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Initiation musicale (Widor)/ch19

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette (p. 110-113).


CHAPITRE XIX

LA TONALITÉ MODERNE. L’OPÉRA

SON ORIGINE.
L’OPÉRA EN ITALIE. ║ EN FRANCE. ║ EN ANGLETERRE.



Le drame lyrique est né en Italie. ↔ À Florence, où quantité de petits théâtres, au temps des Médicis, laïcisaient peu à peu leur répertoire et remplaçaient les traditionnels « mystères » du Moyen Âge par des scènes de l’Antiquité.

À Mantoue, où la brillante cour de Vincent de Gonzague, le beau-père d’Henri IV, attirait poètes, peintres et musiciens…

Singulier paradoxe : le réveil de l’esprit grec fait alors abandonner la modalité grecque. L’Orfeo de Monteverdi condamne la langue musicale de Sophocle.

Rappelons les noms des compositeurs florentins : des Vincenzo Galileï (père de Galilée), des Caccini, des Peri, et saluons le vrai créateur du drame lyrique, l’illustre maitre de chapelle mantouan[1], l’auteur de l’Orfeo (1607), du Couronnement de Poppée (1642), Monteverdi.

Quelle belle époque ! Les Noces de Cana nous représentent Titien contrebassiste, Véronèse et Tintoret, violoncellistes ; Bassano, flûtiste.

Tous les maîitres peintres sont musiciens.

« La bonne peinture est une mélodie, » affirme Michel Ange.

S’accompagnant sur un luth qu’il a fabriqué lui-même, Léonard chante des madrigaux, paroles et musique de sa composition.

Dans sa Sainte Cécile, Raphaël précise, comme le ferait un facteur d’orgues, le désordre des tuyaux de l’instrument renversé.

Les poètes eux-mêmes sont mélomanes, le Tasse, l’Arioste.

Comme admirateur et chef de claque à Mantoue, Monteverdi avait eu le jeune Pierre-Paul Rubens. Comme admirateur et imitateur, il aura plus tard, à Venise, Heinrich Schütz, le prédécesseur de Bach[2].

Le musicien saxon avait été fort étonné d’entendre une « comédie à plusieurs voix que l’on joue en chantant ». Il écrit à l’électeur son regret de ce qu’en Allemagne « ces inventions restent ignorées ». Et c’est Schütz qui fera connaitre à ses compatriotes la nouvelle forme musicale.

L’Opéra en France. ↔ En France, ce n’est pas vers la « comédie chantée » ou le drame lyrique que se produisit l’évolution, mais vers le Madrigal et le Ballet de cour. Paris n’avait pas de théâtre fixe ouvert au public. La première salle de spectacle fut celle que fit aménager Richelieu, au Palais-Royal qu’il habitait. Dans cette même salle, en 1647, une troupe italienne, engagée par Mazarin, joua l’Orfeo de Rossi, opéra à grand spectacle oublié aujourd’hui. Tel fut le début du drame lyrique chez nous.

Vingt-six ans plus tard, un musicien, un écri

vain, un gentilhomme amateur de mécanique s’associaient pour exploiter la salle du Palais-Royal. Ils venaient de réussir, Molière étant mort, à en chasser sa troupe de comédiens. Lulli, petit homme myope, aux yeux rouges, très intrigant[3] ; Perrin, pauvre diable se disant poète ; Sourdeac, gendre du marquis de Garancière, ne rêvant que machineries, voilà les fondateurs de notre Académie de musique.

À ses qualités négatives l’intrigant Lulli joignait celles d’un musicien particulièrement doué et d’un administrateur émérite. Dès 1672, il créait à l’Opéra une école de chant et de déclamation, seule et unique en France jusqu’en 1784. Alors un décret royal établit, dans l’hôtel des Menus-Plaisirs, « une institution où les élèves qui se destinent au théâtre recevront des leçons d’habiles maîtres chargés de leur enseigner la musique, la composition, la déclamation, le clavecin, la langue française ». Huit ans plus tard, l’institution devient l’École gratuite de la Garde nationale parisienne ; puis, par décret du 10 Thermidor an III (3 août 1795), notre Conservatoire de musique et de déclamation.

Le premier vrai maître français, celui qui réveille le génie national épris de clarté, de vérité, d’expression, de mesure, c’est Rameau (1683-1764), claveciniste, organiste, théoricien, auteur des premiers « Essais » sur l’harmonie en même temps que compositeur de pièces instrumentales, de cantates, de ballets, de nombreux opéras dont plusieurs encore au répertoire : Hippolyte et Aricie, les Indes Galantes, Castor et Pollux, Dardanus, etc.

Après Rameau, nous oserons classer comme naturalisé français — et par ordre chronologique, s’entend — Christophe Willibald Gluck, dont la réputation en Allemagne et en Italie ne fut définitivement consacrée qu’à Paris, lorsque Marie-Antoinette y fit jouer Iphigénie en Aulide (19 mars 1774). « Cette musique vraie, pathétique, dont aucune autre n’avait encore donné l’idée, fit un effet prodigieux sur les habitués de l’Opéra » (Fétis). Puis vinrent Orphée et Alceste, et l’enthousiasme ne fit que grandir.

Maître architecte, Gluck apprend à Mozart l’art de spéculer sur un effet de théâtre. Les trombones de « Divinités du Styx » n’interviennent plus dans la suite de l’ouvrage, quel que soit l’éclat sonore qu’on réserve d’ordinaire à la scène finale. Les trombones de Don Juan n’interviendront que dans la scène du commandeur.

Survient la Révolution, pendant laquelle on ne signale guère que les hymnes patriotiques de Rouget de l’Isle, Gossec, Lesueur et Méhul.

Avec l’ordre renaît la vie artistique et, bientôt, sur l’affiche de nos théâtres, vont se succéder les noms de Spontini, Cherubini, Weber, Rossini, Meyerbeer, Auber, Berlioz, Wagner, Gounod, Verdi, Bizet, Lalo, Delibes, Massenet, Saint-Saëns, Moussorgski, Rimsky-Korsakoff, pour ne parler que des maîtres disparus.

  1. Louis Schneider. Claudio Monteverdi. Perrin, édit).
  2. André Pirro, Schütz. Alcan, édit.
  3. Perrin le traitait de voleur, Sourdeac de brigand, La Fontaine de maraud, Boileau de coquin ténébreux ; quant à Molière, il ne prononçait pas son nom, mais haussait les épaules.
    xxxLes fonctions de Lulli à la Cour lui rapportaient 90 000 livres sans compter cadeaux et gratifications. Pendant quinze ans, il eut le monopole des théâtres. Aucun autre musicien ne put se faire jouer.
    xxxÀ l’angle de la rue Sainte-Anne et de la rue des Petits-Champs, sa maison conserve les trophées d’instruments caractéristiques : malheureusement le rez-de-chaussée, envahi par le commerce, ne rappelle pas l’ancien propriétaire. Son tombeau est à Notre-Dame-des-Victoires, nef gauche.