Influence de la forme des salles de classe sur la discipline scolaire

La bibliothèque libre.

INFLUENCE DE LA FORME DES SALLES DE CLASSE
sur la discipline scolaire.


Le maintien de la discipline dans les écoles dépend de conditions très-diverses. Nous n’insisterons pas sur l’ascendant que le maître sait prendre sur ses élèves, sur les qualités de caractère qu’il a dû acquérir, ni sur la vigilance continuelle qu’il doit exercer durant la classe. C’est le côté moral de la question.

L’intelligente distribution des exercices, faite de telle sorte qu’aucun groupe d’élèves ne reste jamais inoccupé, assure aussi, pour une large part, le bon ordre dans une école. Cette condition d’organisation pédagogique est de rigueur.

On a moins remarqué ou moins bien précisé l’influence qu’a sur la discipline scolaire la forme des salles de classe. L’opinion la plus reçue est que la forme rectangulaire doit être préférée. Mais le désaccord commence quand il s’agit d’établir les dimensions relatives du rectangle. La forme carrée a ses partisans.

Il est très-digne de remarque qu’en France la réglementation scolaire est restée silencieuse sur ce point. Elle exige une surface d’un mètre carré par élève et ne se préoccupe pas de la forme du local[1].

Il n’en est pas de même dans les autres États de l’Europe. Les plus anciens règlements qui aient été faits sur la construction des maisons d’école, sont ceux des cantons suisses de Schaffhouse et de Zurich. Ils remontent à 1852[2] et à 1861[3] et prescrivent, pour les salles de classe, la forme rectangulaire, l’un dans le rapport 8 à 4, l’autre, dans celui de 2 à 3[4].

Le règlement général prussien du 15 octobre 1872, et l’ordonnance du roi de Saxe du 3 avril 1873, se prononcent de même pour la forme rectangulaire, mais sans indication de dimensions.

En Belgique, un arrêté royal, du 25 novembre 1874, se borne à prescrire la forme rectangulaire sans préciser davantage, mais avec cette modification assez singulière que les coins doivent être arrondis.

Dans la ville libre de Brême, on est indécis sur la forme du local, qui peut être un carré ou un rectangle, au gré, paraît-il, de l’architecte[5].

L’Autriche, qui non plus n’a de prédilection pour aucune forme ; prescrit cependant le rapport de 3 à 4 pour les dimensions de la classe ; si l’on se décide pour un espace rectangulaire[6].

Dans le petit royaume de Wurtemberg, le pays de l’Europe qui à réglementé avec le plus de détails et de précision tout ce qui se rapporte à l’installation scolaire[7], on s’est gardé de livrer à l’arbitraire la forme des salles de classe, mais il est très-curieux que le carré et le rectangle sont obligatoires, selon les cas. Aux termes de l’ordonnance ministérielle du 28 décembre 1870, la salle doit être un carré pour les écoles de moins de quarante élèves, et rectangulaire pour celles dont l’effectif dépasse ce chiffre.

Le plan du groupe scolaire de la rue d’Alésia, à Paris, que M. Buisson a inséré dans son savant ouvrage sur l’Instruction primaire à l’Exposition universelle de Vienne, ne présente pas pour les salles de classe une forme rigoureusement invariable.

À mesure que l’agglomération des élèves est plus considérable, la salle de classe prend une forme plus allongée. Les dimensions qui sont dans le rapport de 3 à 5 pour 85 élèves, passent à celui de 3 à 4 pour 70 et deviennent, à fort peu de chose près, celles du carré pour 54 élèves.

Dans les plus récentes maisons d’école construites par la ville de Nancy, nous avons constaté l’adoption du rectangle allongé dans le rapport de 3 à 5, pour des salles de classe recevant 50 et même 40 élèves.

Nous avons tenu à mettre en évidence la diversité des usages relatifs à ce point de l’architecture scolaire. Si l’accord des idées n’est pas encore établi à cet égard, il faut l’attribuer, ce nous semble, d’une part, à la nature de la question, qui ne manque pas d’être assez complexe, et, de l’autre, à la façon dont elle paraît avoir été posée dans certains pays où elle s’est réduite à un problème de pure symétrie.

La forme de la salle de classe touche, au contraire, de la manière la plus intime au bon ordre et au maintien de la discipline dans une école. Notre expérience personnelle, résultat d’observations suivies dans 1 639 écoles que nous avons visitées, nous a convaincu qu’il n’est pas indifférent d’adopter telle forme de préférence à telle autre. Le rectangle allongé ne peut arbitrairement se substituer au rectangle raccourci, ni la forme carrée s’employer concurremment avec toute figure rectangulaire.

Dans l’organisation scolaire se présente un élément de la plus haute importance : c’est le groupement des élèves. Au point de vue spéculatif, il est antérieur à la forme du local et devrait servir à la déterminer, mais il n’en est point ainsi dans la pratique des choses où le maître est dans la nécessité de disposer ses élèves conséquemment à la forme de la salle où il s’établit. De là naissent des difficultés de plus d’un genre.

Pour que le maître se trouve dans les conditions les plus favorables à une bonne discipline, il est nécessaire que ses élèves soient disposés de telle sorte que, de la chaire, son regard puisse aisément en embrasser l’ensemble. Cette condition est indispensable, mais elle ne suffit pas. Il faut, de plus, que, placé sur n’importe quel point du local, il ne cesse de les apercevoir avec une égale facilité.

En un mot, il importe que le champ visuel, dans lequel le groupement lui apparaît, soit le moins variable possible.

Nous constatons depuis longtemps, dans les salles rectangulaires allongées, une discipline relâchée quand l’estrade est disposée sur le petit côté du rectangle. Les élèves se présentant, dans ce cas, dans l’ordre épais, au regard du maître, se couvrent, au delà d’une certaine distance, par leurs files serrées, dans le sens de la longueur, et mettent des rangs entiers à l’abri d’une surveillance efficace.

C’est d’ailleurs un fait d’expérience que la puissance disciplinaire du regard décroît rapidement et s’éteint au-delà d’une limite assez rapprochée. Aussi considérons-nous comme excessive l’agglomération de plus de soixante élèves, dans une salle de classe, sous la direction d’un seul maître. La discipline dans une école de cette importance est une tâche très-sérieuse. Les hommes pratiques ne l’ignorent point. Avec quatre-vingts élèves, la double obligation d’enseigner et d’assurer la discipline coûte des efforts qui ne tardent pas à devenir épuisants. Au delà de ce chiffre, la surveillance s’exerçant sur une aire trop étendue perd de son énergie ; de plus le champ d’audition s’amplifiant dans des proportions qui ne sont plus en rapport avec la force pulmonaire du maître, ne laisse plus arriver que des échos affaiblis et impuissants de sa parole aux parties éloignées de l’espace considérable qu’occupent les élèves. Alors ceux-ci rentrant, pour ainsi dire, en possession d’eux-mêmes, prennent ce caractère de légèreté et de dissipation qui est particulier aux écoles populeuses et contraste d’une manière si frappante avec les habitudes rangées des petites et des moyennes écoles.

Un autre inconvénient se présente quand la chaire est placée sur le grand côté du rectangle. Si la salle est très-oblongue, les élèves faisant face au maître dans l’ordre mince, élargissent tellement le champ visuel que les secteurs extrêmes de droite et de gauche échappent à peu près au regard et rendent la surveillance très-pénible. Nous avons souvent entendu des maîtres se plaindre de la fatigue extrême qu’ils éprouvaient dans les salles de cette disposition. Il n’y a rien d’étonnant à cela. L’espace considérable sur lequel la vision, accompagnée de tension d’esprit, est dans la nécessité de se promener, exige une dépense de force nerveuse qui affaiblit promptement.

Il résulte de ce qui précède que les salles qui favorisent le mieux la discipline sont celles où la disposition des élèves peut se faire dans l’ordre compacte, de manière à occuper une surface carrée en avant de la chaire. Un pareil groupement donne évidemment prise de tous côtés à une surveillance qui atteint tous les rangs d’élèves ainsi que leur ensemble, avec une égale intensité.

Ces idées, entièrement fondées sur l’expérience des choses, nous ont conduit à admettre qu’il convient d’installer les écoles peu nombreuses dans des salles carrées et les écoles de 40 à 60, ou 70 élèves au maximum, dans des locaux ayant la forme d’un rectangle raccourci, ne s’écartant du carré que pour offrir en profondeur l’espace nécessaire à l’installation du matériel. La file de front qui fait face au maître ne doit pas être de plus de dix élèves. Les salles rectangulaires dans les rapports de 2 à 3, de 3 à 4 et de 3 à 5, ne sont pas favorables à la discipline. Nous préférons celles du rapport de 8 à 9[8].

J. Creutzer,
Inspecteur de l’Instruction primaire,
Chargé des fonctions d’Inspecteur d’Académie, à Nancy,
membre titulaire de l’Académie de Stanislas.
  1. Circulaire ministérielle du 30 juillet 1858.
  2. Règlement du canton de Schaffhouse, pour les constructions d’écoles, du 4 février 1852. À cette époque, on se contentait en France de la vague formule légale : « le local doit être convenable » ; art. 37 de la loi du 15 mars 1850. Que de mauvaises constructions scolaires se sont faites sous l’empire d’une législation aussi incomplète !
  3. Ordonnance, du 21 juin 1861, concernant les constructions scolaires. — Canton de Zurich.
  4. Voir le Rapport sur l’Instruction primaire à l’Exposition universelle de Vienne en 1873, par F. Buisson, agrégé de l’Université.
  5. Ordonnance sur les écoles primaires, 9 avril 1868.
  6. Loi pour la Basse Autriche, du 5 avril 1870 ; et décret impérial du 9 juillet 1873.
  7. Rapport de M. Buisson, page 24.
  8. « On peut citer d’après Wiese, un Pro memoria, émanant d’une commission technique d’architectes attachée au Ministère du commerce à Berlin (8 décembre 1867), qui posait d’excellents principes, en partie réalisés par le règlement général prussien du 15 octobre 1872. Ce mémoire demandait que le maximum de la classe fût de soixante élèves, placés dans un local d’au moins 3m,80 de haut sur 9 mètres de long et 5 à 7 mètres de large. » — Rapport de M. Buisson.

    L’écart de 5 à 7 mètres nous paraît trop considérable.