Aller au contenu

Initiation musicale (Widor)/ch01

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette (p. 7-9).
◄  Préface
Le Son  ►


CHAPITRE PREMIER

L’OREILLE

SA CONSTITUTION.
LES TROIS MILLE CORDES DE LA HARPE DE CORTI.



Avant d’étudier le son, la voix, les instruments, l’homophonie antique, la polyphonie moderne — la musique en un mot — il est bon de rappeler nos moyens de perception auditive, et de brièvement décrire cet organe si merveilleusement machine, si mystérieusement compliqué, qu’il a fallu attendre jusqu’au xixe siècle pour qu’un anatomiste italien, Alfonso Corti, en découvrit le ressort essentiel.

Dans l’oreille, trois cavités successives : l’externe, la moyenne, l’interne.

La première, qu’on peut comparer à un entonnoir dont l’issue serait fermée par une membrane — le tympan —, comprend le pavillon et le conduit auditif.

La seconde, derrière cette membrane, n’est qu’une sorte d’office de transmission, ayant pour agents quatre petits osselets accolés entre le tympan à gauche et une ouverture à droite, la fenêtre ovale, qui donne sur la troisième cavité[1]. De ces quatre osselets, le marteau, l’enclume, l’os lenticulaire, l’étrier ; le dernier, suspendu à l’orifice de la fenêtre ovale en façon d’escarpolette, transmet à droite, par le balancement de sa platine, les vibrations qui, de gauche, lui ont été transmises par les osselets.

Quant à la cavité interne, le labyrinthe, dernière étape du voyage, c’est elle qui contient les organes les plus curieux : le colimaçon, l’organum de Corti, et tout le système des ramifications nerveuses destinées à porter, au centre de la surface cérébrale, les impressions auditives. Or, l’onde sonore qui y pénètre vient sympathiser avec certaines des cordes de l’instrument extraordinaire, la harpe aux trois mille cordes, qu’a découvertes et approximativement dénombrées le savant physiologiste italien. Et pour conserver à ces cordes, ainsi qu’au système des ramifications nerveuses, leur souplesse et leur élasticité, la nature les fait judicieusement humecter par deux liquides : l’exolymphe et l’endolymphe.

N’oublions pas de rappeler que l’oreille moyenne correspond avec la gorge par un conduit, la Trompe d’Eustache, dont la fonction est de lui maintenir la quantité d’air nécessaire. (Bartolomeo Eustachi, lui aussi italien, mais de trois siècles plus ancien que Corti, est mort vers  1570.)

Ainsi donc, entre les deux premières cavités, une cloison : le tympan ; entre les deux dernières, une percée : la fenêtre ovale. Transmises par la chaine des osselets, les vibrations du tympan atteignent la dernière (la cavité labyrinthique), et c’est alors que se mettent à frémir certaines cordes de la harpe et que, grâce aux ramifications mystérieuses, le cerveau est affecté. C’est alors que nous entendons.

Pourquoi certaines cordes plutôt que d’autres ? Comment établir la correspondance entre certaines formes de vibrations, — nous verrons que le timbre dépend de cette forme, — et telles ou telles cordes ? Quel est le rapport entre nos sensations auditives et les moyens que nous donne la nature de les enregistrer ? Or, c’est plus de trois mille cordes que celle-ci met à notre disposition, alors que l’oreille la plus exercée ne perçoit pas au delà de neuf octaves, que l’ensemble des timbres de la voix et des instruments ne dépasse guère la centaine, que les bruits de tout genre n’en dépassent pas plus d’un millier. À quoi peuvent servir les cordes inutilisées ? Sont-elles en réserve pour une humanité plus affinée, des perceptions plus subtiles, pour des gammes nouvelles, de plus étroites divisions de l’octave, des seizièmes, des trente-deuxièmes de ton ? D’éminents physiologistes le croient… Seuls le fonctionnement de l’organe, la vue du marteau sur l’enclume, du balancement de l’étrier, de l’agitation de la harpe enchantée, seule l’expérience in anima vili pourrait nous répondre, mais le moyen de la tenter ?

  1. Nous nous plaçons face à face avec la tête d’étude dont l’oreille droite est à notre gauche.