In memoriam - Solitude - Pleurs dans le soir...

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In memoriam - Solitude - Pleurs dans le soir...
Revue des Deux Mondes5e période, tome 32 (p. 680-688).
POÉSIES


IN MEMORIAM


Es-tu mort tout entier, Poète illustre ? Non.
Car ton Œuvre s’érige, en des splendeurs insignes,
Avec la majesté sereine de ses lignes,
Comme au soleil levant surgit le Parthénon.

Toi qu’unit à Ronsard un fraternel chaînon ;
Dont l’âme eut la candide envergure des cygnes,
Je songe avec douleur que mes vers sont indignes
D’éterniser ta gloire et d’exalter ton nom.

Ah ! semblable aux Héros que tu créais sans trêve,
Grandis dans la Légende et plane dans le Rêve,
Ébloui par l’Amour, par Dieu transfiguré ;

Et, d’un triomphal geste, aux lieux où tu te voiles
Pour consoler la terre où nos cœurs t’ont pleuré,
Fais vibrer l’ample Lyre au rythme des étoiles.

SOLITUDE


Depuis que je me suis isolé, hors de tout,
Que j’ai fui les cités, les tumultes, les haines,
Mes erreurs d’autrefois me semblent si lointaines,
Que la Nature avec un sourire m’absout.

Comme retourne au toit natal le fils prodigue,
Sûr d’y trouver encore un accueil indulgent,
J’apporte aux champs anciens, sous des cheveux d’argent,
Un esprit accablé de fièvre et de fatigue.

Je penche avec douleur sur le miroir des eaux
Un front précocement flétri par les années,
Et ressuscite en vain mes chimères fanées,
Sur qui gémit le chêne et pleurent les roseaux.

Mais, sous le vaste azur où je me réfugie,
Parmi les fleurs et les brins d’herbe frémissans
Et les germes gonflés de sucs vierges, je sens
Mille effluves emplir ma poitrine élargie.

Car, maternellement vibre en nobles accords,
Parmi tout ce qui croît dans l’argile ou le sable,
La claire vision, la grâce intarissable
Qui renouvelle l’âme et rajeunit le corps.

O Nature, éternelle Amante, Béatrice
Radieuse, à laquelle en tremblant a tendu
Ses bras désespérés plus d’un Dante éperdu,
Des exils et des deuils sois la consolatrice.

Heureux qui, sur ton sein qu’on n’épuise jamais,
Retrempe sa vigueur usée au sein des villes.
Heureux qui règne en paix, loin des foules serviles,
Sur les halliers déserts et les graves sommets.

Heureux qui, de ta sève où fermente la vie,
Se fait un sang de pourpre et des muscles d’acier.
Heureux qui, revenu vers le sol nourricier,
De toi repaît sa faim longtemps inassouvie.

Heureux qui, pour rester viril, gravit les Monts
Et fraternise avec leurs abîmes sauvages.
Heureux qui, las enfin des mornes esclavages,
Aux libres vents du ciel dilate ses poumons.

Heureux aussi qui, sur la glèbe séculaire,
Reconnaît l’âpre sceau d’innombrables aïeux,
Et foule avec amour les sillons glorieux
Dont chaque race attend sa force et son salaire.

Tel je médite, et l’heure après l’heure s’en va ;
Et je mêle, en un tendre hymen qui se consomme,
Aux choses qu’aujourd’hui rêve mon cerveau d’homme
Les choses que jadis mon cœur d’enfant rêva.

Dans la moindre harmonie éparse en la caresse
Des souffles, des rayons, des baumes, tel je veux
Que mon être se fonde en intimes aveux,
Avant que dans la terre obscure il disparaisse.

Tel, pour aimer sans trêve et survivre à l’oubli,
Je veux que, dans le moindre atome dispersée,
Tout l’univers recueille un peu de ma pensée,
Quand de pieuses mains m’auront enseveli.


PLEURS DANS LE SOIR


Mon Dieu, ce jour finit de même qu’il est né.
Dans un sourire et dans une extase il s’achève ;
Et mon cœur, que hanta plus d’un funeste rêve,
Vous le rend aussi pur que vous l’avez donné.

O Dieu, je vous immole, humblement prosterné,
Le douloureux amour qui m’obsède sans trêve,
Afin que vers vous seul, dans le soir d’or, s’élève
Ce cœur fragile où seul vous avez moissonné.

Un vent de sacrifice effleure les collines
Où peut-être ont prié des âmes orphelines.
Le ciel est nuancé de rose et de lilas.

Accueillez du pécheur l’offrande volontaire,
Dieu propice, et baignant d’ombre les destins las,
Versez le crépuscule adorable à la terre.


MATIN DE MAI


L’aube prépare un jour divin,
Et la solitude m’en laisse
Savourer toute la mollesse,
Comme on déguste un noble vin.

Le roc même ouvre à la lumière
Son cœur de granit qui se fend.
L’univers, ainsi qu’un enfant,
S’éveille en sa grâce première.

Des bœufs courbent leurs fronts jumeaux
Pour les tâches accoutumées,
Et de matinales fumées
S’élèvent d’agrestes hameaux.

Le bruit d’une faulx qu’on aiguise
S’ajoute au bruit d’un char lointain.
Dans des champs qui, fleurent le thym
Un lièvre roux erre à sa guise.

La brise joue avec l’osier
Sur l’étang qu’un reflet satine.
J’évoque en moi l’âme latine
Déjà prête à s’extasier.

Je vois, comme aux jours de Tibulle,
Suspendue au flanc de ce mont,
Une chèvre qui broute et dont
La clochette tintinnabule.

Ce paysage radieux
Résonne, comme au temps d’Horace,
Des plaintes du bélier vorace
Que nul berger n’immole aux dieux,

Tandis que la génisse agile,
Qui bondit sur l’herbe du pré,
Lustre aux ormeaux son cuir pourpré,
Comme à l’époque de Virgile.

Ému, je me sens emporté
Vers la bucolique et l’églogue.
C’est un printemps d’amour qui vogue
Sur un océan de clarté.

Quelque douce aïeule à quenouille
Fait tourner d’alertes fuseaux.
Parmi les joncs et les roseaux
Une laveuse s’agenouille.

Et sur un rythme si troublant
Que du double accord l’âme est pleine,
Se dévide la blanche laine
Et ruisselle le linge blanc.

Mais quelle ivresse harmonieuse
S’exhale en vieux airs attendris ?
Un pâtre chanté et je souris
Au pâtre assis sous une yeuse.

Par la voix d’un merle une fleur
Suavement apostrophée,
Érige son frôle trophée
Pour encenser l’oiseau siffleur.

Un essaim d’or, au creux d’un frêne,
Vibre en murmures infinis.
Le frais gazouillement des nids
Sur l’hymne des sources s’égrène.

Et dans les plaines tour à tour
Par le soc tranchant sillonnées,
Les futures gerbes sont nées,
Fruits amers d’un rude labour.

Ainsi, tant que l’Astre qui monte
Gravira l’azur éclatant,
J’irai devant moi, feuilletant
Les pages d’un merveilleux conte

Tels mes yeux seront occupés
De ce qui les charme et les touche,
Jusqu’à l’heure où le daim farouche
Descendu des bois escarpés,

Dans le vent, dont un souffle attise
Les brasiers suprêmes du soir,
Hume l’eau de son mufle noir
Encore embaumé de cytise.


STÈLE BRISÉE


Humble vierge, longtemps j’ai contemplé la pierre
Qui scelle lourdement la nuit sur ta paupière.
J’ai ployé le genou sur l’austère tombeau
Qui recouvre à jamais ton visage si beau
Modelé par l’amour en la plus pure argile.
Ton rire frais, tes clairs regards, ton pas agile
Sous un tertre ignoré gisent ensevelis ;
Et la Mort, qui te berce à son vague roulis,
Emporte ton corps tendre en ses flots de ténèbres,
Comme une barque obscure au sein de mers funèbres.

Ceint naguère du myrte élégiaque, et tel
Que l’eût divinisé quelque mythe immortel,
Ton front sent le cyprès croître où germaient les roses,
Et grandir l’infini des silences moroses
Où s’épanouissaient les gloires du printemps.
Hélas ! les molles fleurs, les oiseaux inconstans
N’exhalent plus pour toi leurs chansons ou leurs baumes,
Fantôme désormais au séjour des fantômes,
Aveugle à nos douleurs et sourde à nos sanglots,
Tu dors dans le sépulcre éternellement clos.
Et je dis que la moindre ivresse est un mensonge
La plus pâle lumière un mirage, et je songe
Que ta chair dans la terre informe se dissout,
Qu’en vain, désespéré, je te cherche partout,
Et que j’évoque en vain ta petite ombre amie
Si frêle dans sa grâce et dans son eurythmie.
Oh ! vers le champ fatal, vers le lieu décevant,
Triste tu me verras, vierge, requis souvent,
Comme le pèlerin qu’attire une relique,
Par la douceur de ton destin mélancolique.


INSCRIPTION FUNÉRAIRE


Lorsque je pense à toi, tu me parais moins morte,
Une lueur atteint le sépulcre où tu gis,
Et la fidélité d’un cœur tendre t’apporte
Des rayons vaguement surgis.

Enfant, lorsque je pense à toi, la moindre chose
De notre destinée heureuse d’autrefois,
Illuminant ta nuit qui se métamorphose,
La dore de fervens émois.

C’est une vision d’extase, mais si brève
Qu’elle s’évanouit comme un spectre léger,
Et que les vaporeux reflets d’un ancien rêve
Dans ta fosse, semblent neiger.

Lorsque je pense à toi, que la Mort a ravie,
Hantée encore des plus chers souvenirs humains,
Vers les rumeurs et les fantômes de la vie
Tu joins de suppliantes mains.

Sans doute alors les voix, les formes incertaines
De ce qu’en notre langue obscure nous nommons
Des arbres, des oiseaux, des essaims, des fontaines,
Des torrens, des gorges, des monts,

Tout ce que le regret dans les tombes distille
Evoque le passé pour jamais aboli,
Et peuple l’ombre lourde et le silence hostile
Où ton pur visage a pâli.

Le charme des vallons, la grâce des collines,
Les crêtes que couronne une antique forêt
Ressuscitent baignés de clartés opalines,
Où notre humble amour transparaît.

Tu nous cherches perdus dans la Nature en fête,
Par gerbes moissonnant des aveux et des fleurs,
Et ta chimère, ainsi que mon angoisse, est faite
D’une infinité de douleurs.

Tu nous cherches errans sous la nef solitaire
Des vieux parcs, dans la pourpre héroïque des soirs,
Et l’astre, à l’heure où l’homme ébloui va se taire,
Transfigure les sommets noirs.

Tu nous cherches assis sur une roche agreste,
Des horizons marins émerveillant nos yeux
Et tu répands des pleurs sur le peu qui nous reste
De tant de jours harmonieux.

Et la grave Nature, attristée elle-même,
Mêlant ses vains soupirs à tes larmes d’enfant,
Se lamente et prolonge une oraison suprême,
Comme un cœur en deuil qui se fend.

La brise qui, jadis, se jouant dans les sentes,
Caressait nos cheveux d’un suave baiser,
Achève son murmure en plaintes menaçantes
Et que rien ne peut apaiser.

La mer que nous aimions, la mer dont l’âme immense
Exhale une clameur de désespoir, la mer
Que heurtent aux récifs les souffles en démence,
Éternise son râle amer.

La source qui s’afflige en son lit de verdure,
Où naguère tous deux nous buvions à genoux,
N’ignorant plus, hélas ! qu’ici-bas rien ne dure,
Sanglote ingénument sur nous

Et le hêtre où saigna la double initiale
Que sur son noble tronc j’ai gravée en songeant,
Gémit de n’avoir vu ta robe nuptiale
Frôler son écorce d’argent.


LEONCE DEPONT.