Inès de Cordoue/Le Prince Rosier

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Le Prince Rosier (tiré de Inès de Cordoue)
M. et G. Jouvenel (p. 9-37).

LE PRINCE
ROSIER.

La Reine d’un Royaume qui ne ſe trouve point ſur la Carte, eſtant veuve d’un Roy qu’elle avoit tendrement aimé, vivoit dans une douleur proportionnée à l’amour qu’elle avoit eu ; une fille, unique fruit de leur mariage, luy donnoit une ſorte d’occupation capable de diſſiper les chagrins, mais Florinde (c’eſtoit le nom de cette fille) luy en devoit cauſer à ſon tour.

Un jour que toutes les femmes de la Reine eſtoient dans ſa chambre avec la Princeſſe, il parut un petit Char d’yvoire traiſné par ſix papillons, dont les aiſles étoient peintes de mille couleurs, une perſonne dont la taille répondoit à l’equipage, & qu’on ſoupçonna eſtre une Fée, aprés avoir fait pluſieurs tours avec le Char, jetta ce Billet.

Florinde eſt née avec beaucoup d’appas,
Mais ſon malheur doit eſtre extrême.
S’il faut qu’un jour elle aime
L’Amant qu’elle ne verra pas.

La Fée diſparut, & laiſſa une grande ſurpriſe dans les eſprits ; la Reine en fut plus emuë que raiſonnablement elle ne le devoit eſtre ; la bizarerie, & meſme l’impoſſibilité apparente de ce malheur ne la raſſuroit point contre les caprices de l’amour, & ceux du deſtin joints enſemble, elle ſongea à les prevenir, & elle n’attendit pas que Florinde eût atteint l’âge d’aimer pour luy faire connoiſtre tous ceux qui pouvoient pretendre à l’épouſer. Entre les Princes ſes voiſins, il y en avoit un caché aux yeux du monde, mais le portrait de Florinde ne laiſſa pas d’aller juſqu’à luy par le moyen deſ Fées, à qui rien n’eſtoit impoſſible ; le Roy ſon pere eſtant veuf d’une femme qui luy avoit fait ſouffrir toutes les horreurs de la jalouſie, en épouſa une ſeconde peu propre à en inſpirer, mais née pour en prendre. Elle porta ſi loin les caprices de ſa paſſion, que le Prince connut qu’il n’avoit fait que changer de peine, & qu’il douta lequel de ſes maux eſtoit le plus grand ; dans cette incertitude il conclut que le mariage eſtoit un lien affreux, & il réſolut de tenir loin du commerce de toutes les femmes, un fils unique qu’il avoit : il le fit élever dans un magnifique Chaſteau, & le livra à tous les divertiſſemens de ſon âge. On luy apprit toutes les ſciences qui ne pouvoient l’inſtruire de ce qu’on luy vouloit cacher ; enfin on luy prodigua tous les amuſemens, hors le ſeul pour qui il eſtoit né, mais l’amour ne laiſſe rien échaper.

Ce Prince qui trouva le portrait de Florinde ſous ſes pas, le regarda d’abord avec ſurpriſe. L’admiration ſuivit de prés, accompagnée d’un trouble inconnu à un jeune homme, accouſtumé à des exercices, & à des reflexions, qui n’avoient rien de commun avec ces ſentimens.

Son premier deſir fut de voir l’original de ce portrait : c’eſtoit un viſage plus delicat que ceux qu’il avoit vûs juſques-là, & ſoit l’inſtinct d’un myſtere naturel à l’amour, ſoit qu’il jugeaſt qu’on luy cachoit quelque choſe, il ne communiqua à perſonne le deſſein qu’il avoit de quitter un lieu qui luy avoit toûjours paru agreable, mais qu’il commença de regarder comme ſa priſon dés qu’il en voulut ſortir.

Il ſçut ſe dérober à ſes ſurveillans, & il ſe mit en chemin ſans ſçavoir où il alloit ; à peine avoit-il fait quelques pas qu’il rencontra la Fée dont nous avons déja parlé : Où vas tu, Prince malheureux, luy dit-elle ? tu cours à toutes les infortunes qu’on t’a voulu faire éviter, mais tu ne peu échaper à ta deſtinée.

Cependant, la mere de Florinde ordonna un magnifique tournoy qui attira à ſa Cour tous les Princes des Royaumes voiſins ; ils voulurent à l’envy faire éclater leur bonne mine & leur adreſſe, mais ſi Florinde ne put ſe deffendre de les eſtimer, l’amour ne luy fit point faire de choix, & une pitié cruelle pour tous l’empeſcha de ſe déterminer en faveur d’aucun. Ils avoient pris pour elle les ſentimens que la beauté devoit inſpirer, elle auroit fait trop de miſerables, ſi elle en avoit fait un heureux.

La Reine congedia ces Princes avec douleur, ſa fille n’aimoit point ce qu’elle avoit vû, la moitié de la Prophetie s’accompliſſoit, le reſte étoit à craindre.

A quelque temps de là, Florinde laſſée de la Cour, & n’ayant rien qui l’y arreſtât, obtint de ſa mere la permiſſion de ſe retirer à une maiſon de campagne ; c’eſtoit un lieu agreable & propre à amuſer une perſonne libre des ſoins de l’amour. Un jour qu’elle s’y promenoit dans un parterre, elle apperçut un roſier plus vert & plus fleury que les autres, qui courbant ſes petites branches à ſon approche, ſembloit luy donner de l’approbation à ſa maniere : Une action ſi nouvelle dans un roſier, ſurprit la Princeſſe ; ce prodige qui ſe faiſoit en ſa faveur luy plut : c’eſtoit une eſpece d’hommage dont elle fut touchée ; elle fit pluſieurs tours dans le parterre ; le roſier ſe courba autant de fois qu’elle paſſa ; elle voulut cueillir une roſe qui luy ſembloit fort vermeille ; & elle ſe piqua vivement ; cette picqure l’empeſcha de dormir la nuit, & le lendemain elle ſe leva plus matin qu’à l’ordinaire, & ſe vint promener dans le parterre, le roſier redoubla ſes reverences avec un empreſſement qui réjouït la Princeſſe & qui lûy fit oublier la picqure pour ne ſonger qu’à cette merveille ; enfin en revant elle s’approcha trop du roſier, & elle s’y trouva accrochée ſans pouvoir ſe débaraſſer : Comme elle vouloir ſe retirer, elle ſentit une reſiſtance extraordinaire ; elle ſe débaraſſa cependant, mais elle entendit un ſon qui ſortoit de ſes feüilles & qui reſſembloit à des ſoupirs : Quoy, s’écria-t-elle, un roſier ſoupire ? Il fait plus, Madame, luy dit-il, & vous avez le pouvoir de le faire parler ; ſouffrez qu’il vous conte ſa triſte Hiſtoire.

Je ſuis Prince, ajoûta-t-il. On m’avoit caché ce qu’il y avoit de plus precieux dans le monde. J’ay vécu ſans vous voir, & voicy ce qu’il m’en coûte pour eſtre venu vous chercher. Une Fée m’a donné cette figure, & m’a prédit que je la garderois juſqu’au jour que je ſerois aimé de la plus belle perſonne du monde ; mais ce que je vois icy doit eſtre reſervé pour les Dieux, & je cours riſque d’eſtre toûjours roſier. La Princeſſe ne luy répondit point : Je ne ſçai quoy de ſerieux prit la place de la joye que luy avoient données les reverences du roſier ; elle le trouva meſme trop hardy, de l’avoir oſé embaraſſer dans ſes branches ; elle le quitta, mais non ſans regarder plus d’une fois vers le parterre. Son eſprit fut agité de ſentimens aſſez ſemblables, quoy qu’elle les crûts differens. Le roſier animé luy donnoit de l’étonnement ; le Prince qu’il cachoit luy donnoit de la pitié ; elle avoit quelque ſorte de colere de ce qu’il avoit eu l’audace de lui parler d’amour, mais enfin elle pardonnoit à l’Amant en faveur de l’arbuſte, & le moyen de ſe facher contre un roſier ?

La Princeſſe retourna encore le lendemain dans le parterre ; elle prit ſoin à la verité de ſe tenir loin du roſier, mais elle en pouvoit eſtre apperçûë, & pouvoit meſme entendre ſes plaintes ; aprés pluſieurs tours elle s’en approcha, & taſcha de le conſoler ſur ſa metamorphoſe, ſans luy répondre ſur le reſte.

Peu de jours aprés, le voyant trop expoſé aux injures de l’air, elle luy fit baſtir un petit cabinet de marbre, ſoûtenu par des pilaſtres, où elle l’alloit viſiter ſouvent ; inſenſiblement elle s’accoûtumoit à luy donner dans ſon eſprit une figure humaine ; & meſme une figure aimable, peu à peu elle ſouffrit qu’il luy parlaſt d’amour. Il luy ſembloit que les diſcours d’un arbre ne pouvoient eſtre dangereux. Le roſier ſçut ſe prevaloir de cette diſpoſition favorable ; il en diſoit beaucoup, mais il faiſoit entendre qu’il en ſupprimoit encore davantage ; & par un deſordre au deſſus de l’éloquence, il la perſuadoit qu’elle eſtoit tres tendrement aimée.

La Princeſſe ſongeoit ſi ſouvent au prodige du roſier, qu’enfin elle ne penſa plus à autre choſe. Le Cabinet de marbre eſtoit le lieu où ſes pas la conduiſoient naturellement, il luy échapoit meſme de dire des choſes trop tendres au Prince, qui luy donnoit une grande compaſſion ; mais l’Oracle menaçant de la Fée, ne pouvoit s’effacer de ſon eſprit ; elle aimoit peut-eſtre déja ce qu’elle n’avoit point vû ; cependant elle en doutoit tant qu’elle ne voyoit qu’un arbre, elle avoit peur de luy rendre la premiere figure, & quelque-fois malgré elle le ſouhaitoit. Le roſier de ſon coſté trouvoit lieu à des plaintes au travers des paroles les plus flateuſes que luy diſoit la Princeſſe. Si j’en crois, luy diſoit-il, vos diſcours & vos ſoins, j’excite voſtre pitié, mais vous n’en avez point aſſez, ſi vous ne me donnez rien davantage, & ce doux ſentiment de la plus belle perſonne du monde, ne me redonne pas ma figure.

La Reine cependant ne put ſupporter plus longtemps l’abſence de ſa fille, & luy donna ordre de revenir inceſſamment ; ce fut un coup de foudre pour la Princeſſe, il falloit ſe ſeparer du roſier, pour qui dans le moment elle le trouva avoir une veritable paſſion. Elle verſa quantité de larmes ſur ſes feuilles, qui ne purent en eſtre arroſées ſans en reſſentir la vertu. Auſſi-toſt le roſier diſparut, & Florinde ne vit plus à ſes pieds qu’un Prince charmant. Il luy embraſſa les genoux avec toute la certitude d’eſtre aimé. Plaiſir qui n’eſt preſque jamais ſûr pour les autres Amans ; toutes les marques ordinaires ſont ſuſpectes en comparaiſon de cet évenement merveilleux, auſſi l’idée de ſon bonheur le tranſporta à tel point qu’il perdit, pour ainſi dire, l’uſage de ſes ſens, à meſure qu’il les recouvroit, il ſembloit par ſon immobilité, tenir encore quelque choſe de l’arbre qui l’avoit caché.

Florinde à la vûë d’un Prince ſi aimable ſentit augmenter ſon amour, mais ſa pudeur augmenta à proportion, elle regretta les voiles qui luy cachoient à elle-même ſes propres ſentimens ; elle revint à la Cour, le Prince l’y ſuivit, La Reine qui ne ſçavoit rien de l’aventure du roſier, & qui connoiſſoit ſeulement la naiſſance du Prince, luy permit de pretendre à ſa fille. Il voyoit tous les jours ſa maiſtreſſe, mais ce n’eſtoit plus ſans témoins ; il regretoit ſouvent ſon eſcorce d’arbre ; elle l’avoit moins contraint que toutes les bienſeances que l’on exigeoit de luy.

Le Prince preſſoit ſon mariage, mais Florinde épouvantée par le prodige de ſon amour, qui luy donnoit lieu de craindre l’Oracle de la Fée, engagea la Reine à ſouffrir qu’elle éloignaſt cet Amant pour s’aſſurer de ſa conſtance avant que de ſe donner à luy, elle le fit venir : Prince, luy dit elle, vous ſçavez que je vous aime, & aprés ce mot je ſuis en droit de diſpoſer de vous. La prediction de mes malheurs m’effraye, tout ce qui me les doit faire craindre n’eſt que trop arrivé : Quand vous ne ſeriez pas ſûr d’eſtre infiniment, aimé, mes allarmes pourroient vous en convaincre ; ſi vous l’eſtiez moins, je préviendrois ma diſgrace en rompant avec vous ; mais malgré mes terreurs je ne le puis, & il vaut mieux qu’en me donnant des marques certaines de voſtre fidelité, vous démentiez l’Oracle. Vous n’aviez vû que moy lorſque vous m’avez aimée. Je n’ay peut-eſtre ſçû vous plaire que par la grace de la nouveauté, il faut vous éprouver, allez demeurer dans l’Iſle de la Jeuneſſe, jusqu’au jour que je vous rappelleray : Partez, je veux bien me flatter que plus le ſejour en eſt charmant, plus le voyage vous afflige. Quelle propoſition pour un Amant aimé, depuis qu’il connoiſſoit l’amour il avoit toûjours vû ce qu’il aimoit, & il n’avoit jamais eu l’idée de l’abſence. Vivre éloigné de Florinde luy parut ſi terrible, qu’il crut eſtre à ſon dernier moment, il n’avoit pas la force de ſe plaindre ; ſes larmes couloient ſans qu’il le ſentit, & ſon action marquoit un ſi grand amour, que la Princeſſe jugeant qu’elle ne pourroit reſiſter à tant de paſſion, s’enfuit dans l’appartement de la Reine, & de là manda à ſon Amant qu’il obeit ſans la revoir, qu’il partît ſeulement, qu’elle auroit le ſoin d’adoucir ſes maux.

Le Prince ſe mit en chemin avec une ſoumiſſion dont on n’a point vû d’exemples aprés luy. Il arrive malade dans l’Iſle de la Jeuneſſe, & il crut y trouver des Medecins, mais il n’y en avoit jamais eu dans une Iſle de ce nom. Les Ris, les Jeux, & les Amours le reçurent en luy jettant des roſes ; il y reſpira d’abord un air qui luy rendit la ſanté, & en meſme temps tous les charmes que la douleur luy avoit fait perdre. On le conduit au Palais de la Reine du lieu, par un chemin couvert de ces fleurs qui naiſſent dans le commencement du Printemps, il voit une perſonne qui avoit toutes les graces de la beauté, avec toute la naiveté, & toute la joye de l’enfance, elle n’avoit que quatorze ans, elle eſtoit aſſiſe ſur un Trône de Jaſmin, mille Amours folaſtroient autour d’elle, les uns l’enchaiſnoient avec des fleurs d’orange, les autres en répandoient ſur ſa teſte, les autres la decoëffoient, & laiſſoient tomber ſes cheveux ſur une gorge naiſſante, elle badinoit avec ſes femmes, & leur jettoit des fleurs avec une grace merveilleuſe. Ce ſpectacle avoit bien de quoy le diſtraire de ſes ſentimens pour Florinde. La Reine de la Jeuneſſe n’eſtoit point mariée, parce qu’elle vouloit un mary de ſon âge, & galant, cela n’avoit pû ſe rencontrer. Le Prince avoit vingt-quatre ans, c’eſtoit un barbon. Quelques-unes des ſuivantes de la Jeuneſſe luy demanderent des nouvelles des ſiecles paſſez, mais la Reine commença à le regarder favorablement. Ce ſiecle de dix années qui diſtinguoit leur âge, diſparoiſſoit par tout les agrémens dont le Prince eſtoit remply. Cette Reine n’oublia rien pour l’engager, les regards, les paroles flateuſes, de petites actions badines, dont le ſens eſt trés ſerieux, tout fut mis en uſage, & tout fut entendu, quoyque le Prince plus fin qu’elle, feignit de n’y pas faire attention, elle s’expliqua plus ouvertement, fit faire des propoſitions de mariage avec les avantages qui pouvoient le plus toucher un homme aimable, comme de l’eſtre toûjours, de poſſeder à jamais, & ſans interruption, tous les biens, ſans qui les autres ne ſont rien, toutes les graces, tous les plaiſirs. Il eſtoit difficile que ce Prince refuſat cette dot qu’elle offroit de luy apporter. Il oublioit peu à peu Florinde, & il eſtoit temps qu’elle le forçat de ſe ſouvenir qu’elle eſtoit encore au monde. À peine avoit-elle eſté un jour ſans voir le Prince, qu’elle ſentit l’horreur de vivre ſans ce qu’on aime ; cependant elle s’efforça de vaincre ſes ſentimens ; elle avoit déja aimé ſans voir, vouloit elle encore épouſer ſans connoiſtre ſi elle eſtoit aimée conſtamment ; quinze jours ſe paſſerent dans ces agitations, mais elle alloit y ſuccomber, la crainte & la jalouſie vinrent ſe joindre aux douleurs de l’abſence. Il fallut ſacrifier les reflexions à l’amour, elle envoye vers le Prince, à qui on donna cette Lettre de ſa part…

Si vous ſouffrez autant que moy, que vous estes à plaindre ! Ie ne puis ſupporter mes douleurs & les vostres ; je ne veux point riſquer de vous perdre pour vouloir trop m’aſſurer de vous : c’eſt aſſez, vous eſtes dèja digne d’eſtre recompenſé pour avoir obey au plus cruel de tous les ordres. Helas ! je n’en connoiſſois pas bien la rigueur, mais je l’ay ſentie, & je juge que vous ne la pouvez ſoûtenir ; partez & revenez, que n’eſtes-vous icy !

Ce Billet arriva fort à propos ; le Prince à qui dans ſa ſolitude on avoit donné une éducation ſevere, n’avoit pas encore eu le loiſir de ſe gaſter dans le monde, il crut qu’il n’y eſtoit pas permis d’eſtre inconſtant, & malgré le gouſt qu’il avoit pour la Reine de la Jeuneſſe, il ſortit de l’Iſle, mais comme il s’éloignoit lentement d’un lieu qui avoit des charmes pour luy, il lut ſa proſcription dans quelques Placarts qu’il rencontra en ſon chemin. La Reine promettoit à ceux qui luy livreroient vif ou mort ſon fugitif, les meſmes faveurs qu’elle lui avoit offertes.

Il n’en falloit pas davantage pour guerir le Prince. Il precipita ſa fuite ; & il arriva aux pieds de Florinde, qui le voyant revenu, n’eut pas la force d’examiner s’il avoit eſté fidele. Ils s’épouſerent, & le Prince eſtant devenu Roy par la mort de ſon pere, il emmena ſon Epouſe dans les Eſtats, où le mariage, ſelon la couſtume, finit tous les agrémens de leur vie. Heureux s’ils en eſtoient demeurez à une honneſte indifference, mais les gens accouſtumez à aimer, ne ſont pas ſi raiſonnables que les autres, & ne ſont guere l’exemple des bons menages. Le Prince par oiſiveté, conta à Florinde qu’il avoit eu quelque foibleſſe legere pour la Reine de la Jeuneſſe. Florinde luy fit autant de reproches, que ſi elle n’avoit pas eſté ſa femme ; il en fut choqué, importuné ; il voulut s’en plaindre, & s’en conſoler avec les Dames de ſa Cour ; elle l’épia, le ſurprit, l’accabla d’injures ; enfin perſecuté de ſes fureurs, il demanda aux Fées de redevenir roſier, & il l’obtint comme une faveur. De ſon coſté Florinde jalouſe, avoit la tête ſi foible, qu’elle ne pouvoit ſouffrir l’odeur d’une fleur qui la faiſoit reſſouvenir de ſon amour, c’eſt depuis ce temps là que les roſes ont toûjours donné des vapeurs.