annonce en effet comme vaguement l’approche de Shakspeare et de ses contemporains ; elles se ressentent aussi de l’approche ou plutôt de la présence de l’imagination espagnole, volontiers amie du funèbre, qui vient d’apparaître dans la religion avec Ignace de Loyola et ses compagnons.

Les compagnons de Loyola ! ils n’eurent pas de plus chaud protecteur que le cardinal de Tournon. Il semble avoir été parmi ceux qui comprirent des premiers le mécanisme et le but de cet ordre, car on le voit étendre dès l’origine sa faveur sur eux en toute circonstance. Pendant qu’il était archevêque de Lyon, deux disciples de Loyola, dont l’un, Alphonse Salmeron, si célèbre par les doctrines sur l’infaillibilité papale, qu’il vint porter avec Lainez au concile de Trente, arrivèrent dans cette ville et furent aussitôt après leur arrivée mis en prison comme sujets de l’empereur, avec qui la France était alors en guerre. Le cardinal de Tournon en fut instruit et les fit rendre à la liberté. C’est lui plus que personne qui les introduisit en France, et, aussitôt introduits, il leur donna la direction du collège de Tournon, qu’il avait fondé. En vérité, si l’on voulait définir d’un trait net et rapide le caractère du cardinal, il suffirait de dire que parmi les grands personnages du XVIe siècle, aucun ne représenta au même degré le type du conservateur. D’autres mêlèrent à leur conservatisme des visées ambitieuses ou des vues personnelles, lui ne semble avoir eu d’autre but que le maintien des doctrines ; mais ce but, il le poursuivit en toute circonstance avec une opiniâtreté, un acharnement et un esprit de suite des plus remarquables. Les mémoires du XVIe siècle nous le montrent poursuivant l’hérésie avec une vigilance qui ne laissait échapper aucune occasion. Au plus fort de la nouveauté de la réforme, alors que la lutte n’était pas encore engagée et que bien des esprits parmi les puissans étaient incertains ou marquaient une tendance à écouter les nouvelles doctrines, François Ier, gagné par sa sœur, la reine Marguerite de Navarre, avait consenti à recevoir Mélanchthon et à converser avec lui. Le cardinal de Tournon apprit le fait et alla se placer dans l’antichambre du roi, le livre de saint Irénée contre les hérétiques à la main, afin d’avoir un point de départ tout trouvé pour dissuader François Ier d’exécuter la promesse qu’il avait donnée à sa sœur. Il réussit, et peut par conséquent être regardé comme un des premiers auteurs de la longue lutte qui commença peu de temps après, comme un des magiciens qui firent tourner le vent, et changèrent en tempête la brise favorable qui poussa un moment vers la réforme notre monde lettré et élégant d’alors. Bien des années après cette circonstance, la seconde Marguerite nous montre dans l’intérieur de Catherine de Médicis les mêmes tiraillemens que nous venons de voir à la cour de François Ier. Son frère Anjou, le futur Henri III, avait dans sa première jeunesse des vivacités protestantes qui se traduisaient par une sorte de persécution contre Marguerite, dont il brûlait les livres d’heures qu’il remplaçait par les psaumes huguenots. « Mais, dit la princesse, Mme de Curton, ma gouvernante, me menait souvent chez le bonhomme, M. le cardinal de Tournon, qui me conseillait et fortifiait à souffrir toutes choses pour maintenir ma religion, et me redonnait des heures et des chapelets au lieu de ceux que m’avait brûlés mon frère d’Anjou. » Nous avons vu son rôle au colloque de Poissy ; il nous faut ajouter que ce fut à peu près lui qui fit échouer cette entreprise par la manière violente dont il leva la séance dès le début de cette assemblée, conduisant ainsi à une rupture ouverte une tentative conçue dans une pensée de compromis. L’image physique du cardinal est loin de démentir le portrait moral que nous venons d’en tracer. Pendant que nous écrivons ces lignes, nous avons sous, les yeux le fac-simile d’une médaille qui le représente et qui fut frappée en son honneur au Puy-en-Velay lors d’un de ses passages dans cette ville. C’est un visage mâle et fort, ayant quelque ressemblance avec celui de Rabelais, pour la fermeté seulement, cela va sans dire, car la physionomie est empreinte d’une véritable austérité, — en résumé ne présentant aucun caractère d’idéalité, ce qui est la marque irrécusable du conservateur-né et par nature.

La reine Marguerite, lorsqu’elle fut arrivée en âge de défendre elle-même ses livres d’heures et ses chapelets, parmi ses dames d’honneur en compta une du nom de Tournon, proche parente du cardinal, laquelle eut une fille dont la charmante reine nous a raconté la touchante et tragique histoire. Elle était aimée, elle aimait ; ce génie du malentendu dont les anciens ont oublié de faire une divinité et qui méritait cependant d’être divinisé pour son pouvoir de malfaisance, — car il est presque aussi puissant que l’amour, dont il accompagne chacun des pas pour séparer ceux que le premier veut unir, — profitant d’une absence forcée, souffla dans l’âme de l’amant quelque fausse interprétation de cette absence, d’où à la première entrevue silence glacial, froideur imméritée, adieux méprisans, et toutes les autres cruelles vengeances que l’amour courroucé sait tirer de ceux qu’il veut punir. M. le de Tournon fut tellement frappée au cœur par ce revirement inattendu qu’elle en mourut presque sur-le-champ. Cependant, à peine éloigné, son amant est saisi de repentir ; il se met en route en se répétant ce proverbe italien : la forza d’amore non risguarda al delitto, et arrive à Namur, où il compte obtenir son pardon. A peine entré dans la ville, un obstacle imprévu lui barre le passage ; il s’enquiert, apprend que cet obstacle est le cortège funèbre de sa bien-aimée et tombe évanoui de son cheval. N’est-ce pas que voilà une histoire que la première reine de Navarre aurait aimé à raconter et qui aurait fait belle figure dans le recueil de Boccace, surtout dans celui de Bandello ? Quelle bonne fortune c’eût été pour nous, si, parmi les curiosités du château de Monmelas, nous avions pu rencontrer quelque relique de cette touchante personne ! mais son souvenir ne vit plus qu’à demi effacé dans le récit de Marguerite de Valois, où notre visite à Monmelas nous a rappelé que nous le trouverions.

Par compensation, nous avons fait connaissance à Monmelas avec l’image d’une autre héroïne d’amour, mais d’un siècle moins passionné et d’une destinée moins tragique, une très belle personne qui fut une des unités de ce chiffre effrayant de maîtresses que Mme Campan attribue au roi Louis XV, et qui bat la fameuse liste de don Juan. Un beau portrait, qui rappelle ceux de Nattier pour la composition et ceux de Largillière pour le coloris, la représente debout et s’occupant à couper avec des ciseaux les ailes de l’amour, qui se laisse faire sans trop de résistance et qui se blottit contre les jupes, de sa Dalila à moitié par complaisance sensuelle, à moitié par effroi. Cette allégorie facétieusement anacréontique, comme les aimaient les artistes du XVIIIe siècle, ne laisse pas que de faire rêver. C’est sans doute pour le fixer qu’elle lui coupe les ailes, mais qui peut comprendre cependant l’amour sans ailes ? Si par hasard, en voulant le forcer à la fidélité, elle lui faisait du coup perdre sa beauté ? Serait-ce encore l’amour, cet enfant qui, morose et maussade, se traînerait lourdement à terre, impuissant à s’envoler comme un oiseau déplumé ? Peut-être en le fixant va-t-elle le dénaturer, peut-être en lui imposant la contrainte de la constance va-t-elle le rendre moins enviable, et alors est-il bien sûr qu’elle ne trouve pas que la constance en faveur de celui dont elle l’a exigée est pour elle-même un poids trop lourd ? Il y a aussi bien des manières de couper les ailes de l’amour, et la plus sûre est souvent l’amour lui-même. Quoi qu’il en soit, la dame possède toutes les grâces requises pour faire tourner à bien cette délicate expérience, et l’on conçoit sans effort que l’amour se fixe auprès d’elle sans trop regretter ses ailes. Le visage est rond et mignon, la physionomie subtile et enjouée, les yeux vifs et malicieux ; il y a là tout ce qu’il faut de mutinerie pour réussir dans l’entreprise que nous lui voyons commencer, car ce sont, dit-on, les caractères faits de mutinerie et d’enjouement qui réussissent le plus sûrement à fixer l’amour quand il n’est pas entièrement noble. Un buste charmant d’Houdon, conservé aussi à Monmelas, nous présente une variante de la même personne, moins mutine et plus langoureuse, le regard mourant, les lèvres voluptueuses et éclairées d’un sourire légèrement enivré. Le buste et le portrait se complètent l’un l’autre sans contradiction, et nous donnent également l’impression d’une personne enjouée, espiègle, douce et un peu sensuelle.

Un très beau portrait du grand dauphin, fils de Louis M. en uniforme des gardes-françaises, mérite aussi l’attention, bien que le ton en soit un peu terne et que la coiffure militaire dont la tête du prince est enlaidie soit du plus désagréable effet. La physionomie est froide et trahit, dirait-on, une certaine fatigue ou une certaine faiblesse d’âme ; quelques-uns des traits sont beaux et rappellent ceux de son père Louis XV, moins la grâce et l’attrait cependant, mais la plupart rappellent ceux de sa mère Marie Leckzinska ; la ressemblance est fort naturelle, mais jamais elle ne nous avait paru aussi étroite que dans ce portrait. Enfin, avant de nous éloigner de ce château de Monmelas, où nous avons trouvé tant de choses intéressantes, contemplons encore une fois et saluons ce portrait de la comtesse de Tournon, du temps de l’empire, qui est pour nous une ancienne connaissance. Avez-vous vu ce portrait a l’exposition générale des œuvres d’Ingres, et vous le rappelez-vous ? Le maître était bien jeune encore quand il le peignit ; il n’avait pas encore raffiné sur les procédés de son art, il n’avait pas encore acquis toutes les ressources et toutes les ruses de son savoir-faire, s’est-il jamais approché davantage de la vie ? car c’est la vie que cette adorable laide déjà vieillissante, somptueusement fagotée d’une lourde robe de velours vert, avec sa chevelure d’un très beau noir ébouriffée, ses yeux pétillans de malice, son nez trop court pour les expressions de l’orgueil, mais non pour celles du dédain, sa bouche pincée et moqueuse, son visage rond et resplendissant de bonne humeur. Et qu’il y a de liberté et d’indépendance d’esprit sous cette malice et cette bonne humeur ! Comme on devine facilement la parfaite insouciance du qu’en dira-t-on, l’habitude de penser et d’agir sans contrainte, l’absence de toute hypocrisie de tenue et de propos, la haine des méchans, le mépris des sots et l’impatience des ennuyeux ! Depuis Riquet à la houppe, jamais laideur, si laideur il y a, ne fut plus séduisante.

La petite ville de Villefranche est à une heure à peine du château de Monmelas[3]. Nous lui devons une visite, car elle a joué un rôle important dans l’histoire du Beaujolais, dont elle fut la capitale sous les ducs de Bourbon, notamment sous Pierre de Beaujeu, qui en fit une de ses résidences préférées, et c’est Villefranche qui détermina vers la fin du XIVe siècle le changement de la maison féodale souveraine par l’émotion populaire qui suivit l’histoire de la demoiselle de La Bassée. Vous ne connaissez pas la demoiselle de La Bassée ? C’était la fille d’un bourgeois important de Villefranche, qu’Edouard, dernier comte de l’ancienne maison du Beaujolais, eut l’idée, fâcheuse pour la morale et malencontreuse pour ses intérêts, de mettre à mal. En parcourant les livres et les albums étalés sur les tables des salons de Monmelas, je rencontre justement le fac-simile d’une peinture sur verre de la fin du XIVe siècle, représentant Edouard jouant aux échecs avec ladite demoiselle ; mais ce que la peinture ne dit pas, c’est qu’il perdit la partie malgré sa puissance. Ces sortes de libertés ne plaisaient pas plus alors qu’elles ne plairaient aujourd’hui, elles plaisaient même d’autant moins qu’elles acquéraient plus de gravité par l’inégalité des conditions, et, quoiqu’on fût encore en pleine féodalité, les hommes de ce temps croyaient qu’il existait certaine chose qui s’appelle la justice, et savaient, au besoin l’exiger sans avoir la prétention de l’avoir inventée. Plainte fut portée au roi par le père de la jeune fille, et Edouard, pour éviter la confiscation de son fief, fut obligé de le céder au duc de Bourbon. Ce n’est pas tout à fait d’un passé aussi ancien que parle la Villefranche d’aujourd’hui ; cependant, si elle ne porte plus de marques du XIVe siècle, elle en porte de bien nombreuses encore de la fin du XVe. Les vieilles demeures abondent, et la grande rue particulièrement offre sur toute son étendue une foule de maisons qui ont conservé tous leurs caractères d’autrefois, façades sculptées, rampes à vis, loggie ou galeries à jour, à cintres bas d’aspect lourd, établies à chaque étage et parcourant l’édifice sur toute sa longueur, portes intérieures décorées de blasons seigneuriaux où dominent les cerfs ailés des anciens ducs de Bourbon. La plus remarquable de ces maisons est celle où habita, dit-on, Pierre de Beaujeu ; elle présente encore intacte sa charmante façade ornée de feuillages et de guirlandes du gothique de la tout à, fait dernière période. C’est du reste le style qui prévaut à Villefranche dans tous ces témoins du passé, constructions particulières ou édifices religieux. Là où ce gothique fleuri s’épanouit dans tout son luxe, et on peut dire dans toute son extravagance, c’est à l’église de Notre-Dame. Ce ne sont que festons, guirlandes et ornemens ; si ce n’est ni très beau ni même très joli, c’est au moins très paré et au demeurant d’aspect très gai. L’intérieur a de l’élégance et plus de simplicité que la façade ; je n’y ai rencontré rien de bien remarquable, si ce n’est un autel sculpté par M. Fabisch avec cette délicatesse et cette distinction qui lui sont propres, représentant les scènes principales de la vie de Jésus après la résurrection. Pendant que je visite cette église, un jeune habitant de Villefranche, qui a bien voulu me diriger dans ma promenade, me signale, en me montrant une porte latérale, une amusante locution populaire, née de la corruption du vieux mot huys. Cette porte, me dit-il, s’appelle le petit étui, en sorte qu’on dit : je reviendrai de la messe par le petit étui, j’irai à vêpres par le petit étui. Cette transformation est à placer à côté de celle qui de saint Théofred a tiré saint Chaffre, et de celle qui du nom vulgaire d’un vieil échevin de Paris a tiré le nom à tournure sentimentale de la rue Gît-le-Cœur.

Ma dernière excursion en Lyonnais a été consacrée au bourg d’Ars, rendu fameux par un de ses curés, M. Vianney, que le monde catholique actuel vénère déjà comme un candidat à la canonisation. Ars est donc un but de pèlerinage et voit affluer de tous les départemens voisins de nombreux visiteurs ; aussi, pour mettre cette localité à la hauteur de ses nouvelles destinées religieuses, on y a élevé un temple somptueux et bizarre qui à l’extérieur ressemble quelque peu à une mosquée, et dont à l’intérieur le chœur seulement est achevé. Le curé d’Ars a beaucoup édifié par la parole, et de ses dires recueillis de toutes parts on a composé un petit livre qui s’appelle l’Esprit du curé d’Ars, On y trouve des pensées excellentes sans grand relief, des sentimens fins enveloppés dans des images justes sans grande nouveauté, et une expression souvent exquise de la volupté du bien, mais, faut-il le dire ? il est évident que ces pensées et ces sentimens ne sont plus sur le froid papier ce qu’ils furent s’échappant de lèvres vivantes, et que, pour en bien juger, il faudrait leur redonner l’accent, le geste et l’onction du curé d’Ars. Cependant, si nous ne pouvons juger de son esprit en toute compétence, nous aurons la hardiesse de juger de ses vertus, et nous osons jurer qu’elles furent vraies et profondes, car nous avons visité la chambre où il habita et le lit où il reposa pendant la plus grande partie de son pèlerinage terrestre. C’est la chambre et le lit d’un paysan, et d’un paysan médiocrement favorisé de la fortune encore ; ce qui est sûr, c’est que le dernier, le plus humble et le moins exigeant des socialistes n’en voudrait pas. Le curé d’Ars passe pour avoir beaucoup converti autour de lui ; mais la vertu est comme le génie, même en faisant beaucoup, elle fait encore bien peu, jugez-en par la preuve que voici. Pendant que nous allons visiter la maison du curé, laissant notre voiture sous la garde de notre cocher, lequel est un domestique de confiance, une main adroite et agile est venue choisir et enlever, en plein jour, en pleine place publique, le plus beau, le plus élégant et le plus neuf de nos paletots. Voilà, j’imagine, qui prouve l’impuissance de la vertu en ce monde, ne pus-je me défendre de m’écrier, lorsqu’à notre retour nous eûmes découvert le larcin. Valait-il vraiment bien la peine que le bon curé passât sa vie à édifier et à prêcher ses ouailles pour laisser après lui parmi ses paroissiens une telle graine de truand ? Notez bien que le vol, outre qu’il était un délit, était encore une insulte impie envers la mémoire du bon curé, car il n’a pas échappé au malfaiteur que ce que nous venions chercher à Ars c’était le souvenir d’un homme de bien, et par conséquent la pensée de cet homme dont il connaît la vie a été présente à son esprit pendant qu’il commettait son méfait, en sorte que son larcin équivalait à peu près à nous dire : Vous voyez comme le vieux mais m’a bien converti et quel cas je fais de ses sermons. Oh non ! il n’est pas vrai, comme le disait en se donnant la mort le héros stoïque, que la vertu ne soit qu’un nom ; seulement, étant données les conditions de notre monde sublunaire, il faut lui souhaiter d’avoir le plus souvent possible la force pour compagne ou pour servante.


II. — RIOM. — L’ABBAYE DE MOSAT.

Trois villes en Auvergne situées côte à côte, pour ainsi dire se touchant du coude, se partageaient autrefois toute la société auvergnate : Riom, Montferrand et Clermont. A Clermont appartenaient la bourgeoisie et le commerce. A Montferrand, qui n’est en quelque sorte qu’un faubourg de Clermont, résidait la noblesse ; quant à Riom, il avait tiré un tel lustre de sa population savante et lettrée de magistrats et de parlementaires qu’il lui prenait de temps à autre la fatuité de se proclamer la vraie capitale de l’Auvergne, et le désir de réclamer ce titre, ce qui, ainsi que nous l’apprend Fléchier, établissait entre cette ville et Clermont une sorte de rivalité qui se traduisait par des quolibets et des chansons malicieuses. Les trois villes conservent encore leur aspect, sinon leurs hôtes d’autrefois.

C’est la première ville d’Auvergne que l’on rencontre en entrant dans la province par le Bourbonnais, et c’en est aussi la plus jolie ; je partage entièrement à cet égard l’avis de Fléchier, bien que des personnes dont le goût a le droit d’être difficile et dédaigneux m’eussent assuré avant mon départ que je la trouverais intolérablement maussade. Bien loin d’être maussade, elle est presque gaie, et elle le serait tout à fait, si les tons gris et bruns de la pierre de lave de Volvic dont elle est bâtie tout entière ne lui donnaient un petit aspect de sévérité qui fait un contraste très souvent heureux avec les ornemens gracieux ou fantasques sculptés sur les façades de ses maisons de la renaissance. De ce mélange de sévérité dans l’aspect général et de grâce dans les ornemens résulte une sorte de tenue à la fois sérieuse et souriante qui seyait parfaitement à une ville où l’ancienne magistrature de la province faisait résidence, car cette tenue correspondait avec exactitude au caractère de ses hôtes. Ce qui contribue encore à cet aspect aimable de Riom, c’est la parfaite conservation de toutes ces anciennes demeures. Rien ne donne ici ce sentiment de la ruine et de l’abandon qui d’ordinaire vous saisit si fortement lorsqu’on visite des lieux d’où les habitans légitimes ont disparu sans retour, comme à la petite ville de Montferrand, tout près de là, par exemple, dont les vieux hôtels, bien qu’habités encore, paraissent vides et déserts. On dirait que ces demeures n’ont pas changé d’habitans, et qu’elles ont passé à des successeurs si légitimes que les anciennes habitudes se sont continuées sans difficulté. En outre de sa sévère gentillesse, Riom possède un autre mérite qui ne pourra manquer d’être apprécié par tout voyageur en Auvergne, son extrême propreté. Pas de ruelles étroites et d’impasses infectes comme à Clermont, rien des odeurs nauséabondes et des ordures de Billom, rien des fanges noires de Besse en Chandesse, mais des rues suffisamment larges, bien balayées et bien arrosées, sans air vicié, sans fermentation de matières corrompues, sans parfum asphyxiant d’engrais humain entassé et échauffé. Issoire excepté, nulle autre ville en Auvergne ne se recommande par une toilette aussi soigneusement faite et un sentiment aussi exact des exigences de l’hygiène élémentaire.

Riom, il est vrai, doit en partie sa propreté et sa gaîté à une particularité qui fait défaut à plus d’une ville d’Auvergne, notamment à Clermont, l’abondance de l’eau. On ne peut y faire dix pas sans rencontrer une fontaine, et l’on sait à quel point cet élément de pureté contribue à rendre aimables les lieux qu’il favorise. Ces fontaines méritent aussi une mention, car elles sont au nombre des curiosités de Riom, non certes pour leurs formes et pour leur élégance, mais pour les-inscriptions dont elles sont invariablement ornées. Il y en a de françaises, il y en a de latines en plus grand nombre encore ; on dirait que cet humble emploi du talent poétique a paru tout particulièrement tentant aux beaux esprits du Riom d’autrefois. Je me suis donné la peine de les relever pour la plupart à cause de leur abondance même ; elles ne sont pas d’ailleurs sans nous donner leur atome d’instruction. Celle de la place Saint-Amable par exemple nous apprend qu’il y eut en Auvergne au dernier siècle un intendant du nom de Balainvilliers, et qu’il mérita l’admiration et la reconnaissance de ses administrés pour avoir érigé cette fontaine à une place où on n’avait pas cru possible d’attirer l’eau en appelant à son aide toutes ; les ressources de l’art hydraulique :

Un prodige de l’art te soumit la nature.
Pour porter jusqu’à nous de son sein l’onde pure,
Ta voix, Balainvilliers, sut changer en canaux
L’indocile rocher d’où découlent ces eaux.


Indocile rocher, parce que la fontaine fut creusée dans le silex. L’inscription de la fontaine placée près de la sainte-chapelle nous apprend, de manière à ne pas en douter, qu’il y eut là un couvent ou un hôpital :

Esca fami, morbisque salus, sitientibus unda,
Sunt quæ dat Christi munera vera domus.

Toutes ces inscriptions ne sont pas composées aussi bien que celle-là selon les règles classiques du genre. Quelquefois la fantaisie l’emporte, et le caractère propre du poète trouve moyen d’y percer. Par exemple ce fut incontestablement un amateur de l’antithèse, des pointes subtiles et du cliquetis de mots qui composa celle de la fontaine de la petite place Saint-Jean :

Hic non Jordanis
Nec tamen Joannis,
Unde fluit unda
Ore sitient ora.


D’autres encore sont assez obscures. En voici une à l’angle de la rue Sirmond, d’où, il semble résulter que la source fut appelée et que la fontaine fut établie par le poète lui-même, et peut-être malgré l’incrédulité de ses concitoyens : ,

Nunc bibe qui nondum poteras, mihi credere Nymphæ ;
Si tibi nulla fides, non mihi nullus amor. 1714.


Mais n’apercevez-vous pas à la lumière de ces inscriptions quelque chose du Riom dut dernier siècle ? Une petite ville, comme il en exista tant autrefois, pleine de gens de loisir, tout confits en dévotion classique, s’amusant dans leur demi-solitude provinciale à des études innocentes ou désintéressées, non exempts de vanité toutefois ; et ne dédaignant ni le sourire approbateur de leurs égaux, ni même l’admiration ébahie de l’ignorance respectueuse ; pénétrés enfin de l’importance de la prosodie, et bien persuadés qu’il n’y a pas de meilleur emploi du temps et de meilleure preuve de génie que d’aligner des rimes françaises ou d’estropier sa pensée pour l’enfermer dans des nombres latins.

Partout dans Riom nous remarquons ce même caractère de propreté. Les églises sont bien balayées et sans la moindre trace de moisissures, les édifices publics tenus avec une netteté irréprochable. La ville possède un petit musée ; c’est un modèle de bon arrangement qui fait honneur au conservateur, M. Mandet, magistrat lettré et auteur d’une intéressante Histoire du Velay qui aurait été meilleure encore qu’elle n’est, si l’écrivain eût été mieux convaincu que l’histoire, pour être poétique, n’a pas besoin d’être présentée dans le style des Mousquetaires d’Alexandre Dumas. Une première salle a été consacrée tout entière aux portraits qu’on a pu réunir des hommes illustres de l’Auvergne, et Dieu sait si la liste en est longue, car l’Auvergne a été à cet égard une des provinces les plus fertiles, et une des choses qui attristent le plus le voyageur qui la parcourt aujourd’hui est de remarquer que de tant de gloire il reste si peu de vestiges. La plupart de ces portraits sont des copies malheureusement. Cependant parmi les plus modernes il y en a quelques-uns d’originaux qui ont de l’intérêt. De ce nombre sont un portrait de Chamfort déjà vieillissant et un portrait de Dulaure jeune, qui est tout à fait charmant. On aime parfois à imaginer une relation entre la personne physique d’un écrivain et ses ouvrages ; mais, s’il exista jamais homme dont les écrits soient peu faits pour éveiller l’idée de grâce et de charme, c’est bien Dulaure, l’auteur à tendances jacobines de l’Histoire de Paris. Cette beauté physique, Dulaure la conserva toute sa vie, comme en témoigne un admirable médaillon de David d’Angers que possède le musée de Clermont et qui le représente au déclin ; seulement, à mesure que l’homme avait vieilli, sa beauté s’était dépouillée de sa vivacité et de sa naïveté pour se mouler sur les qualités de l’âme dont elle était le masque inséparable ; ces beaux traits du vieillard ont comme son talent solidité et pesanteur, en sorte que le portrait de la vieillesse confirme la vérité de l’opinion que semblait démentir le portrait de la jeunesse. Marilhat le paysagiste est là aussi avec ses traits d’enfant malingre, sa physionomie étonnée, ses yeux rêveurs et comme distraits, donnant l’idée d’une personne fragile à l’excès, peu faite, pour supporter la fatigue des longs travaux et qui se brisera au premier choc. En dehors de ces quelques portraits, la seule œuvre qui m’ait arrêté au petit musée de Riom est une Sainte Famille de provenance hollandaise traitée dans le goût habituel des peintres des Pays-Bas. Jordaëns par exemple a représenté je ne sais combien de fois ce ménage populaire, le père à son établi, la mère à son rapiéçage, et l’enfant jouant avec les rabots et les scies du charpentier ou s’exerçant à ses travaux d’apprentissage. C’est la même scène, mais avec un sentiment de pureté, de candeur et de vraie piété qui triomphe de l’infériorité relative de l’exécution. Pendant que le saint ménage travaille en plein air dans la cour du charpentier, de petits anges invisibles sans doute aux personnages, car ceux-ci ne semblent pas les apercevoir, montent et descendent les escaliers de la petite maison, dont ils paraissent avoir l’habitude autant que du séjour du ciel. Ces anges, qui sont là comme chez eux, c’est le symbole charmant de l’habitude des bonnes pensées et du régime des bonnes mœurs. Ces bonnes pensées ne relèvent ni de l’inspiration momentanée, ni de la faveur intermittente de la grâce ; ce ne sont pas des visites passagères de l’esprit, c’est l’atmosphère même qui enveloppe les personnages qui se lèvent avec elles, préparent avec elles leurs repas, manient l’aiguille ou le rabot avec elles, vaquent avec elles aux soins les plus humbles du ménage, l’atmosphère qu’on peut observer autour des personnes qui ont mené une vie religieuse obscure et tranquille, celle que j’observai moi-même un jour dans la petite ville de Neuwied sur le Rhin autour d’une vieille sœur morave que je trouvai ratissant de vulgaires carottes, et dont le visage était tout lumineux de l’empreinte qu’y avait laissée une longue vie mystique. Vous connaissez cet épisode du Wilhelm Meister de Goethe intitulé la Fuite en Égypte, ce ménage de pieux ouvriers rencontré par Wilhelm pendant ses années de voyage, et qui par les âges, les caractères, les attitudes, les similitudes d’aventures et de situation, présente une combinaison de circonstances qui reproduit jusqu’à l’identité la sainte famille traditionnelle ? Eh bien ! cette petite toile du musée de Riom, c’est la sainte famille de Wilhelm Meister marquée du sceau démocratique du protestantisme des Pays-Bas.

L’église de Saint-Amable est la plus ancienne et la plus importante des églises de Riom, et cependant elle nous occupera peu. C’est affaire aux archéologues de discuter la date de son origine, et la raison des styles si contraires qui s’y rencontrent. Selon Savaron, elle ne remonterait pas plus haut que le commencement du XIIe siècle, et aurait été le résultat d’un vœu d’Étienne, sixième du nom, évêque de Clermont, qui, assiégé dans le château de Riom par le comte d’Auvergne de cette époque et attendant le secours de Louis le Gros, promit à saint Amable qu’il lui élèverait une superbe église s’il garantissait le château. Selon Mérimée au contraire, elle devrait remonter au commencement du XIe siècle, bien qu’il ne lui découvre pas d’existence authentique avant 1077, année où elle fut donnée à un collège de chanoines. Peut-être ces dates sont-elles plus conciliables qu’il ne semble, et Saint-Amable est-il le produit de plusieurs époques très rapprochées l’une de l’autre, ce qui expliquerait les différences de style qui se rencontrent dans cet édifice. A l’extérieur, c’est une église byzantine, ceintres bas et étroits, absides en forme de four, cordons de mosaïque, rien n’y manque ; à l’intérieur, le style ogival domine en partie dans la nef et entièrement dans le chœur ; seulement les sculptures des chapiteaux appartiennent au style byzantin, et byzantin de la plus ancienne époque, ce qui rend l’énigme un peu plus difficile à déchiffrer encore. Mais pourquoi la partie extérieure de l’église ne serait-elle pas l’église primitive, et la grande nef le temple de l’évêque Etienne ? Dans cette hypothèse, l’édification prétendue de Saint-Amable par ce prélat aurait consisté dans un remaniement général ou même dans une reconstruction totale de l’intérieur, ce qui n’a rien d’improbable. Quoi qu’il en soit de cette singularité, et bien que l’église soit nue et sans ornemens, elle peut se recommander de son architecture ; cela est froid, imposant, sévère, de proportions grandioses, frisant le sublime sans l’atteindre, noble sans attrait, élevé sans élancement, en résumé fait pour plaire, surtout aux gens du métier, plutôt que pour parlera l’imagination, et donnant une impression semblable à celles que donnent certaines œuvres grandioses de la littérature classique dont on reste étonné sans en avoir été ému.

Notre-Dame-du-Marthuret (du martyre ou des douleurs) n’a pas l’importance architecturale de Saint-Amable, mais elle est faite pour plaire davantage au commun des visiteurs. Église de la dernière période du gothique, — pour la façade principale au moins, — elle serait tout à fait charmante, si son clocher n’était surmonté d’un affreux dôme à jour, ou, pour être plus exact encore, d’une lourde calotte supportée par de lourds piliers, qui a l’air d’un vilain petit temple latin en rotonde réduit à l’état de pigeonnier. Il faut croire du reste que ce dôme, d’un goût détestable, a paru jadis le comble du beau à quelques personnages importans de Riom, car je le retrouve encore, au déplaisir de mes yeux, coiffant un ravissant beffroi gothique orné de sculptures, parmi lesquelles le collier de coquillages de l’ordre de Saint-Michel, qui donne sa date exacte. Sur la façade principale de Notre-Dame-du-Marthuret, au sommet de la porte, se présente une vierge sculptée, très en honneur dans la contrée, et qui mérite plus encore que la dévotion, cela soit dit sans irrévérence. C’est une œuvre de la renaissance d’un goût très particulier et même un peu bizarre ; une vierge distinguée plutôt que belle et originale plutôt que simple. Pourquoi la dévotion du peuple s’est-elle portée sur une image qui précisément n’a rien de populaire, il est assez difficile de le dire, si ce n’est pas pour cette raison même ; mais nous avons rencontré bien souvent le même fait, notamment à Rome, où la population entoure de ses faveurs et comble de ses présens certaine madone du Sansovino, œuvre d’un art accompli et conçue ; dans un sentiment qui est à l’opposé du sentiment populaire. C’est que le peuple n’aime que ceux qui sont très près ou très loin de lui, qui lui ressemblent étroitement ou qui en diffèrent absolument, et qu’a cet égard nous sommes bien tous un peu comme le peuple. La taille est droite, élancée, un peu maigre, mais cette maigreur n’a rien d’ascétique, car elle résulte visiblement d’une préoccupation moins sévère que celle de l’ascétisme, celle de l’élégance. Le visage, sans beauté sérieuse, est plein de séduction, séduction quelque peu excentrique et compliquée, où il entre dix nuances contraires, de la naïveté et de la subtilité, de la candeur et de la préciosité. La tête un peu inclinée sourit légèrement en regardant l’enfant, et ce sourire, rappelle le rictus adorable qui pince les lèvres et allonge les bouches des vierges de Luini. Il est évident que cette statue, qui ne se rapporte que faiblement aux types généraux et consacrés de la Vierge, est, ou bien un portrait de quelque jeune fille noble du pays, ou bien une œuvre tout individuelle où l’artiste, avec un raffinement studieux, s’est efforcé de reproduire un certain type de grâce et d’élégance qui tourmentait particulièrement son cerveau. Notre époque est volontiers portée à croire que, si nos artistes n’ont pas une force de conception comparable à celle des artistes des siècles passés, ils l’emportent en revanche par le sentiment des nuances ; cependant plus on considère d’œuvres des artistes de la renaissance, et plus on reste étonné de la variété extraordinaire de leurs pensées ; sur un même sujet et de la profondeur délicate avec laquelle ils en ont marqué les caractères les plus fugitifs. Si nous n’en sommes pas frappés plus souvent, c’est peut-être tout simplement que les thèmes sur lesquels se portaient leurs méditations habituelles ont cessé de nous être familiers ou ne nous préoccupent plus au même degré.

Cette église du Marthuret va nous fournir une preuve curieuse de l’intimité savante avec laquelle les artistes du XVIe siècle, même les plus petits et les plus obscurs, même les anonymes, possédaient et pénétraient leurs sujets. Dans une des premières chapelles se trouve une bande de vitraux divisée en trois compartimens représentant la Vierge, saint Jean et saint Jacques, et datée du milieu du XVIe siècle. Nous passerons sur les deux premiers personnages, bien que la Vierge, qui a l’air de n’être que bonté, réponde exactement à cette espérance d’une inépuisable compassion qui porte le fidèle à la prier, bien surtout que le saint Jean soit remarquable par un mélange de candeur et d’enthousiasme qui convient parfaitement à son caractère ; mais certes celui qui peignit le saint Jacques avait compris à fond le sens de l’épître qui porte le nom de cet apôtre. Ce saint Jacques, c’est le type même du bon socialiste tel que nous le connaissons par une expérience souvent répétée, pour avoir vécu déjà longtemps dans notre société démocratique, tel aussi que l’orageuse fermentation du XVIe siècle l’avait présenté plus d’une fois sans doute au peintre de ce vitrail : des traits maigres et irréguliers, un visage allongé, le nez mince à sa racine et charnu à son extrémité, un front faible, quelquefois élevé, mais sans domination, des cheveux plats légèrement repoussés vers l’oreille, un air doux et béat, un regard d’où jaillit une bienveillance quelque peu ironique, un ensemble de physionomie où se révèlent une obstination souriante et un pacifique entêtement. Tels sont les traits du saint Jacques de ce vitrail, tels sont encore ceux auxquels vous reconnaîtrez les honnêtes chercheurs de la nouvelle pierre philosophale. Il n’y a pas en effet que les familles et les races qui possèdent des types ; avez-vous remarqué que les diverses doctrines morales et les diverses opinions politiques possèdent chacune le leur, tant notre chair est plastique et tant notre âme la modèle à sa propre image ? Au temps heureux du roi Louis-Philippe, un de nos amis prétendait reconnaître à première vue un partisan du National et un lecteur passionné d’Armand Marrast ; nous renouvelâmes plusieurs fois cette expérience, elle se vérifia toujours.

La Sainte-Chapelle, le monument le plus renommé de Riom, est un des témoignages de la magnificence de cette première branche de Valois, qui, ainsi que nous l’avons fait remarquer naguère en parlant des ducs de Bourgogne, peut hardiment être comparée pour la prodigalité et le goût des arts à la branche d’Angoulême, et qui ne compta jamais qu’un ladre, le roi Louis XI. Elle fut bâtie vers la fin du XIVe siècle par Jean, duc de Berry, à qui cette partie de l’Auvergne, érigée en duché, fut donnée par surcroît en apanage[4]. C’était un dur exacteur, disent presqu’à l’unanimité tous les historiens, et dont les populations du midi gardèrent longtemps mauvais souvenir ; l’image que nous présente de lui sa statue funèbre conservée dans la crypte de la cathédrale de Bourges est donc bien menteuse, car c’est l’expression même de la bonté, et on peut défier hardiment quiconque la verra d’en porter un autre jugement. Toutefois la tyrannie d’une passion dominante produit souvent des résultats analogues à ceux de la méchanceté, et il est probable en conséquence que les prodigalités de Jean eurent maintes fois les mêmes effets qu’aurait eus l’avarice. Comme son frère Charles V, il aima les beaux manuscrits ; comme son frère Philippe de Bourgogne, il aima les beaux édifices, et comme son frère Louis d’Anjou, il aima les meubles précieux, les joyaux de prix et les pierres rares richement serties. Sa collection de bagues était si célèbre qu’on venait la voir des quatre points cardinaux et que son neveu Arthur de Richemont, — le futur connétable et duc de Bretagne, — ayant eu besoin dans sa jeunesse d’échapper à une surveillance politique trop étroite, prétexta, pour s’évader et respirer un peu plus librement, d’un désir ardent de voir les bagues de son oncle, sans que personne en fût étonné. Il faut croire qu’il porta en Auvergne cette même rage de joyaux et de bagues, car je lis dans Savaron que Martin de Charpaignes, évêque de Clermont et ancien chancelier de Jean, chargea à sa mort son neveu Guillaume de Charpaignes, évêque de Poitiers, de présenter de sa part à Charles VII le rubis que le duc lui avait donné.

Qu’on blâme ou non ces prodigalités du prince, toujours est-il que Riom lui doit encore aujourd’hui son principal ornement. Ce n’est pas cependant que cette Sainte-Chapelle soit un édifice à faire pâmer d’admiration ; c’est un vaisseau nu et sans colonnes, plus haut que large, flanqué de deux chapelles profondes, se terminant en ovale et fermé sur les côtés et à son extrémité d’immenses verrières qui laissent passer la lumière à flots. Quoique la sobriété soit d’ordinaire une des conditions de l’élégance, on ne peut s’empêcher de trouver qu’ici l’économie d’ornemens a été cependant poussée à l’excès. En revanche, les verrières qui sont postérieures à Jean de Berry sont admirables. Au bas de la principale, Jean, très jeune, est agenouillé avec sa femme, Jeanne d’Armagnac, tous deux assistés de leur patron commun Jean-Baptiste ; à sa suite, après un intervalle, un autre couple princier se présente, assisté d’un patron qu’on reconnaît aisément pour le roi saint Louis et d’une sainte qui fait hésiter entre sainte Catherine et sainte Marguerite. Quel est ce second couple ? Est-ce Jean de Bourbon, le gendre du duc de Berry, qui pour marquer sa descendance directe de saint Louis, s’est fait représenter assisté du pieux roi ? Je n’ai pu le reconnaître lors de ma visite à Riom, et je n’ai pu découvrir depuis aucun renseignement à ce sujet. Peu importe d’ailleurs ce détail, car l’intérêt de ces verrières est non pas dans ces groupes princiers, mais dans la manière dont les artistes ont compris les saints personnages qu’ils représentent, et ici encore nous avons une preuve nouvelle, — et des plus remarquables, — de ce sentiment profond des nuances qui nous avait déjà arrêté par deux fois à Notre-Dame-du-Marthuret. Ces personnages se divisent en prophètes et en apôtres, et rien n’est plus frappant que le contraste intelligent que le peintre a su établir entre eux. Les prophètes sont pleins de caractère et d’énergie, mais avec une empreinte fortement marquée d’étrangeté. Bizarrement costumés, les traits ravagés par les fatigues de l’inspiration, les yeux saillans et pleins de songes, ce sont de vieux Juifs tout à fait bizarres, et des Juifs véritables, car l’artiste semble s’être inspiré directement des types que pouvaient lui présenter en foule les innombrables ghettos des villes du XVe siècle. J’en vois un surtout, coiffé d’un chapeau baroque et la taille serrée dans un justaucorps vert, qui se retourne, le visage courroucé, comme pour gourmander un incrédule ou un libertin dont vous avez rencontré certainement le double dans quelque quartier juif de telle ou telle ville européenne. À moitié sorciers, à moitié pontifes, leur aspect parle de quelque chose d’occulte et de secret qui agit par eux et dont ils ne sont pas entièrement les maîtres. Ce sont visiblement gens à chercher à tâtons dans les ténèbres l’issue qui conduit au jour, à lutter dans le silence des solitudes avec les énigmes, à passer rêveusement les heures du jour à interpréter les songes des nuits, à répondre en paroles obscures ou d’un sens incertain. Chez les apôtres au contraire, rien de bizarre, rien d’égaré, rien d’occulte ; des visages aux traits calmes et sévères comme la raison, fermes et réguliers comme la certitude, lumineux comme la clarté et l’évidence. Entre ces prophètes et ces apôtres, il y a toutes nuances gardées, la même différence qui vous saisirait, si après avoir contemplé une série de portraits de vieux savans de la renaissance, monstres d’érudition et prodiges d’imagination conjecturale, vous contempliez une série de portraits d’hommes célèbres du XVIIIe siècle.

À l’extrémité de l’un des faubourgs de Riom se trouve le village de Mozat, dont l’église paroissiale fut celle d’une des plus anciennes abbayes de France. Cette abbaye fut fondée dans la seconde moitié du VIIe siècle par un personnage d’origine romaine nommé Calminius et par sa femme Namadia. C’était à peu près dans le même temps où saint Philibert fondait les abbayes de Jumiéges et de Noirmoutiers ; on peut comprendre par ce double exemple d’un noble romain et d’un noble franc concourant avec une ardeur égale à la même œuvre d’édification à quel point le christianisme possédait dans ces temps troubles les âmes capables de civilisation morale. Il était tout pour ces âmes, le refuge contre la barbarie de l’époque, la foi qui alimentait et dirigeait la vie intérieure, le principe et le levier d’action qui dirigeait la vie extérieure et pratique. Calminius ou saint Calmin, comme il est communément appelé, travailla beaucoup dans sa vie, grâce à sa foi chrétienne. Pour savoir ce qu’il fit, adressons-nous à un de ces documens peints ou sculptés que dans ces excursions nous aimons à consulter de préférence aux documens écrits ; nous en avons un ici qui est de premier ordre, la châsse même du saint, superbe ouvrage du XIIe siècle, en cuivre émaillé, qui se voit encore à côté de la châsse de saint Austremoine dans la sacristie de l’église de Mozat. Sur les quatorze panneaux peints qui composent cette châsse, cinq se rapportent au saint, et sur ces cinq trois sont consacrés, à ses travaux, qui sont tous du même ordre, des constructions de monastères, dont des légendes latines placées au bas des peintures nous donnent les noms. Le premier de ces monastères fut construit dans le diocèse du Puy-en-Velay en l’honneur de saint Théofred ; c’est la célèbre abbaye de Saint-Chaffre, qui a donné naissance à la petite ville du Monastier, une de nos futures étapes dans ces excursions. Le second fut fondé dans le diocèse de Limoges, c’est, dit-on, l’origine de la ville de Tulle ; le troisième fut construit en Auvergne, et c’est l’abbaye qui nous occupe en cet instant. Trois abbayes, dont deux sont devenues les germes de villes ; peu de gens ont travaillé d’une manière plus pratique non-seulement pour leur temps, mais pour la postérité. Après ces fondations, les deux pieux époux avaient réellement droit au repos, et c’est en effet de ce repos que nous parlent les deux autres panneaux, qui ont rapport à leur vie. Dans l’un Namadia, et dans l’autre Calminius, nous sont représentés couchés au tombeau, tandis que leurs âmes montent au ciel portées par des anges sur de belles nappes blanches comme l’âme de Dagobert dans le fameux tombeau de Saint-Denis. Six autres panneaux de cette châsse admirable sont consacrés aux apôtres et aux personnes divines mêmes, le Père bénissant le monde, la Vierge et l’Enfant, le Christ en croix ; enfin deux autres sont consacrés l’un à saint Austremoine, fondateur du christianisme en Auvergne, l’autre à l’abbé de Mozat, personnage du nom de Pierre, qui fut le donateur, de cet ouvrage, en sorte que la légende de Calmin et de Namadie se trouve enveloppée et comme sertie dans les images de la sainteté la plus auguste, comme une pierre précieuse d’un ordre secondaire qui serait entourée d’une couronne de rubis et de diamans. C’était la méthode ordinaire du moyen âge pour rehausser les vertus d’une existence individuelle, mais rarement elle fut appliquée d’une manière plus complète et plus riche que dans cette châsse de saint Calmin.

L’église abbatiale telle qu’elle se présente aujourd’hui est le résultat de deux reconstructions, l’une du XIIe siècle et l’autre du XVe c’est assez dire que deux styles y sont réunis : les nefs sont romanes de la dernière époque, le chœur et un bon nombre des chapelles sont gothiques. La reconstruction du XVe siècle fut très probablement regardée à l’époque où elle se fit comme un progrès sur l’architecture précédente, le gothique étant alors la mode régnante, en réalité elle ne fut au contraire qu’une sorte de barbarie. Combien ce chœur sans profondeur ni liberté, étouffé qu’il est entre ses murailles, paraît étroit et mesquin lorsqu’on tourne ses regards du côté de la grande nef, et comme il fait regretter le chœur ancien, qui sans doute, comme ceux de toutes les belles églises romanes d’Auvergne, Notre-Dame-du-Port de Clermont, Saint-Nectaire, Saint-Paul d’Issoire, était fermé à jour par une colonnade disposée en cercle ou en ovale arrondi, et entouré d’une allée circulaire donnant accès à une succession de chapelles rayonnantes ! Tout l’intérêt se concentre sur les nefs et principalement sur les chapiteaux des colonnes, qui sont ornées de sculptures de la plus grande beauté. Ces sculptures sont de deux sortes, les bas-reliefs historiés et les simples figures de décoration. Les bas-reliefs historiés, parmi lesquels je reconnais la délivrance de saint Pierre et Jonas avalé, puis vomi par la baleine, ne sont pas exempts de cette raideur automatique et de ces irrégularités de dessin qui caractérisent d’habitude les productions de l’art roman toutes les fois que le groupe humain est appelé à en faire partie. En revanche, les sculptures d’ornemens et les figures qui ont un sens symbolique relèvent de l’art le plus consommé et le plus exquis. Ce serait à croire ces sculptures d’une époque bien postérieure à la leur, car la renaissance n’a rien produit de plus délicat, de plus capricieux et de plus fini : les deux enfans par exemple, qui, à l’extrémité de l’une des collatérales, présentent deux sortes de boucliers qui peuvent bien être des tables d’armoiries, sont deux figurines voisines de la perfection. La renaissance n’a rien produit de plus capricieux, viens-je d’écrire ; si on veut en effet ne prendre ces figures que pour des caprices du ciseau, l’imagination y trouvera encore son compte ; mais, nous l’avons déjà remarqué plus d’une fois, le caprice était inconnu à ces vieux artistes, et il n’est pas besoin de contempler longtemps les chapiteaux à figures symboliques de l’église de Mozat pour deviner le contraste théologique qu’ils veulent insinuer dans l’esprit sans le déclarer ouvertement. Ce contraste, c’est celui de la nature humaine déchue et de la nature humaine rachetée. Les figures qui se répètent avec alternance de chapiteau en chapiteau accusent ce contraste jusqu’à la plus claire évidence. Voici des centaures et voici des hommes montés sur des chèvres ; qu’est-ce sinon les symboles de la force brutale, de la bestialité et de la sensualité ? D’autre part, voici un enfant à cheval sur le poisson, emblème de Jésus-Christ ; qu’est-ce sinon le symbole de la nature humaine rendue à son innocence première par les mérites du rédempteur ? Tout près de l’enfant, sur une seconde face du chapiteau, est une figure qui paraît être le bon pasteur relevant la brebis abattue, allégorie qui fortifie et complète le sens de la première. Ces deux natures ainsi opposées dans des chapiteaux différens sont réunies et placées souvent côte à côte dans le même chapiteau pour que le contraste soit en quelque sorte mieux accusé. Ici j’aperçois juxtaposés un singe et un ange. Ailleurs deux figures qu’on reconnaît, à ne pas s’y méprendre, pour le génie du bien et pour le génie du mal. Il est encore un symbole qui revient bien souvent, celui de la vigne, du raisin, de la coupe, et il n’est pas bien difficile de reconnaître que, par ces symboles de l’eucharistie, l’artiste, ou plutôt celui qui guida sa pensée, a voulu indiquer le moyen de rachat toujours présent et toujours efficace par lequel l’âme humaine retirée du vice originel peut s’empêcher d’y retomber. J’insiste sur l’interprétation de ces chapiteaux, parce qu’il se rencontre des connaisseurs d’ailleurs souvent fort judicieux qui s’obstinent à ne vouloir attribuer qu’à la fantaisie des artistes ces décorations des chapiteaux romans. J’ai eu le regret de trouver que Mérimée était trop souvent du nombre de ces connaisseurs ; il ne lui a pas échappé cependant que la plupart de ces figures sont symboliques, mais ces allégories, dont le sens crève les yeux, il les déclare, qui le croirait ? d’une interprétation très difficile aujourd’hui. Il est mieux inspiré lorsqu’il trouve à ces chapiteaux une étroite ressemblance avec ceux de Saint-Julien de Brioude. C’est à croire en effet que ce sont les mêmes confréries d’artistes qui ont sculpté les uns et les autres, fait qui n’a d’ailleurs rien de fort étonnant lorsqu’on songe à la faible distance qui sépare Mozat de Brioude.

Quelques curiosités sont à noter dans l’église de Mozat. La plus remarquable consiste en deux chapiteaux séparés de leurs colonnes, débris probables de quelque ancienne reconstruction, qu’on a placés aux deux côtés de la porte principale. L’un de ces chapiteaux représente les scènes du tombeau et de la résurrection dans un style entièrement semblable à celui des chapiteaux de Saint-Paul d’Issoire. Le second chapiteau, une chose admirable, représente des figures de fantaisie, purement décoratives, deux par chaque face, à genoux, se tournant le dos et se rejoignant par les pieds, dont ils présentent les plantes en l’air comme deux sortes de supports vides que caressent sur l’une des faces une pomme de pin, sur l’autre une fleur dont le calice s’ouvre en forme de lèvres, sur la troisième une plante à trois pétales, dont l’une les enlace en forme de langue végétale. C’est le plus grand style possible de l’art décoratif que ce chapiteau, qui est à enlever, quelque jour où on aura une minute pour y penser, et à transporter à l’École des Beaux-Arts. Les verrières du chœur, dont quelques parties sont encore fort belles, sont malheureusement aujourd’hui dans un trop grand état de confusion pour mériter longtemps l’attention ; néanmoins il s’y rapporte un fait qui a son intérêt. C’est à Mozat que fut signé un des traités qui firent poser les armes aux états féodaux de la ligue du bien public contre Louis XI. Le roi, dont on sait le caractère aussi dévot qu’astucieux, ne pouvait manquer une si belle occasion de faire connaissance avec des reliques nouvelles ; aussi s’empressa-t-il d’adresser les plus humbles, prières à monseigneur saint Anstremoine, comme nous l’avons vu à Auxerre adresser ses adorations à monseigneur saint Edme. En souvenir de cette visite, le roi Louis XI fut représenté dans les verrières du chœur, et l’on y voit encore aujourd’hui un fragment de ce témoignage de la reconnaissance monastique. Ce fut au contraire tout autre chose que de la reconnaissance que s’attira de la part des moines de Mozat un autre Louis, bien que très pieux aussi, Louis XIII. Certains subsides réclamés par l’abbaye avaient été refusés, paraît-il, et, pour tirer vengeance de ce refus, un moine, réfecturier de l’abbaye, du nom de Richeroy, fit réparer à ses frais la crypte de l’église, et en fit murer l’entrée d’une pierre gravée de deux inscriptions, l’une latine et l’autre française. Voici cette dernière, qui est une épigramme sous forme de calembour et qui se lit encore à l’entrée du chœur :

Curieux de mon auteur, passant, arrête-toi ;
Ce n’est pas un roy riche, mais c’est un Riche-roy.


Cette épigramme, qui est à placer à côté des inscriptions des fontaines de Riom, porterait décidément à croire que l’amour des pointes fut jadis au nombre des faiblesses des beaux esprits de cette région.

Mozat a trouvé son historien dans ces dernières années, un enfant du pays, M. Gomot, dont on ne saurait assez recommander les recherches à tous ceux qui seraient curieux de connaître dans ses plus minutieux épisodes la longue existence de cette abbaye[5]. Son livre est excellent, et je ne puis lui trouver qu’un seul défaut, qui d’ailleurs est inévitablement celui de tous les bons livres historiques, c’est que l’auteur semble y plaider un peu trop la cause du sujet qu’il a choisi. Mozat, abbaye secondaire, placée sous l’autorité de Cluny, n’eut jamais d’influence sur le mouvement général des choses, et, si elle eut une importance considérable pour la province de l’Auvergne, cela tint peut-être à ce seul fait, c’est que de toutes les abbayes de ce pays c’était celle qui contenait les reliques les plus insignes, comme on disait, et les plus vénérables. A cette mention des reliques considérées comme titres d’importance, plus d’un de nos lecteurs sourira peut-être ; que voulez-vous ! chaque peuple a ses mœurs, dit, Voltaire, et moi j’ajoute : chaque siècle a aussi les siennes. L’histoire de Mozat, dont les moines n’eurent pas toujours une existence en harmonie avec ces pieux souvenirs, ne le prouve que trop. De toutes les provinces de l’ancienne France, l’Auvergne fut peut-être celle où le clergé, tant séculier que régulier, donna le plus de sujets de plaintes aux deux derniers siècles) nous avons à cet égard deux autorités irrécusables, l’évêque Fléchier et l’évêque Massillon.

Tout le monde a lu les mémoires de Fléchier sur les grands jours d’Auvergne, et nous verrons Massillon obligé d’avoir recours à toute son autorité pour maintenir la discipline ecclésiastique dans son diocèse. Il faut lire, dans le livre de M. Gomot, ce qui se passait à l’abbaye de Mozat sous le gouvernement de dom Antoine Rigoulet, prieur souverain en l’absence de l’abbé François d’Albon ; c’est une suite de scènes où le grotesque et l’odieux se combinent en proportions si égales qu’elle compose la mieux réussie des tragi-comédies. Deux moines qui, pour se venger de deux habitans de Mozat, se ruent sur eux, en pleine église, la dague au poing et vêtus en gentilshommes, — un prieur, grand chasseur et grand amateur de fauconnerie, qui, pour punir ce scandale, ne trouve rien de mieux que de tirer l’épée contre les coupables, lesquels soulèvent une révolte et l’assiègent dans sa chambre en lui criant qu’ils vont lui couper les oreilles, — ce même prieur, convaincu de faits scandaleux, déposé solennellement au nom du cardinal Mazarin, abbé de Cluny, en pleine église, cloches sonnantes, cierges éteints, puis revenant deux ans après, audacieusement, reprendre un beau soir possession de son ancienne autorité au mépris de sa destitution et de sa dégradation publiques, voilà quelques-unes des scènes que le livre de M. Gomot fait passer sous nos yeux. Ce sont les scènes mêmes des grands jours de Fléchier, et elles auraient pu figurer dans le dossier des célèbres assises, tant elles en sont rapprochées.


EMILE MONTEGUT.

  1. Voyez la Revue du 15 août 1874.
  2. Ce blason parlant, s’il en fut, s’il traduit littéralement la forme moderne du nom, est loin d’en faire apparaître le sens étymologique et la provenance historique. Ce n’est pas un coq, c’est une source jaillissant de terre qu’il faudrait pour traduire la signification réelle de ce nom, Chaponay, Caput aquœ, le chef, la tête de l’eau.
  3. M. le comte de Tournon profite de cette proximité pour aller chaque semaine pendant les vacances faire des conférences aux ouvriers de la ville afin de les initier au mécanisme des grandes institutions modernes de crédit et de commerce.
  4. L’Auvergne est une des provinces où il est le plus difficile de se tirer avec clarté de l’inextricable enchevêtrement des successions féodales, et des transferts de pouvoir qui en étaient la conséquence. Anciennement, la Haute-Auvergne était divisée en deux comtés, le comté d’Auvergne et le comté de Clermont. Sous le règne de Philippe-Auguste, une querelle armée de deux frères de la maison de La Tour, Guy, comte d’Auvergne, et Robert, évêque de Clermont, ayant amené une intervention du roi, le comté fut confisqué et donné à Guy de Dampierre, qui le tint en fief de la couronne. Saint Louis, par obéissance au testament de Louis VIII, son père, le donna à son frère Alphonse, qui à sa mort le légua au roi Philippe le Hardi, fils de saint Louis, malgré les prétentions de Charles de Valois, le célèbre conquérant de la Sicile. Charles fut débouté de ses prétentions, et le comté d’Auvergne demeura annexé à la couronne jusqu’en 1360, où il fut érigé en duché pour Jean de Berry. Ce dernier, quoiqu’il eût promis que, dans le cas où il mourrait sans héritier male, ledit duché reviendrait de nouveau à la couronne, sut profiter de la puissance qu’il s’était acquise pendant la minorité de Charles VI pour le faire passer en dot à sa fille Marie, femme de Jean Ier de Bourbon.
  5. Histoire de l’abbaye royale de Mozat, par M. Hippolyte Gomot ; Paris, Aubry, 1872