Insaisissable amour/13

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Décarie, Hébert & Cie (p. 137-149).

XIII


Si George eût été moins absorbé par ses pensées, s’il s’était aperçu qu’il gardait quelque chose d’inusité dans sa physionomie, il n’aurait pas remonté la Cinquième Avenue en quittant Washington Square.

Au coin encombré de la Quatorzième Rue, il s’arrêta sur le bord du trottoir, hésitant un moment sur lë chemin qu’il prendrait pour rentrer chez lui.

Justement alors, une voix familière se fit entendre derrière lui.

« Mon Dieu, George ! s’écria Totty Trimm. Quel air vous avez ? Que vous est-il arrivé ?

— Comment vous portez-vous, cousine Totty ? Je ne comprends pas. Ma figure a-t-elle donc quelque chose d’extraordinaire ?

— Je voudrais que vous puissiez vous voir dans une glace ! s’écria la petite dame, évidemment de plus en plus surprise de son expression. Vous êtes blanc comme un linge. D’où sortez-vous ?

— Moi ? Oh ! je n’ai fait qu’une visite chez les Fearing. C’est un peu de fatigue, sans doute.

— Chez les Fearing ? répéta Totty avec un aimable sourire. Comme c’est drôle ! j’y allais justement… Vous n’y revenez pas avec moi ?

— Merci, répondit George, parlant très vite et devenant, s’il était possible, plus pâle encore. Ce serait peut-être un peu trop. D’ailleurs, j’ai un tas de choses à faire.

— Bon… alors entrez donc voir Mamie en passant. Elle est toute seule… avec un affreux rhume, la pauvre enfant ! Elle sera enchantée de vous offrir une tasse de thé. Cela vous remettra. Vous avez une pauvre mine. Adieu, cher ami. »

Totty lui serra chaleureusement la main, lui jeta un bon et affectueux regard, et continua sa route d’un pas léger. George se demanda si elle avait deviné quelque chose.

« J’aurais dû mentir, se dit-il en traversant l’Avenue, et lui dire que je sortais du club. »

Totty Trimm n’avait pas seulement deviné quelque chose, mais elle avait encore instinctivement mis le doigt sur la vérité. Depuis longtemps elle s’était aperçue que George était amoureux de Constance, et elle en était enchantée. Durant ces derniers jours, cependant, elle avait changé d’avis et avait espéré qu’un incident quelconque viendrait rompre une union qui semblait imminente. Lorsqu’elle avait rencontré son cousin, elle n’avait pas la moindre intention d’aller chez les Eearing. Mais en voyant la figure de George et en apprenant qu’il sortait de Washington Square, elle s’était décidée tout de suite à aller voir Constance. Elle sonna et demanda si les jeunes filles étaient chez elles.

« Oui, madame, répondit le domestique, mais Mlle Constance n’est pas très bien, elle est rentrée dans sa chambre avec la migraine et Mlle Grâce a dit qu’elle ne recevrait personne.

— Je viens de rencontrer M. Wood, objecta Totty, et il m’a dit qu’il avait été reçu cet après-midi.

— Oui, madame, effectivement, et c’est depuis le départ de M. Wood que les ordres ont été donnés. Si vous voulez, je porterai votre carte…

— Non, c’est inutile. Dites seulement à ces demoiselles que je suis venue. »

Après cette démarche, tout devint joie et triomphe dans son cœur.

« Quelle petite sotte ! disait Mme Sherrington Trimm en poursuivant son chemin. Elle l’aime et cependant elle a refusé un des meilleurs partis de New-York, s’imaginant qu’il en voulait à son argent. »

Et elle pensa que si Mamie se trouvait dans la même situation, elle ne refuserait certainement pas George Winton Wood.

En tous cas, Totty était résolue à employer toute sa diplomatie pour amener la conclusion du mariage qu’elle rêvait maintenant pour sa fille. Pendant qu’elle faisait ces réflexions, George remontait l’Avenue à grands pas. Chose bizarre, l’idée d’aller voir Mamie, que lui avait insinuée Totty, lui paraissait plutôt agréable. ll ne se souciait pas de rester dans les rues, dans la crainte que d’autres personnes de sa connaissance ne s’aperçussent de son visage bouleversé. S’il rentrait chez lui, son père remarquerait sa mine et pourrait deviner la cause de son chagrin, car le vieillard n’ignorait pas que son fils était amoureux de Constance. Mamie serait seule ; elle ne savait rien de ses affaires ; c’était une bonne petite fille et il avait de l’affection pour elle. Elle parlerait la plus grande partie du temps et cela lui permettrait de respirer et de se remettre de la secousse qu’il avait reçue.

Quand il entra dans le salon, Mamie Trimm était assise dans une grande bergère, au milieu des fleurs près d’une fenêtre ensoleillée : elle tenait un livre à la main.

« Oh ! George ! s’écria-t-elle en rougissant de plaisir. Que je suis contente ; je suis toute seule.

— Et que lis-tu là toute seule au milieu des roses ? » demanda George avec intérêt.

Elle lui tendit le livre. C’était le dernier roman qu’il venait de publier.

Mamie Trimm était une de ces jeunes filles dont une description très minutieuse n’arrive pas à donner une impression exacte. Un signalement de passeport aurait indiqué qu’elle était un peu petite, qu’elle avait des cheveux très blonds, des yeux gris, un nez petit, une grande bouche, le teint clair. Tout cela n’aurait rien dit, car ce qui la distinguait particulièrement, était un charme indéfinissable de toute sa personne.

George la connaissait depuis qu’elle était au monde, et entre eux il existait cette sorte d’intimité qui n’est possible que si elle a commencé dès l’enfance. La supériorité protectrice de l’écolier a été satisfaite de l’admiration cramponnante de la petite fille ; la vanité encore en bouton du jeune étudiant a pris plaisir à « expliquer les choses » à la délicate enfant de quatorze ans, qui croit à toutes ses paroles et accepte toutes ses idées ; en ses efforts, en son travail opiniâtre, en ses luttes, le débutant a trouvé du soulagement dans l’amitié dévouée et incessante de la jeune femme qu’il considère toujours comme une enfant et qu’il traite en sœur, sans se rendre compte que la différence de sept années est autre chose que dans leur enfance, maintenant qu’ils ont vingt-six et dix-neuf ans.

Une amitié de ce genre ne se rompt pas facilement malgré les interruptions que la diversité des existences peut amener dans les relations. Un effet, Constance Fearing avait pris, et au delà, la place de Mamie Trimm dans la vie de George. Celle-ci, tout en voyant encore son cousin de temps en temps, avait senti qu’il n’était plus pour elle ce qu’il avait été,… que quelque chose qu’elle ne comprenait pas était venu se mettre entre eux. C’était précisément à ce moment qu’elle avait fait sa première apparition dans le monde, où elle s’était comportée avec tact et avait été accueillie avec enthousiasme. Après avoir dansé dans tous les bals, elle avait reçu plusieurs demandes de mariage, qu’elle avait systématiquement refusées, et était, en somme, dans toute la primeur de la carrière mondaine d’une jeune fille américaine. Après deux années de succès ininterrompus, elle était encore aussi innocemment attaché à son cousin que dans son enfance. Et dernièrment, lorsque la réputation croissante de George l’avait poussé dans le courant mondain, elle s’était aperçue pour la première fois qu’il se plaisait davantage dans la société d’une autre personne, un peu plus âgée qu’elle, que dans la sienne. Sa jalousie assoupie s’était alors éveillée. Il lui semblait qu’elle avait un droit de priorité sur les attentions de son cousin et elle n’aimait pas voir contester ce droit, surtout par quelqu’un d’aussi capable de défendre sa conquête que l’était Constance Fearing. Dans son innocence, elle s’était plus d’une fois plainte à sa mère que George la négligeât, mais jusqu’ici ses observations à ce sujet n’avaient trouvé aucune sympathie chez Mme Sherrington Trimm. Totty, tout en pensant qu’il était de son devoir de faire quelque chose pour George, n’aurait jamais permis qu’un homme sans le sou, fût-il homme de génie, épousât sa fille unique ; elle encourageait ses visites, mais elle prenait soin qu’il rencontrât Mamie aussi rarement que possible chez elle. Quant à Sherrington Trimm, il n’avait aucune idée préconçue. George pouvait aller et venir dans sa maison, il y serait le bienvenu, et, si Mamie l’aimait, elle était libre de l’épouser.

Mamie avait été très bien élevée, dans le sens où ce terme élastique est généralement employé, n aïs il serait plus exact de dire qu’elle avait reçu une éducation très coûteuse. Elle parlait assez couramment le français, possédait une vague connaissance de l’allemand, et savait une vingtaine de mots italiens. Après sept années d’études musicales, elle pouvait faire danser ou accompagner passablement une romance, dont le mouvement n’était pas trop vif. Dans un autre ordre d’idées elle dansait dans la perfection, montait bien à cheval, et jouait très habilement au tennis.

Son caractère représentait assez bien la combinaison de l’esprit mondain de sa mère avec la nature enjouée, généreuse et loyale de son père. Elle n’avait jamais songé à s’interroger elle-même, pas plus qu’elle n’eût pensé à arracher les ailes d’un papillon pour voir comment elles étaient attachées à son corps. Sa simplicité d’idées était mêlée d’une pointe de sentimentalité assez naturelle à son âge, mais dont elle était si honteuse qu’elle la cachait jalousement à son père et à sa mère, Les seuls signes visibles de cette sentimentalité se trouvaient dans un tiroir de son pupitre, sous la forme de deux ou trois fleurs desséchées, d’un bout de ruban, et d’un carnet de bal, sur lequel les mêmes initiales étaient griffonnées plusieurs fois. Elle n’ouvrait pas ce tiroir dans le profond silence de la nuit, ne couvrait pas les fleurs de baisers, ne pressait pas le ruban fané sur son cœur, pas plus qu’elle n’arrosait le carnet de ses larmes. Elle ne s’occupait guère de ce réceptacle que pour ajouter un nouveau souvenir à la collection, et si elle ne jetait pas les plus anciens, c’était qu’une sorte de commisération tendre lui faisait considérer ces objets comme des êtres vivants qui pourraient être blessés de cet irrespect. Sa coquette chambre contenait, du reste, plus d’un cadeau fait par George Wood, depuis un livre d’images portant la marque du temps et de l’usage jusqu’au dernier roman du jeune homme, depuis sa première raquette de tennis, à présent tout usée et à moitié détendue, jusqu’à une jolie pendule de voyage en argent ciselé que son cousin lui avait apporté à son dernier anniversaire de naissance, comme une sorte de sacrifice propitiatoire pour sa négligence. Il ne lui serait pas venu à l’esprit, cependant, de cacher rien de ce qu’elle avait reçu de lui dans le tiroir secret. Ses sentiments pour son cousin était des plus simples et des plus solides, elle trouvait qu’elle avait le droit d’aimer George et que ses cadeaux avaient le droit d’être vus.Pointant, plusieurs fois récemment, quand elle l’avait observé dans une soirée, causant très vivement avec Constance Fearing, Mamie avait senti au bout de ses doigts une démangeaison de prendre tout ce qu’il lui avait donné et de le jeter dans la rue ; mais elle avait toujours été heureuse le lendemain de n’avoir pas cédé à ce mouvement destructeur.

Si George avait éprouvé pour Mamie la moindre chose approchant de l’amour, il eût certes remarqué que Totty avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour les tenir éloignés l’un de l’autre pendant les trois dernières années, c’est-à-dire depuis que Mamie était en âge de se marier. Mais comme il lui avait toujours été absolument indifférent qu’on le laissât seul ou non avec elle, il ne fut même pas frappé ce jour-là de ce que Totty lui proposait pour la première fois d’aller passer une heure avec sa fille quand il n’y avait personne.

George Wood était donc assis près de Mamie et de ses fleurs, écoutant son babil, répondant un peu vaguement à ses remarques, et se demandant comment il se faisait qu’il fût en vie, et puisqu’il existait, pourquoi il se trouvait là.

« Tu as l’air fatigué, George, dit la jeune fille, en étudiant son visage. Tu as l’air malade.

— Moi ?… je vais très bien. J’ai eu beaucoup de travail ces temps-ci. Et toi, Mamie… qu’est-ce que tu as ? Ta mère vient de me dire que tu étais très enrhumée. J’espère que ce n’est rien de sérieux.

— Oh ! ce n’est rien du tout. J’avais envie de lire ton livre et je ne voulais pas faire de visites : j’étais juste assez enrhumée pour avoir une excuse. Un rhume est bien utile quelquefois… C’est absolument comme tes travaux ; ce sont de ces choses qui passent pour inévitables et vous permettent de faire tout ce qu’on veut. Mais vraiment tu as une mine affreuse… Veux-tu un peu de thé ?…

— Merci, répondit-il. Je n’ai besoin de rien, c’est un peu de fatigue seulement et quand ta mère m’a dit que tu étais seule à la maison, j’ai pensé que cela me ferait du bien de venir passer un moment avec toi.

—C’est bien aimable à toi. Je t’ai si peu vu depuis quelque temps. »

Il y avait un accent de regret dans sa voix.

« Quand te maries-tu, Mamie ?

— Quand quelqu’un me demandera, Monsieur… répondit en riant la jeune fille.

— Qui est ce quelqu’un ?

— Je ne sais pas, répondit Mamie avec un tout petit soupir. On m’a demandée en mariage, tu sais, ajouta-t-elle avec un autre rire, beaucoup de gens même.

— Mais pas le quelqu’un particulier qui hante tes rêves ? demanda George.

— Il n’a même pas commencé encore à me hanter. Mais c’est de toi que j’ai rêvé l’autre nuit.

— De moi ?… Comme c’est drôle !… Et quel est ce rêve ?

— Un rêve bien drôle… oui ! » dit Mamie en se penchant pour sentir les roses qui étaient près d’elle.

Il était étrange que la couleur rouge des pétales fût renvoyée sur son visage par les rayons du soleil.

« J’ai rêvé, continua Mamie, tenant toujours les roses, que j’étais fort en colère contre toi. Alors, j’ai pris tous les objets que tu m’as donnés, le livre d’images, la poupée cassée, la vieille raquette, la pendule… et je les ai jetés par la fenêtre. Naturellement tu passais juste à ce moment-là dans la rue et tu me les a rapportés dans une corbeille, bien arrangés dans du papier rose, et tu me les as offerts avec cet odieux sourire que tu as quand tu vas dire quelque chose de parfaitement désagréable.

— Et alors, qu’est-il arrivé ? demanda George, que cela amusait malgré lui.

— Oh ! rien. Je crois que je me suis réveillée à ce moment. J’en ai ri toute la matinée.

— Mais qu’est-ce qui t’avait mise si en colère contre moi ?

— Rien… c’est-à-dire… la manière dont tu te comportes toujours avec moi dans les soirées. Tu ne viens jamais me parler. »

George la regarda en silence pendant une seconde avant de reprendre la parole.

« Vraiment, tu tiens tant que cela à ce que je te parle au bal ! demanda-t-il.

— Mais bien entendu, j’y tiens ! s’écria la jeune fille. Quelle question !

— Je ne suis cependant pas bien amusant. Mais puisque cela te fait plaisir, dorénavant je causerai avec toi tant qu’il te plaira.

— C’est trop tard maintenant, répondit Mamie, posant les roses qu’elle avait tenues si longtemps. La saison est finie et tu n’auras plus d’occasions. »

Bientôt Mamie amena la conversation sur les livres de George et parla avec enthousiasme de son succès. Elle avait lu tout ce qu’il avait écrit, avec plus de soin et plus d’intelligence qu’il n’en attendait d’elle, et elle citait des passages entiers de ses romans, l’embarrassant quelquefois par ses questions, mais le charmant malgré lui par la sincérité de ses appréciations. Enfin il se leva pour la quitter.

« Tu t’en vas déjà ? dit-elle d’un ton de regret. Pourquoi ne pas rester ? Nous ne sortons pas ce soir, tu aurais dîné avec nous. »

C’était bien plus que George ne désirait. Il ne tenait pas à se trouver une seconde fois avec Totty ce jour-là.

« Alors reviens bientôt, dit Mamie. Ta visite m’a fait tant de plaisir ; nous ne partirons pas à la campagne avant quinze jours d’ici.

— Mais tu n’auras peut-être pas un autre rhume, Mamie, observa George.

— Oh ! j’aurais toujours un rhume, si tu veux venir causer avec moi, » répondit la jeune fille.

En arrivant dans sa chambre, George s’assit dans sa vieille grande bergère et se demanda si tous les hommes déçus en amour éprouvaient ce qu’il éprouvait. Il essaya de fumer, puis y renonça avec dégoût. Il se leva et se mit à arranger des papiers entassés sur la table, mais ses doigts tremblaient étrangement et il se sentait alternativement brûlant et glacé. Il ouvrit un livre et voulut lire, mais l’effort pour concentrer son attention l’eût rendu fou. Il lui semblait qu’il allait suffoquer dans cette petite chambre qui avait, toujours été un havre de repos jusque-là, et pourtant il ne savait où aller. Il ouvrit la croisée, et l’air frais qui lui soufflait au visage le calma un peu. Il resta là longtemps accoudé. Les étoiles commençaient à briller au-dessus de sa tête lorsqu’il se retira.

Il passa la soirée avec son père, circonstance assez rare depuis quelque temps. Le vieillard l’avait à plusieurs reprises observé pendant leur repas, mais n’avait rien dit de l’air soucieux et défait qu’il remarquait sur le visage de son fils. Il était près de dix heures lorsque Jonah Wood posa son livre et leva la tête.

« Qu’as-tu, George ? » demanda son père. George leva les yeux sur la lampe pendant quelques secondes. Il ne se souciait pas plus de la sympathie de son père que de celle d’aucun autre, mais en pensant qu’il lui serait impossible de dissimuler pendant longtemps son agitation et sa mauvaise humeur, dont son père devait supporter les conséquences, il jugea qu’il valait mieux parler.

« Ma santé est bonne, répondit-il, mais j’ai peur d’être une mauvaise compagnie pendant quelques jours. Mlle Fearing a refusé tantôt de m’épouser. Je l’aimais. Voilà ce qu’il y a, père. »

Jonah Wood décroisa ses jambes, puis les recroisa du côté opposé, ce qui était son habitude quand il était extrêmement surpris. Machinalement, il reprit son livre et finalement répondit d’une voix faible :

« Je suis fâché de ce que tu m’apprends là, George. Je pensais que c’était une bonne fille. Mais t’en voilà bien revenu. Je n’ai jamais eu bonne opinion des femmes en général, excepté de ta pauvre chère mère. »

Ce fut toute la consolation que George trouva auprès de son père, mais il le connaissait trop bien pour supposer que le vieillard prononcerait des paroles de condoléances, quoi qu’il pût ressentir. Il était du reste parfaitement évident qu’il éprouvait quelque chose, car bien qu’il tînt consciencieusement son livre devant ses yeux pendant la demi-heure qui suivit, il ne tourna pas une seule fois la page.

George dormit peu cette nuit-là. Le lendemain matin, on lui remit un billet dont l’adresse était de l'écriture fine, penchée et élégante de Totty Trim.

« Cher George, » écrivait Totty, « Je ne puis vous dire combien je suis étonnée et affligée. Il court un bruit dans tout New-York que Conny Fearing a agi avec vous comme une coquette, après avoir promis de vous épouser. J’espère qu’il n’y a pas un mot de vrai. Écrivez-moi pour me rassurer et venez me voir cet après-midi. Je ne sortirai pas. Je suis bien, bien désolée. En hâte,votre affectionnée

Totty. »


George, en lisant cette lettre, fut pris d’une grande colère. Il n’avait parlé de cette affaire qu’à son père ; il fallait donc que Constance ou Grâce eût dit ce qui s’était passé.