Insaisissable amour/15

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Décarie, Hébert & Cie (p. 162-173).

XV


Mon cher George, dit Totty un soir vers la fin de mai, l’idée de partir et de vous laisser ici, par la chaleur, m’est bien pénible !

— C’est bien pénible, en effet, répondit George d’un air pensif en se retournant sur son fauteuil pour regarder sa cousine.

— Vous allez certainement tomber malade ici et il n’y aura personne pour vous soigner. Et pourtant… Vous voyez quelle mine a Mamie ! Je ne puis pas en conscience retarder plus longtemps son départ.

— Bonté du Ciel, Totty ne le retardez pas ! Vous ne voulez pas dire, j’espère, que vous avez attendu jusqu’ici à cause de moi ? »

Totty Trimm hésita, n’ayant pas prévu cette question. George avec son caractère n’aurait peut-être pas été flatté d’apprendre que depuis un mois il tenait en suspens la maison de Sherrington Trimm.

« N’importe ? » demanda-t-elle tout à coup en levant les yeux et lui souriant affectueusement.

C’était très bien trouvé. Les plus fortes affirmations n’auraient pas exprimé plus clairement son empressement à tout sacrifier pour son bien-être. George en fut touché.

« C’est trop de bonté pour moi, Totty. Je ne saurais assez vous en remercier. »

Il lui prit la main et la pressa chaleureusement.

« À quoi sert d’avoir des amis, s’ils ne sont pas là pour nous défendre ? » demanda-t-elle en lui rendant son serrement de main, en même temps que son visage devenait sérieux et triste.

Depuis qu’elle lui avait écrit son premier billet, après sa déception, elle n’avait jamais fait allusion à ses ennuis. Il lui avait répondu alors, comme à tout le monde, qu’il n’y avait jamais eu aucun engagement, et, depuis, il avait admiré le tact qu’elle avait montré en ne revenant jamais sur ce sujet. Son allusion présente, cependant, ne le blessa pas, lui semblant naturelle.

« Vous avez été plus qu’une amie pour moi, répondit-il. Vous avez agi comme une sœur,… seulement, si vous étiez ma sœur, je crois que je vous en serais moins reconnaissant.

— S’il en est ainsi, dit Totty avec un sourire de satisfaction amené par le succès de ses opérations, voulez-vous me faire plaisir… Voulez-vous me donner une preuve de votre reconnaissance ?

— Tout ce qui est en mon pouvoir…

— Venez passer l’été avec nous à la campagne.

— Mais, Totty, vous seriez bien vite fatiguée de moi… »

Des visions d’existence enchantée sur les bords de l’Hudson se levèrent devant les yeux de George. il était démoralisé et aspirait à un repos d’esprit. La perspective du bien-être matériel le tentait.

« Quelle idée ! s’écria Totty avec indignation. Si vous acceptiez ma proposition, la faveur sera pour moi et je vous en devrai de la gratitude. »

Elle se mit à sourire en pensant combien elle disait vrai, sans qu’il s’en doutât. Puis, voyant l’hésitation de son cousin, elle reprit vivement :

« Allons, George, c’est entendu, n’est-ce pas ? Sherry ne reviendra pas avant l’automne et là-bas, toutes seules, nous nous trouvons, Mamie et moi, bien abandonnées. Venez vous reposer, je vous en prie. Oui. n’est-ce pas ? Je savais bien que vous viendriez… oh que je suis contente… c’est un vrai soulagement de penser que vous serez avec nous ! »

C’était vrai ; George restant sous la surveillance personnelle de Totty avait peu de chances de retourner à son ancien penchant pour Constance.

De son côté, celui-ci voyait bien que les raisons de sa cousine n’étaient pas sérieuses, et d’après l’allusion qu’elle avait faite tout à l’heure, il pensa que-derrière le badinage de Totty se cachait son affectueux désir de l’aider à oublier.

« Tenez, voilà ce que je vais faire, dit-il. J’irai passer un mois…

— Non… je ne veux pas de vous pour un mois, ni pour deux,… l’été tout entier ou rien. »

George consentit à la fin et partit deux ou trois jours après avec [[Mme}} Sherrington Trimm et sa fille.

Pendant les premiers jours qu’il passa au milieu des parterres fleuris de cette maison de campagne assise sur les bords du grand fleuve, George, comme s’il eût été transporté dans une sorte de pays enchanté, se laissa aller à une oisiveté complète de pensées.qu’il n’avait jamais connue jusque-là.

Le voyage lui-même s’était accompli comme dans un rêve, sur le yacht de M. Craik, mis par le vieillard d’une façon permanente à la disposition de sa sœur. Ce bateau était si merveilleusement aménagé, contenait tant de luxe et de confort que George ne pouvait se rendre compte que le voyage fût déjà terminé, il n’avait jamais franchi de pareilles distances que dans la chaleur et la poussière d’un train bruyant ou sur le pont encombré d’un steamboat public. Sur ce yacht, il avait goûté à l’ambroisie et bu du nectar ; il avait joui du beau paysage, de deux jolies figures toujours placées devant ses yeux, et de deux voix harmonieuses qui l’avaient enveloppé de leur séduction.

À l’arrivée l’enchantement, ne fut pas rompu et la maison de campagne de Totty prolongea sans interruption les sensations exquises qui n’avaient été qu’intermittentes pendant le mois dernier à New-York. Si Totty avait eu l’intention de jouer le rôle de tentatrice, plutôt que celui de principale consolatrice, elle n’aurait pu le faire avec une habileté plus diabolique.

George tomba sous le charme sans même chercher à résister. Pourquoi, se demanda-t-il vaguement, résisterait-il à ce qui était bon en soi et inoffensif dans ses conséquences ? Sa vie devenait tout à coup pleine d’agrément. Trait-il désappointer Totty et faire de la peine à Mamie par une résolution injustifiée de retourner dans la fournaise de la ville ? Il pouvait tout aussi bien travailler là que partout ailleurs, mieux même, s’il est. vrai que l’esprit est plus actif quand le corps n’est pas sujet à la souffrance. Il avait assez connu l’ascétisme obligatoire, depuis sa dix-septième année, pour croire qu’un excès de luxe à présent ne pouvait pas lui faire de mal. Il finirait par s’en lasser, sans doute, et serait alors bien aise de retourner à la simplicité de son existence.

Cependant Totty était une épicurienne beaucoup trop accomplie pour permettre à son malade un excès en rien. Elle le surveillait de plus près qu’il ne le supposait et était toute prête à opérer un changement, non pas quand elle apercevrait des signes de fatigue, mais dès qu’elle verrait qu’il était satisfait. Elle jouait gros jeu et son attention ne se relâchait pas un instant. Mais il fallait, avant tout, que George s’éprit de Mamie.

Totty ne pensait pas que la beauté de sa fille fût suffisante pour séduire un homme récemment désappointé. Cette beauté ne suggérerait à George que des comparaisons dangereuses, ne réveillerait que des souvenirs et des regrets assoupis. Elle avait plus de confiance dans le charme subtil de Mamie, dans sa voix et ses gestes, que dans d’irréprochables perfections de lignes. Ce charme lui donnait une individualité propre que Constance Fearing n’avait jamais possédée, et qui ne ressemblait à rien de ce nue George avait remarqué chez les autres jeunes filles. Il pourrait sans doute se lasser de cela, aussi, comme de toute autre chose, mais Totty était encore plus soigneuse des effets qu’elle produisait avec Mamie que de ceux qu’elle amenait par son attention minutieuse à gouverner sa maison. C’est là qu’apparaissait sa plus grande habileté, car elle avait à jouer un rôle de duplicité à trois faces. Elle avait à plaire à George sans l’obséder, à régler les relations entre Mamie et lui, de façon à servir ses desseins, et à inventer des raisons pour que Mamie se conduisit selon ses" désirs, sans communiquer à la jeune fille un mot de ses intentions. Si George paraissait avoir éprouvé du plaisir à causer en tête-à-tête avec Mamie, il fallait l’empêcher de causer seul avec elle pendant au moins vingt-quatre heures, et même alors fallait-il s’arranger pour qu’il fût content de ce nouveau tête-à-tête. Le n était pas facile, car Mamie était pour L’instant éperdument éprise et si elle n’avait pas été surveillée, elle l'aurait probablement ennuyé par sa présence trop assidue. Le comble de la diplomatie était de la tenir éloignée de lui pendant assez longtemps pour qu’il désirât retrouver sa société. Ah ! si le hasard voulait que Mamie fût amenée à se confier à sa mère ( ce à quoi elle ne semblait pas trop disposée ), la situation eût été plus aisée ! Et dans cet ordre d’idées, quoique Totty eût beaucoup d’affection pour George, elle entretenait toutes sortes de criminelles espérances à son égard. Elle désirait qu’il fût jeté à bas de son cheval et rapporté à la maison sans être positivement blesse, mais au moins évanoui, ou que son canot chavirât dans l’Hudson sous les yeux de Mamie — bref, que quelque chose lui arrivât qui pût causer une violente émotion à la jeune fille et la jeter dans les bras de sa mère.

La Providence ne vint pas en aide à Totty dans ce sens, elle se montra pourtant jusqu’à un certain point favorable dans une circonstance fortuite. On parlait depuis longtemps du mariage projeté entre John Bond et Grâce Fearing, et Totty apprit un beau matin que la cérémonie devait avoir lieu sous peu. Comme elle ne voulait pas aller à la ville, au cœur de l’été, elle se borna à envoyer un magnifique cadeau à Grâce. Totty ne laissa pas, bien entendu, échapper l’occasion de parler de tout cela à Mamie, espérant ainsi arriver à connaître les idées de sa fille sur le mariage en général et sur le sien en particulier.

« Johnnie Bond est un bien beau garçon ! » dit Totty à sa fille après qu’elles eurent causé quelque temps.

Mamie convint que Johnnie Bond était en effet un beau garçon.

« Dis-moi, Mamie, reprit sa mère d’un ton à la fois enjoué et confidentiel, Johnnie Bond n’approche-t-il pas de ton idéal comme mari ?

— Bas le moins du monde ! » se hâta de répondre la jeune fille.

Totty parut très surprise.

« Non ?… Mamie, tu me parais difficile.

— Je ne suis pas difficile ; mais ce n’est pas du tout mon genre, maman.

— Quel est donc ton genre, comme tu dis ? »

Totty s’arrêta et parut attendre la réponse avec un profond intérêt. Mamie rougit et baissa la tête sur son ouvrage.

« Mon Dieu… dit-elle en parlant très vite, M. Bond, en dehors de son métier, ne s’occupe que de canotage, de tennis… en un mot de tous les sports. Je ne lui ai jamais entendu dire un mot spirituel de sa vie, quoique papa dise qu’il est aussi intelligent qu’un avocat peut l’être. C’est une de ces personnes atrocement sérieuses qui n’ont qu’un but : gagner de l’argent, comme si tout était dit par ce mot : « argent ». Oh ! je ne pourrais jamais prendre un mari parmi ces gens-là ! Et ils se ressemblent tous… aussi exactement que des machines à vapeur sorties de la même fabrique !

— Mon Dieu ! Mamie, dit en riant Mme Trimm, tu as des opinions bien arrêtées !

Grâce Fearing doit probablement avoir aussi des opinions bien arrêtées, mais dans un sens opposé ; sans quoi, elle ne l’épouserait pas. Du reste, c’est encore une personne que je n’ai jamais pu comprendre ; avec ses grands yeux noirs et son expression résolue… elle a l’air d’une jeune fille de roman, et je me trompe fort ou il n’y a pas plus de roman en elle que dans un carton à chapeau ! Sans cela elle n’aimerait pas M. Johnnie Bond… et pourtant, comme elle l’épouse, c’est qu’il lui plaît. Il faut donc qu’il y ait une raison qui m’échappe. —Mais cette raison-là est suffisante. Enfin, tu peux ne pas te soucier de John Bond, mais tu pourrais te soucier d’un autre. Tu ne m’as pas dit à quoi ressemblait ton idéal ?

— À quoi bon ? Tu devrais le savoir, maman, sans que je te le dise.

— Évidemment, je devrais le savoir, mon enfant… mais je suis si sotte. Serait-il brun ou blond ?

— Brun, répondit la jeune fille en se penchant sur son ouvrage,

— Et intelligent, je suppose ? Bien entendu. Élancé et avec un air romanesque ?

— Si tu veux bien, maman, nous parlerons d’autre chose.

— Pourquoi ? je ne suis pas sûre que nous ne puissions pas nous entendre sur l’idéal.

— Non ! s’écria Mamie avec un petit rire dédaigneux. Nous ne pourrions jamais nous entendre, car je préférerais qu’il fût pauvre.

— Tu peux te permettre d’épouser un homme pauvre si cela te plaît, dit Totty d’un air songeur. Mais n’aurais-tu pas peur qu’il t’aimât pour ton argent plutôt nue pour toi-même ?

— Non ! puisque je l’aimerais… c’est que j’aurais confiance en lui.

— Alors je ne vois pas pourquoi tu n’épouserais pas ton idéal. Voyons, ma chérie… nous savons bien toutes deux de oui nous parlons. Pourquoi ne pas nous le dire ? Je t’aiderais, alors. Je l’aime presque autant que tu l’aimes. »

Mamie rougit vivement, puis pâlit. Elle regarda sa mère d’un air méfiant.

« Tu ne parles pas sérieusement, maman, dit-elle, après une courte pause.

— Si vraiment, mon enfant, répondit Mme Trimm en soutenant hardiment le regard de sa fille. Crois-tu donc ne je ne voie pas tout depuis longtemps ? Et crois-tu surtout que je l'aurais amené ici si je n’avais pas été disposée à accepter ce mariage ? »

La jeune fille s’élança soudain et jeta les bras autour du cou de sa mère.

« Oh ! maman… maman ! C’est trop de bonheur,… trop de bonheur !

— Chère enfant ! s’écria Totty en l’embrassant affectueusement. Ton bonheur n’est-il pas toujours ma principale pensée ?

— Oui… je le sais, tu es bonne, dit Mamie, en s’asseyant près d’elle et en posant sa tête sur l’épaule de sa mère. Mais, vois-tu,… je croyais que personne ne s’en doutait, parce qu’on nous voit depuis si longtemps ensemble, Et puis je pensais bien que tu dirais ce que tu viens de dire… à propos de l’argent, tu sais,… mais ce n’est pas vrai,… non… il ne s’inquiéterait jamais de cela.

— Non. répondit Totty. Je ne le crois pas. Il est si loyal… tout comme ton papa. Mais, ma pauvre petite Mamie, crois-tu qu’il… ? »

Totty s’arrêta, achevant le reste de sa question au moyen d’un sourire plein de sympathique interrogation.

Mamie hocha la tête d’un air triste et baissa les yeux.

« J’ai peur qu’il ne veuille jamais, dit-elle à voix basse. Et pourtant, moi… oh, mère ! je l’aime tant… tu ne sauras jamais ! »

Elle cacha son visage dans ses mains et Totty l'embrassa affectueusement sur la tête. Son visage était rayonnant de joie, car elle sentait que la journée avait été bonne.

Après son aveu, Mamie se mit à suivre aveuglément les conseils de sa mère pour arriver à conquérir le cœur de George.

« Les hommes ont horreur d’être ennuyés, dit un jour Totty. Et on les ennuie très facilement, ma chérie. Ils aiment à ce qu’on fasse tout pour eux, mais leur satisfaction est amoindrie, s’ils s’aperçoivent que c’est spécialement pour eux. Les hommes ont un immense fond de traditions à soutenir, et ils les soutiennent en conservant autant que possible les apparences. Ils sont tous supposés braves, forts, honorables, endurants, et généreux, ils sont supposés ne jamais sentir la chaleur, dont, nous, nous souffrons, et ne jamais attraper de rhumes comme nous. Une partie de leur rôle est de n’avoir jamais peur de rien, et beaucoup sont plus timides que nous. Je ne veux pas dire que ce cher George n’ait pas toutes les qualités qu’un homme doit avoir. Loin de là. C’est même le garçon le plus accompli que j’aie jamais connu. Mais il ne tient pas à ce qu’on le remarque. Il veut qu’on le tienne pour dit. Voilà tout. Il serait désolé qu’on pensât qu’il pût jamais être ennuyé par toi ou par moi, mais pourtant il est convaincu que nous savons qu’il pourrait l’être, et il compte sur notre tact pour le laisser seul quelquefois, même pendant toute une journée. Il sera beaucoup plus content de nous revoir la première fois que nous le rencontrerons, et le prouvera en se donnant beaucoup plus de peine pour se rendre agréable. Il n’est pas vrai que si on se sauve, les hommes vous suivent. Ils sont beaucoup trop indolents pour cela. Il faut aller à eux, mais pas trop souvent. Ce qu’ils désirent le plus, c’est qu’il leur soit permis de faire ce que leur haute et puissante intelligence leur suggère, sans commentaires. Ne demande jamais à un homme où il est allé, ce qu’il a vu, ni ce qu’il a entendu dire. S’il a quelque chose à dire, il le dira, et s’il n’a rien à dire, on ne fait que l’humilier en découvrant le vide de ses pensées. Demande toujours son avis sur n’importe quel sujet. S’il n’en a pas lui-même, il connaît quelqu’un qui en a un. La différence entre les hommes et les femmes est très simple, ma chère. Les femmes ont l’air de plus grandes sottes qu’elles ne sont, et les hommes sont de plus grands sots qu’ils n’en ont l’air, sauf dans certaines choses qu’ils font, et celles-là, ils les font bien.

— George n’est un sot en rien ! » dit Mamie avec indignation.

Elle avait écouté avec beaucoup d’intérêt la leçon de sa mère.

« George, ma chère, répondit Totty, est très sot de ne pas être amoureux de toi en ce moment. Ou s’il l’est, il est très sot de le cacher.

— Oh ! ne parle pas comme cela, maman ! Je sens que je ne suis pas digne de lui. »

Néanmoins Mamie consultait sa mère et se laissait guider par elle. George voulait-il monter à cheval : raccompagnerait-elle ou le laisserait-elle aller seul ? Un mot, un regard décidaient la question, et George n’en savait rien. Il ne pouvait, cependant, s’empêcher de penser que Mamie devenait une jeune fille pleine de tact, en même temps qu’une très aimable compagne. Un jour qu’ils étaient ensemble en bateau vers le coucher du soleil, il ne put résister au désir de le lui dire.

« Comme tu es intelligente, Mamie, commença-t-il après un temps d’arrêt dans la conversation.

— Moi… intelligente ?

Le visage de la jeune fille exprima son innocent étonnement du compliment.

« Oui. Il est difficile de vivre avec une personne plus charmante que toi. Comment as-tu pu savoir que je désirais être seul hier et que je désirais que tu vinsses avec moi aujourd’hui ? dit George en riant. Est-ce que je ne te demande pas de m’accompagner chaque fois absolument sur le même ton ? N’ai-je pas toujours l’air d’avoir envie que tu viennes ? Comment peux-tu constamment tomber juste ?  »

Mamie sentit qu’elle rougissait plus que dans ses moments d’embarras ordinaires. Sa rougeur, dans le cas présent, avait en effet deux raisons distinctes. D’abord, elle avait été enchantée du compliment qu’il venait de lui faire, et puis, immédiatement après, pendant qu’il lui expliquait ce qu’il avait voulu dire, elle avait senti la honte lui brûler le visage. La veille, comme ce jour-là, elle avait aveuglément suivi le conseil de sa mère, donné par un mouvement presque imperceptible de la tête et des yeux qui avait indiqué un refus dans le premier cas et un consentement dans le second. Elle gardait le silence sans trouver un mot pour répondre à la question de George.

« Comment expliquer cela ? » insista-t-il, étonné de son embarras et ralentissant le mouvement de ses rames.

Les yeux de Mamie se remplirent soudain de larmes brûlantes, et elle se couvrit le visage de ses petites mains.

« Eh bien, ma chère Mamie, qu’est-ce qu’il y a ? demanda George se reposant sur ses avirons et se penchant en avant.

— Oh ! George, dit-elle en sanglotant, si seulement tu savais ! »